AUDITIONS DU 21 OCTOBRE 1999

1. PROFESSEUR FRANÇOIS FORESTIER, CHEF DU SERVICE DE MÉDECINE ET BIOLOGIE FoeTALE À L'INSTITUT DE PUÉRICULTURE DE PARIS

Professeur d'hématologie à Paris XI et directeur scientifique au CHU de Lausanne, le professeur FORESTIER a participé à la commission « Bioéthique et droit » présidée par M. Guy BRAIBANT et a créé à Sceaux un diplôme universitaire de droit, éthique et biologie.

Le projet de recherche dont il est responsable s'appuie sur le fait qu'il existe, dans la nature, des chimérismes, c'est-à-dire des situations dans lesquelles des individus peuvent vivre en symbiose avec des cellules ne provenant pas de leur organisme. L'objectif est de traiter des maladies foetales, notamment monogéniques, qui sont actuellement incurables et auxquelles la transplantation ne peut apporter qu'une réponse très imparfaite.

Après une tentative infructueuse de coopération franco-américaine, ce projet est devenu franco-suisse et réunit l'université Paris IX et le CHU de Lausanne, après accord de son comité d'éthique.

L'expérimentation fait appel à des foies foetaux prélevés après avortement entre 12 et 14 semaines de grossesse. L'accord de la mère, sollicité après la décision d'interruption de grossesse, est totalement indépendant de cette décision. Le don est rigoureusement anonyme et exclusif de toute rémunération comme de toute association de la donatrice aux résultats futurs de la recherche.

Aucune date limite d'utilisation n'a été imposée pour les sept organes prélevés qui ont été traités et immédiatement congelés. Ceci implique la mise en place d'une structure de conservation et de transfusion compte tenu du mode de traitement.

L'intérêt que présentent ces cellules de foie foetal tient au fait :

- qu'entre 12 et 14 semaines de développement du foetus, elles sont immunologiquement neutres et ne suscitent donc pas de phénomènes de rejet ;

- qu'à ce stade, elles sont multipotentes et peuvent, sous l'influence de facteurs de croissance, conduire à une différenciation contrôlée en globules rouges, globules blancs, plaquettes, cellules musculaires, cellules osseuses. On découvre progressivement la grande plasticité des cellules souches, comme l'a illustré une expérience récente où des neurones ont pu être différenciés en cellules sanguines.

Ces cellules foetales ont, par ailleurs, une très grande capacité de prolifération, leur nombre s'accroissant d'un million au bout de 90 à 120 jours. Un seul foie permettrait ainsi d'offrir une transplantation de moelle osseuse à 150 receveurs.

Une banque de 27 foies foetaux congelés a pu ainsi être constituée à partir de 52 organes prélevés, cet écart s'expliquant par le délai variable et non contrôlable qui sépare l'interruption de grossesse du prélèvement.

Deux contrôles de séroconversion sont pratiqués sur la mère, l'un le jour du prélèvement, l'autre trois mois plus tard.

La phase thérapeutique entamée après ce second contrôle va consister dans l'injection de ces cellules par voie péritonéale à des foetus atteints de déficits immunitaires sévères, constatés par un diagnostic prénatal effectué à 10 semaines. L'injection sera effectuée entre la douzième et la treizième semaine de grossesse. Une prise de sang foetal permettra de contrôler l'expression du chimérisme créant une molécule particulière.

L'appréciation du résultat sera communiquée aux parents, à qui reviendra la décision d'une éventuelle interruption de grossesse.

Le professeur FORESTIER souligne que le foie constitue au stade foetal un organe hématopoïétique majeur dont la nature est, à la fois, hépatique et médullaire. Il estime que cette voie thérapeutique mérite d'être explorée parallèlement à l'utilisation du sang de cordon qui permet de pallier en partie la pénurie de donneurs de moelle mais dont les effets sont encore grevés d'incertitudes. Il explique les réticences de nombreux pédiatres à l'égard de ces nouvelles démarches thérapeutiques par le fait qu'ils perdront, si elles s'avèrent efficaces, la maîtrise du traitement d'un certain nombre d'affections.

Quant aux cellules souches embryonnaires, il est hautement probable qu'elles offriront à terme des ressources thérapeutiques supérieures à celles des cellules foetales, mais leur coût d'utilisation sera nécessairement élevé en raison de l'emprise sur ce secteur de la biotechnologie américaine qui s'est déjà traduite par le dépôt de nombreux brevets. L'importance du capital-risque investi dans cette recherche s'explique en grande partie par les restrictions que la législation fédérale impose à l'utilisation d'éléments foetaux. Indépendamment des prohibitions qui pourraient être fondées sur des considérations éthiques, la limitation de l'usage des cellules ES pourrait être obtenue par une administration à prix coûtant des autres traitements cellulaires.

2. PROFESSEUR JEAN-LOUIS TOURAINE, CHEF DU SERVICE DE NÉPHROLOGIE, HÔPITAL EDOUARD-HERRIOT DE LYON

Le professeur TOURAINE participe à un groupe de réflexion sur l'éthique des transplantations présidé par M. Jean MICHAUD. Par delà ses positions personnelles, il souhaite faire connaître les points de vue dominants qui s'expriment aujourd'hui dans la communauté médico-scientifique.

Depuis un certain nombre d'années se pratique le prélèvement de cellules souches hématopoïétiques sur des foetus et embryons dont le décès peut résulter de causes multiples (grossesse extra-utérine, interruption thérapeutique ou volontaire de grossesse). Ces cellules peuvent permettre à des malades, après greffe, dans des conditions appropriées, de reconstituer leur système hématologique ou immunitaire. Les indications sont voisines de celles de la greffe de moelle osseuse mais l'avantage de cette technique est de s'affranchir des exigences de compatibilité. Ce traitement est notamment appliqué aux « enfants-bulles » qui sont privés de système immunitaire.

Les règles applicables à ces opérations ont été fixées en 1984 par le premier avis du CCNE relatif aux prélèvements embryonnaires et foetaux à des fins thérapeutiques ou scientifiques. Elles garantissent notamment une stricte séparation entre la décision de recourir à une interruption de grossesse et l'acte de prélèvement d'organes ou de tissus.

Ces règles n'ont pas fait l'objet d'une transposition législative qui paraissait à l'époque prématurée. On peut aujourd'hui s'interroger sur la nécessité d'un encadrement juridique qui permettrait de réprimer les agissements contraires aux principes ainsi édictés.

Ce type de traitement s'applique à des nouveau-nés mais aussi à des enfants plus âgés. D'autres types de prélèvements foetaux sont également expérimentés pour le traitement de maladies neurologiques (Parkinson, chorée de Huntington).

On parle indistinctement en l'espèce de prélèvements embryonnaires ou foetaux parce qu'ils sont effectués entre la huitième et la douzième semaine suivant la fécondation alors qu'on place la frontière, nécessairement floue, entre l'embryon et le foetus à la huitième semaine de grossesse.

Ces cellules sont très indifférenciées et ont une capacité quasi infinie de multiplication. Une expérimentation menée chez la souris a permis de démontrer qu'une seule de ces cellules pouvait, chez un animal soumis à une dose mortelle d'irradiation, reconstituer la totalité du compartiment sanguin alors qu'il faut, pour parvenir au même résultat, plusieurs milliers de cellules de moelle osseuse.

Grâce à leur immaturité, ces cellules peuvent transgresser les barrières d'incompatibilité, y compris d'une espèce à une autre. Ainsi peut-on développer, à partir de souris affectées de déficits immunitaires sur lesquelles sont greffées des cellules foetales humaines, des modèles permettant de tester des médicaments, notamment contre le SIDA.

Ces cellules ont fait la preuve de leur efficacité pour le traitement, chez les nourrissons et les enfants, des déficits immunitaires congénitaux, des maladies sanguines et de quelques erreurs innées du métabolisme avec, cependant, un taux d'échec de 30 % qui tenait à deux causes principales :

- la survenue d'infections avant que le traitement ne soit devenu opérant ;

- la manifestation de phénomènes de rejet.

A partir de 1988, on a donc décidé, après expérimentation animale, d'appliquer le traitement dès le stade foetal, immédiatement après le diagnostic prénatal, pour parer à des réactions de rejet. Cette méthode a très sensiblement amélioré les résultats.

S'agissant de l'avenir, le clonage ouvre des perspectives très intéressantes. Aussi convient-il de bien distinguer le clonage à but reproductif qui fait, à juste titre, l'objet d'une réprobation quasi unanime et le clonage thérapeutique dont l'usage, strictement encadré, permettrait d'accomplir des progrès considérables dans le domaine de la thérapie cellulaire.

La technique du transfert de noyau de cellule somatique dans un ovocyte énucléé conduit à la création d'un blastocyste dont il sera possible d'extraire les cellules pluripotentes semblables en tous points à celles de l'adulte qui les aura engendrées. Ainsi pourra-t-on traiter, sans risque de rejet, de multiples affections en exploitant, grâce à des facteurs appropriés, l'extraordinaire capacité de différenciation de ces cellules pluripotentes. Il est possible d'envisager à plus long terme la reconstitution de tissus, voire d'organes, grâce à une organogenèse développée in vitro.

Les potentialités ainsi offertes ont atténué, si elles ne les ont pas fait totalement disparaître, les réticences qui se manifestaient dans la communauté scientifique à l'égard de la recherche sur l'embryon et de l'utilisation thérapeutique des cellules embryonnaires. Le sentiment dominant est que l'on se situe là dans le prolongement des pratiques développées dans le cadre de la fécondation in vitro et du diagnostic préimplantatoire. Il y aurait en revanche une véritable rupture si l'on admettait l'utilisation du clonage à des fins reproductives.

Selon le professeur TOURAINE, la différence entre l'utilisation, pour l'obtention de cellules ES, d'un embryon surnuméraire ou du clonage somatique est qu'il y avait, dans le premier cas, un projet de vie qui devra, par hypothèse, être absent dans le second.

L'avantage du clonage sur le plan de l'efficacité thérapeutique sera de mettre à disposition des cellules « personnalisées » excluant tout problème d'immunocompatibilité. Il n'est pas certain, en revanche, que la transgenèse permette la mise au point de cellules universelles adaptées à tous les types de receveurs, car elle ne peut jouer que sur un nombre limité de gènes.

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