Rapport d'information n° 445 (1999-2000) de M. Jean DELANEAU , fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 28 juin 2000

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N° 445

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1999-2000

Annexe au procès-verbal de la séance du 28 juin 2000

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des Affaires sociales (1) sur la sécurité sanitaire après la loi du 1 er juillet 1998 : état des lieux et perspectives en France et en Europe,

Par M. Jean DELANEAU,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : MM. Jean Delaneau, président ; Jacques Bimbenet, Louis Boyer, Mme Marie-Madeleine Dieulangard, MM. Guy Fischer, Jean-Louis Lorrain, Louis Souvet, vice-présidents ; Mme Annick Bocandé, MM. Charles Descours, Alain Gournac, Roland Huguet, secrétaires ; Henri d'Attilio, François Autain, Jean-Yves Autexier, Paul Blanc, Jean-Pierre Cantegrit, Bernard Cazeau, Gilbert Chabroux, Jean Chérioux, Philippe Darniche, Claude Domeizel, Jacques Dominati, Michel Esneu, Alfred Foy, Serge Franchis, Francis Giraud, Alain Hethener, Claude Huriet, André Jourdain, Philippe Labeyrie, Roger Lagorsse, Dominique Larifla, Henri Le Breton, Dominique Leclerc, Marcel Lesbros, Jacques Machet, Max Marest, Georges Mouly, Roland Muzeau, Lucien Neuwirth, Philippe Nogrix, Mme Nelly Olin, MM. Lylian Payet, André Pourny, Mme Gisèle Printz, MM. Henri de Raincourt, Bernard Seillier, Martial Taugourdeau, Alain Vasselle, Paul Vergès, André Vezinhet, Guy Vissac.

Santé publique.

AVANT-PROPOS

Le travail du législateur ne s'arrête pas avec la promulgation de la loi : telle est la philosophie qui inspire le travail de la commission des Affaires sociales. Il convient en effet, une fois la loi votée, de s'assurer qu'elle est appliquée, que sa mise en oeuvre satisfait aux objectifs qui en avaient inspiré l'adoption et que, lorsque des crédits budgétaires sont nécessaires, qu'ils sont bien inscrits en loi de finances.

Ce travail revêt une signification particulière lorsque, comme c'est le cas avec la loi n° 98-535 du 1 er juillet 1998 relative au renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire des produits destinés à l'homme, le texte législatif trouve son origine dans une proposition de loi.

Dans ce cas, la responsabilité du législateur dans son travail de contrôle est encore plus importante, non seulement pour des raisons " affectives " résultant de la " paternité " d'un texte, mais parce qu'ayant étudié bien en amont les raisons qui motivaient une réforme, il dispose d'éléments pertinents pour en apprécier la mise en oeuvre.

L'intérêt de la commission des Affaires sociales pour les questions sanitaires est ancien : il s'est manifesté, en 1993, avec l'adoption d'un amendement instituant l'Agence du Médicament et, en 1994, avec celle d'un amendement sur l'Etablissement français des greffes. Il s'est également traduit par l'adoption d'un rapport d'information sur les thérapies génique et cellulaire, par celles de dispositions législatives concernant ces thérapies dans le cadre de la loi n° 96-452 du 28 mai 1996 portant diverses dispositions d'ordre sanitaire, social et statutaire et, enfin, par l'adoption d'un rapport d'information et le dépôt de la proposition de loi sur le renforcement de la veille sanitaire et du contrôle sanitaire des produits destinés à l'homme.

Dès qu'ont été publiés les décrets d'application de la loi n° 98-535 précitée permettant l'installation de l'Agence Française de Sécurité Sanitaire des Produits de Santé, de l'Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments et de l'Institut de Veille Sanitaire, la commission des Affaires sociales a procédé, le 5 mai 1999, à l'audition de leurs responsables.

Un an plus tard, le 25 mai 2000, elle a souhaité poursuivre ce travail en organisant une journée d'auditions publiques consacrées à l'application de la loi et, plus largement, à l'état des lieux et aux perspectives dans le domaine de la sécurité sanitaire, en France et en Europe.

Elle a manifesté l'intention de connaître, à cette occasion, le point de vue des agences, celui des producteurs, des consommateurs, des experts, des journalistes spécialistes de ces questions, des responsables ministériels concernés ainsi que celui du Commissaire européen chargé de la protection de la santé et des consommateurs.

Le présent rapport d'information livre le compte rendu de cette journée d'auditions, introduite par MM. Charles Descours et Claude Huriet et clôturée par M. Christian Poncelet, Président du Sénat, à laquelle ont participé de nombreux sénateurs appartenant à toutes les commissions permanentes du Sénat et assisté un large public.

Le contrôle de l'application de la loi, de même que son élaboration, doit en effet se dérouler dans des conditions favorisant la transparence des débats et l'expression de toutes les parties concernées.

INTRODUCTION
PAR MM. CHARLES DESCOURS ET CLAUDE HURIET

M. LE PRÉSIDENT - Mesdames, Messieurs, mes chers collègues, j'ai plaisir à vous accueillir pour cette journée d'auditions, que la commission des Affaires sociales considère comme très importante, consacrée à la sécurité sanitaire : état des lieux et perspectives, en France et en Europe.

M. Christian Poncelet, Président du Sénat, a accepté de clôturer cette journée. Il nous rejoindra dès qu'il aura terminé de présider la séance publique consacrée aux questions au Gouvernement.

Avant de donner la parole à MM. Claude Huriet et Charles Descours, qui sont les " pères " de la loi du 1 er juillet 1998 et qui vont introduire notre débat, je vous rappelle que nous avons une journée chargée, avec de multiples intervenants, qui se déroulera donc à un rythme rapide.

Le dernier intervenant sera M. David Byrne, Commissaire européen chargé de la protection de la santé et des consommateurs. Ces auditions feront l'objet d'un compte rendu intégral.

M. Charles DESCOURS - Je vais commencer par faire un historique de cette loi sur la sécurité sanitaire qu'avec Claude Huriet, nous avons aidé à faire voter par le Parlement.

Il faut bien comprendre que la commission des Affaires sociales du Sénat s'est intéressée depuis très longtemps à ces problèmes. En 1992, lorsque l'on nous avait présenté le projet de loi sur l'Agence Française du Sang, Claude Huriet avait demandé par amendement la création de l'Agence du Médicament. En 1994, avec un gouvernement qui avait entre-temps changé, nous avions également créé, dans les lois bioéthiques, l'Etablissement Français des Greffes.

En 1996, nous avons créé une mission d'information consacrée à la sécurité sanitaire ; je tiens à dire que c'était avant l'épisode " médiatique " de l'encéphalopathie spongiforme bovine plus communément appelée la vache folle . Ce n'était donc pas par un effet de mode que la commission des Affaires sociales du Sénat avait créé cette mission d'information que j'ai eu l'honneur de présider, et dont Claude Huriet était le rapporteur.

Cette mission s'est rendue aux Etats-Unis en 1996 ; nous sommes allés voir le fonctionnement de la Food and Drugs Administration (FDA) et des Centers for Disease Control (CDC) à Atlanta et nous avons rencontré les parlementaires plus particulièrement intéressés par les questions de sécurité sanitaire. Nous avons eu ensuite des contacts, pendant trois ou quatre ans, avec la FDA qui est venue nous voir ici par l'intermédiaire d'un ou deux de ses responsables, ces contacts nous ont aidés.

Le rapport de Claude Huriet a été publié au cours de l'hiver 1996, ainsi que la proposition de loi qui en était issue. Sous la V e République, peu de propositions de loi d'origine parlementaire sont définitivement adoptées. Nous avons tous cosigné cette proposition de loi et celle-ci a reçu le soutien du gouvernement de l'époque, qui était celui d'Alain Juppé. Elle a eu notamment le soutien actif d'Hervé Gaymard et -ce qui a été plus difficile parce que l'adhésion n'a pas été immédiate- du ministre de l'Agriculture de l'époque, Philippe Vasseur.

Après le changement de gouvernement, le nouveau Premier ministre, M. Lionel Jospin, a évoqué la création d'une Agence de Sécurité Sanitaire dans sa déclaration de politique générale au Parlement. D'ailleurs, pendant que nous présentions notre proposition de loi sous le gouvernement précédent, notre ami Bernard Kouchner avait écrit un article dans lequel il défendait la création d'une seule agence, alors que nous en proposions deux.

Nous avons écouté ce que disait M. Jospin et, le 12 août, des conseillers de M. Jospin ont demandé à nous rencontrer pour parler de cette affaire. Cela montre qu'au-delà des affrontements normaux en démocratie, de grandes questions transcendent les courants politiques.

Le cabinet du Premier ministre nous a indiqué que notre proposition de loi figurerait à l'ordre du jour du Parlement.

Ils nous ont cependant suggéré de créer une agence plutôt que deux. Nous leur avons dit : " Vous allez voir que faire une agence est plus compliqué que ce que vous croyez. Si vous arrivez à faire une agence nous n'en faisons pas une affaire de paternité, nous voulons bien n'en faire qu'une, mais vous verrez que vous serez obligés d'en faire deux."

La proposition de loi a été discutée au Sénat et à l'Assemblée. Les échanges avec les industriels ont été intéressants, notamment sur les dispositifs médicaux. Nous avons rencontré quelques réticences de la part du ministère de l'Agriculture pour créer l'Agence de Sécurité des Aliments. La loi a été promulguée le 1 er juillet 1998.

Nous organisons aujourd'hui cette journée d'auditions parce que nous voulons vérifier -comme c'est le rôle du Parlement- la façon dont fonctionnent les agences et la façon dont évolue la sécurité sanitaire dans notre pays et en Europe, puisque la présidence française de l'Union européenne sera peut-être l'occasion de la création d'une agence européenne de sécurité alimentaire.

M. Claude HURIET - Monsieur le Président, mes chers collègues, Mesdames, Messieurs, l'objet de cette journée d'auditions publiques consiste à faire le point de la situation et à avancer quelques réflexions prospectives.

La commission des Affaires sociales, dont Charles Descours vient de rappeler l'engagement constant en faveur de la sécurité sanitaire, est très attentive à exercer les missions que les institutions confient au Parlement, à savoir le contrôle, mais aussi le suivi et les conditions d'application des textes législatifs votés par le Parlement.

En effet, nous considérons que le travail du législateur ne s'arrête pas le jour où la loi a été adoptée. Quelles que soient les conditions du vote, nous exerçons cette vigilance et le suivi dans l'application des lois en ce qui concerne le contenu des textes d'application et les délais de leur publication. Sans doute aurons-nous l'occasion, au cours de cette journée, d'interroger les Directeurs Généraux des agences pour savoir où en est la préparation des textes d'application de la loi non encore publiés.

Nous n'avons aucune suspicion à l'encontre des Directeurs Généraux des agences ou du fonctionnement des agences ; le législateur peut aussi contribuer à les aider dans leur tâche difficile, car, au fond, une des caractéristiques de cette loi de juillet 1998 est qu'il s'agit d'un texte innovant.

En effet, nous ne nous sommes pas contentés de procéder à des ajustements des structures existantes mais nous avons bâti, à partir des matériaux qui existaient, un ensemble dont chacun reconnaît qu'il a acquis davantage de cohérence, de lisibilité et d'efficacité. Nous sommes, là aussi, comme des partenaires de ceux qui ont à appliquer la loi.

Ces auditions se situent également dans un contexte national et un contexte européen évolutif. Le contexte national correspond à la création en cours, telle que l'Assemblée nationale l'a souhaitée, d'une Agence de Sécurité Sanitaire Environnementale sur laquelle des questions pourront être posées.

Il semble cependant que le Gouvernement n'envisage pas d'inscrire ce texte à l'ordre du jour du Sénat avant l'automne. Je crois que nous évoquerons peut-être les relations éventuelles entre les agences existantes et l'organisme dont la création est envisagée, mais je souhaite que ces digressions ne bouleversent pas le bon déroulement de la journée.

Dans l'évolution du contexte national, je ne peux pas ne pas évoquer l'explosion du principe de précaution. C'est un sujet d'une actualité brûlante et peut-être ne serait-il pas souhaitable d'y consacrer trop de temps. Je voudrais souligner, dès le départ, qu'il y a pour nous une certaine contradiction entre les efforts accomplis par le législateur et les responsables de l'organisation nouvelle, et une application de plus en plus large du principe de précaution.

C'est pour le moment plus une réflexion qu'une interrogation, mais à quoi bon renforcer les dispositifs de sécurité de veille sanitaire si c'est pour amener les décideurs à appliquer le principe de précaution en oubliant un des critères qui était inscrit dans la loi Barnier de 1995, à savoir la proportionnalité de la réponse par rapport au risque réel ou supposé ?

Le contexte international aussi a évolué, plus particulièrement en ce qui concerne l'Europe, d'où l'intérêt d'auditionner à la fin de cette journée un Commissaire européen qui pourra nous faire connaître le climat dans lequel évolue la sécurité sanitaire.

J'ai la conviction -et j'espère qu'elle est largement partagée- que les dispositions législatives françaises et la loi de 1998 ont contribué à faire évoluer les choses en Europe. Je voudrais prendre deux exemples, la vache folle dont nous parlerons tout à l'heure, et un point qui a été beaucoup plus délicat concernant les dispositifs médicaux, ce point sera également évoqué plus loin.

La plupart des interlocuteurs sont d'accord sur le fait que nous devons considérer que la législation française du 1 er juillet 1998 avait été mal ressentie par l'industrie des dispositifs médicaux en France, ce que nous comprenons ; cela avait aussi fait l'objet de réserves de la part de la Commission. Il semble désormais que la position française traduisant la détermination du législateur a contribué à aider la Commission à s'interroger sur la pertinence et l'efficacité, par exemple, des organismes notifiés dans les différents pays de l'Union européenne.

Voilà où nous en sommes aujourd'hui, les textes d'application relatifs aux agences sont presque tous publiés, l'organisation est en place, elle fonctionne bien, j'espère que les Directeurs Généraux pourront le confirmer. Cependant comme vous pourriez les taxer d'être de parti pris, nous avons souhaité la participation d'autres intervenants !

Il nous appartient désormais de voir avec vous, non seulement si nous avons des motifs de satisfaction, mais aussi quels sont les progrès à accomplir pour que l'organisation nouvelle puisse connaître sa pleine efficacité pour répondre aux attentes des consommateurs, quelquefois raisonnables, quelquefois excessives, face à cette société sans risque à laquelle ils aspirent. Nous sommes bien conscients que tous les efforts doivent être faits pour réduire la proportion des risques, mais que le chemin à parcourir est encore long. Cette journée pourra peut-être constituer, grâce à vous, une étape importante dans la recherche de l'amélioration constante des résultats.

M. LE PRÉSIDENT - Merci, Monsieur Huriet. Maintenant, je vais donner la parole aux différents intervenants. Nous allons tout d'abord aborder le point de vue des institutions de veille et de sécurité sanitaires : interviendront successivement M. Martin Hirsch, Directeur Général de l'Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments, M. Philippe Duneton, Directeur Général de l'Agence Française de Sécurité Sanitaire des Produits de Santé et M. Jacques Drucker, Directeur Général de l'Institut de Veille Sanitaire.

Nous entendrons ensuite le point de vue des consommateurs, des industriels, des médias, des experts, des ministres et de la Commission européenne.

I. LE POINT DE VUE DES INSTITUTIONS CHARGÉES DE LA VEILLE ET DE LA SÉCURITÉ SANITAIRES

A. AUDITION DE M. MARTIN HIRSCH, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L'AGENCE FRANÇAISE DE SÉCURITÉ SANITAIRE DES ALIMENTS (AFSSA)

M. Martin HIRSCH - Mesdames et Messieurs les sénateurs, je ne vous ferai pas l'affront de vous rappeler les compétences et le rôle de l'Agence, vous les connaissez mieux que quiconque. Elle a été conçue comme un organisme public d'évaluation des risques destiné à éclairer le Gouvernement par l'appui technique qu'elle apporte, les avis qu'elle rend, les recommandations qu'elle formule, les expertises qu'elle fournit et les recherches qu'elle mène, avec, pour toutes ces missions, une finalité unique : la contribution à l'amélioration de la santé sanitaire.

La sécurité sanitaire est devenue un objectif prioritaire et non plus une préoccupation subordonnée à la satisfaction d'autres contraintes d'ordre supérieur. C'est pourquoi l'activité d'une agence comme la nôtre se situe toujours dans ce chemin étroit entre l'insuffisance de précautions et l'excès de précautions, avec leurs effets néfastes, où il faut n'en faire, ni trop, ni trop peu. C'est pourquoi, avant d'en venir aux principes qui ont guidé les premiers pas de l'Agence et aux perspectives qui peuvent être entrevues à ce stade, je ferai quelques remarques sur le contexte dans lequel se situe cette activité.

Tout d'abord, c'est un contexte dans lequel on attend tout de l'expert, sauf qu'il se substitue aux politiques et on attend tout d'une agence d'expertise, sauf qu'elle se substitue aux gestionnaires de risque. Cela impose de rendre des avis suffisamment clairs, des avis qui ne lient pas l'autorité qui décide mais l'éclairent.

Par ailleurs, un organisme comme l'AFSSA ne se fonde que sur des considérations d'ordre sanitaire et scientifique ; toutefois, il n'est pas neutre d'avoir à rendre un avis lorsque des conséquences sociales, économiques et diplomatiques lourdes peuvent en résulter. Si ceci ne conduit pas l'Agence à transiger avec les risques, cela lui impose, comme l'enjeu sanitaire lui-même, une particulière rigueur sur la façon dont elle travaille.

Par ailleurs, la science comme les réglementations sanitaires ont rarement des frontières qui coïncident avec celles des Etats. Cette dimension internationale est de plus en plus forte, au moment même où plusieurs pays, dont la France, renforcent leur organisation nationale dans le domaine de l'évaluation et de la gestion des risques.

De plus, nous attendons des évaluateurs de risques et des organismes comme l'Agence, de plus en plus de réponses précises et définitives dans un univers de connaissances de plus en plus incertain, avec la nécessité de pouvoir conjuguer le temps de la décision et celui de l'acquisition de la connaissance.

Nous cherchons à réduire les risques, nous cherchons à traquer le risque évitable alors même que, selon la formule rituelle, le risque zéro n'existe pas, cette formule rituelle ne devant d'ailleurs pas être prétexte à considérer que tout risque est une fatalité. Il n'est pas toujours facile d'expliquer qu'il est nécessaire de porter une attention soutenue à une bactérie qui, dans les conditions actuelles de sa maîtrise, ne tue pas plus en un an que la route en un week-end de mai. C'est dans ce contexte qu'évolue l'Agence qui a été mise en place avec comme viatique la loi du 1 er juillet 1998 et son décret d'application.

Nous nous sommes efforcés de placer ses premiers pas en respectant quatre règles cardinales :

- indépendance,

- transparence,

- excellence scientifique de nos experts,

- rapidité.

Ceci tout en nous efforçant de construire une jurisprudence permettant de guider notre activité et de forger des repères utiles à l'avenir. Pour cela, l'activité s'est organisée selon les quatre priorités suivantes :

- Développer d'emblée une capacité à répondre aux demandes adressées à l'Agence en situation de crise afin de permettre aux Pouvoirs Publics de fonder leur décision sur une analyse scientifique des risques.

Cela a été le cas à de nombreuses reprises depuis un an, qu'il s'agisse, pour citer les plus connues, de la crise de la Dioxine, de la crise du Coca Cola, de la crise de l'ERIKA. A chaque fois, cela nous a conduits à rendre plusieurs avis successifs en essayant d'expliquer -en fonction des connaissances que nous avions au moment où la crise survenait, en fonction des premières données qui nous étaient transmises- les premiers éléments d'évaluation du risque et à préciser les choses dans des avis ultérieurs -lorsque je dis ultérieurs cela peut être la semaine suivante ou le mois suivant- pour permettre de prendre des mesures proportionnées.

- Harmoniser les conditions dans lesquelles étaient produits les avis. Sur les neuf premiers mois de 1999, 180 avis ont été rendus par l'Agence, dont deux tiers au titre des instances préexistantes dont nous assurons le secrétariat, et un tiers dans les conditions nouvelles de saisine de l'Agence.

Nous avons rendu ces avis en nous efforçant de satisfaire aux exigences de la loi, c'est-à-dire mettre en place une rationalisation de l'expertise afin de créer, d'ici l'été, les nouveaux comités d'experts spécialisés qui se substitueront aux anciennes commissions. A la lumière d'un an d'expérience, nous avons pu voir quels pouvaient être les avantages et inconvénients des différentes formules, avec des comités très hétérogènes dans leur composition, leur mode de fonctionnement, leur mode de saisine, etc.

- Pouvoir mener des travaux de fond au-delà des réponses ponctuelles. C'est le cas de travaux qui s'étalent sur huit mois ou un an, comme ceux sur l'évaluation de l'ensemble des risques sur la filière alimentation animale, comme le travail sur les apports nutritionnels conseillés, celui récemment rendu sur la listéria monocytogenèse, et les dix sujets que nous avons soumis à notre conseil scientifique pour être lancés en l'an 2000 et ceci en fonction des priorités sanitaires.

- Pouvoir définir des lignes directrices pour les travaux des laboratoires, qu'il s'agisse des axes thématiques à développer en relation avec les enjeux sanitaires actuels ou des conditions dans lesquelles les activités de ces laboratoires s'inscrivent dans un environnement nouveau.

Nous avons eu à coeur, dès la création de l'Agence, de faire de celle-ci, malgré l'origine diverse de ses compétences, un établissement unique fonctionnant comme tel avec des instances communes, avec des règles directrices communes et des modifications à apporter à des règles de partenariat. A côté de ces quatre priorités, il nous a fallu rendre publics tous les avis de l'Agence, ainsi que la loi l'exige.

Les premiers enseignements qui peuvent en être tirés sont peut-être les suivants :

- Le rassemblement, dans un même établissement, d'instances d'évaluation et de laboratoires est un atout très important pour assurer l'assise scientifique de l'Agence et développer sa capacité de veille et sa réactivité.

C'est aussi une source de difficultés, cela impose de nouvelles règles de fonctionnement mais nous nous apercevons, et en particulier dans les discussions que nous avons avec d'autres instances d'autres pays, de l'intérêt de pouvoir compter directement sur cette capacité d'expertise, d'appui technique et de recherche existant dans les laboratoires.

- Les procédures de transmission d'informations prévues par la loi sont essentielles pour que les travaux de l'Agence ne soient pas déconnectés des réalités de terrain.

A plusieurs reprises, nous nous sommes fondés sur des résultats d'enquêtes, des résultats d'inspections, dont nous avons tenu compte en plus des connaissances scientifiques, pour adapter telle ou telle date, telle ou telle recommandation, telle ou telle pratique qui, sinon, aurait fait l'impasse sur des difficultés qu'il pouvait y avoir dans l'application d'une réglementation.

- Il était important de mettre en chantier une réorganisation des comités d'experts. Lorsque les experts nous indiquent que le soutien qu'ils peuvent désormais avoir, que les relations qu'ils peuvent avoir avec les scientifiques de l'Agence leur permettent de mieux exercer leur fonction difficile, c'est pour nous un sujet de satisfaction.

- La publicité des travaux de l'Agence pratiquement en temps réel est un changement important pour l'ensemble des acteurs dans ce processus de démocratie sanitaire que vous avez évoqué tout à l'heure.

Je terminerai par les perspectives. L'Agence a été soumise à un rythme de travail particulièrement soutenu et nous ne nous attendons pas à bénéficier d'un répit dans les années qui viennent, mais nous pensons qu'à la lumière de ces premiers pas, nous pourrons renforcer notre fonctionnement avec trois perspectives principales qui sont pour nous autant d'exigences.

- La première est d'être capable d'anticiper les risques. Nous sommes dans un domaine où des risques nouveaux, des maladies nouvelles émergent, de nouveaux contaminants sont identifiés. Nous avons cité la vache folle tout à l'heure, mais il y a aussi certaines maladies moins connues comme la maladie amaigrissante du porcelet, l'entérocolite du lapin, la maladie de Borna : des interrogations s'élèvent concernant leurs conséquences éventuelles.

Il est essentiel de développer une méthodologie permettant à chaque fois, avec la même rigueur, de se poser des questions. Ces maladies sont-elles ou non transmissibles à l'homme ? Si elles l'étaient, les mesures que nous prenons pour éviter d'exposer l'homme par la voie alimentaire ou parfois par d'autres voies, sont-elles adaptées à une évolution des connaissances scientifiques qui irait dans le mauvais sens ?

Il nous faudra travailler, dans les mois qui viennent, dans ce domaine, tant par les axes de recherche en laboratoire que par les méthodes d'évaluation.

- La deuxième perspective est la nécessité de pouvoir maintenir une capacité à développer des travaux approfondis. Si nous voulons bien guider l'action des Pouvoirs Publics, il faut pouvoir lancer des réflexions de fond mettant en perspective les risques, les vulnérabilités, les enjeux.

Il n'y a aujourd'hui aucune situation de crise dans certains domaines où nous pensons qu'il faut quand même mettre à plat un certain nombre de sujets : c'est ce que nous faisons par exemple pour l'agriculture biologique, en nous disant que la situation est suffisamment précoce pour que l'on soit capable de faire une analyse objective. Si nous n'avions pas les moyens de mener ces travaux de fond, si tous les moyens étaient obérés par la réponse aux crises, nous serions revenus à la case départ.

- La troisième et dernière perspective consiste à se préparer au nouveau contexte communautaire et international. La silhouette de l'Autorité alimentaire européenne, telle qu'elle se dessine dans le Livre blanc de la Commission, présente de très nombreuses similitudes avec l'AFSSA. Celle-ci doit donc se préparer à pouvoir être l'un des piliers d'un système d'expertise fonctionnant en réseaux, et l'expérience que nous aurons acquise d'ici la mise en place de l'Agence ou de l'Autorité européenne sera très précieuse dans ce cadre.

Telles sont les principales remarques que je souhaitais faire. J'espère avoir clairement souligné que le système issu de la loi du 1 er juillet 1998 était porteur de changements réels et de nombreuses potentialités dans notre domaine.

L'Agence représente près de 800 personnes et des centaines d'experts qui se mobilisent pour mettre en oeuvre ce qui est écrit dans la loi.

M. LE PRÉSIDENT - Merci, Monsieur le Directeur Général. Je donne la parole à M. Philippe Duneton, Directeur Général de l'Agence Française de Sécurité Sanitaire des Produits de Santé.

B. AUDITION DE M. PHILIPPE DUNETON, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L'AGENCE FRANÇAISE DE SÉCURITÉ SANITAIRE DES PRODUITS DE SANTÉ (AFSSAPS)

M. Philippe DUNETON - Mesdames et Messieurs les Sénateurs, je voudrais en quelques mots rappeler le contexte de la création de l'AFSSAPS, puisque l'Agence Française de Sécurité Alimentaire a des particularités que n'a pas l'Agence Française de Sécurité Sanitaire des Produits de Santé, cette dernière ayant été bâtie sur les bases de l'Agence du Médicament. L'AFSSAPS a des compétences plus larges que l'AFSSA puisque, au-delà de l'évaluation du risque, elle a aussi en charge la gestion du risque, y compris le contrôle et l'inspection de l'ensemble des produits de santé.

Après avoir rappelé quelques éléments de l'environnement et du fonctionnement de l'Agence, je voudrais donner quelques éclairages en fonction des différents produits. Le sénateur Huriet m'a notamment invité à faire le point sur certains textes d'application de la loi.

Je parlerai d'orientations et de perspectives concernant la mise en place d'une organisation en termes de guichets, de points d'entrée, que j'ai mise en place au sein de l'Agence, et ensuite du contexte européen.

De façon très schématique, j'ai pris l'habitude de présenter l'Agence à partir de trois métiers plus un. Les trois métiers sont l'évaluation, les contrôles et l'inspection. Le quatrième est un moyen d'action, c'est un métier, j'y reviendrai lorsque je parlerai des vigilances : il concerne l'information, c'est-à-dire l'information à la fois ascendante et descendante chez les professionnels de santé, les professionnels industriels et évidemment au sein du public.

Mais sans vouloir faire du chiffre trois un chiffre clé de l'Agence, nous évoluons aussi dans un monde en trois dimensions :

- le premier est l'évaluation scientifique sur le plan du bénéfice/risque,

- le deuxième que l'Agence assure pour le médicament et prochainement pour ce qui concerne les dispositifs médicaux, est l'évaluation médico-économique avec à la fois l'évaluation du service médical rendu et la proposition du taux de remboursement,

- le troisième est évidemment indépendant de l'Agence puisqu'il concerne la prise de décision en la matière, qui relève de la compétence des ministres.

Sans trop entrer dans le détail des chiffres, je dirai que l'Agence compte 833 personnes, dont une centaine sur les dispositifs médicaux, qui exercent des métiers, d'évaluation, de contrôle et d'inspection ; c'est aussi un budget de 579 millions de francs , dont 40 % de subvention de l'Etat. Il faut savoir remarquer que l'accroissement des missions de l'Agence s'est fait par le biais de l'accroissement de la subvention de l'Etat, qui lui permet de prendre en charge les nouveaux produits entrant dans son champ de compétences. Il s'agit aussi de 15 commissions, et de plus de 1.000 experts qui contribuent à assurer l'évaluation interne sur la base d'une expertise externe proche du terrain et en particulier du milieu hospitalo-universitaire.

L'Agence s'est bâtie sur l'Agence du Médicament, c'est toujours une donnée importante à garder en mémoire. Je rappelle que, y compris au moment de la création de l'Agence, elle a continué et a accentué ses travaux dans le domaine des médicaments et d'autorisation de mise sur le marché, avec un point plus particulier concernant le développement des génériques, puisque c'est un axe très important de la politique du médicament du Gouvernement.

En particulier, nous avons établi un répertoire, bâti sur les principes de santé publique et ceux du droit de la substitution, comprenant 800 spécialités, dont 400 inscrites en 1999. En plus des évaluations, l'Agence a procédé au contrôle en laboratoire de l'ensemble des spécialités inscrites au répertoire, ceci était un des premiers objectifs pour 1999.

Un des points importants était bien sûr ce que j'ai évoqué sur l'évaluation médico-économique puisque nous allons réaliser, en moins d'un an, la réévaluation du service médical rendu de l'ensemble des spécialités inscrites au remboursement, c'est-à-dire 4.000 spécialités. Dans les prochaines semaines nous terminerons la deuxième vague qui représentera plus des trois quarts du travail qui restera à accomplir ; nous espérons terminer à la rentrée.

Pour revenir à des préoccupations de sécurité sanitaire, je voudrais rappeler le contexte concernant les dispositifs médicaux et rappeler quelques temps forts.

Comme je l'ai indiqué, les dispositifs entrent désormais dans le champ de compétences de l'Agence. L'Agence a bénéficié d'un transfert d'équipes qui étaient auparavant à la Direction des hôpitaux ; en effet, l'organisation et la sécurité reposent beaucoup sur des aspects de vigilance, donc de surveillance après la mise sur le marché.

En moins de cinq ans, la France a su, en matière de vigilance des dispositifs médicaux, rejoindre le plus haut niveau européen. Il y a eu le transfert des équipes, la création d'une inspection spécifique des dispositifs médicaux, la préparation et la mise en place de la nouvelle organisation.

Nous travaillons avec les industriels concernant les dispositifs d'alerte et, grâce au travail mené avec la Direction des hôpitaux, nous pouvons contacter en moins d'une heure l'ensemble des établissements publics de santé. Nous avons utilisé ces moyens dans le cadre du dispositif mis en place pour le passage à l'An 2000.

Mais il est clair que la diversité des types de dispositifs et des publics concernés, fait que nous avons un chantier, que nous espérons voir aboutir au cours de cette année, pour adapter les dispositifs d'alerte à cette diversité de nos publics.

La mise en place d'une commission spécifique est actuellement en cours et nous allons mettre en place une commission d'évaluation concernant le service médical rendu. Une troisième commission sera placée au sein de l'Agence et s'occupera plus spécifiquement de l'évaluation en termes de sécurité sanitaire et de contrôle du marché.

Avant même la mise en place de cette commission, qui est plutôt un groupe de travail, j'ai souhaité que nous travaillions plus précisément sur les dispositifs implantables qui sont parmi ceux qui posent le plus de problèmes, puisqu'ils sont à l'origine de 75 % des accidents sérieux. En particulier, des groupes d'évaluation seront mis en place sur les prothèses de hanches et les endoprothèses aortiques, des travaux sont d'ailleurs déjà en cours.

J'ai cité l'inspection, mais il y a aussi le contrôle des organismes notifiés qui sont contenus dans les directives européennes transposées en droit français ; l'inspection de l'organisme notifié français, le GEMED, est en cours actuellement. Tout cela sera réalisé et terminé dans quelques semaines.

De la même façon que pour les dispositifs médicaux, le secteur des réactifs de laboratoire a fait l'objet de différentes réévaluations. Nous travaillons, là encore, à regarder comment nous pouvons notifier un organisme pour prendre en charge et enregistrer, puisque la nouvelle directive entrera en application le 7 juin prochain.

L'approche française, qui a été très largement développée et défendue par le Sénat, consistait à tenir compte d'un certain nombre de particularités, de l'environnement européen, mais aussi à montrer qu'en matière de sécurité sanitaire, des avancées contenues dans la loi devaient être faites.

Cela m'amène à parler de deux textes qui sortiront prochainement, et qui feront l'objet d'une consultation auprès des professionnels et auprès de la Commission européenne, puisqu'il est vrai que les autres Etats membres étaient particulièrement "sourcilleux" sur cette approche française.

Le texte concernant les dispositifs à risques particuliers est prêt, il pourra être notifié à la Commission. J'avais donné consigne aux équipes en charge des dispositifs médicaux dans mon service, d'aller expliquer -ce qui a été fait plusieurs fois par mois depuis que l'Agence existe- que ces dispositions se situaient dans le cadre de l'approche communautaire, et qu'elles présentaient la particularité de prévoir une notification de trois mois avant la mise sur le marché de dispositifs particuliers. Elles constituent une mesure de vigilance, un facteur clef de sécurité et non pas une entrave à la mise sur le marché.

Autant il y avait beaucoup de scepticisme, de crainte vis-à-vis des dispositions prévues dans la loi de juillet 1998, autant maintenant je pense que la position française est mieux comprise, voire presque défendue, par la Commission. C'est un changement important et notable qui a été obtenu en quelques mois, il reste à passer à l'acte.

De la même manière, un autre décret important pourra être publié dans les toutes prochaines semaines concernant l'assurance qualité des dispositifs médicaux.

Cela n'épuise pas le débat parce que bien d'autres enjeux en matière de dispositifs médicaux sont devant nous. En particulier, vous connaissez tous les différences d'évaluation clinique qui existent entre le médicament et les dispositifs médicaux, ceci à juste titre, puisque la diversité des dispositifs donne lieu à des risques extrêmement diversifiés, ce qui pose un certain nombre de problèmes.

Par ailleurs, la Directive prévoit le contrôle des organismes notifiés. La France fait son travail, il faut s'assurer que, dans l'ensemble des autres Etats membres, le travail est fait de la même façon. Nous avons déjà eu des échanges avec les Etats membres et, dans le cadre de la présidence française, l'AFSSAPS a pris l'initiative d'organiser au mois de juillet à Paris une rencontre avec les Etats membres et la Commission sur les problèmes posés par l'évaluation clinique et le contrôle des organismes notifiés, point qui est un enjeu important auquel nous serons tous sensibles.

Je voudrais aussi parler d'autres produits. Je passerai sur les produits sanguins pour lesquels le transfert s'est fait au premier jour et s'est développé sans difficulté.

Cela m'amène aux produits biologiques, qui représentent une autre dimension importante de l'acuité de l'Agence, maintenant compétente pour exercer les missions d'évaluation, de surveillance et de contrôle. Nous avons organisé l'inspection des produits biologiques, mais nous nous sommes trouvés face à un certain nombre de difficultés quant à la prise des textes prévus par la loi de 1998.

Concernant les thérapies génique et cellulaire, qui faisaient déjà l'objet de dispositions législatives de 1996 reprises dans le cadre de la loi de 1998, nous avons réussi à préparer un texte d'application. Nous avons rencontré des difficultés sur la définition des différents types de produits, en particulier des produits cellulaires -puisqu'il y avait plusieurs définitions en fonction de leur origine- des produits sanguins, des produits placentaires et des produits issus de la moelle.

Peut-être faudra-t-il revoir la définition des produits mais, de mon point de vue, il n'est pas nécessaire d'attendre quoi que ce soit pour publier les textes d'application puisque nous avons désormais retenu une approche qui me paraît cohérente.

Malgré la gêne évidente résultant de l'absence des textes d'application de la loi, l'Agence s'en est préoccupée sans attendre.

D'une part, cela a permis d'éviter les dérives que nous avons pu constater sur le continent Nord américain et qui ont été rappelées par l'actualité le mois dernier et, d'autre part, cela a malgré tout permis de ne pas bloquer la recherche, comme en témoignent les avancées notables réalisées au cours des dernières semaines à Paris avec le professeur Fischer.

Je voudrais terminer sur l'inspection.

J'ai déjà évoqué l'inspection spécifique sur les produits biologiques et les dispositifs médicaux. Je voudrais citer un point concernant l'articulation de nos travaux avec ceux des autres administrations : nous avons ainsi été amenés à passer une convention avec la Direction Générale de la Consommation, de la Concurrence et de la Répression des Fraudes. Même si les frontières sont repoussées, elles existent toujours, il existe donc des interfaces dans nos champs de compétences pour lesquelles nous avons à travailler et à définir des procédures.

De la même façon, en matière d'inspection, nous avons travaillé avec les services déconcentrés du ministère de la Santé, et défini un programme d'inspection qui a été mis en oeuvre avec une circulaire dès le 11 mai 1999.

J'ai évoqué la mise en place de réseaux et de guichets, je citerais aussi la coordination des vigilances qui est très importante puisque nous avons huit vigilances différentes. Cela répond à un objectif de fonctionnement transversal de l'établissement, c'est-à-dire qu'à partir du moment où une question se pose, il faut être sûr que les mêmes décisions puissent être prises, le cas échéant, sur l'ensemble des produits concernés.

Un autre point important de cette coordination des vigilances est le point d'entrée avec les autres institutions et agences, en particulier l'AFSSA ; nous avons travaillé de façon concertée sur un certain nombre de projets.

Je terminerai en évoquant la future présidence française de l'Union européenne. J'ai rappelé l'importance, en matière de dispositifs médicaux, des enjeux qui s'attachent à la bonne compréhension et la bonne intervention concertée avec les autres Etats membres et la Commission. J'espère que les positions françaises qui sont répétées, qui traduisent la volonté du Parlement et du Gouvernement, seront reprises, en tout cas en Europe.

Dans le domaine du médicament aussi, il existe un enjeu important de la présidence française : le système d'enregistrement des médicaments doit en effet être révisé l'an prochain. Au cours de sa présidence, la France sera donc amenée à faire des propositions avec les autres Etats membres pour voir comment nous pouvons améliorer le système d'enregistrement européen, puisqu'il existe actuellement deux procédures, l'une centralisée avec l'Agence européenne à Londres et l'autre dite de reconnaissance mutuelle. De toute façon, les deux procédures sont basées sur l'expertise qui est faite par les différentes agences nationales.

Voilà en quelques mots un premier bilan de la mise en place de l'Agence Française de Sécurité Sanitaire des Produits de Santé.

M. LE PRÉSIDENT - Merci, Monsieur le Directeur Général. Je passe la parole à Jacques Drucker, Directeur Général de l'Institut de Veille Sanitaire.

C. AUDITION DE M. JACQUES DRUCKER, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L'INSTITUT DE VEILLE SANITAIRE (IVS)

M. Jacques DRUCKER - Mesdames, Messieurs les sénateurs, Mesdames, Messieurs, je souhaitais dans le cadre de cette audition publique faire le point avec vous, un an après la création de l'Institut de Veille Sanitaire, sur son organisation, son fonctionnement et les moyens dont il est doté.

Puis, nous aborderons bien entendu sa production au cours de cette année et enfin les enseignements que nous pouvons tirer de cette année de fonctionnement, sans complaisance, en insistant aussi sur les écueils, puisque c'est souvent très enrichissant pour l'avenir, et en dégageant les perspectives de développement de l'Institut.

Je rappelle pour mémoire que les décrets d'application de l'Institut de Veille Sanitaire sont sortis en mars 1999, et que, d'une façon générique, la mission de l'Institut de Veille Sanitaire est d'assurer la coordination de la surveillance et l'observation de la santé de la population française.

Vaste mission, avec deux priorités dans lesquelles nous sommes engagés de façon très active. La première est une finalité d'alerte et d'accompagnement, notamment des Pouvoirs Publics, dans la réponse à la survenue de menaces pour la santé publique. La seconde est de construire sur le long terme un outil de suivi épidémiologique permanent de l'état de santé de la population dans une perspective d'aide à la décision sur l'élaboration et l'adaptation des politiques de prévention.

L'Institut de Veille Sanitaire possède quelques originalités dans le dispositif de sécurité sanitaire. Premièrement, son approche est une approche par la population et non par les produits, c'est-à-dire que cet Institut est chargé d'ausculter la population française en permanence. Il s'agit en fait de mettre en place des systèmes de recueil d'informations sur les pathologies et les circonstances d'exposition de la population à certains déterminants de la santé.

La deuxième originalité est l'universalité du champ de compétences de cet Institut, puisque tous les secteurs de la santé publique lui sont ouverts sans restriction, quelle que soit la nature des risques sanitaires et quel que soit leur mode d'expression.

Enfin, le dernier point sur lequel je voulais insister, est, comme le prévoit le texte de loi, que l'Institut de Veille Sanitaire n'a pas vocation à être l'opérateur de tous les systèmes d'information, de tous les systèmes de surveillance qu'il coordonne, mais a vocation être un animateur, un coordonnateur et le chef d'orchestre d'un réseau national de santé publique autour des missions de veille sanitaire.

De par la nature de ses missions, les deux métiers principaux qui sont développés à l'Institut de Veille Sanitaire sont, d'une part, les métiers de l'épidémiologie d'intervention, tout ce qui tourne autour de l'expertise dans les systèmes de surveillance, l'expertise dans les investigations épidémiologiques, notamment en situation d'urgence, et d'autre part, là où la méthode épidémiologique n'est probablement pas la meilleure réponse pour évaluer certains problèmes de santé, tout ce qui tourne autour de l'évaluation quantitative des risques sanitaires, notamment en situation d'incertitude ou en situation de risque différé sur le long terme qu'il s'agit d'essayer de mieux cerner sans attendre des données de surveillance tardives.

Un mot sur ses moyens et la configuration de l'Institut de Veille Sanitaire : l'Institut de Veille Sanitaire dispose de 140 emplois permanents, ce qui est en augmentation de façon très substantielle par rapport à l'ancien Réseau National de Santé Publique puisque l'Institut de Veille Sanitaire a repris les missions de cet ancien Réseau national. Nous avons ainsi bénéficié de 40 emplois supplémentaires en l'an 2000, soit une augmentation de 40 % de nos ressources humaines par rapport à 1999.

Nous sommes dotés d'un budget de 115 millions de francs , dont 100 millions de francs proviennent d'une subvention de l'Etat et le reste essentiellement de contrats avec la Commission européenne. Là encore, la subvention de l'Etat a été augmentée de 30 % en 2000 par rapport à la dotation de 1999.

Comment est organisé l'Institut de Veille Sanitaire ?

A proprement parler, il faut le concevoir comme une tête de réseau. Cette tête de réseau est située à Saint-Maurice et est organisée en six départements. Depuis la création de l'Institut de Veille Sanitaire, par rapport à la situation du Réseau National de Santé Publique, nous avons eu la possibilité d'ouvrir trois nouveaux départements. Ces six départements sont les suivants :

- un département des maladies infectieuses chargé de la surveillance des maladies du même nom,

- un département santé/environnement qui surveille et évalue les risques d'origine environnementale,

- un département santé/travail, qui est l'un des nouveaux départements qui s'est ouvert depuis la création de l'Institut de Veille Sanitaire, chargé de surveiller les risques d'origine professionnelle,

- un département d'ouverture récente, que nous appelons le département des maladies chroniques et des traumatismes, chargé de développer sur le long terme un système d'information sur les maladies chroniques et les problèmes d'origine accidentelle,

- enfin, deux derniers départements qui sont des départements en soutien aux départements précédents. L'un s'appelle le service des systèmes d'information qui est un peu le système nerveux de l'Institut de Veille Sanitaire, et l'autre est un département international qui aujourd'hui accueille -j'y reviendrai tout à l'heure- un certain nombre de projets européens, dont la coordination a été confiée à l'Institut de Veille Sanitaire par la Commission européenne.

Nous nous sommes attachés depuis un an à structurer, à commencer à développer le futur Réseau National de Veille Sanitaire que doit animer l'Institut. Le premier maillage de ce réseau s'appuie sur l'héritage du Réseau National de Santé Publique et, en particulier, sur les cellules inter-régionales d'épidémiologie qui sont des petites structures techniques venant en relais de l'action de l'Institut de Veille Sanitaire et permettant de mieux prendre en compte les spécificités régionales en matière de veille sanitaire. Aujourd'hui, il existe neuf de ces cellules avec, dans chacune, deux agents scientifiques : un médecin de santé publique et un ingénieur du génie sanitaire.

Puis, nous nous sommes attachés à développer progressivement et à formaliser des partenariats avec les institutions, les organismes, voire les professionnels de santé qui, chacun à leur niveau, sont susceptibles de contribuer aux missions de veille sanitaire.

Certains de ces partenariats sont déjà très opérationnels, bien entendu, je le rappelle pour mémoire, parce qu'ils l'étaient déjà dans le cadre du Réseau National de Santé Publique, notamment avec les partenariats avec les services déconcentrés, avec les DDASS qui sont nos interlocuteurs de première ligne sur les missions d'intervention. Nous avons aussi signé un accord de coopération avec l'INSERM, qui nous permet d'avoir une collaboration pérenne sur les statistiques de mortalité gérées par l'INSERM et de développer progressivement tout un programme de veille scientifique prospective sur les risques sanitaires.

Nous avons également un accord de partenariat avec le réseau des Observatoires Régionaux de Santé et avec les registres de morbidité, en particulier les registres de cancer. Parmi les partenariats en cours, nous avons un accord en voie de finalisation avec l'INRS sur les problèmes de risques au travail, avec le réseau des centres de coordination de la lutte contre les infections nosocomiales et avec le réseau de toxicovigilance des centres antipoison.

Enfin, des partenariats sont à l'étude, car un peu plus complexes, avec notamment le tissu hospitalier français. Nous étudions en particulier la possibilité, la faisabilité, d'exploiter le PMSI, le Programme de Médicalisation des Systèmes d'Information, à des fins épidémiologiques.

Nous avons enfin approché les organismes de protection sociale, notamment la CNAM, pour étudier de la même façon la faisabilité d'utiliser à des fins de surveillance des données comme, par exemple, la base de données des affections de longue durée.

Bien entendu, il est hors de mon propos de faire la liste exhaustive des programmes en cours, je distinguerai seulement deux éléments : l'alerte, d'une part, et les programmes de surveillance, d'autre part.

Nous pouvons dire que le bilan concernant la mission d'alerte de l'Institut de Veille Sanitaire est aujourd'hui honorable. Nous disposons, notamment dans le domaine de l'alerte vis-à-vis des maladies infectieuses, du dispositif probablement le plus performant en Europe. J'en veux pour preuve les nombreux stagiaires que nos collègues des institutions européennes nous adressent depuis quelques mois. Nous avons un dispositif qui fonctionne, pas uniquement grâce à l'Institut de Veille Sanitaire, mais parce que le dispositif est devenu très performant, en particulier sur les aspects épidémiologiques coordonnés par l'Institut de Veille Sanitaire.

Nous répondons, si ce n'est quotidiennement mais de façon hebdomadaire, à des sollicitations des DDASS sur des alertes locales ; nous sommes aussi intervenus à de nombreuses reprises sur des épidémies ou des menaces de dimension nationale comme trois épidémies de listériose, deux épidémies de légionellose, plusieurs épidémies de méningite, et nous sommes intervenus à notre niveau dans le dossier de l'affaire du Coca-Cola, il y a quelques mois, et plus récemment dans le dossier de l'ERIKA.

L'alerte est un domaine en pleine expansion, il consomme aujourd'hui à l'Institut de Veille Sanitaire un tiers des ressources humaines du département des maladies infectieuses et du département santé environnement. C'est un de nos enjeux de le renforcer, de le structurer pour répondre à une demande de plus en plus croissante dans ce domaine.

Sur les aspects de surveillance, nous gérons le système de surveillance des maladies à déclaration obligatoire. Nous mettons en place un système national de surveillance de l'hépatite C en collaboration avec les pôles de référence hospitaliers sur cette thématique. Nous avons renforcé ce qui avait été amorcé par le Réseau National de Santé Publique, un réseau de surveillance des effets de la pollution atmosphérique sur la santé dans neuf grandes agglomérations françaises. Nous avons également mis en place, depuis un an, un réseau national de surveillance des effets de l'amiante sur la santé, en particulier du mésotéliome, en liaison avec de nombreux partenaires.

Puis, nous mettons en place ou nous renforçons des réseaux avec les professionnels de santé, réseaux dits sentinelles, avec la médecine générale, avec la médecine du travail, et des réseaux de médecins hospitaliers. L'activité de structuration du futur réseau national de veille sanitaire se développe de façon normale et efficace.

Sur l'aspect des enseignements et des écueils que nous rencontrons dans la mise en place des missions de l'Institut de Veille Sanitaire, concernant l'alerte les choses se sont bien structurées. Le dispositif d'alerte sera complet lorsque le décret sur les conditions d'accès aux informations couvertes par le secret médical ou industriel qu'a prévu la loi du 1 er juillet 1998 sera publié : ce n'est pas encore le cas, ce décret étant en cours d'élaboration.

S'agissant des missions d'observation ou de surveillance épidémiologique, nous avons rencontré quelques difficultés du fait de l'interruption de la remontée nationale des déclarations obligatoires liée à un mouvement social des médecins inspecteurs de santé. Ce mouvement est terminé depuis quelques jours, mais cela nous oblige maintenant à rattraper le retard. Cependant, l'information n'est pas perdue, nous sommes actuellement en train de rattraper les données de l'année 1999 dans les déclarations obligatoires.

S'agissant de cette déclaration obligatoire, vous êtes sans doute aussi informés des difficultés que nous avons rencontrées avec le nouveau décret, relatives à la transmission aux autorités sanitaires des informations liées à la déclaration obligatoire. Certaines associations se sont en effet inquiétées de la compatibilité entre ce décret et la protection des libertés individuelles. Il est actuellement procédé au réexamen de la compatibilité entre la rédaction de ce décret et ce qui est prévu dans le dispositif législatif en matière de protection de l'anonymat.

Concernant la structuration des autres partenariats, nous rencontrons certaines difficultés qui sont de nature différente. D'abord, il faut rappeler que la culture de santé publique dans ce pays est relativement récente et que beaucoup d'organismes, d'institutions, voire des professionnels de santé, n'ont pas inscrit dans leurs priorités la contribution à des missions de santé publique.

Par exemple, lorsque nous travaillons avec des laboratoires de recherche en toxicologie ou en microbiologie sur des missions d'alerte, la réactivité ou les exigences liées à ces missions de santé publique ne sont pas toujours inscrites dans leurs priorités du fait même de la nature de leurs missions de laboratoires de recherche.

Je rappelle que la France est le seul pays en Europe à ne pas avoir de laboratoire national de santé publique. C'est un écueil qui, jusqu'à présent, n'a pas à mon sens de conséquences importantes parce que nous compensons, en formalisant des partenariats entre des structures d'épidémiologie et des structures de laboratoires. D'une autre façon, je pense qu'inscrire des missions de santé publique en tant que telles au sein d'un certain nombre de laboratoires est une réflexion à mener dans l'avenir.

De même, nous rencontrons une autre difficulté sur la nécessité de renforcer les moyens de certains outils sur lesquels nous nous reposons pour les missions de veille sanitaire, je parle en particulier des registres de morbidité, des registres de cancer qui sont des outils de recherche, des outils de santé publique et de surveillance.

S'agissant du cancer, on estime aujourd'hui -c'est une estimation faite dans le cadre du comité national des registres- qu'il faudrait doter ces registres de 15 millions de francs par an pour assurer un fonctionnement pérenne des missions de surveillance du cancer. Aujourd'hui la dotation qui leur est octroyée par l'Institut de Veille Sanitaire ou l'INSERM est à hauteur de 5 millions de francs. Il y a un déficit à combler et nous demandons de plus en plus à un certain nombre d'organismes et d'institutions de contribuer aux missions de veille sanitaire.

Autre point, celui de la coordination avec les autres agences. Cette coordination fonctionne, notamment en situation d'alerte. Elle a aussi commencé à fonctionner sur des dossiers de plus long terme. C'est pourquoi, nous avons une collaboration avec l'AFSSAPS sur l'exploitation commune des données d'hémovigilance dans une perspective de veille sanitaire et un projet en commun avec l'AFSSA sur l'étude de la morbidité et de la mortalité d'origine alimentaire.

Je voudrais, pour terminer ce bilan sur les programmes, dire un mot de la dimension internationale de notre action qui est devenue assez importante, notamment en Europe. L'Institut de Veille Sanitaire coordonne un certain nombre de projets stratégiques de la Communauté européenne. Par exemple, nous assurons la coordination pour toute l'Europe de la surveillance épidémiologique du SIDA et de l'infection par le VIH et nous avons la même mission pour l'Europe concernant la surveillance de la tuberculose. Je ne parle pas ici de l'Europe communautaire, mais de la région Europe de l'OMS, cela concerne la coordination de cinquante pays.

Nous assurons également pour la Commission européenne la publication d'un bulletin épidémiologique mensuel sur les maladies transmissibles et nous coordonnons un programme assez ambitieux de formation à l'épidémiologie d'intervention des futurs cadres des instituts équivalents au nôtre dans les autres pays européens. Il sera d'ailleurs intéressant d'écouter M. Byrne à ce sujet, en fin d'après-midi.

Nous sommes préoccupés par les difficultés rencontrées pour mettre en place le réseau européen de surveillance des maladies transmissibles, créé en 1999. Il rencontre en effet des difficultés de " décollage ", notamment concernant ses ressources.

En conclusion, le bilan à un an est plus qu'honorable : l'Institut de Veille Sanitaire a consolidé les acquis du Réseau National de Santé Publique, ouvert de nouveaux chantiers correspondants à ses nouvelles missions, fait un inventaire de l'expertise, évalué les besoins et la faisabilité des nouveaux systèmes qu'elle doit développer et repéré un certain nombre d'écueils et de lacunes à combler.

Concernant les perspectives, aujourd'hui l'Institut de Veille Sanitaire est en train d'élaborer un contrat d'objectifs et de moyens avec l'Etat qui doit permettre de couvrir son développement sur les trois prochaines années, 2001 à 2003, autour de deux axes principaux : d'une part consolider l'expertise et la réactivité du dispositif d'alerte et de réponse à ces alertes, et d'autre part développer une capacité d'analyse, d'anticipation et de prévision qui est nécessaire pour accompagner et étayer les politiques publiques de santé.

M. LE PRÉSIDENT - Merci, Monsieur le Directeur Général. Je suis saisi de plusieurs questions qui s'adressent aux trois intervenants que nous venons d'entendre.

M. Charles DESCOURS - Ma première remarque s'adresse à M. Hirsch. Monsieur le Directeur Général, le législateur a créé des agences non seulement pour informer le Gouvernement et le conseiller, mais aussi pour informer le Parlement et l'opinion. Nous ne voulons pas qu'elles soient des agences gouvernementales, c'est bien clair. Nous souhaitons que vous soyez indépendants du Gouvernement et vous l'êtes. Vous informez le Gouvernement pour qu'il prenne ses décisions mais vous êtes aussi là pour informer l'opinion et le Parlement comme le FDA le fait aux Etats-Unis, et c'est ce qui donnera du poids à vos décisions.

Par ailleurs, vous êtes-vous interrogé sur l'attitude à avoir vis-à-vis des OGM et notamment sur le colza transgénique qui vient d'être planté par erreur ? Vous êtes-vous interrogé pour savoir s'il faut l'arracher ou non ?

Le Conseil National d'Alimentation vient d'être réactivé ; comment fonctionne-t-il avec vous ?

Nous ne voudrions pas que l'on recommence à créer des agences parallèles, surtout lorsque l'on connaît les réticences du ministère de d'Agriculture à créer l'AFSSA. Nous ne voudrions pas que ce que nous avons obtenu d'un côté soit détruit de l'autre et que, comme malheureusement trop souvent, les décrets viennent annuler ce qu'a voulu le législateur.

Monsieur Duneton, vous n'avez pas parlé du contrôle des allégations santé des aliments. Pourriez-vous nous en dire quelques mots ?

Dernière question à M. Drucker. Vous avez beaucoup parlé de réseaux et des difficultés que vous aviez à fonctionner en réseau. Bravo pour ce que vous avez fait, c'était ce que nous souhaitions, cependant vous n'avez pas dit un mot de la médecine scolaire. Cela fonctionne-t-il ou non ?

Travaillez-vous sur les maladies iatrogènes et les infections nosocomiales ?

M. Claude HURIET - A propos de l'Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments, je voulais interroger le Directeur Général sur le rattachement des laboratoires prévu à l'article L. 794-1 de la loi. A notre connaissance, il y a quelques lourdeurs auxquelles nous nous attendions, mais j'aimerais savoir si nous sommes en passe de réussir.

Ma deuxième question concerne le CNEVA quant à son mode de financement à travers des partenaires industriels, d'autant plus que le CNEVA garde ses attributions premières en matière de recherche. Il m'a été dit dernièrement que le CNEVA n'avait pas changé et que le fait de l'avoir mis dans l'AFSSA n'était qu'une sorte d'illusion, que l'on avait changé l'enveloppe mais que cela n'avait pas modifié l'exercice de ses missions. Pouvez-vous nous éclairer sur ce point ?

Concernant l'évolution de l'AFSSA, vous savez combien nous avons été seulement partiellement satisfaits de voir reconnues à l'Agence les seules attributions en matière d'évaluation du risque, à l'exclusion de tout pouvoir de gestion. J'ai eu connaissance d'un article publié récemment dans un grand journal du soir où je lis : " les derniers avis du Comité Dormont commencent à poser une sérieuse difficulté aux responsables gouvernementaux. "

Je lis la conclusion que je fais mienne sous forme interrogative : " du côté du ministère de l'Agriculture on redoute clairement qu'une réponse favorable aux propositions du Comité Dormont ne bouleverse l'équilibre entre analyse et gestion du risque, les différentes administrations concernées risquant de perdre une partie de leurs pouvoirs au profit de l'AFSSA et de fait du Comité Dormont. " Je souscris aux interrogations du journaliste et j'aimerais que vous puissiez apporter des éléments de réponse.

Concernant les évolutions en cours, je voudrais citer des propos récents du Premier ministre : " le Premier ministre a notamment souhaité la création d'une autorité alimentaire indépendante en Europe ". Sait-on si cette autorité alimentaire aura exclusivement les pouvoirs d'évaluation ou si, en tant qu'autorité, elle aura également un pouvoir de gestion, ce qui rejoint mes observations précédentes ?

Pour l'AFSSAPS, j'ai une question concernant les conséquences du transfert de l'Etablissement Français du Sang à Lille. Vous avez parlé de transfert de la partie évaluation de feu l'Agence Française du Sang dans l'AFSSAPS, tant mieux, c'est ce que nous avons voulu, mais je parle d'un transfert géographique. Est-ce un élément qui peut ajouter aux difficultés de fonctionnement ou non ?

Vous avez évoqué quelques-uns des textes réglementaires qui sont en attente, êtes-vous étroitement associés à leur élaboration ?

Concernant l'Institut de Veille Sanitaire, j'ai très peu de questions. Dans les missions et les moyens à travers le réseau qui s'est mis en place, conformément à la volonté du législateur, vous avez parlé du département santé/travail, vous avez aussi parlé d'une mission de surveillance de l'impact sanitaire des pollutions. Je suis amené, encore plus que je ne l'ai fait auparavant, à vous écouter sur l'apport susceptible de résulter de la création d'une Agence de Sécurité Sanitaire Environnementale qui, elle aussi, d'après le texte adopté par l'Assemblée nationale, aurait cette mission concernant la santé au travail et la mission de surveillance des effets sanitaires des pollutions.

M. François AUTAIN - Une question s'adresse à M. le Directeur de l'AFSSA et une autre à M. le Directeur de l'AFSSAPS. Ces deux questions me sont soufflées par l'actualité.

Ce matin, j'ai appris que le Gouvernement allait dédommager les personnes qui ont été victimes de la vaccination anti-hépatite B. Aujourd'hui, les experts ont-ils établi un lien de causalité entre la vaccination anti-hépatite B et la sclérose en plaques ?

Les juges, quant à eux, s'étaient déterminés en faveur de cette relation. Les experts disent qu'il n'y a pas de relation de cause à effet, mais la justice dit le contraire. Je voulais savoir ce qu'il en était, non pas que je veuille opposer la justice aux experts car la justice est indépendante, mais si les experts ont établi une position de cause à effet cela pourrait expliquer la modification de la position du Gouvernement.

Ma deuxième question concerne les nitrates. Il est établi depuis très longtemps que la consommation de nitrates est inoffensive chez l'homme sans limitation de dose. C'est compréhensible puisque la dose qui a été fixée arbitrairement en 1980 par la Commission européenne, d'ailleurs sans qu'aucune étude scientifique ne soit citée pour justifier cette limite, est de 50 mg par litre d'eau.

Je voudrais connaître la position de l'Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments concernant ce problème des nitrates et savoir s'il fallait continuer à imposer une limitation qui n'est pas justifiée, d'autant plus que l'on préconise la consommation de laitues, de betteraves, d'épinards qui en comportent beaucoup plus, puisqu'il y a 2.000 mg par kilo de betteraves. Il y a là une contradiction, 50 mg par litre et 2.000 mg par kilo, où est la cohérence ?

M. LE PRÉSIDENT - Je propose que les intervenants répondent à cette première série de questions.

M. Martin HIRSCH - M. Descours a eu raison de souligner que la loi prévoit que l'Agence conseille le Gouvernement et que son rôle d'information est plus large. Je peux l'assurer qu'il n'y a jamais eu d'obstacle pendant cette année à l'émission d'un quelconque avis de l'Agence, même lorsque ces avis étaient difficiles.

Vis-à-vis des OGM, le fait de savoir si nous arrachons ou pas est une question qui ne nous concerne pas : nous ne sommes concernés que si tel ou tel produit est ensuite introduit dans l'alimentation, ce qui n'est pas à l'ordre du jour, et nous n'avons d'ailleurs pas été saisis sur ce point particulier.

Le Conseil National de l'Alimentation a été renommé sur le fondement des textes qui préexistaient, c'est une instance de concertation dans laquelle nous trouvons des représentants des consommateurs, des représentants des industriels, des représentants de différents milieux socio-économiques, qui permet une concertation plus large sur les problèmes de politique de l'alimentation et dans des conditions bien distinctes du rôle scientifique que constitue l'Agence.

Concernant les questions de rattachement des laboratoires, par rapport à ce que la loi a prévu, a eu lieu ultérieurement l'intégration d'un laboratoire qui est le laboratoire d'hydrologie. Celui-ci dépend du ministère de la Santé. Des instances peuvent aussi être assimilées à des laboratoires, comme l'Observatoire des Consommations Alimentaires ou le Centre National d'Etudes et de Recherches ; en revanche, il n'y a pas eu d'autres réflexions à ce stade sur la façon dont évolueraient les relations entre des laboratoires d'Etat et l'Agence.

Le CNEVA a été intégré dans l'Agence, il n'existe plus. Nous avons eu le souci de ne pas déstabiliser des laboratoires qui rendaient un certain nombre de services essentiels, en particulier dans le domaine sanitaire, tout en les faisant évoluer. Leur mode de fonctionnement actuel a été beaucoup influencé par leur intégration dans l'Agence ; nous avons complètement revu la liste et les conditions des partenariats pour garantir l'indépendance de leurs travaux. Nous avons aussi défini des thématiques prioritaires pour que ces travaux s'inscrivent de plus en plus dans des problématiques liées aux besoins issus d'évaluations, sans pour autant qu'ils perdent leurs caractéristiques, lorsqu'ils font par exemple de la santé animale et qu'ils sont les seuls à rendre ces services. Nous ne pouvons pas nous déposséder de cette capacité. Une évolution s'est faite de manière résolue depuis le départ, sans remise en cause.

Sur l'ESB, ce serait mentir que de dire qu'il n'y a pas de difficulté, c'est le dossier le plus difficile que nous ayons à traiter. Le Gouvernement nous a saisis systématiquement, soit sur des points ponctuels, soit plus largement sur une demande de réévaluation. A l'issue de ces travaux, beaucoup de choses ont effectivement été modifiées sur le fondement des travaux scientifiques.

Je ne reviens pas sur l'embargo qui est un élément que tout le monde a à l'esprit, mais c'est dans ces conditions que les règles d'abattage des bovins ont été modifiées, c'est dans ces conditions que la liste des matériaux à risque est actualisée, c'est aussi dans ces conditions qu'un programme de test a été mis en place, sur recommandation des experts du comité présidé avec beaucoup de talent par le professeur Dormont, dans des conditions beaucoup plus rigoureuses que le programme de base imposé à chacun des Etats.

Certains avis sont difficiles à élaborer, peut-être parfois difficiles à suivre, mais, depuis un an, énormément de changements ont été mis en oeuvre sur le fondement de recommandations scientifiques. L'autorité européenne aurait, telle qu'elle est aujourd'hui esquissée, le même type de compétences que l'AFSSA, elle n'aurait pas de compétences de réglementation ou d'inspection.

Concernant les nitrates, je ne pourrai pas répondre à M. Autain. Vous m'avez demandé, Monsieur le Ministre, quelle était la position de l'Agence, elle n'a pas de position à ce stade. Lorsque l'Agence a une position, c'est qu'une commission scientifique a évalué les risques spécifiquement liés à telle ou telle chose. Nous lançons un travail sur tous les effets des épandages, d'autres études vont aussi être lancées ; nous ne remettons pas en cause telle ou telle norme de manière superficielle.

Cela fait partie des domaines dans lesquels des travaux seront poursuivis afin de savoir quelles sont effectivement les données toxicologiques les plus récentes permettant ou non de confirmer ce qui a été établi par précaution il y a quelques années. Il y a des divergences d'appréciation dans les milieux scientifiques entre le risque réel pour l'homme et les taux recommandés, pour les nitrates comme pour les dizaines ou centaines de molécules que nous pouvons trouver dans les différents milieux et en particulier dans les eaux d'alimentation.

M. Philippe DUNETON - La question difficile des allégations santé renvoie à l'interrogation concernant les possibilités réelles d'action à la suite du dépôt a priori exigé pour un certain nombre de matières, qui n'est pas fait systématiquement : il faudrait peut-être mieux contrôler a posteriori.

Par ailleurs, cela pose la question du type de produit. Nous sommes habitués à contrôler et nous sommes parfois saisis par la DGCCRF ou par les associations de consommateurs. Cela fait partie des actions " frontière " que nous sommes amenés à engager.

Le fait que, à ma connaissance, un transfert d'une partie du Conseil Supérieur d'Hygiène Publique de France soit prévu dans les groupes d'experts évoqués par M. Hirsch -de ce fait cette question sera reprise en concertation avec les agences- est la meilleure façon d'aborder ce sujet.

Concernant le transfert de l'Etablissement Français du Sang à Lille, il n'est pas de ma compétence de porter une appréciation sur le transfert des Etablissements Publics dans telle ou telle ville. Je peux constater, en revanche, que je suis chargé du contrôle et de l'inspection de 14 établissements régionaux ; peu me chaut la tête, je contrôle tous ses membres.

Concernant la vaccination anti-hépatite B, le rapport des experts est disponible sur notre site Internet. Cette question avait été traitée dans le cadre de l'Agence du Médicament, elle a été reprise par un groupe d'experts internationaux qui a conclu qu'il n'y avait pas de lien de causalité établi à ce jour, même si -je n'entre pas dans le calcul statistique- nous ne pouvons exclure formellement de lien dans une petite catégorie de la population qui n'est pas identifiable.

Les indemnisations évoquées concernent l'indemnisation des agents de l'Etat soumis à une vaccination obligatoire. Ce n'est pas la première fois que ce type d'indemnisation a lieu, cela a été repris par une commission spécifique mais je ne peux pas commenter des décisions qui sont au-delà de la sécurité sanitaire.

M. Jacques DRUCKER - Concernant la médecine scolaire, nous avons amorcé une collaboration en liaison avec la Direction de la Recherche, des Etudes et des Statistiques du ministère de la Santé, sous la forme d'enquêtes ponctuelles sur des sujets spécifiques comme par exemple, le statut vaccinal des enfants à l'âge de 6 ans et de 11 ans, ainsi qu'une enquête qui démarre sur l'obésité de l'enfant.

Nous espérons à plus long terme, comme nous l'avons fait avec d'autres institutions, formaliser un partenariat pérenne avec les établissements scolaires, qui rencontrera probablement l'écueil qui résulte des moyens limités dont dispose la santé scolaire, notamment pour participer à des missions de veille sanitaire. En tout cas, les passerelles ont commencé à s'établir.

Nous avons investi le domaine des infections nosocomiales, surtout dans les situations d'alerte. Nous sommes intervenus sur l'affaire de la Clinique du sport, sur des problèmes de foyers d'infection nosocomiaux par l'hépatite C, nous sommes membres du Comité Technique des infections nosocomiales, nous participons à l'élaboration du texte sur le signalement des infections nosocomiales, et un projet devrait être finalisé d'ici quelques semaines pour assurer la coordination du réseau et des centres de coordination de la lutte contre les infections nosocomiales. Nous n'avons pas investi aujourd'hui la surveillance des risques iatrogènes en dehors des infections nosocomiales.

Vous avez posé une question sur les missions de l'Institut de Veille Sanitaire dans le domaine santé/travail et environnemental et vous avez demandé comment elles pourraient s'articuler avec la future Agence. Je pense que, dans ce domaine comme dans d'autres, la mission universelle de l'Institut de Veille Sanitaire est d'assurer une surveillance épidémiologique ou d'évaluer des risques dans la population, mais nous n'avons pas, au sein de l'Institut de Veille Sanitaire, d'expertises sur la mesure des polluants environnementaux ni sur la toxicologie.

Nous ne savons pas avec certitude quels seront la configuration et le périmètre des missions de l'Agence de l'Environnement mais il est envisageable d'avoir entre l'Institut de Veille Sanitaire et la future Agence de l'Environnement les mêmes relations que celles développées de façon plus limitée avec l'INERIS dans le cadre du dossier ERIKA où la complémentarité des expertises entre l'épidémiologie, la modélisation et la toxicologie a bien fonctionné. Tout dépend de la configuration de cette future agence.

M. LE PRÉSIDENT - Nous abordons une deuxième série de questions.

M. Serge FRANCHIS - Monsieur Drucker, vous avez évoqué ces départements de santé dans l'environnement, dans le cadre de traumatismes, de maladies chroniques etc. ; le domaine de la santé psychique entre-t-il dans ces compétences et avez-vous l'intention de développer le suivi en la matière ?

M. Francis GIRAUD - Vous me permettrez une réflexion d'ordre général. Je suis impressionné par les dispositifs que vous venez d'évoquer, des milliers d'experts, des laboratoires, des relations avec l'INSERM etc., et je pense que mes questions vont partir de cette réflexion d'ordre général.

Tout d'abord, existe-t-il entre ces organismes des relations institutionnelles précises, ou bien simplement des relations de travail ?

Vous fonctionnez avec des partenaires variés dans la recherche, dans le monde de la santé, en ville ou avec les hospitaliers. Pensez-vous que ces relations avec vos partenaires sont satisfaisantes ou faudrait-il essayer de les améliorer ?

La répartition sur le territoire national des moyens de la surveillance sanitaire est-elle équitable ou pensez-vous que les grands centres, les grandes régions sont au coeur du dispositif et que peut-être certains territoires ne bénéficient pas d'une surveillance aussi efficace que les grandes régions ?

Enfin, quel dommage, Monsieur le Président, que tous ces dispositifs admirables, auxquels s'ajoutent la Conférence Nationale de Santé, le Haut Comité de la Santé Publique, ne mènent pas à une réelle politique de santé ! Voilà un pays qui a tous les ingrédients pour définir une politique de santé formidable, et qui n'arrive pas à en " accoucher " dans ses termes...

L'un d'entre vous a dit qu'en France les médecins n'avaient pas une forte culture de santé publique : c'est tout à fait vrai, nous n'avons pas été formés comme cela. Pourtant, nous qui sommes des législateurs et des élus, sommes intéressés par la santé publique et nous souhaiterions que la coordination entre ces agences et ces comités puisse permettre une véritable politique de santé publique, en particulier centrée sur la prévention.

Mme Marie-Claude BEAUDEAU - Vous nous avez dit tout à l'heure, Monsieur Drucker, que l'une des missions de l'Institut de Veille Sanitaire était la surveillance des risques professionnels, et vous avez cité le département santé/travail.

A la suite du dossier de l'amiante, on voit bien qu'il y a un problème d'interface entre la connaissance scientifique et l'action. Nous savons que l'amiante est cancérigène, nous savons aussi que c'est le cas, entre autres, des éthers de glycol. Je souhaiterais savoir comment on poursuit et comment on arrête certaines choses.

Par ailleurs, vous nous dites que vous avez obtenu cette année 40 postes supplémentaires : j'ai une question très précise à ce sujet. Je note que l'Etat met à votre disposition 100 millions de francs, cela me semble dérisoire au vu de ce que réalise l'Institut et nous aurons très certainement en tant que législateurs un rôle à jouer au moment de la loi de financement de la Sécurité Sociale, mais aussi au moment du vote du budget.

Dans les 40 postes supplémentaires, combien de postes iront à l'Institut de Veille Sanitaire pour le département santé/travail ?

M. François AUTAIN - Je souhaiterais formuler deux questions complémentaires. Ma première question concerne l'activité du Comité National de la Sécurité Sanitaire. J'ai lu dans un rapport sur la création d'une Agence de Sécurité Sanitaire Environnementale, qui émane de l'Assemblée nationale, que le Directeur Général de la santé publique, qui dirige les travaux de ce comité, avait considéré que, pour les missions à moyen terme, le Comité pouvait assumer normalement ses fonctions, mais qu'en situation de crise, sa mission ne pouvait être assurée de façon satisfaisante. Etes-vous du même avis ou pensez-vous que le Directeur Général de la santé se trompe ?

Ma deuxième question concerne le problème de l'expertise. C'est une singularité hexagonale, le nombre d'instances d'expertise est inversement proportionnel au nombre d'experts, ce qui fait que, dans notre pays, les experts sont amenés à donner des avis qui sont souvent les mêmes puisque, siégeant dans une instance, ils ne vont pas émettre un avis différent dans une autre instance.

Je me suis amusé à relever le nombre d'instances d'expertise qui existaient dans votre domaine, Monsieur Hirsch, et j'en ai dénombré dix :

- le Conseil Supérieur d'Hygiène Publique,

- la Commission d'Etude des Produits destinés à une Alimentation Particulière,

- la Commission Interministérielle et Professionnelle de l'Alimentation Animale,

- la Commission de Technologie Alimentaire,

- le Centre National d'Etudes et de Recommandations sur la Nutrition et l'Alimentation,

- l'Observatoire des Consommations Alimentaires,

- le Visa Préalable de Publicité,

- l'Académie de Médecine,

- le Conseil National de l'Alimentation,

- le Conseil National de la Consommation.

Cette redondance vous pose-t-elle problème ?

Quels rapports entretenez-vous avec ces instances, si tant est que vous puissiez entretenir des rapports suivis avec un nombre aussi important d'instances, et est-ce que cela ne vous pose pas des problèmes d'expertise ?

M. Martin HIRSCH - Je vais commencer par cette question, Monsieur le Ministre, parce que parmi les instances que vous avez citées, plusieurs ont été rattachées à l'Agence, évitant ainsi les redondances, mais aussi les lacunes, et créant également une plus grande homogénéité.

Nous avons donc fait un appel public à candidature d'experts pour pouvoir sélectionner, sur des critères objectifs, ceux qui siégeront dans des commissions pour lesquelles nous essayons de faire en sorte qu'il n'y ait pas de zone de recoupement afin de ne pas jouer au ping-pong avec les instances d'expertise. Nous ferons un rapport au Parlement, ce qui est prévu dans la loi.

Concernant les partenariats, l'Agence est un nouvel intervenant dans ce paysage, ce qui nécessite que chacun prenne ses marques ; c'est le cas avec les Directions d'administrations centrales, qui doivent désormais travailler avec nous. La ligne fixée est que chacun joue bien son rôle, qu'il y ait des relations, mais pas de confusion, et que l'on sache toujours de quel point de vue on se place.

Lorsque l'Agence s'exprime, elle s'exprime d'un point de vue indépendant, d'un point de vue scientifique, quitte à ce qu'il y ait eu des échanges et des discussions avec les représentants des professions, les représentants des consommateurs etc. Mais nos avis ne sont pas des positions, au sens noble, de compromis entre différentes considérations. C'est la même chose dans les travaux de recherche que nous conduisons.

Concernant les relations entre nous, outre le fait qu'elles sont bonnes, nous nous téléphonons régulièrement, nous échangeons nos difficultés quotidiennes et nous avons un certain nombre de rendez-vous institutionnels. Nous nous rencontrons tous les 15 jours chez le ministre de la Santé et nous avons des instances communes parfois créées sous forme de convention.

M. Drucker a évoqué une convention qui nous lie pour effectuer un travail en commun sur la mortalité/morbidité d'origine alimentaire, de même que nous avons des groupes de travail communs avec l'AFSSAPS et que nous participons au Comité National de Sécurité Sanitaire.

M. Charles DESCOURS - On n'en entend pas parler.

M. Martin HIRSCH - On n'en entend pas parler, je ne sais pas si c'est bon ou mauvais signe, mais je peux vous dire que les ministres ont été présents à chaque Comité National de Sécurité Sanitaire depuis qu'il s'est réuni et que les membres du Comité National de Sécurité Sanitaire sont très souvent réunis à l'occasion de crises.

Très souvent, aux différents stades de la mécanique de décision interministérielle en situation de crise, les agences ou les administrations centrales concernées ont été réunies. Ces réunions sont parfois coordonnées par le ministère de l'Agriculture, quelquefois par le ministère de la Consommation, quelquefois par le ministère de la Santé, parce que tous ne sont pas toujours concernés par la même crise mais aucun n'est oublié lorsqu'il est nécessaire de les rassembler.

M. Jacques DRUCKER - Une première question portait sur la santé mentale et demandait si nous nous intéressions à la surveillance de ce problème. Oui, cela fait partie de la réflexion dans le cadre de notre contrat d'objectifs et de moyens qui essaie de définir, entre autres, des priorités de l'action de l'Institut de Veille Sanitaire pour les prochaines années. C'est une des priorités que nous avons retenue, mais vous savez que c'est un champ d'action extrêmement important et vaste qui, comme d'autres, va se construire très progressivement.

Une des vocations de l'Institut de Veille Sanitaire est de s'intéresser à ce domaine, et nous allons amorcer notre investissement dans le cadre de ce prochain contrat d'objectifs, c'est-à-dire à partir de 2001.

S'agissant de la construction des réseaux de partenariats, la situation est-elle satisfaisante ?

La réponse est, globalement non, mais elle est cependant positive à court terme si l'on veut bien regarder le chemin parcouru en quelques mois. Nous n'avons pas caché les écueils que nous rencontrons qui sont de trois ordres :

- la santé publique ne compte pas dans les missions prioritaires de certains organismes avec lesquels nous souhaitons développer des partenariats dans une perspective de contribution à la veille sanitaire ;

- d'autres organismes ou partenaires, avec lesquels nous développons des collaborations, ont des outils qui ne sont pas immédiatement opérationnels, qu'il faut adapter ; j'évoquais par exemple le système hospitalier avec le PMSI, mais ce sont là des difficultés plus techniques qui trouveront des solutions ;

- certains partenaires n'ont pas les moyens pour répondre aux missions et aux exigences de qualité pour participer aux systèmes de surveillance que nous leur demandons ; j'ai rappelé, à cet égard, le cas des registres ;

Concernant le domaine de la santé au travail et des risques professionnels, sur les 40 nouveaux emplois accordés à l'Institut de Veille Sanitaire, nous en avons utilisé 6 pour renforcer le département santé/travail, ce qui est très loin du compte eu égard à l'éventail extrêmement important des missions entrant dans ce champ de compétence.

Une dotation budgétaire de 100 millions de francs pour l'Institut de Veille Sanitaire compte tenu de l'éventail de sa mission est-elle dérisoire ?

Oui et non. Oui, si nous comparons à certaines institutions européennes équivalentes. Nos collègues anglais, par exemple, disposent de 200 personnes uniquement pour la surveillance des maladies transmissibles, ce qui est supérieur aux moyens actuels de l'Institut de Veille Sanitaire.

Il faut toutefois être prudent dans les comparaisons parce que les dispositifs ne sont pas les mêmes. L'option qui a été choisie en France est d'avoir une structure de coordination et d'animation qui n'a pas vocation à être l'opérateur de tous ces systèmes, mais qui doit s'appuyer sur un certain nombre d'acteurs du dispositif de santé publique.

Concernant la question sur le Comité de Sécurité Sanitaire ou, de façon plus large, l'interaction entre les agences, l'articulation entre les agences fonctionne à la fois formellement et de façon plus informelle, mais les relations personnelles sont importantes. La situation est satisfaisante de mon point de vue sur cet aspect, même en situation de crise.

Dans le domaine des crises sanitaires, il faut parfois distinguer l'efficacité et les performances du dispositif sur le plan technique des difficultés de communication autour de ce dispositif, autour du contrôle et de la gestion des crises. Il est vrai qu'il est parfois difficile de comprendre pourquoi une épidémie de listériose, détectée au troisième cas et dont l'origine est connue en quelques jours, fait l'objet d'une " crise ". Cela ne devrait plus être le cas, au sens technique du terme.

Le dispositif d'alerte et de détection de ces menaces de santé publique est devenu extrêmement performant, notamment dans le domaine des risques alimentaires. La dimension de crise est à chercher ailleurs que sur les problèmes de mise en action ou d'activation de dispositifs techniques.

Mme Gisèle PRINTZ - J'aimerais savoir s'il existe un dispositif étudiant les effets de l'alimentation sur le comportement humain ?

M. Martin HIRSCH - Vous me posez une " colle ".

M. Philippe DUNETON - Je suis incompétent mais je vais risquer une réponse. L'alcool a un effet notable dont nous voyons les dégâts tous les jours.

M. Claude HURIET - Nous le savons.

M. Philippe DUNETON - Oui, mais nous avons tendance à l'oublier.

Je voudrais rappeler l'importance des questions qui ont été posées par M. Giraud et par M. Autain concernant l'expertise, parce que les experts font partie des partenaires. Ils sont des ressources rares, précieuses, en tout cas pour le Directeur de l'Agence et pour l'ensemble d'entre nous. Ils sont indispensables et c'est une particularité française que de mêler évaluation interne et expertise externe.

L'expertise nous impose une rigueur déontologique accompagnée d'un travail de fond qui doit aller de pair avec une meilleure prise en compte de l'indemnisation, pas simplement pécuniaire, mais aussi du travail intellectuel mené.

Il faut pouvoir conserver cela en France, et peut-être même trouver des modalités pour en tenir compte sur le plan de la carrière hospitalo-universitaire. C'est un point que je voulais évoquer car il est très important pour garantir la qualité de l'expertise.

M. Claude HURIET - Je voudrais attirer l'attention sur les dévoiements possibles du rôle du Comité National de Sécurité Sanitaire dont j'ai appris qu'il avait créé des groupes de travail sur l'évaluation des risques sanitaires faibles tels que les expositions à la dioxine.

J'ai une deuxième préoccupation concernant le devenir de l'Agence Française de Sécurité des Aliments, dans la mesure où vous m'avez confirmé que la future autorité alimentaire indépendante européenne aurait seulement une mission d'évaluation des risques. Nous devons nous interroger pour savoir si, dans une approche européenne de l'évaluation en matière de risques alimentaires, il y aurait place pour des structures d'évaluation nationale alors que la tendance logique devrait aller dans le sens d'une structure d'évaluation européenne.

C'est une observation interrogative dont nous aurons l'occasion de nous entretenir, mais si cette autorité se met en place -ce qui est souhaitable- nous serons amenés à reconsidérer le rôle des structures nationales surtout lorsqu'elles n'ont qu'une mission d'évaluation.

II. LE POINT DE VUE DES CONSOMMATEURS

AUDITION DE MME MARIE-JOSÉ NICOLI, PRÉSIDENTE DE L'UNION FÉDÉRALE DES CONSOMMATEURS (UFC)

Mme Marie-José NICOLI - Je vous remercie de me recevoir et je vais aller directement au coeur du sujet. A l'heure actuelle, si nous faisons un bilan de ces dernières années sur la sécurité sanitaire en France, et en particulier du point de vue alimentaire, je donnerais trois éléments importants.

Le premier est le choc émotionnel ressenti par l'ensemble des consommateurs en France ou en Europe avec toutes les affaires qui se sont déroulées depuis 1996, avec la confirmation du passage de l'ESB à l'homme qui donne la maladie dite de Creutzfeldt-Jakob, et avec les affaires qui se sont ajoutées ensuite. Je ne les citerai pas, vous les connaissez autant que moi.

Je ne dirais pas que nous commençons à nous habituer à ces " affaires " sanitaires dans l'alimentation, mais le consommateur a acquis un certain fatalisme. Je rappelle que le besoin de se nourrir est un acte banal et quotidien qu'il faut accomplir tous les jours ; face à des affaires comme celles de la dioxine ou l'ESB, on est tout de même obligé de manger. C'est la réalité des faits sur le terrain.

Les consommateurs ont transformé ce choc émotionnel en détermination. En tant qu'association de consommateurs, nous sommes amenés à répondre aux demandes des consommateurs, c'est-à-dire à jouer un rôle plus important, plus actif, en partenariat avec tous les professionnels, en particulier dans le domaine agro-alimentaire.

A l'heure actuelle, non seulement nous nous préoccupons de la sécurité sanitaire, mais nous nous préoccupons aussi de la qualité des produits et même des modes de production, ce qui était impensable il y a 20 ans, les associations de consommateurs ne s'occupant pas des modes de production.

Le deuxième élément important est le fait que l'alimentation et le monde agricole ont fait leur révolution industrielle. On peut dire qu'aujourd'hui, le monde agricole et l'agro-alimentaire utilisent les procédés industriels, et le consommateur a enfin compris que les aliments n'étaient plus des aliments naturels qui arrivaient de la ferme mais des produits assemblés, sophistiqués, " trafiqués ", avec énormément de composants.

C'est un point extrêmement important du point de vue alimentaire parce que cela détermine beaucoup de nos habitudes et de nos comportements. De plus, il devient très compliqué de donner satisfaction aux consommateurs sur l'information, par exemple, le libre choix, l'étiquetage etc.

Le troisième élément concerne les nouvelles exigences des consommateurs, on en parle de plus en plus, et nous espérons que les instances de décision au niveau professionnel ou des pouvoirs publics passent aux actes, ne se contentent pas de toujours parler du consommateur, mais l'aident dans sa démarche de sécurité et de qualité.

Je rappelle que, parmi les exigences, la sécurité sanitaire des aliments est un dû pour tous, c'est une obligation pour les professionnels qui doivent l'assurer : cela concerne tous les produits, qu'ils soient standards ou labellisés.

Notre expérience vient de la demande des consommateurs qui remonte par le courrier des lecteurs de notre journal ou par nos associations, au nombre de 200 en France. De plus, les autres organisations de consommateurs ont aussi des réseaux d'information.

Nous sommes caractérisés par le fait que nous faisons de plus en plus d'analyses et de tests sur les produits, aussi bien les produits alimentaires que les éléments comme l'eau, l'air et le sol. Ces analyses augmentent nos inquiétudes, notamment concernant les résidus de pesticides car, quelles que soient les analyses, nous en retrouvons partout. Nous en retrouvons des traces dans notre alimentation et il est vrai que l'utilisation des produits phytosanitaires dans le monde agricole doit être modifiée petit à petit afin d'avoir une meilleure maîtrise de ces produits.

Nous trouvons des traces de polluants environnementaux dans les produits alimentaires, je citerai le plomb, le mercure et les dioxines. Il faut savoir que les usines d'incinération et la politique d'épandage des boues des stations d'épuration touchent de près notre alimentation et je crois qu'actuellement, la politique en matière de déchets n'est pas définie et n'est pas responsable. Dès qu'il est question d'établir une zone de déchets nucléaires, ou une usine d'incinération, ou des élevages de porcs, les consommateurs n'en veulent pas.

Certaines organisations attisent ces inquiétudes et font qu'aujourd'hui nous sommes une société de consommation qui engendre des déchets ; aujourd'hui, nous n'arrivons pas à faire accepter à la population que ces déchets doivent être mis quelque part. Toutes les populations les refusent et évidemment, au milieu, les maires et les politiques ne sont pas en position très confortable.

Je parlerai aussi des activeurs de croissance, les hormones et les antibiotiques en particulier. Les hormones sont interdites en Europe, mais d'autres Etats dans le monde les utilisent ; je vous rappelle l'affaire du boeuf aux hormones américain qui est toujours à nos portes et qui, pour l'instant, ne rentre pas en Europe, mais n'en est pas loin. Les antibiotiques sont souvent utilisés dans l'alimentation des animaux comme activeur de croissance, voire à titre préventif au moment des sevrages.

De plus en plus d'Etats membres refusent ces pratiques dans l'élevage, des pays comme la Suède l'ont supprimé ; en Europe, nous en avons supprimé quatre il y a environ un an, il en reste encore quatre ou cinq et nous voudrions que le contrôle vétérinaire soit plus large.

Je passe aux farines animales. Notre association n'est pas opposée à l'utilisation des farines animales dans l'alimentation des porcs, de la volaille et des saumons, à condition que la réglementation française s'adapte et soit imposée au reste de l'Europe, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.

M. Claude HURIET - Puis-je vous demander, en tant que rapporteur, de nous faire connaître l'appréciation que vous portez en qualité de Présidente de l'Union Fédérale des Consommateurs sur l'organisation du contrôle de la sécurité sanitaire qui s'est mise en place ?

C'est l'objet de notre journée d'audition, il s'agit de porter une appréciation positive ou négative, d'exprimer des regrets quant aux insuffisances du dispositif.

Comment est perçue la nouvelle organisation, particulièrement concernant les attributions de l'AFSSA, par rapport à ce qui existait ou ce qui n'existait pas auparavant ?

Mme Marie-José NICOLI - L'AFSSA a été créée il y a un an et demi environ et depuis, elle a eu énormément de travail. Nous avons été agréablement surpris par sa réactivité, mais aujourd'hui un problème se pose quand même pour nous, associations de consommateurs.

En effet, la loi permet aux associations de saisir l'AFSSA mais les décrets d'application ne sont toujours pas sortis et ne sont pas en projet. Pour l'instant, il nous arrive d'écrire à l'AFSSA pour soumettre des problèmes, poser des questions ou dire que nous voudrions certains dossiers plus détaillés que ceux parus dans la presse, mais c'est laissé à l'appréciation et à la courtoisie du Directeur parce que, pour l'instant, il n'y a aucune obligation de répondre à nos demandes.

Je pense que vous êtes directement concernés et que vous feriez bien de vous en préoccuper parce que nous avons beaucoup de matière à fournir à l'AFSSA. Je sais qu'ils ont déjà beaucoup de travail mais il serait normal que cette loi s'applique dans son entier et que les consommateurs et les associations puissent en profiter.

M. Claude HURIET - D'après l'article L. 794-3 de la loi, je cite : " L'Agence est administrée par un Conseil d'Administration composé pour moitié de représentants de l'Etat et pour moitié de représentants des organisations professionnelles concernées, de représentants des consommateurs, de personnalités qualifiées. " .

Mise à part la réflexion que vous faites qui entre dans le champ de nos préoccupations, c'est-à-dire le retard de la publication de certains décrets d'application, les consommateurs font-ils partie du Conseil d'Administration ? Ont-ils leur mot à dire ? Avez-vous le sentiment que cette participation pourrait être quelque chose de positif ?

Mme Marie-José NICOLI - Je ne siège pas à l'AFSSA, mon organisation non plus, et c'était un choix de ne pas présenter de candidat...

M. Charles DESCOURS - ... C'est vous qui n'avez pas voulu ?

Mme Marie-José NICOLI - Absolument, notre association a une politique vis-à-vis des institutions qui est d'être dans certaines, mais pas dans toutes, il y en a trop. Nous sommes beaucoup sollicités, nous avons une particularité qui est celle de pouvoir tester le marché très en aval, c'est-à-dire lorsque nous avons les moyens financiers de tester les produits sur le marché.

Parfois, il peut être très embarrassant pour nous d'avoir à donner des avis ou à nous exprimer dans notre revue Que Choisir alors que nous siégeons dans certaines instances.

Il faut savoir que nous sommes sûrement l'organisation qui saisit le plus souvent toutes les instances, à cause des essais comparatifs et des analyses de produits ; cela nous permet de les solliciter en toute indépendance et de dire ce que nous en pensons sans avoir un pied à l'intérieur.

M. Claude HURIET - C'est un choix ?

Mme Marie-José NICOLI - Tout à fait, c'est un choix.

M. Charles DESCOURS - Globalement, les experts nous disent que l'alimentation est de plus en plus sûre. Quel regard portez-vous sur l'état de l'opinion ?

Pensez-vous qu'elle est susceptible de comprendre les messages d'alerte que peuvent donner les agences, qu'elle ne pense pas que ces messages traduisent une dégradation de la sécurité sanitaire des aliments ?

Nous avons le sentiment que l'alimentation est de plus en plus sûre et que l'opinion pense qu'elle l'est de moins en moins.

Mme Marie-José NICOLI - Je pense que ceci est dû à un décalage d'information. Du point de vue alimentaire, d'énormes progrès ont été faits. Prenons les statistiques en listeria, par exemple, en salmonellose etc., c'est évident. Seulement, il y a 15 ou 20 ans le consommateur vivait heureux, il ne savait pas qu'il mourait de la listériose ou qu'il était atteint de salmonellose, il ne savait rien.

Voilà quelques années qu'on l'informe, laissez-lui le temps ! Qui plus est, je trouve que, par rapport aux professionnels, par rapport aux pouvoirs publics et à vous-même, les consommateurs font moins de psychose que vous tous. Sur le moment, lorsqu'il y a une alerte, il est normal de se priver du produit ou de refuser de l'acheter mais, après, les habitudes reviennent tout doucement.

Je trouve que, depuis qu'ils sont informés, on ne leur a pas laissé de répit, ni même à vous pour les décisions à prendre. Il n'empêche que les individus comprennent petit à petit qu'il faut faire attention, qu'il y a des risques dans le domaine alimentaire comme dans d'autres secteurs. Dans l'ensemble, je trouve que les consommateurs réagissent très sainement contrairement aux personnes concernées directement, financièrement ou politiquement, qui sont parfois prises dans des paniques extrêmes parce que les enjeux sont financiers ou politiques. Pour le consommateur, l'enjeu c'est la santé publique ; il a de plus en plus d'exigences, et il demande des contrôles, nous demandons la mise en place d'une agence communautaire : toutes ces demandes existent parce que nous voulons être rassurés.

D'autre part, nous voulons aussi avoir une information loyale et je pense que c'est relativement difficile. En matière de sécurité sanitaire, l'expertise est peut-être difficile à faire, mais après les avis scientifiques, il y a la gestion. Elle doit prendre en compte non seulement l'avis de l'AFSSA, pour la France, mais aussi l'avis des consommateurs, l'avis des associations écologiques si elles sont concernées, etc.

La décision prise finalement doit comporter des éléments différents et pas uniquement l'avis scientifique, parce que l'alimentation n'est pas seulement une affaire de scientifiques. Lorsque vous faites des congrès internationaux sur l'alimentation, vous vous rendez compte que s'y mêlent fortement les cultures, les usages, des quantités d'autres facteurs qui sont aussi importants à un moment donné que l'avis ou la vision scientifique. Evidemment, dans les périodes de crise la vision scientifique est à prendre en premier lieu et -espérons-le- concernant l'alimentation nous ne serons pas toujours en période de crise. Des avis peuvent être donnés par l'AFSSA sans avoir de relation avec une crise ou une mise en danger de la vie des animaux ou des êtres humains.

M. Alain VASSELLE - J'ai une remarque à faire et trois questions très brèves à vous poser. Tout d'abord, j'ai été surpris de l'utilisation dans votre bouche d'un terme à l'encontre de la profession agricole. Vous avez parlé de produits " trafiqués " dans la profession agricole, je suppose que cela vous a échappé ou que vous lui donnez un autre sens que celui qui est habituellement utilisé. Cela a un caractère péjoratif, cela m'a surpris.

En ce qui concerne les normes, vous avez parlé de la dioxine et du fait qu'une forme de psychose était née au sein de la population française. Contestez-vous les normes françaises ? Considérez-vous qu'elles ne sont pas suffisantes ?

A partir du moment où vous ne les contestez pas, les consommateurs que vous représentez sont-ils prêts à se rallier à ces normes ? Auquel cas, à chaque fois que l'on propose la construction d'une unité d'incinération que l'on suspecte de rejeter de la dioxine ou lorsque l'on va enfouir nos déchets ménagers dans un centre d'enfouissement technique, les normes françaises étant ce qu'elles sont, voire les normes européennes, la garantie recherchée par le consommateur est assurée, sauf un risque -le risque est toujours possible- lié à un accident ou un incident, mais personne, ni les consommateurs, ni les professionnels ne peuvent maîtriser les accidents dans la mesure où les normes sont respectées.

Jusqu'où souhaitez-vous que nous mettions en oeuvre la traçabilité en France, notamment dans les grandes surfaces de distribution ?

Je pense à l'ESB, faut-il se contenter de mettre " viande anglaise ", " viande irlandaise " ou " viande française " ou faut-il aller jusqu'à donner les références de l'éleveur et des produits alimentaires donnés aux animaux ?

A propos de l'Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments, nous avions vu dans l'épisode de l'ESB qu'il y avait un différend entre la position européenne et la position française. La position française l'a emporté, encore que nous avons constaté que l'Allemagne, qui avait la même position que nous, a cédé avant nous. Pour le moment nous n'acceptons pas l'importation de viande anglaise en France grâce à la position de l'Agence Française. Considérez-vous que ce soit une bonne référence ?

S'il doit y avoir un jour une agence européenne, comment celle-ci devra-t-elle fonctionner ? J'ai le sentiment que, pour le moment, il y aurait plus de souplesse au plan européen qu'en France. Quelle harmonisation pouvons-nous espérer ?

M. Jacques MACHET - Je voudrais savoir quelle est votre position sur ce qui a été mis en place, sur les agences  ? Les choses s'améliorent-elles ou se détériorent-elles  ?

J'aimerais que vous me donniez la position de votre organisation.

Mme Marie-José NICOLI - Oui, je pense qu'il y a parfois des trafics, ils sont dénoncés, et nous sommes partie civile dans 15 procédures de trafic d'hormones en France. Si ce n'est pas du trafic, je ne sais pas comment vous l'appelez !

Par ailleurs, il peut y avoir des produits trafiqués, en agro-alimentaire, qui ne correspondent pas aux normes ou qui n'ont pas des étiquetages précis, nous en faisons l'expérience chaque fois que nous faisons des analyses. Ce n'est pas péjoratif ; dans l'ensemble, le monde agricole travaille correctement, si cela peut vous rassurer, mais cela n'empêche que nous avons aussi un certain nombre de fraudeurs.

Les normes ne sont pas immuables, elles sont faites pour évoluer et être changées. Lorsque nous faisons des tests, que ce soit en alimentaire ou dans d'autres secteurs, nous prenons les normes qui sont les plus favorables aux consommateurs, parfois ce sont des normes européennes, parfois des normes françaises. C'est pour cela que nous ne participons pas à l'AFNOR dans les différents comités de normalisation, parce que nous voulons pouvoir les tester et nous le faisons régulièrement.

Par contre, nous avons régulièrement des contacts avec l'AFNOR et tous les ans ou tous les ans et demi nous leur disons : " nous avons testé telle et telle norme, voilà les problèmes que nous avons rencontrés dans les produits testés, voilà les résultats " ; ils apprécient que nous fassions ce genre de démarche, parce que nous sommes les seuls à pouvoir les faire en tant qu'association de consommateurs.

Pour ce qui est de la traçabilité, il ne faut pas confondre la traçabilité avec l'étiquetage ; d'ailleurs en ce moment nous avons un exemple flagrant au plan communautaire, une erreur vient d'être commise par le Parlement Européen où l'on a mélangé la traçabilité avec la demande d'étiquetage et d'information des consommateurs.

En effet, à l'heure actuelle, on veut mettre sur les étiquettes des viandes des codes illisibles pour le consommateur, mais très précieux pour les Pouvoirs Publics ou pour les professionnels. Ce n'est pas ce que nous demandons, nous demandons d'avoir l'origine de la viande, la catégorie et, en France en particulier, nous voulons le type racial.

J'étais en Angleterre, il y a 15 jours, en prévision d'une levée de l'embargo. Mon organisation est en train de se faire sur le terrain un certain nombre d'idées à ce sujet, et j'ai été très étonnée de voir que les Anglais mélangent les races. En effet, pour eux la race n'est pas un critère de qualité, ils mélangent les laitières avec les races charolaises etc. Ils font un mélange surprenant et les consommateurs anglais n'ont pas l'air de s'en préoccuper. La partie type racial n'est peut-être pas à mettre au plan communautaire mais nous voulons l'origine et la catégorie.

Je termine avec l'AFSSA et le Comité Scientifique Directeur où il y a eu une divergence. Je pense qu'elle a été perçue ainsi par le public, mais les questions posées au Comité Scientifique Directeur et la question posée à l'AFSSA n'étaient pas les mêmes, les réponses ont donc été différentes.

En qualité de présidente de mon organisation, je dirais que le Comité Scientifique Directeur au plan communautaire est composé d'éminents scientifiques, mais pas obligatoirement de spécialistes du Prion alors qu'à l'AFSSA, le Comité en question était composé de spécialistes de ces questions.

A " Que Choisir ", nous avons fait plus confiance à l'AFSSA qu'au Comité Scientifique Directeur bien que nous ne remettions pas en cause leurs compétences, ce qui veut dire que lorsqu'il a été question de lever l'embargo sur la viande bovine anglaise, nous nous sommes largement exprimés pour dire que nous voulions son maintien.

Après mon voyage en Ecosse, je dis que nous avons rendu service aux Anglais parce qu'en maintenant l'embargo français nous leur permettons de prendre le temps de tracer et d'identifier leur cheptel, ce qui n'est pas encore complètement fait en Angleterre. Cela évite les fraudes et, en fin de compte, je pense que le circuit d'exportation de la viande bovine anglaise est très bien contrôlé, j'ai pu le vérifier, en allant partout où il fallait aller. En revanche, lever l'embargo maintenant ne me semble pas possible, peut-être pourrons-nous le lever à la fin de l'année ou au début 2001, mais pas avant parce que nous n'avons pas d'étiquetage européen et le consommateur n'a pas le choix.

De plus, je fais le pari que, dès l'instant où la France aura levé l'embargo sur la viande bovine anglaise désossée, les Anglais nous demanderont d'exporter des carcasses et des bêtes sur pied à peine trois mois après. Et là nous aurons d'énormes problèmes parce que pour l'instant, en Angleterre, les bêtes ne sont pas toutes identifiées.

Le dernier point concerne l'avis sur les agences mises en place. Effectivement, c'est une bonne chose parce qu'au plan communautaire on prend exemple sur ce que la France a fait. Deux problèmes importants vont cependant se poser. Tout d'abord, comment s'articulera l'Agence européenne avec les différentes agences ?

Un autre point qui concerne aussi bien les agences nationales qu'européennes, est l'indépendance des scientifiques. Là, ce sera un énorme problème et il faudra beaucoup de vigilance sur les dossiers qui arriveront dans les différentes agences.

M. LE PRÉSIDENT - Soyez assurée de la vigilance de la commission des Affaires sociales.

Mme Marie-José NICOLI - De la nôtre aussi !

III. LE POINT DE VUE DES INDUSTRIELS

A. AUDITION DE M. PIERRE LE SOURD, PRÉSIDENT DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SCIENTIFIQUES, PHARMACEUTIQUES ET MÉDICALES DU SYNDICAT NATIONAL DE L'INDUSTRIE PHARMACEUTIQUE (SNIP)

M. Pierre LE SOURD - Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les sénateurs, l'objet de cette audition est de présenter très brièvement les applications du principe de précaution appliqué au domaine du médicament. En d'autres termes, comment l'industrie pharmaceutique applique les règles et contrôles spécifiques dont elle est l'objet concernant précisément la mise en oeuvre de ce principe de précaution.

Le principe d'Hypocrate : " Primum non nocere " est censé dans l'acte thérapeutique de tout médecin s'être à juste titre transformé en une évaluation scientifique pluridisciplinaire et indépendante du rapport bénéfice/risque, évaluation qui, tout au long de la vie du médicament, apporte au consommateur une information éclairée.

Dans ce process, l'industrie pharmaceutique associée aux experts du corps médical et pharmaceutique, et sous le contrôle des autorités réglementaires françaises et européennes, suit des procédures très précises. L'industrie, dans un souci de santé publique et d'harmonisation, en a d'ailleurs souvent été l'initiatrice.

Pour le médicament, il faut distinguer les étapes de recherche de celles de développement et de commercialisation. Sur le fond, l'innovation est difficile à encadrer d'une réglementation quelle qu'elle soit, la recherche fondamentale dans ses phases précoces ne saurait être censurée.

C'est sur les moyens utilisés par la recherche que la prudence s'impose, ainsi que sur l'application de la découverte qui en est issue. On comprend bien, dès lors, que le principe de précaution dans la recherche médicale et d'application est limité, même si l'impact qu'une découverte peut éventuellement avoir auprès du grand public doit être pris en compte.

Résumons cette philosophie du principe de précaution appliqué à la recherche fondamentale par cette phrase d'Hubert Curien : " Soyons originaux en restant prudents ! ". Fondamentalement différent dans ses modalités et sa rigueur, le principe de précaution concernant toute nouvelle substance susceptible de devenir un médicament et entrant en phase de développement préclinique puis clinique est largement appliqué et selon un niveau d'exigences peu critiquable.

Au plan de l'expérimentation sur l'animal, les étapes précliniques, analytiques, toxicologiques, pharmacologiques concernent les différents tests de laboratoire, et lors de cette étape, l'expérimentation doit avoir des règles de bonne pratique de laboratoire.

Au plan de l'expérimentation clinique chez l'homme, le Comité Consultatif de Protection des Personnes dans la Recherche Biomédicale, le CCPPRB, est un comité indépendant prévu par le code de santé publique qui se prononce sur les conditions de validité de l'essai envisagé au regard de la protection des personnes participant à l'essai, leur information et les modalités de recueil de leur consentement. Il se prononce également sur la pertinence générale du projet et l'adéquation entre les objectifs poursuivis, les moyens mis en oeuvre et la qualification du ou des investigateurs.

M. Charles DESCOURS - Nous n'avons pas le temps malheureusement de parler longuement, durant cette journée, du principe de précaution mais vous, les industriels pharmaceutiques, le SNIP, avez-vous des relations confiantes avec l'Agence de Sécurité Sanitaire des Produits de Santé ?

Considérez-vous que les autorisations de mise sur le marché sont données dans des délais suffisamment brefs, etc. ?

Que pense le SNIP du fonctionnement actuel des autorisations de mise sur le marché, du rôle de l'AFSSAPS et de l'ensemble du dispositif de sécurité sanitaire ?

M. Pierre LE SOURD - Sans trahir ce que pense le Président du SNIP, je pense que nous ne pouvons que porter un jugement favorable sur le mode de fonctionnement de l'Agence Française, sur le fait que les procédures centralisées à Bruxelles sont très efficaces.

M. Claude HURIET - Sur l'organisation des vigilances, la question qui nous mobilise ne concerne pas seulement le fonctionnement de telle ou telle agence, voire même de tel ou tel département, mais l'ensemble du dispositif.

Nous avons cherché à optimiser le fonctionnement des institutions qui préexistaient à la loi, à donner plus de cohérence, d'efficacité, tout cela a été dit maintes fois. Il y a l'appréciation que vous portez sur l'Agence avec laquelle les contacts doivent être quotidiens, mais l'ensemble du dispositif tel que vous le percevez a-t-il gagné en cohérence, en efficacité ?

Et si non, quelles sont les observations et les remarques que vous pourriez formuler pour améliorer le fonctionnement du dispositif actuellement en place ?

M. Pierre LE SOURD - En matière de pharmacovigilance, je pense qu'un dispositif s'est progressivement mis en place. Le risque zéro n'existe pas mais la rigueur du dispositif de pharmacovigilance, le fait que, de français, il soit devenu européen, le fait que par le Net il se mondialise et qu'à un instant t une collection d'effets indésirables de n'importe quelle agence sera mondialement mise à la disposition des autres agences et de l'ensemble des partenaires est un progrès considérable par rapport à l'objectif global de santé publique.

Le médicament est très encadré, il n'est pas question de nier le fait que le médicament par définition a un rapport bénéfice/risque et qu'il sera toujours impossible d'éliminer par définition le risque inhérent au progrès thérapeutique.

Cependant, même si nous devons être vigilants au fait que ces systèmes ne soient pas trop contraignants, ne soient pas assortis d'une bureaucratie excessive et ne retardent pas la mise à disposition du médicament auprès du grand public, ces systèmes aujourd'hui ont considérablement gagné en efficacité par rapport à l'objectif de sécurité auquel vous faites allusion.

M. Charles DESCOURS - Je rappelle à nos collègues, qui se sont déplacés avec nous aux Etats-Unis, que nous avons vu des laboratoires se plaindre que la FDA avait parfois des délais de délivrance d'AMM très longs. Aujourd'hui, y a-t-il des problèmes de délais d'AMM pour les industriels en France ou en Europe ?

M. Pierre LE SOURD - Par définition, dès lors qu'ils sont convaincus de la qualité de leur molécule, les industriels souhaitent pouvoir la mettre sur le marché de façon mondiale simultanément dans tous les pays. C'est un objectif légitime. Les progrès qui ont été faits, notamment par le biais de l'Agence ou de l'institution de la procédure centralisée, sont indiscutables puisqu'un timing très précis est respecté.

Les autorisations de mise sur le marché par le biais de la reconnaissance mutuelle sont plus longues, plus complexes, et ne prévoient pas la mise sur le marché du produit simultanément dans tous les pays. Il existe certes des retards parce que les dossiers ne sont pas tous aussi limpides et faciles à évaluer que nous le souhaiterions, mais globalement, à part quelques exceptions, je pense que les délais de mise sur le marché ont fait des progrès, même si encore une fois il faut être très vigilant pour essayer de raccourcir au maximum ces délais.

M. Claude HURIET - J'évoquais un de nos objectifs concernant la lisibilité de l'ensemble de la nouvelle organisation mise en place après 1998 ; le médicament a pu y perdre parce qu'avant la mise en place de la loi de juillet 1998 l'Agence du Médicament était pour vous l'interlocuteur naturel unique, tout au moins concernant la qualité, la sécurité et la procédure d'AMM, en mettant de côté l'économie du médicament. Or, désormais le département du médicament se trouve inscrit dans un organisme plus large qui couvre l'ensemble des produits de santé.

Du point de vue de la lisibilité, de l'efficacité, des contacts directs que vous pouvez avoir avec la nouvelle agence, considérez-vous que vous n'y avez rien perdu ou au contraire avez-vous rencontré davantage de lourdeur, ce qui nous désolerait parce que tout ce que nous avons fait allait dans le sens opposé ?

M. Pierre LE SOURD - Il faut rappeler que l'objectif de l'industrie pharmaceutique est d'avoir le maximum d'informations et le maximum de rigueur car lorsque vous dépensez des centaines de millions de dollars pour développer un médicament, vous êtes extrêmement soucieux de son bon usage et du fait que l'information soit extrêmement rigoureusement collectée.

Il y a là un combat commun entre les autorités de tutelle et les industriels par rapport à la sécurité, nous par rapport à l'investissement, et vous, en tant que responsables de la santé publique, et c'est là un objectif commun.

Je ne crois pas que le dispositif mis en place trouble les industriels ou soit considéré par ces derniers comme un obstacle à l'innovation et certainement pas comme un obstacle au bon usage du médicament qui est le principal objectif d'un industriel.

M. LE PRÉSIDENT - Dans la continuité de ces discussions pourrions-nous demander à MM. Dumont et Scherrer de donner la position de leur secteur industriel ?

Nous sommes sur l'appréciation des conséquences de la loi sur les entreprises.

B. AUDITION DE M. JACQUES DUMONT, PRÉSIDENT DU SYNDICAT NATIONAL DE L'INDUSTRIE DES TECHNOLOGIES MÉDICALES (SNITEM)

M. Jacques DUMONT - J'ai éliminé une partie de ma présentation qui était un peu redondante avec ce qui s'est dit ce matin parce que le domaine des matériaux médicaux et des technologies médicales est un domaine peu connu. Je voudrais préciser quatre points qui nous différencient de la pharmacie.

D'une part, la composante industrielle : sur les 200 entreprises du secteur, la moitié de nos industriels a entre 20 et 50 employés, il y a des personnes très pointues sur des domaines très spécifiques, tels que l'orthopédie, et des grandes multinationales, donc un mélange très varié d'industriels.

D'autre part, il existe une extrême hétérogénéité du domaine ; c'est un domaine très complexe, car là où il existe 3.500 molécules en pharmacie, nous avons plus de 70.000 produits qui vont de l'imagerie en passant par la seringue, le pacemaker... L'éventail est considérable.

Concernant la durée de nos produits, lorsque nous déposons une molécule, en pharmacie nous sommes couverts pour plusieurs années. Nos dispositifs sont des dispositifs liés à un ingénieur, à un technicien, qui font en permanence l'objet d'évolutions ; un produit peut être obsolète en 6 mois dans certains domaines très pointus. La moyenne se situe entre 6 mois et 2 ans, cela suppose que les processus qui seront mis en place n'aillent pas au-delà de la durée normale du produit lui-même, sinon on butera en permanence contre des délais qui seront insurmontables.

Le dernier point qui nous différencie de la pharmacie est le fait que nos produits sont totalement dépendants des utilisateurs, c'est-à-dire qu'ils sont dans la prolongation des mains des chirurgiens, des praticiens, des infirmières et qu'à partir de ce moment, même si le produit est bien conçu, il pourra être éventuellement mal utilisé si la formation et l'information n'ont pas été bien faites ou s'il est utilisé dans de mauvaises conditions.

Notre préoccupation, lorsque l'AFSSAPS a été créée, était de rentrer dans un domaine où la culture pharmaceutique était très implantée et de se dire : " on va essayer de nous faire entrer dans un entonnoir qui ne correspondra pas à nos technologies et nous allons nous heurter à des impossibilités de fonctionnement ou à des demandes excessives en matière de sécurité et de risque qui vont nous conduire à l'échec total, l'échec du développement de nouvelles technologies, l'échec de sortie de nouveaux produits sur le marché, etc. ". Nous avons eu un gros travail d'enseignement et d'échanges avec l'Agence.

M. Charles DESCOURS - Et avec le législateur, je le rappelle ; nous vous avons beaucoup vu pendant la rédaction de la loi.

M. Jacques DUMONT - Nous avions affaire à des hommes de l'art qui connaissaient bien ce domaine. Il y a eu beaucoup de travail à l'origine, mais également après avec les personnes qui mettent actuellement cette Agence en place et qui travaillent sur ces projets. C'est encore assez difficile parce qu'on a tendance à appliquer aux dispositifs des règles qui étaient celles de la pharmacie. Toutefois, je pense que les choses s'améliorent, que les contacts permanents que nous avons avec l'Agence permettent de mieux faire passer les messages et de mieux comprendre notre problématique.

Certains points méritent encore un éclairage, notamment le décret qui va sortir sur les produits à risques particuliers. Nous avions été consultés sur un premier texte qui était totalement inacceptable pour l'industrie, parce que certains matériels pouvaient être dangereux lorsqu'ils étaient mis sur le marché en utilisation normale, ce qui allait à l'encontre de la réglementation européenne et du marquage CE.

Des échanges intéressants et nourris ont eu lieu, et nous avons pu obtenir des modifications. Il faut dire que ce qui, à l'origine, devait être une AMM, est devenue une déclaration, ce qui veut dire que pendant un délai de trois mois l'Agence aura à statuer sur le contenu des études cliniques et sur le contenu du dossier.

Mais là aussi nous nous sommes battus, parce que le dossier demandé à l'origine était d'une complexité incroyable, c'était presque à l'identique du dossier de marquage CE, c'est-à-dire un bon mètre cube de papier, et je ne voyais pas comment l'Agence pouvait s'en sortir sinon en recertifiant un produit, ce qui me semblait aberrant.

M. Claude HURIET - Ce qui n'était pas dans l'esprit de la loi !

M. Jacques DUMONT - Voilà, il y a, dans le marquage CE, des analyses de risque très pointues qui, par un travail entre les experts, les expérimentateurs, nos techniciens et ingénieurs, permettent de déterminer les risques potentiels d'un produit, à savoir s'il est mal utilisé ou si un embout ne va pas avec un branchement etc., toutes choses qui sont très dangereuses pour le patient.

Une analyse de risques très sérieuse est faite dans le dossier, reprenons cette analyse et je pense que l'Agence pourra facilement statuer ; en tout cas le délai de trois mois est là et il a été mis en place.

D'autres points ont été évoqués dans la loi et n'ont pas encore fait l'objet de décrets d'application, ce sont les problèmes de maintenance des matériels. L'expérience que nous avons eue avec le bug de l'an 2000 a mis en évidence la méconnaissance du parc de matériel installé dans les hôpitaux et surtout du niveau de maintenance de ces matériels. En effet, des matériels sont là depuis 5, 10 ou 15 ans sans que l'industriel, dont c'est la responsabilité, n'ait pu intervenir parce que des tiers, ou l'hôpital lui-même, peuvent intervenir sur la maintenance. Je pense donc que le décret qui sortira situera bien les responsabilités et éclaircira aussi le champ dans ce domaine.

Un autre point très important est un article paru dans l'avant-projet de PLFSS 2000 concernant la possibilité de sélectionner, pour des technologies innovantes, des centres d'expertise, des personnes bien formées. Malheureusement, cet article a " sauté " ; Mme Gillot nous a confirmé que ce texte réapparaîtrait dans la loi de modernisation qui passera sans doute en juin à l'Assemblée.

M. Charles DESCOURS - Nous verrons au mois de juin.

M. Jacques DUMONT - Pour l'instant, des innovations restent à la porte parce qu'on ne veut pas prendre le risque de lancer sur le marché, utilisables par tout le monde, des technologies innovantes requérant une formation et un environnement spécifique.

Nous sommes tous partie prenante, les industriels sont d'accord sur ce point : plutôt que de laisser une technologie à l'extérieur de l'hexagone, peut-être faut-il mieux l'encadrer afin qu'elle apparaisse au moins sur le marché pour la juger.

C. AUDITION DE M. VICTOR SCHERRER, PRÉSIDENT DE L'ASSOCIATION NATIONALE DES INDUSTRIES AGRO-ALIMENTAIRES (ANIA)

M. Victor SCHERRER - Je vais aller à l'essentiel. Tout d'abord, nous nous réjouissons de la création et de la mise en place de l'Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments. Vous savez à quel point nous avions craint à une époque qu'il y ait un amalgame : pour nous, l'aliment est l'aliment et le médicament est le médicament.

L'Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments, l'AFSSA, va dans le bon sens, mais nous avons un certain nombre de préoccupations. Ces préoccupations sont liées à des enjeux majeurs : 816 milliards de francs sont en jeu, nous sommes la première industrie française, la première industrie en Europe. Lorsque les Allemands ont fait la réunification, l'industrie alimentaire allemande est devenue la première mais actuellement nous devançons à nouveau l'Allemagne de près de 120 milliards de francs , nous avons la première part de marché mondial devant les U.S.A, nous sommes des producteurs de valeur ajoutée et les porteurs du modèle alimentaire français, c'est-à-dire que nous voulons allier nutrition, goût, plaisir, variété et sécurité.

Face à ces enjeux, l'Agence répond à un certain nombre de besoins, parce qu'à l'heure où je vous parle, X dizaines de millions de consommateurs dans le monde achètent des produits français et votent donc en notre faveur. Mais, si la sécurité alimentaire de nos produits est mise en cause, nous allons assister à une crise de confiance qui va se déplacer du consommateur français au consommateur mondial, nous l'avons vu au Japon et même en Chine récemment, c'est un vrai problème.

L'Agence est mise en place, nous nous en réjouissons, son périmètre est bien l'aliment et non le médicament. Cela va dans le bon sens mais c'est un peu lent, le coeur du système n'est pas encore mis en place, les comités d'évaluation non plus et j'ai dit hier à M. Chevassus et M. Glavany que c'était un peu long et que nous aimerions que cela aille plus vite.

Il est surtout important de bien distinguer le rôle d'expertise et d'évaluation et le rôle de gestion des risques, et que l'Agence reste bien dans son rôle d'expertise et d'évaluation. La gestion du risque est une affaire qui est donnée aux politiques, c'est une affaire dans laquelle d'autres facteurs entrent en jeu, et nous le voyons actuellement avec l'ESB. Il y a eu des tentatives de dérapage, des tentations ou des maladresses mais, dans l'ensemble, ce principe est bien en place.

Par contre, le rôle de l'expert n'est pas bien reconnu. Il y a deux ans, en ce lieu, j'avais eu l'occasion de vous dire à quel point le vrai débat sur l'expertise scientifique en France était escamoté. Constater que lorsqu'un scientifique passe du temps et de l'énergie sur l'expertise, il ne valorise pas sa carrière, nous pose un problème. Or, nous avons besoin plus que jamais, que ce soit au Codex Alimentarius, à l'OMC, dans les panels ou les disputes qui ne manqueront pas de se multiplier, d'une très bonne expertise française.

Nous insistons beaucoup sur la revalorisation, dans la carrière d'un scientifique, du temps et de l'énergie qu'il passe sur l'expertise. Je suis frappé de voir dans des grandes réunions internationales la faiblesse, non pas qualitative, mais quantitative de notre expertise parce que nous n'avons pas les moyens, nous n'avons pas eu le temps, nous n'avons pas trouvé les hommes etc.

Par ailleurs, nous avons des outils fantastiques, il y a donc une sous-optimisation à laquelle nous aimerions voir trouver remède. Au plan des 4.200 entreprises, grosses, petites et moyennes de la première industrie alimentaire mondiale, l'expertise est considérable. C'est une expertise que nous voulons mettre à la disposition de l'Agence tout en sachant que celle-ci, qu'elle soit individuelle ou collective, ne doit jamais décrédibiliser l'Agence.

Nous voulons être des fournisseurs d'informations, nous voulons suivre un dossier ; en revanche, au moment de la décision, nous considérons que les experts venant de l'industrie n'ont pas à être pris en compte sinon dans les informations qu'ils ont apportées. Nous devons participer au processus en tant qu'observateurs et fournisseurs de données. Il n'est pas possible qu'une entreprise se retrouve au bout d'un an et demi devant une décision dont elle n'aura pas pu enrichir le processus.

Enfin, les associations de consommateurs peuvent saisir l'Agence, tandis que nous, industriels, ne pouvons pas la saisir. On m'a dit " créez une association factice de consommateurs et vous pourrez saisir l'Agence "." . Non, nous voulons pouvoir saisir l'Agence !

M. Glavany nous a proposé hier une solution pragmatique en disant : " Saisissez-moi et je saisirai l'Agence ." . Nous allons formellement dans certains cas saisir le ministre lorsque cela nous paraîtra essentiel. Cela dit, il ne nous semble pas normal que les principaux acteurs de la première industrie française ne puissent pas saisir l'Agence de Sécurité Sanitaire des Aliments.

Nous nous réjouissons de la création d'une Autorité européenne de sécurité sanitaire des aliments. Nous sommes en faveur des simplifications, mais nous ne pensons pas qu'elles doivent être réductrices, aussi nous ne pensons pas qu'il faille actuellement fondre l'AFSSA dans une agence européenne. Nous pensons, au contraire, que l'autorité européenne doit s'inspirer de ce qui est fait par l'AFSSA, en particulier sur le périmètre, c'est-à-dire l'aliment, tout l'aliment et rien que l'aliment.

Ensuite, il faut mettre cette articulation sous forme de réseau, c'est-à-dire que l'autorité européenne puisse puiser dans les meilleures compétences de l'Agence Française et enfin, au fur et à mesure, à force de travailler ensemble, que les avis de l'Autorité européenne aient une prééminence très nette sur les avis français. Et nous verrons plus tard.

N'allons pas trop vite dans ce domaine, donnons à l'AFSSA qui va dans le bon sens, toutes ces prérogatives, mettons la bien en réseau avec l'autorité européenne, qu'elle s'en inspire et ensuite que ces personnes travaillent en réseau, qu'il y ait une prééminence et après nous verrons.

M. Charles DESCOURS - Ces exposés étaient très intéressants ; je n'ai pas de questions particulières à poser ni à M. Le Sourd ni à M. Dumont, mais j'ai une remarque à faire à M. Scherrer .

Nous avions sous-estimé le problème des dispositifs médicaux dans notre première rédaction. Je suis de ceux qui considèrent que le lobbying est positif au moment de la rédaction de la loi, et nous avons vu celui du ministère de l'Agriculture qui était un des plus forts que nous ayons eu à subir. Votre lobbying nous a montré ce que pouvait entraîner pour votre industrie ce que nous étions en train de faire.

Concernant ce que vous avez évoqué, Monsieur Scherrer, nous n'avions pas ressenti le fait que vous n'aviez pas le pouvoir de saisir l'Agence, parce que vous ne l'aviez pas montré. Nous ne réglerons pas cela en cinq minutes mais vous avez posé là une vraie question dont nous aurions peut-être dû débattre ; nous ne l'avons pas fait parce que nous n'avons pas senti cela. Ce n'est pas pour nous dédouaner, mais ce que vous avez dit m'a semblé intéressant, nous ne l'avions pas vu au moment de la rédaction de la loi.

M. Claude HURIET - J'ai été très intéressé par vos propos et la spontanéité de ceux-ci, vous nous avez permis d'être au coeur du sujet de cette journée.

Dans son introduction, M. Scherrer a dit : " le médicament n'est pas un aliment et réciproquement " et je le remercie d'avoir cité cette phrase forte puisque c'est la justification même du dispositif que nous avons eu quelquefois quelque peine à mettre en place, à savoir deux agences et non une. Il est important, au stade où nous en sommes, d'avoir deux agences, avec une asymétrie sur laquelle je reviendrai.

Vous avez évoqué les lenteurs dans la publication de certaines dispositions réglementaires, vous avez pu interroger M. Glavany pour lui faire part des conséquences de cette lenteur, et M. Dumont a également évoqué quelques-unes de ces conséquences.

Vous dites : " il faut maintenir la différence entre le rôle de l'Agence, l'expertise, l'évaluation, la gestion étant du ressort des politiques " et sur ce point je ne suis pas d'accord. Je l'ai déjà dit maintes fois et en particulier pour l'aliment, le dernier argument en date que je fais valoir est qu'au moment où le Comité Dormont, en tant qu'expert de l'AFSSA, s'est prononcé en rendant un avis différent de celui rendu au plan européen, on a constaté que le politique, qui s'est donc réservé le pouvoir de gestion des crises, avait suivi l'avis des experts peut-être contraint et forcé.

Je crois que ce cas de figure, qui était particulièrement dramatique, montre bien qu'il y a quelque chose d'artificiel à maintenir cette distinction, d'autant que les agences ne sont pas coupées du pouvoir politique, les Directeurs Généraux des agences reçoivent tout de même leur pouvoir du Conseil des ministres.

Sur ce point, je serais d'autant moins d'accord que l'évolution de l'AFSSA, à travers la mise en place de dispositifs au plan européen, risque de mettre en question la fonction uniquement d'évaluation de l'AFSSA.

Vous dites : " il faudra se plier, au moins dans un premier temps, à l'autorité des experts de la structure experte européenne ", je ne vois pas à quoi ce premier temps peut correspondre. Si la mise en place de la structure européenne va dans une sorte de subordination des structures nationales par rapport à la structure européenne, à coup sûr nous nous poserons rapidement la question de savoir pourquoi maintenir des structures expertes nationales.

Le dernier point a été évoqué par Charles Descours à propos de la saisine de l'AFSSA. Il était intéressant de voir le rôle fondamental de l'expertise avec tout ce qui avait été dit précédemment quant à la difficulté du rôle des experts qui, indirectement, ont un pouvoir de décision. On ne voit pas le pouvoir de gestion aller à l'encontre du pouvoir des experts, pour autant que l'expertise soit de qualité.

Mme Marie-Madeleine DIEULANGARD - Je voudrais revenir sur la question, qui a été évoquée, de la coexistence des agences sur le même créneau de compétence à l'échelon européen et à l'échelon français.

Monsieur Scherrer, vous dites qu'il faut maintenir les deux échelons et ne pas fusionner des agences. Je voudrais de façon plus simple poser la question de l'AMM dont les conditions d'obtention ou les critères d'attribution ne sont pas exactement les mêmes selon qu'il s'agisse de l'Agence européenne ou de l'Agence française, et je me dis : quid d'un médicament qui n'obtient pas l'AMM en France et qui l'obtient à Bruxelles ? Quel est le champ territorial de vente ? N'allons-nous pas vers des difficultés qui vont se généraliser avec des avis différents entre lesquels nous devrons trancher ?

Ma deuxième question s'adresse à M. Le Sourd et concerne le financement de l'Agence des produits de santé. M. Duneton nous a dit ce matin que son budget était de 579 millions de francs, qu'il était abondé à 40 % par l'Etat et, bien qu'il ne l'ait pas dit, nous savons que le reste vient de l'industrie pharmaceutique.

Nous étions un certain nombre à travailler sur cette loi et quelques-uns s'inquiétaient un peu du lien financier étroit existant entre cette Agence, qui existait d'ailleurs au préalable avec l'Agence du Médicament, et l'industrie pharmaceutique. Je voudrais avoir votre avis sur l'indépendance de l'Agence et sa parfaite autonomie lorsqu'il s'agit de délivrer une AMM.

M. Alain GOURNAC - Monsieur Scherrer, l'expertise de votre profession est connue, mais je crois qu'on ne peut pas être juge et partie et qu'il faut faire attention. Je pense qu'il faut laisser la décision aux experts de l'Agence parce que, sinon, elle ne sera pas respectée. C'est ainsi, nous sommes en France. Il faut qu'elle soit respectée par tous et d'ailleurs également par votre profession. J'ai souhaité que l'Agence soit vraiment indépendante pour qu'il n'y ait pas de discussion possible.

Vous parlez de " pression de la politique " : surtout pas, Monsieur Scherrer, ni la politique ni le Gouvernement, il faut que cette Agence soit libre et indépendante pour qu'elle soit respectée.

M. Pierre LE SOURD - L'objectif de la procédure européenne est de permettre l'accès à l'innovation simultanément dans tous les pays de l'Union européenne et c'est un progrès majeur. L'accès à l'innovation dont nous avons parlé, par rapport à cet objectif de mondialisation de l'information, est un véritable souci, nous avons du mal à imaginer qu'un produit innovant soit disponible en Europe et ne le soit pas aux Etats-Unis et vice versa.

De ce point de vue, la procédure européenne est un véritable progrès ; la procédure décentralisée, qui est amenée à disparaître, concerne beaucoup moins les produits d'innovation qui sont ceux dont nous parlons aujourd'hui.

La contribution de l'industrie pharmaceutique au bon fonctionnement de l'Agence a été soutenue par l'industrie, et cela doit rester très raisonnable. Ce n'est pas le rôle des industriels de financer l'Agence au-delà d'un pourcentage de son budget qui doit rester très limité.

L'indépendance de l'Agence est indiscutable, même si la presse se fait l'écho de la capacité de lobbying de certaines firmes pharmaceutiques auprès de certains experts ; fondamentalement, il n'y a pas de doute possible quant au fait que l'Agence est irréprochable dans sa capacité de porter une évaluation sur la sécurité et l'efficacité d'un nouveau médicament sans aucune influence.

M. Victor SCHERRER - Je voudrais revenir sur cette notion d'évaluation et de gestion des crises.

La dioxine est arrivée, les scientifiques se prononçaient plus ou moins, nous ne savions pas où nous en étions et, le samedi matin, la DGCCRF a rendu un avis. Si nous avions appliqué l'avis, le lundi matin toutes les routes de France et de Navarre auraient été bloquées par des camions, et toutes nos flottes de camions n'auraient pas suffi à reprendre nos produits dans les linéaires de la grande distribution ; c'était irréalisable. C'est ça, la gestion de crise, c'est : " que faisons-nous le lundi matin ? ".

Le lundi matin nous nous sommes réunis au ministère de l'Agriculture avec Mme Lebranchu, nous avons simplement essayé de traduire cet avis en possibilité de gestion de la crise et nous y sommes arrivés. Il y a eu des avis scientifiques -pour autant que l'on puisse les avoir très rapidement- il y a eu le politique qui est en charge d'un bien commun qui nous dépasse, et il y a eu l'industriel. Je voulais dire qu'à certains moments, l'expertise scientifique et l'évaluation du risque ne peuvent pas déborder et devenir gestionnaires du risque. C'est très dangereux, et je ne suis pas sûr que l'Agence le souhaite.

M. Charles DESCOURS - Nous avons regardé depuis quelque temps ce qui s'est passé ; nous souhaitons que l'Agence parle, et non le ministre de l'Agriculture, avant le ministre de la Santé parce que nous avons assisté à quelques cacophonies gouvernementales très regrettables.

Vous devez savoir, Monsieur Scherrer, ainsi que les industriels, que, pour nous, celui qui doit parler à l'opinion est bien l'Agence. Nous avions un peu critiqué M. Kouchner en lui disant qu'il s'était laissé déborder par le ministre de l'Agriculture dans l'affaire de la vache folle , la fois suivante, Mme Gillot est intervenue la première à la télévision et ensuite, il y a eu M. Glavany... Nous voyons que cela donne des cacophonies terribles ; recentrons les choses sur l'Agence et cela évitera ces dysfonctionnements très préjudiciables à la bonne gestion des crises.

M. Victor SCHERRER- C'est notre état d'esprit, nous considérons actuellement que la lenteur de mise en place de certaines instances vient du fait que les ministères ont trop d'importance. Les personnes de l'Agence elles-mêmes et d'autres ont envie, dans leur domaine, de pouvoir mieux gérer leur boutique. Nous sommes à 100 % d'accord. Je parlais ici de la gestion presque économique de la crise.

Madame Dieulangard, comment voulez-vous qu'une instance unique à Bruxelles puisse gérer des questions spécifiques sur le Camembert, le Munster, l'Epoisse etc. ?

Ils n'ont pas actuellement la capacité d'appréhender le modèle alimentaire français comme nous. Nous voulons un temps d'acclimatation pour permettre de traiter des questions liées aux terroirs. Le mot terroir est intraduisible en anglais ; nous représentons 4.250 entreprises, dont les multinationales et les PME, nous raisonnons en termes de Camembert, de Bourgogne, de rillettes, de nougat etc. : ce sont nos adhérents. Lorsqu'il y a des problèmes sur ces produits, comment voulez-vous qu'un Belge ou un Allemand puisse rendre un avis sur le Camembert ?

Quant à l'indépendance, il y a dans notre entreprise des scientifiques de valeur et vraisemblablement le budget total que nous dépensons en matière d'expertise scientifique est très nettement supérieur à celui de l'Agence. Nous demandons simplement, lorsque l'information scientifique est disponible, qu'elle puisse être à la disposition de l'Agence.

En outre, je vous l'ai bien dit tout à l'heure, j'insiste sur le fait que nous ne voulons absolument pas faire partie du processus de décision. Il est de notre intérêt vital que l'Agence soit totalement indépendante et que l'on ne puisse en aucune façon dire : " Vous voyez, les industriels ont encore fait leur coup ". Surtout pas ! En revanche, que l'on prenne ce principe et qu'on le retourne contre nous en disant " pour ne pas être suspectés d'influencer des industriels, nous n'utiliserons même pas la compétence scientifique qui est chez eux ", je crois que c'est une grave erreur.

IV. LE POINT DE VUE DES JOURNALISTES

M. Claude HURIET - Monsieur le Président, au nom de Charles Descours, de la commission et de moi-même, je remercie les journalistes qui ont répondu à notre invitation.

Le but de cette journée est de se rendre compte si, un an après leur mise en place, les deux Agences de Sécurité Sanitaire et l'Institut de Veille Sanitaire fonctionnent bien. Cela s'inscrit dans la démarche, assez habituelle maintenant, de la commission des Affaires sociales du Sénat, qui se donne pour rôle d'assurer le suivi des textes législatifs adoptés, en considérant que le rôle du législateur ne doit pas s'arrêter après l'adoption d'un texte. Ce n'est pas une démarche de contrôle, ni d'évaluation : il s'agit de voir, d'abord, comment les organismes que le législateur a voulu créer se sont mis en place, avec les quelques mois de retard sur le calendrier prévu, dont on peut penser qu'ils sont maintenant rattrapés, quelles sont les conditions de leur fonctionnement et quelle perception a l'opinion de la mise en place de cette organisation innovante.

Nous avons eu, ce matin déjà, un éclairage à travers l'audition de Mme la Présidente de l'Union fédérale des consommateurs. Ce qui nous intéresse beaucoup cet après-midi, c'est de savoir, en tant qu'observateurs, relais de l'opinion et pouvant sensibiliser celle-ci, quelle est votre perception et quels points, selon vous, pourraient contribuer à rendre ce dispositif nouveau encore plus efficace en termes de sécurité des produits destinés à l'homme.

A. AUDITION DE MME MICHÈLE BIÉTRY, LE FIGARO

Mme Michèle BIETRY - Pour nous, journalistes -c'est ce que je ressens et c'est aussi le sentiment de mon service au Figaro- le système français s'est alourdi et n'est pas encore très bon.

L'Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments, sur la vache folle, est vraiment très performante. Elle donne une bonne information, elle a un bon site Internet, elle suit le sujet de très près. Sur ce plan, nous pouvons bien travailler.

Je n'en dirai pas autant de l'Institut de Veille Sanitaire ou de l'Agence Française de Sécurité Sanitaire des Produits de Santé, non pas en raison de la mauvaise volonté des personnes qui y travaillent -au contraire, nous avons de bons rapports avec elles et même de l'estime- mais je reprocherai à ces agences de ne pas avoir eu les moyens de mettre en place des structures d'information proches de ce que peut faire la FDA américaine ou les CDC. En effet, si l'on a mis en place des agences qui n'ont pas des pouvoirs de décision, mais des pouvoirs de consultation, c'est pour qu'elles puissent faire connaître leur opinion. Or, en général, pour un journaliste de la presse quotidienne, avoir accès de façon rapide à leurs informations relève du " sport ". Cela demande du temps, non pas parce qu'elles refusent de communiquer, mais parce que l'on n'a pas donné à ces agences clés les moyens de diffuser des informations de façon moderne.

Pour nous, journalistes, Internet a vraiment changé l'accès aux informations. Quand nous entrons sur le site de la FDA -et je vous conseille de le faire, car il est absolument extraordinaire- nous avons accès à tous les documents. Les sites de nos agences sont " gentils ". Celui de l'Agence Française de Sécurité Sanitaire des Produits de Santé est extrêmement pauvre ; c'est le moins que l'on puisse dire. Quant à celui de l'Institut de Veille Sanitaire, je ne peux même plus en juger car il y a longtemps que je n'y vais plus : chaque fois que je voulais entrer dans le bulletin épidémiologique hebdomadaire, mon ordinateur " explosait " ! Ce n'était pas tout à fait un bulletin papier, mais presque... Donc, j'ai gardé les bulletins papier et je les consulte.

Je trouve cela extrêmement grave. Je répète qu'il s'agit d'agences consultatives, qui donnent une opinion ; donc, il faut pouvoir la connaître. Par exemple, quand nous voulons une information de l'Institut de Veille Sanitaire, il faut contacter l'attachée de presse : si elle n'est pas là et le spécialiste non plus, il faut rappeler le lendemain. Nous ne sommes pas assez tenus au courant de leurs travaux, qui sont souvent très bons. Donc, beaucoup d'éléments manquent.

Je citerai un exemple : lors du lancement du nouveau médicament contre la grippe, le Relenza, nous avons été abondamment informés par les industriels. Cela sentait légèrement l'intoxication, d'ailleurs, d'où certains soupçons de notre part. Où ai-je découvert les discussions en cours sur le sujet ? Sur le site de la FDA, où j'ai eu accès directement au compte rendu de l'Advisory committee, panel qui procède aux auditions sur les nouvelles classes de médicament, avec donc le point de vue des industriels et des différents experts. Nous avons ainsi pu avoir accès au vrai débat nous permettant de juger les propos des industriels.

Où est l'information de l'Agence Française de Sécurité Sanitaire des Produits de Santé sur les fameuses discussions qui peuvent avoir lieu ? Nous n'avons rien ! C'est très mauvais. Nous, grand média, nous n'allons pas " pleurer ". Le Figaro a accès à tout le monde, sauf si les personnes ne veulent vraiment pas parler, mais aller déranger le Professeur Alexandre ou le patron de l'Agence du Médicament pour un petit renseignement me paraît une aberration. Il n'existe pas de système d'information. C'est le reproche que je formulerai à l'égard des agences en tant que telles.

Second aspect : le système français. J'ai écrit un certain nombre d'articles. J'ai toujours émis des doutes sur les pouvoirs des agences vis-à-vis des grands ministères. Il est évident que le ministère de l'Agriculture a gardé tous ses pouvoirs et sa capacité de silence, qui est une des meilleures de France ! Je peux le dire en tant que journaliste. Nous n'avons jamais rien ! Si nous demandons le texte d'un décret publié, on nous répond : " On ne sait pas si on va pouvoir vous le donner ", d'où des réactions assez conflictuelles. Après, on nous dit : " Mais il fallait nous appeler " ! C'est le ministère le plus opaque de France. Je me demande s'il ne fait pas concurrence au ministère des Finances... Je n'en jurerai pas. Donc, nous n'avons jamais rien et quand, après, nous avons découvert l'information qui, en général, n'est pas si dramatique, évidemment, nous avons tout le monde au téléphone, mais les articles ont déjà été rédigés et publiés.

Contrairement à tous les discours que l'on entend sur la séparation du contrôle et de la décision, le ministère de l'Agriculture, véritable forteresse, a gardé la tutelle et le contrôle. Quand il est question de sécurité alimentaire, l'information dépend trop de ce ministère, les décisions également. Lors des histoires sur la listeria, la bagarre interministérielle était prévisible. Il y a eu de la cacophonie, comme avec le colza génétiquement modifié, mais il ne pouvait en être autrement. Ces grands ministères de tutelle qui défendent des secteurs économiques -et ils ont raison d'ailleurs- n'ont pas réussi à intégrer la notion de ministères défendant des biens un peu plus immatériels et essentiels comme la consommation ou la santé. Nous nous demandons même s'ils savent que ces agences existent, sauf peut-être sur la vache folle : sur ce point, nous demandons l'avis de l'Agence, mais, pour le reste, je crois que l'on en est resté à la grande tradition française : " Je suis la tutelle, je décide et je vous enverrai un communiqué de presse de trois lignes dans les quinze jours ", ce qui, d'ailleurs, permet toutes les crises. Je peux vous dire, par exemple, mais je ne voudrais pas prendre trop de temps, comment j'ai ressenti la " crise " des OGM, si on peut l'appeler ainsi, car l'analyse que j'en ai faite est assez typique.

M. LE PRÉSIDENT - Il est certain que la traduction médiatique des crises, qui peut être quelquefois excessive, d'autres fois insuffisante, pas assez didactique, plus émotive, est aussi un problème.

Mme Michèle BIETRY - D'un point de vue journalistique, actuellement, je pense qu'en matière de sécurité sanitaire nous sommes dans une période révolutionnaire, c'est-à-dire de tous les excès. On va accuser les médias, mais, en fait, ceux-ci sont un peu les otages de l'opinion publique. Pour les OGM, c'est typique : c'est devenu une crise d'hystérie pour un danger difficilement identifiable, mais il y a eu aussi des façons d'agir un peu impérialistes de l'industrie agro-alimentaire. On pouvait s'interroger sur la dispersion. Pourquoi faire des OGM ? Pour ma part, je n'ai pas peur d'en manger. Je me " gave " de gènes régulièrement, contrairement à beaucoup de personnes interrogées, qui pensent que les gènes n'existent que dans les organismes génétiquement modifiés.

Je suis plus inquiète de laisser faire des " tripatouillages " de gènes peut-être pas très utiles. Récemment nous avons ainsi publié un article dans Le Figaro à propos du riz génétiquement modifié. Des industriels ont dépensé énormément d'argent pour modifier génétiquement un riz afin qu'il résiste à un insecte qui détruisait peu les récoltes.

Je n'ai pas non plus peur de manger du colza génétiquement modifié, d'autant plus, n'étant pas une vache, je ne consomme pas de tourteaux. Cela mis à part, si l'on constate que le colza peut aller hybrider à l'extérieur, si -parce qu'il est quand même difficile de ne pas mélanger les graines- au fil des jours, comme ce n'est pas très dangereux, on mélange tout et l'on se retrouve avec des plantes résistant à un herbicide et que, pour s'en débarrasser, il faut arroser d'un autre herbicide, cela me paraît un peu stupide.

C'est ma vision, mais je ne peux pas tellement l'expliquer à mes lecteurs parce qu'ils ont peur des OGM, peur de la vache folle. Il existe une peur moyenâgeuse que nous, les médias, ne pouvons plus maîtriser. Nous pouvons garder un peu de mesure, mais pas garder le silence. Actuellement, nous sommes face à une peur panique absolument ridicule. Nous l'avons vu avec la listeria. Quand il y a eu quelque 60 ou 90 morts en 1990 ou 1992, on s'en est peu préoccupé et, quand il y a eu 7 morts, c'est devenu une révolution nationale. Je comprends que le ministère de l'Agriculture veuille défendre ses industriels de la charcuterie, parce qu'il était ahurissant que les consommateurs ne veulent plus en manger, ce qui ne les empêchait pas d'avoir des réfrigérateurs très mal entretenus, à 10 degrés minimum, permettant à la listeria de s'épanouir en compagnie de certaines salmonelles et staphylocoques.

Il existe des modes. Aujourd'hui, on n'a plus peur de la salmonelle. On va peut-être avoir peur du téléphone mobile, mais on hésite parce qu'il faut s'en séparer. Je parlais de situation révolutionnaire parce que l'on prend conscience qu'il faut faire attention à la sécurité sanitaire et, du coup, on tombe dans l'excès.

B. AUDITION DE M. PAUL BENKIMOUN, LE MONDE

M. Paul BENKIMOUN - Aux expressions près, peut-être, je souscris au bilan dressé par Michèle Biétry. Donc, je n'y reviens pas, si ce n'est peut-être pour apporter un complément sur l'aspect européen.

Le site de la DG XXIV, qui a en charge la sécurité des consommateurs notamment au niveau de l'Union européenne, n'est pas non plus un modèle de rapidité pour mettre en ligne les rapports de structures d'expertise qui travaillent à Bruxelles. De ce point de vue, on pourrait même décerner un bon point à l'AFSSA qui met plus rapidement en ligne ses avis que ne le fait la DG XXIV.

Michèle Biétry évoquait les pratiques ancestrales du ministère de l'Agriculture. Il est vrai que l'on a vu à l'échelle européenne, avec la crise de la vache folle, qu'il a fallu attendre que soit rendue publique l'existence de cas humains contaminés par l'agent de la maladie de la vache folle pour voir pointer des considérations sanitaires, alors que, jusque-là, on prenait seulement en compte les conséquences économiques pour le monde agricole et le monde des éleveurs.

Nous sommes effectivement à une époque où des bouleversements, des évolutions se produisent, avec en particulier une double exigence : une exigence de sécurité sanitaire, même si cette exigence va parfois au-delà du rationnel, et une exigence de démocratie sanitaire. J'emploie ces termes, même si je sais qu'ils recouvrent également les questions d'accès aux soins : là, je les entends en termes d'accès à l'information concernant la sécurité sanitaire. Même si le mot est à la mode, des expressions un peu galvaudées deviennent rituelles : transparence, non-existence du risque zéro, etc. On pourrait presque faire des discours préformatés avec ce jargon. Le terme de transparence, me semble-t-il, en l'espèce, correspond à cette exigence de savoir, qui renvoie à des questions démocratiques. De fait, la presse, relaie cette double exigence.

La presse -je suis d'accord avec Michèle Biétry- ne fait pas que former l'opinion, même si elle y contribue. La presse n'est pas exempte de défauts dans sa façon de fonctionner : pas une Rédaction ne se détermine sans regarder ce que les autres ont fait ou sans présupposer ce qu'elles vont faire ; donc, il y a bien sûr des biais, mais je pense que la presse a une responsabilité particulière sur un terrain aussi sensible que l'est devenue la sécurité sanitaire dans un pays marqué par certains scandales comme celui du sang contaminé, ou de l'hormone contaminée, et par des pratiques d'opacité comme en matière de nucléaire.

Un exemple récent : celui de la halte-garderie dans le 7 ème arrondissement à Paris, qui a suscité une réaction extrêmement forte de la part des parents, inquiets à l'idée que leurs enfants aient pu être exposés à des rayonnements ionisants. On ne peut se contenter de les rassurer en leur disant : " Nous avons pris des mesures. Vos enfants ne risquent rien ". Lors d'une réunion lundi dernier au secrétariat d'Etat à la Santé, le Directeur Général de la Santé leur a dit : " Compte tenu des mesures dont nous disposons, vos enfants n'ont pas été exposés à un risque. Nous sommes en dessous des normes, mais je sais très bien que, bien que je puisse vous affirmer que les examens sont inutiles, beaucoup d'entre vous ne seront rassurés que lorsque vos enfants auront passé les examens nécessaires ", tout en les prévenant de la lourdeur de ceux-ci.

On sent bien que l'on ne peut pas simplement répondre par un discours d'expertise et un discours rationnel à une exigence qui combine des aspects nobles : ceux d'exigence démocratique, et des aspects de peurs irrationnelles et démesurées.

Dans cette configuration, compte tenu que la presse est à la fois acteur et récepteur de ce qui se passe dans notre société, elle a une responsabilité particulière. Sans elle, certains scandales n'auraient peut-être pas été mis au jour, ou tout au moins n'auraient pas eu la résonance qu'ils ont eue : le sang contaminé vient immédiatement à l'esprit. La presse joue un rôle que l'on pourrait qualifier d'aiguillon, de pression. Sans une presse active présente sur la question de la vache folle, peut-être que l'on n'aurait pas eu enfin, après une attente interminable, le début des résultats des enquêtes de la Brigade nationale d'enquête vétérinaire, qui intervient chaque fois qu'un cas est découvert dans un troupeau. On a eu un premier rapport préliminaire, mais on sent bien que c'est un combat.

Par ailleurs, la presse est également en situation de répercuter un certain nombre de données scientifiques. On en a eu un exemple ce matin avec la question du vaccin contre l'hépatite B. On est en situation d'incertitude, et l'expertise est précisément d'autant plus sollicitée. Le problème est qu'elle ne restitue pas uniquement des certitudes, mais aussi des incertitudes. C'est toute la difficulté d'arriver à expliquer ce que l'on sait, mais aussi -ce qui me paraît essentiel- ce que l'on ne sait pas et que l'on ne peut pas écrire ni prouver.

Je pense que chacun trouverait dans les autres médias aussi bien que dans le sien propre des éléments qui l'ont fait bondir en termes d'inexactitude, de présentation erronée. Je garde le souvenir d'un quotidien qui, sous le surtitre : " Vache folle ", citait la découverte d'un cas de maladie de Creutzfeldt-Jakob. L'article précisait que, selon les médecins ayant examiné la personne, il s'agissait d'une forme classique et précisément pas de celle liée à la vache folle, d'où une contradiction absolue entre le surtitre et le contenu.

On se rend compte que, quels que soient les médias, pour la moindre méningite, le moindre cas de Creutzfeldt-Jakob, fût-il classique, pour une maladie faisant moins de dégâts qu'un week-end sur les routes, pour reprendre une comparaison habituelle, il y a un effet d'entraînement et plus personne ne peut arrêter cette machine qui fait qu'aujourd'hui on ne peut plus passer sous silence ces questions. Cela renvoie la presse à sa façon de fonctionner, sa déontologie, sa façon d'informer, la qualité et la hiérarchie des informations diffusées et peut-être à la question : " l'information est-elle manipulée ? ".

Comment informer ? L'essentiel du rôle de la presse est de donner à ses lecteurs, auditeurs, téléspectateurs les moyens de se faire leur propre opinion. J'avoue avoir une méfiance de principe face au journalisme à thèse, au journalisme d'imprécation, face à la prime à l'inquiétude, même si je ne m'estime pas plus " vacciné " qu'un autre journaliste contre ce type de travers, mais, me semble-t-il, même si c'est moins facile à faire accepter par toute Direction de la rédaction, il faut aussi parler des trains qui arrivent à l'heure, et pas uniquement de ceux qui ont déraillé. Le problème est que l'on sent bien qu'il y a quasiment une contradiction dans un contexte où la concurrence est rude ; et encore, dans la presse écrite, la situation n'est pas tout à fait celle de l'audiovisuel.

S'agissant de la qualité de l'information, là encore, il existe des principes de base. Le premier est de s'adresser à des sources fiables, par exemple des publications. Une déclaration de médecin, fut-il professeur, sur une notion qui n'a pas été publiée dans une revue scientifique disposant d'un comité de lecture, qui ne répond pas aux critères de qualité méthodologique, malgré l'estime que l'on peut avoir pour cette personne, n'est pas à mettre sur le même rang qu'une information qui a fait l'objet de tout un processus de validation. Au-delà, tout journaliste apprend qu'une information doit être vérifiée, recoupée avec d'autres sources. Sur des sujets qui prêtent à des controverses -et c'est le cas en matière de sécurité sanitaire- il est important d'avoir les deux " sons de cloche ". L'exemple des OGM est typique. Des thèses s'affrontent radicalement. Sur un sujet riche, qui a à la fois des dimensions scientifiques, économiques, politiques et sociales, on ne peut se contenter d'avoir sa propre thèse et de la véhiculer dans les colonnes d'un journal.

En matière de hiérarchie de l'information, il faut avoir en tête un critère, une interrogation : qu'est-ce que cela change ? Evoquer chaque cas de listériose ponctuel, en dehors d'un cadre épidémique, n'a aucun sens. En même temps, les dix premiers cas de nouveaux variants de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, c'était très peu, mais, qualitativement, c'était un phénomène qu'il était important de répercuter parce que quelque chose se produisait et l'on voyait le bout de la pointe de l'iceberg.

Pour conclure, la question de la manipulation est un éternel problème. On pense toujours être le chien qui remue la queue et, en fait, on est parfois la queue qui imagine remuer le chien. Il existe une sorte de dialectique entre les sources d'information et le canal que représente un média. Nous avons tous été, à un moment ou à un autre, sollicités par un responsable politique, d'une institution ou autre ayant des éléments importants ou décisifs à nous faire part sur telle ou telle question et, au bout du compte, nous pouvons nous interroger sur le caractère nouveau des faits annoncés. Ainsi, dans le milieu qui suit les questions de la vache folle (experts, citoyens, journalistes...), il y a eu des discussions sur la signification de cette mystérieuse troisième voie de contamination évoquée par le ministre de l'Agriculture. Personnellement, je pense qu'il y a encore beaucoup à dire sur les deux premières voies, sur les conditions dans lesquelles les farines animales continuent d'être utilisées en France, sur la possibilité de contamination croisée, sur les pratiques du monde agricole, des industriels agro-alimentaires, avant peut-être d'aller chercher une troisième voie dont certains experts, et non des plus mauvais a priori , ont tendance à penser qu'elle reste une explication marginale de l'ampleur de l'épidémie.

Donc, bien sûr, ces risques de manipulation existent, mais, pas plus qu'il ne viendrait à l'esprit de rejeter la démocratie parlementaire au motif qu'elle connaît parfois quelques dévoiements, lourdeurs ou difficultés, je pense qu'il faut réaffirmer le rôle de la presse comme un acteur de ce débat démocratique, en particulier sur la sécurité sanitaire.

M. LE PRÉSIDENT - Merci. Après les grands quotidiens du matin et de l'après-midi, celui de tous les quarts d'heure...

C. AUDITION DE MME MARINA MIELCZAREK, RADIO FRANCE INTERNATIONALE ET FRANCE CULTURE

Mme Marina MIELCZAREK - C'est justement une grande différence par rapport à mes collègues : en radio comme en télévision, on demande des réponses dans la minute, voire dans le quart d'heure. Je dois rendre hommage aux services de presse de l'AFSSA qui sont inondés, dès qu'il y a une dépêche AFP ou REUTER, par les appels téléphoniques sollicitant le spécialiste. Je n'ai pas de solution, mais je vais exposer les problèmes, les difficultés que nous rencontrons entre collègues.

Quand un article paraît dans Le Parisien, Le Figaro ou Le Monde, le spécialiste cité peut être repris par le journaliste radio qui n'est pas forcément un spécialiste de santé ou de l'ESB. Une radio fonctionne un peu différemment de la presse écrite, avec des services " Reportages de société " chargés un peu de tout. Sur les sujets clonage, ESB, OGM, santé, nutrition, statut de l'embryon, il y a un manque de savoir de la part de chaque journaliste, par manque de formation ou d'études. Nous venons tous de milieux différents. Vous devez savoir que c'est très important, d'où la nécessité d'avoir accès à des sites Internet avec des informations très précises, peut-être des repères chronologiques nous évitant de perdre du temps à rechercher de la documentation.

Un autre problème : chaque journaliste doit avoir son carnet d'adresses. Quand un service " Reportages de société " ou un journaliste de garde le week-end a un problème sur l'ESB, il contacte la personne citée. Il faut toutefois faire attention à ne pas se limiter à un seul avis, celui des spécialistes dont le nom revient toujours.

Il en est de même s'agissant des OGM. J'étais récemment à Lille à un congrès organisé par les producteurs de maïs. J'écoute, mais mon rôle n'est pas, après, de relayer leurs propos, leur avis sur le fait qu'il n'y a pas de danger, que toutes les précautions ont été prises, etc. Mon rôle est d'écouter et de savoir. Je me souviens de la réaction de Marie-Christine Blandin, présente dans la salle, qui s'est élevée contre cette réunion dirigée par l'industrie. Il faut faire très attention. Nous sommes dans une position où nous écoutons et, après, nous devons donner un avis qui n'est même pas tranché par les spécialistes. Même si nous disons au micro que nous ne savons pas, l'auditeur se méfie.

Certaines réponses doivent être apportées tout de suite. Je me souviens de l'affaire du Coca Cola et du fameux phénol qui aurait traversé : chimiquement parlant, ce n'était pas possible. Alors, que dire ? Coca Cola devait apporter une réponse aux radios dans la minute. Fallait-il inventer n'importe quoi, dire que c'était le phénol des palettes pour faire taire les journalistes ?...

Nous sommes confrontés à ces problèmes parce que nous travaillons dans le quart d'heure, dans la minute. Il faut le savoir. Je n'ai pas de réponse. Je ne sais pas comment il faut travailler avec les services de presse, comment organiser l'information.

J'ai également assisté à Edimbourg à une conférence sur les OGM. On parlait de l'Europe, ce matin, et de la création d'une Agence européenne. Je travaille pour Radio France Internationale. Nous avons une ouverture sur l'Afrique, l'Inde, l'Asie. Je me suis rendu compte que l'on focalisait beaucoup sur notre petite Europe. Au sein même de notre Rédaction, nous avons avec mes collègues des débats passionnés. Ces derniers m'ont même dit que j'étais un suppôt de la science parce que je disais que les OGM n'étaient pas dangereux !

Je demande un peu plus de noms de spécialistes par question. Quand il faut téléphoner dans la minute, qui appeler : le ministère de la Santé, celui de l'Agriculture, celui de l'Environnement ? Tout est imbriqué. Je pense qu'il faut organiser des débats sur ces questions et peut-être travailler ensemble.

Ce matin, sénateur Huriet, vous vous félicitiez de la création des deux agences : médicaments et alimentation. Je me demandais comment nous allions faire quand il y aurait la deuxième génération des OGM qui seront des alicaments...

Il faut vraiment agir. Il y a là un grand chantier d'organisation de l'information et il conviendrait d'établir une liste de spécialistes auxquels s'adresser en cas d'urgence.

Je me souviens aussi de conférences d'information que vous aviez instaurées sur le statut de l'embryon ou le clonage, questions que je traite aussi, qui sont extrêmement complexes. Un reporter qui travaille sur différents sujets ne peut tout connaître. Il faudrait peut-être faire des petits pensums -encore une fois, je cherche avec vous- ou organiser des réunions d'information régulières au ministère ou ici, au Sénat, des rendez-vous pour mettre au courant les journalistes. Voilà une proposition.

M. LE PRÉSIDENT - Merci. En tout cas, votre dernière suggestion va fortement retenir notre attention. Nous allons voir comment cela pourrait être organisé.

Mme Marina MIELCZAREK - C'est vraiment une demande réelle de notre part d'avoir des informations régulières, car ces sujets évoluent tellement vite...

M. Claude HURIET - Je voudrais dire combien nous avons été intéressés, passionnés par vos interventions en direct, dont je pense que les élus doivent tirer profit et peut-être instaurer un échange. En effet, nous appartenons à deux mondes qui se rencontrent souvent, mais ne se connaissent pas bien. M. Jacques Drucker assiste, dans le public, à nos travaux de cet après-midi. Si le Président en est d'accord, peut-être pourra-t-il apporter des éléments de réponse en complément.

Mme Michèle Bietry, avant de développer des interrogations et des regrets, plus que des critiques, concernant l'accès à l'information, a parlé de l'alourdissement du système. J'aimerais qu'elle précise rapidement ce point, qui n'est pas le principal de vos interventions. En tant qu'inspirateurs et coauteurs de la proposition de loi, avec la commission des Affaires sociales, nous serions tous très déçus si nous avions abouti, alors que tous nos efforts allaient en sens inverse, à un alourdissement du dispositif. En effet, l'idée était d'avoir des structures plus lisibles. Ce travail est entrepris, mais n'a pas encore abouti. Vous avez dit qu'en matière d'accès à l'information, l'AFSSA était bien et l'AFSSAPS et l'IVS moins bien.

Mme Michèle BIETRY - L'AFSSA est bien pour la vache folle.

M. Claude HURIET - Il est mieux de préciser que, finalement, votre appréciation ou réserve concerne les trois structures, car cela aurait pu mettre l'une en difficulté par rapport aux deux autres.

Vous nous avez dit que ces organismes, y compris l'IVS, n'avaient pas eu les moyens pour développer leurs structures d'information.

Mme Michèle BIETRY - Il s'agit d'organismes consultatifs et non pas décisionnels. Donc, leur grande force est de faire circuler le savoir. Certes, ce ne sont pas des agences de communication, mais l'information doit devenir accessible. Ces organismes sont dotés de moyens assez archaïques : un site Internet insuffisant, un service de presse avec des personnes dont la qualité n'est pas remise en cause, mais non armées pour faire face à une déferlante de journalistes sollicitant des réponses dans le quart d'heure, toujours au dernier moment. Or, la force d'un organisme consultatif est, justement, de savoir organiser la circulation de l'information.

M. Claude HURIET - Peut-être les deux directeurs généraux, même si nous ne sommes pas dans un après-midi débat, pourraient-ils apporter des éclaircissements sur la qualité de leurs moyens, leur stratégie de communication et les évolutions que vous pouvez attendre et auxquelles, peut-être, ils seront capables de répondre.

M. LE PRÉSIDENT - M. Jacques Drucker, directeur général de l'Institut de Veille Sanitaire, et M. Martin Hirsch, directeur général de l'Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments, m'ont fait savoir qu'ils acceptaient de revenir devant notre commission pour dialoguer avec nos intervenants journalistes. Je les en remercie.

M. Jacques DRUCKER - J'ai entendu l'éclairage des médias et leur constat, compte tenu de leur mission, des difficultés d'accès aux informations données par les agences. J'y souscris.

Effectivement, aujourd'hui, par exemple, l'Institut de Veille Sanitaire n'est pas encore doté des moyens de diffusion des informations qu'il a collectées et expertisées à la hauteur de sa mission. La surveillance de l'état de santé de la population comporte à part entière cette mission de mettre à la disposition des personnes qui en ont besoin, pas seulement les décideurs, mais les professionnels, l'opinion publique, les médias, les informations qu'il recueille et traite. Ce problème des moyens est incontournable.

Il se pose aussi probablement un problème de meilleure connaissance des médias, de leur culture, de leurs contraintes et exigences. Nous devons donc faire nous-mêmes un effort de meilleure connaissance du milieu des médias.

Vous disiez tout à l'heure, par exemple, que vous deviez pouvoir réagir dans le quart d'heure ou la minute. Il est vrai aussi que ces contraintes de réactivité ne sont parfois pas tout à fait les mêmes, ou en tout cas compatibles, avec les exigences des missions techniques et scientifiques qui sont les nôtres.

Sur le fond, notre souci de diffusion, de production et d'accessibilité des informations est vraiment prioritaire. Une meilleure connaissance mutuelle de nos actions est sans doute à développer, mais, très clairement, les moyens doivent être renforcés. Avec un Institut de Veille Sanitaire qui, jusque-là, ne disposait, sur les aspects de communication publique, que d'un poste de Chargé des relations avec la presse -il faut voir l'équivalent chez nos collègues anglais de Londres, sans parler de nos collègues américains, car cela donne le vertige- nous sommes encore dans une phase très artisanale dans ce domaine, mais nous en sommes conscients. Je pense que, dans les mois et années à venir, le développement de nos missions et de nos moyens va nous permettre de corriger le tir.

L'Institut de Veille Sanitaire rencontre une difficulté supplémentaire par rapport aux autres agences qui résulte de l'étendue de ses missions et des champs dans lesquels il travaille. Cela rend encore plus difficile l'organisation de l'information afin qu'elle soit plus accessible, notamment en direction de citoyens et des médias.

M. Martin HIRSCH - Sur ce système très perfectible, peut-être quelques mots sur certaines règles que nous avons essayé de nous fixer. Les journalistes ont leurs contraintes ; nous avons les nôtres.

La première règle est de respecter le fait que vous avez besoin d'avoir l'ensemble des informations en temps utile, rapidement, etc. Sachez qu'un avis scientifique n'est fini qu'au moment où il a été signé. Alors, chaque mot compte et la place d'une virgule peut être importante pour le sens général. Nous savons -et la loi a posé cette exigence- que, de toute façon, il sera rendu public sans délai, si ce n'est le temps que les ministres le lisent et n'en apprennent pas la teneur par la presse. Donc, vous l'aurez rapidement, mais sachez que nous ne pouvons aller plus vite qu'une certaine musique liée à ce fonctionnement. Je dois dire que cela a été bien compris par les journalistes et je voudrais les en remercier.

Seconde règle : nous ne parlons que pour ce qui nous engage. Nous ne sommes pas une agence ou des scientifiques qui vont commenter la prise de position de tel ou tel, et encore moins celle de personnes investies de responsabilités politiques ou dans d'autres institutions. Nous pouvons rendre public le produit brut, l'expliquer, mais pas commenter les prises de position. Nous ne sommes pas un des débatteurs du système. Je crois que, là aussi, cela est compris. Nous disons parfois : " Sur ce point, nous ne nous exprimerons pas ", non pas qu'il existe une loi du silence, mais parce que ce n'est pas notre rôle. Nous sommes un lieu, non pas de débat, mais de production d'informations.

Troisième règle : chacun partage le fait que, dans toutes nos agences, nous consacrons plus de moyens pour soutenir les comités scientifiques et très peu pour cette partie-là, parce que nous ne serions pas excusables si nous n'avions pas mis tous les moyens dont nous disposons, qui sont pour nous tous limités, à faire en sorte que nous puissions rendre les avis et répondre rapidement. Nous avons tous des services de communication très embryonnaires. Nous essayons quand même de répondre vite, même si c'est pour, dans les deux minutes, vous dire : " Pour l'instant, rien n'est sorti. Ne vous inquiétez pas pour le journal de demain " et de vous donner une liste de 4 ou 5 personnes.

Nous en arrivons à la dernière difficulté. Nos contraintes sont de dire que notre avis, notre position ne se comprennent que si vous acceptez de lire la première, la deuxième, la troisième ou la quatrième phrase, celle où il est dit : " Il peut y avoir des risques, mais dans telles ou telles conditions et, par ailleurs, si nous faisons ceci, en revanche, la population ne sera pas exposée à ce risque " : si vous ne prenez que la première phrase, où il est dit qu'il n'y a pas de risque, c'est une transgression du message, ou, si vous ne prenez que la dernière phrase, qui indique que la population est soumise à un risque, c'est également une transgression du message.

Nous avons eu des expériences dans lesquelles nous avons vu quels étaient les avantages de ne pas avoir peur des mots. Par exemple, lorsque nous avons rendu le premier avis sur ERIKA, nous avons, après que les scientifiques eurent eux-mêmes hésité, mis le mot " cancérigène ". Les scientifiques hésitaient, non pas sur le fait de savoir si ce produit était cancérigène, car il n'y avait pas de doute, mais sur le fait de l'écrire ou pas. Avant de signer l'avis, je leur ai demandé si le produit était cancérigène ou pas et ils m'ont répondu par l'affirmative. Je leur ai donc dit : " Alors, nous le dirons ". Je leur ai demandé si, compte tenu des doses, par rapport aux seuils, il existait un risque. Leur réponse a été négative. Donc, vous trouverez dans le même avis le fait qu'il y a un produit cancérigène, mais que, compte tenu des mesures prises, des seuils fixés, etc., il n'existe pas de risque que l'exposition par voie alimentaire provoque un cancer. Cela n'a pas semé de panique, qui aurait été injustifiée, et je vous en remercie.

Mme Michèle BIETRY - Sur cette question, personnellement, je pense que la stupidité a battu des records. Il y a même eu des accrochages assez sanglants au journal quand j'ai dit à un journaliste : " Mon cher ami, tu ne savais pas encore que le pétrole était cancérigène ? " et qu'il m'a répondu : " Non, on me l'avait caché ! ".

Ce que je reprocherai aux administrations françaises, si je les compare à la merveilleuse FDA qui sait aussi être assez hypocrite quand il le faut, ce n'est pas de refuser le contact avec le journaliste, qu'elles ne nous refusent pas toujours, c'est de ne pas répondre à notre besoin d'être informés de façon globale. Quand je me promène sur le site de la FDA, je me régale des avis des Advisory panels, car cela me permet de poser d'autres questions. Quand je me rends à un séminaire d'intoxication de GLAXO, je lis auparavant " l'antidote ". Quand on va nous vendre Viagra 2, je ne téléphonerai à personne, et surtout pas à un spécialiste : je vais chercher les documents. En France, nous ne les avons pas. Où sont les warning letters, que nous trouvons sur le site de la FDA ?

De temps en temps, nous nous offrons un petit plaisir journalistique. Par exemple, si j'apprends que tel industriel, toujours présenté comme un saint, s'est fait " taper sur les doigts " à telle ou telle occasion, je ne vais pas forcément faire un article, mais cela me donne l'ambiance. C'est cela que nous attendons de vous, pas nécessairement pour écrire aussitôt un article. Nous ne l'avons pas ; or, je pense que c'est très important dans le climat actuel. Cela permet aussi de répondre à ce besoin de culture que nous avons, qui évite ces fameuses coupures de phrases. L'Administration française a tendance à se taire : au moins, elle n'est pas coupée, mais, malheureusement, la " cocotte minute " explose à chaque fois.

Donc, vraiment, il s'agit de l'information de base. Par exemple, Monsieur Drucker, nous nous sommes occupés du PCB, qui n'avait rien à faire dans les produits agricoles belges. J'ai plongé dans notre Intranet et j'ai retrouvé des articles. On devait rechercher le taux de dioxine dans le lait maternel en 1997. En 1998, ce n'était pas fait. Idem en 1999. Comme ce n'était pas mon sujet exact et que j'avais peu de collaborateurs à ma disposition, j'ai laissé tomber. S'il y avait eu un bon site Internet, je l'aurais consulté pour faire le point. Là, je sais que, pour avoir réponse à cette question, je dois vous déranger ou déranger le spécialiste occupé à autre chose. Ce n'est pas normal pour savoir, sur un processus engagé administrativement consistant à mesurer le taux de dioxine dans le lait maternel, si l'enquête a été faite ou non. Je vous pose donc la question aujourd'hui.

M. Jacques DRUCKER - Le rapport sera rendu public le 21 juin.

Mme Michèle BIETRY - Merci.

M. Jacques DRUCKER - Vous devez aussi comprendre que, sur certaines questions, collecter de l'information et réaliser une enquête de qualité peut demander du temps. L'exemple de la dioxine dans le lait maternel a nécessité deux ans d'enquête. Je sais que l'on peut aussi prendre 5 ou 10 personnes de façon non aléatoire dans la population française, faire des dosages de dioxine et conclure sur le degré d'imprégnation de la population française. Je pense que ce n'est pas ce que l'on attend de l'Institut de Veille Sanitaire. En l'occurrence, la difficulté est que certaines enquêtes de ce type demandent du temps, d'autant plus lorsque, comme sur des sujets aussi pointus que le dosage de ces dioxine et PCB, il n'existe en France qu'un seul laboratoire ayant cette expertise et cette capacité, qui n'a pas pour autant une mission prioritaire de santé publique, d'où des délais.

Donc, de façon concrète, vous aurez une réponse le 21 juin.

Mme Michèle BIETRY - Merci.

M. Lucien NEUWIRTH - J'ai observé qu'en règle générale nos administrations, sur Internet, n'étaient pas à jour. Manifestement, ce n'est pas encore entré dans notre culture.

Mme Michèle BIETRY - Nous félicitons le Sénat quand même !

M. Paul BENKIMOUN - Michèle Biétry a eu l'air de " crucifier " les agences de veille sanitaire qui ont un an d'existence, mais l'on se rend compte que ce problème de communication est assez général à l'Administration. On pourrait citer la Direction générale de la Santé. C'est un problème de même nature, y compris les périodes de vacance du poste, qui fait que c'est parfois l'alternative : soit on dérange le Directeur de l'administration, soit il faut se contenter de réponses vagues.

On a toujours dit qu'il y avait en France de bons épidémiologistes, ce qui, je crois, est vrai, mais il semble que, dans beaucoup de structures, on bute sur la difficulté d'exploiter des données existantes. Vous l'avez vu vous-même à propos des comités consultatifs : vous n'avez eu les données que pour une année parce qu'il y avait eu un stagiaire à la Direction Générale de la Santé pour les exploiter et pas les années suivantes.

M. Claude HURIET - Dans le prolongement de votre réflexion et de cet exemple, j'indique que la commission des Affaires sociales a décidé, il y a quelques semaines, de me missionner, avec quelques collègues, pour faire le point sur le fonctionnement des CCPPRB.

Pourquoi fais-je cette réponse ? Il est vrai que cela peut apparaître comme disproportionné et qu'au fond les quelques éléments et quelques points de repère que j'avais demandés au moins à trois ou quatre reprises depuis deux ans auraient pu être, naturellement, fournis par l'Administration. Là, les agences ne sont pas en cause. C'est parce que l'Administration centrale n'a pas été capable ou n'a pas voulu me livrer ces éléments que les parlementaires, qui exercent leurs prérogatives de contrôle et de suivi, ont mis en place une mission. L'avantage est que cette mission pourra sans doute aller plus loin que le simple recueil de données statistiques.

M. LE PRÉSIDENT - Nous avons abordé des points tout à fait intéressants avec les journalistes. Je les en remercie. Je remercie également MM. Martin Hirsch et Jacques Drucker de s'être prêtés à un débat contradictoire impromptu.

V. LE POINT DE VUE DES EXPERTS

A. AUDITION DE M. MARC ELOIT, MEMBRE DU COMITÉ INTERMINISTÉRIEL SUR LES ENCÉPHALOPATHIES SPONGIFORMES SUBAIGUËS TRANSMISSIBLES, MEMBRE DU CONSEIL SCIENTIFIQUE DE L'AFSSA

M. Marc ELOIT - Mesdames, Messieurs les sénateurs, bonjour. Merci de m'avoir invité.

Je voudrais dire en préambule que, contrairement aux intervenants de ce matin et sans doute de cet après-midi, je ne représente que moi-même ; donc, mon discours est très personnel.

Je suis virologiste. Je travaille à l'Ecole vétérinaire de Maisons-Alfort. Je suis responsable d'un groupe de génétique des virus. Je travaille dans deux structures au titre de l'expertise : depuis sa création dans le groupe de sécurité virale, dans ce qui s'appelle aujourd'hui l'AFSSAPS, et, depuis sa création également, dans le Comité interministériel sur les encéphalopathies spongiformes.

Si je dois analyser le rôle de l'expert en situation de crise, je choisirai l'exemple de la BSE, que je connais le mieux. Il me paraît avoir une certaine originalité, qui n'est pas totale, qui concerne, d'abord, la notion d'incertitude, ce qui définit un rôle pour l'expert, et, ensuite, la notion d'urgence, contrainte également importante.

Nous sommes dans un contexte d'incertitude. Je rappelle que l'agent pathogène n'est pas connu ; que la distribution dans l'organisme, c'est-à-dire la manière dont on peut qualifier la dangerosité de tel ou tel organe, est connue par des techniques très peu sensibles, en particulier dont la sensibilité relative par rapport à celle de l'homme n'est pas connue ; que, si le mode principal de transmission est connu, l'existence de modes alternatifs reste inconnue ; que les doses infectantes pour l'homme ne sont pas connues non plus et que, si l'origine alimentaire des cas humains est probable, les questions relatives à l'aliment en cause et à l'unicité de cette transmission d'origine alimentaire restent posées.

C'est probablement dans ces situations de grande incertitude scientifique que, contrairement à ce que l'on a entendu ce matin, sur lequel je reviendrai, il existe certainement une divergence entre le point de vue du scientifique et la position que va prendre le décideur.

J'en viens à la différence d'analyse entre le groupe d'experts ayant travaillé en France sous l'égide de l'AFSSA et le groupe européen.

Je rappelle que, sur le plan chronologique, le groupe ESST n'a jamais été saisi de la question de l'analyse du plan d'exportation anglais au moment des discussions au niveau communautaire, ni avant ni même après la sortie de la décision et de la Directive en 1998. Ce comité a été saisi en urgence sous forme d'un avis à donner sur un texte qui transposait la décision communautaire.

Nous avons essayé de traduire cette question sur un texte réglementaire en une question scientifique : " Existait-il un risque de consommation de cet aliment ? " en tâchant de le qualifier, de l'identifier, avec deux sous-questions :

- " Etait-il possible de consommer de la viande d'animaux en incubation ? ". Nous avons répondu non.

- " Le plan anglais permettait-il d'éviter que de la viande d'animaux en incubation n'entre dans la consommation française ? ". Nous avons répondu que, très probablement, cela diminuait considérablement le risque, mais que celui-ci n'était pas maîtrisé au sens où les données expérimentales -je ne parle plus de probabilités- permettant de prouver l'absence d'infectiosité de cette viande n'étaient pas disponibles.

Nous avons pris en compte d'autres éléments un peu en marge de l'analyse de risques à proprement parler :

- il s'agissait d'une maladie mortelle ;

- les durées d'incubation, donc la capacité à se rendre compte d'erreurs, étaient fortement retardées dans le temps ;

- également -et ce n'était pas négligeable- le fait que 1'on nous posait la question de la levée de mesures de précaution, c'est-à-dire non pas d'imposer de telles mesures, mais bien de savoir si les conditions étaient réunies pour lever ces mesures de précaution, ce qui était un peu différent ;

- enfin, le fait que la réponse à toutes ces questions, compte tenu de détails techniques que je vous épargnerai, pouvait probablement être levée l'année suivante ou un an et demi plus tard : donc, ce n'était pas renvoyer sine die la réponse, mais considérer qu'un délai supplémentaire pouvait donner des informations complémentaires.

Quant à l'avis de l'Union européenne, il est ce qu'il est. Les experts ont cru pouvoir, ce que nous n'avons pas souhaité faire, aller plus loin en quantifiant et qualifiant le degré d'infectiosité de la viande.

En conclusion, l'avis français insiste sur les doutes et, donc, dans le cadre d'une levée de mesures de précaution, en quelque sorte, renverse les charges de la preuve en insistant sur l'absence de preuves expérimentales sur les postulats de départ. Quant à l'avis du Comité Scientifique Directeur (CSD) ou tout au moins de son sous-groupe spécialisé sur les ESST, il se détermine plus sur des éléments de probabilité scientifique et, à mon sens très personnel, et sans aucun esprit polémique, ne souligne peut-être pas suffisamment les interrogations scientifiques sous-jacentes.

Probablement, la divergence aurait été plus faible si les mêmes questions avaient été posées et si elles avaient été de nature strictement scientifique. Cela justifie une harmonisation du processus et, surtout, une réflexion sur la chronologie : après tout, demander à un groupe national de se positionner par rapport à un avis déjà émis au plan européen portait, en soi, le germe d'un conflit potentiel.

Seconde notion : l'urgence. C'est une source de difficultés pour une analyse qui va au fond des dossiers. Certaines urgences pourraient probablement être évitées. Là encore, à propos de cette question sur l'embargo, avoir dû examiner en une séance le dossier et rédiger le soir même un peu tardivement le compte rendu correspondant, pour ce qui résultait, finalement, d'une transposition de directive, relevait d'une urgence qui aurait pu peut-être être évitée.

En revanche, d'autres urgences sont indiscutables et sont à mettre en rapport avec la disponibilité effective des experts, sur laquelle j'aimerais insister. La plupart de ces experts, dont je fais partie, sont généralement des directeurs de recherche ou équivalents. Ils sont très pris par leur activité scientifique, par des charges d'enseignement éventuelles, également par une des contraintes liées au financement de la recherche publique qui est qu'une grande partie -sans mauvais jeu de mots- de leur activité de recherche consiste déjà à trouver les moyens de travailler et, en l'occurrence, ils ont souvent des moyens logistiques de secrétariat très limités. Donc, ils sont très pris et le temps passé à l'expertise n'est absolument pas compensé par des affectations de personnels ou de moyens complémentaires. Autrement dit, il n'y a pas de réflexion collective sur les moyens dédiés à l'expertise. Les grands organismes publics de recherche (INSERM, INRA, CNRS) gèrent des moyens humains et budgétaires en fonction de programmes de base et de programmes complémentaires, le ministère de la Recherche également et les agences sollicitent les experts, mais n'ont guère de moyens de compensation ; d'où, au minimum, la nécessité d'une réflexion globale.

J'ai quelques éléments sur la gestion des avis minoritaires, que je pourrais évoquer s'il y a des questions, et également en réponse aux interrogations résultant de l'interface avec les médias.

Je voudrais surtout insister sur l'évolution, telle que j'ai pu la connaître à titre personnel, du dispositif mis en place au cours du temps. J'ai connu, comme d'autres collègues, l'époque des avis informels de tel ou tel scientifique à telle ou telle administration. J'ai surtout connu, ensuite, le groupe interministériel sur les ESST, qui continue à exister et qui, je pense, a constitué une grande avancée, ne serait-ce que parce qu'il permettait une réflexion d'ordre collectif.

Mais il faut reconnaître que ce groupe souffre de certaines limites. Déjà, il ne répond, en pratique, presque qu'aux saisines de l'Administration. Certaines questions mineures sont posées ; d'autres, majeures -j'ai évoqué le plan d'exportation en Grande-Bretagne- ne le sont pas.

Par ailleurs, les avis ne sont pas publiés. Ils sont disponibles pour l'Administration. Ils lui sont, je l'espère, utiles. Ils le sont moins pour l'information du public.

En retour, les informations que les administrations concernées peuvent donner à ce comité interministériel sont relativement abondantes, mais dépendent du bon vouloir des administrations, procédure qui peut trouver ses limites, par manque de temps en particulier.

Autre limite de ce comité : il est surchargé. Des avis très fréquents lui sont demandés par les trois ministères directement concernés : la Santé, l'Agriculture, les Finances (Fraudes), mais également par le ministère de la Recherche, puisque ce comité a à gérer les appels d'offres en plus du reste. Cela limite ses capacités d'autosaisine, qui sont également limitées par sa culture.

Par ailleurs, peu de moyens logistiques sont affectés à ce comité.

Je dois rappeler que l'AFSSA n'a pas de comité spécifique sur les encéphalopathies spongiformes, et " utilise " donc le Comité ESST, mais le glissement progressif, pour certaines questions au moins, sous égide AFSSA et ce que je peux voir par ailleurs de l'évolution de ce comité, siégeant au Comité scientifique de l'AFSSA, est favorable. Déjà, il y a une saisine obligatoire sur la totalité des textes, qui donne une vision d'ensemble plus large. Il y a une possibilité de retour d'information facilitée de la part des administrations. Egalement, une logistique existe. Tout cela contribue à faciliter notre travail.

Pour conclure, je ne partage pas totalement, ainsi sans doute qu'un certain nombre de mes collègues, ce qui a été dit sur la confusion, dans cette chaîne, entre l'avis scientifique et la décision publique. J'ai une vision assez simple : les scientifiques donnent un avis scientifique dans des champs relevant de leur domaine de compétence ; les agences développent une culture de la gestion de risques leur permettant en particulier de gérer des questions qui relèvent d'une multidisciplinarité, parce qu'à un moment donné il faut faire une synthèse. Quant aux politiques, ils décident et les administrations gèrent et contrôlent dans un environnement complexe, qui n'est pas l'environnement du scientifique sur une question scientifique simple.

B. AUDITION DE M. GEORGES BORIES, PRÉSIDENT DU COMITÉ SCIENTIFIQUE DE L'ALIMENTATION ANIMALE, COMMISSION EUROPÉENNE - DIRECTION GÉNÉRALE DE LA SANTÉ ET DE LA PROTECTION DES CONSOMMATEURS

M. Georges BORIES - Je suis Directeur de recherche à l'INRA de Toulouse. J'ai eu un laboratoire jusqu'en décembre dernier. J'ai une double fonction d'expert : au niveau national et au niveau européen. Je suis là, comme M. Eloit, à titre strictement personnel. Je me retrouve sur le même terrain que lui. J'étais de l'autre côté de la barrière qu'il a évoquée tout à l'heure puisque j'étais, au niveau du Comité Scientifique Directeur bruxellois, sur la même affaire de l'ESB en octobre dernier. Rassurez-vous, je ne vais pas rouvrir certaines polémiques qui relèvent du passé. Il faut regarder devant soi et en tirer quelques enseignements, ce que M. Eloit a déjà fait. Nous ne nous sommes évidemment pas concertés.

La grande difficulté concernant l'ESB est, bien entendu, la décision dans un contexte d'incertitude scientifique. Alors que la plupart des grands problèmes sanitaires de ces derniers temps relevaient surtout de défauts de gestion du risque, là, nous sommes dans un problème véritablement " amont " d'incertitude scientifique.

Un autre problème est l'action en état de crise, c'est-à-dire dans l'urgence, avec toute la difficulté que cela représente tant pour les gestionnaires -et Dieu sait qu'ils ont un énorme mérite- que pour les scientifiques. Cela m'amène à développer quelques aspects des difficultés et contraintes de l'expertise et de la position de l'expert.

Premier aspect : les limites de la science. La biologie est une science molle et non exacte. Des domaines comme la toxicologie sont, en plus, des domaines probabilistes puisque l'on est obligé d'extrapoler des données que l'on obtient sur les animaux ou les systèmes issus des animaux qu'il faut transposer à un certain moment à l'homme puisque, à part quelques cas très restreints d'expérimentation possible directe de médicaments en phase 4 chez l'homme, pour le reste, il n'en est évidemment pas question. Donc, il y a une marge incompressible de risques qui explique que le risque zéro n'existe pas.

Second aspect : la science actuelle est extrêmement parcellisée. Elle s'est profondément développée, a ouvert des secteurs d'une très grande intensité. Les problèmes sont actuellement abordés de manière très pointue et approfondie au niveau moléculaire. Parallèlement, les sciences plus intégratives, systémiques (physiologie, etc.) n'évoluent pas à la même vitesse, d'où un certain décalage entre les deux : d'un côté, des sciences très pointues et, de l'autre, la difficulté à transcrire en termes, par exemple, de risques, d'observations à l'échelon moléculaire et cellulaire. Cet écart explique beaucoup de difficultés dans la prise de certaines décisions.

Dans le cadre de ce qui a, à un moment, opposé scientifiques français et européens dans le cadre de l'ESB, on peut citer le fait que le Comité européen avait parfaitement reconnu que des nouvelles données étaient apparues au congrès de Tübingen en particulier sur la détection à très forte sensibilité, donc à très bas niveau, d'agrégats de la protéine prion qui est pathologique, mais le problème était celui de l'interprétation de la présence de ces agrégats dans certains tissus qui jusque-là n'étaient pas connus comme tissus à risques et de sa signification en termes d'infectiosité. Il existe là une distance très grande sur laquelle les experts discutent et ne sont pas tous d'accord. C'est normal. Chacun, selon son domaine de compétence, sur ces questions extrêmement pointues, a sa propre vision.

Il est clair qu'un comité d'expertise ne peut pas être qu'une somme d'experts extrêmement pointus : il doit également avoir une vision intégrative plus horizontale qui se réalise de différentes manières. M. Eloit a cité le Comité scientifique hyper pointu et, au niveau de l'Agence, une vision multidisciplinaire plus intégrative. Au niveau de la Communauté européenne, c'est le Comité Scientifique Directeur qui propose cette vision multidisciplinaire horizontale en s'appuyant sur son groupe ad hoc BSE. De nombreux experts européens ont participé aux multiples sous-groupes de travail qui élaborent les points de vue strictement scientifiques, qui sont ensuite rediscutés au sein du Comité Scientifique Directeur. Ces différentes manières de fonctionner ont sans doute chacune leurs avantages et leurs inconvénients.

Les conditions sociologiques dans lesquelles s'exerce la recherche ont également évolué. Là aussi, il existe une grande pression sur la publication, de laquelle dépendent les carrières, sur l'obtention de fonds. Tout ceci précipite parfois un peu la situation et amène les personnes à publier des données scientifiques plus restreintes sans doute en quantité, en couverture qu'à une certaine époque où les publications étaient à portée plus large. Aujourd'hui, elles sont beaucoup plus segmentées et à une fréquence élevée, avec chaque semaine de nouvelles contributions. Or, la science est la mise en perspective de toutes ces contributions, et le dernier scoop n'est pas la dernière publication sortie. Un certain recul est nécessaire. Il faut attendre quelques semaines ou mois pour mettre en perspective ces publications et en tirer une vision plus intégrée.

J'ai évoqué l'évolution de l'organisation européenne à partir de 1997, qui a séparé définitivement gestion et évaluation du risque, ce dernier domaine relevant de huit comités scientifiques et d'un comité scientifique directeur.

La construction d'un avis est complexe et hautement interactive, avec généralement une recherche de consensus qui, s'il n'est pas réalisé, peut conduire à des avis minoritaires parfaitement exprimés.

La recherche du consensus demande du temps. La pression est toujours présente, les questions sont multiples, le nombre d'experts sollicités est relativement restreint, d'où un travail considérable à réaliser. Je sais que certaines opinions en étaient à la vingtième ou vingt-deuxième édition quant elles sont arrivées au terme de leur élaboration et ont été publiées. M. Hirsch évoquait tout à l'heure la position des derniers mots et dernières virgules. C'est extrêmement important. Lors de la publication relative à l'ESB en octobre dernier, la séance a duré deux jours, d'où la conclusion des médias sur l'existence de conflits internes importants. Le consensus est rapidement venu, mais il a fallu consacrer un jour et demi à la rédaction, car il s'agit d'un exercice extrêmement délicat et qui doit respecter très exactement les nuances que les uns et les autres ont souhaité introduire.

L'expertise est une activité humaine, avec ses faiblesses. Au-delà des considérations d'excellence et d'indépendance, les facteurs personnels sont incontournables. Chaque expert n'est pas semblable à son voisin. Son intérêt, son expérience, son intuition, son approche, les valeurs qu'il exprime sont différents. Enfin, il y a un aspect purement d'éthique, qui est véritablement un facteur tout à fait personnel.

Je retiens de cet épisode qu'il faut essayer de remédier à cette situation où les scientifiques d'ici ne sont pas tout à fait d'accord avec ceux de là. C'est extrêmement lié à la question posée. Il nous arrive, dans notre comité à Bruxelles, de revenir vers la saisine de la DG VI et de demander un autre libellé parce que celui proposé introduit parfois des questions empiétant sur la gestion et non strictement scientifiques. Donc, je pense que si, déjà, les questions étaient absolument posées de la même manière, on romprait un peu cette asymétrie de départ que vous avez soulignée, sur laquelle je suis tout à fait d'accord, et qui explique probablement une grande partie du désaccord.

A l'avenir, avec la création de la future autorité européenne, il faudra trouver le moyen de remédier à cela. Il est prévu dans le Livre blanc, de manière assez vague pour le moment mais cela devra être précisé, le type de relations qui s'articuleront entre les niveaux nationaux et le niveau européen. Il est absolument obligatoire que des concertations aient lieu au préalable, mais, là encore, la question de l'urgence et du temps est un facteur tout à fait déterminant. Comme M. Eloit, je souligne le manque cruel d'experts au niveau, non seulement français, mais européen en général.

M. LE PRÉSIDENT - J'ai cru comprendre que c'était aussi le fait que leur activité d'expertise n'entrait absolument pas en compte dans leur évaluation, notamment universitaire, d'où un certain manque de motivation.

M. Georges BORIES - A l'INRA, cet aspect commence à être pris en compte, mais c'est très récent.

M. Charles DESCOURS - Je suis surpris, après les auditions de ce matin, que l'on revienne sur le problème de l'expertise, que je n'avais pas ressenti jusque-là, s'agissant tant du nombre d'experts que de la motivation insuffisante de certains en raison du cursus universitaire.

Il a été proposé de créer une Agence nationale de l'expertise. Pensez-vous qu'elle permettrait de sortir de ce marasme ?

M. Marc ELOIT - La difficulté, quel que soit le contenant, c'est le contenu, donc le nombre d'experts. La notion de carrière a été évoquée. Elle n'est qu'en partie vraie : à partir du moment où les personnes sont sollicitées comme experts, assez souvent, elles sont déjà au niveau d'une direction de recherche ou professeurs et n'ont donc plus de carrière à attendre. Le problème concerne plutôt le vivier, donc les jeunes, à qui l'on ne peut pas proposer d'intégrer cette dimension comme une évaluation.

Au-delà, chaque système a des références et des valeurs. Le système de valeur du scientifique est d'être reconnu par ses pairs, d'être le meilleur dans sa discipline, le plus compétitif. L'expertise entre peu dans ce système de valeur pour l'instant. C'est très culturel.

M. Lucien NEUWIRTH - Une question au Président Georges Bories, dont un propos m'a fait dresser l'oreille : en quoi vos problèmes personnels d'éthique interfèrent-ils dans les conclusions que vous avez à apporter ?

M. Georges BORIES - Au-delà des déclarations d'indépendance que les experts sont amenés à faire en début de chaque séance, il y a toujours derrière des facteurs personnels propres à chacun qui, inévitablement, interfèrent avec sa manière de penser, y compris scientifique : philosophique, politique, etc.

M. Lucien NEUWIRTH - Un expert apporte le résultat d'une expertise à partir de données scientifiques établies. En quoi l'éthique personnelle de l'expert peut-elle interférer ?

M. Marc ELOIT - En l'occurrence, je ne partage pas complètement cette analyse. Le risque dans ce domaine n'est pas exclu, mais de là à le considérer comme une évidence participant de l'analyse... On essaie de s'en débarrasser. Encore une fois, cela dépend ce que l'on attend de l'expert. Plus celui-ci, dans son avis, va se rapprocher d'une mesure de gestion, plus les points qui viennent d'être évoqués risquent d'interférer. Mais plus l'avis va faire le tour des faits d'ordre scientifique pondérant l'information correspondante, moins on risque ce travers.

M. Georges BORIES - Bien sûr, nous l'écartons au maximum, mais le fondement humain, quelque part, fait que...

M. Charles DESCOURS - Il ne faut pas non plus considérer l'avis d'expertise comme ne devant pas être mesuré dans ses conséquences. Vous n'êtes pas des êtres désincarnés. Ce qu'a dit ce matin le Président de l'ANIA a bien montré qu'il fallait que l'expert intègre les conséquences de son avis s'il voulait que celui-ci soit suivi ; ou alors, on laisse tout le champ aux décideurs politiques, ce qui n'est pas le but recherché, me semble-t-il.

M. Marc ELOIT - Cela se discute probablement. Pour beaucoup de mes collègues, en tout cas, cela se discute peu de savoir si c'est, in fine , le politique qui prend les décisions.

Nous y avons un certain nombre de fois réfléchi, en particulier dans le Comité ESST, pour des raisons que vous comprenez bien. Plus on se rapproche de mesures de gestion -et il nous est arrivé de le faire peut-être un peu trop- plus on prend le risque d'interférence avec la notion d'appréciation, d'évaluation de risque consenti, etc., qui sont des valeurs très personnelles, très variables selon chacun. Plus on reste près des données, moins on craint ce risque.

M. Georges BORIES - C'est un continuum. Il n'y a pas de césure.

M. LE PRÉSIDENT - Il est certain que, dans notre société, le politique, in fine, doit prendre ses responsabilités, car des considérations autres que la vérité pure peuvent être à prendre en compte, mais il doit être parfaitement éclairé et qu'au moins auprès de lui les experts " se mouillent ", si je puis dire.

M. François AUTAIN - Je ne crois pas qu'une agence de l'expertise modifierait quoi que ce soit. On ne change pas le contenu en changeant le contenant. Cela dit, il faut pardonner les sénateurs : l'Agence leur a tellement bien réussi en matière de sécurité sanitaire et alimentaire qu'ils ont tendance à la mettre un peu " à toutes les sauces ".

Plus sérieusement, nous sommes tous d'accord avec vous sur le manque d'experts, mais n'y a-t-il pas un surnombre d'instances faisant appel à vous ? En en réduisant le nombre, sans augmenter celui des experts, ne pourrait-on pas vous donner moins de travail dans des conditions tout aussi satisfaisantes ? Vous avez évoqué à l'instant le Comité interministériel sur l'ESB. Vous vous rapprochez de l'Agence de Sécurité Sanitaire des Aliments. Est-ce que cette structure, au sein de l'Agence de Sécurité Sanitaire des Aliments, n'aurait pas permis d'économiser du temps pour les experts sollicités, car j'imagine qu'ils le sont aussi par cette structure interministérielle et sans doute, pour la même raison, par l'Agence ? Je cite un exemple, mais il peut en exister d'autres. Est-ce que, ne pouvant pas dans l'immédiat augmenter le nombre d'experts, une autre méthode ne consisterait pas à réduire, fusionner ou supprimer un certain nombre d'instances de décision qui font appel à vous quelquefois pour rendre des avis que vous avez déjà donnés ailleurs ? C'est un moyen comme un autre : peut-être qu'en réduisant les sollicitations auxquelles les experts sont soumis, on pourrait aboutir au même résultat.

M. Marc ELOIT - De manière générale, l'effort de rationalisation est en cours au sein des agences et des groupes de travail créés. Pour ce qui concerne le groupe ESST, je n'y vois pas très clair. Il a un avantage : celui de traiter des aspects pouvant tomber dans le champ de compétence de l'AFSSA, de l'AFSSAPS et peut-être d'autres, d'où une homogénéité de la réflexion. Jusque-là, ce groupe travaille en tant que de besoin sous égide AFSSA. Son mandat venant à échéance dans les prochains mois, j'imagine qu'une solution sera trouvée.

La vraie difficulté, peut-être, concerne l'expertise au plan européen, car au plan national cela se gère. Pour être expert en Europe, il faut faire acte de candidature, puis être choisi, d'où une démarche particulière qui demande beaucoup de temps. Là, il y a peut-être une contrainte et un choix à faire entre les structures nationales et européennes.

M. LE PRÉSIDENT - Cela rejoint la question que je me posais, à savoir comment l'on devient expert. On est expert quand on est nommé expert auprès des tribunaux, etc. Y a-t-il par ailleurs, soit l'autoproclamation, soit la cooptation, soit un mélange de tout cela ?

M. Marc ELOIT - Pour l'instant, il ne semble pas exister de culture globale entre les différentes agences. A l'AFSSA, il faut déposer une candidature et une sélection est opérée au travers en particulier des publications et de l'expérience antérieure dans l'expertise. S'agissant de l'AFSSAPS, le système est resté assez cooptatif, mais plutôt dans le bon sens. La cooptation peut être la meilleure formule quand elle permet d'identifier, d'aller chercher, de forcer un peu les personnes que l'on souhaite voir venir.

M. LE PRÉSIDENT - On devient expert, par exemple, si l'on a une expérience antérieure dans l'expertise. Donc, à un moment, on était expert sans l'être ?

M. Marc ELOIT - Dans la grille retenue pour l'AFSSA, il y a le CV, les publications, l'expertise. On s'attend à voir des jeunes brillants avec beaucoup de publications et peu, voire pas, d'expérience en expertise, qui sont insérés dans des groupes, ou des seniors qui publient peut-être moins, mais ont un recul sur l'expertise.

M. François AUTAIN - Vous avez parlé de la possibilité d'être en même temps expert européen et expert français Je crois savoir que les questions que posent l'Europe et la France ne sont pas toujours les mêmes, d'où la difficulté parfois, pour un même expert, d'exercer les mêmes fonctions en Europe et en France. Nous l'avons vu à propos de l'embargo de la viande bovine. Les questions n'étaient pas les mêmes, c'est vrai, mais un expert au moins n'a pas répondu exactement de la même façon à Bruxelles et à Paris.

M. Marc ELOIT - Je ne sais pas à qui vous faites allusion. Je ne connais qu'un expert spécialisé dans les ESST en France, qui est dans le sous-groupe européen et qui, je crois, a donné la même réponse aux deux niveaux, ce qui constitue peut-être un exploit.

M. François AUTAIN - Parce que, de surcroît, la question n'était pas la même.

M. Marc ELOIT - Il a porté la même philosophie, pour être précis.

M. Claude HURIET - On voit bien, à travers cet échange de vues, que cette question, lancinante pour moi depuis des années, n'est pas bien traitée : je veux parler de l'évaluation et de la gestion. La séparation est quelquefois extrêmement mince. Une des questions qui se posent à propos des thèmes que nous évoquons aujourd'hui, mais aussi dans d'autres domaines, est celle des relations entre le décideur et l'expert ou les décideurs et les experts. C'est un domaine dans lequel nous allons sans doute voir la réflexion se développer, et c'est heureux, sans savoir d'ailleurs à quoi elle pourra aboutir ; sinon, à quoi servirait-il d'y réfléchir ?

Si l'expert est sûr et avance des arguments certains qui ne laissent pas place à hypothèses, je ne vois pas comment le décideur pourrait ne pas le suivre. La distinction peut apparaître quand il existe une marge d'incertitude. D'après vos propos et votre expérience, il n'est pas habituel qu'un expert, quelles que soient ses compétences et son expérience, puisse parvenir à une certitude. Il fait apparaître dans ses conclusions qu'il existe une marge d'incertitude et le décideur a alors la responsabilité de décider sans pouvoir s'appuyer sur un avis certain de l'expert. Actuellement, la tendance pour le décideur est l'application du principe de précaution.

Autrement dit, dans cette réflexion difficile sur les relations entre le décideur et l'expert, est-ce que cette distinction, que j'ai établie de façon peut-être un peu primaire, entre la certitude et l'incertitude peut être un élément nous permettant d'évoluer ?

M. Georges BORIES - En matière scientifique, il n'y a aucune certitude absolue. On estime qu'il n'y a pas de risque dans telles et telles conditions et telles et telles circonstances. " L'expert estime que " : donc, la marge d'incertitude existe toujours. Elle est plus ou moins grande. Dans certains cas, effectivement, elle est tellement grande que l'on entre dans le processus dit " du principe de précaution ", qui n'est pas un principe d'inaction, mais, au contraire, un principe d'action consistant à renforcer la partie recherche explicative et à organiser les choses de telle manière que l'on réduise du point de vue gestionnaire les aléas à leur maximum.

Le récent Rapport Kourilsky propose un système dit " du deuxième cercle ", avec un premier cercle strictement scientifique et un second ayant pour vocation d'évaluer les risques-inconvénients et les risques-bénéfices, " bénéfices " étant entendu dans un sens plus large qu'exclusivement monétaire, et qui ferait participer toutes les parties prenantes : quelques scientifiques du premier cercle et des industriels, consommateurs, environnementalistes, tout partenaire " sociétal " intéressé dans un système interactif.

C'est une proposition parmi d'autres. Il s'agit d'un débat très actuel de trouver un moyen d'articuler l'évaluation et la gestion du risque, la séparation complète étant très difficile.

M. Claude HURIET - Monsieur le Président, vous avez parlé de la formulation des questions par l'AFSSA et par le Comité Scientifique Directeur européen et de l'importance de cette formulation sur un sujet identique. Est-ce que, selon vous, la question formulée par l'AFSSA avait le mérite de la concision et de la précision, donc était de meilleure qualité dans sa formulation, que la rédaction du Comité scientifique européen ?

M. Georges BORIES - De mon point de vue, ce n'est pas un problème de précision. Les questions étaient sur des plans différents.

M. Marc ELOIT - La question de l'AFSSA était toute simple. Un projet de texte transposait une décision. L'AFSSA devait donner un avis sur ce projet et nous a répercuté la question en tant que telle. Nous l'avons traduite en question scientifique.

Le Comité Scientifique Directeur s'est évidemment appuyé sur les avis successifs. On a fourni au Comité Scientifique Directeur l'intégralité du Data Based Exportation Scheme (DBES) avec une demande simple : " oui, non ou peut-être ", mais c'est sous forme de questions itératives sur des mesures, des compléments de mesures et des mesures modifiées que, progressivement, la Commission probablement est arrivée à la notion que, scientifiquement, le CSD approuvait le DBES.

M. Georges BORIES - C'est par la proposition d'avis successifs sur les questions posées au Comité Scientifique Directeur et traitées par son groupe ad hoc spécialisé que s'est construite, au travers d'une trentaine d'opinions, la position actuelle de la Communauté Européenne, donc par ajouts successifs d'opinions scientifiques demandées au Comité Scientifique Directeur.

A l'automne dernier, à la question posée au Comité Scientifique Directeur : " Y a-t-il, dans l'argumentation AFSSA, de nouveaux éléments ? ", la réponse a été oui. A la question : " Ces éléments nouveaux sont-ils de nature à ce que vous reveniez sur les quatre opinions utilisées par les gestionnaires pour prendre leur décision d'accepter ce plan britannique d'exportation de viande ? ", la réponse a été non.

L'approche a été très différente, sachant que chaque comité scientifique, en France ou en Europe, répond à une saisine.

M. LE PRÉSIDENT - Il nous reste à vous remercier. Je crois que l'expertise est le noeud d'au moins un des problèmes.

VI. LE POINT DE VUE DES MINISTRES

M. LE PRÉSIDENT - Nous accueillons M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche, Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat à la santé et aux handicapés et Mme Marylise Lebranchu, secrétaire d'Etat chargée des PME, du commerce, de l'artisanat et de la consommation.

A l'issue de votre propos introductif, des questions vous seront posées par les rapporteurs Charles Descours et Claude Huriet, ainsi que par les commissaires ou autres sénateurs qui nous auront rejoints d'ici là.

A. AUDITION DE M. JEAN GLAVANY, MINISTRE DE L'AGRICULTURE ET DE LA PÊCHE

M. Jean GLAVANY - Monsieur le Président, je me réjouis d'être parmi vous. J'étais à l'instant avec le Commissaire David Byrne, qui va nous rejoindre.

Je me réjouis que le Sénat ait souhaité faire un état des lieux de la sécurité sanitaire et dresser quelques perspectives près de deux ans après l'adoption de la loi relative au renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire des produits destinés à l'homme, présentée à l'initiative de votre commission. Je me fais souvent cette réflexion, et je vous la livre : la création de l'AFSSA, notamment, est d'origine parlementaire, et rarement l'on aura pu souligner un tel succès d'une initiative parlementaire et d'une nouvelle structure administrative dans un paysage en perpétuelle évolution.

J'articulerai mon propos en trois points, étant bien entendu précisé que, pour ma part, je n'évoquerai que la sécurité sanitaire des aliments. Je tiens strictement à respecter cette compétence, mais, même sur ce sujet des aliments, il existe un travail interministériel avec les ministères de la santé et de la consommation, ici représentés par mes collègues et amies Dominique Gillot et Marylise Lebranchu.

En premier lieu, je souhaite rappeler les modifications récentes du dispositif français dans le domaine de la sécurité sanitaire des aliments.

En second lieu, j'évoquerai en quelques mots les évolutions engagées aussi bien au plan communautaire qu'au plan international.

En guise de conclusion, j'aborderai les questions politiques qui se posent à nous et qui justifient le débat public, qui est un débat social.

Tout d'abord, notre dispositif de sécurité sanitaire des aliments a été profondément modifié au cours de ces dernières années

La création de l'AFSSA a permis le développement d'un pôle d'expertise. Elle a consacré la séparation de l'évaluation et de la gestion des risques.

Je sais que le Directeur Général de l'AFSSA vous l'a présentée ce matin. Il est parmi nous cet après-midi. Je le salue chaleureusement.

Je le disais à l'instant, rarement une initiative parlementaire aura été aussi couronnée de succès, rarement une nouvelle structure administrative se sera imposée dans le paysage administratif français avec autant d'autorité et de respectabilité en si peu de temps. Je voudrais simplement témoigner de l'utilité de la réforme et de la création de cette AFSSA. Depuis sa création, le Gouvernement et l'Administration ont pu bénéficier de cette expertise et des avis scientifiques. Certains ont été fortement médiatisés, mais la société et la transparence le veulent (la crise de la dioxine, celle de l'ESB, celles de la listeria, l'affaire Coca Cola) ; d'autres moins. L'AFSSA a su faire la démonstration qu'elle avait sa place au sein du dispositif national et c'est un très bon point.

J'ajoute -car cela fait souvent l'objet de débats- que l'AFSSA fait aussi la preuve que la séparation entre l'évaluation et la gestion du risque n'est pas purement théorique. Dans les relations au quotidien qui existent entre le Gouvernement, les services de l'Etat et l'AFSSA, la séparation de la gestion du risque par le politique et de l'évaluation du risque par le scientifique est visible, pratique, concrète, sans que, pour autant, elle n'aboutisse à un dialogue de sourds, mais, au contraire, à un dialogue harmonieux et permanent. De ce point de vue, la situation a très bien évolué.

Le Comité National de la Sécurité Sanitaire, qui est un lieu d'échange et de coordination des travaux des différentes agences sanitaires, doit permettre de replacer les risques alimentaires (sanitaires ou nutritionnels) au sein des autres préoccupations de santé publique. Avec ma collègue et amie Marylise Lebranchu, nous assistons régulièrement aux travaux de ce comité, placé sous la présidence de Dominique Gillot, et je crois que c'est une très bonne chose.

Depuis l'adoption de la loi sur le renforcement de la veille sanitaire, de nombreuses dispositions dans le domaine de la sécurité alimentaire ont été retenues.

La loi d'orientation agricole de juillet 1999 a permis de renforcer le dispositif de surveillance et de contrôle des différents maillons de la chaîne alimentaire.

Ainsi, un dispositif de biovigilance est mis en place, qui permet aux agents de la protection des végétaux d'observer les effets des organismes génétiquement modifiés sur le milieu végétal et animal (parasites, insectes...) environnant et de prendre les mesures de police qui s'imposent. C'est un débat d'une très brûlante actualité, sur lequel j'imagine qu'il y aura des questions.

Le contrôle de l'utilisation des pesticides, des conditions sanitaires d'élevage a été renforcé. Il en est de même pour celui de l'utilisation des additifs et médicaments en élevage et de l'alimentation animale.

Pour une meilleure maîtrise de la qualité sanitaire des aliments, un dispositif d'épidémio-surveillance de la contamination des aliments est mis en place. Il s'appuie sur un regroupement des données issues des contrôles officiels et des auto-contrôles. Par ailleurs, la traçabilité peut être imposée dans les filières où cela apparaît nécessaire.

Tous ces points sont extrêmement positifs.

Enfin, le dispositif existant en matière de contrôle aux frontières et sur le territoire national des aliments d'origine animale produits dans d'autres Etats membres de la Communauté européenne ou importés de pays tiers est élargi aux produits destinés à l'alimentation animale.

Le ministère de l'agriculture et de la pêche a organisé une plus grande indépendance de ses services de réglementation et de contrôle.

En premier lieu, la réorganisation de l'Administration centrale sépare désormais la fonction d'animation économique de la filière -j'allais dire la tutelle sur les industries agro-alimentaires- qui est maintenant de la responsabilité de la Direction des politiques économiques et internationales, et les aspects sanitaires, de sorte que la Direction générale de l'alimentation réformée est désormais consacrée exclusivement à la santé et à la protection des animaux et végétaux et à la sécurité et à la qualité des aliments. Cette réforme, peut-être discrète, a modifié en profondeur la vocation de la Direction générale de l'alimentation et en fait à part entière une Direction de la sécurité alimentaire.

En second lieu, les Services vétérinaires départementaux et les Services régionaux de la protection des végétaux des Directions régionales de l'agriculture et de la forêt (DRAF) poursuivent activement leur mise en conformité avec la norme NF EN 45004 fixant les " critères généraux pour le fonctionnement des différents types d'organismes procédant à l'inspection ", qui sera menée à son terme en 2001.

Enfin, les résultats des contrôles sont désormais rendus publics au fur et à mesure de leur synthèse. Une lettre d'information mensuelle, intitulée " Notre Alimentation ", fait le point sur l'actualité réglementaire et les résultats des contrôles du ministère de l'agriculture et de la pêche. Elle est actuellement imprimée à 10.000 exemplaires et adressée aux ambassades françaises à l'étranger et aux ambassades étrangères en France, aux familles professionnelles agro-alimentaires, aux associations de consommateurs, aux écoles de la filière agricole et alimentaire, aux autres administrations, à la presse ainsi qu'aux parlementaires.

Une réflexion sur ce point : dans le passé, souvent, le ministère de l'agriculture et de la pêche a été, je ne dirai pas accusé -encore que, parfois, cela prenait des formes d'accusation- en tout cas taxé d'opacité. Je souhaite vivement -et je crois que nous essayons d'en donner des exemples- que nous soyons un ministère de la transparence et que l'ensemble de nos travaux soient menés au grand jour, dans la plus grande transparence.

Nous faisons beaucoup d'efforts en termes de communication. Je disais à David Byrne à l'instant, dans nos conversations sur l'évolution des réglementations et des contrôles européens, que j'avais pris notamment la décision qu'à chaque fois qu'il y aurait un contrôle européen sur la situation française -parfois, certains sont désagréables, ce qui pose presque le problème éthique des rapports entre la Commission et les Etats membres, un problème politique profond- et que ces rapports seraient mis sur Internet, je mettrais aussitôt sur Internet toutes les réponses de l'Administration française, y compris celles désagréables pour l'Union. Après tout, il n'y a pas de raison de nous laisser faire sans répondre, surtout quand des accusations sont infondées.

Je crois surtout que, dans la société de transparence et de médiatisation dans laquelle nous vivons, ceux qui veulent encore croire que l'on peut retenir des informations ont perdu d'avance. Je voudrais ici plaider aussi scrupuleusement que possible et avec le plus grand enthousiasme pour la transparence et vous dire qu'en tout cas je fais tous mes efforts pour que le ministère de l'agriculture et de la pêche s'organise dans ce sens.

Les moyens consacrés par le ministère de l'Agriculture et de la Pêche au contrôle de l'alimentation ont fortement progressé.

Ainsi, entre 1996 et 2000, les crédits de fonctionnement technique et d'intervention, incluant les subventions à l'AFSSA (au CNEVA jusqu'en 1998), ont progressé de 31 %.

Malheureusement, l'augmentation des moyens humains n'a pas pu suivre le même rythme puisque celui-ci n'a progressé que de 9 %, ce qui reste, à mon sens, insuffisant.

La coopération entre services des différents ministères est résolument engagée pour une meilleure identification des responsabilités et une optimisation des actions.

Au niveau central, un protocole de coopération entre la Direction générale de l'alimentation, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes et la Direction générale de la santé a été signé en septembre 1999.

Ce protocole vise à optimiser les actions de l'Etat dans le domaine de la sécurité des aliments, à optimiser l'interministérialité, pour moi indispensable, par la mise en place de procédures qui permettront aux directions générales d'ajuster leurs domaines d'intervention, de coordonner leurs actions et de partager l'information, notamment grâce à la communication des résultats et les synthèses d'enquêtes.

Ce protocole, qui prévoit notamment la rédaction de notes de service communes ou la programmation d'enquêtes conjointes, doit être prolongé d'un jour à l'autre, d'une heure à l'autre -peut-être même est-ce déjà fait au moment où je vous parle- d'un protocole de communication interministériel, qui renforcera encore plus notre efficacité.

Au niveau départemental, les services de l'Etat ont été invités, depuis quelques années, à l'initiative et sous l'autorité des préfets, à développer une coopération interministérielle locale, notamment sous la forme de pôles de compétences. Nous demandons aux préfets de créer auprès d'eux un pôle de compétences inter-services Sécurité des aliments, mettant en commun les compétences et la pratique des directeurs départementaux de nos trois administrations pour les habituer à travailler ensemble et pour, surtout, les mettre en situation de réagir de manière efficace et cohérente en cas de crise.

A ce stade, une trentaine de départements ont déjà expérimenté dans le domaine de la sécurité alimentaire la formule de ces pôles de compétences, qui coordonnent l'action des Directions des services vétérinaires, des Directions départementales de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes et des Directions départementales de l'action sanitaire et sociale.

Je souhaite vivement -j'y encourage tous les préfets- que cette trentaine de départements fassent des " petits ".

Les conclusions partielles et provisoires tirées en différentes occasions ont confirmé l'intérêt de cette démarche pour contribuer à la modernisation des services de l'Etat et atteindre les objectifs visés.

J'évoquerai en second lieu les évolutions engagées aux niveaux communautaire et international.

Les travaux internationaux prennent de plus en plus d'ampleur dans ce domaine. Ils ne sont évidemment pas sans conséquences sur notre propre réglementation.

La Commission européenne a publié, le 12 février dernier, un Livre blanc sur la sécurité alimentaire, dans lequel elle expose les évolutions réglementaires qu'elle entend proposer au Conseil des ministres et au Parlement européen.

La proposition la plus importante, et en tout cas la plus symbolique, est sans conteste la création d'une Autorité alimentaire européenne, proposition que le Gouvernement français ne peut que soutenir puisque, d'une certaine manière, il en est à l'origine. Bernard Kouchner, avant de se rendre au Kosovo, alors ministre de la santé, avait fait, au nom du Gouvernement, cette proposition.

La présidence portugaise a engagé un débat autour de ces propositions. L'Autorité alimentaire européenne devrait se voir confier l'évaluation des risques alimentaires.

Le Livre blanc de la Commission contient de nombreuses autres propositions extrêmement attendues par le Gouvernement français : je pense notamment au renforcement de la coopération administrative en matière de développement et de mise en oeuvre de systèmes de contrôle, mais aussi au renforcement du dispositif législatif communautaire en matière d'alimentation animale ou d'hygiène des aliments.

Je m'arrête un instant sur ce point des contrôles. Il pose un problème politique fondamental y compris de philosophie de l'Union. Nous ne pouvons pas accepter une seconde, pour l'avenir de l'Europe, que la Commission, peu ou prou, se transforme en une sorte d'accusateur des Etats membres. Ce n'est pas acceptable et ce n'est pas bon pour l'Europe. Ce n'est pas ainsi qu'elle progressera. Quand, dans certains services de la Commission, trop souvent on voit et on constate -parce que des fonctionnaires français y travaillent- que l'obsession de la Commission est d'accuser et de mettre en cause et en difficulté des Etats membres, je pense que l'on fait erreur quant à la bonne marche de l'Europe.

La nouvelle Commission a des excuses. Elle n'est pas exactement comme l'ancienne et essaie de tirer des leçons de certains errements du passé. Elle est également sous le feu croisé du Parlement, et un certain nombre de mises en cause qui se poursuivent ne sont pas toujours faciles à vivre pour elle. Il n'empêche que je pense que nous devons réviser complètement ce système de contrôles, surtout quand les conséquences sont si lourdes, quand publiquement on accuse des Etats membres et quand nous savons dans quelles conditions ont été réalisés ces contrôles, c'est-à-dire des conditions qui ne sont pas toujours d'une rigueur absolue.

Ce problème est philosophique quant à l'avenir de l'Union et il faut trouver les voies d'une coopération plus harmonieuse.

Au total, quelque 80 propositions ont été annoncées par la Commission. Elles devraient être mises sur la table de manière échelonnée, la Commission voulant disposer d'un corpus législatif complet d'ici à trois ans pour assurer le niveau le plus élevé possible de protection de la santé des consommateurs en Europe.

Au niveau international, nous sommes encore loin de la création d'une Autorité alimentaire mondiale. Le débat est néanmoins engagé au sein de l'OCDE à la demande du G8, sur initiative française.

L'OCDE a réalisé un panorama des systèmes de sécurité alimentaire dans les différents pays de l'OCDE.

La France, comme l'Union européenne, est en faveur d'un prolongement de ce travail dans deux directions : nous proposons, d'une part, la création d'un groupe permanent chargé de l'information mutuelle et de la coordination des politiques de sécurité alimentaire et, d'autre part, de veiller à l'organisation de l'expertise scientifique.

Un mot, en conclusion, sur les perspectives.

Les évolutions du dispositif national de sécurité alimentaire ont sans conteste permis une amélioration de la sécurité alimentaire.

Par exemple, le nombre de listérioses a été divisé par trois en dix ans, mais, quand une listeria est trouvée dans un aliment, l'amalgame aidant, on parle de listériose, voire d'épidémie, et l'ensemble des produits est mis en cause. Des efforts considérables sont effectués par l'ensemble des professionnels des filières. Et pourtant, jamais les consommateurs n'ont autant douté de leur alimentation.

L'amélioration du dispositif de surveillance et d'alerte nous met face à la question de la culture du risque, et, surtout, face à la question de l'absence de culture du risque dans notre pays et pour nos concitoyens. Ils souhaitent la transparence, mais, souvent, les informations ne sont pas faciles à comprendre et à rationaliser.

L'acceptabilité des risques, c'est-à-dire la question " quel risque est-on prêt à prendre pour pouvoir continuer à manger des fromages au lait cru ou des charcuteries ? " -je pense à l'interdiction des boyaux : ne faut-il pas défendre les andouilles, les andouillettes, les boudins, les saucissons ?- et celle du coût de la sécurité (quel prix est-on prêt à payer pour réduire encore un peu plus les risques alimentaires ?) conditionnent l'évolution de notre modèle alimentaire.

Il s'agit là d'interrogations profondément politiques. Leurs réponses doivent s'appuyer sur un débat de société. C'est pourquoi le Premier ministre, Lionel Jospin, a annoncé le lancement des Etats généraux de l'alimentation qui vont, aux niveaux local, régional, puis national, créer des lieux de dialogue et de propositions sur ce sujet avant la fin de l'année.

Dominique Gillot, Marylise Lebranchu et moi-même avons récemment invité le Conseil national de l'alimentation, qui regroupe tous les partenaires de la filière alimentaire, des agriculteurs aux consommateurs, à développer la concertation entre les différents acteurs. Nous avons souhaité directement l'impliquer dans la préparation des Etats généraux, ce qui, je crois, est en train de se faire spontanément puisque l'ensemble de ces partenaires ont décidé de faire une préparation commune de ces Etats généraux, ce qui augure bien de la qualité du débat dans les mois qui viennent.

M. LE PRÉSIDENT - Merci, Monsieur le Ministre, de cet exposé très complet.

B. AUDITION DE MME DOMINIQUE GILLOT, SECRÉTAIRE D'ÉTAT À LA SANTÉ ET AUX HANDICAPÉS

M. LE PRÉSIDENT - Je demanderai à Mme Gillot de bien vouloir, en particulier, nous indiquer quels sont ses rapports avec les agences -nous avons entendu leurs Directeurs généraux ce matin- notamment dans la gestion des crises, et les relations avec les médias, qui ont quelquefois un rôle tout à fait important dans le relais de vos propos, positions et appels.

Mme Dominique GILLOT - Monsieur le Président, je réaffirme, à la suite de Jean Glavany, avec qui nous travaillons très régulièrement sur ces questions, que la sécurité sanitaire fait partie des priorités annoncées par le Premier ministre lors de l'installation de son gouvernement en juin 1997. Il faut toujours avoir cela présent à l'esprit.

Cette exigence de sécurité sanitaire nous oblige à développer une culture commune de sécurité sanitaire qui répond en écho à l'interrogation de Jean Glavany sur la culture du risque, que l'on devrait aussi développer ou que seraient capables d'assumer nos concitoyens. Nous devons être vraiment conscients que les Français sont maintenant mieux informés, mieux formés par rapport aux risques qu'ils acceptent de subir ou de vivre, en fonction des exigences de sécurité sanitaire qui sont les nôtres et de l'évolution des découvertes scientifiques et des moyens dont nous disposons pour maîtriser ces risques. C'est à la fois une grande avancée, mais aussi une contrainte très forte de la responsabilité politique.

Cette volonté politique majeure s'est concrétisée, grâce à l'initiative de votre Haute Assemblée et avec l'appui unanime du Parlement -il est assez rare qu'une loi soit votée à l'unanimité par les deux Assemblées- par la loi du 1 er juillet 1998 relative au renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire des produits destinés à l'homme.

Sa mise en application n'a pas tardé, puisque le dispositif s'est mis en place avec des moyens conséquents dès le budget 1999. L'Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments, dont Jean Glavany a salué la présence du Directeur dans la salle, a été opérationnelle dès ses premières semaines d'existence, en mars 1999, avec une organisation tout d'abord provisoire, tant en ce qui concerne l'organisation interne que le fonctionnement des comités d'experts, réunis très régulièrement par cette Agence.

Et pourtant, en un an, un travail considérable a déjà été accompli. L'actualité de ces derniers mois ne l'a d'ailleurs en rien ménagé, qu'il s'agisse de la dioxine, de l'ESB ou encore de la listériose, ou même des conséquences de la marée noire. Les avis de l'Agence sont très souvent sollicités et ont concerné aussi bien :

- l'évaluation des risques sanitaires consécutifs à des situations de contamination avérées ou potentielles,

- que des textes réglementaires permettant de faire face à ces risques,

- ou encore la préparation de discussions communautaires,

- ou la transposition en droit français de décisions communautaires.

Nous voyons bien, chaque fois que nous sommes amenés, aujourd'hui, à prendre des décisions en matière de sécurité sanitaire, que l'avis de l'AFSSA est sollicité et que c'est un élément de référence et d'appui de la décision politique.

En 2000 et en 2001, l'AFSSA doit mettre en place son organisation définitive. Elle doit se charpenter sur le plan administratif et technique pour coordonner l'action des différentes structures qui la composent et renforcer sa capacité d'évaluation et de coordination de l'expertise extérieure qu'elle mobilise et est capable de mobiliser à la demande et en fonction de l'actualité. Elle doit également renforcer son indépendance à l'égard des acteurs économiques (entreprises, organisations professionnelles). C'est une responsabilité que nous partageons vis-à-vis d'elle.

Pour cela, et dans le cadre de la montée en charge de l'Agence, l'engagement financier de l'Etat doit être réaffirmé année après année, et notamment en 2001.

L'Agence Française de Sécurité Sanitaire des Produits de Santé (AFSSAPS), ancienne Agence du Médicament, dont le Directeur est aussi présent dans la salle et que je salue, quant à elle, s'est vu confier par la loi du 1 er juillet 1998 de nouvelles missions : le contrôle des dispositifs médicaux, la vigilance des produits sanguins et dérivés du sang, les produits cosmétiques.

L'année 1999 a vu l'Agence intégrer de nouvelles équipes, dont certaines en provenance de la Direction des hôpitaux, de l'Agence française du sang ou de la DGS, tout en maintenant l'activité générale et en développant des actions spécifiques dans le domaine du médicament. A la fin de l'année 1999, l'ensemble des recrutements prévus avaient été réalisés, ce qui représente une performance tout à fait intéressante et à la mesure de la mission de cette Agence, sur qui reposent aussi de nombreuses et lourdes responsabilités.

Pour l'année 2000, cinq catégories d'objectifs ont été fixées à l'Agence :

- la poursuite des actions dans le domaine du médicament, qui constitue son activité principale (autorisations de mises sur le marché, autorisations temporaires d'utilisation et pharmacovigilance) ;

- le développement de la prise en charge des nouveaux produits et des nouvelles missions : sécurité des dispositifs médicaux, des produits sanguins et dérivés du sang, des produits cosmétiques ;

- le développement des actions transversales en vue d'harmoniser les évaluations entre les différents produits ;

- la consolidation de la présence et de l'implication communautaires de l'Agence, qui est une référence au niveau européen, voire international ;

- l'adaptation de l'administration et des procédures de gestion de l'établissement à ses nouvelles missions.

Pour 2001, l'Agence devra assurer la montée en charge de ses nouvelles activités et en particulier atteindre, pour la sécurité sanitaire des dispositifs médicaux, le niveau de développement des meilleures structures européennes en termes aussi bien de vigilance que de surveillance du marché. Il nous faut, sur ce sujet, être moteur, comme nous l'avons été pour les réactifs de laboratoire. C'est notre objectif. Je suis convaincue que l'Agence se donnera les moyens de l'atteindre.

2001 sera également la première année où les critères et les méthodes d'évaluation prenant en compte le service médical rendu seront utilisés de façon systématique pour la prise en charge par l'assurance maladie des dispositifs médicaux inscrits au TIPS, lui-même en instance de révision afin de mieux répondre aux besoins des usagers.

En ce qui concerne l'Institut de Veille Sanitaire -là aussi, je salue la présence de son Directeur dans la salle ; on voit bien que ces Hauts fonctionnaires sont particulièrement attachés à la réflexion nationale sur les missions qui leur ont été confiées- la montée en charge depuis 1997 a été très importante : l'effectif est passé de 50 personnes à 140 cette année ; le budget a suivi la même progression et a plus que doublé dans la même période.

L'activité de l'Institut de Veille Sanitaire depuis sa mise en place, en mars 1999, a été marquée par le souci de faire face aux menaces et urgences de santé publique. A ce titre, on peut rappeler le rôle important de l'IVS dans le cadre des deux épidémies les plus récentes de listériose, mais aussi de l'épidémie de méningite qui a sévi parmi les pèlerins et leur entourage de retour de la Mecque.

Mme Nelly OLLIN - Nous avons trois cas actuellement dans ma ville.

Mme Dominique GILLOT - Ils sont soignés, j'espère ?

Mme Nelly OLLIN - Quelle question, Madame Gillot !

Mme Dominique GILLOT - Ces épidémies de listériose ont été l'occasion de démontrer la qualité de l'expertise en épidémiologie de l'Institut et sa capacité d'intervention dans ce domaine, en coordination avec les administrations des ministères concernés et notamment la sous-direction Veille sanitaire de la Direction générale de la santé, le Centre national de référence et d'autres experts dont ceux de l'AFSSA.

Elles ont également permis de faire progresser notre culture commune en termes de gestion et de communication face au risque sanitaire, notamment quand il s'agit de prendre en compte, dans la décision, des données d'origine épidémiologique. A ce titre, après concertation fructueuse, un protocole de communication commun entre nos trois ministères -Jean Glavany l'a évoqué dans son intervention- sera publié et diffusé dans les prochains jours aux préfets en fonction de l'arbitrage opéré sur cette question.

Au plan environnemental, l'Institut ne reste pas non plus inactif puisque nous l'avons vu mettre en place :

- une surveillance des effets sanitaires de l'éclipse solaire d'août 1999. C'est la première fois que, pour une séquence de cette nature, nous avons des éléments d'observation des conséquences sur la population. C'est un fait qui marquera l'histoire de l'épidémiologie ;

- une surveillance des effets sur la santé de la population après les inondations dans l'Aude : au-delà des effets directs des inondations, comment la population réagit à un traumatisme de cette nature ? Cela fait l'objet d'une surveillance épidémiologique ;

- et, dernièrement, une surveillance des effets à court terme et l'appréciation des effets à long terme pour les bénévoles ayant dépollué les plages après le naufrage de l'ERIKA.

L'activité de l'Institut de Veille Sanitaire s'est également concentrée sur la connaissance de l'état de santé des Français. Outre l'élément clé que constitue la surveillance de la déclaration obligatoire des maladies, d'autres surveillances systématiques ont été mises en place : cancers, pathologies liées à l'amiante, phénomènes de santé liés à la pollution atmosphérique. Afin de mobiliser les partenariats nécessaires pour le développement d'un réseau de veille efficace sur l'état de santé de la population, l'Institut de Veille Sanitaire a entamé une réflexion de fond dans le cadre de l'élaboration d'un contrat d'objectifs et de moyens pour la période 2001-2003, de façon à fixer des objectifs clairement établis et qui mobiliseront les moyens à cet effet.

En ce qui concerne les priorités de l'Institut, Martine Aubry et moi-même avons récemment missionné son Directeur Général, le Professeur Drucker, pour qu'il :

- poursuive son action dans le domaine des maladies infectieuses en l'étendant aux infections nosocomiales et à la lutte contre le développement des résistances aux antibiotiques, ce qui nous aidera aussi, au moment de la présidence française de l'Union européenne, puisque c'est un des sujets que nous partageons avec la Communauté ;

- développe la surveillance et l'investigation des risques sanitaires liés à l'environnement : l'activité de l'Agence Sanitaire de l'Environnement qu'il est projeté de créer pourra s'appuyer sur cette surveillance ;

- mette en place l'évaluation du risque nutritionnel en articulation avec le travail de l'AFSSA.

Enfin, l'Institut de Veille Sanitaire doit continuer à développer des actions en matière de surveillance des risques liés au travail et des maladies chroniques.

Par ailleurs, il lui faut toujours renforcer les partenariats avec les différents acteurs de la veille sanitaire : Directions départementales de l'action sanitaire et sociale, Observatoires régionaux de la santé, Registre de surveillance du cancer, INSERM (causes de mortalité), réseaux sentinelles (surveillance des troubles liés à la toxicomanie ou aux maladies infectieuses subites).

Enfin, nous souhaitons qu'il nous précise sa stratégie de développement dans le cadre européen.

Personnellement, j'ai souhaité engager une réflexion sur le rôle de l'Institut de Veille Sanitaire en matière d'information du public face au risque sanitaire. En effet, nous avons constaté, au cours des différentes séquences de crises sanitaires, que, comme vous le disiez, Monsieur le Président, quelquefois, les relais médiatiques ne sont, ni à la hauteur, ni complètement dans la vérité de la communication à apporter.

Le Haut Conseil de santé publique est aussi en charge actuellement, à la suite de mon initiative, d'une réflexion sur le lien à avoir avec les médias et les différents vecteurs de communication pour que, dans la transparence que nous recherchons, que nous devons à nos concitoyens pour développer cette démocratie sanitaire à laquelle nous sommes très attachés, nous ayons une pratique de communication qui fasse que nos concitoyens s'habituent à des informations qui peuvent les troubler ou les inquiéter actuellement, mais qui doivent faire partie de leur responsabilité et de l'élévation de leur niveau d'information.

Par ailleurs, vous m'interrogiez sur les relations que nous entretenons avec les différentes agences. Nous avons un travail extrêmement régulier et serré puisque, tous les quinze jours, l'ensemble des directeurs d'agences se réunissent autour de moi, avec la Direction générale de la santé, la Direction des hôpitaux, pour évoquer, ensemble, l'actualité et mutualiser nos informations et réflexions. C'est un moment fort de partage d'informations et de définition de méthodes pour aborder les différentes crises.

Vous le savez, l'articulation de l'ensemble de ce dispositif a également été prévue par la loi du 1 er juillet 1998. Le Comité national de sécurité sanitaire se réunit régulièrement, tous les quatre mois à peu près, depuis juin 1999. Son rôle est essentiel   il nous permet de développer cette culture commune de gestion du risque sanitaire à laquelle nous aspirons, de valoriser, de réinvestir l'expérience des crises passées. Il doit également coordonner les politiques scientifiques des agences et permettre de dégager une méthodologie de gestion des crises.

Son objet principal est de nous faire progresser " à froid ". Il est le lieu d'impulsion de politiques scientifiques cohérentes, le lieu d'une réflexion commune sur les risques émergents ou mal évalués, sur les enseignements à tirer de la gestion des risques sanitaires. Ainsi, l'étape de retour et de partage d'expérience que constitue l'étude rétrospective des crises récentes nous est très précieuse, et nous y tenons beaucoup.

De nombreux thèmes y ont déjà été abordés, qui nous ont fait progresser et mettre au point un certain nombre de protocoles de fonctionnement.

Des groupes de travail ont été mis en place au sein du comité. Ils sont présidés par des experts renommés et reconnus internationalement. Après un premier bilan fin 2000, ils nous feront des propositions sur :

- l'estimation quantitative des risques en situation d'incertitude ;

- les critères, méthodes et procédures utilisés dans le processus de décision pour assurer la sécurité sanitaire ;

- les modalités pour identifier les priorités de sécurité sanitaire, les risques émergents et même non avérés.

Vous le voyez, en relativement peu de temps, au regard des habitudes mais aussi des enjeux, la mise en place du dispositif de sécurité sanitaire nous a fait progresser ensemble vers une culture plus affirmée en termes d'appréciation et de gestion du risque sanitaire.

M. LE PRÉSIDENT - Merci, Madame la Ministre.

C. AUDITION DE MME MARYLISE LEBRANCHU, SECRÉTAIRE D'ÉTAT CHARGÉE DES PME, DU COMMERCE, DE L'ARTISANAT ET DE LA CONSOMMATION

Mme Maryse LEBRANCHU - Je vais essayer de ne pas reprendre ce qu'ont déjà dit mes deux collègues sur l'ensemble des outils que nous avons en commun. Leur satisfaction est partagée. Je vais me situer sur le champ qui est le mien, c'est-à-dire celui des consommateurs, bien qu'il s'agisse forcément du même champ puisque le sujet est identique. J'évoquerai un peu plus les produits, sachant que, sur la sécurité sanitaire des aliments, tout a été dit par Jean Glavany et Dominique Gillot.

J'ajoute simplement à ce sujet que je reste persuadée aujourd'hui qu'il faut, bien sûr, maîtriser de manière plus globale la communication, mais que nous n'échapperons jamais à des médiations par à-coups. J'en veux pour preuve, tout à l'heure, une question d'actualité sur la sécurité sanitaire des aliments sur les marchés de plein vent, extrêmement intéressante à la fois parce qu'elle correspond à une culture de notre pays et parce que le texte dont il s'agit a cinq d'existence et qu'au bout de cinq ans on découvre tout d'un coup qu'un texte existe et implique les mêmes normes de sécurité sanitaire des aliments aux produits vendus sur les marchés et aux produits vendus dans d'autres sites, comme s'il existait des sécurités sanitaires des aliments différentes selon les lieux de vente.

Il est intéressant de voir à quel point la médiatisation joue un rôle important et qu'il faut la maîtriser. C'est pourquoi d'ailleurs -Dominique Gillot évoquait la façon de maîtriser la situation- l'Institut national de la consommation, un des outils dont on connaît peu l'importance en dehors de ses publications, pourrait être et devra être encore plus qu'il ne l'est aujourd'hui un centre de ressources permettant à toutes les informations que viennent d'évoquer Dominique Gillot et Jean Glavany d'être à la disposition des associations de consommateurs pour qu'elles puissent les consulter et demander éventuellement des comptes rendus d'expertise s'ils n'existent pas, mais aussi à la disposition des médias, souvent demandeurs d'informations en amont de l'actualité pour essayer de charpenter l'information qui va être donnée.

C'est un vrai sujet. Nous avons pu constater, au détour d'un certain nombre de crises dites " alimentaires " récemment, que les consommateurs eux-mêmes avaient des attitudes ne correspondant pas à la maîtrise optimale du risque, notamment par rapport aux réfrigérateurs, à l'utilisation des dates limites de consommation, etc. Tout cela mérite un travail, au-delà de celui que nous réalisons, j'espère mieux aujourd'hui qu'hier, sur les outils de communication et d'information des consommateurs.

Mais il faut aller jusqu'aux produits. Il échappe peut-être à beaucoup que la majorité des entreprises ont tout intérêt à ce que leurs produits soient de qualité, puisque le marché dépend du consommateur, heureusement, et que celui-ci peut -d'ailleurs, il le fait ; nous l'avons vu largement pour des produits y compris non incriminés par des crises récentes- avoir un comportement mettant à genou les entreprises en question. Donc, elles ont un intérêt commun avec nous à vendre des produits de qualité. Elles essaient de le faire de manière constante, ce qui n'exclut pas -et c'est important à rappeler puisque mes deux collègues ne l'ont pas fait- que, dans l'ensemble des appareils de production, nous pouvons avoir affaire à des personnes ayant des pratiques délictueuses, frauduleuses. Il faut rappeler qu'avec notre collègue de la Justice, s'agissant des délits et fraudes, nous serons toujours aussi durs et y compris violents dans le langage et dans la mise en accusation parce qu'il est évident que des pratiques de ce type entachent l'ensemble de la vie d'entreprises qui, elles, se comportent très bien. Il faut quelquefois le rappeler, y compris quand on parle de sécurité.

Il faut ajouter que les choses vont changer. Vous m'avez interrogée sur le rôle des agences. Je salue le fait que l'évaluation du risque soit séparée de la gestion. Il est important que l'évaluation du risque soit totalement indépendante et transparente, mais il est important aussi qu'à l'intérieur des agences, et en particulier de l'Agence de Sécurité Sanitaire des Aliments, l'on puisse se poser des questions sur les risques à venir. Nous sommes dans la gestion des risques connus et identifiés. L'Agence doit bien sûr nous aider dans les protocoles de surveillance des risques connus, mais doit aussi consacrer du temps et de l'énergie à l'anticipation des risques, y compris sur les comportements. L'anticipation des risques est sûrement ce qui a toujours le plus manqué et ce que l'Agence peut faire, y compris d'ailleurs dans sa collaboration avec la future Agence européenne. Je pense que les pays européens ont tout intérêt à se mettre d'accord sur, bien sûr, l'évaluation et la gestion des risques connus, mais aussi sur l'anticipation des risques pour éviter que l'on ne passe d'une évaluation juste des risques à une évaluation fantasmatique des risques. Je ne veux pas parler du téléphone portable, bien qu'il y aurait sûrement à dire sur ce type de produit, mais je reste persuadée aujourd'hui que, plus on parlera d'anticipation des risques, mieux on gérera le rapport du consommateur aux produits.

Sur ce point de la collaboration entre producteurs, distributeurs et autorités nationales et européennes, je voudrais, en second lieu, souligner l'évolution prochaine des obligations imposées aux opérateurs économiques et introduites par la modification de la Directive sur la sécurité générale des produits, qui constitue l'une des priorités de la présidence française. Une obligation de signalement sera mise à la charge des producteurs et des distributeurs, qui seront tenus d'informer les autorités lorsqu'ils constateront qu'un produit qu'ils mettent sur le marché est dangereux et, plus généralement, les opérateurs seront tenus de collaborer avec des services de contrôle, notamment pour gérer les crises.

Je pense que c'est une attitude intéressante qui est appelée par la directive européenne en préparation, qu'il faudra que nous transposions, parce que le fonctionnement du système de notification d'alerte communautaire sur les produits dangereux sera modifié : il sera plus efficace et, pour nous, plus facilement communicable aux tiers.

Je rejoins ce que disait Jean Glavany sur l'attitude qui pourrait être celle de la Commission. Lorsque nous aurons ce texte, l'ensemble des pays européens sera soumis aux mêmes règles d'alerte communautaire, avec les mêmes systèmes de gestion. Nous pourrons alors évaluer ce qui peut être un comportement trop lent de la part d'une autorité nationale. Je pense qu'à ce niveau, aujourd'hui, nous sommes plutôt parmi les meilleurs, et il est vrai qu'il est un peu délicat d'entendre des mises en accusation dues au fait que nous avons pris l'habitude de publier tous les dysfonctionnements que nous constatons, ce qui nous rend, bien sûr, plus vulnérables. Mais je préfère appartenir à un pays vulnérable parce qu'il publie tous ses propres dysfonctionnements plutôt qu'appartenir à un pays qui ne les publie pas pour ne pas devenir vulnérable. C'est un choix que nous avons fait après le vote unanime au Parlement du texte évoqué tout à l'heure. C'est une belle illustration.

Le réseau d'alerte et les mesures volontaires des opérateurs économiques vont aussi évoluer. Nos services de contrôle travaillent actuellement avec l'ensemble des entrepreneurs qui le souhaitent pour anticiper cette évolution. On a trop parlé peut-être de sécurité alimentaire, même si c'est fondamental et qu'il faut en parler tous les jours, et peut-être un peu oublié la sécurité liée aux produits. Il faut faire attention aussi, dans ce pays, à ce que ce qui a été considéré comme des crises majeures -et qui le sont- ne fasse pas oublier que des produits peuvent être mis en circulation qui blessent, éventuellement rendent malade et peuvent provoquer des allergies.

C'est pourquoi je voudrais ajouter à ce qui a été dit que la sécurité sanitaire passe par la sécurité générale des produits et pas seulement par la sécurité des aliments. C'est là où je voudrais que les choses soient clairement réaffirmées parce qu'en particulier la Commission de sécurité des consommateurs, présidée par Michèle Védrine, montre bien que ce travail aujourd'hui réalisé sur les produits reste plus confidentiel ; et pourtant, lorsqu'il s'agit de protéger les enfants qui vont faire du ski en classe de neige en leur donnant désormais des casques qui ne les blessent pas et les protègent réellement, lorsqu'il s'agit de protéger avec ces mêmes casques les enfants qui font du roller ou d'empêcher les enfants de se noyer par des bouches d'aspiration des piscines, nous sommes dans la sécurité sanitaire à court terme. On a peut-être un peu trop tendance à l'oublier. Je rappelle qu'un certain nombre de faits ont été notés par cette Commission de sécurité des produits et que nous avons pu découvrir que des teintures ou des produits de traitement des tissus étaient largement facteurs d'allergies, autant que l'absorption d'air pollué ou de nourriture traitée.

Tout cela est à mettre sur le même rang. Il ne faudrait pas que notre rapport très privilégié à l'alimentation nous fasse oublier l'ensemble des problèmes de santé que peuvent avoir nos concitoyens.

Sur ce sujet aussi, je rappelle qu'en France nous avons un outil important : le Conseil National de la Consommation, auquel d'ailleurs, et Jean Glavany, et Dominique Gillot ont bien voulu rendre visite pour poser un certain nombre de questions communes que nous partagions. C'est un lieu où se rencontrent de manière formelle les consommateurs et l'ensemble des professionnels. C'est une institution à laquelle le Gouvernement, via le ministre de l'économie et des finances et le secrétaire d'Etat à la Consommation, confie des mandats sur des sujets difficiles ou compliqués : je pense à une première recherche sur les OGM qui n'a pu déboucher, l'ensemble des connaissances scientifiques ne le permettant pas, mais aussi à ce qui a pu être fait sur la sécurité alimentaire ou un certain nombre de cas de sécurité des produits.

Nous sommes face à un pays organisé, à l'intérieur duquel il me plaît de rappeler qu'est important le fait que, sur la sécurité alimentaire comme sur la sécurité des produits, nous gardions en commun la même culture de protection et de gestion du risque, mais aussi de maîtrise du risque et d'évaluation partagée du risque, et que nous gardions aussi des cultures différentes. Il est important que les administrations conservent leur propre culture et que celle dont j'ai en partie la charge, avec Laurent Fabius, la DGCCRF, puisse avoir cette culture de surveillance en direction des consommateurs, parce que le croisement des cultures fait la richesse des échanges.

Ce qui a été dit tout à l'heure sur les pôles de compétences départementaux montre que l'ensemble de nos services ont progressé lorsque ces pôles existent. Donc, je rejoins aussi ce qui a été demandé par Jean Glavany et Dominique Gillot aux préfets. Il me semble que les pôles de compétences devraient être rapidement présents sur tous les départements, sans oublier que, sur les opérations de vacances, par exemple, d'autres administrations doivent nous rejoindre : je pense en particulier à l'Administration des douanes, qui a un rôle important à jouer parce que nous sommes sur un marché au-delà de l'Europe. Elle doit toujours avoir cette culture de protection du consommateur lorsque, faisant des contrôles, elle a à prévenir à la fois ceux en charge de la santé, de l'agriculture ou de l'industrie de ce qu'un produit défectueux circule dans notre pays.

Il faut sûrement, maintenant, apprendre à communiquer sur les risques parce qu'il me semble que la trop grande médiatisation d'un certain nombre de risques, même maîtrisés, laisse dans l'ombre d'autres risques qui, malheureusement, provoquent des morts en direct. Je reste persuadée que la communication doit être permanente. C'est pourquoi le travail qui, sans doute reste à faire, rappelé par mes deux collègues dans leur secteur, consiste à voir comment faire en sorte qu'avec les associations de consommateurs, l'on puisse rendre ces derniers vigilants en permanence, et pas seulement au moment d'une crise.

M. LE PRÉSIDENT - Merci, Madame la Ministre. Les rapporteurs ont sans doute quelques questions à poser, mais M. Jean Glavany est obligé de nous quitter...

M. Charles DESCOURS - Merci aux ministres de leurs communications et de leurs propos aimables sur la loi que nous avons fait voter.

Je voudrais poser rapidement trois questions.

Reste le problème de communication. J'ai entendu évoquer un protocole de communication. Mon propos n'est pas du tout de critiquer, mais force est de constater que, pour le moment, chère Madame Gillot, avec M. Glavany, vous ne vous rejoignez pas toujours. Là, j'ai cru comprendre -mais je le dis sans aucune agressivité- qu'entre Mme Voynet et M. Glavany, sur les 600 hectares de colza transgénique, il y avait eu un petit " couac ".

C'est important. L'opinion est extrêmement sensible à tous ces aspects. Si elle a l'impression que les responsables ministériels ont des avis différents, cela accroît son inquiétude. Au-delà de la critique, je crois qu'il faut essayer, avec l'avis des experts, d'avoir une position ministérielle aussi précise que possible, pour éviter d'ajouter l'inquiétude à l'inquiétude, et quelquefois créer de l'inquiétude là où elle n'est pas justifiée. Sur les OGM, je ne suis pas sûr qu'il existe un très grand risque. En tout cas, sur les 600 hectares, je serais plutôt de l'avis de M. Glavany que de Mme Voynet...

Une question peut-être à Mme Gillot : comment coordonnera-t-on l'action de la future Agence Sanitaire de l'Environnement avec celle des autres agences ? Claude Huriet sera le rapporteur au Sénat quand le Gouvernement inscrira cette question à l'ordre du jour. Des missions nous semblent redondantes avec les agences en place. Certes, le croisement des cultures fait la richesse. Mais si ces agences de sécurité sanitaire ont été créées, c'est que nous avions l'impression aussi que trop de structures travaillaient en parallèle, en tuyaux d'orgue, et que, justement, toutes compétentes dans leur domaine, il fallait les faire travailler ensemble. J'ai écouté ce qu'ont dit M. Glavany et Dominique Gillot à propos des préfectures. Je crois qu'il faut se garder de dire que tout est formidable. Nous ne voudrions pas que l'on continue à travailler en parallèle et un peu en s'ignorant. En créant les agences, nous avons voulu que tout le monde travaille ensemble au sein d'une même structure.

M. Claude HURIET - J'ai quatre questions à poser.

La première concerne le Comité National de la Sécurité Sanitaire auquel vous avez fait référence. J'ai été très inquiet lorsque j'ai lu, il y a quelques mois, que ce comité national avait créé des groupes de travail dont l'un avait pour mission de travailler sur l'évaluation des risques sanitaires faibles tels que l'exposition à la dioxine. Que devient ce Comité National de la Sécurité Sanitaire ? Dans la conception du législateur, il n'était pas du tout envisagé qu'il institue en son sein des groupes d'étude pouvant se substituer aux structures expertes des agences.

La deuxième question concerne l'article L. 794-1 de la loi, qui prévoit le transfert des laboratoires des services de l'Etat chargés du contrôle de la sécurité sanitaire des aliments et des laboratoires rattachés. C'est donc une volonté du législateur. Nous serions intéressés de savoir quand les décrets d'application seront publiés.

La troisième question concerne l'avenir de l'Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments. Celle-ci a des fonctions exclusivement d'évaluation. Or, l'Autorité alimentaire indépendante européenne, telle que le Premier ministre l'a évoquée l'autre jour, est considérée comme une structure d'évaluation et d'expertise au niveau européen. Peut-on concevoir la superposition d'une structure d'évaluation à l'échelon européen et le maintien d'une structure nationale ayant pour seule mission l'évaluation ? Il est peut-être un peu tôt pour apporter une réponse, mais sachez que cela fait partie de nos interrogations.

Enfin, les comités d'experts prévus pour travailler au sein de l'Agence sont, dit la loi, " désignés par le ministre sur proposition du Directeur Général de l'Agence ". Un des intervenants de ce matin : le Président de l'ANIA, a souhaité que la mise en place de ces comités d'évaluation soit accélérée, d'où la question que je pose, peut-être mal venue de la part du législateur : ne serait-il pas plus simple que ces comités d'experts soient directement nommés par le Directeur Général de l'Agence ?

Mme Marie-Madeleine DIEULANGARD - Une question me tient à coeur depuis que nous avons fait ce travail législatif sur les agences et l'Institut de Veille Sanitaire : ne croyez-vous pas qu'il aurait été plus lisible et sans doute plus efficace, en termes d'affichage, compte tenu du souci en matière de sécurité sanitaire, de considérer, soit qu'il devait y avoir une seule agence sanitaire prenant en compétence à la fois le champ alimentaire et celui des produits de santé, soit tout au moins que les deux agences soient placées sous la responsabilité du ministre ou du secrétaire d'Etat à la Santé ? Il me semble qu'en termes d'affichage du souci qui nous a guidés dans ce travail législatif, il aurait été intéressant que le ministre de la Santé prenne en charge et en tutelle au moins les deux agences, sinon n'en constitue qu'une seule.

Mme Dominique GILLOT - A propos de la communication, effectivement, il a pu apparaître une divergence d'appréciation sur quoi et comment communiquer, notamment sur la dernière épidémie de listériose, entre le ministre de l'Agriculture et moi-même.

Nous nous sommes trouvés dans une situation différente des autres situations de crise de listériose : nous avions une épidémie avérée, avec une vingtaine de cas et plusieurs constats de décès, et pas d'informations bactériologiques identifiant le produit. En revanche, nous avions un champ d'investigation précisant quel type de produit pouvait être responsable.

Au bout de quelques jours, nous avons eu un retour d'étude épidémiologique indiquant très précisément la nature de l'aliment responsable de cette épidémie. L'épidémiologie est une science basée sur la probabilité et la statistique, mais elle est fiable à 95 % et, dans le retour d'expérience, elle n'a jamais été démentie par une étude bactériologique.

Etant en possession de cette information désignant à coup sûr l'aliment responsable de l'épidémie de listériose, il me paraissait important de faire connaître cette information, utile à la santé de nos concitoyens, pour les avertir que la langue de porc en gelée était l'aliment ressortant de toutes les enquêtes alimentaires comme responsable de l'intoxication.

C'était une nouvelle façon de communiquer, en rupture avec les précédentes. En effet, jusqu'alors, il était entendu que c'étaient les résultats bactériologiques qui permettaient de désigner un produit générique, mais aussi un produit identifié avec sa marque. Cela a fait l'objet d'une discussion. Quand nous disons que nous travaillons et progressons régulièrement dans la concertation, cet épisode a été un moment fort de discussion entre nous. Il a fait l'objet d'un retour d'expérience et d'analyse en interministériel il y a quelques semaines qui a permis d'acter que, dans ces cas-là, les renseignements épidémiologiques obtenus, dès lors qu'ils étaient intéressants pour la santé publique, devaient être portés à la connaissance de nos concitoyens.

Donc, une première étape a pu apparaître comme un élément discordant, mais elle a été vécue comme un élément d'affirmation d'une meilleure maîtrise et d'une plus grande responsabilité vis-à-vis de la sécurité sanitaire. Cet élément et son analyse ont été intégrés dans l'élaboration du protocole de communication que nous évoquions tout à l'heure et qui va être transmis incessamment aux préfets.

La question que vous posez sur l'Agence Sanitaire de l'Environnement me semble trouver sa réponse tout naturellement dans la loi de 1998. C'est le Comité National de Sécurité Sanitaire qui est le lieu de coordination de toutes les agences de sécurité sanitaire. L'Agence de Santé Environnementale, quand elle sera créée, trouvera sa place au sein du Comité, où elle participera, au même titre que les autres, à la réflexion au niveau national.

Quant à votre inquiétude sur la création des trois groupes au sein du CNSS, je tiens à vous rassurer, Monsieur le sénateur : il ne s'agit pas de groupes de travail qui se substitueraient aux agences, mais de groupes créés à l'intérieur du Comité national, faisant appel à trois experts renommés.

Le premier groupe est chargé d'un travail sur les critères, méthodes et procédures utilisés dans les processus de décision pour assurer la sécurité sanitaire. Il est présidé par M. Setbon, chercheur au CNRS, sociologue réputé pour ses analyses comparatives dans le domaine de la transfusion sanguine.

Le deuxième groupe mènera ses travaux sur l'estimation quantitative des risques en situation d'incertitude. Il est présidé par Philippe Hubert, chef de service d'évaluation et de gestion des risques à l'IPSN, spécialiste de l'évaluation quantitative des risques.

Le troisième groupe travaillera sur les priorités de sécurité sanitaire et prospectives. Il est confié à M. le Professeur Alfred Spira, professeur en santé publique.

M. Charles DESCOURS - Vos explications ne nous rassurent pas.

Mme Dominique GILLOT - Ces groupes sont constitués à l'intérieur du Comité pour faire des propositions, dans quelques mois, sur des méthodes de réflexion et des aides à la décision dans les domaines ou secteurs identifiés. Ils mobilisent des membres du Comité sans se substituer aux agences, qui restent compétentes dans leur secteur de responsabilité.

Vraiment, je ne vois pas en quoi ceci peut vous inquiéter. Il s'agit d'un travail de fond mené dans le cadre du CNSS et non d'un travail de décision ni de substitution des responsabilités des agences.

Mme Marylise LEBRANCHU - Par rapport à ce que vous avez dit sur les deux agences, qui pourraient d'ailleurs être trois agences, puisqu'il s'agit d'environnement également maintenant, je vais essayer de regrouper les questions pour être plus brève.

J'ai l'intime conviction que l'on travaille dans un pays par étape. On ne coule pas dans le marbre une fois pour toutes des outils. Compte tenu du caractère récent de cette volonté d'avoir une évaluation transparente du risque, il n'est pas mauvais de séparer les fonctions. Il est probable, possible, que, dans quelques années, nous soyons amenés à revoir la structure des agences. Je pense qu'il faut d'abord faire fonctionner ce que nous sommes capables de faire fonctionner.

La co-tutelle nous a semblé être une nécessité au départ dans la mesure où nous voulions continuer à affirmer un principe fort : celui de la séparation absolue de l'évaluation et de la gestion du risque. A-t-on le même outil pour évaluer et gérer le risque ? A mon avis, non. Les organismes de contrôle doivent appliquer le résultat de l'évaluation du risque, prendre les processus d'évaluation qui leur ont été donnés et, pendant qu'ils contrôlent, l'Agence évalue d'autres risques potentiels, etc. C'est un mouvement continu.

Les comités d'experts vous préoccupent. La loi sur l'Agence dit : " Pour l'accomplissement de ses missions, les laboratoires des services de l'Etat chargés du contrôle de la sécurité sanitaire des aliments et ceux qui leur sont rattachés sont mis à disposition de l'Agence en tant que de besoin ". Un premier mouvement a été décidé : le CNEVA n'est plus un laboratoire d'un service, mais est devenu un service de l'Agence, donc indépendant et agissant en transparence. Sa relation n'est que budgétaire. Pour les laboratoires, les résultats sont donnés à l'Agence pour ses évaluations constitutives. Elle a à sa disposition, quand elle veut formuler une question, tous les laboratoires de l'Etat.

Avoir une seule entité impliquerait une supra structure avec à l'intérieur tous les laboratoires, le tout en étant au service de l'évaluation du risque. Je reste persuadée qu'il faut garder des outils au service de la gestion du risque. L'Agence n'a pas comme vocation de contrôler. Elle perdrait son temps et son efficacité. En effet, le souci, que vous avez bien développé, était d'avoir un outil structurel institutionnel garanti transparent travaillant en permanence sur l'évaluation des risques potentiels. Laissons la gestion aux administrations de telle manière que l'Agence ne soit pas encombrée de missions de contrôle et ne fasse plus de travail d'évaluation aussi souvent qu'elle le pourrait.

Par ailleurs, il me semble que l'Agence n'aura jamais tous les laboratoires sur toutes les compétences dans l'avenir. Qu'elle ait le droit, en tant que de besoin, d'avoir à sa disposition ces laboratoires et que ceux-ci soient obligés de lui répondre sur toutes les évaluations qu'elle demande, y compris les laboratoires universitaires -des universités travaillent sur de la recherche fondamentale qui, à un moment donné, peuvent être utiles à l'Agence- est un fonctionnement qui me paraît devoir être poursuivi ; sinon, l'Agence manquera de moyens.

J'ai la réaction inverse à la vôtre. Plus il y a de mises à disposition possibles au coup par coup sur le sujet choisi par l'Agence elle-même ou sur une interrogation du Gouvernement envers l'Agence, plus nous avons de chances d'avoir une bonne réponse. Je trouve ce fonctionnement plutôt satisfaisant.

Vous avez évoqué la coordination entre l'Agence et la future autorité européenne, qui n'a pas encore de nom. Je reste intimement convaincue que l'objectif que l'Europe poursuit -je ne répondrai pas à la place du Commissaire, mais en tant que membre du Conseil de la consommation, par exemple- est d'avoir un système de mise en commun des évaluations qui permette un accord entre les pays sur ce qu'est un risque potentiel, un risque avéré, et permettra aux pays d'avoir des méthodes de contrôle et de gestion du risque rationalisées. Nous allons profiter les uns les autres du travail réalisé dans d'autres pays parce que des circonstances différentes des nôtres ont permis de mettre en évidence tel ou tel risque potentiel. Je pense au milieu industriel, par exemple : ce qui s'est passé pour l'amiante eût été sûrement plus rapide si une autorité d'évaluation du risque de ce type en Europe avait pu depuis longtemps dire qu'au nord de l'Italie, au sud de la Belgique, il existait déjà des observations médicales faisant état d'une relation forte entre l'amiante et un certain nombre de maladies.

C'est bien dans l'intérêt des consommateurs européens que cette autorité doit plutôt nous aider à être plus performants sur l'évaluation des risques potentiels, ou des risques avérés découverts dans tel ou tel pays, mais surtout potentiels. En effet, le marché est mondial, mais les cultures sont différentes. Une culture et des habitudes peuvent permettre de découvrir plus tôt un risque potentiel lié, soit à de l'alimentation, soit à l'utilisation de produits, soit à un comportement, et il est bon que l'ensemble des pays européens soit averti.

Dans mon esprit, il s'agit de rationaliser les moyens, en ayant bien sûr une autorité permettant d'exiger que cette information circule. Le mot " exigence " doit exister parfois. L'Autorité européenne doit pouvoir exiger d'être informée des risques découverts.

C'est peut-être cette question de l'autorité qui fera plus débat. En France, les agences sont indépendantes. Donc, elles n'ont aucune responsabilité sur les avis qu'elles rendent. Elles ne sont responsables que devant elles-mêmes. Celui qui sera responsable de ne pas avoir appliqué le fait que l'Agence ait dit lundi dernier que tel produit était dangereux, c'est le ministre en charge du dossier. Une responsabilité scientifique et d'évaluation est confiée à l'Agence. La mission de mettre en pratique est de la responsabilité de la décision politique.

Il faut faire une différence entre la responsabilité scientifique et la responsabilité politique. Ce n'est pas parce que la première s'assoit dans de meilleures conditions, en particulier autour des agences, que la seconde doit se diluer. Je serais inquiète si, au niveau européen, on ne déterminait pas la responsabilité scientifique, d'une part, et celle politique, d'autre part, mais je suis certaine que le Commissaire développera ce point beaucoup mieux que moi.

Si nous allons jusqu'à l'Agence de l'environnement, j'aurai un problème à régler : celui de la Commission de Sécurité des Consommateurs. Celle-ci est actuellement saisie de la question touchant à l'utilisation d'appareils qui changent l'environnement, y compris magnétiques pour les téléphones portables, les antennes, etc. Faut-il maintenir cette commission telle qu'elle est ? Le Parlement devra se saisir de l'ensemble de ces conséquences. Faire aujourd'hui une agence unique me semblerait aller trop vite.

Vous avez évoqué les OGM et le " couac " de communication. Le cas européen qui nous est soumis depuis quelques jours revêt deux aspects :

- notre appréciation politique du dossier. On n'a pas le droit en France, en Europe de planter du colza transgénique, d'où une infraction. Il faut alors aller jusqu'au bout de la démarche, c'est-à-dire faire une enquête -la DGCCRF a été chargée de la mener- et remettre un dossier sur le bureau du Procureur de la République. C'est la phase normale ;

- l'aspect confiance des consommateurs, inquiétude des populations : là, le Premier ministre décide de demander à l'ensemble de ceux qui savent avoir utilisé ces graines de détruire les récoltes et d'entamer une procédure de négociation avec les semenciers. C'est un deuxième sujet.

On parle d'un " couac " de communication au départ. C'est vrai. Sur le fond, nous étions tous scandalisés par le sujet, mais, en droit, le ministre de l'Agriculture avait raison de dire qu'il fallait vérifier que les moyens que nous avions utilisés étaient bien en accord avec le droit. Nous sommes dans un Etat de droit. Ce que nous avons dit sur la sécurité sanitaire des aliments et ce qu'a réexpliqué Dominique Gillot est important aussi pour les OGM. Sur des dossiers de ce type, effectivement, ne pas céder à la pression médiatique est la règle d'or la plus difficile à respecter parce que nous sommes amenés à répondre de façon spontanée à des questions, alors même que nous n'avons pas eu le temps matériel d'avoir l'exégèse de la première phase d'enquête. La règle d'or que nous devons nous appliquer, c'est d'abord de lire, non pas le premier article sorti ou la première dépêche, mais le premier rapport d'enquête avant de nous exprimer au fond. C'est ce que vous nous avez reproché.

M. Christian PONCELET, Président du Sénat - Vous dites que le journaliste peut écrire ce qu'il veut. C'est grave, car il peut diffuser une information qui peut avoir des conséquences extrêmement importantes. Il va exposer un danger qui n'existe peut-être pas. Il va affoler les populations, ce qui peut entraîner une réaction forte, et nous ne pouvons pas juger parce que nous n'en avons pas les moyens.

Mme Marylise LEBRANCHU - Absolument. Monsieur le Président, avant votre arrivée, Dominique Gillot a expliqué qu'un de nos soucis dans le domaine de la communication était de donner à l'ensemble de la presse écrite, parlée et audiovisuelle un certain nombre de documents -c'est pourquoi les agences ont toutes leurs rapports en ligne- pour que les auteurs des articles aient le maximum d'informations à leur disposition.

Dans l'Etat de droit qui s'impose à nous, il y a aussi la liberté de la presse.

M. Christian PONCELET, Président du Sénat - Il n'y a pas de liberté sans responsabilité.

Mme Marylise LEBRANCHU - Monsieur le Président, je ne peux pas porter plainte contre un article...

M. Christian PONCELET, Président du Sénat - Je sais bien. Pourquoi vous dis-je cela ? Lorsque j'ai fait, ayant des responsabilités ministérielles, la fiscalité de la presse, j'avais souhaité à l'époque qu'il y ait un code de déontologie.

Mme Marylise LEBRANCHU - Il existe.

M. Christian PONCELET, Président du Sénat - Non, il n'existe pas. On ne peut pas s'y référer.

Mme Marylise LEBRANCHU - Il n'est pas opposable.

M. Christian PONCELET, Président du Sénat - Il n'est pas respecté, et certains journalistes de qualité et de talent s'en inquiètent. C'est un véritable problème. Vous touchez un point extrêmement sensible qui peut avoir des répercussions sur l'opinion très fortes, avec des conséquences insoupçonnées aujourd'hui, et l'on ne saura pas qui est responsable. Celui qui a diffusé la fausse information, n'ayant pas eu les moyens de contrôler, n'est pas répréhensible, au nom de la liberté.

Mme Marylise LEBRANCHU - Je laisse à la presse sa responsabilité. Elle a un code de déontologie.

M. Christian PONCELET, Président du Sénat - Non.

Mme Marylise LEBRANCHU - En revanche, si une société, un ministre ou une personne quelle qu'elle soit est citée, nous avons toujours la possibilité d'entamer une action. Je peux faire état d'une expérience, puisque cette audition est publique.

Concernant les boues de stations d'épuration, dossier hautement sensible au mois d'août dernier car, dans cette période où il y a peu d'événements, il devenait intéressant pour la majorité des journalistes, je me souviens avoir répondu à une interview, donc à des questions, et avoir constaté, après, que la teneur de l'article était faite et que les questions qui m'étaient posées illustraient seulement cet article. J'ai dit au journaliste : " Il est dangereux de ne prendre dans les réponses à une interview que celles pouvant illustrer une opinion ". Je ne dénie pas au journaliste le droit d'avoir une opinion. Ce que je lui demande, dans ce cas, c'est d'expliquer qu'il a une opinion et qu'à partir de celle-ci il a interrogé des personnes. Je ne serai pas pour autant entendue.

Je parlais de l'Institut National de la Consommation et du rôle qu'on veut lui donner, en accord d'ailleurs avec les associations de consommateurs. Il me semble important que l'on puisse avoir, pour les journalistes en particulier, pour travailler des sujets, une banque de données à jour en permanence, qui soit bien sûr, d'abord et avant tout, à la disposition des consommateurs et de leurs associations et aussi à la disposition de la presse. En effet, souvent, on se rend compte que, dans la précipitation, les informations que nous donnons sont tronquées parce que nos services ont la chance de connaître un sujet et que nous avons l'impression que tout le monde est au même niveau d'information, ce qui est faux. Nous ne sommes peut-être pas très bons, Monsieur le Président, je vous l'accorde, sur ce que l'on appelle les dossiers de presse. S'il y a un progrès à accomplir dans le domaine de la sécurité de manière générale, c'est sur le travail du dossier de presse, c'est-à-dire sur la masse d'informations distribuée et les conditions dans lesquelles elle l'est. Cela étant, je ne peux pas vous rejoindre : en tant que membre du Gouvernement, je ne peux pas saisir un journal parce qu'il dit...

M. Christian PONCELET, Président du Sénat - ...Je n'ai pas dit cela. J'ai fait un constat...

Mme Marylise LEBRANCHU - ...Je le partage en partie...

M. Christian PONCELET, Président du Sénat - ... puisque j'ai eu un grand débat sur ce sujet-là. Certains journalistes se sont rencontrés pour élaborer une structure de déontologie, mais elle n'est pas opposable ni applicable. Ils la respectent ou non.

Mme Marylise LEBRANCHU - Pas sur tous les sujets.

Nous ne pouvons pas avoir un débat sur la presse, mais, plus nous serons performants dans le domaine de l'évaluation et du contrôle de manière globale dans tout ce qui concerne la sécurité des personnes dans nos pays, moins nous aurons de soucis concernant la médiatisation des problèmes.

Il m'apparaît en tout cas qu'il faut réconcilier les citoyens avec les notions de transparence et de vérité. Celles-ci doivent être toujours, quelque part, à leur disposition, d'où l'intérêt d'avoir des outils de diffusion communs.

Mme Dominique GILLOT - Très rapidement, Monsieur le Président, sur cette question, je voudrais revenir à ce que je disais au début de mon intervention. Aujourd'hui, nous sommes face à une opinion publique mieux informée, mieux formée et qui veut exercer son libre arbitre, son esprit critique. Nous sortons d'une période où les pouvoirs publics ont péché par excès de prudence ou ont été accusés de dissimulation. La volonté de transparence que nous affichons, que nous mettons en pratique et qui est l'élément déterminant de l'élaboration de cette démocratie sanitaire à laquelle nous sommes engagés n'est pas encore vécue comme une vérité. Certains de nos concitoyens ou des représentants des médias exercent encore un esprit suspicieux par rapport à cette volonté de transparence.

Il faut prouver, avec le temps et avec l'analyse des différentes séquences et la mise en place de ce dispositif, qu'une ère nouvelle est ouverte : celle de la transparence, du partage de l'information. Les journalistes, comme nous, avancent, progressent. Depuis six mois, nous voyons des articles de fond qui se répondent les uns aux autres, permettant à l'opinion publique de progresser en termes de connaissance de fond et de responsabilité.

Je ne voudrais pas que l'on fasse un procès à la presse au motif que, de temps en temps, il y a des accélérations, des effets médiatiques, des effets d'annonce. Nous sommes tous co-responsables. C'est dans le temps et dans l'affirmation tranquille et sereine d'une nouvelle ère de la transparence que nous dépasserons ces difficultés.

M. Christian PONCELET, Président du Sénat - Transparence s'associe à authenticité, Madame. Vous interprétez mes propos ; je comprends pourquoi. Je cherche à ce qu'il y ait toujours une authenticité. Ce qu'a dit votre collègue est extrêmement important. Vous ne pouvez pas diffuser s'il n'y a pas authenticité. Il y a un minimum de responsabilité à assumer dans la diffusion d'une information qui peut avoir des conséquences si elle n'est pas authentique. C'est le problème de fond.

M. LE PRÉSIDENT - Merci, Mesdames les Ministres, Monsieur le Président.

Monsieur le Président, je voudrais saluer votre présence, puisque vous allez conclure tout à l'heure cette réunion, et saluer le M. le Commissaire européen David Byrne, chargé de la santé publique et de la protection des consommateurs, qui va évoquer en particulier les projets de la Commission dans ces domaines. Depuis 1998, en France, un certain nombre d'agences ont été mises en place. Nous avons dressé aujourd'hui l'état des lieux, fait le point sur leur action. Nous sommes très attentifs à ce que pourrait proposer l'Europe dans ces domaines.

VII. LE POINT DE VUE DE LA COMMISSION EUROPÉENNE

AUDITION DE M. DAVID BYRNE, COMMISSAIRE EUROPÉEN CHARGÉ DE LA PROTECTION DE LA SANTÉ ET DES CONSOMMATEURS

M. David BYRNE - Messieurs les Présidents et membres du Sénat, Mesdames, Messieurs, je suis très heureux d'être parmi vous au Sénat français aujourd'hui à Paris. C'est un grand honneur pour moi d'avoir été invité à participer à vos réflexions. C'est une occasion exceptionnelle de pouvoir vous présenter mes idées sur la sécurité alimentaire. J'aimerais concentrer mon intervention essentiellement sur le Livre blanc de la Commission Européenne sur la Sécurité Alimentaire.

Malgré mon désir de m'exprimer en français, malgré tous les liens tissés entre la France et l'Irlande et mon admiration pour votre pays, permettez-moi de m'exprimer en anglais.

L'adoption du Livre blanc, le 12 janvier, constitue un signe à la fois tangible et visible de notre engagement à la mise en place, au sein de l'Union européenne, de l'une des meilleures structures et procédures dans le domaine de la sécurité alimentaire.

En tant que Commissaire responsable de la sécurité alimentaire, je me félicite de l'accueil qui a été accordé à mon Livre blanc dans toute l'Union européenne. Je souhaite aujourd'hui, au Sénat, saluer l'appui du Gouvernement français. Au cours de la prochaine présidence française, je m'attends à ce que des progrès notables puissent être réalisés sur les nombreuses propositions contenues dans le Livre blanc, y compris celle visant à créer une Autorité alimentaire de sécurité.

La publication de ce Livre blanc constitue la première étape vers des normes de sécurité alimentaire plus élevées au sein de l'Union européenne. Je puis vous assurer que je me rends bien compte que tout ne va pas simplement se mettre en place à la suite de notre initiative, mais ce Livre blanc est une étape importante, car il permet de mettre en place un cadre d'action cohérent, avec un calendrier détaillé, lequel calendrier est ambitieux et constitue un défi pour la Commission. Je puis vous assurer que, pour ma part, j'ai l'intention d'être à la hauteur de l'ambition et du défi que je me suis fixés.

De même, j'ai lancé un appel à tous les acteurs, le Conseil des ministres, le Parlement européen, pour qu'ils soient à la hauteur de ce défi. Il faut que nous mettions nos proposions en place. Il ne peut y avoir d'excuses pour tout retard évitable. Nos citoyens réclament de nous un changement. Nous devons répondre à leur attente.

Vous êtes sans doute conscients des peurs suscitées au sein du public par certaines affaires alimentaires qui ont défrayé la chronique. Cela a sapé la confiance dans les producteurs alimentaires et les institutions publiques. Je ne m'étendrai pas. Je mets en place des mesures pour aborder ces problèmes.

La Commission a toute une palette de propositions pour mettre en place le changement exposé dans le Livre blanc sur la sécurité alimentaire. Il s'agit de disposer d'un cadre juridique à la fois dynamique et efficace, s'appuyant sur la science robuste et, pour l'appuyer, les bonnes structures administratives, où la santé du consommateur est l'élément moteur.

Le consommateur a le droit d'avoir la chaîne d'approvisionnement alimentaire la plus sûre au monde et nous devons mettre en place un système le garantissant. Le confiance du consommateur est la clé du succès de l'industrie alimentaire en Europe et dans le monde. Une chaîne alimentaire sûre de la ferme à la fourchette, bien régulée et bien contrôlée, est la voie pour susciter cette confiance dans la filière alimentaire européenne.

Les industries ont leur rôle à jouer pour susciter la confiance du consommateur, car il est du ressort de chaque entreprise d'assurer la sécurité des aliments produits, fabriqués ou vendus.

Je voudrais maintenant aborder le programme législatif conçu dans le Livre blanc sur la sécurité alimentaire, publié le 12 janvier. Il importe que le cadre juridique soit intégré, offre une série de mesures connexes pour les aliments allant de la ferme à la table et soit suffisamment souple pour répondre à de nouveaux défis.

Avec cela en vue, nous avons identifié 80 actions séparées que nous pouvons mettre en oeuvre dans la période qui s'étend devant nous. Un cadre juridique accru couvrira, par exemple, les aliments pour animaux, la santé des animaux, l'hygiène, le contrôle, les contaminants, les résidus, les nouveaux produits alimentaires, les additifs, les édulcorants, l'emballage, l'irradiation.

Un problème que nous avons identifié : la nécessité d'un cadre d'ensemble pour la loi alimentaire établissant les principes et les définitions sur un plan fondamental. Nous allons bien sûr faire une proposition sur la loi générale qui englobera les principes de sécurité alimentaire offrant un haut niveau de protection de santé. Seuls des produits sûrs pourront être mis sur le marché. La responsabilité principale pour des aliments sûrs repose sur les industriels, les producteurs et les fournisseurs, une approche intégrée de la ferme à la table, la traçabilité le long de toute la filière, des contrôles efficaces à tous points dans la chaîne, de la ferme à la table, y compris dans la fabrication des aliments pour animaux.

Afin d'accroître la cohérence et la sécurité, des définitions claires seront imposées, par exemple, pour une denrée et pour sa mise sur le marché. Des principes d'analyse du risque seront suivis et, là où des questions scientifiques sont en jeu, la loi alimentaire sera basée sur des avis de haute qualité et tout à fait transparents.

J'en viens maintenant à l'aspect à la fois le plus ambitieux et le plus essentiel du Livre blanc : il s'agit de la proposition qui vise à la création d'une Autorité alimentaire européenne. La Commission estime que, pour assurer la protection de la santé du public et rétablir la confiance du consommateur, des changements importants sont essentiels pour le système européen.

Nous prévoyons qu'une autorité soit créée en l'an 2002, qui sera basée sur les principes d'indépendance, d'excellence scientifique, de transparence et d'accessibilité. Sa mission principale sera d'entreprendre l'évaluation scientifique des risques pour la santé et de conseiller les institutions européennes sur ce point en offrant au public des informations faisant autorité et compréhensibles pour favoriser des choix éclairés et éviter toute désinformation.

Nous ne proposons pas que cette autorité ait des responsabilités réglementaires. Toutefois, cela ne signifie pas que la Commission ne prévoie pas de renforcer ses méthodes de développement réglementaire dans le domaine alimentaire. Nous savons pertinemment que nous devons veiller à ce que le dispositif nous permettant de réglementer les aliments soit suffisamment dynamique et souple. C'est une question importante, sur laquelle je reviendrai dans quelques instants.

L'autorité sera indépendante de tout intérêt industriel et politique et fonctionnera de manière ouverte et transparente, en étant accessible à tous les acteurs. Nous sommes décidés à porter l'impact de l'autorité à la connaissance de tout consommateur européen par le biais d'une communication ouverte, avec un langage clair et compréhensible. Ce sera un défi. Si nous souhaitons reconstruire la confiance du consommateur et la capacité à communiquer des informations et des avis en temps utile et de manière efficace, ce sera d'une importance capitale. J'ai été intéressé d'entendre les observations formulées avant mon intervention sur cette même question.

S'agissant du fonctionnement quotidien de cette autorité, l'accent sera mis sur la coopération et le travail en réseau avec les agences nationales et les établissements d'excellence pour la sécurité alimentaire en Europe et dans le monde. L'autorité ne va pas réinventer la roue et ne fera pas non plus double emploi avec les travaux des autorités nationales, mais tirera parti de ces ressources précieuses en ajoutant un point de vue européen et une vue d'ensemble. Il s'agit de renforcer et de coordonner au niveau européen. L'autorité ajoutera de la valeur aux systèmes existants, mais disparates.

Nous prévoyons que les tâches de l'autorité comprendront :

- L'évaluation scientifique du risque, comprenant toutes les questions ayant un impact direct ou indirect sur l'hygiène, la santé du consommateur, découlant de la consommation alimentaire.

Cela couvrira les aliments pour animaux, la production agricole, et les aspects vétérinaires, les procédés industriels, le stockage, la distribution et la vente au consommateur. Son champ d'action comprendra à la fois la sécurité et les aspects nutritionnels. L'autorité examinera également la santé des animaux et tiendra compte des évaluations de risques dans d'autres domaines, notamment dans les secteurs de l'environnement et chimique, où il y a chevauchement avec l'évaluation du risque s'agissant de la sécurité alimentaire. Le dispositif actuel pour les comités scientifiques de l'Union européenne sera revu à la lumière des décisions prises une fois achevé le processus de consultation.

- La collecte de l'information et de l'analyse.

L'autorité devra faire partie des réseaux existant en Europe et dans le monde pour la collecte et l'évaluation d'informations sur la sécurité alimentaire. Ces réseaux existent, mais une bonne partie de l'information n'est pas regroupée ni comparée ou recoupée pour aboutir à un tableau complet des problèmes de sécurité alimentaire. Il sera indispensable pour l'autorité d'identifier les risques en émergence. Avec ses systèmes de veille, elle contribuera à des informations précieuses au pouvoir réglementaire en Europe et aux autres parties intéressées. Elle créera des contacts avec des agences, des laboratoires et des groupes de consommateurs analogues au sein de l'Union et dans des pays tiers, avec un système d'alerte rapide très étendu.

- La communication du risque.

L'autorité se fixera comme priorité la communication ouverte de l'information sur la sécurité alimentaire en informant toutes les parties intéressées de ses conclusions : pas simplement les avis scientifiques, mais également les résultats de ses programmes de contrôle et de surveillance. Les informations seront produites pour être accessibles en termes de langage, disponibilité et clarté.

L'autorité doit devenir le premier niveau interrogé lorsque des réponses scientifiques sur la sécurité alimentaire sont recherchées ou des problèmes identifiés. Une autorité très visible, avec une forte présence volontariste sur les questions de sécurité alimentaire sera un important élément pour rétablir et maintenir la confiance chez le consommateur européen.

- Une alerte rapide en cas de crise de sécurité alimentaire.

Le Livre blanc prévoit que l'autorité fera fonctionner le système d'alerte rapide. Le dispositif existant, où des informations sont retransmises électroniquement aux autorités de contrôle en Europe, s'est avéré un outil puissant dans la protection du consommateur. Le dispositif sera renforcé pour inclure les aliments pour animaux.

L'autorité aura également un rôle clé auprès de la Commission et des Etats membres pour ce qui est d'identifier toute crise de sécurité majeure et de déterminer la suite à donner. De nouvelles procédures sont envisagées pour faire face aux crises en améliorant le système existant.

Le Livre blanc n'est pas prescriptif s'agissant de toutes les informations concernant une autorité alimentaire au niveau européen. La Commission n'a pas encore proposé de chiffres concrets pour l'autorité. Il est clair, toutefois, que l'efficacité de l'autorité dépendra de l'adéquation en termes de taille et de qualité des ressources humaines, financières et moyens matériels qui lui seront alloués.

Nous prévoyons que cette autorité soit en place d'ici à l'an 2002, une fois la législation votée. Avant de parachever ses propositions, la Commission européenne a invité toutes les parties intéressées à donner leur avis sur cette autorité avant la fin du mois d'avril. Un texte définitif sera présenté par la Commission à l'automne prochain. Cette invitation aux acteurs pour présenter leur point de vue a été très bien suivie.

Dans l'intervalle, la Commission progresse avec son programme législatif. Parmi d'autres propositions, la Commission développe une consolidation des 17 directives liées à l'hygiène alimentaire que nous allons adopter avant l'été. Cette proposition reflète des méthodes qui ont fait leurs preuves pour assurer les normes les plus élevées en matière de sécurité alimentaire, basées sur une approche intégrée de la ferme au consommateur, l'application des principes d'une bonne hygiène à tous les stades de la filière, de bonnes pratiques agricoles pour s'assurer que les aliments sont correctement manipulés au cours de leur production. En aval de la ferme, l'industrie alimentaire sera réglementée par un cadre de mesures, y compris l'application d'analyses de risques et de dispositifs de contrôle de points de crise pour identifier les risques à la santé humaine.

Avant de conclure, je souhaiterais évoquer deux points importants.

Le premier est l'interface entre l'autorité, les agences nationales et les autres organes scientifiques.

L'Autorité Alimentaire Européenne ne peut travailler dans le vide. Elle devra tirer parti des connaissances et des compétences disponibles dans les instances analogues au niveau des Etats membres et des pays tiers et devra travailler en étroite coopération avec ces autres instances scientifiques. Je la vois comme le centre d'un réseau où toutes les connaissances et tous les moyens seront utilisés au mieux.

Afin d'offrir un socle solide à ce réseau, nous envisageons la possibilité de mettre en place des fonctions de mise en réseau dans la législation. Nous souhaitons impliquer, dans toute la mesure possible, les autorités alimentaires nationales et les instituts dans le fonctionnement de cette autorité, permettant ainsi de minimiser les possibilités de divergence entre les avis scientifiques des Etats membres et l'autorité. Ainsi sera renforcée la confiance dans le système communautaire d'avis scientifiques car, manifestement, l'autorité européenne sera au centre d'un réseau reliant les meilleurs avis scientifiques sur toute l'Union européenne. Si nous pouvons mettre en place un tel système -et je pense que nous le pouvons- avec un véritable partenariat avec les instances scientifiques nationales, nous pourrons éviter la possibilité de vues scientifiques divergentes sur les questions essentielles de sécurité alimentaire, ce qui ne veut pas nécessairement dire qu'il n'y aura plus de divergences de vue entre les Etats membres, mais il sera plus difficile pour eux de prendre position contrairement aux recommandations d'une autorité alimentaire où leurs instances scientifiques jouent un rôle actif.

Le deuxième point que je souhaite porter à votre attention est la décision de la Commission de veiller à ce que l'axe des travaux de l'autorité soit l'évaluation scientifique du risque, le rôle réglementaire reposant sur les institutions européennes existantes.

Des considérations sont importantes. Le processus de décision, où les propositions sont élaborées par la Commission et adoptées par une procédure impliquant les Etats membres et le Parlement européen, offre un haut degré de responsabilité et de transparence. Il y aurait un risque que le transfert de cette responsabilité à une autorité indépendante se traduise par une réduction de cette responsabilité. En outre, le transfert du pouvoir réglementaire à l'autorité exigerait sans doute une modification des dispositions existantes du Traité, ce qui ne veut pas dire qu'un élargissement futur de la compétence de l'autorité ne pourrait pas être envisagé s'agissant de son fonctionnement, de la confiance suscitée par son opération et des changements apportés au Traité dans l'intervalle.

Il s'agit également d'assurer une bonne traduction des politiques dans la loi. Certains estiment qu'il faudrait adopter le modèle de la FDA aux Etats-Unis, mais, là, les responsabilités en matière d'évaluation et de gestion du risque ne sont pas clairement démarquées. Cette approche que les Américains ont retenue il y a 80 ans leur a bien servi dans leur contexte culturel. Je sais que les Etats-Unis sont en train de revoir cette approche institutionnelle de la sécurité alimentaire.

Ce modèle n'est pas adapté dans le contexte européen. La réglementation devrait être du ressort de la Commission, du Parlement et du Conseil selon les besoins. Le traité de l'Union européenne confère à la Commission et, à elle seule, le droit d'engager des propositions de texte législatif. Le Conseil, le Parlement peuvent, en exerçant leur mandat démocratique, adopter cette législation avec ou sans amendement.

La mise en oeuvre de cette décision implique des choix politiques et des appréciations basées pas simplement sur l'appréciation scientifique du risque, mais également sur une appréciation bien plus large de facteurs qui sont les souhaits et les besoins des consommateurs de la société. Cet exercice de responsabilité ne serait pas facilement remplacé, et je n'ai pas encore entendu d'arguments probants attestant du contraire, ce qui ne signifie pas nécessairement que des améliorations ne peuvent pas être apportées à notre façon de gérer le risque.

Je pense que notre processus législatif est trop lourd et trop long. Nous devons progresser dans ce domaine et j'y travaille activement. Je viens d'en parler avec les parlementaires. Je dois vous dire que j'ai reçu une réponse très positive des parlementaires européens. J'attends avec impatience une réunion que j'ai prévue avec la Commission agricole au Parlement en juillet pour évoquer précisément cette question de la législation et de l'interaction entre les systèmes de législation primaire et secondaire pour voir si nous ne pouvons pas mettre en place, ne serait-ce que des éléments de réponse pratiques, pour assurer une meilleure application des orientations en texte de loi.

Dans le cadre de notre proposition sur l'autorité, je suis en train de voir comment les procédures décisionnelles de la Commission peuvent être plus efficaces et les possibilités qui existent pour l'autorité de prendre des mesures de réduction de risques dans des situations de véritable crise, où la santé publique court un danger imminent.

Je tiens à vous remercier, une fois de plus, de l'invitation qui m'a été adressée de prendre la parole devant vous. Je suis heureux d'avoir pu vous exposer mon point de vue sur le développement de la sécurité alimentaire au sein de la Communauté européenne. Nous avons de nombreux défis devant nous. Nous sommes prêts à opérer des changements pour assurer la sécurité de la chaîne alimentaire et restaurer la confiance du consommateur.

(Applaudissements...)

M. LE PRÉSIDENT - Merci, Monsieur le Commissaire.

Je passe la parole aux sénateurs pour une ou deux questions très brèves, qui impliqueront une réponse tout aussi brève de la part du Commissaire.

M. Claude HURIET - Ma question concerne les liaisons entre les structures d'expertise nationales et l'autorité européenne. Vous avez bien dit qu'il s'agissait d'un réseau. Cela signifie-t-il que l'autorité européenne ne se dotera pas de ses propres moyens d'expertise et, si oui, le réseau sera-t-il constitué de pôles d'excellence dont les capacités d'expertise ne pourront pas être remises en cause par un autre pôle, également d'excellence ?

M. Charles DESCOURS - Une fois que l'Agence européenne aura fait ses expertises, qui prendra la décision politique ? Est-ce que l'Agence pourra mettre un pays membre devant le fait accompli sans décision du ministre compétent de ce pays membre ?

M. Lucien NEUWIRTH - Monsieur le Commissaire, vous êtes en charge de la protection sanitaire. Est-ce dans le but de protéger la santé des consommateurs que vous avez autorisé les graisses végétales dans le chocolat ?

M. David BYRNE - Je me demandais combien de temps je devrais attendre avant que cette question sur le chocolat ne soit posée... J'y reviendrai.

A propos des liens et des pôles d'excellence, j'indique que la structure que j'envisage impliquera l'emploi de scientifiques à plein temps qui travailleront pour cette autorité alimentaire. Celle-ci aura également le droit et le mandat de rechercher à l'extérieur des conseils scientifiques indépendants dans des domaines où cette expertise existe sur une question donnée en cours d'examen par l'autorité.

En outre, il est particulièrement important, afin de construire la confiance dans l'excellence de cette autorité et qu'une seule voix s'exprime au sein de l'Unité européenne, de tirer parti de l'expérience des pays membres. Nous allons proposer l'établissement d'un comité consultatif attaché à l'autorité, comprenant les chefs exécutifs des différentes agences des pays ou de leurs équivalents là où ces agences alimentaires n'existent pas.

A travers ce dispositif, l'autorité alimentaire sera en position d'avoir le meilleur conseil possible disponible, mais elle sera également structurée de façon à pouvoir s'adresser aux Etats membres pour solliciter le point de vue des agences de sécurité alimentaire.

Cet aspect de construction de confiance présente également l'avantage de tirer toute l'expertise existante. Bien évidemment, l'autorité sera capable, si nécessaire, de rechercher des conseils à l'extérieur de l'Union. Il sera également plus facile pour les Etats membres et nous tous de donner de la crédibilité aux opinions exprimées par l'autorité sur les différentes questions relatives à la sécurité alimentaire.

S'agissant de la gestion des risques et de l'expertise -je sais que vous avez déjà eu un débat sur ce sujet cet après-midi- je pense qu'il faut un lien -et celui-ci existe- entre l'évaluation des risques, c'est-à-dire les scientifiques, et la gestion des risques, c'est-à-dire les politiques, afin que les recommandations émanant des premiers soient mises en oeuvre dans le cadre de lois par les seconds. Je pense, comme Mme Lebranchu l'a dit, qu'il appartient aux hommes politiques, responsables devant les citoyens, de prendre des décisions sur la gestion des risques, la fonction des scientifiques étant de donner des conseils par rapport à l'évaluation des risques.

Dernière question : le chocolat. J'ai déjà eu l'honneur de l'évoquer au Sénat à Rome il y a quelques semaines. C'était également la troisième question. Elle concerne le marché interne. Il y a des renforcements dans cette proposition examinée aujourd'hui, avec la fixation d'un niveau minimum de graisse végétale dans un chocolat afin d'assurer la sécurité. Les consommateurs bénéficieront d'un étiquetage beaucoup plus clair. S'ils veulent consommer le chocolat le plus populaire en France, ils pourront choisir de le faire car l'étiquetage est très clair. S'ils choisissent de consommer des chocolats avec un maximum de 5 % de graisse végétale, ils le pourront également.

Une dernière précision concernant les pays tiers : la graisse végétale incluse dans le chocolat est exclusivement produite dans les pays de l'ACP, tout comme l'huile et le beurre de cacao.

M. LE PRÉSIDENT - Merci, Monsieur le Commissaire, de cette réponse circonstanciée.

ALLOCUTION DE CLÔTURE DE
M. LE PRÉSIDENT DU SÉNAT

M. Christian PONCELET, Président du Sénat - Monsieur le Commissaire européen, Monsieur le Président de la commission des Affaires sociales du Sénat et cher collègue, Mesdames, Messieurs les sénateurs et chers collègues, Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, c'est bien évidemment avec plaisir que je viens ce soir parmi vous pour conclure, comme votre Président me l'a demandé, vos débats de la journée qui ont été, j'en suis convaincu, studieux et enrichissants, et ma courte participation à vos travaux me conforte dans ce jugement. Par ailleurs, pour celles et ceux chargés de l'information, je saisis cette opportunité pour dire que le Sénat sait s'intéresser aux questions d'avenir, aux questions particulièrement importantes et délicates.

Je tiens tout particulièrement à remercier M. David Byrne, Commissaire européen en charge de la protection de la santé et des consommateurs, qui a fait le déplacement de Bruxelles -il faut le préciser- pour nous éclairer sur le point de vue de la Commission européenne en matière de sécurité sanitaire. Les indications qu'ils nous a fournies ont été bien sûr notées et apportent un plus à nos connaissances. Je vous demande de bien vouloir l'applaudir pour le remercier de sa contribution aux travaux du Sénat...

(Applaudissements...)

En choisissant de réunir la commission des Affaires sociales autour du thème : " La sécurité sanitaire : état des lieux et perspectives en France et en Europe " , le Président Delaneau a montré, une fois de plus, l'attachement du Sénat à traiter de sujets d'actualité, même si ceux-ci sont difficiles, et, par là même, il a illustré l'une des missions de la Haute Assemblée, à savoir que celle-ci, compte tenu de sa pérennité, de sa sérénité, est un véritable laboratoire d'idées.

A cet égard, je tiens avec fierté à souligner le rôle précurseur qu'a joué notre Assemblée dans ce domaine de la sécurité sanitaire et alimentaire.

Bien avant la crise baptisée " de la vache folle ", la commission des Affaires sociales s'est engagée à plusieurs reprises en faveur du développement de la sécurité sanitaire. J'en veux pour preuve le rapport de nos deux collègues : Claude Huriet et Charles Descours. Ils sont ici et je tiens, pour ma part, à les complimenter. Je sais que cette appréciation est partagée à l'unanimité. Ce rapport, présenté en janvier 1997, érigeait les premières bases d'un contrôle de la sécurité sanitaire avant que celle-ci ne vienne devant la scène grand public.

Des mesures concrètes ont, en outre, été prises par le Sénat grâce, disons-le -sinon, on ne le saura pas et on ne pourra pas le faire savoir- à un amendement de notre collègue Claude Huriet, qui a créé l'Agence du Médicament. L'auteur est là. Il le confirme. Par conséquent, je ne me suis pas trompé.

C'est aussi au Sénat qu'a été adopté un amendement instituant l'Etablissement français des greffes. Et c'est encore notre Haute Assemblée qui a permis à la loi du 28 mai 1996 régissant les thérapies génétiques et cellulaires de voir le jour. Elle est, en effet, l'aboutissement d'une réflexion engagée par une mission sénatoriale d'information.

J'ajoute que nous avons mis en place une législation concernant la souffrance, la douleur. Là encore, cette démarche a pris naissance ici, dans le cadre de travaux de commission, sous la conduite de notre collègue et ami, Lucien Neuwirth.

Il m'arrive parfois de m'interroger pour savoir pourquoi toutes ces réalisations excellentes ne sont pas mieux portées à la connaissance du public. Il existe certainement, de notre côté, une insuffisance d'information. Il faudra regarder cela de plus près pour voir où se situe la faille en la matière, car ces travaux sont tout de même excellents. J'en ai d'ailleurs pris connaissance moi-même à Francfort, à la bibliothèque, où j'ai vu des documents concernant le traitement de la douleur.

Si l'histoire nous enseigne que, très souvent -j'allais dire trop souvent- la législation progresse à la faveur des crises, cette observation trouve sa pertinence dans le domaine de la protection de la santé, qui est perçu comme un frein à la liberté individuelle. Les crises sont alors un bon catalyseur.

En définitive, le Sénat a contribué au développement d'une forte culture sanitaire, et ce, Monsieur le Commissaire, pour le plus grand bien des consommateurs. C'est d'ailleurs une raison de plus qui me fait me tourner vers vous pour vous demander de bien vouloir m'aider, dans le cadre de la mise en place des institutions européennes, à la création d'un Sénat européen, qui m'apparaît une institution d'avenir et indispensable à l'équilibre des pouvoirs européens.

Le Sénat a toujours, dans un vaste consensus politique, prôné une politique de qualité et de sécurité des produits. Les commissions qui ont travaillé sur les sujets que je viens d'évoquer comprenaient des représentants de toutes les sensibilités composant notre Assemblée et ils ont tous conjugué leurs efforts, l'un ajoutant son imagination à celle de l'autre, pour aboutir à des conclusions ratifiées à l'unanimité par les membres de la Commission. Voilà un travail sérieux et concret !

Aujourd'hui, cette idée de la sécurité et de la qualité des produits correspond à l'état d'esprit des Françaises et des Français. La qualité et surtout la sécurité alimentaires inquiètent de plus en plus. Depuis dix ans, la société a découvert le risque alimentaire à travers les affaires de la listeria dans le fromage, de la salmonelle dans les oeufs, de la dioxine dans les poulets et du prion dans le boeuf. Je m'arrête là pour ne pas que vous soyez enclins à ne plus vous alimenter...

Si le " zéro défaut " dans un produit n'existe pas, chaque maillon de la chaîne alimentaire se doit cependant d'être irréprochable : du producteur, qui doit éviter de donner n'importe quel aliment à ses animaux, au consommateur, qui se doit de respecter des règles élémentaires d'hygiène dans la conservation des produits qu'il a acquis. C'est ce que l'on appelle la traçabilité ; et il m'est agréable de dire que ce terme fut prononcé la première fois par des responsables agricoles dans un département que je connais bien : celui des Vosges. Je n'ai pas demandé jusque-là de droits d'auteur, mais cela peut venir...

J'aborderai rapidement le problème des organismes génétiquement modifiés, appelés communément OGM. La moitié de la planète en consomme depuis dix ans. Cependant, on ne connaît pas encore, à l'heure actuelle -à moins que quelqu'un ne veuille me corriger- leur impact réel sur la santé, question posée tout à l'heure par M. Huriet à Mme la ministre.

L'augmentation des productions de masse et la lutte contre la faim poussent inéluctablement au développement des cultures transgénétiques, encore que, là, je me suis interrogé sur la cohérence de la politique européenne en matière agricole : d'un côté, on parle de surproduction et de mise de terres en jachère, ces terres ne pouvant naturellement plus produire ; de l'autre, compte tenu de cette surproduction, pour faire face aux besoins d'alimentation, on fait des produits génétiquement modifiés. Quelle est la cohérence en la matière ?

Des études sur l'innocuité de ces organismes génétiquement modifiés sont en cours, et un rapport de scientifiques américains indiquait récemment -je cite- " qu'il n'y avait pas lieu de s'inquiéter de l'impact des OGM sur la santé ". Cependant, il convient de rester vigilant, et je tiens à saluer la Commission européenne -et son Président- qui vient de rendre obligatoire l'étiquetage des produits contenant plus de 1 % d'OGM dans leur composition. C'est, je crois, une disposition de précaution indispensable.

Mais ce rapprochement des positions est, au sein de la Communauté, encore trop exceptionnel, et la France apparaît, à l'heure actuelle, dans ce domaine de précaution, quelque peu isolée. Notre pays défend tout à la fois la qualité et la sûreté des aliments, que ce soit par l'intervention de ce trublion agricole baptisé M. José Bové, qui combat la " malbouffe " -il a joué son rôle, même s'il a parfois tenu des propos désagréables- ou par le truchement de l'Etat, qui maintient l'embargo contre le boeuf britannique. Paris s'accroche, à juste raison, au principe de précaution, au risque d'encourir des sanctions financières de la Communauté.

Mais, lorsqu'il s'agit de la sécurité des consommateurs, il ne faut pas transiger. Si les législateurs que nous sommes ne doivent pas tomber dans des psychoses alimentaires, ils sont parfaitement dans leur rôle quand ils souhaitent que les Français aient, en toute transparence, la parfaite connaissance et le libre choix des produits qu'ils achètent. Mais transparence est liée, comme je l'ai rappelé tout à l'heure, à authenticité vérifiée.

Cette transparence alimentaire passe par une politique de parfaite traçabilité des produits. Dans cet esprit, je tiens à saluer l'action du Gouvernement, qui a installé récemment l'Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments, appelée AFSSA. Cette Agence, voulue, je le rappelle, par le Parlement, est composée d'éminents experts capables d'évaluer le risque en toute objectivité, une objectivité qui n'a d'égale que celle qui m'anime au moment où j'ai salué cette création.

Cependant, il nous faut éviter de tomber dans un catastrophisme de mauvais aloi. Force est de constater qu'aujourd'hui les produits sont dans l'ensemble plus sûrs qu'autrefois. Ce n'est pour autant qu'il faille baisser la garde et ne pas persévérer dans l'action qui est engagée par vous, par nos experts et par les personnes intéressées dans la recherche toujours du meilleur produit, d'une qualité sans reproche, dans la mesure où cela est possible.

Si des crises se déclenchent, c'est aussi sans doute parce que les contrôles sont plus nombreux et plus efficaces. Il faut donc éviter de propager des craintes excessives par rapport à la réalité des faits, car ces psychoses peuvent avoir des conséquences économiques, sociales, commerciales, voire même culturelles, désastreuses pour certaines populations et aussi pour les filières agro-alimentaires de production.

Je ne veux pas retenir plus longtemps votre attention, largement sollicitée depuis ce matin.

Pour conclure, je voudrais, après avoir remercié une nouvelle fois notre invité, M. Byrne, déplorer l'insuffisante coordination des politiques sécuritaires alimentaires en Europe. Certes, ce n'est pas le seul domaine : nous venons de voir à l'instant, dans le cadre d'un procès retentissant, que, dans le domaine de la justice, il y a aussi besoin de coordonner ; sinon, cette absence de coordination est préjudiciable à la construction à laquelle nous sommes attachés depuis tant de temps : la construction européenne.

Le manque d'harmonisation sur ce sujet de la sécurité alimentaire est d'autant plus choquant que la politique agricole européenne est baptisée " politique agricole commune ". Il faut lutter contre cet état de fait et revenir rapidement à des orientations claires et communes, sans lesquelles nous ne pourrions faire entendre de manière sérieuse notre voix sur la scène mondiale.

Je compte sur vous, Monsieur le Commissaire, pour nous aider à oeuvrer dans ce sens.

Que de cette journée de travaux sorte le message suivant, que je voudrais vous délivrer : la libéralisation des échanges et les intérêts financiers de certains groupes industriels ne doivent en aucun cas faire oublier la sécurité alimentaire. Sachez que, sur ce sujet, le Sénat ne saurait transiger.

Je sais, cependant, que des progrès appréciables ont été réalisés avec notamment l'adoption par la Commission européenne, le 12 janvier dernier, d'un Livre blanc sur la sécurité alimentaire, dont vous connaissez fort bien l'auteur, je crois, Monsieur le Commissaire... Ce document repose sur une conception globale de ce problème qui s'applique à toute la chaîne alimentaire, de la ferme à la table. Il propose la création d'une Autorité alimentaire européenne et un programme de réformes législatives. Néanmoins, à l'heure actuelle, les consultations sont encore en cours et les orientations véritablement arrêtées ne seront connues qu'en septembre prochain.

Si la qualité de l'alimentation n'a jamais été aussi sûre en France -je tiens à l'affirmer- conclut un rapport parlementaire, les consommateurs se doivent cependant de maintenir sans relâche leur vigilance et nous devons, nous, législateurs, être à leurs côtés. Gouverner, c'est prévoir ; prévoir, c'est anticiper. Coordonner nos réponses au niveau européen en matière de sécurité sanitaire est l'objectif que, tous ensemble, nous devons nous fixer. Faisons en sorte que nous puissions oeuvrer dans le même sens pour atteindre le plus rapidement possible un tel objectif.

Je vous remercie de votre attention complaisante.

(Applaudissements...)

M. LE PRÉSIDENT - Merci, Monsieur le Président ; merci, Monsieur le Commissaire européen ; merci, Mesdames, Messieurs, de votre assiduité.

SÉCURITÉ SANITAIRE

Etat des lieux et perspectives en France et en Europe

Une journée d'auditions publiques

par M. Jean DELANEAU,

Président

A l'origine de la profonde réforme de la sécurité sanitaire mise en place dans notre pays par la loi du 1 er juillet 1998, la commission des Affaires sociales du Sénat entend suivre avec une particulière vigilance les premiers pas des trois Agences créées par cette loi.

En mai 1999, dès la publication des décrets d'application permettant l'installation de l'Agence Française de Sécurité Sanitaire des Produits de Santé, de l'Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments et de l'Institut de Veille Sanitaire, la commission a procédé à l'audition de leurs responsables.

Un an plus tard, le 25 mai 2000, elle a souhaité organiser une journée d'auditions publiques, consacrée à l'état des lieux et aux perspectives dans le domaine de la sécurité sanitaire, en France comme en Europe. Les Agences, les consommateurs, les producteurs, les experts, les journalistes spécialisés, les responsables ministériels, mais également le Commissaire européen chargé de la protection de la santé et des consommateurs ont pu, à cette occasion, exprimer leur point de vue.

Le présent rapport d'information livre le compte rendu intégral de cette journée d'auditions, introduite par MM. Charles Descours et Claude Huriet, et clôturée par M. Christian Poncelet, Président du Sénat.

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