B. LES ÉLÉMENTS D'UNE ÉVENTUELLE COOPÉRATION AVEC LE ROYAUME-UNI

Les progrès de l'Europe de la défense, le nouveau contexte géopolitique et le coût de construction élevé d'un porte-avions conduisent à s'interroger sur la possibilité d'un programme en coopération, singulièrement avec le Royaume-Uni.

1. Les enseignements de la Strategic defence review britannique de 1998

La principale hypothèse de coopération concerne le Royaume-Uni. En effet, dans la Strategic defence review de 1998, les Britanniques se sont donné comme objectif de construire, à l'horizon 2012-2015, deux porte-avions de 40 000 tonnes et 300 mètres de long, capables de mettre en oeuvre jusqu'à 50 aéronefs, qui devraient remplacer les trois porte-aéronefs de la classe Invincible . Cette décision résultait de l'analyse faite outre-manche de certaines des crises de l'après guerre froide, notamment l'action conduite au-dessus du territoire irakien. A plusieurs reprises, en septembre 1996 ou en février 1998, les porte-avions américains se sont révélés indispensables pour mener à bien les raids aériens, les pays riverains refusant de donner leur accord pour des missions lancées à partir de leur territoire. De même, au Kosovo, les petits porte-aéronefs, qui ont montré leurs limites, ne pouvaient effectuer que 16 missions de combat par jour et ne disposaient guère de capacités de guet aérien. Ces différentes crises, et plus récemment l'intervention en Sierra Leone, ont mis en valeur, pour les Britanniques, l'intérêt de posséder des outils adaptés à la gestion de crise, à la projection de puissance aérienne offensive et à même de placer le Royaume-Uni au premier plan dans des coalitions futures. La Strategic defence review marque donc l'ambition du Royaume-Uni de se doter de porte-avions de projection de puissance, de taille moyenne, lui offrant un bon rapport coût-avantage. Ce type de porte-avions permettrait d'accroître considérablement (près de 5 fois par rapport aux porte-aéronefs britanniques actuels) la capacité d'agir en mer et à partir de la mer, dans des opérations de projection ou pour la défense du territoire national. Les Britanniques envisagent l'acquisition d'une centaine d'avions de combat pour équiper ces deux porte-avions.

LES DATES CLÉS DU PROGRAMME BRITANNIQUE

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- 1999 : Sélection des deux consortiums en compétition

- novembre 1999 - mai 2003 : Phase d'évaluation (Assessment phase)

novembre 1999 - décembre 2000, analyse des options (AOO)

février 2000 - mai 2003, phase de réduction des risques


- courant 2003 : Désignation du consortium constructeur

- 2003 - 2006 : Phase de démonstration, avec notamment un

prototype virtuel très poussé

- 2006 - 2015 : Phase de construction

- 2012 : Livraison du premier porte-avions

- 2015 : Livraison du second porte-avions

2. Les caractéristiques des deux porte-avions britanniques restent à définir

En raison du degré d'avancement du programme, les caractéristiques des deux porte-avions britanniques restent aujourd'hui à déterminer. Actuellement, sont étudiées les trois conceptions génériques de porte-avions : avions à décollage court et atterrissage vertical (STOVL), avions à décollage court et atterrissage arrêté (STOBAR) et avions à décollage et atterrissage conventionnel (CTOL), cette dernière option correspondant à la version retenue en France.

Le choix de l'avion de combat (FCBA ou Future Carrier Borne Aircraft) et de l'aéronef de guet aérien (FOAEW ou Future Organic Airborne Early Warning Aircraft) sera donc déterminant pour définir la taille, la forme et les caractéristiques du futur porte-avions. L'avion de combat retenu devrait avoir une capacité tout temps, à même de mener, de jour comme de nuit, des missions de défense aérienne d'une force navale ou de troupes au sol, d'assaut à la mer ou sur terre et d'interception sur un long rayon d'action. Par rapport au Sea Harrier de la Royal Navy ou au Harrier GR7 de la Royal Air Force, le nouvel avion serait supersonique et disposera d'une capacité accrue d'emport d'armement. L'aéronef de guet aérien remplacerait l'hélicoptère Seaking AEW , augmentant significativement les capacités actuelles de surveillance aérienne et de surface, le contrôle des missions d'attaque et d'interception et permettant un suivi radar des cibles au-delà de l'horizon pour les armes tirées depuis la surface.

Actuellement, les termes des différentes options peuvent être présentés comme suit :


Type de porte-avions

Avions de combat

Aéronef de guet aérien

STOVL

JSF STOVL ou dérivé du Harrier

Dérivé du Merlin, drone ou V22 Osprey

CTOL

JSF CV, F18 E/F ou Rafale marine

Dérivé du Merlin, drone, V22 ou Hawkeye

STOBAR

Eurofighter navalisé

id. version STOVL

La taille exacte des nouveaux porte-avions (CTOL/STOBAR ou STOVL) reste à déterminer. Selon les études initiales de conception, ce seraient les plus gros bâtiments jamais construits pour la Royal Navy.

- la propulsion

Plusieurs éléments du choix britannique risquent d'éloigner son programme des options déjà prises, ou qui pourraient l'être, par la France. Le premier concerne la propulsion. Les Britanniques n'envisagent pas de construire des porte-avions nucléaires, essentiellement pour une raison de coût à l'achat et de maintien en condition. Ils estiment qu'un porte-avions n'est pas soumis aux mêmes contraintes de discrétion impératives qu'un sous-marin nucléaire lanceur d'engin (SNLE) voué à la dissuasion. Ils pensent enfin que la propulsion nucléaire, justifiée durant la guerre froide par le souci d'autonomie pour un séjour en mer prolongé, n'est plus aujourd'hui indispensable, alors que les porte-avions seront surtout utilisés dans des opérations contre la terre. Il ne pourrait donc y avoir de coopération à ce niveau entre les deux pays si la France choisissait de construire un nouveau porte-avions à propulsion nucléaire.

Dans l'hypothèse d'une propulsion classique, les Britanniques semblent exprimer une préférence pour un système de propulsion électrique intégré, qui devrait permettre des économies importantes de carburant et de main-d'oeuvre.

- le lieu de construction

La décision de faire construire ce porte-avions au Royaume-Uni, quelle que soit par ailleurs la nationalité du maître d'oeuvre, est un deuxième élément. Certains ont évalué l'impact de la construction, au Royaume-Uni, de ces deux bâtiments, entre 3 000 et 4 600 emplois par an pendant toute la durée du chantier, et celui des choix en matière d'aviation, selon qu'ils seront ou non favorables à l'industrie aéronautique britannique, à près de 6 000 à 13 000 emplois par an.

- les aéronefs, le choix dimensionnant

Par ailleurs, le Royaume-Uni est très engagé, à travers plusieurs de ses industriels, dans le programme JSF. Il s'agit d'un programme multilatéral, à dominante américaine, qui devrait aboutir, à l'horizon 2010, à la fabrication d'un avion de combat qui serait, selon les versions, à décollage vertical, court ou classique, et qui, surtout, devrait pallier les défauts des Sea Harrier (leur faible rayon d'action, comparé aux avions classiques, et leur faible capacité d'emport d'armement par temps chaud). Ce programme permettrait une interopérabilité avec les Etats-Unis (US Marine Corps) et avec certains pays européens qui s'en porteraient acquéreurs. Il s'inscrirait, par ailleurs, dans la tradition, la culture et la formation actuelle des pilotes de la Fleet Air Arm. L'adoption du JSF à décollage court faciliterait également la poursuite de la coopération très avancée qui existe, depuis le 1 er avril 2000, au sein de la " Joint Force 2000 ". Celle-ci assure la fusion entre les escadrons de Harrier GR7 de la Royal Air Force et de Sea Harrier F/A2 de la Royal Navy, placés sous commandement unique, les pilotes de la RAF acquérant également les qualifications à l'appontage sur porte-avions. Cela vaut pour la grande majorité des hélicoptères de champ de bataille des trois armées, qui ont été regroupés au sein d'un commandement hélicoptères interarmées (Joint Helicopter Command), dont ne relèvent pas cependant les hélicoptères ASW/AsuW de la Royal Navy assignés aux frégates et aux destroyers. En plus des gains attendus en matière de formation ou de soutien, la Joint Force 2000 devrait accroître les capacités d'action à partir des porte-aéronefs, en facilitant l'engagement simultané des Harrier des deux armées dans des missions de défense aérienne ou d'assaut.

Si le JSF STOVL devait être retenu, la perspective d'une coopération avec la France serait considérablement réduite , les installations aéronautiques et la structure du bâtiment étant fort différentes. L'horizon reste toutefois ouvert. L'adoption du JSF par le Royaume-Uni dépendra des objectifs du programme et de son état d'avancement au moment de la décision. Il n'est pas encore acquis que cet avion puisse tenir toutes ses promesses en terme de performances et qu'il soit disponible à temps. Par ailleurs, les exigences de l'interopérabilité avec les principaux alliés et la volonté de construire une capacité européenne de défense cohérente, seront des éléments prépondérants dans le choix de l'avion. Le Royaume-Uni pourrait également choisir une version navalisée du EF 2000 Eurofighter , qui n'existe toutefois pas encore et qui, au dire des experts, paraît difficile à réaliser.

Le choix de l'avion de guet aérien est également important. Le Charles de Gaulle a été prévu pour accueillir, dans des conditions opérationnelles et de sécurité, l'avion de guet américain E2-C Hawkeye . En effet, son poids de 24 tonnes et son envergure de 25 mètres nécessitent une plate-forme aviation adéquate (catapultes, longueur de la piste oblique). Or, les Britanniques semblent très intéressés par l'emploi, sur leurs futurs porte-avions, de l'hélicoptère Merlin doté d'un radar qu'ils produiraient, plutôt que par l'E2-C , plus performant mais également plus onéreux (6 milliards de francs pour les trois unités commandées par la France, le coût d'un quatrième exemplaire s'élevant à 800 millions de francs). Des économies importantes, à l'achat et à l'entretien, pourraient résulter d'un choix identique des deux côtés de la Manche.

- les capacités de commandement

Les porte-avions britanniques embarqueront les capacités de commandement nécessaires à des opérations aériennes et maritimes offensives. L'embarquement d'un état-major n'entre pas dans le cahier des charges.

- la cohérence des calendriers de décision et de construction

Le calendrier de décision pourrait, par ailleurs, compliquer l'éventuelle coopération entre la France et la Grande-Bretagne. La France pourrait, dans la prochaine loi de programmation, prendre sa décision, en fonction de ses propres besoins, sans que les Britanniques aient arrêté leur position. La deuxième phase d'évaluation du projet britannique, consacrée à la diminution du risque de conception, donnera lieu à un appel d'offres en 2003 pour les phases de démonstration et de construction. Les commandes ne devant être passées qu'en 2004, il est possible d'envisager une coopération pragmatique entre les deux pays sur des parties du programme, mais non sur son ensemble.

- vers une " communauté de marines " ?

Une coopération bilatérale dans le domaine aéronaval est d'autant plus souhaitable que de nombreuses convergences se dessinent, par ailleurs, entre les marines britannique et française. Au niveau opérationnel, tout d'abord, des bâtiments de chacune des marines, y compris des SNA, sont de plus en plus fréquemment placés sous le commandement l'un de l'autre (en 1999 les exercices Northern Light ou PEAN). Entre mai et novembre 2000, la frégate de type La Fayette , Aconit , sera placée sous commandement britannique au cours du déploiement " Naval Task Force 2000 " autour du monde. Surtout, lors de la crise du Kosovo, deux frégates britanniques anti-sous-marines (ASM), les Somerset et Grafton , ont été placées sous commandement français, en situation de combat. En outre, des synergies pourraient être trouvées pour d'autres programmes que celui du porte-avions. Une collaboration se poursuit sur le système d'arme PAAMS des frégates Horizon . Des enseignements ont été tirés, du côté français, de la fabrication du HMS Ocean en milieu civil pour les spécifications des nouveaux TCD. Comme la France, le Royaume-Uni cherche enfin à développer une frégate d'action navale, appelée " Future Surface Combattant ", proche des projets français, pour remplacer, dans des versions multimissions, leurs frégates ASM.

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