TRAVAUX DE LA COMMISSION

I. AUDITION DE MME NICOLE PRUD'HOMME, PRÉSIDENTE DE LA CAISSE NATIONALE D'ALLOCATIONS FAMILIALES (CNAF)

Réunie le 23 février 2000, sous la présidence de M. Jean Delaneau, président, la commission a procédé à l'audition de Mme Nicole Prud'homme, présidente de la Caisse nationale d'allocations familiales , sur les difficultés de fonctionnement rencontrées par les caisses d'allocations familiales .

M. Jean Delaneau, président, a rappelé que l'audition de Mme Nicole Prud'homme concluait les travaux de contrôle sur pièces et sur place consacré à la branche famille par les rapporteurs des lois de financement de la sécurité sociale, MM. Jacques Machet, Charles Descours et Alain Vasselle. Il a souligné que ce contrôle visait à mieux mesurer les difficultés de fonctionnement que connaissaient certaines caisses d'allocations familiales.

M. Jean Delaneau a indiqué que les rapporteurs s'étaient rendus sur le terrain, à la Caisse nationale d'allocations familiales (CNAF) d'abord, où ils avaient pu rencontrer Mme Nicole Prud'homme, M. Claude Huriet, président du conseil de surveillance et Mme Annick Morel, directrice, entourée de son équipe de direction, puis dans les caisses d'allocations familles d'Evry, de Chartres et de Melun. Il a précisé que les rapporteurs présenteraient à la commission un compte rendu de leurs travaux le mercredi 1 er mars, et que les conclusions de ces travaux feraient l'objet d'un rapport d'information de la commission.

Après s'être félicitée de l'intérêt que portait la commission pour la branche famille, Mme Nicole Prud'homme a jugé que la famille devrait être véritablement au centre des préoccupations de notre société. Elle a considéré que les phénomènes inquiétants de violence des jeunes étaient ainsi révélateurs des carences de certaines familles. Elle a souligné qu'une politique familiale plus dynamique permettrait sans doute de limiter les menaces qui pesaient sur l'avenir des retraites.

Mme Nicole Prud'homme a regretté que la branche ne défraye l'actualité des médias que lorsqu'elle rencontrait des difficultés. Elle a jugé que la médiatisation un peu excessive de ces difficultés, lors de l'été 1999, provenait sans doute du caractère habituellement atone de l'information à cette période de l'année.

Elle a souligné que la branche famille constituait un service public de qualité, avec des personnels motivés qui s'étaient efforcés de répondre avec efficacité aux difficultés rencontrées, dans le cadre des plans d'action mis en place dans l'urgence par la CNAF. Elle a expliqué que le réseau des caisses d'allocations familiales de la région parisienne était encore très jeune, puisqu'il trouvait son origine dans le démantèlement de la caisse parisienne unique, et qu'il n'avait sans doute pas encore atteint sa vitesse de croisière.

Mme Nicole Prud'homme a fait valoir que les difficultés rencontrées par les caisses d'allocations familiales pouvaient se mesurer par trois indicateurs : le temps d'attente aux guichets, la qualité de la réponse téléphonique et le retard dans le traitement des dossiers. Elle a observé que les temps d'attente dans les caisses d'allocations familiales étaient en voie d'amélioration, mais que la situation restait préoccupante s'agissant de la réponse téléphonique.

Mme Nicole Prud'homme a mis l'accent sur la solidarité qui unissait le réseau des caisses d'allocations familiales, solidarité qui avait trouvé sa traduction concrète dans les aides ponctuelles apportées par certaines caisses aux caisses en difficulté de la région parisienne. Elle a considéré que ces aides avaient apporté une contribution bénéfique aux caisses concernées sans être toutefois suffisantes pour régler durablement les problèmes rencontrés. Elle a souhaité, par conséquent, que des moyens pérennes soient débloqués sous la forme de la création de 1.100 emplois supplémentaires. Elle a ajouté qu'il serait également nécessaire de revoir, dans les caisses de la région parisienne, les modalités d'organisation du travail.

Mme Nicole Prud'homme a expliqué que les difficultés de certaines caisses d'allocations familiales provenaient à la fois d'un élément conjoncturel -la mise en place, en région parisienne, du nouveau système informatique Cristal, qui s'était traduite par une diminution provisoire de la productivité- et de raisons structurelles. Détaillant ces raisons structurelles, elle a souligné le malaise social suscité par les fortes attentes des personnels des caisses quant à l'application de la loi relative aux 35 heures. Elle a fait valoir que le blocage des négociations au sein de l'Union des caisses nationales de sécurité sociale (UCANSS) avait suscité une certaine démotivation des personnels et engendré des mouvements sociaux dans certaines caisses. Ces mouvements sociaux s'étaient naturellement traduits par une baisse de la qualité du service rendu au public. Elle a constaté que la réduction de la durée légale du travail avait, pour le moment, pour seule conséquence une diminution de 24 minutes par semaine du temps de travail
des personnels des caisses, correspondant au repos compensateur des heures supplémentaires.

Evoquant les autres facteurs structurels susceptibles d'expliquer les difficultés rencontrées par les caisses d'allocations familiales, Mme Nicole Prud'homme a mis l'accent sur la mutation des missions assignées à la branche famille depuis que cette dernière était chargée de la gestion et du versement du revenu minimum d'insertion (RMI) et des principaux minima sociaux. Cette mutation aboutissait à une fragilisation des allocataires et à une forte montée de la demande sociale adressée aux caisses d'allocations familiales. Elle a souligné que la reprise économique se traduisait, paradoxalement, par un renforcement des clivages sociaux et une inquiétude accrue des populations les plus fragiles. Elle a fait observer que les personnels des caisses d'allocations familiales n'étaient pas nécessairement préparés pour répondre à ces nouvelles attentes.

Mme Nicole Prud'homme a souligné que les difficultés provenaient enfin de la redoutable complexité des règles régissant les nombreuses prestations versées par la branche famille. Constatant que cette complexité relevait d'une responsabilité collective, qui incombait à la fois au législateur, au pouvoir réglementaire et à la branche famille elle-même, elle a expliqué qu'une législation trop complexe devenait incompréhensible pour les allocataires et parfois même pour les personnels des caisses d'allocations familiales, ce qui se traduisait, in fine, par une fréquentation accrue aux guichets des caisses. Elle a indiqué qu'une bonne part de cette complexité provenait de la réglementation des aides au logement à laquelle était imputable la moitié des démarches effectuées par les allocataires aux guichets des caisses.

Mme Nicole Prud'homme a considéré que les plans d'action engagés par la branche famille avaient apporté des améliorations ponctuelles, mais que cette " convalescence " devait être consolidée par la création de postes supplémentaires, qui seuls permettraient d'éviter un retour des difficultés. Elle a indiqué que le Gouvernement semblait disposé à donner son accord à la création de 900 postes, sous la forme de contrats à durée indéterminée, sur les 1.100 réclamés par la branche. Elle a vivement souhaité que ces postes constituent des créations nettes d'emplois, et non un acompte sur les postes qui devraient être mécaniquement créés du fait des 35 heures. Elle a fait valoir qu'un certain nombre de caisses, où la situation semblait stabilisée, pouvaient très rapidement basculer dans les difficultés.

M. Jacques Machet, rapporteur des lois de financement de la sécurité sociale pour la branche famille, s'est étonné que Mme Nicole
Prud'homme ait déclaré, lors de son audition, par la commission, le 13 octobre 1999, à l'occasion de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, que les difficultés rencontrées étaient en voie de règlement, puis ait demandé au Gouvernement, le 6 décembre 1999, un renforcement des moyens humains dont disposait la branche famille, sous la forme de 1.100 emplois supplémentaires. Il s'est interrogé sur les raisons susceptibles d'expliquer l'évolution de la position de Mme Nicole Prud'homme et a souhaité savoir pour quels motifs ces moyens supplémentaires n'avaient-ils pas été demandés au moment même où le Parlement examinait le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2000.

Relevant que ses collègues et lui-même avaient eu le sentiment, lors de leur mission de contrôle, que les difficultés apparaissaient localisées en région parisienne et, pour une bonne part, en voie de résorption, M. Jacques Machet a demandé à Mme Nicole Prud'homme si elle partageait cette analyse. Après avoir expliqué que l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) avait été chargée par le Gouvernement d'une mission d'évaluation des difficultés rencontrées par les caisses d'allocations familiales, il a souhaité savoir si cette mission était aujourd'hui achevée et quelles étaient, dans ce cas, les principales orientations du rapport qui devait être rédigé à l'issue de cette mission.

Mme Nicole Prud'homme a expliqué que le Gouvernement avait effectivement diligenté une mission de l'IGAS après la demande, par le conseil d'administration de la CNAF, de 1.100 postes supplémentaires. Elle a précisé que cette mission avait débuté dans les premiers jours de janvier et se poursuivait actuellement. Elle a souligné, toutefois, que l'essentiel, pour la branche famille, résidait en l'accord donné par le Gouvernement à la création de 900 emplois supplémentaires.

Mme Nicole Prud'homme a souligné que le réseau des caisses d'allocations familiales s'était toujours efforcé, jusqu'à présent, de faire face à ses missions, malgré les charges nouvelles qui lui avaient été imposées sans moyens supplémentaires, telle la gestion du RMI. Reprenant l'image d'une corde trop tendue, elle a fait observer que lorsque la charge de travail augmentait de manière trop importante et que les réserves de productivité s'épuisaient, venait alors le point de rupture

M. Jean Delaneau, président, a indiqué que la commission serait attentive à ce que le rapport de l'IGAS lui soit communiqué dès l'achèvement de sa rédaction.

M. Charles Descours , rapporteur des lois de financement de la sécurité sociale pour les équilibres généraux et l'assurance maladie, a remarqué que la gestion des minima sociaux représentait une charge très
lourde pour la branche famille. Il s'est interrogé sur le flou juridique qui caractérisait l'application des 35 heures dans les organismes de protection sociale.

Mme Nicole Prud'homme a rappelé que l'on avait, en 1988, fait le choix politique de confier aux caisses d'allocations familiales la gestion du RMI. Cette décision avait conduit à une modification très importante du profil des allocataires de la branche famille, puisqu'aujourd'hui 40 % de ces allocataires n'étaient pas chargés de famille, ce pourcentage pouvant dépasser les 50 % dans certaines caisses. Elle a fait observer qu'il n'apparaissait pas illogique de confier la mission de gérer les minima sociaux aux caisses d'allocations familiales, qui étaient habituées au contact direct avec le public et qui disposaient à la fois d'une bonne connaissance du terrain et de partenariats forts avec les collectivités locales.

Mme Nicole Prud'homme a souligné que l'application des 35 heures dans la branche famille soulevait un réel problème juridique. Elle a fait observer que si l'application de la loi à la CNAF, établissement public, pouvait donner lieu à débat, il apparaissait en revanche clair que les caisses d'allocations familiales, organismes de droit privé, étaient éligibles aux 35 heures. Elle a indiqué que les personnels des caisses relevaient d'une convention collective gérée au niveau de l'UCANSS, organisme actuellement présidé par M. Bernard Boisson, représentant du Mouvement des entreprises de France (MEDEF). Elle a indiqué que les négociations sur les 35 heures au sein de l'UCANSS, qui avaient été initialement interrompues à l'initiative du MEDEF, venaient de reprendre et que si un accord national venait à être conclu, il serait ensuite décliné caisse par caisse.

M. Jean Delaneau, président, s'est félicité du développement important, depuis quelques années, de l'action sociale menée par les caisses d'allocations familiales, en collaboration avec les collectivités locales.

M. Claude Huriet a considéré que la complexité des règles applicables aux prestations versées par les caisses d'allocations familiales constituaient le véritable noeud du problème. Il a fait observer que la simplification était cependant une démarche difficile, puisque la complexité résultait généralement du souci d'être toujours plus équitable. Il a souhaité savoir à quel niveau normatif et dans quels domaines se concentrait l'essentiel de cette complexité.

Après avoir fait observer que la branche famille gérait, en 1947, 5 prestations et aujourd'hui 25 prestations, sources de 15.000 règles de droit, Mme Nicole Prud'homme a indiqué que la CNAF travaillait sur la problématique de la complexité depuis une quinzaine d'années. Elle a souligné que les travaux ainsi menés avaient montré que cette complexité ne se situait pas tant au niveau des textes législatifs qu'au niveau des textes
réglementaires. Elle a souligné que la démarche de simplification ne progressait guère car elle avait nécessairement un coût. Elle a opposé ce coût immédiat au coût réel et permanent né de la complexité. Elle a souhaité, en outre, que les services de la CNAF soient davantage associés à la rédaction des textes réglementaires d'application.

Mme Nicole Prud'homme a observé que la complexité découlait souvent du souci d'être le plus juste possible : on avait ainsi distingué entre étudiants boursiers et non boursiers pour l'attribution de l'allocation logement, ce qui se traduisait, en pratique, par 50 francs de différence par mois dans les allocations versées, et par une complexité considérable dans la gestion de la prestation. Après avoir considéré que l'idée de la simplification semblait progresser, elle a suggéré que l'on profite du prochain débat sur le projet de loi de modernisation sociale pour engager effectivement cette démarche de simplification. Elle a néanmoins estimé qu'une éventuelle simplification ne permettrait pas de faire l'économie des créations d'emplois nécessaires.

M. Jean Delaneau, président, a fait observer que le projet de loi de modernisation sociale n'était toujours pas déposé par le Gouvernement et qu'il n'était pas certain que le Sénat puisse l'examiner en première lecture avant la fin de la présente session.

Après avoir rendu hommage à la qualité des personnels des caisses d'allocations familiales, M. Alain Gournac a constaté que les personnels de la caisse d'allocations familiales des Yvelines ne semblait pas avoir été suffisamment formés au nouveau système informatique Cristal. Il a jugé indispensable une simplification des procédures internes des caisses et a notamment dénoncé la procédure longue et complexe de récupération des indus. Il a regretté que les caisses d'allocations familiales semblent se désinvestir des activités des conseillères en économie familiale et sociale.

Mme Marie-Madeleine Dieulangard a considéré que les caisses d'allocations familiales constituaient aujourd'hui de véritables observatoires de la précarité sociale. Elle a souligné que la complexité du droit était d'abord préjudiciable aux allocataires et s'est dit convaincue de la nécessité d'instituer des guichets uniques, afin d'éviter que les allocataires ne soient renvoyés d'un agent à l'autre. S'agissant des contrats enfance, elle a regretté les conflits qui pouvaient parfois survenir entre les orientations politiques des collectivités locales et les décisions des caisses. Elle a souligné que le partenariat entre les collectivités locales et les caisses ne se faisait pas sans difficultés.

M. Marcel Lesbros a rappelé que la complexité était avant tout le résultat du souhait légitime du législateur d'aller toujours vers plus de justice et d'équité. Il a souligné que cette complexité ne concernait pas que la branche famille et se rencontrait également, par exemple, dans le droit fiscal
et qu'elle correspondait, en somme, à une évolution normale de nos sociétés. Il a jugé nécessaire de rendre les fonctionnaires plus responsables et de décentraliser encore davantage les décisions.

Après avoir fait observer que la CAF de Paris enregistrait des retards de deux mois pour le paiement des allocations logement, Mme Nicole Borvo a souligné que les prestations versées par la branche famille étaient absolument indispensables pour bon nombre de personnes. Elle a indiqué qu'elle était naturellement favorable à une simplification du droit et à l'institution d'un guichet unique, mais elle a jugé que la question essentielle restait celle de l'emploi. Elle a relevé que les caisses de la région parisienne rencontraient des difficultés particulières, résultant de la concentration des problèmes sociaux que connaissait cette région. Alors que le nombre des allocataires avait augmenté de 30 % en dix ans, le nombre des agents des caisses de la région parisienne avait parallèlement diminué de 1.000 personnes. Elle a jugé que la mise en place du nouvel outil informatique Cristal ne pouvait s'accompagner d'une diminution des effectifs du personnel des caisses.

Après avoir constaté les problèmes que générait la gestion des fonds de solidarité pour le logement (FSL), M. Martial Taugourdeau a souligné que la procédure de remboursement des trop-perçus créait des difficultés de toutes pièces et obligeait les conseils généraux à intervenir pour aider les familles concernées. Il s'est dit convaincu de la nécessité de simplifier le droit des prestations, notamment les règles régissant l'attribution des allocations logement.

En réponse aux différents intervenants, Mme Nicole Prud'homme a déclaré que l'allocataire devait être au centre des préoccupations et du mode de fonctionnement de la branche famille. Elle a souligné que certaines caisses avaient opté pour la gestion par portefeuille d'allocataires, ce qui permettait une relation personnalisée avec les intéressés et une responsabilisation accrue des agents. Elle a rappelé que les caisses étaient cependant des établissements autonomes, libres donc de choisir leurs propres modalités d'organisation.

Mme Nicole Prud'homme a reconnu que la gestion des trop-perçus constituait un problème délicat, dans la mesure où les règles de la comptabilité publique ne permettaient pas de retenir les trop-perçus sur les sommes dues. S'agissant de la gestion des FSL, elle a souligné que le logement restait le dernier rempart contre l'exclusion. Elle a indiqué que le système informatique Cristal permettrait des procédures beaucoup plus rapides et elle a observé que la CAF des Yvelines avait été l'une des dernières à adopter cet outil. Elle a jugé que la formation des agents à ce système informatique avait été adaptée, mais que le résultat final dépendait naturellement de la motivation de chacun.

Evoquant l'action sociale menée par la branche, Mme Nicole Prud'homme a rappelé qu'il s'agissait d'une prérogative autonome des caisses locales, lesquelles devaient cependant respecter des directives établies par la CNAF. Elle a conseillé aux élus d'intervenir directement auprès des conseils d'administration des caisses, afin que les orientations retenues soient conformes à leurs voeux. S'agissant de la situation particulière de la CAF de Paris, elle a souligné la nécessité de décentraliser et de multiplier les points d'accueil, ce qui posait un problème financier réel, compte tenu du coût de l'immobilier dans la capitale. Elle a indiqué qu'il y aurait prochainement un nouveau point d'accueil à Paris.

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