9. Progrès de la réforme économique en Europe centrale et orientale - Interventions de MM. Jean BRIANE, député (UDF) et Jean-Pierre MASSERET, sénateur (Soc) (Mercredi 23 avril)

La Conférence de l'Assemblée parlementaire tenue en 1996 à Varsovie a permis d'examiner les progrès accomplis par les pays d'Europe centrale et orientale sur la voie des réformes économiques.

Le présent rapport indique que certains pays ont fait des progrès notables : les économies polonaise, slovaque et roumaine ont connu une croissance de 7 % en 1995, et plusieurs autres ont progressé de 5 %. En revanche, certains pays ont du mal à instaurer une économie de marché ; un addendum au rapport donne notamment une image assez sombre de la situation en Albanie et en Bulgarie.

Selon le rapport, les réformes devraient se poursuivre en fonction des conditions prévalant dans chacun des pays. Toutefois, l'absence de soutien international pourrait mettre en danger la démocratie ; il faut donc impérativement protéger les groupes les plus vulnérables de la société par des politiques nationales et par un soutien international.

Le rapport préconise :

- la stabilité et la légitimité démocratique des institutions politiques ;

- une législation claire, que l'on puisse faire respecter, et qui régisse l'ensemble de la vie économique, y compris les faillites et les investissements étrangers directs ;

- des programmes de privatisation qui garantissent un régime de propriété équitable et la loyauté de la concurrence ;

- la promotion des petites et moyennes entreprises ;

- la protection des groupes vulnérables, et un régime spécial pour les familles comptant des enfants en bas âge ;

- le développement de l'enseignement et des possibilités de se recycler ;

- la protection de l'environnement et les économies d'énergie ;

- l'amélioration du système bancaire grâce à la privatisation de banques publiques et à la création de nouvelles institutions financières privées ;

- une meilleure administration fiscale ;

- l'intensification du commerce au sein des régions, et une plus grande ouverture des échanges commerciaux avec l'Europe occidentale.

M. Jean BRIANE, député (UDF), intervient en ces termes dans le débat :

" Monsieur le Président, mes chers collègues, je tiens tout d'abord à féliciter mes collègues pour leurs rapports tout à la fois riches et complets.

La conférence de Varsovie a permis de dresser un nouveau bilan des réformes économiques engagées dans les pays d'Europe centrale et orientale.

La chute du mur de Berlin en novembre 1989, a signifié pour ces pays la possibilité immédiate de s'engager sur la voie du changement politique et économique. A ce titre, les sondages réalisés par la Commission européenne me semblent tout à fait intéressants puisque, si la majorité des personnes interrogées considère que l'économie de marché est le seul avenir possible pour leurs pays, elle se déclare en revanche beaucoup moins favorable concernant les droits de l'homme et l'évolution de la démocratie.

Certes, il ne s'agit que d'un sondage, mais je le trouve assez révélateur de la situation de ces pays. Les réformes économiques incessantes depuis six ans déjà, commencent à porter leurs fruits, contrastant sans doute avec l'évolution sociale tant attendue en termes de niveau de vie et de libertés fondamentales. Or, c'est la revendication de droits réels et non purement formels qui est à l'origine du renversement des gouvernements communistes. Nous souhaiterions à ce sujet faire quelques remarques.

En premier lieu, les pays d'Europe centrale et orientale ont réalisé d'importants efforts et remporté de notables succès dans le domaine économique. L'adhésion de la République tchèque, de la Hongrie et de la Pologne comme membres de l'OCDE en témoigne, certains parlant déjà de "post transition".

Toutefois, l'amélioration générale demeure assez disparate, chacun se différenciant par la façon dont il combine politique monétaire, financière et de change.

La transition économique des ex-pays du bloc soviétique s'accompagne d'un coût social important, où chômage, baisse du niveau de vie et absence de protection sociale se cumulent.

Dès lors, le danger existe de voir se produire, à cause de l'attirance de conditions d'existence plus favorables, une fuite des cerveaux à l'étranger et une désorganisation des équipes de chercheurs. Or, ces pays ont un besoin fondamental de leurs élites scientifiques pour assurer la transition économique.

C'est pourquoi mon collègue M. Claude Birraux avait proposé en janvier 1996 la création d'un observatoire sur la coopération scientifique et technique permettant de suivre la réorientation du potentiel scientifique vers les besoins civils et la coopération avec l'Ouest.

Si l'on s'en tient à l'exemple du nucléaire, les instruments de coopération peuvent être très nombreux : de l'assistance pour la mise en place d'une autorité de sûreté à l'échange de cadres et de techniciens.

En deuxième lieu, nous souhaiterions mettre l'accent sur la finalité de cette transformation économique. Le développement économique n'est pas une fin en soi mais un moyen au service du progrès en général et du progrès social en particulier. Il est évident aussi que le maintien d'une cohésion sociale contribue au développement économique.

C'est pourquoi, nous pensons que des efforts particuliers doivent être menés dans le domaine de la protection sociale, notamment à l'égard des catégories les plus vulnérables de la population. C'est une condition indispensable à la poursuite du processus de transformation de l'économie. Nous tenons à rappeler, comme le rapporteur, la Charte sociale européenne du Conseil de l'Europe qui prévoit entre autres le droit à la protection sociale pour l'ensemble de la population et une protection particulière en-dehors du milieu du travail pour les enfants et les personnes âgées.

En revanche, la transition économique a des retombées positives en matière d'environnement. Ces pays sont, pour la plupart, déjà signataires de la Charte internationale de l'énergie. Celle-ci dispose en effet, conformément aux principes posés par le Conseil de l'Europe, que la mise en valeur des ressources énergétiques devra être respectueuse de l'environnement.

L'adhésion à de telles dispositions manifeste une double volonté de changement : un changement des modes de production jadis axés sur une industrie lourde, polluante et obsolète pour se rapprocher du fonctionnement de celui des économies de marché ; un changement politique où le concept de sûreté à l'Est tend à se rapprocher du concept occidental, ce qui est un gage d'ouverture à la démocratie.

Des résultats sensibles ont été obtenus pour nombre de ces pays, même si la Russie a encore de vastes régions menacées par la pollution. Le risque nucléaire est toujours largement présent, de nombreux réacteurs non conformes aux normes occidentales étant en fonctionnement.

En conclusion, nous estimons que les progrès des réformes économiques dans les PECO ne sauraient se mesurer au seuls critères de l'économie de marché et de la privatisation au sens ultralibéral.

La prise en compte de la dimension sociale, environnementale, énergétique doit compléter l'aspect économique. A cette seule condition, les réformes économiques accompagneront et renforceront la voie vers la démocratie et le changement d'échelle des valeurs par rapport aux régimes communistes.

Voilà les observations qu'avec mon collègue Claude Birraux, nous souhaitions exprimer ce matin devant cette Assemblée. "

M. Jean-Pierre MASSERET, sénateur (Soc), intervient à son tour :

" Je crois ce débat particulièrement opportun :

- à la fois parce qu'il donne un large écho aux travaux de la Conférence parlementaire de Varsovie l'année dernière ;

- et aussi parce que le désastre albanais montre que le " laisser-faire, laisser-passer " ne saurait à lui seul apporter une réponse aux aspirations d'un peuple.

L'addendum au rapport qui expose l'aggravation de la situation économique en Albanie et en Bulgarie nous rappelle que la transition vers la démocratie et l'économie de marché ne peut pas relever de la mise en oeuvre abstraite d'un chapitre de cours de macro-économie.

J'apprécie, pour ma part, la formulation du projet de résolution. Notre rapporteur souligne, à juste titre, la nécessité de tenir compte de la protection des groupes les plus vulnérables : personnes âgées ou handicapées, chômeurs ou encore famille comportant de jeunes enfants.

Je ne peux qu'approuver également l'invitation aux pays d'Europe centrale et orientale d'établir une économie de marché tenant compte de la protection de l'environnement, d'une utilisation rationnelle de l'énergie ; ou encore d'établir un système bancaire, une fiscalité, un régime des investissements nationaux et étrangers présentant les garanties nécessaires au fonctionnement d'une économie de marché.

Tout au plus, je m'interroge sur l'invitation adressée aux seuls " Etats membres du Conseil de l'Europe, de faciliter l'accès de leurs marchés aux exportations des Etats d'Europe centrale et orientale, en particulier en ce qui concerne les produits agricoles et d'éviter toute mesure protectionniste ". La même invitation ne pourrait-elle être adressée aux Etats qui ont demandé le statut d'observateur au Conseil de l'Europe : les Etats-Unis d'Amérique, le Canada ou le Japon, dont les économies devraient s'ouvrir également, y compris aux exportations agricoles ?

Je voterai ce projet de résolution, mais en souhaitant que ses destinataires réfléchissent également à l'addendum consacré à l'Albanie et à la Bulgarie. La situation de ces deux Etats montre que la transition vers l'économie de marché ne peut se faire dans l'anarchie, menée par la seule " main invisible " des forces du marché. Pour être, de fait, plus ou moins invisible, cette main n'est pas toujours innocente. L'Albanie et la Bulgarie sont toutes deux membres pléniers de notre organisation. Comment ne pas être consterné de la situation actuelle, des espoirs déçus, des efforts anéantis parce que nous n'avons pas su accompagner suffisamment l'instauration d'un Etat de droit en même temps que la libération des forces du marché dans des pays si peu préparés à ce choc. Un Etat de droit, c'est aussi une communauté nationale où est respectée la foi publique, c'est-à-dire où les salaires et les retraites sont payés, où les épargnants ne sont pas bernés par des publicités mensongères et finalement ruinés.

Peut-être devrions-nous faire évoluer les programmes de coopération avec les pays d'Europe centrale et orientale au fur et à mesure de l'adoption des textes organisant les pouvoirs publics, afin d'aider ces pays à mettre en oeuvre, par exemple, la résolution 1005 que nous avions adoptée en 1993 pour les inviter à accorder " une attention particulière à la nécessité de mettre en place une législation appropriée dans le secteur de la propriété privée, du commerce et de l'industrie, ainsi qu'un ordre juridique équitable et contraignant... ".

De même que l'appropriation collective des moyens de production avait peu à peu paralysé tout développement économique dans ces pays, la dérégulation anarchique a ruiné une deuxième fois des Etats déjà en grande difficulté.

Vous ne vous étonnerez pas mes chers collègues, que je souhaite que cette résolution s'accompagne d'une réflexion politique à côté de l'exhortation à, je cite, " reprendre de plus belle " les efforts de réforme déjà entrepris.

Je regrette seulement que cette réflexion politique se développe dans l'urgence car elle est toujours indispensable. "

Après amendement, la résolution 1122 figurant dans le rapport 7712 est adoptée à l'unanimité.

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