SECONDE PARTIE : LE CADRE DIPLOMATIQUE ET JURIDIQUE DU DÉVELOPPEMENT DE L'ÉNERGIE NUCLÉAIRE

I. UNE DIMENSION INTERNATIONALE DÉPASSANT LES FRONTIÈRES COMMUNAUTAIRES

Le développement de l'énergie nucléaire par les Etats membres de l'Union européenne s'est inscrit dans un cadre juridique commun fourni par le traité Euratom. Avec les traités CECA et CEE, il s'agit de l'un des trois traités communautaires initiaux.

Mais le traité Euratom s'insère lui-même dans un contexte juridique plus vaste, celui des règles et organisations internationales qui encadrent la diffusion dans le monde des technologies nucléaires civiles.

Par ailleurs, l'action conduite par les instances européennes sur la base du traité Euratom dépasse depuis une dizaine d'années le cadre strictement communautaire, pour s'étendre aux pays d'Europe centrale et orientale.

A. LE DISPOSITIF INTERNATIONAL DE NON-PROLIFÉRATION ET DE COOPÉRATION NUCLÉAIRES

Depuis le bombardement d'Hiroshima et Nagasaki et en 1945, le traitement au plan international de la question nucléaire est dominé par ses aspects militaires. L'arme nucléaire a été au coeur de la guerre froide, et reste fondamentale dans l'équilibre actuel des puissances. Elle relève au premier chef de la problématique actuelle du désarmement.

Le droit international n'ignore pas pour autant le nucléaire civil. L'Agence Internationale de l'Energie Atomique, élément du système des Nations unies, a été créée dès 1956 afin d'éviter que les technologies nucléaires civiles diffusées dans le monde soient détournées à des fins militaires.

Concomitamment au traité Euratom, une agence spécialisée de l'OCDE a reçu pour mission la promotion des technologies nucléaires civiles parmi les Etats membres de cette organisation.

Plus récemment, après que la catastrophe de Tchernobyl eut révélé certaines lacunes du droit international, des règles relatives à la responsabilité des Etats en matière de sûreté des installations nucléaires et de gestion des déchets radioactifs ont été adoptées.

1. L'Agence Internationale de l'Energie Atomique

a) Une organisation internationale rattachée aux Nations unies

Après-guerre, l'extension de la technologie nucléaire à l'Union soviétique, au Royaume-Uni et à la France incita le président américain Eisenhower à exposer devant les Nations unies, le 2 décembre 1953, son projet intitulé " Atoms for peace " de création d'une Agence internationale, sorte de " banque " nucléaire dont la fonction serait d'entreposer des substances fissiles et de redistribuer celles-ci conformément à l'intérêt général.

Cette proposition, qui rompait avec la doctrine de l'isolationnisme et du monopole nucléaires qui prévalait jusqu'alors aux Etats-Unis, a permis le développement ultérieur des échanges nucléaires dans le monde.

En octobre 1956, les statuts de l'Agence Internationale de l'Energie Atomique (AIEA) furent adoptés par une conférence à laquelle siégeaient les Etats-Unis, l'Afrique du Sud, l'Australie, la Belgique, le Canada, la France, le Portugal, et le Royaume-Uni, auxquels s'étaient joints le Brésil, l'Inde, l'URSS et la Tchécoslovaquie. Le siège de l'Agence a été fixé à Vienne.

Le statut de l'AIEA n'est pas celui d'une organisation spécialisée de l'ONU, mais d'une organisation qui, bien qu'autonome, se trouve subordonnée à l'ONU. Ainsi l'Agence doit-elle soumettre ses rapports d'activité à l'Assemblée générale de l'ONU, au Conseil de Sécurité ainsi qu'au Conseil économique et social.

L'AIEA doit aussi collaborer avec le Conseil de Sécurité, ainsi que l'illustrent les responsabilités qui lui ont été confiées pour la mise en application des décisions relatives au démantèlement de la puissance militaire irakienne (résolution 687 du Conseil de Sécurité des Nations unies).

Les instances de l'Agence sont organisées en trois niveaux, dotés de pouvoirs variables.

La Conférence générale dispose de pouvoirs réduits : elle approuve les rapports et propositions soumis par le Conseil des gouverneurs et adopte le budget sur recommandation des gouverneurs. L'originalité de cette institution est la distinction établie, parmi ses membres, entre les fondateurs, pays industriels avancés dans leur majorité, et les membres dont l'admission relève d'une recommandation du Conseil des gouverneurs. Le Directeur général et le Secrétariat disposent également de peu de pouvoirs.

L'essentiel des prérogatives appartient donc au Conseil des gouverneurs, au sein duquel les Etats nucléaires disposent de pouvoirs étendus en raison d'un mode de désignation fondé pour l'essentiel sur le critère de puissance nucléaire. Le rôle du Conseil des gouverneurs pourrait être comparé à celui du Conseil de Sécurité des Nations unies, sauf que les cinq puissances nucléaires militaires n'y disposent pas du droit de veto.

b) Un contrôle inquisitorial des installations nucléaires

L'AIEA, qui n'a jamais joué le rôle de " banque " nucléaire envisagé par Eisenhower en 1953, est investie d'une " mission d'assistance technique " en vertu de laquelle l'Agence contribue au développement de l'énergie nucléaire à des fins pacifiques. Parmi les missions exercées au titre de l'assistance technique, on peut citer l'amélioration des infrastructures de radiothérapie et de médecine nucléaire, ou l'application à l'hydrologie et à l'agriculture des techniques isotopiques.

Mais la mission essentielle de l'AIEA est le contrôle de l'utilisation pacifique de l'atome, dit " contrôle de sécurité " (34( * )) , qui s'appuie sur un système de garanties permettant à l'Agence :

- d'examiner les plans des installations et les équipements, y compris les réacteurs nucléaires, afin de s'assurer qu'ils serviront à des fins pacifiques ;

- de faire appliquer les mesures sanitaires et de sécurité qu'elle prescrit ;

- de faire tenir une stricte comptabilité des matières brutes et des produits fissiles utilisés et produits ;

- de vérifier que le traitement chimique des matières irradiées ne favorise pas le détournement de produits susceptibles d'être utilisés à des fins militaires ;

- d'envoyer des inspecteurs dans les pays ayant souscrit à ces garanties.

Ces inspections se trouvent au coeur de tout le système de contrôle de l'AIEA. Elles peuvent être destinées à vérifier ponctuellement les renseignements contenus dans les déclarations des Etats sur les matières nucléaires soumises aux garanties. Ces inspections peuvent aussi être effectuées régulièrement, afin de vérifier la conformité des déclarations des Etats aux comptabilités tenues par ceux-ci. Les inspections spéciales sont décidées si les renseignements obtenus par l'Agence à partir d'une inspection régulière semblent insuffisants.

Comme on le verra plus loin, le traité Euratom s'inscrit dans le cadre du système international de garanties, la Communauté européenne de l'énergie atomique exerçant des contrôles de sécurité dans les Etats membres pour le compte de l'AIEA.

2. Le traité de non-prolifération nucléaire

a) Les objectifs du TNP

Au début des années 1960, les dangers liés à la prolifération nucléaire ont été dénoncés par le Président Kennedy, qui envisageait à brève échéance l'émergence de 15 à 20 puissances nucléaires.

La conscience du risque que représente l'extension des compétences nucléaires a conduit l'Assemblée générale des Nations unies, en décembre 1961, à ouvrir des négociations en vue de la conclusion d'un accord fondé sur l'engagement des puissances nucléaires de s'abstenir d'assister les puissances non nucléaires pour fabriquer l'arme atomique, tandis que les puissances non nucléaires renonceraient à se procurer des armes nucléaires.

Confiée à un comité de désarmement créé par l'Assemblée générale des Nations unies, l'élaboration du traité de non-prolifération fut accélérée par l'explosion, en 1964, de la bombe atomique chinoise. La rédaction finalement retenue, adoptée le 12 juin 1968 par l'Assemblée générale des Nations unies, doit essentiellement aux initiatives des Etats-Unis, de l'URSS et du Royaume-Uni.

Les objectifs du Traité de Non Prolifération des armes nucléaires (TNP) sont définis par son préambule : " ne ménager aucun effort pour écarter le risque d'une guerre nucléaire ", parvenir à la " cessation de la fabrication d'armes nucléaires, la liquidation de tous les stocks existants ( ... ), et l'élimination des armes nucléaires " au moyen d'un " traité sur le désarmement général et complet ", et, enfin, encourager la diffusion des " applications pacifiques de la technologie nucléaire " par une coopération entre Etats.

Le TNP affirme son appui aux efforts mis en oeuvre dans le cadre de l'AIEA en vue de contrôler toute prolifération nucléaire à des fins non pacifiques.

Les obligations souscrites par les parties différent selon qu'il s'agit de puissances nucléaires (" having ") ou d'Etats non dotés d'armes nucléaires (" having not ").

Les Etats dotés d'armes nucléaires s'engagent non seulement à ne pas transférer d'armes nucléaires, mais aussi à s'abstenir d'aider, encourager ou inciter des Etats n'ayant pas accédé à cette technologie à acquérir de telles armes (art. 1er). L'article 9.3 considère comme Etat nucléaire un Etat ayant fabriqué ou fait exploser une arme nucléaire avant le ler janvier 1967.

Les Etats non dotés d'armes nucléaires renoncent à acquérir des armes nucléaires. Ils s'engagent à refuser tout transfert d'armes, ou de dispositifs explosifs nucléaires, ainsi que toute assistance pour la fabrication d'armes nucléaires (article 2).

b) Le système de garanties

Le système de garanties, défini par l'article 3, est destiné à " empêcher que l'énergie nucléaire ne soit détournée de ses utilisations pacifiques vers des armes nucléaires ".

Les Etats non dotés d'armes soumettent leurs activités nucléaires au contrôle de 1'AIEA avec laquelle des accords doivent être conclus.

Les Etats fournisseurs s'engagent à soumettre aux garanties et au contrôle de l'AIEA les matières brutes, les produits fissiles spéciaux, ainsi que les équipements de retraitement ou de production de matières fissiles qu'ils sont susceptibles de transférer, à des fins pacifiques, aux Etats non dotés de l'arme nucléaire.

Dans ce but, le Conseil des gouverneurs de l'AIEA a approuvé en février 1972 un document formalisant la structure et le contenu des accords à conclure entre l'Agence et les Etats dans le cadre du TNP. Ce document constitue donc un cadre-type des accords de garanties. Actuellement, 177 accords de garanties sont en vigueur avec 104 Etats, tandis que 912 établissements sont soumis aux garanties, dont 9 appartenant à des pays dotés d'armes nucléaires.

Le Traité de Non-Prolifération a acquis aujourd'hui un caractère quasi universel : seuls l'Inde, le Pakistan, Israël et Cuba n'en sont pas signataires. Mais les trois premiers de ces Etats ont accepté de soumettre volontairement certaines de leurs installations nucléaires au contrôle de l'AIEA, afin de pouvoir bénéficier d'exportations de technologie en provenance des pays occidentaux.

Certes, les puissances nucléaires ne sont pas, d'après le traité de non-prolifération, obligées de conclure des accords de garanties avec l'AIEA, mais elles ont d'elles-mêmes proposé de souscrire à des accords particuliers de soumission volontaire aux normes de l'AIEA (Royaume-Uni : août 1978 ; Etats-Unis : décembre 1980 ; France : septembre 1981 ; URSS : juin 1985 ; Chine: septembre 1989).

En compensation des obligations souscrites par les Etats non nucléaires, l'article 4 du TNP engage les puissances nucléaires à contribuer aux échanges d'" équipements, de matières et de renseignements scientifiques et technologiques ", afin de favoriser la diffusion des utilisations pacifiques de l'atome. Le deuxième paragraphe de l'article 4 se réfère expressément aux besoins des régions en développement, et semble privilégier la coopération nucléaire avec les Etats non dotés d'armes nucléaires qui sont parties au traité.

Toutefois, des considérations politiques et commerciales se sont opposées à une interprétation rigoureuse de l'article 4. En 1975, les Etats-Unis avaient livré plus de la moitié de leurs centrales nucléaires d'exportation à des pays n'ayant pas adhéré au TNP. De toute façon, limiter la coopération nucléaire aux Etats non dotés de l'arme nucléaire adhérents au TNP aurait été inopérant, dès lors que des pays non parties au traité ont déjà acquis la capacité de développer leur propre programme national sans recourir à une aide extérieure, ou en s'appuyant sur l'aide de pays peu scrupuleux sur le plan des garanties et des contrôles.

c) Un renforcement récent

Au cours des dix dernières années, quatre événements très préoccupants ont conduit la communauté internationale à renforcer les dispositifs de lutte contre la prolifération des armes nucléaires :

- en 1991, la défaite de l'Irak à l'issue de la guerre du Golfe a permis la découverte de l'existence dans ce pays d'un programme clandestin de développement d'armement nucléaire, chimique et biologique ;

- cette même année, l'éclatement de l'Union soviétique a accru les risques de détournement et de trafic de matières nucléaires, en raison de la désorganisation économique et politique des Etats membres de la CEI ;

- en 1992, la signature par la Corée du Nord d'un accord de garantie avec l'AIEA a permis de découvrir des anomalies dans le suivi des matières nucléaires transitant par une installation pilote de retraitement des combustibles usés, corroborées par des images satellites montrant l'existence d'installations nucléaires auxquelles la Corée du Nord interdisait l'accès à l'AIEA ;

- en 1998, deux Etats non signataires du TNP, l'Inde et le Pakistan, ont procédé à des tests militaires de bombes atomiques.

Ces événements inquiétants ont conduit l'AIEA à lancer en 1993 un programme de renforcement des garanties, dit " 93+2 ", qui a abouti en 1997 à un protocole additionnel, permettant notamment de détecter des installations non légales : extension des informations fournies par les Etats à l'ensemble de leurs activités nucléaires ; élargissement de l'accès des inspecteurs de l'AIEA aux installations, y compris celles qui ne détiennent pas de matières nucléaires ; autorisation de faire des prélèvements dans l'environnement afin de détecter les traces d'éventuelles activités non déclarées.

Le rapporteur de la commission des Affaires étrangères du Sénat sur l'adhésion de la France en 1992 au Traité de Non Prolifération des armes nucléaires (35( * )) , M. Guy Cabanel, relevait que le rythme de la prolifération nucléaire a été relativement lent par rapport aux prévisions alarmistes faites dans les années 1960.

Mais il estimait que ce succès apparent est en réalité dû à des phénomènes internationaux sur lequel le TNP a peu de prise : " cette situation relativement favorable (...) doit cependant être relativisée par l'évolution du marché nucléaire, que la poussée écologiste, les réticences dues aux accidents de Three Mile Island et Tchernobyl, et la diminution des prix du pétrole, ont contribué à geler depuis 1975.

" Dans le Tiers-monde lui-même, le coût élevé des programmes électronucléaires, joint aux difficultés techniques liées à la conduite de ceux-ci ont abouti, toute proportion gardée, à une relative stagnation de la progression de l'atome (...). En définitive, les contrôles à l'exportation ne se sont guère matérialisés, faute d'exportations
".

3. Les instances de coopération commerciale et technique

a) Le Club de Londres

Le 18 mai 1974, l'explosion de la bombe indienne dans le désert du Rajasthan constituait une éclatante manifestation des limites du Traité de non prolifération, et a justifié la mise en place de moyens de contrôle complémentaires.

Réunis à Londres, à l'initiative des Etats-Unis, les principaux exportateurs de technologie nucléaire (France, Etats-Unis, URSS, Royaume-Uni, Japon et Canada) ont souscrit à la fin de 1975 des accords régissant les transferts de technologies, d'équipements et de matières nucléaires.

Rendues publiques en 1977 et transmises à l'AIEA, les directives de Londres, qui s'apparentent à un gentlemen's agreement , sont complétées par une liste de base des matières et matériels visés. Elles subordonnent le transfert des articles figurant dans cette liste de base à un engagement gouvernemental du pays destinataire de ne pas détourner les fournitures vers un usage militaire, et de soumettre toutes ses installations nucléaires aux contrôles de l'AIEA. Cet engagement s'étend, en cas de retransfert, au destinataire final de la transaction, qui doit fournir les mêmes assurances que les pays intermédiaires. Les matières et installations figurant dans la liste de base doivent faire l'objet d'une protection physique efficace afin de prévenir des actes de vol, de terrorisme ou de sabotage. Ces diverses précautions s'appliquent aux installations d'enrichissement, de retraitement ou de production d'eau lourde.

Le Club de Londres s'est progressivement élargi aux pays exportateurs suivants : RDA, Belgique, Italie, Pays-Bas, Suède, Pologne et Tchécoslovaquie en 1976, Australie et Suisse en 1977, Finlande en 1980, Danemark, Grèce, Luxembourg, Irlande et Bulgarie en 1984, Hongrie en 1985, Portugal en 1986, Espagne en 1988, Norvège et Roumanie en 1990. Depuis la réunification allemande, le Club compte donc 26 membres.

Le Club de Londres est apparu aux candidats à la technologie nucléaire appartenant au Tiers-monde comme une " association Est-Ouest détenant la technologie nucléaire dirigée contre le développement nucléaire du Sud ". C'est pourquoi certains commentateurs estiment que le Club de Londres a superposé, à la distinction fondamentale établie par le TNP entre Etats dotés d'armes nucléaires et Etats non dotés, un clivage entre pays exportateurs et pays importateurs de l'atome. D'où la critique communément adressée au Club de Londres d'aggraver les discriminations dues au TNP.

L'une des premières applications des Directives de Londres a concerné l'accord de coopération nucléaire conclu entre la France et le Pakistan le 17 mars 1976. Cet accord, qui n'a finalement pas été mis en oeuvre, prenait en compte les consignes relatives aux garanties de l'AIEA et à l'utilisation des articles à des fins spécifiques, mais éludait tout dispositif de protection physique des produits transférés. Par ailleurs, l'objectif officiel invoqué par les autorités pakistanaises, à savoir créer une filière de surgénérateurs producteurs de plutonium, paraissait peu compatible avec la finalité exclusivement pacifique imposée par le code de bonne conduite auquel les exportateurs avaient souscrit.

En pratique, l'existence de deux conceptions opposées du contrôle des exportations nucléaires, celle des partisans maximalistes d'un contrôle de l'ensemble des activités nucléaires des Etats non dotés d'armes nucléaires, et celle des tenants plus modérés de contrôles au coup par coup, a limité l'efficacité du code de bonne conduite élaboré par le Club de Londres.

b) L'Agence pour l'énergie nucléaire de l'OCDE

L'Agence pour l'énergie nucléaire (AEN) a été créée en 1958, sous le nom d'Agence européenne pour l'énergie nucléaire, afin de permettre aux pays d'Europe occidentale de mettre en commun leurs ressources scientifiques et financières au service du développement de l'énergie nucléaire.

Dans les années 70, avec l'adhésion de l'Australie et du Japon, puis des Etats-Unis et du Canada, l'Agence s'est transformée en Agence pour l'énergie nucléaire. L'AEN comprend actuellement 27 pays d'Europe, d'Amérique et d'Australie. Ces pays détiennent 85 % du parc nucléaire mondial et on retrouve parmi eux une grande majorité des pays les plus avancés dans le domaine nucléaire.

La mission de l'AEN est d'aider les pays membres à maintenir et à approfondir, par l'intermédiaire de la coopération internationale, les bases scientifiques, technologiques et juridiques indispensables à une utilisation sûre, respectueuse de l'environnement et économique de l'énergie nucléaire à des fins pacifiques.

Elle a également pour mission de fournir des évaluations faisant autorité et de dégager des convergences de vues sur des questions de fond qui serviront aux gouvernements pour définir leur politique nucléaire, ainsi qu'à l'OCDE pour ses analyses plus générales relatives aux politiques de l'énergie et du développement durable.

L'Agence remplit ces missions à travers un programme qui aborde des questions de fond comme la sûreté nucléaire et le régime des autorisations, la gestion des déchets radioactifs, la radioprotection, les aspects économiques et technologiques du cycle du combustible nucléaire, les sciences nucléaires, le droit et la responsabilité nucléaires et l'information du public.

La Banque de données de l'AEN procure des services scientifiques à un large éventail d'utilisateurs dans les laboratoires, le secteur industriel et les milieux universitaires à l'intérieur et à l'extérieur de la zone de l'OCDE.

L'efficacité de l'AEN en tant qu'instrument intergouvernemental pour la coopération nucléaire tient à ses méthodes de travail.

Sept grands comités techniques internationaux, composés d'experts hautement qualifiés venant des pays membres de l'AEN, définissent et exécutent le programme de travail avec l'aide d'un secrétariat international.

L'AEN coopère avec des pays non membres d'Europe centrale et orientale et avec l'ex-Union soviétique (CEI) dans des domaines comme la sûreté nucléaire, la radioprotection et le droit nucléaire.

Les atouts propres de l'AEN résident dans la qualité de ses analyses visant à répondre aux besoins spécifiques des pays membres, son aptitude à traiter les questions en temps voulu et ses méthodes de travail, qui reposent sur la recherche du consensus et le partage du travail entre ses membres. Chaque pays membre peut y trouver les meilleures compétences mondiales en matière nucléaire, dans un climat de confiance et de compréhension mutuelles.

4. Les règles internationales de responsabilité et d'assistance

Deux rapports récents de la commission des Affaires étrangères du Sénat (36( * )) permettent de faire le point sur les règles matérielles de droit international qui précisent les responsabilités des Etats dotés de centrales nucléaires et organisent une solidarité entre eux.

a) Les limites du régime traditionnel de la responsabilité civile nucléaire

Le régime international de la responsabilité civile nucléaire repose sur deux conventions. La première a été adoptée le 29 juillet 1960 à Paris, par 16 Etats européens sous l'égide de l'OCDE, et complétée le 31 janvier 1963 par une convention supplémentaire signée à Bruxelles. Cette dernière visait à mettre en place des fonds supplémentaires en vue de la réparation d'une éventuelle catastrophe nucléaire.

Cet accord à portée régionale s'est trouvé concurrencé par une convention à vocation mondiale, adoptée à Vienne le 21 mai 1963, dans le cadre de l'AIEA. Une révision des conventions de Paris et de Bruxelles a permis de parvenir à un bon degré d'harmonisation entre les deux accords.

Les conventions de Paris et de Vienne visent à assurer une réparation adéquate aux victimes de dommages causés par des accidents nucléaires, tout en évitant d'entraver le développement de la production et des utilisations de l'énergie nucléaire à des fins pacifiques. L'objectif de ces accords est donc de concilier les intérêts divergents des victimes et des exploitants.

La responsabilité est définie sur la base de la responsabilité objective et exclusive de l'exploitant. Celui-ci est responsable de tout dommage qu'entraînerait un accident survenant dans son installation, ou impliquant des obstacles en provenance ou à destination de celle-ci.

Ce régime évite aux victimes d'avoir à prouver qu'il y a eu une faute à l'origine de l'accident, et d'identifier le responsable. Une telle exigence serait, en effet, irréaliste dans le cas d'une grave maladie se révélant plusieurs années après l'exposition aux rayonnements.

Contrepartie de la responsabilité objective et exclusive de l'exploitant, le principe de limitation de la réparation financière et des délais d'introduction des recours vise à éviter d'entraver l'expansion de l'industrie nucléaire civile.

Selon la convention de Vienne, le montant de la garantie financière que l'exploitant est tenu de souscrire doit s'élever au minimum à 5 millions de dollars (de 1963). Pour faire face à leurs obligations en cas de dommage nucléaire, les assureurs se sont organisés en pools d'assurance nucléaire, fondés sur les principes de coassurance et de réassurance.

Par ailleurs, pour compenser la limitation de la responsabilité de l'exploitant, les conventions de Paris et de Vienne ont prévu un système complémentaire de réparation fondé sur l'intervention de l'Etat.

En dépit de l'apport juridique intéressant de ces deux conventions, leur portée est limitée par le faible nombre de leurs signataires. C'est ainsi que, lors de l'accident de Tchernobyl, l'URSS n'était partie à aucune d'entre elles. Aucun des Etats qui ont subi les effets du nuage radioactif n'aurait d'ailleurs pu invoquer ces textes, à l'exception de la Yougoslavie. C'est donc aux règles générales du droit international de l'environnement qu'il a fallu recourir en 1986.

Les lacunes révélées lors de l'accident de Tchernobyl consistèrent notamment dans l'absence de notification aux pays voisins de l'URSS de l'explosion du réacteur et des évolutions du nuage radioactif. Les dégâts furent donc détectés par les pays environnants eux-mêmes. Il n'est pas exclu qu'un temps précieux ait été perdu entre l'apparition des polluants et l'adoption de mesures de précaution.

La prise de conscience des insuffisances du droit international conduisit donc, au cours de la décennie suivante, à l'adoption de nombreuses conventions dans le cadre de l'AIEA :

- la convention de 1986 sur la notification rapide d'un accident nucléaire ;

- la convention de 1986 sur l'assistance en cas d'accident nucléaire ou de situation d'urgence radiologique ;

- le protocole commun de 1988 relatif à l'application de la convention de Vienne et de la convention de Paris dans le domaine de la responsabilité civile nucléaire ,

- la convention de 1994 sur la sûreté nucléaire ;

- la convention de 1997 sur la réparation complémentaire des dommages nucléaires ;

- le protocole d'amendement de 1997 à la convention de Vienne de 1963 relative à la responsabilité civile en matière de dommages nucléaires ;

- la convention de 1997 sur la sûreté de la gestion du combustible usé et sur la sûreté de la gestion des déchets radioactifs

b) Les conventions sur la notification rapide et l'assistance en cas d'accident nucléaire

La première des deux conventions de Vienne du 26 septembre 1986 est relative à la notification rapide d'un accident nucléaire. Elle pose un devoir d'informer sans délai les Etats pouvant être affectés par une détérioration accidentelle de l'environnement due à un accident nucléaire. Sans aborder la question de la responsabilité et de la réparation des dommages, ce texte vise exclusivement à limiter le plus possible les conséquences radiologiques d'un accident nucléaire dans les pays voisins.

Ces informations doivent concerner la localisation exacte et la nature de l'accident, l'installation ou l'activité nucléaire concernées, la cause supposée et l'évolution prévisible de l'accident, les conditions météorologiques et hydrologiques du moment, les mesures de protection prises ou projetées hors du site... La convention préserve la confidentialité des informations transmises, et se fonde sur une définition précise de l'accident nucléaire qui s'étend à toute installation de gestion de déchets radioactifs et à tout accident survenu en cours de transport ou de stockage de combustibles nucléaires ou de déchets radioactifs.

La seconde convention de Vienne du 26 septembre 1986 est relative à l'assistance en cas d'accident nucléaire ou de situation d'urgence radiologique. Elle instaure un devoir de coopération et d'assistance entre les parties contractantes et l'AIEA, afin de faciliter une assistance rapide en cas de situation critique.

Les mesures d'assistance prescrites en prévision d'accidents hypothétiques consistent dans la notification à l'AIEA des experts et du matériel susceptibles d'être fournis en cas de besoin, la désignation des autorités compétentes pour intervenir, l'élaboration de plans d'urgence et la mise au point de programmes de surveillance de la radioactivité.

En cas de situation critique, les mesures d'assistance portent notamment sur le traitement médical des victimes de radiations et sur l'accueil provisoire de celles-ci sur le territoire d'Etats requis. La convention définit les conditions de coordination, de contrôle et de direction de l'assistance selon que celle-ci est offerte sur le territoire de l'Etat requérant ou sur celui d'Etats sollicités. Elle précise par ailleurs les conditions financières de la fourniture d'assistance, ainsi que la place de l'AIEA dans l'organisation et le déroulement des opérations d'assistance.

c) La convention sur la sûreté nucléaire

La convention de Vienne du 17 juin 1994 pose le principe, en matière de sûreté, de la responsabilité de l'Etat sous la juridiction duquel se trouve une installation nucléaire. Chaque partie à la convention doit donc établir et maintenir en vigueur un cadre juridique régissant la sûreté de ses centrales civiles (art. 7).

Cet ensemble de normes internes comporte des " règlements de sûreté nationaux pertinents ", un " système de délivrance d'autorisations pour les installations nucléaires et l'interdiction d'exploiter une installation nucléaire sans autorisation ", un système d'inspection, ainsi que des mesures de sanction, telles que suspension, modification ou retrait d'autorisations d'exploitation. Par ailleurs, l'article 9 prévoit que la responsabilité de la sûreté d'une installation incombe au titulaire de l'autorisation, c'est-à-dire à l'exploitant.

En ce qui concerne les mesures administratives prévues par la convention, chaque partie contractante s'engage, selon l'article 8, à désigner ou à créer un organisme de réglementation chargé de faire appliquer le dispositif juridique précédemment évoqué. Cet organisme doit être doté des pouvoirs, compétences et moyens financiers lui permettant d'exercer ses responsabilités, et ses fonctions doivent être distinctes de celles des organismes chargés de la promotion ou de l'utilisation de l'énergie nucléaire. Cette clause répond à un impératif de sagesse élémentaire qui veut que l'on ne soit pas, dans le domaine nucléaire encore moins qu'ailleurs, à la fois juge et partie.

Bien que ces dispositions paraissent peu contraignantes au premier abord, tant les précautions élémentaires qu'elles préconisent vont de soi, elles ont imposé des modifications juridiques et institutionnelles aux Etats d'Europe de l'Est signataires, notamment l'Arménie, la Russie et l'Ukraine, qui étaient loin de satisfaire aux conditions posées par l'article 4 de la convention.

L'article 6 de la convention engage chaque partie contractante à apporter de façon urgente " les améliorations destinées à renforcer la sûreté de ses centrales, ou, si le renforcement de la sûreté de celles-ci est impossible, à programmer l'arrêt de l'exploitation des installations nucléaires en question ". L'échéancier de l'arrêt éventuellement décidé doit cependant tenir compte " des solutions de remplacement possibles, ainsi que des conséquences sociales, environnementales et économiques " d'une telle mesure. En effet, la convention cherche à éviter de déstabiliser des pays déjà confrontés à d'importantes difficultés économiques, par des décisions qui seraient inadaptées, notamment à la situation de l'emploi.

Les obligations en matière de sûreté nucléaire sont précisées par les articles 10 à 19, qui demandent aux Etats signataires de :

- prévoir les ressources financières nécessaires à la sûreté des installations nucléaires ;

- faire en sorte qu'un nombre suffisant d'agents qualifiés formés, et entraînés soient " disponibles pour toutes les activités liées à la sûreté ", tout en prenant en compte les " possibilités et les limites de l'action humaine " ;

- procéder à des " évaluations de sûreté approfondies et systématiques avant la construction et la mise en service d'une installation nucléaire ", et à des " vérifications par analyse, surveillance, essais et instructions en cours d'exploitation " ;

- adopter des mesures appropriées en matière de radioprotection des travailleurs et du public ;

- prévoir des plans d'urgence testés périodiquement, intégrant les conséquences d'un éventuel accident pour les Etats avoisinants. L'obligation de prendre les mesures appropriées aux situations d'urgence concerne également les parties contractantes n'ayant pas d'installation nucléaire sur leur territoire, mais susceptibles d'être affectées en cas de situation d'urgence radiologique ;

- déterminer les sites d'exploitation en fonction d'impératifs de sûreté, et définir les conditions d'installation de manière à assurer un " fonctionnement fiable, stable, et facilement maîtrisable " ;

- subordonner l'autorisation d'exploitation à une " analyse de sûreté appropriée ".

Par ailleurs, chaque Etat signataire s'engage à présenter, lors des réunions des parties contractantes, des rapports permettant de juger des progrès accomplis en matière de sûreté nucléaire et des mesures adoptées pour remplir ses obligations (article 5). Cette clause répond au souci de soumettre chaque Etat posant un problème de sûreté nucléaire au jugement de ses pairs, dans une perspective incitative et non coercitive. Ces rapports ne sont pas destinés à être publiés, les seuls documents voués à une certaine publicité étant les rapports de synthèse établis lors des réunions plénières des Parties prévues à l'article 20.

La convention sur la sûreté nucléaire compte à ce jour 22 signataires. Tous les Etats membres de l'Union européenne en sont parties et, de surcroît, la Communauté y a adhéré en tant que telle.

d) La convention commune sur la sûreté de la gestion du combustible usé et des déchets radioactifs

La convention de Vienne du 5 septembre 1997 s'applique à la sûreté de la gestion du combustible usé lorsque celui-ci résulte de l'exploitation de réacteurs nucléaires civils. Toutefois, le combustible usé faisant l'objet d'une activité de retraitement n'entre pas dans le champ d'application de la convention, à moins que la partie contractante ne déclare que le retraitement fait partie de la gestion du combustible usé. La France a déclaré, conjointement avec le Royaume-Uni et le Japon, qu'elle ferait rapport, sur une base volontaire, de ses activités de retraitement en tant qu'activités de gestion de combustible usé au sens de la convention.

La convention commune définit les principes de sûreté de la gestion du combustible usé et des déchets radioactifs qu'il appartient aux Etats de mettre en oeuvre au travers de mesures nationales . Ces principes de sûreté recouvrent notamment :

- la réalisation d'études d'impact en matière de sûreté préalablement au choix du site d'une installation ;

- la réalisation d'une évaluation de la sûreté et d'une évaluation environnementale préalablement à la construction et à la mise en exploitation d'une installation ;

- la nécessité de limiter au niveau le plus bas qu'il est raisonnablement possible d'atteindre les expositions à la radioactivité des travailleurs et du public ;

- la limitation des rejets d'effluents ;

- la préparation de plans d'urgence ;

- la possibilité de contrôles et d'interventions après la fermeture du site.

La convention impose par ailleurs la mise en place par les Etats d'un cadre législatif et réglementaire qui doit notamment prévoir un organisme de réglementation, doté de pouvoirs, de compétences et de ressources financières adéquats, chargé de sa mise en oeuvre. Cette fonction de réglementation doit être indépendante des activités de gestion du combustible usé ou des déchets radioactifs, dans l'hypothèse où l'organisme couvre l'ensemble des fonctions.

Les dispositions relatives aux mouvements transfrontières figurant à l'article 27 de la convention reprennent très largement celles du code de bonnes pratiques sur les mouvements transfrontières internationaux de déchets radioactifs adopté en 1990 dans le cadre de l'AIEA.

Le Préambule de la convention reconnaît le droit souverain de chaque Etat d'interdire l'importation de déchets radioactifs sur son territoire. Tout en considérant que les déchets radioactifs devraient être stockés définitivement dans le pays qui les a produit, le Préambule reconnaît également la pratique du stockage de déchets étrangers, si cela contribue à une gestion sûre et efficace de ces déchets.

Le mécanisme de contrôle de la mise en oeuvre par les Etats signataires des mesures spécifiées par la convention est identique à celui qui a été retenu pour la convention sur la sûreté nucléaire. Les parties contractantes doivent fournir des rapports sur les mesures prises pour remplir chacune des obligations énoncées dans la convention, ainsi que sur leur politique de gestion des combustibles usés et des déchets radioactifs, dans le cadre de réunions d'examen qui se tiennent à un intervalle de trois ans au plus.

Ce mécanisme " d'examen par les pairs " vise à inciter les Etats à améliorer volontairement leur réglementation et le niveau de sûreté de leurs installations. Le secrétariat de ces réunions est assuré par l'AIEA.

La Commission européenne a reçu mandat du Conseil pour faire adhérer la Communauté à la convention commune sur la gestion du combustible usé et des déchets radioactifs, qui compte déjà 40 pays signataires, dont tous les Etats membres de l'Union européenne dotés de centrales nucléaires.

Au total, le cadre international dans lequel s'inscrit le développement de l'énergie nucléaire apparaît inhabituellement contraignant par rapport à d'autres activités industrielles relevant des seules souverainetés nationales.

Dès l'origine, le nucléaire civil a été frappé de suspicion en raison de ses applications militaires potentielles, qui a justifié la mise en place d'un dispositif institutionnel et juridique fortement interventionniste, le système des garanties de l'AIEA et du TNP.

Plus récemment, la crainte des accidents nucléaires et la préoccupation croissante à l'égard des déchets radioactifs ont motivé l'adoption de conventions internationales sur la sûreté nucléaire. L'originalité de ces accords, qui élèvent au rang de normes internationales les prescriptions de l'AIEA, est qu'ils se fondent implicitement sur un " devoir d'ingérence écologique " et font dépendre leur application d'une surveillance mutuelle entre les Etats dotés de centrales nucléaires.

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