N° 215

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1999-2000

Annexe au procès verbal de la séance du 9 février 2000.

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation du Sénat aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes (1) sur :

- le projet de loi, ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE APRÈS DÉCLARATION D'URGENCE, tendant à favoriser l' égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives ;

- le projet de loi organique, ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE, tendant à favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats de membre des assemblées de province et du congrès de la Nouvelle-Calédonie , de l'assemblée de la Polynésie française et de l'assemblée territoriale des îles Wallis et Futuna ,

Par Mme Danièle POURTAUD,

Sénateur.

(1) Cette délégation est composée de : Mme Dinah Derycke, président ; Mmes Janine Bardou, Paulette Brisepierre, MM. Guy-Pierre Cabanel, Jean-Louis Lorrain, Mmes Danièle Pourtaud, Odette Terrade, vice-présidents ; MM. Jean-Guy Branger, André Ferrand, Lucien Neuwirth, secrétaires ; Mme Maryse Bergé-Lavigne, M. Jean Bernadaux, Mme  Annick Bocandé, MM. André Boyer, Marcel-Pierre Cléach, Gérard Cornu, Xavier Darcos, Claude Domeizel, Michel Dreyfus-Schmidt, Mme Josette Durrieu, MM. Yann Gaillard, Patrice Gélard, Francis Giraud, Alain Gournac, Mme Anne Heinis, MM. Alain Joyandet, Serge Lagauche, Serge Lepeltier, Mme Hélène Luc, MM. Jacques Machet, Philippe Nachbar, Mme Nelly Olin, M. Jean-François Picheral, Mme Gisèle Printz, MM. Philippe Richert, Alex Türk.

Elections et référendums .

Introduction

Mesdames, Messieurs,

Les Françaises, malgré les progrès récents de leur participation, sont encore largement minoritaires dans les assemblées politiques. Un conseiller régional sur quatre est une femme, un conseiller municipal sur cinq, mais on n'en compte que 6,6 % dans les conseils généraux, 11 % à l'Assemblée nationale et 6 % au Sénat. Seule la délégation française au Parlement européen élue en 1999 fait exception, avec 40 % de femmes en son sein, presque un député européen sur deux. Parmi les quinze pays de l'Union européenne, la France n'est qu'au 14 e rang pour la représentation féminine dans les assemblées législatives, devant la Grèce.

L'idée selon laquelle il est nécessaire de prendre des mesures volontaristes pour remédier à cette situation s'est imposée progressivement, dans la classe politique et dans l'opinion publique. Deux dispositions législatives tendant, en 1982, à fixer un quota de candidats de même sexe sur les listes aux élections municipales, puis, en 1998, à prévoir autant de candidats de même sexe sur les listes pour les élections régionales, se sont heurtées à la censure du Conseil constitutionnel. En janvier 1999, un sondage a mis en évidence que 80 % des Français étaient favorables à l'organisation d'un référendum portant sur l'inscription de la parité dans la Constitution.

La réforme constitutionnelle adoptée par le Congrès du Parlement en juin 1999 a ouvert la voie, en permettant au législateur de favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives, les partis politiques étant désignés par la Constitution pour contribuer à mettre en oeuvre ce nouveau principe.

Moins de six mois plus tard, les projets de loi dont le Sénat est aujourd'hui saisi, élaborés sur la base des travaux conduits par l'Observatoire de la parité, étaient déposés par le gouvernement sur le Bureau de l'Assemblée nationale. Cette célérité mérite d'être soulignée.

*
* *

Par lettre en date du 26 janvier 2000, M. Jacques Larché, Président de la commission des Lois, a saisi Mme Dinah Derycke, Présidente de la délégation, des deux projets de loi, ordinaire et organique, tendant à favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, adoptés avec modifications par l'Assemblée nationale le 25 janvier.

Il s'agit de la première application, dans notre Haute Assemblée, des dispositions de la loi n° 99-585 du 12 juillet 1999 tendant à la création de délégations parlementaires aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, qui insère dans l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires un article 6 septies, dont la section III est ainsi libellée :

« III. - Sans préjudice des compétences des commissions permanentes ou spéciales ni de celles des délégations pour l'Union européenne, les délégations parlementaires aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes ont pour mission d'informer les assemblées de la politique suivie par le Gouvernement au regard de ses conséquences sur les droits des femmes et sur l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. En ce domaine, elles assurent le suivi de l'application des lois.

« En outre, les délégations parlementaires aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes peuvent être saisies sur les projets ou propositions de loi par :

« - le bureau de l'une ou l'autre assemblée, soit à son initiative, soit à la demande d'un président de groupe ;

« - une commission permanente ou spéciale, à son initiative ou sur demande de la délégation.

« Enfin, les délégations peuvent être saisies par la délégation pour l'Union européenne sur les textes soumis aux assemblées en application de l'article 88-4 de la Constitution.

« Elles demandent à entendre les ministres. Le Gouvernement leur communique les informations utiles et les documents nécessaires à l'accomplissement de leur mission. »

Rappelons qu'il n'appartient pas à la délégation de se substituer à la commission saisie au fond. La délégation n'examine pas le texte dans le détail, article par article, et ne présente pas d'amendement, mais adopte des recommandations.

*
* *

M. le Président Jacques Larché a précisé dans sa lettre de saisine que la commission des Lois souhaitait recueillir l'avis de la délégation sur les conséquences du dispositif législatif soumis au Sénat sur les droits des femmes et sur l'égalité des chances entre les hommes et les femmes .

C'est donc dans cette optique particulière, conforme à ses missions, que la délégation a examiné les textes dont elle est saisie, selon une approche pragmatique et concrète, tenant compte à la fois des contraintes juridiques et de la réalité.

Compte tenu de la composition actuelle des assemblées politiques, toute réforme législative tendant à favoriser l'égal accès des femmes et des hommes sera, dans les faits, plus propice aux femmes et renforcera leurs chances d'être élues.

L'objectif de la réforme doit cependant être réaliste. Il s'agit de parvenir à un meilleur équilibre de la participation respective des hommes et des femmes aux assemblées et conseils, plutôt qu'à une égalité d'élus de chaque sexe au sein de chaque conseil.

Le législateur ne peut en tout état de cause intervenir qu'au niveau des candidatures aux élections, par l'intermédiaire des partis politiques .

La diversité des modes de scrutin en vigueur interdit de trouver des solutions uniformes. Le scrutin proportionnel, plus favorable aux femmes, est aussi celui pour lequel il est le plus aisé de mettre en oeuvre des dispositions légales plus ou moins contraignantes. Parmi les élections au scrutin majoritaire, seules les élections législatives se prêtent à des mesures incitatives, via le financement public des partis.

Il serait regrettable pour autant de laisser penser aux femmes que les autres élections au scrutin majoritaire, et notamment les élections cantonales, leur sont inaccessibles.

Enfin, pour donner à la réforme les meilleures chances de succès, il faut dès que possible mettre en oeuvre des mesures d'accompagnement susceptibles d'inciter les femmes à s'investir activement dans la vie politique, à se présenter aux élections et à participer aux exécutifs locaux.

I. LE CONTEXTE : LES CONDITIONS SONT RÉUNIES POUR QUE LE LÉGISLATEUR DONNE UNE IMPULSION DÉCISIVE À L'OUVERTURE DE LA VIE POLITIQUE AUX FEMMES

A. UN CONSTAT : LA PARTICIPATION DES FEMMES À LA VIE POLITIQUE A PROGRESSÉ INÉGALEMENT

Alors qu'en France les femmes sont fortement insérées dans la vie professionnelle, leur participation à la vie politique n'a pas suivi la même progression.

Les femmes représentent en effet presque la moitié des actifs. Le tableau suivant indique le taux d'activité comparée des hommes et des femmes en France depuis 1970 :

Taux d'activité par sexe et âge

en %

1970

1980

1990

1995

1998

Ensemble

55,6

55,6

54,4

54,5

54,5

Hommes

74,3

69,4

64,0

62,3

62,0

15-24 ans

63,6

56,4

45,3

32,8

30,9

25-49 ans

97,2

94,8

94,7

95,4

95,1

50 ans et plus

51,1

44,3

33,5

32,4

34,5

Femmes

38,2

42,8

45,5

47,2

47,6

15-24 ans

48,3

47,0

38,2

26,7

25,0

25-49 ans

49,0

62,8

73,3

78,3

78,7

50 ans et plus

22,4

21,0

19,2

20,6

22,7

Source : Insee, séries longues du marché du travail et enquêtes Emploi de 1995 et 1998.

Cette forte implication dans la vie active -certes, à des conditions salariales souvent minorées au regard de celles des hommes occupant des postes similaires, et dans des fonctions qui confinent souvent les femmes à des tâches d'exécution- ne s'est pas, jusqu'à présent, accompagnée d'une entrée équivalente dans la vie publique.

Le rapport rédigé par Mme Dominique Gillot au nom de l'Observatoire de la parité entre les femmes et les hommes, intitulé « Vers la parité en politique », remis au Premier ministre au mois de septembre 1999, établit un état des mandats et fonctions politiques occupés par les femmes en France.

Les femmes en politique : % d'élues dans les assemblées locales, nationales et européenne

(France totale)

Femmes élues

Total élus

Conseils généraux

(268)

6,6 %

4 051

Conseils régionaux

(470)

25 %

1 880

Assemblée nationale (juin 1997)

(63)

10,9 %

577

Sénat

(19)

5,9 %

321

Parlement européen (juin 1999)

(35)

40,2 %

87

Sources : Le guide du Pouvoir 1999, et résultats des élections « européennes 1999 »

On constate que les femmes sont les mieux représentées, d'une part, dans les conseils régionaux (25 %), d'autre part, au sein de la délégation française au Parlement européen (40,2 %), dont les scrutins étaient, jusqu'à janvier 1999, similaires : élections proportionnelles de liste à un tour.

Ces données soulignent l'influence du mode de scrutin dans la représentation féminine respective aux différentes assemblées : les scrutins de liste sont plus favorables aux femmes que les scrutins majoritaires, ce que démontrent également les résultats aux élections municipales. Les femmes sont plus nombreuses dans les conseils municipaux des communes de 3 500 habitants et plus, où les élections ont lieu au scrutin proportionnel.

Les femmes conseillères municipales
(selon la taille de la commune - France métropolitaine)

Taille de la commune

Femmes élues

Total élus

- 3 500 habitants

90 850

(21,1 %)

430 035

3 500 à 9 000 habitants

10 642

(25 %)

42 511

9 000 à 30 000 habitants

6 017

(26 %)

22 980

30 000 à 100 000 habitants

2 223

(26 %)

8 279

100 000 habitants et +

592

(27 %)

2 181

Total

110 324

(21,8 %)

505 986

Sources : Ministère de l'intérieur - données mises à jour en septembre 1999

Autre élément important, les femmes sont peu présentes dans les exécutifs des communes, départements et régions. Aujourd'hui, deux femmes président un conseil régional et une seule un conseil général.

C'est en milieu rural qu'elles occupent le plus fréquemment les fonctions de maire, puisqu'elles représentent 8,4 % des maires des communes de 3 500 habitants et, en moyenne, 3,65 % des maires des autres municipalités. Deux femmes seulement sont à la tête d'une municipalité de plus de 50 000 habitants.

Les femmes maires
(selon la taille de la commune - France métropolitaine)

Taille de la commune

Femmes élues

Total élus

- 3 500 habitants

(2 846)

8,4 %

34 073

3 500 à 5 000 habitants

(35)

4,7 %

737

5 000 à 10 000 habitants

(35)

4 %

883

10 000 à 20 000 habitants

(24)

5,5 %

432

20 000 à 50 000 habitants

(13)

4,4 %

295

50 000 à 100 000 habitants

(2)

3,3 %

61

100 000 habitants et +

(0)

0 %

35

Total maires

(2 955)

8 %

36 516

Sources : Ministère de l'intérieur - données mises à jour en juillet 1999

Les travaux de la mission d'information du Sénat qui, en 1997, s'est penchée sur la place et le rôle des femmes dans la vie publique font apparaître, à travers le compte rendu des auditions, une grande diversité de causes à la sous représentation des femmes dans les assemblées politiques. Aux causes d'origine historique, religieuse, sociologique, dont il est difficile d'apprécier la portée relative, s'ajoutent des raisons d'ordre pratique, tenant à la difficulté de concilier vie professionnelle, vie familiale et activité politique. Le rapport de Mme Dominique Gillot distingue, parmi les freins à la participation des femmes à la vie publique, les problèmes liés à la gestion du temps, les mentalités des femmes elles-mêmes et leur manque de confiance, enfin les moeurs politiques qui décourageraient bon nombre de femmes.

Les partis politiques ont cependant engagé, à des degrés divers, une stratégie volontariste pour faire de la place aux femmes parmi leurs candidats : détermination d'un taux de candidatures féminines, ou bien constitution de listes paritaires. Sauf aux élections européennes, ces efforts n'ont pas été déterminants. Ainsi, bien que le parti socialiste ait présenté 30 % de femmes aux élections législatives de 1997, l'Assemblée nationale issue de ces élections ne comprend que 63 femmes sur 577 députés (10,9 % de l'ensemble). Il ne suffit donc pas de s'en remettre aux partis politiques. Afin de donner une impulsion décisive ouvrant plus largement la vie politique aux femmes, des mesures législatives se sont révélées nécessaires.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page