L'élection du Président de la République au suffrage universel direct, combinée aux prérogatives reconnues au Gouvernement et à son chef, assure-t-elle une bonne pratique des institutions ?

Témoignages de personnalités politiques

Pascal CLÉMENT - Ancien garde des Sceaux, ministre de la Justice

Je voudrais remercier Pierre BORDRY, qui a eu cette idée remarquable de fêter le 50 e anniversaire de l'élection présidentielle à l'Institut Alain POHER. Ce dernier n'est pas a priori le plus gaulliste des instituts. Pour autant, il rassemble du Parti communiste aux gaullistes. Je suis gaulliste sur le plan institutionnel et libéral sur le plan économique.

Je suis en désaccord absolu avec tout ce que Ghislaine OTTENHEIMER a dit. Je crois qu'il ne faut pas confondre les institutions et les moeurs.

Les institutions d'abord. Nous vivons, en effet, dans une Monarchie républicaine. Mais quelle est l'alternative ? Une IV e ou une III e République finissante. L'équation est simple : un pouvoir exécutif fort, avec un Premier ministre chef de la majorité qui exécute la politique du Président de la République, ou bien un système parlementaire où le Parlement, élu de préférence à la proportionnel, crée des coalitions ingouvernables qui changent d'avis à chaque instant.

Il faut arrêter, en France, de se poser des questions fondamentales sur les institutions alors que ce sont les moeurs, les hommes qui ne sont pas toujours aussi bons qu'on pouvait l'espérer. Par exemple, il est faux de penser que le Président de la République décide seul. Le cabinet présidentiel permet au Président d'avoir l'élite de la France à sa disposition. Les présidents ne lancent pas la moindre idée sans en parler avec leur entourage immédiat.

Dominique de VILLEPIN avait lancé le Contrat Première Embauche (CPE). Lors de deux petits déjeuners avec la moitié du Gouvernement, la plupart des ministres s'est avéré contre, mais n'a pas osé contrarier le Premier ministre pour ne pas se faire mal voir. Ce ne sont donc pas les institutions, mais les hommes qui manquent de courage et de l'argumentation nécessaire.

Pour décider de la guerre, le Président dispose d'un Chef d'état-major des armées, le CEMA. Il ne décide pas la moindre intervention militaire sans en parler à des experts. Le Président ne dit pas forcément qu'il les a rencontrés, pour un avis pertinent sur le sujet.

Un Président de la République n'a de pouvoir que s'il a la majorité. Pour avoir la majorité, un scrutin majoritaire à un ou deux tours est nécessaire. Si le mode d'élection des députés est modifié, le Président de la République n'a plus tous les pouvoirs. Il peut s'agiter, comme la cohabitation l'a prouvé, sans que rien ne soit fait. François MITTERRAND ne pouvait plus que refuser telle ou telle nomination sous prétexte qu'elle n'avait pas été inscrite à l'ordre du jour ou accepter des textes de loi décidés au Conseil des ministres. Ne lui restent également que la parole et la politique étrangère pour laquelle, par tradition, le Premier ministre laisse la place au Président de la République. Et encore, y compris lors de périodes de cohabitation, François MITTERRAND n'a par exemple jamais pris de décisions sur la politique étrangère sans en parler à Monsieur BALLADUR pour qu'il lui donne un avis. Croire qu'un homme, aussi malin et charismatique fut-il, est capable de décider tout seul est inexact

En outre, en l'absence de majorité, les partis politiques font de la surenchère, ce qui n'est pas positif pour les intérêts nationaux. Nos institutions ne permettent de conduire une politique cohérente que grâce à une majorité solide, qui sert à amender les projets et à conseiller l'exécutif. La majorité parlementaire a la chance de recevoir le Premier ministre chaque mercredi lors de séances privées, sans la présence de journalistes. Les députés peuvent ainsi dire, réellement et en toute liberté, ce qu'ils pensent. Le Premier ministre en fait son profit. Que ce soit la gauche ou la droite, les députés représentent un relai du terrain, qui font remonter au Gouvernement et au Premier ministre en particulier les problématiques.

Pour conclure, le pire de tout est la proportionnelle. Si cette méthode permet la photographie la plus précise de l'électorat, elle est la moins fonctionnelle. Vaut-il mieux avoir une photographie exacte de l'électorat mais rendre stérile l'action politique, ou, au contraire, faire en sorte d'avoir une majorité qui ressemble moins fidèlement à l'électorat mais qui permette le fonctionnement réel des institutions ?

Je ne crois pas un instant à une majorité d'idées en France, comme en attestent les difficultés rencontrées par Emmanuel MACRON pour faire adopter des textes qui apparaissaient à peu près convenables pour la droite. En France, les majorités d'idées ne fonctionnent pas. Les Français sont binaires, leurs politiques le sont également. François MITTERRAND disait : « Il faut être contre, et contre tout ».

Quand François MITTERRAND nous a expliqué qu'il allait instiller de la proportionnelle, ne connaissant pas le terme, je me suis précipité sur mon Larousse. « Terme employé en pharmacie, qui veut dire goutte à goutte ». Or, il a versé le flacon. Ne vous laissez pas piéger. La proportionnelle, qui ne peut être que totale et non partielle, entraînerait la chute du Président de la République. Vous aurez ainsi un régime que Ghislaine OTTENHEIMER appelle de ses voeux et qui se nomme la pagaille.

Ghislaine OTTENHEIMER

Je ne prône pas un retour aux institutions de la IV e République, qui a eu des difficultés en raison d'une proportionnelle intégrale avec un système de panachage, sur fond de crise de décolonisation. Ce régime est tombé pour des raisons historiques précises. Néanmoins, la IV e République c'est aussi le début des Trente Glorieuses, l'émergence de la dissuasion nucléaire ou encore la réalisation de grands investissements industriels. L'histoire de France est écrite de manière unilatérale.

Par ailleurs, je n'ai jamais affirmé que le Président décide tout seul, mais qu'il décide de tout. De manière jupitérienne. Contrairement au Premier ministre, constitutionnellement, il n'a pas de liens directs avec les administrations et les élus. Le Président de la République ne bénéficie pas de ce rappel au réel permanent ce qui accentue ce phénomène de cour, qui est corrélé avec la centralisation et le pouvoir personnel.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page