III.  UNE INQUIÉTUDE : LES TRANSFERTS DE CHARGES AU DÉTRIMENT DE LA BRANCHE FAMILLE

Lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2000, votre commission avait vivement dénoncé les ponctions opérées par le Gouvernement sur la branche famille, ponctions qui devraient s'élever en 2000 à 3,5 milliards de francs.

La loi de financement de la sécurité sociale pour 2000 prévoyait en effet l'affectation au fonds de réserve pour les retraites d'une partie du prélèvement de 2 % sur les revenus du patrimoine initialement destinée à la branche famille, privant celle-ci d'une recette évaluée à un milliard de francs par an.

En outre, le Gouvernement décidait parallèlement de pérenniser la majoration de l'allocation de rentrée scolaire et d'imposer à la branche famille la prise en charge progressive de cette majoration, auparavant financée par le budget de l'Etat. Cette opération de débudgétisation devrait se solder par une augmentation de 2,5 milliards de francs des dépenses de la branche famille en 2000.

Vos rapporteurs ont souhaité par conséquent examiner dans quelles conditions se ferait en 2000 la prise en charge par la branche famille d'une partie de la majoration de rentrée scolaire.

L'allocation de rentrée scolaire est une prestation familiale versée sous condition de ressources, destinée à aider les familles au moment de la rentrée scolaire.

Le montant de l'ARS par enfant, pour la rentrée scolaire 1999, était égal à 20 % de la base mensuelle de calcul des allocations familiales, soit 429 francs.

Ce montant est cependant majoré systématiquement par une décision gouvernementale prise chaque année depuis 1993 et atteint finalement 1.600 francs depuis 1997.

Evolution du montant de l'allocation de rentrée scolaire

 

Majoration

Montant total

1993

1.097 F

1.500 F

1994

1.089 F

1.500 F

1995

830 F

1.500 F

1996

580 F

1.000 F

1997

1.180 F

1.600 F

1998

1.176 F

1.600 F

1999

1.173 F

1.600 F

Reconduite dans son principe d'année en année, cette majoration est prise en charge par le budget de l'Etat. En 1999, le coût total de l'allocation de rentrée scolaire s'est élevé à 9,5 milliards de francs, dont 2,5 milliards de francs à la charge de la branche famille et 7 milliards de francs pris en charge par l'Etat au titre de la majoration.

Toutefois, le Gouvernement s'est toujours refusé à inscrire en loi de finances initiale cette majoration : il n'était en effet pas certain que l'Etat déciderait de majorer l'ARS. En outre, le montant de la majoration pouvait varier d'une année sur l'autre.

Dès lors, l'Etat rembourse, généralement avec retard, cette dépense à la branche famille. Il en résulte une charge de trésorerie non négligeable pour la branche. Jusqu'en 1997, les pouvoirs publics ont procédé, pour assurer son financement, par décret d'avances. En 1998 et 1999, le montant du remboursement à la branche famille a été inscrit en loi de finances rectificative.

Cette situation aurait dû changer radicalement en 2000.

En effet, lors de la Conférence de la famille du 7 juillet 1999, le Premier ministre a annoncé la pérennisation de la majoration de l'ARS : " Il est clair que cette allocation de rentrée scolaire, ainsi majorée, répond à un réel besoin. Je souhaite qu'elle soit pérennisée. La majoration de l'ARS a donc vocation à devenir une prestation familiale. De ce fait, son financement sera pris en charge par la branche famille, selon un calendrier à définir. Parallèlement, l'Etat reprendra à sa charge le financement du Fonds d'Action Sociale pour les Travailleurs Immigrés et leurs Familles, répondant ainsi à une demande exprimée depuis longtemps par le mouvement familial et le Conseil d'administration de la CNAF. Une première étape débutera avec le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2000. "

La loi de financement de la sécurité sociale pour 2000 a ainsi prévu que la branche famille prendrait à sa charge la majoration de l'ARS à hauteur de 2,5 milliards de francs.

L'Etat s'engageait pour sa part à financer le solde restant, soit 4,5 milliards de francs.


Cette somme aurait dû, en toute logique, figurer dans le projet de loi de finances pour 2000. Il n'en a rien été.

Il n'a pas davantage été fait mention de la somme -près de 1 milliard de francs- correspondant au remboursement par l'Etat à la branche famille des dépenses relatives au FASTIF, conformément à l'annonce du Premier ministre.

Ces deux lacunes avaient conduit la commission des Finances du Sénat à conclure que la sincérité du projet de loi de finances pour 2000 était gravement altérée : en effet, le Gouvernement reconnaissait qu'une dépense de 5,5 milliards de francs -4,5 milliards de francs pour la majoration de l'ARS et 1 milliard de francs pour le FASTIF- interviendrait en 2000, mais ne l'inscrivait pas dans le projet de loi de finances.

Un tel comportement apparaissait contraire aux dispositions du quatrième alinéa de l'article 2 de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959 qui prévoit : " La loi de finances de l'année prévoit et autorise, pour chaque année civile, l'ensemble des ressources et des charges de l'Etat ".

Toutefois, un souci de cohérence dans la présentation des documents budgétaires, lié par exemple au dépôt du projet de loi de financement de la sécurité sociale postérieurement au dépôt du projet de loi de finances pouvait, à la rigueur, expliquer ce choix.

Interrogée par votre commission sur ce point, Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité, avait d'ailleurs indiqué que le financement de ces deux mesures figurerait dans le collectif budgétaire de 2000.

Or, le projet de loi de finances rectificative, qui vient d'être adopté par l'Assemblée nationale, reste totalement silencieux sur ces deux points.


Pour vos rapporteurs, il n'y a dès lors que deux hypothèses : ou ce collectif budgétaire n'est pas sincère, puisqu'il n'intègre pas deux dépenses pourtant certaines, ou il trahit le renoncement aux engagements pris par le Premier ministre et une atteinte d'une exceptionnelle gravité à l'équilibre financier de la branche famille

A. INSINCÉRITÉ BUDGÉTAIRE ET CHARGE INDUE DE TRÉSORERIE POUR LA BRANCHE FAMILLE...

Dans le premier cas, le Gouvernement a fait le choix de l'insincérité budgétaire : il ne fait pas figurer dans le collectif une somme de 5,5 milliards de francs qui constitue pourtant la simple traduction de décisions annoncées par le Premier ministre le 7 juillet 1999.

Un tel choix fausse considérablement le débat budgétaire : non seulement le déficit budgétaire reste inchangé à 215 milliards de francs à l'issue du collectif, alors même que 15 milliards de francs de recettes non fiscales de 1999 ont été rattachés à l'année 2000, mais de surcroît ce chiffre n'intègre pas des dépenses pourtant certaines d'un montant de 5,5 milliards de francs. Dès lors, le déficit budgétaire réel de l'année 2000 devrait être de 236 milliards de francs, soit 30 milliards de plus que l'exécution de 1999.

L'argument technique selon lequel ces dépenses ne pourraient pas être évaluées avec précision est irrecevable : les dépenses de la branche famille au titre de la majoration de l'ARS pour l'année 2000 peuvent être estimées par la CNAF de manière précise, le montant du budget du FASTIF a été fixé à 986 millions de francs en 2000 par le décret n° 2000-177 du 29 février 2000.

En choisissant d'attendre le collectif de fin d'année, qui n'est généralement promulgué que dans les tout derniers jours de décembre, le Gouvernement fait en outre supporter une charge de trésorerie considérable à la branche famille . La branche famille verse en effet l'ARS aux familles au mois de septembre : elle ne serait remboursée par l'Etat que le 30 décembre 2000.

De même, la branche famille serait contrainte de supporter, toute l'année durant, la charge de trésorerie liée aux dépenses du FASTIF, dans l'attente d'un remboursement le dernier jour de l'année 2000, ou plus probablement dans les premiers jours de 2001

B. ... OU REMISE EN CAUSE DE L'ÉQUILIBRE DE LA BRANCHE FAMILLE

Cependant, la seconde hypothèse serait plus grave encore : la non-inscription des dépenses liées à la majoration de l'ARS et au FASTIF dans le collectif de printemps pourrait être le signe d'un refus, par le Gouvernement, de respecter les engagements pris et les mesures annoncées par le Premier ministre.

Vos rapporteurs sont d'autant plus inquiets que les observations du Gouvernement sur cette question, dans le cadre des recours devant le Conseil constitutionnel dirigés contre la loi de finances pour 2000 24( * ) , sont particulièrement ambiguës :

" L'allocation de rentrée scolaire (ARS) a été majorée depuis 1996. Cette allocation majorée a constitué une dépense de la Caisse nationale des allocations familiales partiellement remboursée par l'Etat. Elle a été financée, selon les années, par décret d'avances ou par la loi de finances rectificative. Le montant de cette majoration et son financement ont évolué dans le temps, la charge revenant à l'Etat ne constituant pas une dépense stable d'une année sur l'autre. Le Premier ministre a annoncé que le niveau majoré de l'ARS (1.600 francs) serait pérennisé. Le montant ainsi relevé de l'ARS, prestation familiale prévue par le code de la sécurité sociale, sera donc désormais financé par la Caisse nationale des allocations familiales, comme l'ensemble des prestations de cette catégorie, sans que l'Etat ait à en rembourser une partie . La majoration des dépenses de la sécurité sociale en résultant a été prise en compte dans les prévisions de dépenses de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2000 et n'a donc pas à figurer dans la loi de finances.

" Par ailleurs, le transfert au budget de l'Etat du financement du fonds d'action sociale pour les travailleurs immigrés et leurs familles (FASTIF) a été évoqué comme une des pistes complétant la réforme. Cette mesure, qui nécessite des dispositions législatives qui ne figurent ni dans la loi de finances ni dans la loi de financement de la sécurité sociale et dont le calendrier n'a pas été précisé, permettrait à la Caisse nationale des allocations familiales de dégager des moyens contribuant au financement de l'ARS majorée. Si elle était confirmée, il conviendrait de prévoir les ouvertures de crédits correspondantes dans la loi de finances pour 2001. "


On conviendra que cette déclaration apparaît en totale contradiction avec les engagements pris par le Gouvernement au moment de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2000. Dès lors, qui faut-il croire ?

Si le Gouvernement revenait sur ses engagements, la branche famille verrait dès 2000 ses dépenses au titre de l'ARS augmenter de 7 milliards de francs par an. Elle ne bénéficierait même plus de la très modeste compensation qu'aurait pu constituer la prise en charge du FASTIF par le budget de l'Etat.

La débudgétisation deviendrait alors totale : l'Etat se serait ainsi déchargé sur la branche famille d'une dépense annuelle et récurrente de 7 milliards de francs qu'il assumait jusqu'alors et qu'il avait lui-même créée.

Une telle décision ne ferait qu'accroître les charges de la branche famille : elle n'apporterait rien de plus aux familles pour qui l'ARS était déjà, de facto, pérennisée au niveau de 1.600 francs depuis 1997.

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