N° 395

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1999-2000

Annexe au procès-verbal de la séance du 7 juin 2000

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation du Sénat pour l'Union Européenne (1) sur l'élaboration d'une Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ,

Par M. Hubert HAENEL,

Sénateur.

(1) Cette délégation est composée de : MM. Hubert Haenel, président ; Mme Danielle Bidard-Reydet, MM. James Bordas, Claude Estier, Pierre Fauchon, Lucien Lanier, Aymeri de Montesquiou, vice-présidents ; Nicolas About, Hubert Durand-Chastel, Emmanuel Hamel, secrétaires ; Bernard Angels, Robert Badinter, Denis Badré, José Balarello, Mme Marie-Claude Beaudeau, MM. Jean Bizet, Maurice Blin, Xavier Darcos, Robert Del Picchia, Marcel Deneux, Mme Marie-Madeleine Dieulangard, MM. Jean-Paul Emin, André Ferrand, Jean-Pierre Fourcade, Philippe François, Yann Gaillard, Daniel Hoeffel, Serge Lagauche, Louis Le Pensec, Simon Loueckhote, Paul Masson, Jacques Oudin, Mme Danièle Pourtaud, MM. Simon Sutour, Xavier de Villepin, Henri Weber.

Union européenne.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Avec la réforme de ses institutions préalable à son élargissement à l'Est, l'adoption d'une Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne est sans conteste le grand dossier sur la table de l'Europe des Quinze en cette année 2000.

Il s'agit en effet de la doter d'un texte affirmant les principes essentiels qui forgent son identité en recensant et en proclamant au niveau de l'Union ces droits et libertés que chaque Etat membre considère comme inhérents à la personne humaine et place, à ce titre, au sommet de sa hiérarchie des valeurs.

La proclamation de cette Charte relèvera du Conseil européen qui, selon l'agenda convenu à Cologne en juin 1999, devrait y procéder lors de sa réunion de Nice, en décembre prochain. Il le fera sur la base d'un projet dont la rédaction a été confiée par le Conseil européen de Tampere à une enceinte (qui a pris la dénomination de " Convention ") composée de parlementaires nationaux et européens ainsi que de représentants de chefs d'Etat et de gouvernements et du président de la Commission.

Cette méthode inédite souligne bien le caractère éminemment politique de la démarche dont l'objectif est d'adresser un message fort, percutant, aux citoyens en leur montrant que l'Europe qui se construit depuis un demi-siècle n'est pas seulement, comme on l'affirme parfois, celle des industriels et des banquiers, qu'elle ne se limite pas à un grand marché, un budget et une monnaie.

Ce message, il s'adressera non seulement aux citoyens de l'Union d'aujourd'hui, mais aussi à ceux de l'Union de demain et, partant, à tous les pays candidats à l'adhésion qui doivent savoir que cet ensemble dont ils aspirent à faire partie repose sur un socle de valeurs communes à tous les Etats.

Pourtant, à côté de cet objectif clairement identifié, la rédaction d'une Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne soulève son lot d'interrogations et, selon le sentiment que l'on éprouve à l'égard de la construction européenne, suscite espoirs ou craintes, voire arrière-pensées.

Beaucoup en effet voient dans cette Charte, pour s'en réjouir ou s'en inquiéter, l'embryon d'une constitution européenne et même le début d'une marche qui conduirait irrésistiblement vers une Europe fédérale.

Conscient des enjeux de ce texte, le Sénat a débattu à plusieurs reprises de ces interrogations aussi bien au sein de sa délégation pour l'Union européenne qu'en séance publique.

La première d'entre elles concerne le contenu de la future Charte : celle-ci doit-elle, et si oui dans quelle mesure, aller au-delà de la reprise pure et simple des droits d'ores et déjà consacrés dans d'autres textes ou par la jurisprudence ?

D'aucuns craignent en effet que, en consacrant des droits qui ne figurent pas dans le champ des compétences de l'Union (droit à l'éducation, droit de grève...), la Charte étende le domaine d'investigation de celle-ci ou, à tout le moins, légitime des initiatives dans des matières qu'une bonne application du principe de subsidiarité réserve aux Etats membres. A l'opposé, d'autres font valoir que la Convention, organe que le Conseil européen a voulu politique, ne saurait se limiter à un simple travail de codification et ce d'autant plus que les citoyens ne comprendraient pas que la Charte se borne à reprendre la Convention européenne des droits de l'homme, faisant en quelque sorte l'impasse sur les droits économiques et sociaux et sur ce que l'on appelle les nouveaux droits (ceux liés à la bioéthique, aux nouvelles technologies, à la consommation, au fonctionnement de l'administration...).

Toujours en ce qui concerne le contenu de la Charte, la question se pose, comme l'a souligné notre collègue Pierre Fauchon, de l'opportunité d'y insérer un article sur les devoirs. Si l'on veut en effet adresser un message clair aux citoyens, peut-être serait-il en effet utile de rappeler qu'il n'est pas de liberté sans devoirs, de démocratie sans civisme, ni de citoyenneté sans responsabilité. Cette notion de responsabilité est d'ailleurs jugée préférable par certains à celle de devoir. Mais l'idée reste la même et a reçu de nombreux soutiens, dont celui de M. Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des Affaires européennes.

La deuxième série d'interrogations soulevées par le projet de Charte des droits fondamentaux a trait aux statuts du futur texte : doit-il revêtir un caractère juridiquement contraignant (par exemple en étant incorporé au traité) ou consistera-t-il en une simple déclaration de principe ?

La réponse appartient au Conseil européen et M. le Ministre délégué aux Affaires européennes considère qu'elle dépendra avant tout du contenu qui sera donné à la Charte. Pourtant, à l'inverse, nul ne contestera que le contenu lui-même dépende dans une certaine mesure de la valeur juridique qui sera conférée au texte en préparation. Dans ces conditions, retenant la sage suggestion de son président, M. Roman Herzog, la Convention a décidé de conduire ses travaux partant de l'hypothèse que son projet pourrait être érigé en texte juridiquement contraignant par le Conseil européen.

Une autre interrogation, étroitement liée à la précédente, concerne l'articulation entre la future Charte et la Convention européenne des droits de l'homme , avec en filigrane le risque de conflits de jurisprudence entre la Cour de Luxembourg et celle de Strasbourg. Excellemment mises en avant par M. Daniel Hoeffel, les conséquences d'une mauvaise articulation sont souvent avancées par les tenants d'une Charte qui ne constituerait qu'une déclaration solennelle sans valeur juridique. Il semble pourtant difficile que la Charte ne se voie pas conférer, à terme plus ou moins lointain, un caractère contraignant dans la mesure où, comme l'a souligné M. Hoeffel et comme l'ont rappelé plusieurs orateurs lors du débat en séance publique, il s'agira précisément de combler un vide juridique tenant au fait que la Communauté européenne n'est pas justiciable de la Cour européenne des droits de l'homme. Une solution pourrait, selon certains, résider dans l'adhésion de l'Union à la Convention européenne des droits de l'homme, mais M. Pierre Moscovici a formellement écarté cette hypothèse.

Il appartiendra à la Convention et au Conseil européen, chacun dans le cadre de ses responsabilités, de répondre à toutes ces interrogations. Mais le Sénat ne pouvait rester en dehors d'un tel débat. Le présent rapport reprend l'ensemble des interventions effectuées soit au sein de sa délégation pour l'Union européenne, soit en séance publique, à l'occasion d'une question orale avec débat déposée sur ce sujet.

I. TRAVAUX DE LA DÉLÉGATION

A. RÉUNION DU 23 FÉVRIER 2000

1. Communication de M. Hubert Haenel sur les travaux de la Convention chargée d'élaborer la Charte

C'est le Conseil européen de Cologne qui, en juin 1999, sur une initiative de la présidence allemande de l'Union européenne, a posé le principe de l'élaboration d'une Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et souhaité qu'un projet soit élaboré à cette fin par une " enceinte composée de représentants des chefs d'Etat et de gouvernement et du président de la Commission européenne ainsi que de membres du Parlement européen et des parlements nationaux ".

A Tampere, les 15 et 16 octobre, un Conseil européen spécifiquement consacré aux questions de justice et d'affaires intérieures a défini la composition de cette enceinte qui comporte soixante-deux membres , à savoir :

- quinze représentants des chefs d'Etat ou de gouvernement . La France a désigné M. Guy Braibant, éminent juriste que l'on ne présente plus ;

- un représentant du président de la Commission européenne ; M. Prodi a désigné M. Vitorino, commissaire chargé des questions de justice et d'affaires intérieures ;

- seize membres du Parlement européen ;

- trente membres des parlements nationaux , à raison de deux par parlement ;

En cas d'empêchement, les membres peuvent être remplacés par des suppléants.

Le Président du Sénat m'a alors désigné ainsi que Mme Marie-Madeleine Dieulangard, respectivement comme titulaire et suppléante, tandis que le Président de l'Assemblée nationale désignait parallèlement M. François Loncle et Mme Nicole Ameline. Enfin, c'est Mme Jacqueline Dutheil de la Rochère qui est suppléante de M. Guy Braibant.

L'élaboration de ce projet de Charte est intéressante non seulement en raison des nombreuses questions de fond qu'elle soulève, mais aussi par la méthode retenue.

1) La méthode retenue

a) La composition de l'enceinte

Il me semble important d'insister tout d'abord sur le fait que, pour la première fois, des parlementaires nationaux et des parlementaires européens sont associés es qualités en amont à la préparation d'un texte européen . Cela me paraît intéressant à un double titre :

- d'abord parce que cela confère une légitimité parlementaire à l'élaboration d'un texte fondamental ; nous avons suffisamment regretté par le passé que les mécanismes institutionnels de l'Union européenne aboutissent à un transfert de compétences du pouvoir législatif au pouvoir exécutif pour ne pas nous féliciter de cette novation,

- ensuite parce que les deux légitimités parlementaires de l'Union européenne -celle qui découle des parlements nationaux et celle qui résulte de l'élection du Parlement européen- se trouvent réunies et en mesure de travailler en complémentarité.

Mais au-delà de cette première originalité, il me semble que le Conseil européen a apporté un élément nouveau particulièrement intéressant en faisant participer à cet organe de travail des représentants des chefs d'Etat ou de gouvernement . Cet apport est utile d'abord parce que nous savons bien que, dans un régime parlementaire moderne, un travail normatif résulte de la collaboration du législatif et de l'exécutif et non des seuls débats du législatif. Mais il est particulièrement judicieux en l'occurrence parce que l'expérience a montré que le travail en commun de parlementaires nationaux et de parlementaires européens sans apport extérieur ne peut, indépendamment de la volonté des uns et des autres, que s'effectuer au détriment des parlementaires nationaux qui, très vite, se trouvent en position d'infériorité.

Ce fut la leçon que tirèrent unanimement tous les parlementaires nationaux qui participèrent, en novembre 1990 à Rome, à la Conférence des Parlements de la Communauté européenne , que l'on a appelée aussi Assises . Il n'est pas inutile de rappeler à cet égard les remarques formulées alors par mon prédécesseur, le président Jacques Genton, dans le rapport qui, au nom de la délégation du Sénat pour les Communautés européennes, rendait compte alors des travaux de ces Assises qui avaient rassemblé 173 membres des Parlements nationaux des Etats membres et 85 membres du Parlement européen, soit deux-tiers de parlementaires nationaux et un tiers de parlementaires européens. Le président Jacques Genton relevait alors que, en dépit de l'infériorité numérique de sa représentation, la délégation du Parlement européen avait dominé de bout en bout la Conférence en raison de son homogénéité, des travaux antérieurs menés au sein du Parlement européen et de son esprit de corps. Et il ajoutait que les délégations des parlements nationaux s'étaient comportées en revanche " comme des novices, peu accoutumées à ce genre de débat, mal adaptées à ces exercices éloignés des habitudes politiques nationales, moins animées aussi d'un souffle commun " . Je dois dire que les deux réunions des parlementaires nationaux membres de l'enceinte auxquelles j'ai participé m'ont confirmé la pertinence de ces remarques. Il est à l'évidence long et difficile de faire travailler avec efficacité 30 parlementaires qui jusque-là n'ont jamais été associés à une entreprise commune et qui, donc, ne se connaissent pas.

J'ai cru utile de souligner la composition originale de l'enceinte chargée d'élaborer la Charte car je crois que, si l'expérience s'avère positive, il serait possible d'y recourir à nouveau pour d'autres travaux européens où l'expérience et la légitimité des parlementaires nationaux pourraient être utilement mises à profit.

b) Les méthodes de travail

Les méthodes de travail ont été définies, dans le cadre des lignes tracées par le Conseil européen, lors des deux séries de réunions que nous avons tenues jusqu'à ce jour : la première, le 17 décembre, à l'occasion de laquelle nous avons élu le président de l'enceinte, M. Roman Herzog, qui a été président de la République fédérale d'Allemagne de 1994 à 1999 après avoir été président de la Cour constitutionnelle fédérale de 1987 à 1994. Le matin même, la délégation des parlementaires nationaux s'était réunie pour élire son président, M. Gunnar Jansson, député finlandais, qui est donc à ce titre vice-président de l'enceinte. Les deux autres vice-présidents sont MM. Mendez de Vigo, au nom du Parlement européen, et M. Bacelar de Vasconcellos, représentant du gouvernement portugais. Ce dernier sera remplacé par M. Braibant au second semestre.

Le Président Herzog, les vice-présidents et le commissaire Vitorino constituent le comité de rédaction de la Charte et sont assistés dans cette tâche par le secrétariat général du Conseil, qui assure le secrétariat de l'enceinte.

Je dis " enceinte " car il s'agissait là du terme retenu par le Conseil européen et par lequel nous avons désigné cet organe jusqu'au 1 er février. Mais le 1 er février, à une très large majorité, les membres ont décidé de substituer le terme " Convention " à celui d'enceinte. La dénomination officielle de cette structure est donc à présent " Convention chargée de l'élaboration d'un projet de Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ".

La Convention , dont le projet de Charte doit être soumis au Conseil européen de Nice, prévoit de tenir quatre nouvelles sessions de deux jours dont la dernière aurait lieu les 18 et 19 octobre. Ces réunions plénières seront préparées par des réunions informelles qui tiendront lieu de groupes de travail et auxquelles pourront assister tous les membres de la Convention, titulaires ou suppléants. Jusqu'à mi-octobre, la Convention devrait ainsi tenir douze sessions informelles de deux jours.

De facto , la seule différence entre les réunions formelles et les réunions informelles concernent le statut des suppléants : invités à toutes les réunions, ils ne pourront prendre la parole et voter dans le cadre d'une réunion formelle qu'en l'absence du titulaire ; ils pourront en revanche intervenir, même si le titulaire est présent, au cours des réunions informelles, étant précisé que celles-ci ne donneront jamais lieu à un vote.

Concrètement, les discussions au sein de la Convention auront pour support une liste de droits que le Président Herzog nous a adressée. M. Herzog souhaiterait que la Convention ait dressé avant l'été l'inventaire des droits qui figureraient dans son projet de Charte.

2) Les questions de fond

J'en viens ainsi, après les questions de méthode, aux questions de fond qu'a abordées la Convention lors de ses réunions des 1 er et 2 février :

- quels droits doivent figurer dans la future Charte ?

- quelle sera sa valeur juridique et comment s'articulera-t-elle avec d'autres textes, notamment avec la Convention européenne des droits de l'homme ?

a) Quels droits ?

En ce qui concerne la première question, celle du contenu de la Charte, le débat porte sur le point de savoir si et, si oui, dans quelle mesure, nous devons aller au-delà de la reprise pure et simple de droits d'ores et déjà consacrés dans d'autres textes ou par la jurisprudence.

Pour simplifier, je dirai que deux conceptions du rôle de la Convention se sont fait jour :

- pour certains, il nous appartiendrait de reprendre et le cas échéant de préciser l'existant
. Les tenants de cette thèse, défendue notamment par le représentant de Tony Blair, Lord Goldsmith, s'appuient sur les conclusions du Conseil européen de Cologne qui réclamaient le recensement " des droits fondamentaux en vigueur au niveau de l'Union [...] de manière à leur donner une plus grande visibilité ". Dans cette optique, la Convention serait donc appelée en quelque sorte à codifier des droits reconnus par la Convention européenne des droits de l'homme, la Charte sociale européenne, la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs, les traditions constitutionnelles communes des Etats membres ou la jurisprudence de la Cour de justice.

- à l'opposé de cette thèse, d'autres membres de la Convention semblent souhaiter aller au-delà de cette simple codification. Ceux-là peuvent tirer argument de la composition même de la Convention, que le Conseil européen a voulu politique et qui comprend en effet, à commencer par M. Herzog, des personnes qui ont exercé d'importantes fonctions dans leur pays.

La Convention n'ayant procédé à aucun vote, il n'est pas aisé de déterminer avec précision le rapport des forces en présence. Il semble cependant que la seconde thèse, d'ailleurs soutenue par le président Herzog, soit majoritaire, la première rassemblant essentiellement des suffrages nordiques et britanniques.

Pour ma part, je suis intervenu pour dire que la Convention devait s'efforcer de montrer que l'Union européenne ce n'est pas seulement, comme on le croit parfois, l'Europe des banquiers, que c'est également l'Europe des hommes et des citoyens et qu'il nous appartient de délivrer un message fort à l'opinion publique en soulignant tout ce qui fait l'identité européenne. Et j'ai expliqué qu'il me paraîtrait intéressant que, avant le dispositif même de la Charte, figure une sorte de préambule exprimant ce message. J'ai par ailleurs posé la question de la définition d'un droit fondamental. Qu'est-ce qu'un droit fondamental ? Quelle est sa spécificité, s'il y en a, par rapport à un droit de l'homme ou à une liberté publique ?

Sur le contenu, la discussion ne fait que commencer. Le Président Herzog considère toutefois que, même si la Convention décidait d'aller au-delà d'une simple codification, cela ne conduirait pas à de profondes modifications. Il sera en effet difficile, fait-il valoir, de trouver un droit fondamental qui ne soit consacré par aucun texte européen ni par la jurisprudence, sauf à entrer dans le détail -ce que refuse M. Herzog- en mentionnant par exemple, comme cela a été proposé, le droit des femmes à intégrer les forces armées.

b) Quelle valeur juridique ?

En ce qui concerne la valeur juridique de la future Charte , une opposition est également apparue entre, d'une part, les tenants d'un texte contraignant et, d'autre part, ceux qui souhaitent un catalogue de droits qui constituerait certes une référence, mais n'aurait pas en lui-même un caractère contraignant.

C'est un problème fondamental, mais qui n'est pas du ressort de la Convention. Certes, il serait utile de savoir si la future Charte sera par exemple intégrée aux traités car la portée d'un texte n'est pas sans influence sur son contenu. Néanmoins, la décision finale échappera à la Convention car c'est au Conseil européen qu'il appartiendra de dire s'il souhaite que la Charte soit ou non revêtue d'un caractère contraignant.

Les conclusions du Conseil européen de Cologne sont très explicites à cet égard puisqu'elles mentionnent que :

" L'enceinte doit présenter un projet en temps utile avant le Conseil européen en décembre de l'an 2000. Le Conseil européen proposera au Parlement européen et à la Commission de proclamer solennellement, conjointement avec le Conseil, une Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne sur la base dudit projet. Ensuite il faudra examiner si et, le cas échéant, de quelle manière, la Charte pourrait être intégrée dans les traités. "

M. Herzog a donc parfaitement résumé la situation en disant que la Convention devait élaborer un projet de Charte dont le Conseil européen pourrait décider l'intégration tel quel dans les traités, sous réserve de l'autorisation de ratifier que devraient donner les parlements nationaux.

Je précise toutefois, car l'erreur est souvent faite, que la future Charte aurait a priori vocation à s'appliquer aux institutions de l'Union et non directement aux Etats membres.

Je ne reviendrai pas sur la question de l'articulation de la future Charte avec la Convention européenne des droits de l'homme, qui est l'objet de la communication de notre collègue Daniel Hoeffel. Je dirai seulement que certains membres ont soulevé la question de l'adhésion de l'Union européenne à la Convention mais, là encore, ce n'est pas une question qui relève du mandat que nous a donné le Conseil européen.

Je vous tiendrai bien entendu informés de l'évolution des travaux de la Convention. J'ai l'intention de les suivre assidûment, non seulement parce que le sujet en vaut la peine, mais aussi parce que je trouve excellent le fait d'associer des parlementaires en amont sur un texte aussi important. Si cette expérience porte ses fruits, si elle montre l'utilité de l'association de parlementaires nationaux, de parlementaires européens et de représentants des chefs d'Etat et de gouvernement, nous pourrions alors la renouveler dans d'autres domaines. Je pense en particulier à la justice, conformément à ce qu'avait proposé Pierre Fauchon il y a deux ans.

2. Communication de M. Daniel Hoeffel sur les débats de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe sur la Charte

Ma contribution portera sur le débat qui s'est déroulé le 25 janvier dernier au sujet de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne dans le cadre de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe.

Cela fait de nombreuses années que le Conseil de l'Europe se préoccupe de ses relations avec l'Union européenne.

Il était normal que cette préoccupation porte plus particulièrement sur l'articulation de la Convention européenne des droits de l'homme et de la compétence de la Cour européenne des droits de l'homme avec l'ordre juridique communautaire.

Si vous me le permettez, je voudrais d'abord décrire la situation actuelle avant de vous rapporter la solution envisagée par l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe au problème posé.

I - Le régime des droits de l'homme en Europe

a) La Convention européenne des droits de l'homme

La Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales a été signée en 1950 et complétée par de nombreux protocoles.

Sa principale originalité est d'être dotée d'un mécanisme de contrôle supra-national. Il s'agit, depuis le 1 er novembre 1998, d'une Cour unique et permanente dont les arrêts sont obligatoires pour les Etats adhérents.

Les quarante et un Etats qui composent le Conseil de l'Europe sont tous signataires de la Convention et acceptent donc la juridiction de la Cour européenne des droits de l'homme. Cette Cour est composée d'un juge par Etat membre, élu par l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe.

L'engagement de souscrire à la Convention est même devenu une condition d'adhésion au Conseil de l'Europe.

On l'aura compris, les quinze Etats de l'Union européenne ont souscrit depuis longtemps la Convention, l'ont incorporée dans leur droit interne et sont soumis à la juridiction de la Cour de Strasbourg .

Une jurisprudence très abondante a d'ailleurs contribué à inspirer nombre de réformes législatives dans les Etats de l'Union européenne et la jurisprudence de la Cour est désormais une référence pour leurs tribunaux, en particulier en France.

b) L'Union européenne et les droits de l'homme

A l'origine, le traité de Rome était essentiellement un mode d'organisation des relations économiques entre les Etats qui formaient précisément la Communauté Economique Européenne. Sans doute, la liberté de circulation des personnes s'apparentait-elle à la liberté d'aller et venir. De même, certains principes de non-discrimination, notamment entre hommes et femmes dans l'exercice d'une activité professionnelle, s'apparentent-ils à des " droits de l'homme " dans la conception classique.

Ces garanties semblaient cependant comme accessoires aux libertés économiques.

A partir de l'Acte unique européen, les traités ont fait mention de la soumission de l'ordre juridique communautaire aux droits de l'homme en particulier aux principes généraux de valeur constitutionnelle dans les différents Etats membres, et, explicitement, à la Convention européenne des droits de l'homme.

Toutefois, cette référence à la Convention reste une " ardente obligation " de valeur essentiellement morale puisqu'elle n'est pas située dans le dispositif normatif des traités, mais dans leur préambule.

Il subsiste donc un vide juridique dans l'espace de l'Union européenne : si toutes les personnes vivant dans cet espace (y compris celles qui n'ont pas la citoyenneté d'un Etat membre) peuvent se prévaloir devant la Cour de Strasbourg des garanties de la Convention européenne des droits de l'homme contre des normes ou décisions des autorités publiques qui leur font grief, en revanche les actes et décisions émanant des organes communautaires ne sont pas soumis, quant à eux, à un contrôle de légalité au regard des droits de l'homme . La Cour de justice de Luxembourg ne peut qu'examiner la conformité de ces actes aux dispositions des traités, même si sa jurisprudence, extensive, a pu faire à plusieurs reprises référence aux droits de l'homme conformément à la proclamation contenue dans le préambule des traités européens.

II - L'articulation entre l'ordre juridique communautaire et la Cour européenne des droits de l'homme

Pour combler ce vide juridique et sur la base de cette référence dans le préambule des traités européens, l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a, à plusieurs reprises, invité l'Union européenne à formaliser la soumission de l'ordre juridique communautaire à la Convention européenne des droits de l'homme au moyen d'une adhésion de l'Union qui s'ajouterait donc aux adhésions individuelles des quinze Etats membres.

Cette solution a été longtemps soutenue par le Parlement européen. Elle l'a été également occasionnellement par la Commission européenne.

En revanche, elle a fait l'objet d'un avis défavorable de la Cour de justice des Communautés européennes et ne semble pas avoir rencontré le soutien des gouvernements des Etats membres. C'est donc une tout autre orientation qui se dégage avec le projet d'adoption d'une Charte des droits fondamentaux propre à l'Union européenne.

a) La Résolution adoptée par l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe le 25 janvier 2000

L'Assemblée du Conseil de l'Europe a consacré un débat à la Charte européenne des droits fondamentaux lors de sa première session de l'année 2000 il y a un mois. Les rapporteurs, dont M. Claude Evin, au nom de la commission des Affaires sociales de cette Assemblée, ainsi que tous les intervenants se sont prononcés en faveur d'une incorporation des droits garantis par la Convention européenne des droits de l'homme dans la future Charte . Ils se sont également prononcés pour la modification des traités européens afin de rendre possible l'adhésion de l'Union européenne à cette Convention. Je suis moi-même intervenu en ce sens au nom de mon groupe le Parti populaire européen.

Tel est le sens de la Recommandation 1439 adressée aux gouvernements des Etats du Conseil de l'Europe, parmi lesquels bien entendu les quinze Etats de l'Union européenne, tel est également le sens de la Résolution 1210 adressée à l'Union européenne.

Ces propositions sont d'ailleurs conformes à celles que formulait le Professeur Simitis dans son rapport à l'adresse de l'Union européenne en février 1999.

b) L'approche de l'Union européenne

Il se trouve que M. Romano Prodi, président de la Commission européenne, s'est exprimé le matin même de ce débat devant l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe.

Je voudrais citer les propos qu'il a tenus devant nous : " La question de l'adhésion de la Communauté à cette Convention reste ouverte, mais sans vouloir en préjuger, il est utile que l'Union se dote d'une Charte des droits fondamentaux afin de se rapprocher de ses citoyens. La rédaction de cette Charte offrira une chance unique d'établir un système cohérent et efficace de défense des droits de l'homme en Europe.

" Je sais que cette Assemblée est très attentive aux travaux menés sur la Charte et je me félicite que le Conseil de l'Europe y soit représenté en tant qu'observateur. Je peux vous assurer que la Commission est pleinement consciente qu'il faut éviter toute incohérence entre la Charte et la Convention, ou entre les jurisprudences des deux Cours européennes.
"

Je pense qu'on est conscient à la Commission européenne comme dans les gouvernements des Etats membres du difficile exercice dans lequel s'est engagée l'Union européenne.

Lors du colloque organisé par l'Institut Alain Poher au Sénat le 3 mai 1999 pour marquer le vingt-cinquième anniversaire de la ratification par la France de la Convention européenne des droits de l'Homme, Mme Elisabeth Guigou, dans son allocution de clôture, a déclaré : " La complémentarité entre l'Union européenne et le Conseil de l'Europe est réelle ", sans plus de précision sur la mise en oeuvre de cette complémentarité.

Il faut rappeler qu'une ambiguïté court depuis l'origine de la proposition de doter l'Union européenne d'une déclaration des droits fondamentaux.

Cette initiative issue originellement du Parlement européen a été reprise par certains Etats membres, en particulier la République fédérale d'Allemagne.

Pour beaucoup, elle se confond avec la revendication de doter l'Union européenne de la personnalité juridique et d'une Constitution en bonne et due forme, ainsi que l'établissement d'une pleine citoyenneté européenne qui ne soit pas limitée à certaines capacités électorales .

Dès lors, il s'agit dans l'esprit de beaucoup de constituer une nouvelle liste de droits individuels dont le mécanisme de contrôle serait attribué à la Cour de justice des Communautés européennes, la Cour de Luxembourg.

Pourtant le seul vide juridique actuel est celui du contrôle des actes communautaires au regard des droits de l'homme puisque toutes les autres normes applicables aux citoyens des quinze Etats membres et même des ressortissants extracommunautaires se trouvant sur le territoire d'un de ces Etats sont d'ores et déjà garantis par la Convention européenne des droits de l'homme et la Cour de Strasbourg.

Malgré l'assurance, d'ailleurs peu circonstanciée, donnée par M. Romano Prodi d'" éviter toute incohérence entre la Charte et la Convention ou entre les jurisprudences des deux Cours européennes ", le risque est donc grand que s'instaure une divergence entre les deux ordres juridiques.

III - Des solutions nécessairement complexes comportant des risques à considérer

a) Les risques d'une Europe à deux vitesses

Je voudrais insister sur ces risques de divergences quant aux espaces respectivement régis, quant à la substance des droits garantis et enfin, quant aux mécanismes de contrôle.

Le risque d'une Europe à deux vitesses : à peine dix ans après la réconciliation du continent européen sur la base de l'Etat de droit, réconciliation consacrée par la soumission des quarante et un Etats du Conseil de l'Europe à la Convention européenne des droits de l'homme et à la Cour de Strasbourg, on voit poindre le risque d'une nouvelle division. Ce serait un message particulièrement fâcheux alors même que la démocratisation et la protection des droits de l'homme dans certains Etats d'Europe centrale et orientale sont bien loin d'être parachevées.

Le risque de divergence quant aux droits garantis : ou bien la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne reprend sans aucune variation la définition des droits garantis par la Convention européenne des droits de l'homme et, dès lors, on ne comprend pas bien l'exercice ; ou bien la Charte de l'Union européenne va au-delà et il ne faut pas sous-estimer le risque de surenchère menaçant de fragiliser un peu plus l'acceptation des disciplines collectives et même des repères essentiels du lien social.

Le risque principal tient évidemment à l'institution d'un double mécanisme de contrôle au cas où les garanties énoncées dans la Charte de l'Union européenne s'appliqueraient non pas seulement aux actes communautaires, mais à toute norme ou décision visant une personne se trouvant sur le territoire de l'un des quinze Etats membres ; et au cas où la Charte des droits fondamentaux serait incorporée dans la partie normative des traités et donc susceptible de recours juridictionnel devant la Cour de justice des Communautés européennes.

b) Des mécanismes nécessairement complexes

Le risque est donc très sérieux d'une divergence des droits garantis et de la jurisprudence des deux Cours, celle de Strasbourg et celle de Luxembourg.

Certains ont objecté que la solution recommandée par l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, c'est-à-dire l'adhésion de l'Union européenne à la Convention européenne, poserait elle-même des problèmes.

Ainsi, la Cour de justice des Communautés européennes saisie à l'occasion d'un litige portant sur un acte ou une décision communautaire d'une question touchant aux droits de l'homme, devrait saisir la Cour de Strasbourg par voie d'exception préjudicielle afin de faire trancher la question posée au regard de la Convention européenne des droits de l'homme. Et ce n'est qu'ensuite que la Cour de Luxembourg pourrait statuer sur le litige.

Sous ce régime, c'est une Cour européenne des droits de l'homme composée de quarante et un juges émanant en majorité d'Etats non-membres de l'Union européenne qui devrait statuer sur un acte communautaire dont ces juges ignorent à peu près tout. Ce mécanisme ferait en outre apparaître la Cour de Luxembourg comme soumise aux avis de la Cour de Strasbourg dans une matière aussi éminente que les droits de l'homme et les libertés fondamentales.

Ces difficultés expliquent sans doute l'avis négatif de la Cour de justice de Luxembourg à l'égard d'une adhésion de l'Union européenne à la Convention européenne des droits de l'homme, tout autant que l'absence de personnalité juridique de l'Union.

Sans doute pourrait-on imaginer la constitution de la Cour européenne des droits de l'homme en une chambre spécialisée dans l'examen des questions ressortissant à l'ordre juridique communautaire. Ne siégeraient alors en cette formation que les juges élus au titre des Etats membres de l'Union européenne.

Sans doute ce mécanisme est-il complexe mais il a le grand mérite de préserver la cohérence du régime des droits de l'homme à l'intérieur de l'espace de l'Union européenne et entre cet espace et le reste du continent européen.

D'ailleurs, l'élaboration d'une Charte de l'Union européenne autonome ne conduirait pas à un régime moins complexe et comporterait de toutes façons de très sérieux inconvénients.

*

La divergence de la définition des droits entre la future Charte des droits fondamentaux, ainsi que la divergence des mécanismes de contrôle et donc des jurisprudences, voire leur concurrence plus ou moins anarchique au cas où la Charte régirait non seulement les actes communautaires, mais également les normes et les décisions nationales n'apporteraient sans doute pas une sécurité supplémentaire aux citoyens de l'Union. En outre, les inévitables conflits de droits et conflits de juridiction ne contribueraient pas à la lisibilité et d'une construction européenne devant laquelle nos concitoyens ne se perdent déjà que trop.

Sans doute le Parlement européen est-il d'abord animé d'une volonté d'" affichage politique " comme il l'a déjà été lors de l'institution d'un Observatoire des phénomènes racistes et xénophobes de l'Union européenne, alors même que nos collègues étaient parfaitement conscients du double emploi avec la commission européenne contre le racisme et l'intolérance du Conseil de l'Europe.

Notre collègue Pierre Fauchon, dans son intervention au colloque du 3 mai 1999, avait d'ailleurs souligné, s'agissant de l'adhésion de l'Union européenne à la Convention européenne des droits de l'homme ou de l'élaboration d'un catalogue des droits propres à l'Union, que " la question est plus politique que juridique " .

Pour conclure, je crois que nous devons inviter le Gouvernement français à éviter toute divergence entre la Convention européenne des droits de l'homme et la future Charte des droits fondamentaux dans la définition même des droits. Nous devons également l'inviter à faire preuve de circonspection à l'égard d'une incorporation de la Charte dans les Traités européens qui entraînerait la compétence de la Cour de justice de Luxembourg et donc une concurrence fâcheuse avec la Cour de Strasbourg . Et enfin, il conviendrait de bien préciser que la Charte ne régit que les actes communautaires et laisse donc entier le système des droits reconnus à toutes les personnes présentes sur le territoire communautaire, qu'elles aient ou non la citoyenneté d'un des Etats membres. Il convient donc de laisser entier le mécanisme de la protection de ces droits par la Cour de Strasbourg au moyen, le cas échéant, des recours individuels.

3. Compte rendu sommaire des débats

M. Paul Masson :

Je souhaiterais poser deux questions.

La première est d'ordre juridique : la Convention a-t-elle la possibilité d'élargir sa mission par rapport à ce qui a été prévu à Cologne ? Le mandat donné alors par le Conseil européen me semble fort clair et j'approuve le représentant du gouvernement britannique lorsqu'il affirme que la Convention doit se limiter à l'inventaire des droits existants.

Ma seconde question est d'ordre politique : le gouvernement français a-t-il une position sur ce point fondamental du mandat de la Convention, et vous-même, représentant du Sénat, avez-vous pris contact avec MM. Braibant et Loncle pour recueillir leurs points de vue et, si besoin est, vous concerter avec eux ?

M. Hubert Haenel :

Personnellement, je pense que la Convention ne peut pas sortir du mandat délivré par le Conseil européen. J'ai l'impression que cette position est aussi celle de M. Herzog et de la majorité des membres de la Convention. Cela me paraît d'autant plus normal que nous ne sommes chargés que d'élaborer un projet qui sera soumis au Conseil européen : que deviendrait un texte qui ne respecterait pas les lignes tracées par les chefs d'Etat et de gouvernement ?

En ce qui concerne votre seconde question, je souhaite en effet que les représentants du gouvernement et du Parlement français se fassent rapidement une religion. C'est d'ailleurs pour cette raison que j'ai voulu recueillir dès aujourd'hui vos premières impressions. Pour ma part, j'ai discuté avec M. Braibant et M. Loncle et nous allons continuer. Nous serons parfaitement éclairés sur la position de l'exécutif français lorsque M. Braibant aura pu s'entretenir avec tous les responsables intéressés, c'est-à-dire, outre le chef de l'Etat et le Premier ministre, avec les membres du gouvernement concernés.

M. Paul Masson :

Nous devons bien être conscients du fait que, selon le contenu et la portée juridique de la future Charte, nous pourrions être amenés à une nouvelle révision de notre Constitution sur des points essentiels. Il est donc indispensable de prendre toute la mesure des droits qui pourraient figurer dans la Charte. Considérera-t-on, par exemple, les droits des minorités comme des droits fondamentaux ?

M. Lucien Lanier :

La question est posée aussi pour le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes.

M. Hubert Haenel :

Elle se pose pour beaucoup de droits si j'en juge par tous ceux qui ont été évoqués. Ce fut par exemple le cas pour les droits des minorités, bien que ceux-ci ne figurent pas dans la liste de M. Herzog.

M. Pierre Fauchon :

Il est à mon avis indispensable que l'Union européenne se dote d'un système de valeurs sous la forme d'un texte tel qu'une Charte des droits fondamentaux. Il me semble d'ailleurs que le traité d'Amsterdam en a posé le principe : en prévoyant la possibilité de sanctionner un Etat qui ne respecterait pas certaines valeurs essentielles, il postulait l'existence et à terme la définition de ces valeurs. Je précise qu'il serait souhaitable de se demander si, outre des droits fondamentaux, ces valeurs ne comprennent pas aussi des devoirs fondamentaux.

M. Hubert Haenel :

Je crois en effet que la question des devoirs mérite d'être posée. J'ajoute que toutes ces valeurs constitueront, quelle que soit la portée juridique donnée à la Charte, des références pour les pays désireux d'adhérer à l'Union européenne.

Mme Marie-Madeleine Dieulangard :

J'ai fort apprécié l'exposé limpide de M. Hoeffel. Cela étant, il semble considérer qu'il suffirait que l'Union européenne adhère à la Convention européenne des droits de l'Homme pour se doter d'un texte en la matière applicable à ses institutions. Or, je crois qu'il pourrait être utile de concevoir un texte spécifique pour l'Union européenne, ne serait-ce que, comme l'a dit M. Haenel, pour servir de référence dans la perspective de l'élargissement. Il y a en effet des sujets sur lesquels l'Union européenne pourrait aller plus vite et plus loin que le Conseil de l'Europe. Je pense en particulier à la bioéthique, à l'environnement ou aux droits économiques et sociaux. C'est pourquoi je suis favorable à une Charte qui irait au-delà d'un simple inventaire, à une Charte qui, par son contenu, constituerait en quelque sorte le texte de l'identité européenne.

Quant à l'autre problème, celui de la portée juridique, je crois que la Charte devrait à terme être intégrée aux Traités.

M. Hubert Haenel :

La Convention va effectivement se pencher sur les droits que vous venez d'évoquer. Il m'a d'ailleurs semblé que la thèse d'une Charte se limitant à récapituler l'existant était minoritaire au sein de la Convention.

Mme Danielle Bidard-Reydet :

Il s'agit d'un sujet complexe, que notre Président a fort bien fait d'inscrire à l'ordre du jour de notre délégation. J'espère que nous aurons d'autres réunions sur cette question car la matière est dense.

M. Hubert Haenel :

Je vous rendrai régulièrement compte de l'évolution des travaux non seulement pour vous en informer, mais aussi pour recueillir votre avis.

Mme Danielle Bidard-Reydet :

Sur le fond, cette Charte est une chance, pour l'Union européenne, d'effacer cette image que l'opinion publique a souvent d'elle, celle d'une Europe du capital. Pour ce faire, le futur texte devrait mettre l'accent sur les droits des citoyens.

M. Lucien Lanier :

En ce qui concerne la mission impartie à la Convention, je donne personnellement raison à Lord Goldsmith. La Convention a un mandat du Conseil européen et elle doit s'y tenir. D'ailleurs, la priorité, c'est bien de recenser l'existant, de le préciser si besoin est, afin de bien identifier ces valeurs essentielles avant, le cas échéant, de discuter des droits que l'on pourrait ajouter et de leur valeur juridique.

M. Paul Masson :

La question est d'une importance telle que le Gouvernement devrait présenter sa position aux assemblées. J'imagine mal que le Parlement n'en débatte pas.

M. Hubert Haenel :

Je comptais justement demander à la Conférence des présidents l'organisation d'un débat en séance publique, si possible au printemps.

M. Simon Sutour :

Avez-vous pris contact avec les parlementaires européens français qui siègent au sein de la Convention ?

M. Hubert Haenel :

Je pense le faire prochainement. Cela étant, il faut bien être conscient du fait que ma situation n'est pas comparable à la leur : je suis, comme tous mes collègues parlementaires nationaux, le représentant d'une assemblée, et peu importe mon groupe politique ; chaque parlementaire européen, pour faire partie de la délégation du Parlement européen, n'en demeure pas moins rattaché à un groupe politique.

B. RÉUNION DU 15 MARS 2000

1. Communication de M. Pierre Fauchon sur la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : Charte des droits - Charte des devoirs

La méthode d'élaboration de la Charte, où la France est représentée à l'échelon parlementaire -Assemblée et Sénat- tout comme à l'échelon gouvernemental, nous permet de formuler des propositions et de les porter à la connaissance des autres participants, que ce soit lors des réunions de la Convention chargée d'élaborer la Charte, où le Sénat est représenté par le président Haenel, ou bien sur le site Internet du Conseil de l'Union européenne, qui contient une page dédiée à ces contributions.

Il me semble qu'une des contributions possibles que nous pourrions apporter serait de proposer d'inclure dans la Charte non seulement un énoncé des droits, mais aussi un énoncé des devoirs des citoyens européens. Je dirai plus loin que, pour ce que je veux exprimer, le mot " responsabilité " est peut-être meilleur que le mot de " devoir ". Mais provisoirement, je vais m'en tenir au terme " devoir " qui été consacré par l'histoire.

1) Justification de cette proposition

La Charte va, pour l'essentiel, codifier les droits fondamentaux déjà reconnus. Elle va donc comprendre deux séries de droits :

- les droits-libertés (telle la Déclaration de 1789) qui énoncent principalement des limitations des pouvoirs des autorités publiques (leurs pouvoirs doivent être contenus dans certaines limites, et ne doivent pas pouvoir s'exercer de façon arbitraire) ;

- les droits-créances à contenu social , qui créent des obligations pour la société. Or cette deuxième catégorie de droits -qui a tendance à s'étendre (par exemple, le droit au logement)- implique, plus clairement encore que la première, des devoirs pour les citoyens.

Cette relation droits/devoirs est au coeur des sociétés modernes, qui reposent -à l'opposé des sociétés traditionnelles fondées sur des hiérarchies permanentes- sur un contrat implicite entre égaux, donc sur la réciprocité. L'idée même de " contrat social " suggère que les droits des citoyens impliquent des devoirs pour les mêmes citoyens.

2) Quelques références

Pour des raisons historiques, l'accent a été mis jusqu'à présent sur les droits plus que sur les devoirs, mais ceux-ci ne sont pas absents des déclarations successives :

- la Déclaration de 1789 précise dans son préambule que, si une déclaration est nécessaire, c'est que pour que " cette déclaration, constamment présente à tous les membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs " . Le contenu même de la Déclaration de 1789 fait place à la notion de devoir. Par exemple, " la liberté consiste à faire tout ce qui ne nuit pas à autrui " (article 4) : la garantie de la liberté individuelle est donc associée au devoir de respecter la liberté d'autrui. Je rappelle que l'abbé Grégoire avait proposé que la Déclaration de 1789 contienne un énoncé des devoirs. Sa proposition n'avait pas obtenu la majorité, mais une minorité substantielle l'avait soutenue.

- la Déclaration du 5 fructidor an III (1795, régime du Directoire) contient une déclaration des devoirs complétant la déclaration des droits. (Article premier : " La déclaration des droits contient les obligations des législateurs : le maintien de la société demande que ceux qui la composent connaissent et remplissent également leurs devoirs " ).

- la Constitution de 1848 fait place également, dans son préambule, à la notion de devoir. (Article 6 : " Des devoirs réciproques obligent les citoyens envers la République, et la République envers les citoyens " . Article 7 : " Les citoyens doivent (...) participer aux charges de l'Etat en proportion de leur fortune ; ils doivent s'assurer, par le travail, des moyens d'existence, et, par la prévoyance, des ressources pour l'avenir ; ils doivent concourir au bien-être commun en s'entraidant fraternellement les uns les autres, et à l'ordre général en observant les lois morales et les lois écrites qui régissent la société, la famille et l'individu ").

- plus près de nous, le préambule de la Constitution de 1946 reprend, en des termes plus sobres, un aspect des devoirs mentionné dans la Constitution de 1848 : en effet, ce préambule, toujours en vigueur (puisque le préambule de la Constitution de 1958 y fait référence) précise que " chacun a le devoir de travailler " .

- la Déclaration universelle des droits de l'homme (ONU) proclamée en 1948 fait également place à la notion de devoir (article premier : les êtres humains " doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité " ; article  29 : " L'individu a des devoirs envers la Communauté " ; il doit satisfaire aux exigences " de la morale, de l'ordre public et du bien-être général " ).

- quelques constitutions européennes peuvent enfin être citées : celle de la République de Weimar (1919), la Constitution actuelle de l'Espagne (1978), la Constitution actuelle de la Pologne (1997), intègrent des déclarations des droits et des devoirs.

A ceux qui trouveraient un parfum " réactionnaire " à l'idée d'un énoncé des devoirs, on peut citer le troisième couplet de l'Internationale : " Pas de droits sans devoirs (...), pas de devoirs sans droits ".

3) Quel contenu donner à une déclaration européenne des devoirs ?

Je songe aux thèmes suivants :

- les devoirs civiques : voter, participer à la vie politique, s'informer, participer équitablement à l'impôt ;

- les devoirs économiques : travailler, participer à la création de richesses (ces devoirs sont une contrepartie nécessaire des droits sociaux, cf. Tony Blair) ;

- les devoirs socio-culturels : participer à la vie associative et culturelle notamment dans l'optique de la dimension européenne ;

- les devoirs vis-à-vis de l'environnement (devoirs vis-à-vis des générations futures) ;

- les devoirs envers autrui (tolérance, non abus de la liberté, entraide, devoirs envers les enfants et les personnes âgées).

4) Quelle opportunité ?

On peut certes discuter de l'opportunité d'un énoncé des devoirs. Les droits sont plus à la mode que les devoirs. Ne risque-t-on pas de " ringardiser " la déclaration européenne en y intégrant des devoirs ? Mais on peut penser aussi qu'une déclaration solennelle, faite pour durer, n'a pas nécessairement à se plier à l'individualisme ambiant.

Deux arguments d'opportunité me paraissent pouvoir être avancés en faveur d'une déclaration des devoirs :

- la Charte européenne répond moins à un besoin juridique qu'à un souci politique . C'est un aspect de l'affirmation politique de l'Europe, un signal adressé aux citoyens et aux Etats membres (actuels et potentiels). Or un message rédigé seulement en termes de droits est-il un bon signal ? Par cette Charte, nous allons en quelque sorte exprimer la philosophie de la construction européenne. Est-ce que nous en donnons une présentation juste et honnête, en mentionnant seulement des droits et pas de devoirs ?

- Surtout, nous devons considérer la spécificité de la Charte européenne . Les diverses déclarations des droits dans les pays européens, et d'abord en France, ont surtout mis l'accent sur les droits parce qu'il s'agissait de les conquérir sur des régimes autoritaires, dont les pouvoirs n'étaient pas limités. L'Union européenne est dans une situation très différente. Elle n'est pas un empire. Elle repose sur une volonté commune de dépasser les affrontements et les haines entre les peuples européens ; elle est fondée sur la recherche d'une union toujours plus étroite entre les peuples, et non pas sur la volonté de limiter l'arbitraire d'un pouvoir préexistant ; elle est donc une construction, un véritable " contrat social " auquel participent des peuples d'une grande diversité, dont l'association doit être sans cesse consolidée et cimentée. Il me paraît donc particulièrement justifié, dans ce cas, d'insister sur la solidarité et la réciprocité, donc sur les devoirs. Je crois en outre que l'on pourrait corriger la connotation négative du terme de " devoir " en lui substituant la notion et le terme de " responsabilité ", qui a le mérite d'introduire une réflexion plus large et plus actuelle.

2. Compte rendu sommaire des débats

M. Emmanuel Hamel :

J'approuve l'idée que la Charte doit contenir à la fois des droits et des devoirs, notamment pour mettre l'accent sur l'exigence de solidarité. Mais le statut de cette Charte m'inquiète : elle ne doit pas doter Bruxelles de nouveaux pouvoirs de sanction.

M. Yann Gaillard :

J'approuve la position de Pierre Fauchon. Il est dans le rôle du Sénat de savoir prendre du recul pour poser ce type de question. J'ai été particulièrement intéressé par l'accent mis sur la notion de contrat social. C'est une notion que la philosophie anglo-saxonne contemporaine a réhabilité depuis John Rawls. Nous devons nous en inspirer.

Mme Danièle Pourtaud :

Je reconnais que la conscience de la citoyenneté pose aujourd'hui problème. Mais je reste réservée sur l'idée d'une déclaration des devoirs. Si, dans un texte censé favoriser l'adhésion à l'idée européenne, on mentionne par exemple le " devoir de travailler ", comment les chômeurs le ressentiront-ils ? De plus, des notions comme la solidarité, la fraternité, n'ont pas le même sens selon les sociétés ; en réalité, nous les comprenons en référence à notre propre histoire, notre propre culture. Sur les droits fondamentaux, il est plus facile d'être d'accord. Enfin, j'observe que vous n'avez pas mentionné l'impératif d'égalité hommes/femmes.

Mme Marie-Madeleine Dieulangard :

Il est vrai que nous sommes dans une société où l'on a tendance à revendiquer des droits et à oublier ses propres responsabilités. Mais en mettant l'accent sur ce point, est-ce que l'on ne change pas l'objet de la Charte ? Est-ce que ce type de problème entre dans la mission définie par le Conseil européen de Cologne ? Va-t-on changer le titre même de la Charte ?

M. Jacques Oudin :

Ce débat a une dimension sociologique. Les dix commandements n'énonçaient que des devoirs. La déclaration de 1789 n'a énoncé que des droits. Nous devons songer au contexte social de 1789, avec des privilèges pour une partie de la société et des charges pour l'autre : cela explique la tonalité de la déclaration. Aujourd'hui, les droits ont pris toute leur place, et il n'y a plus de morale religieuse pour encadrer la société. Je crois donc utile de mentionner les devoirs fondamentaux, y compris le devoir de travailler. Celui-ci figure déjà dans notre droit, par le biais du préambule de la Constitution. La contrepartie de l'aide, de la prestation, doit effectivement être la recherche d'un travail ou d'une formation en vue d'un travail. Les responsabilités à l'égard de l'environnement doivent également être mentionnées, c'est fondamental.

Sur le statut de la Charte, je rejoins la question d'Emmanuel Hamel : comment sera-t-elle appliquée, par qui, sous quelle forme ?

M. Hubert Haenel :

On ne peut savoir aujourd'hui ce que sera la Charte, quel sera son statut, si ce sera un texte resserré ou développé. Rien n'est tranché. Nous pouvons précisément faire des propositions.

M. Marcel Deneux :

Il est utile de rappeler qu'invoquer des créances sur la société suppose d'accepter des responsabilités, même si cela paraît " ringard ". Je souhaite que la Convention soit saisie des suggestions de Pierre Fauchon.

M. James Bordas :

Je regrette que l'articulation entre la future Charte et les activités du Conseil de l'Europe en matière de droits de l'homme reste obscure. Une Charte propre à l'Union européenne est-elle vraiment indispensable ? Ne faudrait-il pas plutôt s'appuyer sur le Conseil de l'Europe ?

M. Denis Badré :

Bien sûr, il faudrait davantage préciser le contenu d'une déclaration des responsabilités ou des devoirs, mais Pierre Fauchon nous propose surtout une position de principe, et je le suis volontiers sur ce terrain. C'est tout le problème du civisme, de l'éducation à la citoyenneté. Je crois que les jeunes peuvent être intéressés par cette idée, et qu'il serait bon de faire réfléchir des jeunes élèves sur ce sujet, pour voir quels contenus se dégagent.

Les valeurs de la construction européenne -c'est un résultat de l'histoire, quelles que soient les croyances de chacun- découlent de la tradition judéo-chrétienne. L'homme reçoit une responsabilité, il a le monde à façonner. Pour ce qui est du devoir de travailler, ou de contribuer à la société, il faudrait peut-être s'inspirer de la formule de l'article 215 du Code civil pour la participation des époux aux charges du ménage, et dire que chacun a le devoir de contribuer à proportion de ses facultés. Un handicapé mental profond peut être utile à la société, lorsqu'un lien s'établit entre lui et une autre personne. La contribution à la société peut prendre bien d'autres formes que le travail rémunéré. L'idée directrice à retenir, me semble-t-il, c'est que chaque Européen doit se sentir comptable d'un espace social à rendre plus humain.

M. Lucien Lanier :

La France va prendre la présidence de l'Union, et elle reste le pays des droits de l'homme, même si notre déclaration a vieilli. Nous sommes fondés à vouloir apporter une contribution, qui doit être un rappel à la raison dans un domaine où règne souvent la logorrhée. On a dit à juste titre que l'éthique européenne avait, historiquement, un fondement judéo-chrétien.

M. Hubert Haenel :

Judéo-gréco-chrétien !

M. Lucien Lanier :

Il faut effectivement dégager les valeurs fondamentales de l'Europe, notamment dans l'optique de l'élargissement, qui ne doit pas conduire à ébranler cet héritage.

M. Pierre Fauchon :

J'admets volontiers qu'il serait difficile de rédiger une bonne déclaration des responsabilités. Mais en 1789, on a su aller vite, ou plutôt on a su s'arrêter, en estimant que le texte auquel on était parvenu, même imparfait, permettrait de faire passer le message voulu. J'approuve, bien sûr, l'inclusion du principe de l'égalité hommes/femmes dans la Charte. Pour ce qui est du devoir de travailler, je songe à une formulation plus actuelle et plus large, comme le devoir de contribuer à la croissance, au développement de la société, mais, en tout cas, il me paraît nécessaire d'affirmer cette responsabilité en lien avec l'énoncé des droits-créances.

L'idée d'une déclaration des responsabilités nous éloigne-t-elle de l'objet de la Charte ? Je ne le crois pas. Celle-ci a pour but de dégager et de réaffirmer les valeurs fondamentales de la construction européennes en énonçant des droits de base ; mais en soulignant que ces droits sont inséparables de certaines responsabilités, on ne revient en rien sur les droits : on donne plutôt un éclairage complémentaire sur leur signification. Les précédentes déclarations émanaient de sociétés qui s'émancipaient ; nous sommes désormais entrés dans un âge contractuel. Encore une fois, je mets à part -et, au-dessus- les libertés fondamentales : énoncer des responsabilités ne peut être un moyen de les restreindre en quoi que ce soit. Mais les droits comme le droit à la santé, au logement, à l'air et à l'eau pure, ne peuvent être proclamés sans souligner les responsabilités qui s'imposent en contrepartie. Je suis d'accord avec Denis Badré pour vouloir préciser ces responsabilités dans un esprit d'humanisme, et pour estimer qu'un dialogue avec des jeunes sur ce sujet pourrait être utile. Le fait que la France soit appelée à exercer bientôt la présidence aidera-t-il à ce que nos idées soient prises en considération ? Je l'espère. Mais je crois surtout utile d'envoyer à la Convention une contribution, et, selon l'accueil qu'elle recevra, nous verrons s'il faut aller plus loin et sous quelle forme.

M. Hubert Haenel :

C'est bien dans cet esprit que j'envisage de transmettre votre texte à la Convention.

Mme Danièle Pourtaud :

Je suis d'accord pour que ce texte soit présenté comme contribution à la réflexion, mais je souhaite qu'il soit signalé qu'il n'y a pas consensus sur le détail des propositions.

M. Pierre Fauchon :

Enfin, en réponse à James Bordas, je reconnaîtrai que des voix fort autorisées ont exprimé des doutes sur l'utilité de la future Charte, le Conseil de l'Europe leur paraissant le cadre adapté pour la protection des droits. Mais, maintenant, la Convention est lancée, et nous ne pouvons nous tenir à l'écart. Mieux vaut participer en essayant d'avoir une influence sur le résultat.

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