3. Les failles de la réglementation actuelle

Si le développement de l'actionnariat salarié reste fragile et rencontre des obstacles, il pourrait également souffrir de certaines failles de la réglementation en vigueur. La réglementation actuelle, par son caractère incitatif, a certes permis un essor de l'actionnariat salarié. Mais il est à craindre qu'elle ne devienne à l'avenir un frein à son développement.

a) Un droit complexe

Le cadre législatif et réglementaire encadrant l'actionnariat salarié est le fruit d'une sédimentation de textes remontant aux années 1960, aux années 1970, puis aux ordonnances de 1986 et à la loi du 25 juillet 1994. Ces textes relèvent aussi bien du droit du travail, du droit des sociétés que du droit fiscal.

Or cette sédimentation de textes a pour conséquence de complexifier et d'opacifier le droit actuellement applicable. Ainsi 48 % des sociétés cotées n'ayant pas mis en place un actionnariat salarié mettent en avant la complexité de la réglementation pour expliquer leur non-recours à l'actionnariat salarié 27( * ) .

Droit complexe, le droit de l'actionnariat salarié reste en effet peu lisible. Il offre à l'administration une large marge d'interprétation qui peut nuire à la stabilité du droit. Or, face à une réglementation instable, les entreprises choisissent fréquemment une attitude de prudence qui les conduit parfois à reporter des opérations dans l'attente d'un éclaircissement juridique ultérieur.

L'exemple du régime social de la décote applicable au prix de souscription des actions par les salariés constitue une exemple révélateur de cette instabilité de la réglementation.

En cas d'augmentation du capital réservée aux salariés, ceux-ci peuvent bénéficier d'une décote sur le prix de souscription de l'action. Cette décote est fixée à 10 % par la loi du 27 décembre 1973 et à 20 % par l'ordonnance du 21 octobre 1986 en faveur des seuls salariés adhérents à un PEE.

Aucun de ces textes n'exonérant cette décote, elle a vocation à être assujettie aux cotisations de sécurité sociale, à la CSG et à la CRDS.

Une lettre ministérielle du 20 août 1997 au directeur de l'ACOSS prévoit pourtant d'assimiler la décote de l'abondement de l'employeur dans le cadre du PEE. Or l'article L. 443-8 du code du travail précise que l'abondement n'est pas assujetti aux cotisations de sécurité sociale. En application de cette lettre ministérielle, la décote n'est plus assujettie aux cotisations de sécurité sociale, mais seulement à la CSG et à la CRDS au moment de la souscription des titres.

Moins de deux ans plus tard, une nouvelle lettre ministérielle du 29 janvier 1999 modifie le régime social de la décote : elle n'est plus assimilée à un abondement et n'est plus soumise à la CSG et à la CRDS au moment de la souscription des titres, mais au moment de la cession des titres.

b) Un droit parfois inadapté

Issue de l'empilement de différents textes depuis 40 ans, la réglementation encadrant l'actionnariat a vieilli. Ce vieillissement se vérifie notamment par l'absence de prise en compte de certaines évolutions profondes de notre société.

Une réglementation inadaptée à certaines évolutions du monde du travail

Le monde du travail a profondément évolué depuis quelques années avec notamment une mobilité accrue des salariés et une internationalisation croissante des entreprises. Or la réglementation actuelle régissant l'actionnariat salarié ne prend en compte qu'imparfaitement ces nouvelles dimensions.

La mobilité croissante des salariés contraste avec l'immobilité de l'épargne salariale et de l'actionnariat.

Lorsqu'un salarié quitte volontairement une entreprise, la cessation du contrat de travail constitue un cas de déblocage anticipé du PEE. Le salarié peut cependant, s'il le souhaite, ne pas clore son PEE, même s'il n'a plus la possibilité de l'alimenter.

Dès lors, le changement d'employeur oblige le salarié à reconstituer son épargne salariale. Il ne peut transférer son épargne salariale du PEE de son ancienne entreprise vers le PEE de sa nouvelle entreprise. Cette interdiction est pénalisante d'une double manière :

- à la sortie du PEE, les revenus de l'épargne sont assujettis à un prélèvement social de 10 % ;

- à l'entrée du nouveau PEE, ses versements volontaires sont plafonnés.

Cette impossibilité de transfert hors prélèvement social de l'épargne salariale entre deux entreprises limite l'attractivité de l'épargne salariale, notamment de celle investie en actions de l'entreprise. Certes, l'actionnariat salarié a par définition vocation à ne concerner que des salariés du groupe. Mais l'impossibilité de transfert peut néanmoins soulever deux difficultés :

- d'une part, il dissuade les salariés qui n'écartent pas l'éventualité de quitter la société sans y être pour autant décidés à participer aux opérations d'actionnariat dans la cadre du PEE ;

- d'autre part, lorsqu'un groupe n'a pas mis en place un PEG et que le support de l'actionnariat salarié est un PEE, le salarié qui change d'entreprise à l'intérieur du même groupe ne peut continuer à cotiser sur son PEE.

Aussi, l'impossibilité de transfert de l'épargne salariale d'un PEE à un autre PEE peut constituer un obstacle tant au développement de l'épargne salariale qu'à celui de l'actionnariat salarié.

La réglementation actuelle est également inadaptée à l'internationalisation des entreprises .

Cette internationalisation des entreprises, qui peut prendre la forme d'un développement des filiales à l'étranger ou d'une mobilité des salariés français vers des filiales étrangères du groupe, met en évidence deux failles dans la réglementation actuelle :

- d'une part, les salariés étrangers non résidents n'ont pas accès aux PEE et ne peuvent participer aux différents dispositifs d'actionnariat salarié prévu par le droit français ;

- d'autre part, les salariés français expatriés dans une filiale étrangère d'un groupe français ne peuvent plus cotiser au PEE et ne peuvent donc participer à une opération d'actionnariat salarié réalisée dans ce cadre.

L'actionnariat salarié ayant vocation à associer l'ensemble des salariés d'un même groupe quel que soit leur pays de travail, les groupes français sont obligés d'organiser des souscriptions décentralisées par pays. Les difficultés sont réelles, les différentes législations nationales étant très disparates notamment en termes d'avantages fiscaux et de supports proposés. Malgré ces difficultés juridiques, de plus en plus d'entreprises françaises ont mis en place des plans d'actionnariat à vocation internationale pouvant concerner jusqu'à plusieurs dizaines de pays. Parmi les sociétés auditionnées ou interrogées par votre rapporteur, Schneider, Elf, Suez-Lyonnaise des eaux, Vivendi, Alcatel, Auchan, Usinor, Rhône-Poulenc notamment ont mis en oeuvre de tels plans.

Ainsi, Auchan, afin d'associer ses salariés situés hors de France à son capital, a créé une société en commandite par actions (" Valauchan international ") dont le capital est détenu par les salariés et dont l'actif est composé à 90 % de titres de Auchan. Le règlement intérieur de cette société, dont le siège social est situé au Luxembourg, cherche à rapprocher les modalités pratiques de cet actionnariat de celui réalisé en France (conditions d'adhésion identiques, conditions d'abondement et de blocage identiques).

Toutefois des disparités de traitement continuent d'exister entre les différents pays. Elles concernent essentiellement :

- la fiscalité applicable ;

- les obligations déclaratives ;

- les contraintes liées au contrôle des charges pour certains pays.

Une réglementation inadaptée à la demande d'épargne longue

Les salariés affichent depuis quelques années un intérêt croissant à la constitution d'une épargne à long terme, pouvant notamment servir de moyen de financer un complément de retraite. Ainsi, une enquête réalisée en 1997 par la COB auprès d'un échantillon représentatif de salariés 28( * ) souligne cette préoccupation en observant que " globalement, les deux tiers des salariés considèrent que l'épargne salariale constitue un cadre adapté à la préparation de la retraite ". L'analyse des encours disponibles des FCPE confirme ces résultats : 40 % des encours des FCPE seraient aujourd'hui disponibles (c'est-à-dire au-delà de la période de blocage) et pourraient donc constituer un support à une épargne longue.

Cette préoccupation est d'ailleurs relayée par les entreprises, comme en témoigne le nombre croissant de plans d'épargne à long terme mis en place par celles-ci. Selon l'enquête Altédia précitée, 53 % des entreprises estiment que " l'actionnariat salarié est indispensable pour constituer un substitut aux retraites menacées dans l'avenir ".

Pourtant, la réglementation actuelle n'a prévu aucune incitation spécifique pour favoriser l'épargne longue, qu'il s'agisse du seul actionnariat salarié ou de l'épargne salariale en général. Le seuil de cinq ans vise plus à offrir un financement stable à l'entreprise qu'à favoriser une épargne à long terme.

Aussi ce sont les entreprises qui ont pris seules l'initiative de favoriser l'épargne salariale à long terme, soit en créant des plans d'où les salariés s'engagent à ne pas sortir avant une durée plus longue -variable de 8 à 40 ans-, soit en modulant leur abondement en fonction de la durée d'immobilisation. Elles ne bénéficient pas du soutien de mesures incitatives alors que la constitution d'une épargne longue par les ménages relève de l'intérêt national.

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