Quatrième table ronde Missions d'intérêt général et de cohésion sociale de La Poste (objectifs et financement), réforme des points de contact et nouvelle présence postale : Quel mode d'emploi ?

Henri LOIZEAU

Après avoir vu à quels défis La Poste devait faire face, nous allons maintenant analyser concrètement par quels moyens elle pourra réaliser la transformation qui s'impose à elle. Nous réfléchirons notamment à la nouvelle définition qu'il faudra donner du service public de La Poste ainsi qu'à la façon dont elle pourra poursuivre sa mission d'aménagement du territoire. Nous réfléchirons donc sur les missions d'intérêt général de l'entreprise et sur les moyens de financement dont elle aura besoin pour les réaliser.

François-Xavier BORDEAUX Président de la Caisse Sociale de Développement Local

Je souhaiterais tout d'abord vous faire part de ma surprise lorsque j'ai été invité à intervenir au sein de ce colloque. Je ne représente qu'une modeste association dont la seule analogie avec La Poste est la quasi absence de capital. La CSDL est la seule association loi 1901 qui fonctionne grâce à une dérogation à la loi bancaire. Comme une petite banque, elle ne possède pas de capital et fonctionne à partir de dotations accordées par des collectivités locales et des banques traditionnelles. Elle a une activité bancaire tout à fait semblable à celle des banques professionnelles, à la seule différence qu'elle prête de l'argent à des RMistes (80 % de notre clientèle), uniquement quand les autres banques ne peuvent pas intervenir. Notre objectif est en effet de favoriser la création d'emplois.

Nous intervenons sur la partie la plus difficile du métier de banquier puisque nous faisons des prêts à moyen terme sans caution pour des montants compris entre 50 000 et 100 000 francs. De plus, nous touchons des populations fragilisées, ce qui augmente de façon très importante le facteur risque de l'activité. Pour rendre cette activité possible, il faut passer beaucoup de temps à discuter avec les apporteurs de projets de leurs objectifs et des conditions dans lesquelles ils comptent les atteindre. La CSDL est gérée par un conseil d'administration qui s'appuie sur un comité de parrainage et ne compte que deux permanents. Les autres intervenants sont tous des bénévoles qui sont choisis selon leurs compétences et leur connaissance du monde de l'entreprise.

La création de la CSDL est née de l'idée que le progrès social ne pourrait être imposé d'en haut. Il faut expérimenter des solutions pragmatiques à petite échelle avant de les généraliser et de les normaliser au sein d'un cadre juridique précis. D'autre part, je pense que ce petit laboratoire répond à un réel besoin puisque 5 à 10 % de la population française est débancarisée. Cela signifie que ces personnes n'ont accès ni à un compte bancaire ni au crédit. Pour le moment, nous avons limité notre expérience au crédit à la création de projets mais nous comptons bientôt offrir également un crédit à la consommation pour permettre à des RMistes de pouvoir équiper leur foyer de façon satisfaisante.

Je considère qu'aujourd'hui, ce type d'action est indispensable parce qu'il n'y aura pas de retour en arrière : la bataille qui s'est engagée entre les banques françaises est inhérente à la logique du marché. Il en résulte une véritable course au bilan, une globalisation de leur activité et une logique de rentabilité du capital. Le secteur public bancaire public était en dessous du seuil de rentabilité et a dû se transformer radicalement pour pouvoir survivre. Dans le domaine de l'assurance, le même phénomène s'est produit. L'exemple des AGF est frappant : la rentabilité était inférieure à 10 % alors que l'objectif affiché est aujourd'hui de 15 % des fonds propres. Pour cela, il a fallu compresser les dépenses, diminuer les effectifs et externaliser des plus-values.

La banque française est aujourd'hui de plein pied sur le marché et une partie de la population ne pourra plus avoir accès à des services pourtant vitaux à tout individu. Cela n'empêche pas les banques de pratiquer le "charity business" qui leur permet d'améliorer leur image auprès de la clientèle. Mais les besoins sont tels qu'un dispositif législatif et réglementaire vient de recréer l'ancienne ACRE (aide à la création d'entreprise pour les chômeurs). Il s'agit de l'EDEN. Ces nouveaux prêts vont être proposés par différents intermédiaires et l'État fera un appel d'offre au niveau départemental pour les choisir. Or, dans plusieurs départements, les banques traditionnelles ont demandé à distribuer cette nouvelle aide.

Il y a donc un paradoxe puisque les banques rejettent une clientèle difficilement solvable sans pour autant se couper totalement de ce monde afin de maintenir une image de "banque universelle" pour des raisons politiques et commerciales. Pourtant, notre expérience nous a montré que l'activité de la CSDL était beaucoup moins risquée qu'il n'y paraissait : en quinze mois d'activités, nous n'avons eu qu'un seul cas de défaillance. De même, la banque du Bangladesh qui exerce la même activité a un taux de contentieux très inférieur au système bancaire traditionnel.

Cela signifie que des organismes comme La Poste qui ont récupéré des populations en voie de débancarisation pour des raisons de service public jouent un rôle important, avec une image populaire très positive. Le cas des CCP est frappant : il regroupe la plus forte proportion de personnes en difficulté de tout le secteur bancaire français. Pourtant, La Poste n'a pas vendu ce savoir faire en matière de service public. En fait, la réussite de cette action repose sur la proximité qui existe entre les français et leur bureau de poste : les gens ne croient plus vraiment à une réponse globale et marketée qui viendrait d'en haut. Il existe aujourd'hui une trop grande méfiance envers la politique et le discours officiel et les gens préfèrent se fier à un organisme familier.

Or les français aiment La Poste et y sont très attachés : c'est un lieu de passage et un lieu de vie. Il me paraît donc nécessaire qu'elle s'engage comme certaines banques à développer des actions de solidarité comme l'ACRE. Son réseau étendu est un facteur très positif pour la réussite d'un tel projet. D'autant que l'État est prêt à soutenir les initiatives en matière de rebancarisation : dans la nouvelle ACRE, un remboursement de 500 francs est prévu par heure d'aide et d'accompagnement des projets.

Je ne comprends pas pourquoi La Poste ne parvient pas à sortir du face à face qui l'oppose à sa tutelle et au ministère des finances. Elle bénéficie pourtant d'un grand avantage puisqu'elle n'a aucun compte à rendre à l'AFB et accepte des missions dont les banques traditionnelles ne veulent plus. Il faut que La Poste n'ait pas peur de mettre en avant la spécificité des solutions qu'elle peut apporter à certains problèmes sociaux. Il faut de l'audace et une volonté très claire de s'extraire des lieux communs.

Je suis convaincu que notre système financier est encore très primaire, comme l'était le logement dans les années 50. En effet, à l'époque, le marché était impuissant à répondre à la crise de la construction et du logement que connaissait le pays. On a donc mis en place un système de logement social grâce à une politique dérogatoire qui se justifiait par les carences du marché. Ainsi, en quelques années, on a vu se dessiner une série d'actions très adaptées aux problématiques locales et aux différents modes d'urbanisation. Le paysage bancaire actuel sera amené à évoluer de la même façon parce qu'il présente également une carence : il me paraît difficile de ne pas assurer à tous les citoyens un accès minimal à un compte en banque et à des facilités de crédit. La Poste a un rôle important à jouer dans ce domaine. A la pointe grâce à son image sociale, elle n'en sera que plus efficace et redoutable face à d'éventuels concurrents pour conserver sa clientèle et l'accroître.

Page mise à jour le

Partager cette page