Art. 2
Dossier législatif : projet de loi pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées
Explications de vote sur l'ensemble (début)

Article 3

I. - Le titre II du livre VIII du code de la sécurité sociale est ainsi modifié :

1° L'article L. 821-1 est ainsi modifié :

a) Le premier alinéa est remplacé par trois alinéas ainsi rédigés :

« Toute personne résidant sur le territoire métropolitain ou dans les départements mentionnés à l'article L. 751-1 ou à Saint-Pierre-et-Miquelon, ayant dépassé l'âge d'ouverture du droit à l'allocation prévue à l'article L. 541-1 et dont l'incapacité permanente est au moins égale à un pourcentage fixé par décret perçoit, dans les conditions prévues au présent titre, une allocation aux adultes handicapés.

« Les personnes de nationalité étrangère, hors les ressortissants des Etats membres de l'Union européenne ou parties à l'accord sur l'Espace économique européen, ne peuvent bénéficier de l'allocation aux adultes handicapés que si elles sont en situation régulière au regard de la législation sur le séjour ou si elles sont titulaires d'un récépissé de demande de renouvellement de titre de séjour. Un décret fixe la liste des titres ou documents attestant la régularité de leur situation.

« Le droit à l'allocation aux adultes handicapés est ouvert lorsque la personne ne peut prétendre, au titre d'un régime de sécurité sociale, d'un régime de pension de retraite ou d'une législation particulière, à un avantage de vieillesse ou d'invalidité ou à une rente d'accident du travail d'un montant au moins égal à cette allocation » ;

b) Au quatrième alinéa, les mots : « dans les conditions prévues au premier alinéa ci-dessus, » sont supprimés ;

c) Le cinquième alinéa est ainsi rédigé :

« Lorsque l'allocation aux adultes handicapés est versée en complément de la rémunération garantie d'une activité dans un établissement ou service d'aide par le travail visés à l'article L. 243-4 du code de l'action sociale et des familles, le cumul de cet avantage avec la rémunération garantie mentionnée ci-dessus est limité à des montants fixés par décret qui varient notamment selon que le bénéficiaire est marié ou vit maritalement ou est lié par un pacte civil de solidarité et a une ou plusieurs personnes à charge. Ces montants varient en fonction du salaire minimum interprofessionnel de croissance prévu à l'article L. 141-4 du code du travail et de manière inversement proportionnelle au montant de l'aide au poste mentionnée à l'article L. 243-4 du code de l'action sociale et des familles. » ;

2° L'article L. 821-1-1 est ainsi modifié :

a) Au premier alinéa, après les mots : « dont le montant », sont insérés les mots : « , qui peut être modulé en fonction des ressources tirées d'une activité professionnelle, sans que le cumul de ces ressources et de l'allocation aux adultes handicapés et de son complément ne puisse être inférieur au salaire minimum interprofessionnel de croissance » ;

b) Le même alinéa est complété par les mots : « ou à taux réduit si l'intéressé dispose, au titre des ressources servant au calcul de l'allocation, de rémunérations propres tirées d'une activité professionnelle en milieu ordinaire de travail » ;

c) Au deuxième alinéa, les mots : « suspendu totalement ou partiellement » sont remplacés par le mot : « réduit » ;

3° L'article L. 821-2 est ainsi modifié :

a) Au premier alinéa, les mots : « commission technique d'orientation et de reclassement professionnel prévue à l'article L. 323-11 du code du travail » sont remplacés par les mots : « commission mentionnée à l'article L. 146-5 du code de l'action sociale et des familles » ;

b) Le deuxième alinéa est supprimé ;

4° Les articles L. 821-3 et L. 821-4 sont ainsi rédigés :

« Art. L. 821-3. - L'allocation aux adultes handicapés peut se cumuler avec les ressources personnelles de l'intéressé et, s'il y a lieu, de son conjoint, concubin ou partenaire d'un pacte civil de solidarité dans la limite d'un plafond fixé par décret, qui varie selon qu'il est marié, concubin ou partenaire d'un pacte civil de solidarité et a une ou plusieurs personnes à sa charge. »

« Les rémunérations de l'intéressé tirées d'une activité professionnelle sont en partie exclues du montant des ressources servant au calcul de l'allocation selon des modalités fixées par décret.

« Art. L. 821-4 - L'allocation aux adultes handicapés est accordée, pour une durée déterminée par décret en Conseil d'Etat, sur décision de la commission mentionnée à l'article L. 146-5 du code de l'action sociale et des familles appréciant le niveau d'incapacité de la personne handicapée ainsi que, pour les personnes mentionnées à l'article L. 821-2 du présent code, leur impossibilité, compte tenu de leur handicap, de se procurer un emploi. »

5° L'article L. 821-5 est ainsi modifié :

« a) A la fin de la deuxième phrase du premier alinéa, les mots : "du handicapé", sont remplacés par les mots : "de la personne handicapée" ;

« b) Au sixième alinéa, les mots : "du présent article et des articles L. 821-1 à L. 821-3", sont remplacés par les mots : "du présent titre".

« 6° L'article L. 821-6 est ainsi modifié :

« a) Au premier alinéa, les mots : "aux handicapés hébergés à la charge totale ou partielle de l'aide sociale ou hospitalisés dans un établissement de soins, ou détenus" sont remplacé par les mots : "aux personnes handicapées hébergées à la charge totale ou partielle du département ou hospitalisées dans un établissement de santé, ou détenues" et les mots : "suspendu totalement ou partiellement," sont remplacés par le mot : "réduit" ;

« b) Le deuxième alinéa est supprimé ;

7° L'article L. 821-9 est abrogé. »

II. - Au premier alinéa de l'article L. 244-1 du code de l'action sociale et des familles, les mots : "et L. 821-7" sont remplacés par les mots : ", L. 821-7 et L. 821-8".

M. le président. L'amendement n° A-2, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

« A la fin du texe proposé par le c du 1° du I de cet article pour le cinquième alinéa de l'article L. 821-1 du code de la sécurité sociale, supprimer les mots : "et de manière inversement proportionnelle au montant de l'aide aux postes mentionnée à l'article L. 243-4 du code de l'action sociale et des familles." »

La parole est à Mme la secrétaire d'Etat.

Mme Marie-Thérèse Boisseau, secrétaire d'Etat. L'amendement n° 309, qui a été présenté par Mme Demessine et adopté par le Sénat, prévoit, dans le texte proposé pour l'article L. 821-1 du code de la sécurité sociale, que l'allocation aux adultes handicapés différentielle éventuellement versée à certains travailleurs de CAT, varie de manière inversement proportionnelle au montant de l'aide aux postes. Or cette disposition présente l'inconvénient d'attribuer un même niveau global de ressources que ces travailleurs de CAT travaillent à temps plein ou à temps partiel.

En outre, le dispositif de rémunération en CAT proposé par le Gouvernement vise justement, dans un souci de simplification et de prise en compte relative du travail accompli, à attribuer un niveau de rémunération évitant d'avoir systématiquement recours à une AAH différentielle, l'aide au poste comprenant à la fois la part ancienne du complément de rémunération et la part d'AAH versée par l'Etat, et permettant d'établir des modalités adaptées de rémunération des travailleurs de CAT à temps partiel. Par la seule rémunération garantie, ils auront un niveau de ressources équivalent à celui dont ils bénéficiaient aujourd'hui avec le différentiel d'AAH et les travailleurs de CAT à temps plein auront une rémunération naturellement supérieure.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Paul Blanc, rapporteur. L'AAH a déjà un caractère différentiel. Par conséquent, toute diminution de la rémunération du travailleur de CAT, qu'elle soit due à un passage à temps partiel ou à toute autre cause, conduit à une réévaluation du montant différentiel d'AAH versée lorsqu'il reste une AAH différentielle malgré la revalorisation de la rémunération garantie.

Par ailleurs, le montant de l'aide aux postes est désormais déconnecté de la rémunération garantie. Dès lors, prendre en considération sa variation pour fixer le montant de l'AAH différentielle est incohérent.

La commission émet donc un avis favorable.

M. le président. La parole est à M. Roland Muzeau, pour explication de vote.

M. Roland Muzeau. Après avoir écouté Mme la secrétaire d'Etat et M. le rapporteur, je ne suis pas persuadé que nombre d'entre nous aient pu mesurer quelle était la modification présentée par le Gouvernement dans cet amendement ou tout au moins en apprécier la portée.

Personnellement, je n'ai pas le don d'ubiquité et, découvrant en cet instant un amendement qui vise à modifier partiellement un de nos amendements qui avait été adopté, il m'est aujourd'hui impossible de me prononcer dans un sens ou dans l'autre. Au demeurant, j'ai bien entendu ce que m'a dit tout à l'heure M. le président de la commission, à savoir que cela ne remettait pas en cause le sens de ce qui avait été adopté une première fois.

Je m'abstiendrai donc sur cet amendement. Nous aurons l'occasion d'avoir un avis plus pertinent avec la navette.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° A-2.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. L'amendement n° A-3, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

« A la fin du a) du 2° du I de cet article, supprimer les mots : ", sans que le cumul de ces ressources et de l'allocation aux adultes handicapés et de son complément ne puisse être inférieur au salaire minimum interprofessionnel de croissance". »

La parole est à Mme la secrétaire d'Etat.

Mme Marie-Thérèse Boisseau, secrétaire d'Etat. La nouvelle rédaction de l'article L. 821-1-1 du code de la sécurité sociale vise à préciser que toute personne qui perçoit l'allocation aux adultes handicapés et son complément, si elle travaille, doit avoir le SMIC.

L'argument invoqué par M. Godefroy est que ce cumul doit permettre aux intéressés d'accéder au logement.

L'argument invoqué par M. Mercier était qu'une véritable incitation pour les personnes handicapés à exercer une activité professionnelle ne pourrait être concrétisée que si les revenus tirés de leur activité cumulés avec l'allocation aux adultes handicapés atteignaient le SMIC.

Cet amendement introduit une inégalité entre les bénéficiaires de l'allocation aux adultes handicapés puisque parmi les personnes qui travaillent, seules celles qui remplissent les conditions d'octroi du complément d'allocation aux adultes handicapés auraient le droit au SMIC.

Par ailleurs, lors du débat, le Gouvernement a fait connaître sa réserve sur tout dispositif permettant une garantie systématique d'un niveau de ressources égal au SMIC.

Or, le dispositif proposé aurait pour effet de permettre à une personne qui travaille à temps très partiel, voire quelques jours dans l'année, d'avoir des ressources mensuelles garanties égales au SMIC, au même titre qu'une personne qui exerce, par exemple, à quart temps, car dans le dispositif que nous avons prévu, une personne travaillant à quart temps gagne le SMIC. Avec les facilités proposées de cumul de l'allocation aux adultes handicapés et des revenus tirés du travail, la personne handicapée pourra gagner, en fonction de sa quantité de travail, jusqu'à 1,3 SMIC, ce qui est vraiment très intéressant.

Je crois qu'il faut conserver cette échelle pour inciter les personnes handicapées à travailler.

Pour ces raisons, le Gouvernement souhaite revenir, là aussi, à son texte initial.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Paul Blanc, rapporteur. Les amendements n°s 189 et 254 pourraient, en effet, avoir un effet pervers redoutable : dès qu'une personne handicapée travaillerait, ne serait-ce qu'une heure par semaine, elle se verrait garantir le SMIC. Quelle incitation au travail resterait-il alors aux personnes handicapées ?

La commission émet donc un avis favorable sur l'amendement n° A-3 du Gouvernement.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Godefroy. Nous avons eu connaissance de cet amendement très tardivement, après une courte présentation du président de la commission, qui a duré à peine une minute, alors que la suspension de séance a nécessité une bonne demi-heure.

Madame la secrétaire d'Etat, vous savez que nous sommes très attachés à la garantie de ressources équivalentes au SMIC. Or nous avons beaucoup de mal à voir clair dans vos propositions, car nous n'avons pas eu le temps de les étudier. Nous nous abstiendrons donc sur cet amendement, que nous reverrons lors de la navette.

M. le président. La parole est à M. Roland Muzeau, pour explication de vote.

M. Roland Muzeau. Plus de quarante articles ont été examinés depuis l'article 3 et ces amendements viennent en discussion à minuit. Après quatre jours de discussion, je crois sincèrement qu'une telle modification aurait pu nous être transmise bien plus tôt. C'est dommage !

En tout cas, pour ma part, je voterai contre cet amendement qui concerne la garantie de ressources, même si je ne peux pas, à cette heure, mesurer les effets des dispositions qui nous sont proposées. C'est vraiment regrettable.

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'Etat.

Mme Marie-Thérèse Boisseau, secrétaire d'Etat. Je voudrais faire remarquer que le Gouvernement demande de revenir à son texte initial, c'est-à-dire à des propositions qui vous ont été expliquées en long et en large en commission des affaires sociales. Il n'y a donc aucune surprise ! Vous aviez tout le temps de travailler la question et d'étudier ce système, qui est simple. Que vous vous absteniez ou que vous votiez contre, c'est votre droit, bien sûr, mais ne dites pas que vous avez été prévenus au dernier moment. Ce n'est pas vrai : voilà plusieurs semaines que vous connaissez ce dispositif.

M. Roland Muzeau. Je parle des amendements que vous venez de nous transmettre !

Mme Marie-Thérèse Boisseau, secrétaire d'Etat. Ces amendements, monsieur Muzeau, visent à revenir au texte initial du Gouvernement, c'est-à-dire aux propositions qui vous ont été expliquées en commission des affaires sociales. Il n'y a donc, je le répète, aucune surprise.

M. Roland Muzeau. Nous en avions débattu et nous avions voté d'autres mesures.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° A-3.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. L'amendement n° A-4, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

« Dans le second alinéa du texte proposé par le 4° du I de cet article pour l'article L. 821-3 du code de la sécurité sociale, après les mots : "activité professionnelle", insérer les mots : "en milieu ordinaire du travail". »

La parole est à Mme la secrétaire d'Etat.

Mme Marie-Thérèse Boisseau, secrétaire d'Etat. Le Gouvernement souhaite revenir à la rédaction initiale de l'article L. 821-3 du code de la sécurité sociale pour trois raisons.

D'abord, l'objet du mécanisme d'intéressement que nous avions proposé est destiné à favoriser la reprise d'une activité, même à temps partiel, en milieu ordinaire par la personne handicapée.

Ensuite, si l'on étend ce mécanisme aux travailleurs handicapés en CAT, on dénature la logique même de notre système. Nous avons souhaité bien distinguer le milieu protégé du milieu ordinaire. Le travailleur en CAT bénéficie des conditions de rémunération spécifiques qui sont encadrées par la loi. Rappelons que les CAT sont des établissements médicosociaux où les personnes bénéficient de soins et où le temps de travail est adapté aux capacités des personnes.

Enfin, et c'est très important, cela risque de ne plus rendre incitatif le passage du CAT vers le milieu ordinaire, alors que le passage en milieu ordinaire est une orientation constante de la politique d'insertion des personnes handicapées. J'ai l'habitude de dire que le CAT doit être à la fois un tremplin vers le milieu ordinaire et parfois un refuge par rapport à ce milieu. Cela va donc à l'encontre des objectifs que le Gouvernement s'est fixés.

C'est pourquoi, là encore, je vous demande, mesdames, messieurs les sénateurs, de revenir à la rédaction initiale que nous avions proposée.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Paul Blanc, rapporteur. L'amendement n° 312 soulevait une double objection. Il allait, encore une fois, dans le sens d'une atténuation de la hiérarchie des revenus entre les différents milieux de travail, ce qui allait à l'encontre de l'objectif de progression du milieu le plus protégé vers le milieu le moins protégé.

Un mécanisme d'intéressement à la reprise d'activité n'a aucun sens s'agissant des travailleurs de CAT puisque l'accès au CAT est conditionné à la fois par l'orientation de la personne et par l'offre de places disponibles.

Dès lors, il me paraît nécessaire de revenir sur cet amendement. La commission émet donc un avis favorable sur l'amendement n° A-4.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° A-4.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 3, modifié.

(L'article 3 est adopté.)

M. le président. Nous avons achevé l'examen des articles soumis à la seconde délibération.

Vote sur l'ensemble

Art. 3
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Explications de vote sur l'ensemble (fin)

M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble du projet de loi, je donne la parole à M. Roland Muzeau, pour explication de vote.

M. Roland Muzeau. Intervenant dans la discussion générale, le groupe communiste républicain et citoyen s'interrogeait sur la question de savoir si ce projet de loi tant attendu serait à la hauteur de ses ambitions et des aspirations des personnes en situation de handicap.

Une première réponse était donnée par les intéressés eux-mêmes qui, nombreux à se mobiliser sur l'ensemble du territoire, appelaient notre attention, dès le premier jour de l'ouverture du débat, pour que « leur loi ne soit pas une demi-loi, qu'elle ne se limite pas à un aménagement des dispositifs existants », pour reprendre les termes du communiqué de presse de l'APF du 24 février dernier.

Nos débats ont été constructifs. M. le rapporteur et M. le président de la commission ont joué un rôle positif. Mais aujourd'hui, après une semaine d'examen du projet de loi, nous ne pouvons en conclure que nous tenons là une loi refondatrice.

Tout d'abord, nous ne disposons toujours pas de tous les éléments nécessaires à cette appréciation. Nous l'avons vu à de multiples reprises au cours des débats, de nombreuses questions, et non des moindres, en l'occurrence celles qui ont trait au fonctionnement ou à l'architecture constitutionnelle des maisons du handicap, restent entièrement ouvertes.

Indiscutablement, en voulant précipiter l'examen de ce projet de loi pour des raisons étroitement électorales, le Gouvernement nous a présenté des ébauches de dispositif. Dans ces conditions, comment dire avec certitude que ce texte améliorera concrètement les conditions de vie au quotidien des personnes en situation de handicap ? D'ailleurs, au cours des débats, nous avons bien senti que la discorde était parfois grande au sein même de la majorité.

Ensuite, nous avons dû nous résoudre à aborder distinctement la question de la prise en charge des personnes handicapées et celle de la prise en charge des personnes âgées dépendantes. Or, comme l'a encore récemment rappelé le Conseil économique et social, nous aurions dû réfléchir globalement à des dispositifs permettant d'offrir à chacun, quels que soient son âge et son environnement de vie, une compensation adaptée à ses besoins.

Les propositions faites dans ce texte, croisées avec celles qui sont développées dans le projet de loi relatif au dispositif de solidarité pour l'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées, portant notamment création de la caisse nationale de solidarité pour l'autonomie, montrent que le Gouvernement ne se situe pas dans une optique volontariste de reconnaissance dans le cadre de la sécurité sociale et de la solidarité nationale d'un nouveau risque social.

Indiscutablement, il manque à ce projet de loi cette dimension et une ambition budgétaire.

Résultat : sur trois points au coeur du texte, sur lesquels les associations, dans leur grande majorité, attendaient des améliorations substantielles, les discussions ont achoppé.

S'agissant du droit à compensation, vous aviez annoncé, madame la secrétaire d'Etat, une ouverture du Gouvernement. En fait, il ressort que seuls les enfants titulaires de l'AES et de son complément au sixième échelon pourront voir, si besoin est, l'allocation de compensation couvrir leurs besoins insatisfaits.

C'est évidemment un plus pour le millier d'enfants concernés et leur famille. Reste que, sur un total de 113 000 enfants et adolescents bénéficiant de l'AES, cela représente bien peu et, surtout, cela est de nature à créer de nouvelles inégalités de traitement. Reste également que toutes les discriminations liées à l'âge ne sont pas tombées.

Demeurent aussi les barrières du taux d'incapacité et des ressources du bénéficiaire potentiel, éléments allant à l'encontre d'un droit à compensation universel, intégral, prenant en compte les seuls besoins concrets de la personne et son projet de vie.

S'agissant du revenu d'existence des personnes en situation de handicap ne pouvant pas, en raison de leurs déficiences, accéder à l'emploi, là encore, aucune réponse n'est apportée à la demande légitime d'une AAH au moins au niveau du SMIC.

Enfin, nous sommes en désacccord en ce qui concerne le refus de modifier la définition du handicap avec la notion de situation de handicap, définition pourtant retenue par l'OMS et toutes les instances internationales.

Pour être tout à fait complet, je dois faire mention des nombreux amendements adoptés, parfois à l'unanimité, témoignant non seulement de l'impréparation du projet de loi initial, mais aussi, et surtout, de la pertinence des remarques et propositions que nous et d'autres avons faites. Celles-ci relayaient les observations des associations, qu'il s'agisse de la suppression de toute mesure de récupération sur le patrimoine des familles, de la prise en compte des seules ressources de l'intéressé, de la reconnaissance des aidants familiaux, de la prise en compte de la liberté de choix de vie, du droit au travail à temps partiel dans la fonction publique pour les proches d'une personne handicapée, ou des obligations plus fortement posées concernant la scolarité, l'accès aux transports et à l'emploi.

Il n'en demeure pas moins que ces améliorations à la marge n'ont pas permis d'inverser notre sentiment négatif à propos de ce texte. Celui-ci approche de manière étriquée le champ du handicap et obère la question pourtant centrale des moyens financiers et humains conditionnant pourtant en grande partie la concrétisation des droits et grands principes énoncés.

Si l'exposé des motifs est séduisant, les articles, eux, demeurent imprécis, beaucoup trop faibles, pour que, demain, les personnes en situation de handicap exercent pleinement leur vie citoyenne. Nous espérons vivement que ce projet de loi trouvera à s'enrichir au cours des navettes afin de franchir enfin ce pas. Comme pendant tous les débats, le groupe communiste républicain et citoyen se montrera à nouveau constructif.

Pour l'heure, nous ne pouvons accepter ce texte en l'état. Il aurait mérité une bien plus grande volonté et des moyens enfin à la hauteur des exigences. Le groupe communiste républicain et citoyen votera contre le texte tel qu'il ressort des débats, car il ne porte pas l'ambition tant souhaitée par nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Godefroy. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, pour commencer cette explication de vote, je voudrais, si vous me le permettez, rendre un hommage personnel à Louis Darinot, ancien député de Cherbourg, qui fut notamment l'un des orateurs du groupe socialiste à l'Assemblée nationale lors de la discussion de la loi de 1975.

En préparant l'examen de ce projet de loi, je suis d'ailleurs allé parcourir les débats de la loi précitée. Que disaient alors les orateurs, pas seulement socialistes, à l'Assemblée nationale comme au Sénat ? Ils reconnaissaient un certain nombre de mérites à ce texte, mais ce n'était que pour mieux en regretter ses nombreuses insuffisances. Déjà, le texte n'allait pas, selon eux, jusqu'au bout de ses intentions ; « les bonnes intentions ne sont pas suivies d'effets » disait Robert Schwint, ici même au Sénat. Et ils craignaient de voir l'espoir des personnes handicapées déçu, elles qui attendaient déjà avec impatience cette loi qui devait leur permettre de trouver leur place dans la société. Nous avons un peu le sentiment que l'histoire se réécrit.

Vous comprenez alors le doute actuel des associations de personnes en situation de handicap et de leurs familles, face à un projet de loi pour l'instant inachevé.

Pendant ces quatre jours de débat, nous avons su reconnaître les progrès réels que comporte ce projet de loi et nous avons tenté d'améliorer les dispositions qui entâchent ces avancées. Nous avons voté bon nombre d'amendements de la commission. Il nous est arrivé d'apporter notre soutien à des amendements du Gouvernement. Il nous a été parfois très difficile d'arbitrer entre les divergences de la commission et du Gouvernement. Nous aurions pu tenter de le faire tout à l'heure, lors de la dernière réunion de la commission, si nous avions été informés du sujet qui fâche.

Rendez-vous est cependant pris pour plusieurs de nos propositions d'amendements, notamment en ce qui concerne le dispositif de la garantie de ressources des travailleurs handicapés dans les très petites entreprises ou la majoration de la contribution de l'AGEFIPH : mille cinq cents fois le SMIC au bout de trois ans. Je vous en remercie, madame la secrétaire d'Etat. Le débat en deuxième lecture sur ces deux sujets devrait être très intéressant.

Mais nous avons des points essentiels de désaccord.

C'est en particulier le cas de la définition du handicap, comme l'a rappelé Gilbert Chabroux. Au-delà des débats sémantiques, c'est une conception dynamique et interactive du handicap que vous refusez, celle qui pourtant est reconnue internationalement.

Mme Marie-Thérèse Boisseau, secrétaire d'Etat. Mais non !

M. Jean-Pierre Godefroy. Comment la France peut-elle reconnaître et adopter une classification internationale et ne pas l'appliquer ?

A ce point de mon explication de vote, je voudrais dire que, contrairement à ce qu'a laissé entendre M. le rapporteur, nous ne pensons pas du tout que, si la société faisait son travail, il n'y aurait plus de handicap. Nous n'avons jamais dit cela ! Nous pensons que, si la solidarité nationale compense la déficience, que nous ne nions pas, sans créer les conditions pour lever les obstacles, le handicap demeure.

C'est encore le cas sur l'article 2 - article essentiel - qui, malgré le compromis trouvé entre M. le rapporteur, M. le président de la commission et vous-même, madame la secrétaire d'Etat, ne changera rien sur le fond, même s'il apporte une réponse partielle - très intéressante sans aucun doute - pour un millier de personnes. Mais, rapportée au nombre d'enfants concernés, c'est fort peu.

Si dans l'article L. 245-1 concernant l'attribution de la prestation de compensation, il n'est effectivement plus fait référence aux conditions de ressources, il n'en demeure pas moins que la barrière d'âge tout comme les critères de taux d'incapacité demeurent dès lors que seuls les enfants bénéficiant de l'AES et de son sixième complément pourront prétendre à cette prestation, ce qui risque de créer un effet de seuil très inique entre la cinquième et la sixième catégorie. Nous ne sommes pas allés plus loin dans l'analyse, mais ce seuil sera sans doute difficile à gérer vu l'importance du handicap pour ces deux catégories.

En outre, nous ne pensons pas que cela réponde à l'avis du Conseil économique et social, qui s'est prononcé unanimement, de la même manière que l'ensemble des associations, contre « toute barrière d'âge [condition] fort contestable dans sa pertinence et vecteur d'inégalités [...] et qui maintient une vision catégorielle et partielle des personnes en situation de handicap. »

Par ailleurs, s'agissant du montant de cette prestation de compensation, les critères de ressources, de taux d'incapacité et de nature des besoins perdurent.

Quoi que vous en disiez, madame la secrétaire d'Etat, ces critères sont antinomiques avec les objectifs de protection sociale et de solidarité nationale à l'origine de cette nouvelle prestation.

Seule l'approche par l'évaluation stricte des besoins, sans conditions de ressources, que nous vous avons proposée et que les personnes en situation de handicap réclament depuis longtemps, permettrait de rompre avec la logique d'assistance.

C'est toujours le cas lorsque le Gouvernement affirme le droit à un revenu d'existence décent, mais que l'AAH, dont vous refusez toute revalorisation, ne permet pas des conditions dignes d'existence, surtout pour celles et ceux qui, en raison de leur handicap, ne peuvent pas travailler et ne disposent d'aucune autre ressource. En effet, 86 % du SMIC, cela n'est pas, et ne sera jamais, 100 % du SMIC !

Au cours des débats, j'ai rappelé que, à ce niveau de ressources, 850 francs, ce n'est pas rien et que cela change les condition de vie. C'est un minimum ; j'ai tenté de vous le démontrer. Vous pouvez compter sur nous pour y revenir lors de l'examen de ce projet de loi en deuxième lecture. C'est un point essentiel, surtout quand le financement du handicap s'appuie sur la suppression d'un jour ferié pour l'ensemble des salariés.

L'intégration sociale, l'égalité des chances, la citoyenneté et la participation ne sont que des mots vides de sens pour celles et ceux qui n'ont comme seule ressource qu'une allocation aussi minime.

Sur ces trois premiers articles, madame la secrétaire d'Etat, nous attendions de vous un effort. Je regrette que, globalement, vous soyez restée sur votre position de départ.

On peut allonger la liste des insuffisances, des incertitudes, des vides à combler quant à l'éducation, l'emploi, la formation, la simplification administrative, les nombreux décrets et, en fin de compte, la faiblesse des financements et les conditions de mise en place de la future caisse nationale de solidarité pour l'autonomie, dont nous ne savons rien à l'heure où nous allons voter ce projet de loi en première lecture.

Madame la secrétaire d'Etat, le groupe socialiste du Sénat émettra donc un vote négatif.

Mais ce n'est qu'une première lecture. Nous continuerons donc à travailler et à vous faire des propositions pour qu'au terme de la navette cette future loi permette aux personnes en situation de handicap de voir leurs conditions de vie s'améliorer réellement. Pourra-t-elle être votée à l'issue de la commission mixte paritaire comme en 1975 ? Nous aimerions que notre vote évolue, mais, aujourd'hui, nous en doutons. Cela dépend beaucoup de votre écoute au cours de la navette.

Madame la secrétaire d'Etat, vous avez certainement vu la une de la revue A part entière diffusée par la Fédération nationale des accidentés du travail et handicapés, la FNATH, qui représente une personne en fauteuil roulant tentant d'atteindre le livre des droits humains et qui demande « encore un effort ! ».

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !

M. Jean-Pierre Godefroy. Comment expliquez-vous que les associations, et les nombreux partenaires sociaux restent aussi dubitatifs si, comme vous le prétendez, ce projet de loi est à la hauteur des ambitions affichées par le Président de la République ?

Votre souhait, madame la secrétaire d'Etat, c'est que cette loi puisse être adoptée par delà les clivages politiques. Il reste beaucoup de chemin à parcourir.

Notre souhait, c'est que vous puissiez procéder aux avancées que vous réclament toutes les personnes en situation de handicap, leurs familles et leurs associations.

Pour notre part, dans ces conditions, et dans ces conditions seulement, nous serions prêts à revoir notre vote en deuxième lecture. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Gérard Delfau.

M. Gérard Delfau. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nous achevons la discussion d'un texte de loi sur l'égalité des droits et des chances des personnes handicapées. Il était attendu, nécessaire, et son ampleur mérite d'être soulignée. Il marque un progrès dans la place reconnue au sein de notre société aux personnes en situation de handicap - décidément, je préfère cette formulation !

Autrefois victimes d'une exclusion de fait considérée comme inéluctable, elles ont obtenu d'être peu à peu reconnues comme ayant droit à une solidarité nationale, même si les moyens n'ont pas, hélas ! été mobilisés à la hauteur des besoins. Mais, aujourd'hui, l'optique change sous l'effet d'une évolution des mentalités. Il ne s'agit plus seulement d'aider une catégorie différente et en difficulté de la population. L'objectif est bien que la personne en situation de handicap se voie traitée sur un pied d'égalité avec les autres citoyens, sous réserve qu'elle obtienne les compensations indispensables, qu'elles soient d'ordre financier, juridique ou technique, notamment en termes d'appareillage.

Cette façon de traiter le handicap suppose une révolution dans notre vie quotidienne puisque l'accessibilité dans les bâtiments publics est presque partout déficiente et qu'accéder aux transports en commun est généralement impossible. Le texte de loi tire les conclusions de ce retard et impose aux pouvoirs publics un certain nombre d'obligations qui vont modifier l'architecture des nouveaux équipements, le fonctionnement de la prise de décision et les arbitrages budgétaires.

Les collectivités territoriales, sur qui portera le gros de l'effort, devront assumer ce devoir avec générosité et continuité si elles veulent effacer tous les obstacles qui, au fil du temps, se sont accumulés dans le déplacement, l'exercice de la profession et le loisir des personnes en situation de handicap. Aux architectes, urbanistes et ingénieurs qui conçoivent les projets, il reviendra de sensibiliser le donneur d'ordres si ce dernier n'est pas conscient de la nouvelle législation.

Dans le même état d'esprit, les rédacteurs du texte de loi se donnent pour objectif d'améliorer l'insertion professionnelle : qu'il s'agisse du recrutement, de l'adaptation du poste de travail ou de l'aménagement des horaires, ils précisent les obligations des employeurs publics comme privés. Au passage, ils clarifient le cahier des charges de la fonction publique, dont certains secteurs sont à la traîne en ce domaine, ce qui n'est pas acceptable. Là encore, une révolution est nécessaire pour que la personne en situation de handicap trouve sa place, exerce ses compétences, apporte son expérience irremplaçable dans les équipes de salariés des entreprises du secteur public.

Positive encore est l'obligation scolaire grâce à laquelle le jeune est rattaché à l'établissement public le plus proche de son domicile, la fréquentation d'un établissement spécialisé n'étant prévue que s'il lui est impossible de s'épanouir dans un établissement public. Certes, cette nouvelle orientation demandera à l'éducation nationale une capacité d'accueil et d'adaptation, alors que la charge de travail des personnels est déjà lourde, mais telle est à bon droit la demande du Parlement.

La dernière innovation, et non des moindres, est la réforme de l'allocation aux adultes handicapés, créée en 1975, qui était perçue à la fois comme un minimum social et comme une prestation de compensation : s'y substituent une allocation de compensation et un revenu minimum d'existence aux fonctions bien distinctes.

Telles sont quelques unes des grandes orientations de ce projet de loi. Pour autant, il suscite beaucoup de questions, fait planer quelques menaces et manque cruellement des moyens de son ambition en termes de financement.

S'agissant du revenu d'existence, nous avons demandé en vain que le montant en soit symboliquement et progressivement aligné sur le SMIC.

Le plan de programmation des constructions et d'extensions des équipements du secteur médicosocial annoncé par le Gouvernement est significatif mais dans le même temps tellement insuffisant pour rattraper le retard d'ici à cinq ans que le décalage entre les principes fixés par la loi et la réalité se trouvera souligné au terme de ce débat, d'où une grande frustration qui s'exprime déjà au sein de toutes les associations oeuvrant dans le domaine du handicap.

Parmi les déceptions ou les incompréhensions, je pourrais évoquer la sensation de « cafouillage » qui semble prévaloir quant à la nature et à la gestion des maisons départementales des personnes handicapées sur qui, au départ, se cristallisait un immense espoir.

Très grave encore est le refus du Gouvernement de suivre la proposition de la commission de transformer l'AGEFIPH en établissement public. Je ne me résigne pas à ce que le principal outil financier d'insertion professionnelle dans les entreprises ne soit pas transformé dans sa nature et son fonctionnement pour faire droit aux critiques contenues dans le rapport de la Cour des comptes de 2002. Ce manque de courage nous sera reproché si le texte est voté en l'état à l'issue de la navette.

Plus fondamentalement, je m'interroge sur les conditions dans lesquelles est fait le choix d'une décentralisation, c'est-à-dire d'une remise aux départements de l'essentiel des missions qui étaient jusqu'ici assumées par l'Etat dans le secteur médicosocial. D'une solidarité essentiellement nationale, on va passer à un financement local, avec tous les aléas que cela suppose : inégalités de ressources entre territoires faute de péréquation, plus ou moins forte sensibilisation des élus au gré des majorités. Je vois bien l'intérêt d'une gestion de proximité, mais quand la ressource affectée est à peu près stable et équivalente à la moyenne nationale. Il faudrait en tout cas que la navette affine ce texte, mette des garde-fous, invente des sécurités pour que ma crainte soit apaisée.

Pour conclure, monsieur le président, je voudrais revenir sur le moment d'émotion qui a présidé à la discussion puis au retrait de l'amendement n° 133 du président de la commission des affaires sociales. Celui-ci proposait de séparer les organisations de parents en deux catégories distinctes mais étanches : celles qui ont la capacité de siéger dans les commissions départementales en charge des choix budgétaires ou d'orientation des personnes en difficulté, et celles qui ont fait le choix de gérer un établissement du secteur médicosocial.

Je peux peut-être regretter la vivacité de ma réaction compte tenu de l'esprit de dialogue qui a présidé à nos débats, grâce à l'attitude du président et du rapporteur de la commission, ainsi que du Gouvernement. En revanche, je maintiens intégralement mon désaccord de fond. Je n'en reprendrai pas ici les arguments, mais je dirais que derrière cette attaque frontale du lobby des associations - le terme a été prononcé -, il y a à mon avis plus qu'une maladresse : il y a la tentation, au moindre risque, d'un désengagement budgétaire le jour où les associations de parents auront cessé d'être présentes directement sur ce chantier.

Méfions-nous que l'idée séduisante, généreuse, d'offrir à la personne en situation de handicap la possibilité de vivre chez elle comme toutes les autres et non pas dans un établissement spécialisé ne soit l'alibi d'un retrait devant une charge financière que notre société ne voudrait plus assumer.

Telles sont les observations que je souhaitais formuler à l'issue de ce débat. Le Sénat a achevé la première lecture de ce texte qui va maintenant être discuté par l'Assemblée nationale. Des améliorations et des clarifications peuvent donc intervenir grâce à la navette parlementaire. M'exprimant au nom du RDSE, j'apporte le soutien d'une majorité de mon groupe au texte issu de nos travaux. Pour ce qui me concerne, je m'abstiendrai, comme quatre autres de mes collègues, signifiant ainsi mon espoir que ce projet de loi soit amélioré. Ceux dont le sort nous préoccupe méritent bien un effort supplémentaire, quelles que soient nos sensibilités, et sans que quiconque cherche à tirer un bénéfice politique d'une cause qui ne l'autorise pas.

M. le président. La parole est à Mme Nelly Olin.

Mme Nelly Olin. Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, ce projet de loi concrétise le troisième grand chantier dont le Président de la République a souhaité marquer son mandat : celui de la place que notre société doit accorder aux personnes handicapées.

En effet, l'équité d'une société se juge à la manière dont elle traite ses handicapés. Il appartient donc à chacun d'entre nous et aux pouvoirs publics de manifester que la dignité d'un individu ne se mesure pas à l'aune de sa capacité physique ou intellectuelle.

Nous ne pouvons que nous réjouir du fait que la première lecture de ce texte ait commencé au Sénat, et ce en raison du travail accompli depuis tant d'années par notre Haute Assemblée concernant ce problème majeur de société, notamment grâce à M. Paul Blanc et à la commission des affaires sociales.

Nous passons désormais des réflexions et de la concertation à l'action. Notre arsenal juridique en la matière est déjà riche. La loi fondatrice du 30 juin 1975 en faveur des personnes handicapées a permis de reconnaître les besoins spécifiques liés au handicap et de favoriser l'intégration sociale des personnes handicapées. La loi du 10 juillet 1987 a posé les bases fondatrices de l'intégration par le travail. Il nous faut pourtant aujourd'hui compléter et renforcer ces dispositions qui ne sont plus ni adaptées ni suffisantes.

En premier lieu, les personnes handicapées bénéficieront enfin d'un droit à la compensation des conséquences de leur handicap, qui se traduira par une prise en charge personnalisée des surcoûts de toutes natures qu'ils supportent. Cette prestation sera universelle, son accès ne sera conditionné par aucun critère de ressources et ne fera plus l'objet de récupération sur succession.

Le débat en séance publique a permis d'améliorer le texte de manière significative. Ainsi le taux d'invalidité minimal de 80 % pour avoir accès à la prestation a été remplacé par une référence aux besoins de compensation avec des critères affinés.

Par ailleurs, le bénéfice de la prestation de compensation est élargi aux personnes handicapées relevant de l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé et aux bénéficiaires de la majoration pour tierce personne, en prévoyant que les sommes versées au titre de ces prestations viennent en déduction du montant de la prestation de compensation.

Concernant l'AAH, le projet de loi met en place des possibilités nettement plus avantageuses de cumul de cette allocation avec un revenu d'activité, ce qui encourage ceux qui le peuvent à travailler.

En second lieu, le regard de nos concitoyens sur le handicap est invité à changer grâce à plusieurs mesures tendant à remédier aux situations de handicap auxquelles sont confrontées les personnes handicapées. C'est à notre société d'offrir un environnement qui facilite la participation de l'intéressé et de ses proches à la vie de la société, à partir d'une évaluation de ses besoins et compte tenu de son projet de vie.

La mise en oeuvre d'un tel principe passe en tout premier lieu par l'école. Le projet de loi place la scolarité des enfants handicapés sous la responsabilité du ministère de l'éducation nationale. Lorsque ses compétences et ses besoins le permettent, l'enfant devra être accueilli dans l'établissement ordinaire le plus proche de son domicile. Dans tous les cas, son parcours de formation sera régulièrement évalué afin d'intégrer l'enfant au dispositif le plus adéquat. Ainsi, l'éducation en milieu ordinaire et en établissement seront complémentaires.

Dans le domaine de l'emploi, afin d'assurer le principe de non-discrimination envers les personnes handicapées, le projet de loi fait obligation aux employeurs, privés comme publics, de procéder aux aménagements nécessaires à leur insertion professionnelle, par l'adaptation des postes et des horaires ou des conditions de passation des concours de la fonction publique. Par ailleurs, l'obligation d'emploi est modernisée.

La grande nouveauté est la mise en oeuvre d'un mécanisme contraignant pour les employeurs des trois fonctions publiques, avec la création d'un fonds pour l'insertion professionnelle des personnes handicapées dans la fonction publique, pour lequel M. Delevoye, ministre de la fonction publique, a beaucoup oeuvré.

Le projet de loi prévoit enfin des dispositifs de « passerelle » facilitant le passage des personnes handicapées vers le milieu ordinaire de travail : ainsi les personnes accueillies en centre d'aide par le travail pourront, dans le cadre d'un contrat d'appui, conclure un véritable contrat de travail. Un dispositif similaire devrait exister entre l'entreprise adaptée et l'entreprise ordinaire. Là encore, le Sénat a amélioré le mécanisme permettant à un travailleur handicapé en entreprise adaptée de travailler en entreprise ordinaire avec davantage de garanties.

S'agissant de l'accessibilité, tout a été dit. Il y aura des obligations en matière de logements nouveaux. Le Sénat a aménagé ces mesures afin d'encadrer strictement les dérogations qui pourraient être données concernant les bâtiments existants. Dans les transports, le texte impose une obligation d'accessibilité complète d'ici à quelques années et les dérogations ne pourront être que très limitées.

Enfin, les différentes structures administratives seront regroupées au sein de nouvelles maisons départementales des personnes handicapées, dont la mission sera triple : informer, constituer le guichet unique d'accès aux droits et prestations, évitant ainsi le parcours du combattant, et coordonner l'action en faveur des personnes handicapées.

En conclusion, je voudrais féliciter la commission des affaires sociales, son président, et tout particulièrement son rapporteur, notre collègue Paul Blanc, pour le travail accompli avec rigueur et générosité sur ce texte et pour les propositions qu'il a présentées. Je voudrais aussi vous remercier, madame le secrétaire d'Etat, de la qualité de votre écoute et des échanges que nous avons eus tout au long de nos travaux. Pour toutes ces raisons, le groupe UMP votera ce projet de loi avec conviction. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Robert-Denis Del Picchia. Bravo !

M. le président. La parole est à M. Michel Mercier.

M. Michel Mercier. Nous voulons ce soir, madame le secrétaire d'Etat, vous encourager par notre vote à aller au bout de vos ambitions, de vos idées et de votre projet.

Après quatre jours de débats, ce projet de loi nous laisse une impression « d'inachevé ». Il comporte des mesures nouvelles extrêmement importantes et, pour certaines, ambitieuses voire très ambitieuses, mais dont la réalisation exigera une véritable volonté politique : j'y reviendrai à la fin de mon intervention.

Au nombre de ces propositions, je citerai la personnalisation de la prise en charge de la personne handicapée. En la matière, il convient de souligner, d'une part, que c'est à l'équipe pluridisciplinaire qu'il appartiendra d'évaluer la situation de handicap, son importance et, d'autre part, que tout le monde ne recevra pas le même traitement, mais que l'accent sera mis en priorité sur la personne qui sera réellement prise en charge dans son handicap, son environnement et son envie de vivre. C'est un apport essentiel de votre texte auquel nous ne pouvons qu'adhérer.

Ce projet de loi comprend aussi des dispositions très ambitieuses pour tout ce qui concerne l'accessibilité. Je ne suis pas sûr que nous ayons tous bien mesuré les conséquences des votes qui ont été émis : du fait de l'allégresse générale, y compris pour atteindre des objectifs très compliqués et délicats, nous nous sommes imposés des délais extrêmement courts. Seule une forte ambition permettra de les respecter. (M. Roland Muzeau s'exclame.)

J'en viens à un autre point très important, facteur de véritable intégration de la personne handicapée dans notre société, à savoir le renforcement du droit et de l'accès au travail. Il me semble que toute activité, y compris partielle, peut être bénéfique pour la personne handicapée ; or ce projet de loi va dans ce sens.

Il reste beaucoup de travail à faire, c'est pourquoi nous voulons vous adresser, par notre vote, un fort signal d'encouragement, madame la secrétaire d'Etat. En effet, vous devez parfois vous sentir seule et j'ai essayé de vous encourager à être vous-même, ce qui est mieux que d'être seule. On ne vous laissera pas tomber, dans ces cas là ! (Sourires.)

Je m'adresserai également à la commission des affaires sociales, au président et au rapporteur qui connaissent parfaitement le dossier. Il m'a cependant semblé, en particulier en fin de discussion, que lorsque se posaient des questions financières, la tendance était de sanctuariser l'AAH tout en étant beaucoup plus généreux avec l'allocation de compensation. Je me suis demandé si, par hasard, dans votre esprit, ces financements ne seraient pas d'origine différente...

Néanmoins, je rappellerai à la commission des affaires sociales, qui ne semble pas tellement au fait de ce qui s'est passé l'an dernier sur le plan juridique, que la Constitution a été modifiée.

M. Jean-Jacques Hyest. Eh oui !

M. Michel Mercier. Ainsi, si vous attribuez des charges nouvelles aux collectivités, vous devez prévoir leur financement.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Le transfert de charges !

M. Michel Mercier. C'est une obligation constitutionnelle, personne ne peut y échapper, pas même la commission des affaires sociales du Sénat ! Or vous avez été particulièrement généreux s'agissant des droits de succession. Nous avons dit que nous étions d'accord, mais encore faut-il en prévoir les modalités.

Quant à supprimer - c'est très important - la coupure entre enfant et adulte en donnant la possibilité d'utiliser l'allocation de compensation à la suite de l'allocation d'éducation spéciale, l'AES, quand celle-ci serait insuffisante, c'est reconnaître qu'une allocation attribuée par l'Etat est parfois insuffisante et peut être compensée par une allocation versée par les collectivités locales. Il nous reste bien du travail en ce domaine !

Mais mon vrai souci, madame la secrétaire d'Etat, ce qui nous conduit à vous encourager sans faillir, c'est qu'une fois les principes établis, une fois les droits fixés, si nous ne voulons pas que les principes restent des principes, que les droits demeurent purement formels, il faut rendre la loi opérationnelle, mettre la machine en état de marche. De ce point de vue, il faut le reconnaître, le débat de cet après-midi est assez décevant, mais nous nous y attendions.

Je pense qu'il aurait mieux valu ne pas aborder les volets institutionnel et financier. Un choix autre a été fait, et nous avons assisté à bien des hésitations.

M. le rapporteur a proposé un amendement, qui a été voté, visant à créer un groupement d'intérêt public. Cependant, madame la secrétaire d'Etat, vous avez refusé d'accéder à la demande de seconde délibération sur l'article 27 que M. Vial et moi-même avions formulée, et votre refus est en soi intéressant : vous n'avez pas voulu préciser si vous confieriez cette charge au département, mais vous ne voulez pas non plus que celui-ci se désengage. Or je dois vous avouer que le seul objet de notre demande de seconde délibération était de vous faire dire non ! (M. le président de la commission des affaires sociales sourit.) C'est d'ailleurs un grand succès pour nous que d'y être parvenus.

M. Roland Muzeau. C'est machiavélique !

M. Michel Mercier. Il faut maintenant dire les choses nettement. Les droits sont fixés clairement et certaines dispositions, c'est vrai, peuvent être améliorées. Mais ce qu'attendent désormais les personnes handicapées, c'est que l'on agisse, et non que l'on discute à l'infini. Par notre vote, madame la secrétaire d'Etat, nous voulons vous encourager à choisir.

Seuls deux choix me paraissent possibles.

On peut mettre tout le monde « dans la même marmite » en supposant que plus nombreux seront les acteurs mieux ce sera, car personne ne sera éloigné de la décision. Mais alors, on ne fera jamais rien, parce qu'on ne parviendra jamais à un accord.

Qu'il faille réunir tout le monde, associations de handicapés et gestionnaires compris, j'en suis tout à fait d'accord. Mais il faut alors indiquer à qui appartiendra la décision finale. Elle peut revenir à l'Etat, pourquoi pas : le préfet voyant sa charge de travail considérablement allégée par les lois de décentralisation, il aura tout le temps de se consacrer à ces questions ! Si tel est le choix du Gouvernement, qu'il le dise, et nous pourrons nous déterminer.

L'autre choix possible, c'est celui de la décentralisation ; mais, là aussi, il faudra l'annoncer clairement. Je le répète, nous ne sommes pas demandeurs : nous sommes prêts à servir, puisque nous sommes des élus locaux, mais nous ne sommes pas demandeurs, surtout si l'on doit nous dire à chaque seconde ce que nous devons faire. Il ne saurait y avoir de décentralisation sans confiance.

Parce que votre projet de loi est bon, bon par les droits qu'il crée, bon par les objectifs qu'il fixe, il faut poursuivre le travail pour pouvoir, un jour prochain, mettre en oeuvre la loi qui en sera issue. Nous y sommes prêts, et nous sommes prêts à vous y aider, voire à vous y pousser, madame la secrétaire d'Etat. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Nicolas About, pour explication de vote.

M. Nicolas About. Monsieur le président, je ne saurais mieux résumer les enjeux de ce texte que ne viennent de le faire Mme Nelly Olin et M. Michel Mercier. Je me tournerai donc vers Mme la secrétaire d'Etat pour évoquer quelques sujets auxquels, je l'espère, la navette nous permettra de trouver des solutions.

Madame la secrétaire d'Etat, vous aviez indiqué devant la commission qu'en matière d'aides humaines le plafond serait de 64 000 euros. Il semble que ce chiffre soit erroné puisqu'il est maintenant question de 51 200 euros. Cela me paraît insuffisant : si l'on comprend dans ce montant l'ACTP anciennement versée par les conseils généraux, cela revient à un nombre de « forfaits-postes » très insuffisant pour la prise en charge des personnes les plus lourdement handicapées. Il faudra donc essayer de faire un effort sur ce point.

Par ailleurs, je souhaite que les personnes handicapées puissent percevoir librement et directement les sommes qui leur sont allouées au titre des aides humaines. Cette question est importante, car elle conditionne la possibilité pour la personne handicapée de choisir entre l'embauche d'une auxiliaire de vie en gré à gré et le recours à une association mandataire pour la gestion des formalités administratives liées à l'embauche.

A ce sujet, j'aimerais savoir, madame la secrétaire d'Etat, si vous êtes favorable à la liberté de choix de la personne handicapée entre toutes les associations mandataires, qu'il s'agisse d'un CCAS, bien sûr, ou d'une association de droit privé.

Enfin, dans l'hypothèse où un CCAS pourrait fonctionner comme mandataire, pourriez-vous nous indiquer quel régime du droit du travail serait alors applicable : celui d'une collectivité publique ou bien celui des associations mandataires de droit privé ? Actuellement, lorsqu'il recrute des auxiliaires de vie, un CCAS doit bien sûr leur appliquer le même régime qu'aux autres agents municipaux.

En cas d'hospitalisation d'une personne handicapée, vous vous êtes engagée au cours de nos débats, madame, à ce que le droit à compensation dont elle bénéficie se poursuive. L'article concerné renvoie à un futur décret d'application les modalités de suspension ou de réduction, notamment en matière d'aides humaines. Dans le cadre de la rédaction de ce décret, je veux attirer votre attention sur deux aspects : d'une part, sur l'obligation pour la personne handicapée, même hospitalisée, de continuer à assumer ses charges fixes - nombreux sont mes collègues qui y ont fait allusion -, y compris le paiement des auxiliaires de vie ; d'autre part, sur la nécessité, vitale pour elle, de continuer à bénéficier d'aides humaines à l'hôpital. Je ne vous citerai pas le cas tragique de personnes lourdement handicapées quelque peu abandonnées dans leur chambre à l'hôpital, ce qui a parfois conduit à leur décès.

En ce qui concerne le conjoint salarié, les personnes handicapées qui le souhaitent, je le répète, doivent pouvoir choisir leur conjoint comme auxiliaire de vie. Je sais, madame, que vous n'y êtes pas favorable. Or je pense que le conjoint doit pouvoir percevoir un salaire, et non pas un simple dédommagement, et je maintiens qu'il n'y a pas de conflit de droit entre l'article du code civil instaurant l'obligation alimentaire entre époux et la loi Kouchner de 2002, puisque celle-ci vise uniquement les handicaps.

Permettez-moi maintenant de dire un mot sur la mise en oeuvre du droit à compensation dans les établissements. Si ce droit fondamental est reconnu à toute personne handicapée, il doit l'être quel que soit son lieu de résidence, qu'elle vive à domicile ou en institution. Je considère comme un pas décisif le fait que vous ayez reconnu le caractère universel de ce droit, en particulier pour ce qui est du financement des aides techniques. Toutefois, je veux exprimer ici un regret : celui que vous n'ayez pas retenu le principe, proposé par la commission, d'un crédit d'heures pour que les résidents handicapés puissent bénéficier d'aides humaines et sortir ainsi quelques heures - ou quelques jours - de leur établissement, outre les possibilités existantes.

En matière d'emploi, je considère que le problème de l'emploi des personnes atteintes d'un handicap lourd n'est pas réglé. Par ailleurs, pour inciter les entreprises à recruter, pourquoi ne pas introduire la possibilité pour les autorités publiques d'inclure l'emploi des personnes handicapées parmi les critères d'attribution des appels d'offres aux entreprises ?

M. Gérard Delfau. Très bien !

M. Nicolas About. Cela figurait dans les recommandations du Parlement européen des personnes handicapées qui s'est tenu à Bruxelles, les 10 et 11 novembre 2003.

Je pense également aux entreprises qui n'atteignent même pas la moitié de l'obligation légale d'emploi. Je souhaite que vous réfléchissiez à la possibilité d'exclure des marchés publics ces entreprises qui ne font aucun effort pour embaucher des travailleurs handicapés.

M. Jean-Pierre Sueur. Très bien !

M. Nicolas About. Je veux rappeler ici qu'il n'existe aujourd'hui en France que 200 000 travailleurs handicapés, alors qu'un million de personnes handicapées sont jugées aptes à occuper un emploi. Il faut donc favoriser un meilleur niveau de formation et de qualification : c'est pourquoi la poursuite des études doit aussi être une priorité.

Mais, sur ce sujet de la formation, je relèverai que 20 000 enfants restent à scolariser. Le Parlement européen des personnes handicapées a estimé l'an dernier que seuls 0,9 % des enfants handicapés ne pouvaient pas intégrer l'école ordinaire du fait d'un état de dépendance trop complexe. Les obstacles actuels à l'intégration scolaire sont donc essentiellement dus au manque de ressources humaines, éducatives ou financières. Or, il faut le rappeler, le système éducatif est le tout premier pas qui conduit vers une société « inclusive ».

S'agissant de la citoyenneté, madame la secrétaire d'Etat, vous avez choisi à juste titre de modifier l'intitulé du projet de loi pour y inclure très explicitement la participation et la citoyenneté des personnes handicapées ». La commission des affaires sociales a souhaité donner corps à ces grands principes en leur consacrant un chapitre spécifique comprenant plusieurs articles qui tendent notamment à faciliter l'exercice du droit de vote. Je rappellerai que, dans notre pays, 58 % des bureaux de vote sont encore inaccessibles. Je souhaite en tout cas que, au fil de la navette, ce chapitre s'étaye encore grâce aux contributions des parlementaires.

Enfin, je voudrais rendre hommage aux parents.

Je pense en particulier à cette maman qui a perdu son fils myopathe il y a trois mois et qui nous a expliqué, lors de son audition par la commission, qu'elle ne disposait pour s'occuper de lui à plein temps, alors qu'il avait constamment besoin d'elle pour des soins techniques à domicile et qu'elle avait dû cesser toute activité professionnelle, que de 1 085 euros par mois, alors qu'un établissement spécialisé aurait reçu, pour s'en occuper, 300 euros par jour !

Je pense aussi à celles et à ceux qui se battent au quotidien pour que leur enfant soit intégré et trouve une place dans la société.

Je pense aux parents d'enfants autistes ou polyhandicapés. Je pense en particulier à une mère qui réside à Colmar et qui a décidé d'entamer une grève de la faim parce qu'elle désespère d'être entendue de l'administration pour obtenir des heures d'aides pour s'occuper de son enfant.

Je pense aux femmes handicapées, doublement victimes de discriminations et qui luttent, souvent contre vents et marées, pour se voir reconnaître le droit d'être une femme, de mener une vie de couple, de se marier, de mener à bien leur désir de maternité, malgré les regards réprobateurs de la société : je n'oublie pas la nécessité pour elles de trouver des cabinets de gynécologie accessibles, quand elles sont en fauteuil roulant, de bénéficier d'une interprète en langue des signes, lorsqu'elles sont sourdes et qu'elles viennent accoucher à l'hôpital. Je pense aussi, bien sûr, à celles à qui leur handicap ne permet pas d'avoir des enfants et qui, pourtant, se voient interdire par les services sociaux d'aide à l'enfance la possibilité d'adopter. Je souhaite que la création d'un droit à compensation et la mise en place d'aides humaines, correspondant à la réalité de leurs besoins puissent faciliter, pour les unes, leur vie de mère, et pour les autres, le regard que porte la société sur leur aptitude à le devenir.

Parmi les apports de ce projet de loi, il en est un particulièrement important que je veux souligner et qui va sans doute conditionner la vie de beaucoup de personnes handicapées à l'avenir : le droit de vote rendu à toutes les personnes handicapées. Car, pour pouvoir se défendre, encore faut-il avoir le droit de vote ! Je pense donc aux 600 000 personnes aujourd'hui sous tutelle qui, par notre décision, ont retrouvé le droit de vote.

Un deuxième apport important est le complément de compensation pour les enfants dont l'AES a atteint le sixième échelon. Il est important, mais il est fragile, car les familles doivent être engagées depuis longtemps déjà dans des efforts considérables pour atteindre ce sixième échelon et pour pouvoir prétendre à une compensation complémentaire.

Je terminerai en évoquant une lacune du projet de loi qui reste pour moi tragique : le refus d'accorder aux personnes handicapées le droit d'être défendues et d'être représentées démocratiquement. Contrairement à ce qui a été dit, je n'ai jamais voulu exclure telle ou telle association. Bien au contraire, nous avons souhaité que toutes les associations soient présentes au sein des commissions qui siégeront dans les départements, aussi bien les associations gestionnaires que les associations représentatives des personnes handicapées, parce que ce n'est pas en excluant les uns que l'on réussira à traiter le sort des autres. (Applaudissements sur l'ensemble des travées.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'Etat.

Mme Marie-Thérèse Boisseau, secrétaire d'Etat. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, à cette heure tardive, je ne veux pas abuser de votre temps. Toutefois, il me paraît important de revenir très brièvement sur les avancées que la discussion de ce projet de loi a permis de réaliser et qui me paraissent importantes.

D'abord, la prestation de compensation permet de sortir de la logique d'aide sociale pour entrer totalement dans une logique de protection sociale. A terme, elle sera distribuée non pas en fonction d'un taux d'invalidité, mais selon les besoins précis de chaque personne handicapée. Son champ d'application, au départ limité aux adultes, a été étendu aux enfants, puis assoupli lors du passage au troisième âge.

En présence de Luc Ferry, vous avez décidé, avec la volonté d'établir encore et toujours des passerelles avec le milieu scolaire ordinaire, que tout enfant serait inscrit dans l'établissement scolaire de son secteur, même s'il doit poursuivre sa scolarité dans un institut médico-éducatif.

Une autre avancée importante, dont nous mesurerons les effets au cours des années à venir, est l'obligation désormais faite à l'éducation nationale d'accueillir tous les enfants dès l'école maternelle, pour peu que les parents le demandent, et ce jusqu'au supérieur, sans discontinuité.

Cette obligation est soutenue par le renforcement de l'accompagnement en milieu ordinaire et de la scolarité en milieu protégé, mais aussi par la formation initiale et continue des enseignants comme de l'ensemble du personnel de l'éducation nationale.

En présence de M. Jean-Paul Delevoye, ministre chargé de la fonction publique, vous avez adopté la création d'un fonds unique dans les fonctions publiques et l'inscription dans le code du travail des « aménagements raisonnables ». Des conditions seront mises d'ici cinq ans à la suppression des emplois dits « exclus ». Ce sont là de réelles avancées, tout comme la possibilité de départ anticipé à la retraite pour les personnes handicapées.

En matière d'accessibilité, également, des avancées notables ont été réalisées pour le bâti neuf comme pour le bâti existant. Je vous rappelle que, pour ce dernier, rien n'était prévu jusqu'à présent : il était en dehors de toutes les obligations d'accessibilité. Vous avez tenu, ensemble, à garder raison et à faire en sorte que les raisons légitimes aussi bien des personnes handicapées que des propriétaires ou des locataires du bâti existant soient prises en compte. Vous l'avez bien compris, il faut aller dans ce domaine vers des solutions équilibrées et applicables, dans l'intérêt de tous : des personnes handicapées, d'abord, mais aussi de tous les propriétaires ou locataires de cadres bâtis. Les dérogations seront réellement, j'y insiste, tout à fait exceptionnelles.

L'introduction dans notre droit de la notion, j'oserai dire du concept de chaînes de déplacement et de plans d'accessibilité répond à de nombreuses préoccupations des personnes handicapées. Oui, demain, ceux qui font la ville, ceux qui construisent les espaces publics devront dire comment ces derniers devront être partagés pour que les personnes handicapées y aient toute leur place et que leurs déplacements d'un point à un autre soient désormais possibles.

Autant d'avancées considérables, et je pourrais en citer bien d'autres encore ; mais je ne veux pas allonger la litanie ce soir.

Certes, plusieurs points restent en discussion, particulièrement en ce qui concerne les institutions, comme nombre d'entre vous, sur toutes les travées de cette assemblée, l'ont fait remarquer à juste titre.

L'idée de créer la maison départementale des personnes handicapées ainsi que la commission des droits et de l'autonomie a donné lieu à un long débat. Je n'ai pas voulu peser sur celui-ci dans l'attente, vous l'avez compris, des propositions que doivent nous faire MM. Briet et Jamet. Mais je vous ai donné l'assurance qu'avant la deuxième lecture le Gouvernement vous fera des propositions extrêmement précises en la matière. Je ne doute pas que la manière dont le Sénat s'est exprimé sur ce sujet au cours de cette première lecture éclairera la concertation en cours.

Non, monsieur Mercier, je ne veux pas que le département se désengage. Je voudrais vous dire, comme aux présidents de conseils généraux qui sont intervenus dans la discussion, toute mon attention à votre témoignage, car je sais que dans ce domaine votre expérience est grande, et vous avez toute mon estime. Les conseils généraux sont depuis longtemps les acteurs de la proximité que souhaite le Premier ministre, car la proximité est gage d'efficacité. Leurs idées font leur chemin, et bien des préjugés sont tombés aujourd'hui. Les conseils généraux ont fait la preuve qu'ils avaient le souci des citoyens les plus fragiles, parmi lesquels figurent les personnes handicapées, et ils seront demain, je n'en doute pas, je le souhaite, des acteurs incontournables de la politique du handicap.

J'ai entendu un certain nombre de critiques très amusantes. M. Muzeau, vous avez parlé d'une « loi étriquée ». Je me reporte aux débats de 1975 : « Ce qui fait défaut, c'est une vision globale de l'intégration des handicapés dans notre vie quotidienne. »

Monsieur Delfau, vous avez prononcé le mot de « cafouillage » : « Nous aurions espéré un projet plus complet, plus ordonné, une affirmation plus nette », disaient ceux qui critiquaient la loi de 1975. Vous parlez aussi du manque de moyens. Or, en 1975, l'opposition évoquait des moyens qui n'étaient pas à la hauteur des exigences.

Monsieur Godefroy, vous déplorez les « insuffisances » : « Les lacunes ou les insuffisances graves sont multiples », dénonçaient les détracteurs de la loi de 1975.

Or, aujourd'hui, tout le monde s'accorde à dire que la loi de 1975 était une loi fondatrice et qu'elle a permis, dans le domaine du handicap des avancées considérables. Ces critiques font partie du jeu de rôle habituel.

Je voudrais remercier toutes les sénatrices et tous les sénateurs, quelles que soient les travées sur lesquelles ils siègent, pour le sérieux d'un certain nombre de leurs propositions et pour la richesse du débat. Nous sommes en première lecture et la discussion qui a eu lieu ici même sera un point d'ancrage important pour les débats qui vont suivre, notamment à l'Assemblée nationale. Je vous remercie très sincèrement du respect mutuel qui, comme je l'avais souhaité dans mon propos liminaire, a présidé à nos échanges. C'est le moins que nous devions aux personnes handicapées.

Je remercie ceux qui m'ont adressé des encouragements. Je remercie notamment M. Mercier, qui m'a encouragé à « aller au bout de nos ambitions ». C'est en effet bien de cela qu'il s'agit. La discussion qui a eu lieu dans cet hémicycle n'est qu'une première étape. Grâce à vous, le texte a déjà été très enrichi. Je compte maintenant sur la discussion qui aura lieu à l'Assemblée nationale, avant de nous retrouver en deuxième lecture. Une bonne loi, comme une sculpture...

M. Jean-Pierre Sueur. Comme le bon vin !

Mme Marie-Thérèse Boisseau, secrétaire d'Etat. ... demande du temps : le temps de la voter et le temps de l'appliquer, même si je souhaite qu'elle entre en application dès le 1er janvier 2005. Vous le savez, il y aura une montée en puissance. Au-delà de la loi, il faudra l'implication de tous. Cette loi n'est pas définitive, elle a simplement l'ambition, modestement mais fermement, d'être un grand pas en avant, pour améliorer la situation des personnes handicapées.

Je remercie, enfin, le président de la commission des affaires sociales, M. Nicolas About, et son rapporteur, M. Paul Blanc. Je remercie aussi les membres de mon cabinet, qui ont travaillé inlassablement depuis dix-huit mois à la préparation de ce projet de loi, les administrateurs de la commission, les personnels du Sénat qui nous ont accompagnés pendant ces discussions souvent nocturnes, ainsi que les fonctionnaires des différentes directions, en particulier ceux de la DGAS, la direction générale des affaires sociales, dont le directeur est présent parmi nous, un certain nombre de ses collaborateurs étant dans les coulisses.

Le défi du handicap est immense et, j'en suis convaincu, nous ne le relèverons qu'ensemble. A bientôt pour la prochaine lecture ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

M. le président. Madame la secrétaire d'Etat, nous avons tous été sensibles aux remerciements que vous avez adressés aux uns et aux autres, en particulier aux fonctionnaires de votre ministère ou de la Haute Assemblée.

Je vous remercie de la manière dont vous avez répondu aux questions des sénateurs, de l'attention que vous avez portée à leurs remarques et du souci de précision qui vous a animé.

Personne ne demande plus la parole ?...

Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi.

Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...

Le scrutin est clos.

(Il et procédé au comptage des votes.)


M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 154 :

Nombre de votants319
Nombre de suffrages exprimés314
Majorité absolue des suffrages158
Pour209
Contre105