Ouverture des travaux de l'après-midi

Ghislaine OTTENHEIMER - Journaliste d'investigation

Après cette matinée passionnante, teintée de nostalgie, nous allons passer aux travaux pratiques, c'est-à-dire à l'analyse de ces institutions 50 ans après. Fonctionnent-elles toujours ou bien ont-elles détérioré notre démocratie ?

Des personnalités politiques représentant plusieurs familles interviendront dans une première partie, qui sera suivie par un discours plus théorique avec l'excellent Pascal PERRINEAU, l'un des meilleurs analystes de notre histoire politique.

Je suis modératrice mais également partie prenante, puisque les interrogations sur les institutions s'appuieront sur l'ouvrage Poison présidentiel que j'ai récemment publié. Mon propos n'est pas de parler de réformes constitutionnelles. En effet, je ne suis pas une constitutionnaliste, et je voudrais surtout mettre l'accent sur le dysfonctionnement de nos institutions. Contrairement aux militants pour une VI e République, ne remet pas en cause les institutions de la V e République au nom des libertés et de la démocratie, tel que l'a fait François MITTERRAND dans Le Coup d'État permanent . Pas exclusivement. Mon approche est plus pragmatique et intuitive. Je m'interroge sur l'efficacité de nos institutions dans une société de défiance, avec un rejet massif des politiques. Il est temps de nous interroger. Dans ces moments de troubles, d'insécurité et de perte de repères, questionner l'élection présidentielle au suffrage universel peut paraître déplacé, voire étrange. N'y a-t-il pas précisément besoin d'un chef, voire d'un chef de guerre, disposant d'institutions fortes, pouvant par exemple avoir recours à l'état d'urgence ?

Pourtant, plus que jamais j'ai l'impression qu'il faut remonter aux racines du mal. Les enquêtes d'opinion à la veille de ces élections régionales démontrent que notre démocratie est malade : crise économique, sociale, morale, perte de confiance dans les dirigeants politiques et montée de l'extrême-droite. Le FN sera présent au second tour dans toutes les régions. Il sera en tête dans plusieurs d'entre elles. Certains sondages créditent les leaders du FN de 40 % des voix au premier tour. Cet évènement est extrêmement grave. Cette montée du FN n'est pas seulement une conséquence de la crise économique, de la crise des migrants, des attentats et de l'attente sécuritaire, mais également d'une dévitalisation de notre démocratie.

Je pense que les Français ont tout essayé : alternance, cohabitation, alternance à nouveau. À chaque fois, ils sont confrontés à la même déception, aux mêmes échecs, à la même désillusion. Incriminer la réforme de 1962 est complexe. Lorsque je pose la question sur l'efficacité des institutions aux hommes politiques, ces derniers ridiculisent mon propos en le limitant à une suppression du suffrage universel. Je ne suis pas pour l'abolition de l'élection du Président de la République au suffrage universel. Si on ne peut revenir sur un tel droit, nous pouvons faire évoluer les institutions.

L'idée du chef sauveur me pose problème. Or, remettre en cause les institutions de la V e République revient à s'attaquer à un tabou, car il s'agit de l'héritage du Général de GAULLE et elles apparaissent comme un gage de stabilité. La Constitution revêt même parfois une dimension chamanique, car elle aurait le pouvoir de nous protéger des maux connus sous la IV e République. Je pense au contraire que notre régime est devenu impuissant.

Journaliste depuis un certain nombre d'années, j'entends toujours les mêmes problématiques. Depuis 30 ans, le budget est en déficit, la dette se creuse, le chômage augmente, les droits sociaux sont progressivement grignotés, les populations d'origine étrangère sont difficilement intégrées attestant d'un sentiment d'impuissance de la part de nos dirigeants. Toutes les grandes démocraties ont entamé les grandes réformes nécessaires pour adapter leur système social, construits à l'après-guerre avec des démographies différentes et une mondialisation moindre. Seuls les Français n'ont entamé aucune démarche. Sommes-nous plus stupides et plus conservateurs que les autres ? Si notre prospérité ne nous pousse pas à nous réformer, nous avons des atouts inestimables, tels que des entreprises formidables, multinationales ou start-up, ou encore des villes dynamiques, quelle que soit leur couleur politique. Pourquoi ce qu'on sait faire au niveau local et privé, nous ne parvenons pas à le faire au niveau du système politique ?

La médiocrité de la classe politique est souvent incriminée. Néanmoins, il me semble que le problème est plus profond. Il n'est pas dû uniquement à la qualité des hommes qui ne serait pas au rendez-vous. Notre système politique ne permet pas l'émergence du decisionmaking , un processus qui nécessite de passer par des étapes indispensables : la préparation, l'explication, la mise en oeuvre et l'évaluation.

Le fonctionnement, auquel nous conduisent ces institutions qui ont été profondément modifiées avec le quinquennat et l'organisation de primaires, est de plus en plus concentré et coupé des réalités. Prenons les programmes : ils sont l'oeuvre d'une poignée d'affidés des candidats et non plus le résultat d'un travail de fond, collectif, avec les experts du parti, avec les responsables élus par le peuple, avec des évaluations et des contre-évaluations. Les programmes actuels sont construits au fur et à mesure comme une réaction à la concurrence politique. Par exemple, la montée dans les sondages de François BAYROU en 2007 avait poussé SARKOZY à proposer la création d'un ministère de l'Intégration nationale, qui sera supprimé deux ans après avoir été instauré. En 2012, une percée de Jean-Luc MÉLENCHON dans les sondages avait incité François HOLLANDE à prôner une taxation des plus riches à 75 % sans en mesurer les conséquences ou en prévoir les modalités d'application. Loin de permettre d'approfondir les programmes, cette élection privilégie les mots d'ordre symboliques, les cartes postales.

L'exercice du pouvoir est en outre très vertical, avec l'Élysée au sommet, comme en attestent les témoignages de nombreux ministres. Comme le dit à sa façon Jean-Louis BORLOO, « aucun pays, aucun système, aucune organisation, qu'elle soit non-gouvernementale ou entrepreneuriale, ne peut fonctionner en circuit court, quel que soit le talent du dirigeant ». Les corps intermédiaires sont écrasés, les partis politiques n'existent plus. Par rapport aux formations politiques en Europe, les partis politiques français n'ont pas développé de véritable think tank . Par exemple, dès le début, certains au sein du Parti socialiste ont demandé une véritable discussion sur la déchéance de la nationalité pour les détenteurs de la double-nationalité, mais ont finalement renoncé sur ordre du premier secrétaire et du président. Nous sommes dans une démocratie qui vient d'en haut.

Une note très intéressante, rédigée par le Peterson Institute of International Economics , explique que les Français n'ont pas tellement besoin d'une réforme des structures économiques, mais d'une réforme institutionnelle. La France n'est pas politiquement armée pour conduire les réformes auxquelles elle doit s'attaquer, car elle ne peut par exemple pas créer de coalition ou faire émerger des discours clairs et cohérents au sein des majorités. Le système vertical est composé de deux pôles, qui génèrent des extrêmes.

Jean PEYRELEVADE me confiait : « Cette élection n'est pas intelligente, elle ne fait pas réfléchir ». L'élection présidentielle, qui se déroule désormais également à la télévision, sur Internet et sur Twitter, est devenue une sorte de live télévisé, de « loft », privilégiant la communication au détriment de la réflexion de fond. Les hommes politiques, parce qu'ils n'expliquent pas les réformes en amont de l'élection, sont, une fois élus, acculés à renoncer aux réformes. Les électeurs ne peuvent être que fatigués et inquiets.

Le régime parlementaire peut permettre une meilleure continuité dans la durée. Par exemple, la TVA sociale, votée par SARKOZY à la fin de son quinquennat, est supprimée à l'arrivée de la gauche au pouvoir, qui crée le CICE qui aboutira finalement à une sorte de TVA à la fin du mandat de François HOLLANDE. Ces artifices sont incompréhensibles et prouvent l'inefficacité du système politique, qui privilégie les petits calculs pour maintenir notre système en vie.

C'est angoissant de vivre dans un pays où l'on ne parvient décidemment pas à intégrer une jeunesse immigrée et où l'école est de plus en plus décriée. Ces problématiques ne sont pas uniquement dues à la mondialisation ou à l'Union européenne. Nous sommes maîtres de notre destin. Nous avons les moyens financiers d'y parvenir.

La stabilité de ce système n'est, en outre, pas évidente. La moyenne de durée de vie d'un ministre de l'Éducation nationale, l'un des plus importants, est de 18 mois. 24 réformes constitutionnelles ont été réalisées.

Le Général de GAULLE a fait preuve d'une grande audace en 1958 et en 1962, en bousculant terriblement nos habitudes politiques. Il serait temps aujourd'hui d'avoir cette audace. Dans son livre sur NAPOLÉON, Lionel JOSPIN fait remarquer que BONAPARTE avait fait pencher le système politique vers un régime autoritaire après avoir défendu une partie de l'héritage de la Révolution. Il aurait pu le faire évoluer vers un régime parlementaire. Selon lui, depuis, la France ne cesse d'osciller entre régimes autoritaires et régimes parlementaires instables. Sans trouver son équilibre. C'est peut-être le moment d'y réfléchir.

Changer de système politique n'est pas évident lorsque l'on se concentre sur la méthode. Le Portugal et la Pologne, qui sortaient de dictatures, ont copié notre Constitution pour que de fortes institutions permettent une transition. Ces deux pays, qui avaient adopté l'élection du Président au suffrage universel, parallèle à un Parlement, ont évolué vers un régime parlementaire via des processus différents. En 2014, un sondage a montré que 62 % des Français étaient favorables à une VI e République, et ce malgré l'absence d'offre crédible.

De nombreux mal-être se sont greffés sur le poison présidentiel, substance qui inhibe, bloque et paralyse. Je conclurai en citant quelques maladies du système que j'ai identifiées : hypertrophie du haut commandement technocratique, fuite vers la communication, obsession présidentielle qui habite notre classe politique, impossibilité pour un même homme d'incarner la France et de conduire l'action d'une majorité.

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