Rappel au règlement

 
 
 

M. le président. La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt, pour un rappel au règlement.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Monsieur le président, pourrions-nous savoir jusqu'à quelle heure nous allons siéger ? Nous ne faisons aucune obstruction, le débat progresse rapidement, nous ne demandons pas de scrutins publics ; manifestement, nous achèverons l'examen du texte dans les délais prévus. Il paraîtrait donc raisonnable de lever maintenant la séance.

M. le président. Monsieur le président de la commission des lois, à quelle heure souhaitez-vous que nous levions la séance ?

M. René Garrec, président de la commission des lois. Il serait souhaitable que nous poursuivions nos travaux jusqu'à l'examen de l'article 16 sexies.

M. le président. Nous poursuivons donc nos travaux.

Art. 16 bis
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Art. 16 bis E

Article 16 bis D

L'article 706-56 du code de procédure pénale est ainsi modifié :

I. - Le I est complété par deux alinéas ainsi rédigés :

« Lorsqu'il n'est pas possible de procéder à un prélèvement biologique sur une personne mentionnée au premier alinéa, l'identification de son empreinte génétique peut être réalisée à partir de matériel biologique qui se serait naturellement détaché du corps de l'intéressé.

« Lorsqu'il s'agit d'une personne condamnée pour crime ou pour un délit puni de dix ans d'emprisonnement, le prélèvement peut être effectué sans l'accord de l'intéressé sur réquisitions écrites du procureur de la République. »

II. - Non modifié.

III. - Il est complété par un III ainsi rédigé :

« III. - Lorsque les infractions prévues par le présent article sont commises par une personne condamnée, elles entraînent de plein droit le retrait de toutes les réductions de peine dont cette personne a pu bénéficier et interdisent l'octroi de nouvelles réductions de peine. » - (Adopté.)

Art. 16 bis D
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Art. additionnel après l'art. 16 bis

Article 16 bis E

Dans le premier alinéa de l'article 521-1 du code pénal, après les mots : « sévices graves », sont insérés les mots : « , ou de nature sexuelle, ». - (Adopté.)

Art. 16 bis E
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Art. 16 ter

Article additionnel après l'article 16 bis

M. le président. L'amendement n° 163, présenté par MM. Badinter, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Sueur et les membres du groupe socialiste, apparenté et rattachée, est ainsi libellé :

« Après l'article 16 bis, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

« L'article 36 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse est abrogé. »

La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Lors de la première lecture, nous avions expliqué qu'il n'était pas normal que l'on puisse être condamné pour offense à un chef d'Etat étranger, comme le prévoit pourtant la fameuse loi de 1881 sur la liberté de la presse.

En effet, il semble tout de même évident que, dans une démocratie, on a le droit de dire ce que l'on pense d'un chef d'Etat étranger, quitte bien entendu à être ensuite poursuivi, le cas échéant, pour diffamation. En tout état de cause, on ne devrait pas pouvoir être poursuivi pour offense ! En particulier, nous avions évoqué les cas d'un certain nombre de chefs d'Etat, dont M. Saddam Hussein, qui font souvent l'objet de propos pour le moins désobligeants. En ce qui concerne M. Kadhafi, la situation n'est plus la même aujourd'hui qu'hier !

M. le garde des sceaux nous avait objecté que la loi sur la liberté de la presse doit être modifiée avec précaution et qu'il fallait prendre le temps de la concertation. Nous vous avons laissé le temps nécessaire, monsieur le garde des sceaux !

Mme Nicole Borvo. Il faut une concertation généralisée sur la presse !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. La concertation a dû avoir lieu, comme vous nous l'aviez promis. J'ignore quels en ont été les résultats, mais je suppose que la presse sérieuse et digne de notre confiance a été unanime pour estimer qu'il n'est pas normal que l'offense à chef d'Etat étranger demeure un délit. J'espère qu'il en est bien ainsi et que, en dépit de l'heure tardive, vous accepterez cette fois notre amendement, monsieur le garde des sceaux.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. François Zocchetto, rapporteur. Vous nous avez toujours expliqué, monsieur Dreyfus-Schmidt, que, avant de modifier la loi de 1881 sur la liberté de la presse, il fallait faire très attention, bien réfléchir et procéder à la concertation la plus large.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Oui !

M. François Zocchetto, rapporteur. Dans cet esprit, nous avions interrogé M. le garde des sceaux lors de la première lecture (M. Michel Dreyfus-Schmidt opine), qui nous avait indiqué que des études allaient être menées, car la question soulevée ne concernait pas uniquement le système juridique français, mais aussi nos relations avec certains pays.

Je ne suis pas certain, mais ce n'est pas à moi de le dire, que le temps qui s'est écoulé depuis la première lecture ait permis la réalisation de ces études. La commission a souhaité interroger de nouveau le garde des sceaux sur ce problème, mais je ne pense pas que votre amendement pourra être retenu.

M. Jean-Pierre Sueur. Quelle prescience !

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Dominique Perben, garde des sceaux. J'avais indiqué, lors de la première lecture, que j'examinerais quel est l'état du droit chez nos voisins européens.

Dans les pays anglo-saxons, l'infraction d'offense à un chef d'Etat étranger n'existe pas. En Italie, elle a été abrogée en 1999. En Espagne, ces faits ne constituent pas un délit spécifique, mais entraînent une aggravation des peines encourues, à la condition que le chef d'Etat étranger ait été calomnié alors qu'il se trouvait sur le territoire espagnol. En Allemagne, une infraction spécifique est prévue, mais elle n'est pas constituée si la vérité des allégations est établie, comme c'est le cas en matière de diffamation.

Au regard de ces situations et dans la mesure où la Cour européenne des droits de l'homme a déclaré l'actuel article 36 de la loi sur la liberté de la presse contraire aux exigences conventionnelles, le Gouvernement s'en remet bien volontiers à la sagesse du Sénat sur l'amendement n° 163. (Marques de satisfaction sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Jean-Pierre Sueur. Et dire que M. Dreyfus-Schmidt a failli aller se coucher !

M. Dominique Perben, garde des sceaux. Cela aurait été dommage ! D'ailleurs, seul M. Dreyfus-Schmidt a évoqué la fatigue ! (Sourires.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Pierre Sueur. Il est convaincu ! Pourtant, il avait eu une prescience !

M. François Zocchetto, rapporteur. Je n'avais pas anticipé les propos de M. le ministre ! Cela montre simplement que nous sommes parfaitement indépendants !

Après avoir entendu les explications très claires de M. le garde des sceaux, je me déclare favorable à l'amendement n°163.

M. Jean-Pierre Sueur. Bravo !

M. François Zocchetto, rapporteur. Si j'avais eu ces explications auparavant, j'aurais déposé un amendement identique.

M. le président. La parole est à M. Robert Badinter, pour explication de vote.

M. Robert Badinter. Je suis fort heureux que cette incrimination, dont l'existence nous était, on le sait, reprochée notamment par la Cour européenne des droits de l'homme, disparaisse. On pourra toujours être poursuivi pour diffamation ou pour injure, mais il n'était pas bon que subsiste un délit spécifique pour offense à chef d'Etat étranger. C'est donc là un progrès pour la liberté d'expression, et nous devons nous féliciter de cette suppression. Il est très bien que l'on se soit référé au droit comparé.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 163.

(L'amendement est adopté à l'unanimité.)

M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 16 bis.

Vous voyez, monsieur Dreyfus-Schmidt, qu'il était préférable de prolonger la séance ! (Sourires.)

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Cela aurait pu attendre jusqu'à demain, monsieur le président !

Chapitre VI

Dispositions diverses

Art. additionnel après l'art. 16 bis
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Art. 16 quinquies

Article 16 ter

I. - La loi du 2 juillet 1931 modifiant l'article 70 du code d'instruction criminelle est abrogée.

II. - Supprimé. - (Adopté.)

Art. 16 ter
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Art. 16 sexies (début)

Article 16 quinquies

I. - L'article 131-38 du code pénal est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Lorsqu'il s'agit d'un crime pour lequel aucune peine d'amende n'est prévue à l'encontre des personnes physiques, l'amende encourue par les personnes morales est de 1 000 000 EUR. »

II. - Il est inséré, après le sixième alinéa de l'article 706-45 du code de procédure pénale, un alinéa ainsi rédigé :

« Pour les obligations prévues aux 1° et 2°, les dispositions des articles 142 à 142-3 sont applicables. »

III. - Il est inséré, après l'article 43 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, un article 43-1 ainsi rédigé :

« Art. 43-1. - Les dispositions de l'article 121-2 du code pénal ne sont pas applicables aux infractions pour lesquelles les dispositions des articles 42 ou 43 de la présente loi sont applicables. »

IV. - Il est inséré, après l'article 93-3 de la loi n° 82-652 du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle, un article 93-4 ainsi rédigé :

« Art. 93-4. - Les dispositions de l'article 121-2 du code pénal ne sont pas applicables aux infractions pour lesquelles les dispositions de l'article 93-3 de la présente loi sont applicables. »

M. le président. L'amendement n° 244, présenté par Mme Borvo, M. Bret, Mmes Mathon, Beaudeau, Beaufils et Bidard-Reydet, M. Coquelle, Mmes David, Demessine et Didier, MM. Fischer, Foucaud et Le Cam, Mme Luc, MM. Muzeau, Ralite et Renar, Mme Terrade et M. Vergès, est ainsi libellé :

« Supprimer cet article. »

La parole est à M. Robert Bret.

M. Robert Bret. Cet amendement, ainsi que ceux que nous avons déposés aux articles 16 septies, 16 octies, 16 nonies, 16 decies et 16 undecies, sont sous-tendus moins par une opposition de fond aux dispositions présentées que par un rejet de la méthode employée.

Nous avons voté, voilà à peine un an, un texte relatif à la violence routière. Or le Gouvernement accentue le côté « fourre-tout » du présent projet de loi en y insérant des mesures concernant les délits routiers. Cela n'est vraiment pas admissible, aussi les sénateurs communistes demandent-ils la suppression de cet article. Cela me paraît relever du bon sens.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. François Zocchetto, rapporteur. Cet amendement me surprend, car je pensais que le groupe communiste souhaitait l'extension de la responsabilité pénale des personnes morales. Je ne comprends donc pas la logique suivie par nos collègues. La commission émet un avis défavorable sur l'amendement n° 244.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Dominique Perben, garde des sceaux. Défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 244.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 16 quinquies.

(L'article 16 quinquies est adopté.)

Art. 16 quinquies
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Art. 16 sexies (interruption de la discussion)

Article 16 sexies

I. - L'article 223-11 du code pénal est ainsi rétabli :

« Art. 223-11. - L'interruption de la grossesse causée, dans les conditions et selon les distinctions prévues par l'article 121-3, par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de sécurité ou de prudence prévue par la loi ou le règlement est punie d'un an d'emprisonnement et de 15 000 EUR d'amende.

« En cas de la violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, les peines encourues sont portées à deux ans d'emprisonnement et à 30 000 EUR d'amende. »

II. - L'article L. 2222-1 du code de la santé publique est ainsi rédigé :

« Art. L. 2222-1. - I. - Les dispositions réprimant l'interruption de la grossesse sans le consentement de la femme enceinte sont prévues par les articles 223-10 et 223-11 du code pénal ainsi reproduits :

« Art. 223-10. - L'interruption de la grossesse sans le consentement de l'intéressée est punie de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 EUR d'amende.

« Art. 223-11. - L'interruption de la grossesse causée, dans les conditions et selon les distinctions prévues par l'article 121-3, par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de sécurité ou de prudence prévue par la loi ou le règlement est punie d'un an d'emprisonnement et de 15 000 EUR d'amende.

« En cas de la violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, les peines encourues sont portées à deux ans d'emprisonnement et à 30 000 EUR d'amende. »

« II. - Lorsque l'interruption de la grossesse est causée, de façon non intentionnelle, par un acte médical, le délit prévu par l'article 223-11 du code pénal n'est constitué que s'il est établi que n'ont pas été accomplies les diligences normales exigées par l'article 121-3 du même code compte tenu des difficultés propres à la réalisation d'un tel acte. Ce délit ne saurait notamment être constitué lorsque des soins ont dû être prodigués en urgence à une femme dont l'état de grossesse n'était pas connu des praticiens.

« Les dispositions de l'article 223-11 du code pénal ne sauraient en aucun cas faire obstacle au droit de la femme enceinte de recourir à une interruption volontaire de grossesse dans les conditions prévues par le présent code. »

III. - Les dispositions de l'article L. 2222-1 du code de la santé publique reproduisant les articles 223-10 et 223-11 du code pénal sont modifiées de plein droit par l'effet des modifications ultérieures de ces articles.

M. le président. Je suis saisi de quatre amendements identiques.

L'amendement n° 50 est présenté par M. Zocchetto, au nom de la commission.

L'amendement n° 142 rectifié bis est présenté par MM. Delfau, Pelletier, A. Boyer, Demilly, Fortassin, Barbier, Collin, Cartigny et Baylet.

L'amendement n° 184 est présenté par MM. Badinter, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Sueur et les membres du groupe socialiste, apparenté et rattachée.

L'amendement n° 245 est présenté par Mme Borvo, M. Bret, Mmes Mathon, Beaudeau, Beaufils et Bidard_ Reydet, M. Coquelle, Mmes David, Demessine et Didier, MM. Fischer, Foucaud et Le Cam, Mme Luc, MM. Muzeau, Ralite et Renar, Mme Terrade et M. Vergès.

Ces quatre amendements sont ainsi libellés :

« Supprimer cet article. »

La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 50.

M. François Zocchetto, rapporteur. L'Assemblée nationale a créé le délit d'interruption involontaire de grossesse. Je me suis exprimé sur ce sujet lors de la discussion générale, et je ne crois pas utile d'y revenir.

Des raisons tenant à la forme de l'amendement communément appelé « amendement Garraud » m'ont rendu très réservé à l'égard de ce dernier. En effet, vouloir associer l'interruption involontaire de grossesse aux nouvelles formes de criminalité me semble quelque peu audacieux, en tout cas inopportun.

Mme Nicole Borvo. Ce n'est pas très heureux, c'est sûr !

M. François Zocchetto, rapporteur. Par ailleurs, les circonstances dans lesquelles cet amendement a été présenté à l'Assemblée nationale n'ont pas permis un débat devant la représentation nationale sur un sujet pour le moins délicat, un sujet grave qui mérite de longs échanges, même s'il a été procédé à une concertation préalable, ce qui reste à vérifier.

Sur le fond, nous avons organisé de nombreuses auditions. Certains d'entre vous y ont participé, mes chers collègues. A titre personnel, j'ai acquis la conviction qu'il existait, dans quelques cas, fort heureusement assez peu nombreux, une difficulté de nature juridique dans la mesure où, dans certaines circonstances, une femme pouvait être victime de coups ou de blessures entraînant l'interruption de sa grossesse sans que l'auteur des faits soit poursuivi.

La solution à ce problème purement juridique doit, selon moi, être élaborée dans une perspective plus large, celle des violences subies par les femmes, puisque les faits visés par l'amendement relèvent de ce type de violence. Dans cette optique, il conviendrait d'ailleurs d'évoquer les violences conjugales, largement passées sous silence. Une réflexion beaucoup plus approfondie doit donc être menée.

Un autre axe de réflexion a trait à la spécificité de l'acte médical. Il ne me semble pas envisageable de continuer à judiciariser à outrance l'exercice de la médecine, sauf à vouloir que certaines spécialités disparaissent et ne soient plus pratiquées en France.

Cela étant, il ne s'agit pas, je l'ai dit ce matin, d'excuser l'inexcusable : en cas de faute grave et caractérisée d'un médecin, celui-ci doit être poursuivi. Toutefois, la spécificité de l'acte médical doit être reconnue.

Enfin, et cette précision me paraît importante, je pense que la réflexion devra prendre en compte le fait que seule la femme victime devrait pouvoir engager des poursuites, à l'exclusion du procureur de la République ou d'une tierce personne.

Voilà quelques pistes de réflexion. Vous aurez compris, mes chers collègues, que les conditions ne sont nullement réunies pour que nous puissions nous prononcer sereinement. La rédaction issue des travaux de l'Assemblée nationale n'est pas du tout satisfaisante, et le consensus n'existe pas sur un sujet qui pourtant l'exige. Par conséquent, sans hésitation, à l'unanimité moins une abstention, la commission des lois du Sénat propose de supprimer l'article 16 sexies.

M. le président. La parole est à M. Gérard Delfau, pour présenter l'amendement n° 142 rectifié bis.

M. Gérard Delfau. L'article introduit par le biais de l'adoption à l'Assemblée nationale de l'amendement de M. Garraud a suscité un vif émoi dans les milieux attachés au droit à toutes les formes de contraception, au droit, difficilement acquis, à l'avortement, et, d'une façon plus générale, au droit de la femme à disposer de son corps.

Il a, par ailleurs, provoqué un grand malaise dans le corps médical, notamment chez les gynécologues et les obstétriciens, qui y a vu une menace sur l'exercice normal de leur métier.

Plus fondamentalement, il pose la question de la nature du foetus et de la façon dont la législation envisage ce dernier. Jusqu'à présent, à la suite d'un arrêt célèbre de la Cour de cassation, le foetus n'est pas reconnu comme une personne juridique. Or il a semblé, à juste titre, que l'amendement de M. Garraud tendait à remettre en cause ce point.

Pour toutes ces raisons, cet amendement a fortement mobilisé l'opinion publique. Je constate que la quasi-unanimité des membres du Sénat ont jugé le dispositif pour le moins dangereux et inopportun. M. le rapporteur l'a souligné à l'instant, mais, ce faisant, il a pris, me semble-t-il, tellement de précautions que je crains que, même si nous prenons ce soir la décision de supprimer l'article 16 sexies, nous aurons à reprendre le problème un peu plus tard, retrouvant alors les mêmes oppositions, presque philosophiques, de fond.

Quoi qu'il en soit, à chaque jour suffit sa peine. Avec la plus grande partie des membres du groupe auquel j'appartiens, je propose donc la suppression de cet article, en souhaitant vivement que le Sénat dans son ensemble adopte la même position.

M. le président. La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt, pour présenter l'amendement n° 184.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je regrette que nous n'ayons pas abordé ce problème en plein jour.

M. Jean-Jacques Hyest. Nous le faisons dans la plus grande clarté !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Platon est mon ami, mais la vérité l'est plus encore ! (Sourires.)

Dans la discussion générale, Mme Gautier nous a parlé de ce problème.

Et notre collègue Pierre Fauchon y a consacré l'intégralité de son intervention, nous incitant même à l'interrompre, ce que nous n'avons pas fait, espérant qu'à l'occasion de la discussion de cet article il serait là pour que nous lui répondions.

Moi-même, dès la discussion générale, j'ai évoqué le problème, rappelant que Mme Rassat en faisait beaucoup sur les ondes, et que nombre de mes interlocuteurs, y compris des magistrats, étaient persuadés que l'amendement était retiré. Comment pourrait-il l'être, puisqu'il constitue maintenant un article du texte qui nous est soumis ?

Il est vrai aussi que, immédiatement après l'adoption du texte par l'Assemblée nationale, M. le rapporteur de la commission des lois du Sénat a déclaré que, lui, en demanderait la suppression. Heureusement qu'il avait pris les devants, car M. le garde des sceaux déclarait, lui, sur les ondes, que M. Hollande se moquait du monde en prétendant que la disposition en cause posait la question de savoir si le foetus était un être vivant ou pas.

Finalement, après avoir approuvé à l'Assemblée nationale l'amendement Garraud, M. le garde des sceaux s'est prononcé en faveur de la suppression de cette disposition.

Il faut tout de même rappeler ces faits pour savoir de quoi nous parlons.

En 1999 - cela ne date pas aujourd'hui -, la Cour de cassation relevait, curieusement, d'ailleurs, dans son rapport : « Pour retenir la culpabilité du médecin, la cour d'appel invoquait l'article 2 de la Convention européenne des droits de l'homme et l'article 6 du pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui reconnaissent l'existence, pour toute personne, d'un droit à la vie protégé par la loi, ainsi que l'article 1er de la loi du 17 janvier 1975 relative à l'interruption volontaire de grossesse et l'article 16 du code civil, qui posent le principe du respect de l'être humain dès le commencement de la vie. »

Mes chers collègues, qu'est-ce que le commencement de la vie ? Pour nous, c'est la naissance. La Cour de cassation devrait le savoir !

Curieusement encore, dans le même rapport, on peut lire ceci : « L'arrêt portant cassation sans renvoi qui censure, en termes lapidaires, cette décision, » - c'est la Cour de cassation qui se critique elle-même ! - « sans se prononcer sur le moment de l'apparition de la personne humaine pendant le cours de la progressive différenciation du produit de la conception, met en évidence l'absence dans notre droit d'une protection pénale spécifique de l'être humain contre les atteintes involontaires à la vie avant la naissance. »

S'agit-il, avant la naissance, d'un être humain, ou d'un être humain en puissance ? Le problème continue à se poser mais, pour nous, la réponse est claire.

Certains se sont emparés de la question pour avancer l'idée que le foetus avant la naissance était, selon l'expression de la « réactionnaire » Académie de médecine - je dis les choses comme je les pense -, un « être prénatal ». La formule mérite également que l'on s'y arrête.

En fait, dans la plupart des cas, une femme qui porte l'espérance d'un enfant et qui la perd à la suite d'un accident de la circulation a un arrêt de travail.

M. Jean-Jacques Hyest. Oui !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Or, avec l'arrêt de travail, il peut y avoir des poursuites pénales et, bien évidemment, réparation de la perte de chance d'avoir un enfant.

On nous dit que, dans certains cas, la femme - sans doute enceinte de cinq minutes - n'a pas d'arrêt de travail.

Et l'on nous dit que ce serait un droit de la femme que d'exiger que l'affaire vienne néanmoins au pénal.

Monsieur le rapporteur, nous aurons peut-être, hélas, l'occasion d'y revenir, mais sachez qu'il s'agit non pas de la femme, mais bien de l'enfant en puissance, dont on nous dit qu'il est un « être prénatal ». De ce fait, le mari aura-t-il le droit de poursuivre pénalement sa femme responsable de l'accident pour lui demander réparation du préjudice subi ? Et si c'est l'inverse, la femme aura-t-elle le droit de poursuivre pénalement son mari responsable de l'accident pour demander réparation ? Vous voyez que la chose est beaucoup plus compliquée qu'elle n'en a l'air.

A la vérité, il y a dans tous les cas une possibilité de réparation civile. Arrêtons donc de vouloir tout pénaliser.

M. Jean-Jacques Hyest. Ah !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. A cet égard, l'exemple des médecins est tout à fait éclairant. Tout le monde a bien pris conscience de ce que, dans certains cas, en voulant sauver la mère, on en est réduit à sacrifier l'enfant en puissance. Avec cet article, ce ne serait plus possible, car il y aurait alors interruption involontaire de grossesse et le médecin pourrait se voir demander des comptes.

Pour l'ensemble de ces raisons, et pas seulement pour tenir compte de l'opinion de tel ou tel, mais simplement parce que c'est un mauvais coup que d'avoir soulevé ce problème, nous proposons la suppression de l'article qui est issu d'un amendement de l'Assemblée nationale.

M. le président. La parole est à Mme Odette Terrade, pour présenter l'amendement n° 245.

Mme Odette Terrade. Le présent amendement vise à supprimer la disposition introduite en deuxième lecture à l'Assemblée nationale, sur l'initiative de M. Garraud, et tendant à instituer un délit d'interruption involontaire de grossesse passible d'un an de prison lorsque l'interruption a été provoquée par une maladresse, une imprudence, une inattention ou une négligence.

M. Garraud, ardent défenseur de cette cause, n'en est pas à sa première tentative : on se souvient qu'il avait déposé un amendement ayant le même objet dans le cadre de l'examen de la loi sur la violence routière.

Même s'il s'est trouvé dans notre Haute Assemblée - personnellement, je le regrette - soixante-deux sénateurs pour déposer une proposition de loi identique à l'amendement Garraud et relative à « la protection pénale de la femme enceinte », pas plus qu'à cette époque le cadre du présent texte sur les nouvelles formes de criminalité ne paraît adapté au large débat passionné qui se déroule sur le sujet.

C'est d'ailleurs la raison pour laquelle le Sénat avait décidé de surseoir à l'introduction d'une telle mesure dans notre droit lors de l'examen du texte sur la violence routière.

M. Lanier, rapporteur du texte, s'exprimait en ces termes : « Il s'agit d'un sujet extrêmement vaste et on ne saurait le traiter à l'occasion d'un texte relatif à la sécurité routière. Il mérite d'être étudié d'une manière spécifique et approfondie, car il convient de l'aborder sous tous ses angles. »

N'en déplaise à M. Garraud, cette disposition pose de sérieux problèmes en termes de statut juridique, et non en termes de statut pénal de la grossesse, comme l'a élégamment dit notre collègue M. Fauchon : en effet, les femmes enceintes ne sont pas un statut pénal !

Mais ce qui est posé ici relève du statut juridique du foetus, comme vient de le rappeler notre collègue Michel Dreyfus-Schmidt. Les associations pro-life le savent bien, qui, à grand renfort médiatique, oeuvrent désormais quasiment à visage découvert afin de faire reconnaître le statut juridique de personne à l'embryon et au foetus. Ce sont les mêmes, en effet, qui demandent une incrimination pour double homicide lorsqu'une femme enceinte a péri dans un accident de voiture : un homicide pour la femme enceinte et un homicide pour le foetus, qui devient une personne juridique de facto.

Le débat n'est donc pas neutre, et l'on voit très bien, par de tels glissements, où nous pourrions aller, une fois reconnu un tel statut au foetus, lors de l'interruption de grossesse, volontaire cette fois.

Au surplus, une telle disposition pourrait aboutir à des situations particulièrement absurdes : imaginez qu'un conducteur perde le contrôle de sa voiture et que le couple, dont la femme est enceinte, ait un accident : l'épouse enceinte pourrait donc se retourner contre son mari et le poursuivre au pénal ?

Quant aux risques que court la médecine foetale, ils sont grands, même en cas de simple amniocentèse. D'ailleurs, de nombreux syndicats et associations de gynécologues-obstétriciens nous l'ont rappelé.

Mes chers collègues, sur un sujet aussi grave, un débat serein devrait pouvoir avoir lieu afin que puissent réellement être envisagées toutes les implications d'une telle disposition au regard du statut juridique du foetus et, par corrélation, du droit des femmes à l'avortement.

Ce sujet éminemment sensible mérite mieux que d'être abordé une nouvelle fois entre divers articles d'un projet de loi, ici entre la création d'un fichier de délinquants sexuels et l'incrimination pour conduite sans permis de conduire, qui plus est dans un texte sur les nouvelles formes de criminalité.

Mes chers collègues, le droit à l'interruption volontaire de grossesse a été durement et chèrement acquis par des générations de femmes.

Mme Hélène Luc. Ah oui !

Mme Odette Terrade. Il n'est pas acceptable que ce droit puisse être remis en cause au détour d'un amendement introduit avec des soutiens bienveillants.

Avec beaucoup de détermination, aujourd'hui, de nombreuses femmes réunies devant le Sénat, mais aussi dans plusieurs villes de notre pays, l'ont rappelé. La protestation est vive contre ce texte, qui constitue une brèche extrêmement dangereuse et inacceptable dans le droit des femmes à choisir leur maternité.

C'est pourquoi les sénatrices et les sénateurs du groupe CRC vous proposent cet amendement de suppression en manifestant le souhait très vif de ne pas retrouver cette disposition au détour d'un prochain texte.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Dominique Perben, garde des sceaux. Monsieur le président, je me suis déjà exprimé dans mon intervention liminaire, puis en réponse à l'intervention de M. Fauchon : je confirme que je suis favorable à la suppression de cet article.

M. le président. La parole est à M. Robert Badinter, pour explication de vote sur les quatre amendements identiques de suppression.

M. Robert Badinter. Je me garderai, à cette heure matinale, d'allonger les débats. Notre ami Michel Dreyfus-Schmidt a très bien présenté ce qu'est le fond du problème.

Permettez-moi une remarque un peu ironique. J'ai été très surpris de constater, à la lecture des débats, que M. Garraud se référait à un amendement dit « Badinter » déposé en 1992 pour créer l'incrimination de violences volontaires ayant entraîné une perte de grossesse. En 1992, mes chers collègues, je n'étais pas à même de rédiger ou de déposer quelque amendement que ce soit : ce n'est pas une activité compatible avec la présidence du Conseil constitutionnel !

J'ajoute que, dans le projet de code pénal, tel que je l'avais déposé, ce texte ne figurait pas : il a été ajouté dans le cours des débats, ce qui est tout à fait normal.

M. le président. La parole est à Mme Gisèle Gautier, pour explication de vote.

Mme Gisèle Gautier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, est-il utile de rappeler que, jusqu'aux arrêts de la Cour de cassation des années 1999, 2000 et 2002, l'atteinte involontaire à la vie d'un enfant à naître était sanctionnée sous la qualification d'« homicide involontaire » ? La Cour de cassation, en écartant cette qualification, a créé un vide juridique, les faits visés n'étant plus susceptibles d'être jugés au pénal. Il en résulte une actualité que je qualifierai « d'irrecevable ».

Le rapport annuel de la Cour de cassation de 2001 a mis en évidence ce vide juridique, insistant sur le fait qu'il appartenait au législateur de combler ce vide.

L'amendement Garraud tendait précisément à combler ce vide afin d'éviter toute ambiguïté et à protéger avant tout la femme enceinte.

Aujourd'hui, ce n'est pas seulement le coeur qui parle, mais surtout la raison, cette raison qu'il serait nécessaire de retrouver dans ce débat.

Depuis l'adoption de cet amendement par l'Assemblée nationale, on a pu entendre tout et son contraire, les pires affabulations, les pires amalgames. Pourtant, il m'apparaît nécessaire de légiférer dans le domaine de l'interruption involontaire de grossesse : il s'agit tout à la fois d'une nécessité politique et d'une nécessité juridique.

Légiférer est une nécessité politique, car la cause des « parents orphelins » est juste. (Mme Nicole Borvo s'exclame.) Ces derniers se trouvent depuis quelques années devant un authentique déni de justice.

Les prochains accidents dans lesquels une future mère perdra son enfant - il y en a eu hier et il y en aura demain - risquent d'être fortement médiatisés et de susciter une légitime émotion dans l'opinion publique. Il ne m'appartient pas ici d'évoquer les cas les plus douloureux, au risque sinon de verser dans la sensiblerie. Reste que les histoires vécues par ceux qui s'appellent eux-mêmes des « parents orphelins » sont souvent dramatiques, parfois révoltantes et, en tout état de cause, toujours terriblement douloureuses.

Elles sont douloureuses du fait de la perte de l'être cher attendu, mais révoltantes aussi parce que la société dans laquelle nous vivons ferme les yeux. Je suis navré d'insister : la société - vous et moi - évite par des biais divers de se prononcer sur les sujets qui l'embarrassent, qui nous embarrassent.

En somme, ce soir, nous avons peur de notre ombre. Il serait pourtant tout à l'honneur du Parlement de s'emparer de ce sujet avant d'y être contraint par la pression médiatique, et de s'y intéresser au plus tôt pour éviter que la majorité paraisse reculer sur un vrai sujet de société.

Il paraît en effet inévitable à un très grand nombre de juristes éminents, dont certains sont présents dans cet hémicycle, qu'on légifère sur ce thème un jour ou l'autre.

S'il faut que le législateur s'approprie ce sujet, c'est aussi pour éviter que, demain, des groupes de pensée extrêmes - et vous savez à qui je pense - ne s'emparent de ces familles délaissées et deviennent leurs seuls porte-parole. Mes chers collègues, la démocratie est toujours affaiblie quand les causes les plus nobles sont portées par les courants sectaires !

C'est aussi au Sénat que revient la responsabilité d'apporter à cette question une réponse aussi appropriée que possible afin qu'elle n'apparaisse ni comme une esquive, ni comme une provocation.

Je disais tout à l'heure qu'il s'agissait d'une nécessité politique ; j'ajoute qu'il s'agit également d'une nécessité juridique.

Jusqu'à une jurisprudence de la Cour de cassation de 1999, donc très récent, et confirmée en 2001 et 2002, le droit français a toujours protégé la vie de l'enfant à naître et utilisé la qualification d'homicide involontaire en cas d'interruption de grossesse non souhaitée par la mère et provoquée par un tiers. En l'occurrence, ce revirement de la part de notre plus haute juridiction a eu pour effet de créer un vide juridique lourd de conséquences fâcheuses et paradoxales.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ce n'est pas vrai !

Mme Gisèle Gautier. Ces conséquences étaient si paradoxales, d'ailleurs, que, sans forcer le trait, en l'état actuel de notre droit, vous serez condamné pour avoir, au volant de votre voiture, écrasé le chien de votre voisin, tandis que vous pouvez en toute impunité renverser une femme enceinte et lui faire perdre son bébé, quel que soit le stade de la gestation !

Autre paradoxe : si, par exemple, lors d'un accident de la route, un foetus subit des traumatismes tels que la personne qu'il deviendra sera handicapée tout au long de sa vie future, le fautif peut être amené à en payer les conséquences, alors qu'il ne sera nullement mis en cause si ledit foetus décède avant la naissance. C'est absolument invraisemblable, mais c'est ainsi ! En d'autres termes, le fautif a intérêt à la mort du foetus. Voilà à quel épouvantable paradoxe notre droit actuel aboutit.

Une telle situation ne peut être tolérée par personne. Je crois donc possible d'affirmer que légiférer dans ce domaine, c'est remettre le droit dans le bon sens.

De surcroît, les dispositions proposées par M. Garraud avaient le mérite de ne bouleverser en rien notre appareil législatif, contrairement à ce que j'ai entendu. Sous-entendre que son texte jetait les bases d'un statut de l'embryon ou présentait des risques de remise en cause des dispositions concernant l'IVG relève tout simplement du faux procès.

D'ailleurs, je tiens à le souligner, dans l'amendement de M. Garraud, il n'est nullement question de foetus. Il est même précisé que « les dispositions de l'article 223-11 ne sauraient en aucune façon faire obstacle au droit de la femme enceinte de recourir à une interruption volontaire de grossesse dans les conditions prévues par le présent code ».

Il est également précisé que le principe d'interprétation stricte de loi pénale interdit toute dérive.

Je ne veux pas faire de procès d'intention à mes collègues du groupe CRC, mais je regrette profondément qu'elles ne me suivent pas dans cette démarche. Chacun est libre, bien entendu, de défendre son point de vue, mais j'ai du mal à comprendre le leur. Pour ma part, tout en défendant la liberté d'avorter, car c'est un droit acquis sur lequel il n'est pas question de revenir, je considère que nous devons aussi, nous les mères, nous les grand-mères, nous les femmes, avec les pères, protéger la liberté de procréer. Car c'est bien, en définitive, ce qu'il y a de plus beau !

Mme Nicole Borvo. Qu'est-ce que cela a à voir avec la liberté de procréer ?

Mme Gisèle Gautier. J'avoue que je vois une certaine incohérence dans votre attitude, chères collègues.

Pour en revenir au texte, je préciserai que j'ai choisi de m'abstenir sur les amendements qui nous sont proposés, dans la mesure où je ne souhaite pas le maintien en l'état de la deuxième partie du texte adopté par l'Assemblée nationale, et je rejoins à cet égard ma collègue Mme Terrade. Pour autant, il ne m'a pas paru souhaitable de déposer moi-même un amendement.

Je dirai pour conclure qu'il me paraît indispensable de travailler dans la sérénité à une approche pacifiée d'un problème qui est grave, nous en sommes tous convenus.

Il est certain que la relative improvisation dans laquelle l'amendement Garraud a été adopté n'a pas permis de traiter ce problème comme il le mérite. Je veux néanmoins rendre hommage à M. Garraud, qui a tout de même eu beaucoup de courage et fait preuve de beaucoup de clairvoyance. (Exclamations sur les travées du groupe CRC.)

Mme Hélène Luc. C'est un retrait du bout des lèvres, madame Gautier !

Mme Gisèle Gautier. C'est pourquoi j'appelle solennellement à la création, au sein de notre Haute Assemblée, d'une mission commune d'information regroupant des membres de la commission des lois, de la commission des affaires sociales et de la délégation aux droits des femmes, mission qui serait chargée de réfléchir sur les fondements et les modalités de la répression de l'interruption involontaire de grossesse. Monsieur le garde des sceaux, je vous en prie, prenez en compte ma requête !

Le 27 novembre 2003, vous avez affirmé à l'Assemblée nationale : « Ne nous trompons pas de débat ! Je suis favorable à cet amendement. Il comble, en effet, un vide juridique. [...] Je suis très favorable à cet amendement, qui a le mérite de lever toute ambiguïté. Il doit donc être clair pour chacun que nous ne sommes favorables à cette disposition que parce qu'elle ne remet nullement en cause la législation sur l'interruption volontaire de grossesse. »

Monsieur le garde des sceaux, vous m'avez écoutée avec beaucoup d'attention, et je vous en remercie. J'espère que vous saurez m'entendre.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Eh bien !

Mme Hélène Luc. Heureusement que les femmes ont manifesté !

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo, pour explication de vote.

Mme Nicole Borvo. Je me félicite que la commission des lois propose, avec, semble-t-il, l'accord de M. le garde des sceaux, de supprimer cet article. Elle avait agi avec la même sagesse lors de la discussion du texte sur la violence routière, mais cette fois contre l'avis de M. le garde des sceaux.

En l'occurrence, la réflexion a été utile, de même que la très grande mobilisation des femmes.

Mme Odette Terrade. Absolument !

Mme Nicole Borvo. Madame Gautier, je suppose que c'est en votre nom personnel que vous venez de vous exprimer. En effet, vous êtres présidente de la délégation aux droits des femmes, mais je ne sache pas que cette dernière ait été saisie de cette question et, a fortiori, qu'elle soit parvenue aux conclusions qui sont les vôtres.

Si un sujet mérite une réflexion approfondie, c'est bien celui-ci. Les propos que vous venez de tenir, ma chère collègue, montrent d'ailleurs combien une telle réflexion est nécessaire.

Bien sûr, il peut paraître légitime de vouloir aggraver les sanctions applicables à celui qui a causé une interruption involontaire de grossesse, ou plutôt qui a causé involontairement un avortement, car, en général, celui qui est à l'origine de cet avortement ne savait pas que la femme était enceinte.

Je laisse de côté le problème de la médecine, problème considérable qui ne peut pas être traité comme cela, en deux coups de cuillère à pot, dans le cadre d'une loi sur la criminalité organisée.

Mais vous avez énoncé des affirmations comme : « Il faut bien défendre la liberté de procréer ». Qu'est-ce que ce dont nous parlons ce soir a à voir avec la liberté de procréer, chère madame ?

Vous avez aussi employé l'expression : « parents orphelins ». Ainsi, vous êtes passée de l'interruption involontaire de grossesse du fait d'un accident à des parents orphelins ! Je crois que vous devriez mieux mesurer vos propos !

J'ajoute que les associations pro-life ont applaudi l'amendement Garraud. Elles ont bien compris, elles, de quoi il retournait. Elles n'ont pas oublié que M. Garraud, par trois fois, avait déjà déposé cet amendement ! Elles savent bien que M. Garraud est, en l'espèce, une sorte de spécialiste et elles ne se trompent pas sur le caractère tout à fait délibéré de sa démarche. C'est pourquoi, pleines d'espoir, elles ont vu cet amendement ouvrir enfin une brèche dans le droit à l'interruption de grossesse.

Je ne conteste pas qu'un préjudice soit causé dans les circonstances qui ont été évoquées et que le sujet mérite qu'on y réfléchisse. Mais il ne faut certainement pas s'y prendre comme on l'a fait, et surtout pas, madame Gautier, essayer de nous faire pleurer en accusant les femmes qui ne sont pas d'accord avec vous de ne pas défendre la procréation ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques n°s 50, 142 rectifié bis, 184 et 245.

Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...

Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.)


M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 134 :

Nombre de votants314
Nombre de suffrages exprimés312
Majorité absolue des suffrages157
Pour312

En conséquence, l'article 16 sexies est supprimé.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.