C. UN SECTEUR EXTREMEMENT CONCURRENTIEL

Même si certains articles de presse ont nourri des rumeurs d'entente entre les deux entreprises qui dominent le marché des avions commerciaux, rumeurs qui à leur tour ont provoqué des enquêtes communautaires sans équivalents aux Etats-Unis et, semble-t-il, infructueuses, c'est bien la concurrence extrême qui caractérise le marché de l'aviation commerciale .

Les variables sur lesquelles s'exerce la concurrence sont nombreuses mais on peut en faire une présentation simplifiée en distinguant celles qui portent sur la qualité des produits et celles qui portent sur les prix.

En apparence, les premières se sont quelque peu équilibrées à mesure qu'Airbus est monté en puissance, c'est-à-dire s'est trouvé en mesure d'offrir une gamme de produits plus complète, un service après-vente mieux structuré et des produits plus innovants que ceux d'un concurrent qui jouissait d'une position de marché de départ beaucoup plus solide.

C'est sans doute pour cette raison qu'en revanche la concurrence par les prix, favorisée par l'appréciation du dollar sans laquelle Airbus n'aurait pu suivre, s'est, elle, très significativement intensifiée au cours de la plus récente période.

L'évolution des résultats des ventes d'appareils commerciaux traduit cette intensification de la concurrence. La marge de la division de Boeing consacrée à l'aviation commerciale s'est considérablement réduite passant de 10 % en 1996 à 5 % en 1997 et même 4 % en 1998. Pour Airbus dont les résultats ne sont pas directement accessibles, un phénomène semblable s'est produit, une perte de 1,2 milliard devant être constatée. En dépit d'une progression des ventes, les résultats des divisions Airbus des industriels partenaires se sont effrités, Aérospatiale assumant pour des raisons diverses (voir infra) une perte de 68 millions de francs en 1998 et BAe une perte de l'ordre de 238 millions de francs, semble-t-il.

Si une partie de cette dégradation des résultats est imputable à des hausses de coûts susceptibles elles-mêmes d'explications variées, il est constant que, malgré la bonne orientation des commandes, la guerre des prix entre les constructeurs s'est déchaînée à tel point que des ventes à pertes se sont sans doute multipliées. Cette inquiétude a été en tout cas clairement confiée à votre rapporteur lors de ses entretiens auprès de la responsable du secteur aéronautique et spatial du ministère du commerce américain.

Les prolongements de cette concurrence sont évidemment dépendants de l'avenir du duopole (voir infra) mais ses effets de court terme peuvent déjà être envisagés.

Une course à la compression des coûts s'est déclenchée qui a plusieurs effets.

Le premier d'entre eux est évidemment d'exercer une très forte pression sur les fournisseurs des avionneurs . La réduction des coûts de leurs fournitures est une de leurs priorités qui, nulle part ailleurs plus que dans le secteur des moteurs, se manifeste.

Les particularités commerciales de l'industrie des moteurs

Si, dans ce secteur, la demande provient des compagnies aériennes, l'offre est médiatisée par les avionneurs qui choisissent les motorisations disponibles pour chaque modèle. Ce choix est certes technique mais il résulte surtout d'une négociation sur les prix que les motoristes s'engagent à consentir. De fait, ceux-ci ont été conduits à envisager des concessions commerciales considérables pouvant atteindre 100 % du prix-catalogue de leurs produits. En un mot, certains moteurs ont été fournis gratuitement, la rémunération des industriels ne provenant plus que des besoins de réparation et d'entretien des machines.

Cette pression sur les fournisseurs est, généralement, considérée comme un facteur devant déboucher à l'avenir sur de nouvelles concentrations chez les sous-traitants et équipementiers du secteur.

Mais, les ensembliers eux-mêmes ont entrepris une politique systématique, plus ou moins radicale, de diminution de leurs propres charges.

Cette volonté est apparue très forte à votre rapporteur au cours de ses entretiens avec les responsables de Boeing. La restauration de la profitabilité de l'entreprise est une priorité martelée par ses dirigeants. Une revue systématique des programmes a été entreprise en ce sens démontrant qu'une partie des actifs de l'entreprise n'était pas rentable. Ces programmes seront vraisemblablement abandonnés si les tentatives de redressement devaient apparaître vaines. De la même manière, l'entreprise entend réduire considérablement ses charges salariales . Elle envisage une diminution des effectifs dont l'ampleur pourrait varier entre 27 et 40.000 unités. En tout état de cause, l'entreprise devrait rapidement passer de 220.000 à 193.000 employés. Enfin, la volonté de réduire les coûts a pour effet une révision significative des investissements et, en particulier, de l'effort de recherche-développement (R et D). Chez Boeing, cette économie a provoqué non seulement une baisse des dépenses de recherche-développement de la division « aviation commerciale » en proportion de son chiffre d'affaires mais encore une diminution de la valeur nominale, et donc a fortiori encore du volume, des frais de R et D.

Cette dernière tendance ne va pas sans susciter des inquiétudes de la part des responsables administratifs du secteur aux Etats-Unis . Elle porte sur la capacité des industriels de maintenir un courant continu d'innovations dans les domaines civil mais aussi militaire. Elle est l'expression d'un conflit souvent occulté entre des entreprises aéronautiques soucieuses de séduire leurs actionnaires en améliorant toujours leur rentabilité et des responsables administratifs inquiets des exigences des marchés et de leur impact de moyen terme sur la capacité concurrentielle des appareils commerciaux et sur la capacité de défense nationale.

C'est à ce propos que l'on peut évoquer une autre dimension importante de la concurrence entre industriels. Chacun d'entre eux essaie en effet de s'assurer de marges de manoeuvre à travers le bénéfice d'interventions publiques.

La question des soutiens publics ayant fait l'objet d'un précédent rapport 10( * ) , on ne reviendra pas sur l'ensemble des aides publiques protéiformes que l'industrie aéronautique mobilise. On se bornera ici à insister à nouveau sur leur importance sur les conditions de concurrence de chacun des acteurs et à mettre en évidence l'apparition aux Etats-Unis d'une tonalité nouvelle dans les discours des responsables administratifs. Ainsi, face à la recherche par les entreprises des moyens de satisfaire au mieux leurs actionnaires, l'idée d'une inefficacité des marchés « aveuglés » par les préoccupations de court terme est désormais avancée pour justifier les interventions publiques. On vérifiera aisément combien cette approche s'éloigne du schéma, trop simple en l'occurrence, du jeu spontané du marché. Elle justifie en effet des interventions destinées à prendre en charge au moyen de ressources publiques toutes les catégories de coûts que l'aversion des marchés commande de réduire. Elle fait plus puisqu'elle a justifié l'accompagnement par les pouvoirs publics des charges de restructuration des entreprises du secteur. 700 millions de dollars (4,5 milliards de francs) ont été ainsi consacrés par le MoD (ministère de la défense) à la prise en charge des frais de licenciements résultant des restructurations du secteur.

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Les enjeux associés à la maitrise d'une industrie aéronautique puissante sont économiquement et politiquement, considérables.

Les contraintes qui pèsent sur l'industrie aéronautique qu'il s'agisse des contraintes propres à cette industrie ou de celles qu'elle rencontre du fait de son environnement sont aussi très importantes et vont se resserrant.

Une manière de duopole s'est progressivement formée donnant naissance à une compétition très relevée. Il reste à apprécier la forme des équipes dans ce qu'on peut appeler le match Europe-Etats-Unis.

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