14. Droit au respect de la vie privée - Interventions de MM. Gilbert MITTERRAND, député (Soc), rapporteur pour avis, et Bernard SCHREINER, député (RPR)  (Vendredi 26 juin)

Quelques semaines après l'accident qui a coûté la vie à la Princesse de Galles, certaines voix se sont élevées pour demander un renforcement au niveau européen de la protection de la vie privée, notamment des personnes publiques, au moyen d'une nouvelle convention. D'autres cependant étaient d'avis que la vie privée était suffisamment protégée par les législations nationales et la Convention européenne des Droits de l'Homme et qu'il ne fallait pas porter atteinte à la liberté d'expression.

A la lumière de l'audition consacrée à ce thème en décembre 1997, le rapporteur arrive à la conclusion que la vie privée est protégée par l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, non seulement contre l'ingérence des pouvoirs publics mais aussi contre celle des particuliers et des institutions privées. Il arrive cependant que ce droit se trouve en contradiction avec le droit à la liberté d'expression garanti par l'article 10 de la Convention, comme l'un des fondements de la démocratie. Le problème se pose notamment lorsque des personnes publiques sont concernées.

La Recommandation a pour objectif de parvenir à un équilibre respectant à la fois le droit à la vie privée et la liberté d'expression en préconisant non seulement l'adoption d'une nouvelle Convention mais celle de lignes directrices.

M. Gilbert MITTERRAND, député (Soc), rapporteur pour avis de la Commission des questions sociales, de la santé et de la famille , fait les observations suivantes en présentant son rapport écrit :

" Le débat d'aujourd'hui n'est pas nouveau car, au cours de ces trente dernières années, il a mobilisé le Conseil de l'Europe à travers pas moins d'une vingtaine d'initiatives : Résolution 338 sur la législation sur la presse en 1967 ; Recommandation 509 sur les droits de l'homme et les réalisations scientifiques et technologiques modernes en 1968 ; Directive n° 283 sur la communication de masse et les droits de l'homme en 1969 ; Résolution 428 et Recommandation 582 sur le même sujet en 1970 ; Recommandation 963 sur les moyens éducatifs et culturels de lutte contre la violence en 1983 ; Résolution 1003 et Recommandation 1215 sur l'éthique du journalisme en 1993.

Le Conseil des ministres, pour sa part, a tenu sa quatrième Conférence des ministres de la Justice sur la législation sur la presse et en a fait sa Résolution 3 en 1966. En 1982, il établissait une Déclaration sur la liberté d'expression et d'information. En 1997, une convention était ouverte à la signature sur les droits de l'homme et la biomédecine, qui touche au droit de la vie privée. Et, en 1998, il a inscrit dans son projet une ligne directrice sur la question de la protection des données dans les inforoutes, c'est-à-dire le problème d'Internet.

J'ajoute une Conférence nordique de juristes en 1967 à Stockholm sur le droit à la vie privée ; un colloque à Salzbourg en 1968 sur les moyens de communication de masse et sur les droits de l'homme ; et enfin un colloque en 1991 à Helsinki sur l'éthique du journalisme.

Vous me pardonnerez une telle énumération, mais, à elle seule, elle dit bien combien notre débat d'aujourd'hui n'est pas un débat de circonstance, un débat à chaud influencé par une émotion, bien légitime. C'est un débat mûri et approfondi qui prend acte des limites, du non-respect, voire des échecs de certaines dispositions précédentes, un débat qui constate que les techniques vont parfois plus vite que le droit et qui justifie le bien-fondé de notre démarche qui consiste à en tirer les conséquences par les propositions formulées.

Voilà qui fixe le cadre et l'objectif du rapport au fond de la Commission des affaires juridiques et des droits de l'homme et des propositions de M. Schwimmer, que j'approuve et que je soutiens, s'il n'est pas déséquilibré dans notre débat. J'eusse préféré qu'il débouchât également sur une recommandation, comme le préconise M. Atkinson.

Mes chers collègues, ce débat ne doit pas faire l'objet d'un faux procès ou d'amalgames, qu'aucun rapport ne propose. Ni le rapport de M. Schwimmer, ni ceux des autres commissions n'entendent limiter le droit existant, ils entendent lutter contre les abus du droit, qui sont donc " hors du droit ".

Il ne s'agit pas de restreindre le droit de l'information, mais de sanctionner le voyeurisme et le commerce qui font de l'intimité d'une personne humaine une valeur marchande.

Pour apporter la meilleure garantie, la commission des questions sociales, de la santé et de la famille souhaite, par quelques amendements, rappeler le cadre juridique actuel et réaffirmer solennellement les principes et les valeurs qui guident et fondent la raison d'être de notre Assemblée en la matière.

C'est en l'absence de la réaffirmation de ces principes que se créent les confusions ou les interprétations hasardeuses, dommageables aussi bien pour le droit d'informer, que pour le droit au respect de la vie privée. Nous ne devons pas laisser ce flou. C'est extrêmement important car cela peut nous aider à sortir d'une autre question lancinante, voire dilatoire, prétexte à ne rien faire - ou si peu - qui est : " Mais qui juge si c'est une information ou un abus ? "

A cette question légitime, on doit d'abord répondre par une autre : " Qui que ce soit, cela ne peut se faire que par rapport à quoi ? " Voilà la grave question. Alors, il est primordial de réaffirmer ces principes comme autant de repères incontestables. Ce sont des droits qui ne sont pas absolus, pas hiérarchisés et pas discriminatoires. C'est écrit en toutes lettres dans notre Convention européenne des Droits de l'Homme.

Je le répète, réaffirmer ces principes c'est réaffirmer ces droits et non pas les restreindre. Les éclairer à la lumière des évolutions les plus récentes qui apparaissent dans les législations et les jurisprudences, y compris de la Cour européenne de justice, de façon de plus en plus convergente, mérite d'être repris dans nos travaux. Il en est ainsi de la notion " d'intérêt public légitime " qui justifie la presse d'information et d'investigation, mais protège la vie privée, non pas dans sa définition introuvable, mais dans la nature de son contenu. C'est ce que je vous propose par l'amendement n° 3 qui vient en soutien des points 10 et 11 du texte de M. Schwimmer.

C'est par rapport à ces principes réaffirmés et à cette notion d'intérêt public légitimes que les médias eux-mêmes jugeront d'abord ce qu'ils doivent ou non publier. Ils n'ont pas besoin d'autorisation dans ce cadre-là. Ils assument leur responsabilité, corollaire de leur liberté.

En cas de contestation, le juge qui sera saisi tranchera. En dehors du cadre de l'intérêt public légitime, les médias ne peuvent pas s'introduire dans la vie privée sans le consentement express de la personne qui reste seul juge de ce qu'elle accepte ou non de divulguer de sa vie privée qui n'a pas d'incidence sur sa vie publique.

Réaffirmer ces principes est essentiel. Mais leur donner une chance d'application ne l'est pas moins. Et, l'avez-vous remarqué, plus on avance dans cette voie plus les rangs s'éclaircissent. A la question : faut-il concilier vie privée et liberté d'expression ? Le " oui " est unanime. A la question : l'Assemblée a-t-elle conscience des dérapages d'une certaine presse, de certains médias ? Le " oui " devient quasi unanime, même chez les journalistes. Puisqu'un déséquilibre existe, faut-il y remédier ? Le oui devient " bien sûr, pourquoi pas ? " Faut-il faire des propositions ? On entend alors : " Ah non ! le moins possible. "

Par confusion, on affirme qu'il ne faut pas toucher au droit d'informer. Par hypocrisie, on nous dit que le droit de tout savoir c'est la démocratie, et que les gens aiment ça. Par accusation on nous dit que la censure est une initiative liberticide qui protège les hommes politiques véreux et leurs mensonges. Les principes étant réaffirmés, le rapport de M. Schwimmer établit les sanctions adaptées. Elles doivent être à la hauteur du but poursuivi, donc civiles, pénales et économiques. A défaut, l'économie dicte sa loi à la Loi et c'est à l'opposé de ce que l'on appelle un Etat de droit.

Le défaut de sanctions adaptées ménage ceux qui veulent à la fois ne pas connaître les règles, ne pas les appliquer, faire commerce de ce laxisme et fuir leurs responsabilités, donner des leçons de démocratie et de morale et en plus, passer pour des victimes. Les sanctionner ne remet en cause ni un droit, ni un équilibre car il s'agit de lutter contre un abus et de corriger un déséquilibre.

On pourra toujours tout dire sur la vie publique et sur les comportements publics et privés des personnes qui ne respectent pas les lois. On pourra toujours tout dire sur la vie privée qui présente un intérêt public légitime pour la société, sous réserve de s'exposer à en répondre sévèrement devant un juge. Mais on ne pourra s'introduire sans limites et sans autorisation dans la vie privée, dans tous les autres cas, sans être lourdement sanctionné.

Voilà mes chers collègues, la nature du rapport et des amendements que je vous propose. "

M. Bernard SCHREINER, député (RPR) , intervient dans le débat en ces termes :

" Je voudrais d'abord féliciter notre rapporteur, M. Walter Schwimmer, pour l'analyse approfondie qu'il nous donne de ce problème complexe.

Je voudrais dire également que j'approuve pleinement les propositions formulées par M. Staes au nom de la commission de la culture et de l'éducation.

Je crois, en effet, qu'il faut d'abord mettre l'accent sur la formation des journalistes et sur la généralisation d'un code de déontologie.

De même, l'éducation des enfants doit absolument s'élargir pour les préparer aux défis de la société dans laquelle ils vivront. Cette éducation doit comprendre plus que jamais la formation de l'esprit critique des jeunes, face aux sectes, à l'intégrisme, aux phénomènes de bandes violentes ou, et c'est notre sujet d'aujourd'hui, à la tentation de curiosité malsaine qu'exploite une certaine presse.

Notre rapporteur saisi au fond et nos rapporteurs pour avis mettent très justement en lumière qu'il existe potentiellement un conflit entre, d'une part, le droit au respect de la vie privée que consacrent toutes les législations nationales et les grands textes de protection des droits de l'homme comme notre Convention européenne des Droits de l'Homme et, d'autre part, la liberté d'information, consubstantielle de la démocratie politique.

Pourquoi ces libertés bénéficient-elles d'un haut degré de protection ? Il faut sans doute rechercher les principes qui les fondent. Derrière la protection de la vie privée, c'est la dignité de la personne humaine qui est en jeu avec des droits aussi fondamentaux que le respect dû aux morts, le droit à son image d'une personne frappée par la maladie ou blessée dans un attentat, ou encore l'intimité des relations familiales.

De même, si la liberté de la presse prend rang parmi les libertés fondamentales, c'est parce qu'il n'y a pas de démocratie sans liberté d'information et libre critique, nourrissant le débat d'idées et le pluralisme des opinions.

Mais je voudrais souligner que la liberté de diffuser des informations ne tient pas seulement sa légitimité de ce rôle essentiel. Lorsqu'on s'en réclame pour violer le droit à l'intimité de la vie familiale ou transgresser le refus d'une personne de livrer une information ou une image d'elle relevant de la sphère privée, on admet un déséquilibre entre deux droits également garantis par notre Convention européenne des Droits de l'Homme.

Comme le fait très justement remarquer notre commission des questions sociales, de la santé et de la famille, ce déséquilibre est contraire à la Convention selon laquelle l'exercice d'un des droits reconnus ne peut aboutir à la négation d'un des autres droits qu'elle consacre. Ce déséquilibre n'est plus légitime lorsqu'il se produit au détriment d'une personne participant à la vie publique, puisque tous les textes de liberté publique et d'abord notre Convention européenne offrent leur garantie à " toute personne ". D'ailleurs, la Convention européenne des Droits de l'Homme prohibe toute discrimination dans l'exercice des droits reconnus.

Enfin, je voudrais souligner que nous ne pourrons pas indéfiniment perfectionner les instruments juridiques de protection des droits de l'homme au niveau national ou au niveau international tout en fermant les yeux sur l'extension mondiale d'une zone de non-droit, à savoir les nouvelles techniques de communication et d'information.

Que reste-t-il du droit de réponse, du droit de rectification, du droit à la protection de la vie privée, du droit même à réparation pécuniaire et surtout de la sanction des abus quand chacun peut diffuser en temps réel messages et photos diffamatoires ou clairement attentatoire aux droits garantis par la Convention européenne des Droits de l'Homme et les autres conventions ?

En adoptant, en avril dernier, la recommandation contre les mauvais traitements aux enfants, nous avons demandé l'élaboration par le Conseil de l'Europe d'une convention internationale prohibant la diffusion d'images de pornographie enfantine, d'offres pédophiles et autres usages illicites des nouvelles techniques de communication et d'information.

Je considère que c'est un texte général de régulation de ces nouveaux médias que nous devons élaborer, comportant notamment des règles garantissant le respect de la vie privée, la sanction des abus et des modes de réparation à la mesure, s'il se peut, des dommages causés.

Ce n'est pas une charte facultative et sans portée contraignante de déontologie qui peut répondre à ce nouveau défi. Si la presse écrite et même radiotélévisée peut sans doute se réformer elle même, Internet permet de causer de graves dommages. C'est pourquoi je considère qu'il nous faudra intervenir pour faire respecter les droits de l'homme. "

Sur le projet de résolution, neuf amendements ont été déposés par M. Gilbert MITTERRAND , au nom de la Commission des questions sociales, de la santé et de la famille.

M. Gilbert MITTERRAND, député (Soc) , intervient tout d'abord sur un amendement visant à rappeler que les personnes publiques doivent être conscientes que leur position dans la société les expose automatiquement à une pression élevée dans leur vie privée.

Souhaitant remplacer les termes " entraîne automatiquement " par les mots " risque de susciter ", il défend ainsi son amendement oral :

" La rédaction actuelle semble obliger les médias à s'intéresser automatiquement à la vie privée des personnes publiques. Et s'ils n'ont pas envie de le faire ? L'expression " entraîne automatiquement " peut laisser supposer que la pression sur la vie privée est légitime alors que notre débat a justement montré qu'elle n'était pas légitime. Il faut faire attention, elle peut l'être comme elle peut ne pas l'être.

On ne sait pas si la pression sur la vie privée est légitime ou non, fonction de l'intérêt public ou non. Le juge sera peut-être amené à décider. Il ne faut pas préjuger. Les deux mots " entraîne automatiquement " peuvent le laisser supposer. Je préfère donc que l'homme public soit conscient de sa position dans la société et qu'il sache en effet que cela peut susciter sur lui une pression accrue dans sa vie privée. Qu'il en soit conscient, certes, mais il ne faut pas aller au-delà ! "

L'amendement oral est adopté, après avis favorable de la Commission.

L'amendement suivant, présenté par M. Gilbert MITTERRAND , propose de substituer à :

" c'est au nom du droit à la liberté d'expression "

les termes :

" c'est au nom d'une interprétation unilatérale du droit à la liberté d'expression ".

Il défend ainsi son amendement :

" Bien souvent, les médias commettent des atteintes aux droits, au respect de la vie privée, en fonction de leur propre interprétation unilatérale de la liberté d'expression, une interprétation qui n'est pas celle de l'immense majorité des journalistes.

Par cet amendement, il s'agit d'affirmer que nous ne commettons aucune confusion et que nos propositions dans ce projet de résolution ne visent que les agissements qui déshonorent le droit d'informer, des agissements que dénoncent les journalistes eux-mêmes. " A nous de balayer devant notre porte ! A nous de prouver à l'opinion publique qu'il reste encore un honneur du journalisme. " Ces propos sont du directeur de l'Agence France Presse. Lorsqu'un journaliste invoque un " droit d'information " alors que son objectif n'était que de servir quelques horreurs, la profession souhaite qu'une distinction soit établie dans l'utilisation de l'argument du " droit d'expression ". Car tous les journalistes ne s'y reconnaissent pas.

Notre amendement tend à donner raison aux journalistes qui souhaitent simplement que l'on puisse informer sur la chose publique quand celle-ci est malmenée ou dévoyée. Il serait vain de vouloir défendre l'indéfendable, les manquements à l'éthique, les dérapages, les erreurs ou les comportements de voyous. La grande majorité des journalistes condamne ces agissements.

Les propos que je viens de tenir reflètent ceux des journalistes du syndicat du livre, largement majoritaires dans la profession, en tout cas dans notre pays. Ils récusent le dilemme entre chasser le scoop ou disparaître. Le métier de journaliste ne peut s'exercer sans ces règles. Tous les journalistes réclament que soit évitée la confusion entre leur métier, leur honneur et ceux qui les déshonorent. "

L'amendement est adopté.

L'amendement suivant présenté par M. Gilbert MITTERRAND tend à remplacer un paragraphe du projet de résolution qui légitime la publication de faits de la vie privée des personnes publiques par l'intérêt qu'ils présentent pour les citoyens-électeurs, par un texte plus restrictif réaffirmant que

" les personnes participant à la vie publique bénéficient comme tout citoyen de la protection de leur vie privée... ".

Cet amendement est ainsi défendu par son auteur :

" Cet amendement n'est que la réaffirmation d'un principe fondamental contenu dans notre Convention européenne des Droits de l'Homme.

Il s'agit d'abord de réaffirmer le cadre. A défaut, nous serions ennuyés pour définir certaines notions plus difficiles et le contenu d'un cadre que nous essayons de contenir.

Le cadre est celui de notre Convention, de la Déclaration universelle des droits de l'homme, de principes affirmés et réaffirmés mais toujours bafoués. Si l'on se pose beaucoup de questions sur la définition de la notion d'" intérêt public légitime ", de limites entre vie publique et vie privée, le débat ne peut avoir lieu que dans le cadre de ce que nous autorisons dans nos conventions, pas au-delà.

C'est pourquoi avant d'aller plus loin, nous avons souhaité, au nom de la liberté d'expression, réaffirmer déjà le cadre afin de mettre hors du champ de notre débat tous ce qui n'en fait pas partie.

Je vous demande de nous encourager dans ce sens. C'est tout simplement la confirmation de nos travaux, y compris même de la jurisprudence européenne de la Cour de justice. C'est par anticipation ouvrir la discussion future dans un cadre bien compris et unanimement accepté par tous les pays qui ont signé cette convention. "

M. Gilbert MITTERRAND, député (Soc), complète alors son précédent amendement en introduisant la notion " d'intérêt public légitime " et le présente en ces termes :

" Cet amendement tendait à compléter le précédent. Le cadre une fois fixé, il fallait s'intéresser au contenu de la notion d'" intérêt public légitime " . Celle-ci doit sous-tendre toute notre réflexion, la nôtre certes, mais aussi celle des médias et de tous ceux qui sont impliqués dans ce débat.

Notre amendement vise à rassurer ceux qui craindraient que les crimes, les délits et tout comportement hors-la-loi commis par une personne dans sa vie privée ne soient à l'abri de toute information publique. Non, il n'est pas question que les crimes et délits restent cachés et ne soient pas rendus publics.

Une fois de plus, notre souci de protéger la vie publique n'a pas pour objet de protéger des hommes publics véreux. Que cela soit bien clair ! Seule la notion d'intérêt public légitime justifie une intrusion dans la vie privée, et cette notion ne souffre d'aucune discussion lorsqu'il s'agit d'infraction aux lois.

La comparaison de nos législations en Europe suppose quelques exercices difficiles, mais l'on observe des tendances. Par exemple, la notion d'intérêt public est dorénavant reprise dans le droit allemand. Il s'agit d'une notion connue : en cas de conflit entre la vie privée et la liberté de la presse, la jurisprudence arbitre en fonction de l'intérêt public, sauf pour la sphère intime qui bénéficie d'une protection absolue.

La Constitution est exactement la même depuis 1982 en Espagne : l'intérêt public justifie une intrusion dans la vie privée, mais l'intérêt public absent interdit que l'on aille plus loin dans la vie privée.

En Italie, en cas de conflit, on vérifie l'utilité sociale. Le Code de déontologie se réfère au caractère essentiel pour l'intérêt public.

Aux Etats-Unis, les tribunaux recherchent l'existence d'un lien logique entre le fait rapporté et l'intérêt public.

On comprend donc bien pourquoi il faut retenir la notion d'intérêt public qui est déjà utilement appliquée et il faut en faire une notion commune qui éclaire des principes que nous avons tant de mal par ailleurs à définir. "

Un nouvel amendement de M. Gilbert MITTERRAND vise à ajouter au texte, après le rappel " du droit au respect de la vie privée et du droit à la liberté d'expression " , la phrase suivante :

" Ces droits ne sont ni absolus ni hiérarchisés entre eux, étant d'égale valeur ".

Il intervient de la façon suivante pour défendre son amendement :

" Que les droits dont nous parlons soient ni absolus ni hiérarchisés entre eux, puisqu'ils sont d'égale valeur, c'est ce que montre l'analyse juridique de tous nos textes. Le rapport de M. Schwimmer ou le mien, essaient de bien l'expliquer.

C'est l'essence même de notre Convention européenne des Droits de l'Homme qu'il s'agit de dégager ici, parce qu'elle est reprise dans les législations nationales qui ont intégré la Convention. Bien entendu, les pays qui ne l'ont pas encore fait, auront certainement quelque chose à dire. Mais le retard ne doit pas pénaliser ceux qui se sont mis à l'heure ! "

Après avis favorable de la commission, l'amendement est adopté.

L'amendement suivant tend à supprimer la proposition d'adoption d'une nouvelle convention du Conseil de l'Europe pour garantir le droit au respect de la vie privée.

M. Gilbert MITTERRAND le défend ainsi :

" L'amendement n° 5 prépare les deux suivants. L'objectif était l'ouverture d'un débat sur le point de savoir si nous devons accepter une résolution ou si nous devons aller vers une recommandation. Déposer ces amendements permet d'ouvrir le débat, ce que je souhaitais. Les deux suivants traduisent concrètement une évolution vers la recommandation. A cet instant, ce n'est pas l'amendement n° 5 qui a le plus de fond.

Beaucoup de représentants se sont exprimés sur le point de savoir s'il fallait faire évoluer notre législation ou pas, si le Conseil de l'Europe devait donner un souffle nouveau ou se borner à confirmer les textes existants en pensant qu'ils suffisent. Je partage en partie ce point de vue. Ils suffiraient certes, mais ils ne sont pas mis en oeuvre ! Voilà pourquoi il faut aller plus loin.

Pendant ce temps, le paysage bouge et les techniques évoluent. Nous aurons forcément des conventions à préparer, concernant Internet ou d'autres techniques, puisque le Comité des Ministres a déjà proposé une réflexion entre nous. Nous pourrions poser déjà la question dans ce débat, qui sera sûrement repris. Vous ne pourrez pas y échapper dans les années à venir. Si je soutiens mon amendement, c'est pour ouvrir une discussion. "

L'amendement suivant, présenté par M. Gilbert MITTERRAND , vise à " recommander au Comité des Ministres d'élaborer une convention permettant la reconnaissance réciproque des qualifications juridiques et organisant la coopération judiciaire dans la poursuite des atteintes aux droits garantis par la Convention européenne des Droits de l'Homme... " .

M. Gilbert MITTERRAND défend sa proposition en ces termes :

" Cet amendement, je le défendrai pour au moins avoir la politesse de répondre à une question posée par l'un de nos collègues, M. Jaskiernia, qui voulait comprendre exactement ce mot " convention ".

Ce mot veut simplement dire que, de toute façon, la portée juridique de ce que nous sommes en train de décider ne pourra pas rester en l'état. Il faudra aller plus loin avec un autre support, peut-être justement une nouvelle convention. On aurait pu avoir une recommandation, bien sûr. Mais beaucoup de textes à venir s'appelleront conventions, puisque, je le rappelle, le Comité des Ministres s'inquiète des répercussions des développements technologiques et d'Internet. Le Comité des Ministres propose de mieux protéger certains intérêts légitimes mis en cause.

Notre Assemblée pourrait dès aujourd'hui demander parmi les intérêts mis en cause : " Pouvez-vous étudier la question de la vie privée à l'intérieur de ces conventions ? " Tel est le sens de cette demande, et tel est le sens du mot convention.

De toute façon, nous aurons à défendre des intérêts légitimes contre un certain nombre de développements technologiques. Il y aura à coup sûr des conventions. Demandez dès aujourd'hui que la vie privée fasse partie des intérêts légitimes à défendre. C'est la seule raison de cet amendement. Je penche plutôt vers cette solution. "

Ces amendements, qui suscitent l'opposition de la commission juridique au nom d'une interprétation très libérale du droit d'investigation allant jusqu'à la dénégation du droit au respect de la vie privée des personnes publiques, ne sont pas retenus.

En revanche, un nouvel amendement, présenté par M. Gilbert MITTERRAND , tend à élargir la portée initiale du texte pour garantir l'intimité et la tranquillité normales de la vie privée en interdisant de suivre ou de pourchasser une personne pour la photographier, la filmer...

M. Gilbert MITTERRAND défend son amendement en ces termes :

" Cet amendement qui va tout à fait dans le sens du texte proposé par M. Schwimmer au paragraphe 14.v, tend tout simplement à préciser que l'interdiction de suivre ou de pourchasser une personne ne doit pas se limiter au seul cas où cette personne peut être effrayée ou blessée physiquement. L'interdiction doit jouer dans tous les cas, notamment chaque fois qu'il y a empêchement pour la personne de vivre en toute tranquillité. Toute personne a le droit, dans sa vie privée, de ne pas être dérangée.

L'interdiction ne doit donc pas s'appliquer uniquement aux cas où on suppose qu'un drame pourrait avoir lieu, avec des conséquences physiques graves, blessures ou mort de la personne pourchassée. La législation doit s'appliquer à tous les cas lorsque quelqu'un est photographié, filmé ou enregistré. "

L'amendement est alors adopté, avec avis favorable de la commission.

L'amendement suivant, présenté par M. Gilbert MITTERRAND , tend à prévoir des sanctions pénales en cas d'atteinte à la vie privée, de préjudice moral grave et de menaces pour la santé des personnes :

" Cet amendement tend à instaurer des sanctions pénales dans les cas les plus graves, en nombre limité, qui doivent d'ailleurs être prévus par les législations nationales.

Le droit européen et le droit comparé de nos différentes législations nous permettent de constater que la protection de la vie privée sur le plan civil est très éclatée, très diversifiée. Cette protection figure parfois dans la loi, mais elle est souvent d'origine jurisprudentielle. Le droit anglo-saxon, quant à lui, ne prévoit que rarement une législation répressive en matière d'atteinte à la vie privée. En revanche, sur le plan pénal, le paysage n'est pas aussi éclaté et les législations sont beaucoup plus homogènes. Notre amendement tend donc à mettre l'accent sur l'homogénéité qui prend corps sur le plan pénal. Il tend à la favoriser. Il est nécessaire pour aboutir à une protection plus homogène de la vie privée.

De plus, lorsqu'il s'agit d'atteinte à l'ordre public, seul le juge pénal doit pouvoir être saisi. Si des atteintes à la vie privée troublent la société, et non seulement l'individu, il faut qu'un juge pénal puisse intervenir. Un juge civil ne pourra jamais rendre un jugement disant que la société est mise en danger par le comportement de certains médias - des médias qui n'ont que le nom, pas la déontologie. "

Si cet amendement n'est pas adopté, la commission s'étant prononcée contre, il en va, en revanche, différemment du dernier amendement proposé par M. Gilbert MITTERRAND et qui tend à prévoir une action judiciaire d'urgence au bénéfice d'une personne qui a connaissance de l'imminence de la diffusion d'informations ou d'images concernant sa vie privée.

M. Gilbert MITTERRAND soutient ainsi son amendement :

" Il s'agit de se conformer à un adage qui doit exister dans toutes les langues utilisées ici : mieux vaut prévenir que guérir.

Dans certains cas, contrairement à ce que certains j'ai pu entendre de quelques uns en commission, il est possible d'empêcher l'irréparable avant qu'il ne soit commis. Il serait donc intéressant de pouvoir évacuer ces cas.

Par ailleurs, nous savons tous que certaines atteintes à la vie privée sont irréparables. Nous pouvons prévoir tout ce qu'on peut imaginer, des sanctions civiles, pénales, économiques, le dommage, le mal est fait, rien ne pourra le réparer. Même si de tels cas sont rares, la prévention est souhaitable.

Nous avons rejeté suffisamment d'amendements portant sur des questions marginales, pour nous arrêter maintenant sur une situation qui, pour exceptionnelle, n'en mérite pas moins que nous ouvrions les yeux sur elle. Nous devons prévoir qu'une personne menacée d'atteinte dans sa vie privée pourra, lorsqu'elle aura connaissance de l'imminence de la menace, saisir d'urgence le juge afin d'éviter que le mal ne soit fait. Cela n'empêchera nullement le juge du fond de se pencher sur l'affaire pour dire si oui ou non il y avait atteinte à la vie privée.

Il faut permettre de sauver, dans l'urgence, de telles situations, quand c'est encore possible. "

Malgré l'avis défavorable de la commission, l'amendement est alors adopté.

M. Gilbert MITTERRAND, député (Soc) , intervient de nouveau dans le débat contre un amendement visant à encourager les médias à établir leurs propres directives et à créer un organe qui recevrait les plaintes pour atteinte à la vie privée :

" Encourager les médias à établir leurs propres directives en matière de publication ne me choque pas, car c'est la déontologie. Dans mon rapport je préconise que l'on aille dans ce sens.

Mais vraiment pourquoi créer " un organe " dont on ne sait rien ? Est-ce la législation qui doit déterminer sa composition ? On a rejeté beaucoup d'amendements tout à l'heure au nom d'un concept défini dans notre Assemblée qui ne permettrait pas d'aller aussi loin que les législations nationales. Je reprends ici le même argument.

Cet " organe " serait composé de personnes qui seraient à la fois juge et partie, et inclurait des représentants des médias eux-mêmes. On ne peut demander à des citoyens de s'adresser à un organe composé de journalistes pour se plaindre des agressions dont ils seraient les victimes de la part de ces derniers. Ce serait enlever son rôle au juge qui reste la seule garantie de nos sociétés démocratiques. Que les professionnels s'occupent de leur déontologie mais ne s'arrogent pas le droit de juger les autres ! "

L'amendement est adopté, avec avis favorable de la commission.

La résolution 1165, figurant dans le rapport 8130, ainsi amendée, est adoptée à l'issue du débat .

M. Daniel HOEFFEL, sénateur (UC)
, intervient alors pour une explication de vote en ces termes :

" Je veux exprimer mes remerciements à notre rapporteur, M. Schwimmer, pour le travail considérable accompli, ainsi qu'aux trois rapporteurs pour avis, MM. Atkinson, Staes et Mitterrand. Leur tâche ne fut pas facile pour arriver à un texte équilibré entre le respect de la vie privée et la liberté d'expression. Le débat sur les amendements l'a d'ailleurs démontré. Ils y sont parvenus et nous leur devons une très grande reconnaissance.

Ce texte est une invitation aux gouvernements. Mais, nous le savons, les textes ne suffisent point. Il faut qu'à présent une volonté claire s'exprime de la part de tous les gouvernements. C'est aussi et surtout un appel à la conscience, au sens des responsabilités de tous, particulièrement des médias, des directeurs de publications comme des journalistes, mais aussi au nôtre, les politiques. Si le débat d'aujourd'hui, qui fut de qualité, nous permet de franchir une étape en ce sens, le Conseil de l'Europe, une fois de plus, aura fait oeuvre utile. Pour cela, nous pouvons être satisfaits ! "

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