3. Aspects scientifiques et techniques des nouvelles technologies de l'information et de la communication - Interventions de MM. Claude BIRRAUX, député (UDF) et Jean VALLEIX, député (RPR) (Lundi 23 juin)

Le Rapporteur expose que, à la fin du siècle, plus d'un milliard d'humains seront reliés à l'Internet, ce réseau de communication qui permet à l'information de passer en quelques secondes d'un endroit du globe à l'autre.

Cette nouvelle technique représente, selon le Rapport, une aubaine pour les scientifiques, car les chercheurs travaillent à présent dans un " village mondial ", mais la déréglementation des télécommunications en Europe risque de restreindre les capacités de recherche. Dans le monde entier, le système bancaire international ressentira les effets du phénomène, car l'argent électronique va se répandre, et des problèmes de sécurité se poseront dans la mesure où il est permis de craindre que des terroristes puissent saboter le contrôle du trafic aérien ou les systèmes financiers.

Le rapport invite les gouvernements à faire évoluer les techniques nouvelles dans un sens favorable à la société. Il leur conseille d'établir un partenariat avec l'industrie privée pour élaborer des solutions propices aux citoyens, parmi lesquelles :

- l'adaptation des techniques nouvelles aux personnes âgées ou handicapées ;

- l'informatisation des services médicaux ;

- des systèmes de contrôle de l'environnement et de gestion des réseaux de transport

- une promotion de la coopération internationale en vue de rendre possible l'interaction des systèmes ;

- l'encouragement de la création des sociétés informatiques en Europe ;

- la recherche des moyens de crypter l'information pour contrecarrer l'action des terroristes.

Dans le débat qui s'instaure sur ce rapport, M. Claude BIRRAUX, député (UDF), intervient en ces termes :

" Monsieur le Président, mes chers Collègues, je voudrais d'abord remercier et féliciter notre collègue Frey pour la qualité tant de son rapport que du colloque qu'il avait organisé à Neuchâtel. Je me permettrai quelques commentaires.

Il est bien clair que les technologies dont nous parlons se développent très rapidement. Le premier risque de leur essor est celui d'une société à deux vitesses : ceux qui savent les utiliser et ceux qui ne savent pas. L'appropriation d'une technologie, son utilisation, sont des instruments de pouvoir. Permettre au plus grand nombre d'avoir accès aux technologies, d'être formé à leur utilisation sont aussi des enjeux démocratiques qu'il faut relever.

Si le développement du télétravail peut être une chance pour l'aménagement du territoire, en permettant la création d'emplois dans des zones isolées, il peut aussi avoir des aspects négatifs : délocalisation à grande distance et chômage ; risques d'atteintes aux libertés individuelles dans l'entreprise, avec des systèmes informatiques de surveillance par exemple ; isolement, perte de contact avec l'entreprise et empiétement sur la vie privée, confusion travail-domicile.

S'agissant des enjeux d'éducation et de formation, la place des nouvelles techniques d'information et de communication est déterminante pour acquérir la connaissance elle-même, pour une éducation de meilleure qualité, voire un enseignement personnalisé. C'est dans le domaine éducatif que l'on pourra acquérir la maîtrise, facteur d'égalité.

Outre à la familiarisation à l'outil informatique, il convient de réfléchir aux conséquences de l'usage de l'ordinateur sur les apprentissages classiques. Travailler sur des ordinateurs sans projet éducatif et sans enseignants formés, c'est avoir une voiture sans permis de conduire. Il faut aussi intégrer dans la pédagogie une réflexion sur l'image comme vecteur d'information. Il convient de réduire le retard de l'Europe dans les systèmes d'enseignement puisque 10 % seulement des écoles ont accès à Internet, contre 60 % aux Etats-Unis, comme l'a rappelé notre rapporteur.

Les nouvelles techniques de communication et d'information présentent des avantages pour la télémédecine puisqu'il devrait s'ensuivre une amélioration des services de santé rendus à la population.

Télédiagnostic, téléchirurgie, télésurveillance médicale... Toutes ces " télépossibilités " peuvent éviter le transport des malades, les données dont le médecin a besoin pouvant être transmises grâce à ces nouvelles technologies. S'y ajoute pour les médecins la possibilité d'une mise à jour de leur savoir, grâce au support multimédia.

Le développement de la télémédecine n'est pas exempt de quelques interrogations éthiques.

Se pose d'abord le problème du secret médical. Le codiagnostic et la téléchirurgie envisagent la communication entre médecins comme un élément naturel en vue de la santé du patient. Dès lors est soulevé le problème du partage du secret médical. Quelle sera la place du patient et comment obtenir son consentement ? D'autre part, quels seront les effets à long terme, tant du point de vue médical que financier, de l'amélioration de la qualité des soins ? La collectivité est-elle décidée à assumer les coûts de la formation professionnelle des médecins ? Dans quelles conditions ?

La déréglementation en cours devrait permettre un abaissement des coûts, donc faciliter le développement de ces technologies, avec l'apparition de nouveaux acteurs. L'appropriation des technologies par davantage d'acteurs risque fort de nous conduire à voir la recherche délaissée. C'est le rôle des gouvernements que de trouver les voies et moyens pour soutenir les centres de recherche, d'une part, et faciliter le transfert des connaissances vers l'industrie et les PME, d'autre part.

Un cadre juridique est à inventer.

J'avais déjà développé, lors de la discussion du rapport de M. Beaufays traitant des relations entre nouvelles technologies et emplois, les enjeux sociaux. Toute notre législation du travail est à réinventer car elle est aujourd'hui dépassée. De même s'agissant du commerce, le développement du commerce électronique est en avance sur la législation ce qui laisse la porte ouverte aux abus, aux fraudes et aux délits.

Le cadre juridique approprié à l'exercice de l'ensemble de ces nouvelles technologies d'information et de communication est à inventer dans une approche globale et mondiale. L'autorégulation des opérateurs est un leurre, une vision angélique. Qui peut croire en l'autorégulation des maffieux, des proxénètes et des pédophiles ?

Lorsque l'on considère les différents paramètres qui font une société, c'est dans tous les aspects que les nouvelles technologies d'information et de communication modifient les éléments fondamentaux que l'on pensait intangibles de notre société. Le rôle du Politique s'en trouve renforcé et sa responsabilité n'en est que plus grande. C'est à travers ses choix que le Politique façonne la société.

La société des nouvelles technologies d'information et de communication recèle en elle-même des chances extraordinaires pour le développement économique, éducatif, culturel et scientifique de l'homme. Elle contient aussi en germe des dangers graves de déviance, d'exploitation mal intentionnée, de manipulation.

Le prisme à travers lequel le Politique doit les considérer est celui des valeurs qui fondent nos sociétés démocratiques, en plaçant au centre de l'édifice l'homme dans toutes ses dimensions, y compris spirituelle.

Notre Assemblée dont c'est la vocation, se doit de jouer un rôle prépondérant, avant-garde et moteur tout à la fois ".

M. Jean VALLEIX, député (RPR), prend alors la parole :

" Monsieur le Président, mes chers Collègues, ce rapport nous concerne tous, non seulement pour le présent, mais pour l'avenir. Il est évident qu'il concerne nos populations.

Comme les orateurs qui m'ont précédé, je soulignerai la qualité du rapport de M. Frey, ainsi que la qualité des travaux qu'il a organisés à Neuchâtel, au mois d'avril, et qui nous ont permis d'engager une réflexion approfondie. Il est évident que nous sommes embarrassés par les dix-huit propositions formulées - car elles ne sont pas seize, mais dix-huit - entre lesquelles il importe de réaliser un classement, de définir un ordre de priorité.

S'agissant d'une autre réflexion, sur le débat permanent entre le virtuel et le réel, je rejoindrai volontiers les propos tenus à l'instant. J'avoue que j'ai été également très sensible aux qualités d'intervention de nos collègues MM. Birraux et Olrich.

Nous débattons aujourd'hui, en fait, d'une approche d'abord technique et technologique, ce qui est bien normal dans la mesure où le sujet est traité par la commission de la science et de la technologie.

Quitte à me placer quelque peu hors du sujet, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je voudrais précisément insister sur ce qui n'est pas que technique et technologique, et par conséquent, sur les défis qui entourent ce vaste débat.

C'est d'abord un défi pour l'Europe, dans la mesure où en définitive, nous devons considérer que cette dernière n'est pas, dans cette affaire, la mieux placée. Distancée par les Etats-Unis, elle risque d'être dépassée par l'Asie dans la course à l'équipement en matériel informatique. Les chiffres sont éloquents : selon des études récentes, le marché a progressé, l'an dernier, de 7,2 % en Europe de l'Ouest contre 21 % aux Etats-Unis, 33 % au Japon, 15 % en Russie, sans parler des très rapides progrès de la Chine.

Bref, sommes-nous, face à Internet, des attardés ou des retardés ? J'espère que nous ne serons que retardés ! Toujours est-il que la réalité est là et l'Europe, qui a su être à l'avant-garde dans les domaines de l'espace, de l'aéronautique et du nucléaire, doit aujourd'hui, de toute évidence, redoubler d'efforts.

Le deuxième défi - de taille ! - est " démocratique " et " juridique " a-t-il été ajouté à juste titre -les deux notions étant, à mon avis, assez complémentaires -par l'orateur précédent. Il faut bien reconnaître que la démocratie représentative, telle que nous la connaissons, devra -saura-t-elle le faire ? -s'adapter profondément pour survivre dans les conditions d'une société nouvelle d'information.

Citons un troisième défi qui nous concerne, nous, en tant que politiques parce que nous avons à la fois à " piloter " techniquement ces données et à assumer des responsabilités directes.

Ce troisième défi, que vous avez, me semble-t-il, moins traité dans votre rapport, monsieur Frey, mais qui a été très bien évoqué tout à l'heure, est culturel. Je signale que j'ai été impressionné, et je le suis toujours, par la qualité du français de notre collègue M. Làzàrescu et par la qualité de sa pensée.

Dans le domaine culturel, la mondialisation a pour effet de véhiculer actuellement, à l'échelle planétaire, un mode de pensée qui est essentiellement le reflet disons de la culture américaine pour laquelle j'ai d'ailleurs beaucoup d'estime mais qui risque tout de même de nous entraîner vers une sorte de sous-culture uniforme.

La planète risque de devenir plus un marché de consommateurs qu'un monde de citoyens. Il s'agit d'ailleurs d'un débat qui a déjà été évoqué avec le GATT lorsqu'il s'agissait de défendre l'exception culturelle. Certes, ce débat difficile nous engage dans la mesure où nous devons défendre des réflexes identitaires propres à notre civilisation, aux civilisations nationales mais aussi, bien évidemment, européennes.

Le quatrième défi est économique et social. Voilà vingt ans, des débats de cette nature que l'on retrouve dans les textes du Conseil de l'Europe ont eu lieu au sujet de ce qui démarrait alors et qui prenait forme sous la qualification de traitement de texte ou d'informatique. A l'époque, la commission des questions économiques et du développement évoquait les 15 ou 20 millions de chômeurs à appréhender en Europe à cause du développement de ces pratiques. Certes, il y a des compensations.

En vérité, le phénomène n'est pas nécessairement si différent. Après avoir dépassé l'âge de la pierre, du fer et du bronze - n'est-ce pas, Monsieur le Rapporteur ? - à des époques plus récentes, nous sommes parvenus, après l'ère de l'informatique, à celle d'aujourd'hui, à l'ère d'Internet, du virtuel et de la multicommunication qui engageront nécessairement des révolutions profondes en matière d'activités et d'emplois.

A cet égard, il me semble opportun d'approfondir la réflexion, et je vous soumets une proposition : à partir de vos travaux, monsieur le rapporteur, et de ceux de la commission, il convient de rechercher un complément de réflexion et d'orientation, par exemple, auprès de la commission des questions économiques et du développement. Bref, faisons travailler l'ensemble de nos commissions qui peuvent examiner ce problème capital.

En guise d'ultime réflexion, je citerai un auteur que vous connaissez tous, Saint-Exupéry, lequel a eu un mot qui, pour m'avoir frappé, me revient souvent en mémoire et nous rappelle cette époque où nous sommes menacés par une civilisation plus éclatée, éventuellement plus localisée, avec le risque cependant, qu'elle soit beaucoup moins humaine : " La grandeur d'un métier, c'est aussi d'unir les hommes ". Comment allons-nous procéder pour que les procédures modernes, indispensables, nous permettent toujours d'unir les hommes ? Il s'agit aussi d'un des problèmes dont le Conseil de l'Europe doit se préoccuper ".

La recommandation 1332 contenue dans le rapport 7832 est adoptée, amendée.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page