PRÉSIDENCE DE M. Guy Fischer

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

Nous poursuivons l'examen des dispositions du projet de loi de finances concernant le travail, la santé et la cohésion sociale : II.- Santé, famille, personnes handicapées et cohésion sociale.

La parole est à M. Paul Blanc.

M. Paul Blanc. Ma question s'adresse à M. le ministre des solidarités, de la santé et de la famille, qui est également médecin. Elle concerne la prise en charge des traitements de prévention de l'ostéoporose.

L'ostéoporose est, vous le savez tous, une maladie diffuse du squelette, caractérisée par une perte de la masse osseuse se traduisant par des fractures. On dénombre chaque année 45 000 fractures de la hanche, 55 000 fractures du poignet, 60 000 fractures vertébrales, dont la moitié pourrait être évitée grâce à des traitements anti-fracturaires efficaces. Leur fréquence augmentant avec l'âge, elles ont un effet majeur sur la santé de la population française après cinquante ans.

Nombre des personnes ayant eu une fracture doivent être placées en institutions, et beaucoup de celles qui rentrent chez elles ne retrouvent pas le niveau de capacités fonctionnelles qui était le leur avant leur accident. On constate également un taux de mortalité significatif.

Par ailleurs, ces fractures imposent une lourde charge financière au système de santé en termes d'hospitalisation, de réadaptation et de soins à domicile.

En France, la dernière enquête réalisée sur les coûts médicaux directs liés à l'ostéoporose post-ménopausique estimait que ceux-ci s'élevaient à près de 800 millions d'euros. Quant aux coûts liés à l'ostéoporose masculine, ils atteindraient 200 millions d'euros. L'objectif n° 2 de la loi relative à la politique de santé publique est de diminuer de 10 % d'ici à 2008 le nombre de fractures de la hanche d'origine ostéoporotique.

En outre, dans son rapport sur le traitement médicamenteux de l'ostéoporose post-ménopausique de juin 2004, l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, l'AFSSAPS, souligne l'intérêt de proposer un traitement dans le cas où, en raison de facteurs de risque d'ostéoporose connus, une densitométrie osseuse a été prescrite et a révélé une ostéoporose. Or, actuellement, les remboursements par l'assurance maladie d'une densitométrie osseuse et du traitement de l'ostéoporose avérée requièrent la présence d'une fracture contemporaine ou antérieure. Sans cette fracture, ni le dépistage ni les traitements de prévention, dont l'efficacité est pourtant reconnue, ne sont pris en charge.

Il semblerait logique, compte tenu de l'objectif de santé publique affiché, que le traitement soit pris en charge dans un but de prévention, de façon encadrée, même en l'absence de fracture.

Monsieur le ministre, le Gouvernement n'a eu de cesse de souligner depuis plus de deux ans la nécessité de mettre en place une médecine de prévention, parallèlement à une médecine curative, où la France excelle.

Je souhaiterais donc savoir quelles initiatives vous entendez prendre afin que soient mieux remboursés les densitométries osseuses et les traitements médicamenteux de prévention de l'ostéoporose.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Philippe Douste-Blazy, ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, il est vrai que la fracture du col du fémur est aujourd'hui la fracture la plus fréquente chez l'homme et chez la femme, en particulier chez les personnes âgées.

Il est vrai également que l'on constate une surmortalité, qui est multipliée par quinze le mois suivant la fracture et par sept le mois suivant. Le taux de mortalité est en effet estimé entre 12 % et 20 %, ce qui est important. Il ne faut donc pas considérer que ce n'est rien.

Tout doit évidemment être mis en place afin que les malades soient opérés dans de bonnes conditions et le plus rapidement possible, mais le mieux reste la prévention.

L'objectif de la loi relative à la politique de santé publique, que nous avons votée au mois d'août dernier, est de prévenir les chutes des personnes âgées et d'estimer le risque fracturaire.

Votre question, monsieur le sénateur, porte sur l'ostéodensitométrie. La moitié des médecins pense que celle-ci ne sert à rien ; l'autre, qu'elle est utile !

C'est la raison pour laquelle nous avons créé la Haute Autorité de santé, qui sera effective le 1er janvier 2005. Ses huit membres seront nommés prochainement. Deux d'entre eux le seront par le Président de la République, deux par le président du Sénat, deux par le président de l'Assemblée nationale et deux par le président du Conseil économique et social. Je demanderai alors à la Haute Autorité de se prononcer sur l'efficacité des différents traitements et surtout sur l'utilité des actes médicaux. Et je vous répondrai dès qu'elle m'aura fait part de ses conclusions, monsieur le sénateur.

M. le président. La parole est à M. Hugues Portelli.

M. Hugues Portelli. Monsieur le président, ma question s'adresse à M. le ministre de la famille, qui, j'en suis certain, y prêtera une écoute plus attentive que son prédécesseur immédiat !

Monsieur le ministre, depuis plusieurs années, l'Etat a donné de nouvelles orientations à sa politique familiale et d'aide à l'intégration des femmes dans le monde professionnel. Il a confié à la Caisse nationale d'allocations familiales, la CNAF, la mission d'accompagner les collectivités locales et les entreprises dans le développement de l'accueil des jeunes enfants de zéro à trois ans. Il légifère actuellement pour créer un véritable statut des assistantes maternelles libérales.

Cette double orientation aboutira aux résultats suivants.

Tout d'abord, les collectivités locales développeront des formules de multi-accueil collectif afin de recevoir les enfants soit de façon régulière, à temps complet ou à temps partiel, soit de manière occasionnelle.

Ensuite, les assistantes maternelles libérales prendront en charge des enfants dont les deux parents travaillent à temps complet et peuvent payer une garde d'enfant à plein tarif.

Enfin, des entreprises se positionnent sur un nouveau marché, celui de la création et de la gestion de structures d'accueil des jeunes enfants de zéro à trois ans. La CNAF finance tous les projets de la même façon, en investissement et en fonctionnement, qu'ils émanent d'une collectivité, d'une association ou d'une société privée.

Cette politique à moyen terme pose deux types de problèmes aux collectivités locales.

En premier lieu, la création des relais d'assistantes maternelles libérales pour accompagner ces professionnels sur tout le territoire national conduira à la fermeture de nombreuses crèches familiales communales. Dans ces dernières, les assistantes maternelles gardent moins d'enfants que les assistantes maternelles libérales et ont des revenus inférieurs.

En second lieu, les structures d'accueil collectif des collectivités locales, où le montant de la participation des parents aux frais d'accueil est calculé sur les ressources du foyer, vont devoir accueillir encore davantage les enfants des familles qui n'ont pas les moyens de payer un assistant maternel libéral ou une aide à domicile.

Les collectivités locales sont prêtes à remplir ce rôle social d'accueil dans les structures qu'elles ont créées et qu'elles financent, à condition que les règles du jeu en matière de financement par la CNAF soient revues.

Or, la réforme programmée par la CNAF de la prestation de service unique, la PSU, qui doit entrer en vigueur le 1er janvier prochain, n'est pas adaptée aux modes de fonctionnement actuel et futur des structures d'accueil des jeunes enfants de zéro à trois ans.

Au 1er janvier prochain, la prestation de service unique deviendra le mode de relation conventionnel entre les collectivités locales et la CNAF.

La réforme de la prestation de service unique vise à rendre plus lisibles les financements de la CNAF et à simplifier les démarches des utilisateurs.

Tous les types de structure de la petite enfance sont concernés, que ce soient les crèches familiales, les haltes-garderies ou les centres multi-accueil.

La participation financière des familles sera calculée sur le fondement d'une tarification dans laquelle l'heure devient l'unité de référence pour tous les types d'accueil.

Un engagement contractuel sera formalisé pour l'année entre la structure d'accueil et la famille, qui paiera en fonction de son utilisation. Cela obligera chaque utilisateur à prévoir et à planifier ses besoins annuels en mode de garde.

Ainsi, à partir du 1er janvier prochain, toutes les structures de petite enfance devront organiser un accueil « à la carte ».

De ce fait, si la PSU permet a priori une meilleure adaptation des structures aux besoins des familles, cette réforme pose un problème financier majeur aux collectivités territoriales.

Optimiser l'utilisation des structures d'accueil nécessite de pouvoir maintenir les taux d'occupation des crèches. Pour cela, une parfaite adéquation entre les horaires de garde des structures d'accueil et les besoins réels des parents sera nécessaire. Or ceux-ci pourront être modifiés en permanence sur simple information des familles.

Il paraît presque impossible, dans ces conditions, de maintenir le taux d'occupation actuel des crèches. Il en résultera donc mécaniquement une baisse de l'activité des structures d'accueil, alors même que les personnels, eux, seront toujours présents, d'où une augmentation pour la collectivité des charges liées à la petite enfance, la PSU ne prenant en compte que les temps où les enfants sont présents, et non plus le temps d'ouverture de la structure.

Ce nouveau mode de fonctionnement entraînera par ailleurs, pour les services de la petite enfance, une forte augmentation de l'activité administrative, car chaque famille sera signataire d'un contrat d'utilisation individualisé et destinataire d'une facturation spécifique.

La CNAF s'est engagée à maintenir pendant trois ans les recettes des collectivités locales, afin que celles-ci intègrent progressivement la réforme. Cette garantie s'opérera cependant sur le fondement d'une activité constante, qui, nous l'avons vue, sera extrêmement difficile à maintenir.

Enfin, on peut également s'interroger sur la place qui sera laissée aux enfants dans cette nouvelle organisation, les familles risquant en effet de calculer au plus juste le temps de garde au détriment des temps d'échanges avec les professionnels.

Monsieur le ministre, les structures d'accueil de la petite enfance qui se sont développées sur l'initiative des collectivités territoriales sont unanimement reconnues comme étant les plus performantes en Europe. La réforme engagée de façon unilatérale par la CNAF, organisme paritaire national doté d'un pouvoir réglementaire qui s'impose aux collectivités territoriales, risque de mettre à mal la qualité du service public, de mettre en cause la politique familiale des communes, d'accroître lourdement le budget enfance de ces collectivités, tout en creusant les inégalités entre les familles en fonction de leurs revenus.

A l'heure actuelle, du fait de la menace qui pèse sur elles à court terme, les communes, tout en protestant contre cette réforme, tentent d'en contourner l'application en mettant en oeuvre des systèmes de calcul qu'elles empruntent aux plus habiles. Mais il ne s'agit là que d'un pis-aller provisoire.

Une révision de la réforme qui s'imposera le 1er janvier prochain est urgente, et c'est à l'autorité de tutelle de la CNAF, c'est-à-dire l'Etat, et donc le Gouvernement, de l'imposer afin de revenir à un mode de calcul respectueux du rythme de vie des familles et de la qualité du service public local.

Un tel dysfonctionnement pose la question de la légitimité d'un organisme qui, au nom d'un pouvoir financier qu'il détient de l'Etat, va à contre-courant des politiques publiques d'accueil de la petite enfance que les collectivités territoriales ont définies, mises en place et financées majoritairement et dont elles assument la responsabilité face aux usagers et aux personnels.

Dans ces conditions, monsieur le ministre, que devront faire les maires le 1er janvier 2005 ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Philippe Douste-Blazy, ministre. Monsieur le sénateur, vous soulevez la question de la prestation de service unique.

Depuis le 1er janvier 2002, cette prestation servie par les CAF est applicable à tous les établissements relevant du décret du 1er août 2000, quel que soit d'ailleurs le type d'accueil effectué.

Sur le plan philosophique, la réforme visait à revaloriser les prestations accordées aux haltes-garderies, à soutenir le multiaccueil et à faire fonctionner la mixité sociale.

Les objectifs de cette réforme ont été matérialisés dans l'article 8 de la convention d'objectifs et de gestion, couvrant la période 2001-2004, signée entre l'Etat et la CNAF.

Les modalités de mise en oeuvre ont, quant à elles, donné lieu à une phase importante de concertation, organisée dans le cadre de groupes de travail qui regroupaient la CNAF et l'ensemble des partenaires nationaux du secteur de la petite enfance.

A la suite de ces travaux, la CNAF a dégagé une première série de mesures pour tenter de résoudre les difficultés financières constatées, mesures portées à la connaissance de l'ensemble de son réseau par circulaire du 29 décembre 2003.

Ces mesures portaient essentiellement sur les éléments suivants : la conclusion avec les gestionnaires d'un contrat d'objectifs de passage à la prestation de service unique d'une durée de trois ans renouvelable afin de pérenniser le montant des financements acquis antérieurement à la mise en oeuvre de cette prestation ; la prise en charge financière de trois heures de concertation et d'accompagnement, par place et par an, pour financer une partie du travail des professionnels qui n'était pas pris en compte par le calcul horaire de la prestation de service ; la possibilité de réservation par plages horaires pour certaines places d'accueil et non plus uniquement par heure ; enfin, la possibilité de financer le recours à des logiciels de gestion pour la comptabilisation des heures d'accueil.

Cette démarche d'amélioration de la prestation de service par la prise en compte des réalités de terrain est au centre des préoccupations de la CNAF, qui a mis en place un comité partenarial de la petite enfance auquel l'Etat est associé.

Il va de soi que, si les difficultés venaient à persister malgré les aménagements apportés, le dispositif mis en place serait amendé en tant que de besoin. Tel est l'engagement que l'Etat envisage de demander à la CNAF de souscrire dans le cadre des négociations de la future convention d'objectifs et de gestion pour la période 2005-2008.

Qui plus est, l'Etat, soucieux de répondre aux souhaits que vous exprimez, ne manquera pas de proposer les amendements nécessaires pour permettre une meilleure adéquation des services aux besoins des familles, une amélioration des taux d'occupation et, enfin, le fonctionnement des structures dans de bonnes conditions financières.

Telles sont, monsieur le sénateur, les précisions que je suis en mesure de vous donner ; je tiens en outre à vous dire que je vais personnellement m'occuper de ce dossier. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Hugues Portelli.

M. Hugues Portelli. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse. Je veux simplement insister sur le fait que le problème se pose en ce moment même.

Tous les conseils municipaux délibèrent en effet actuellement pour mettre en oeuvre les nouvelles tarifications,...

M. Philippe Douste-Blazy, ministre. C'est vrai !

M. Hugues Portelli. ...et la CNAF exige de façon pressante la signature de conventions.

Certes, il est possible de signer des conventions de tarifs provisoires, mais ensuite il faudra négocier. Or, vous savez que, telle qu'elle est aujourd'hui structurée, l'organisation laisse aux CAF départementales une très large autonomie.

Ainsi, dans le département dont je suis l'un des représentants, le dialogue qui est prôné et auquel vous faisiez allusion n'existe pas : il est remplacé par des déclarations à caractère unilatéral, assorties de menaces portant sur les autres types de financement, que la CAF accorde d'ailleurs de façon de plus en plus parcimonieuse et sélective, qu'il s'agisse de dépenses de fonctionnement ou de dépenses d'investissement.

Je peux vous dire que le sport auquel se livrent actuellement les maires consiste à contacter tous leurs homologues de France et de Navarre pour savoir s'ils ont trouvé des moyens de contourner les règles de la CNAF, par exemple en calculant en journées les prestations que la CNAF veut calculer en heures !

Je ne citerai pas les noms des recordmen dans cette nouvelle discipline. On les trouve plutôt dans l'ouest de la France, mais, où qu'ils soient, tout dépend de la bonne volonté de leurs interlocuteurs paritaires. Lorsqu'ils ont la chance d'avoir des interlocuteurs, les choses se passent relativement bien ; lorsque ce n'est pas le cas, comme dans mon département, c'est beaucoup plus difficile, et je suis certain, monsieur le ministre, que vous serez amené à revoir la copie !

Deuxième partie
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2005
Etat C - Titres V et VI

M. le président. Nous allons procéder à l'examen et au vote des crédits figurant aux états B et C concernant le travail, la santé et la cohésion sociale : II.- Santé, famille, personnes handicapées et cohésion sociale.

État b

Titre III : 900 396 487 €.

M. le président. L'amendement n° II-9, présenté par M. Jégou, au nom de la commission des finances, est ainsi libellé :

Réduire ces crédits de 100 000 €.

La parole est à M. le rapporteur spécial.

M. Jean-Jacques Jégou, rapporteur spécial. Le présent amendement, adopté à l'unanimité par la commission des finances sur l'initiative de M. Michel Charasse, a pour objet de réduire de 100 000 euros les crédits accordés au Défenseur des enfants.

La commission a longuement débattu des observations faites par la Défenseure des enfants, Mme Claire Brisset, dans son rapport annuel d'activité pour 2004, rapport qui a suscité de vives réserves de la part de beaucoup de nos collègues. Je me contenterai ici d'en rappeler les grandes lignes.

D'abord, tout en indiquant que la politique de l'enfance menée par les départements est bien souvent remarquable et que la décentralisation a sans doute dynamisé cette politique, Mme Brisset estime que, dans certains départements, la politique de l'enfance ne se voit pas accorder la priorité politique qu'elle mérite et elle précise que le contrôle exercé par les élus du conseil général est lui aussi marqué d'une très grande hétérogénéité.

Ensuite, Mme Brisset relève les difficultés de coordination entre les actions du ressort de l'Etat et les actions du ressort du département ; elle regrette que l'Etat n'ait plus les moyens d'exprimer et de faire appliquer les options qu'il définit dans le domaine de l'enfance.

Par ailleurs, Mme Brisset estime que le Parlement devrait recevoir des départements une analyse de leur action dans le domaine de l'enfance et propose qu'une analyse chiffrée et qualitative de leur activité à cet égard figure chaque année en annexe de la loi de finances.

Enfin, Mme Brisset plaide en faveur de la mise en place d'un outil d'audit et de coordination des politiques départementales de l'enfance, estimant que cette mission devrait être confiée au Défenseur des enfants, ce qui nécessiterait une modification législative et, bien évidemment, un accroissement très important des moyens humains et matériels dont dispose l'institution.

Ces différentes mesures viseraient, selon elle, à établir un minimum d'égalité devant la loi et à faire réapparaître une cohérence qui n'aurait jamais dû disparaître.

La commission des finances s'est montrée réservée à l'égard de ces propositions et a examiné avec soins les moyens dont disposait le Défenseur des enfants.

Elle a ainsi pu constater, d'après les chiffres communiqués par Mme Brisset elle-même, que le Défenseur des enfants avait reçu en 2004 une somme de 115 000 euros destinée à faire face à des frais d'installation sur un nouveau site, dotation qui ne paraît pas devoir être reconduite chaque année.

C'est pourquoi la commission des finances propose une réduction des crédits de 100 000 euros, réduction modeste puisque cette somme est donc inférieure à celle qui a été dédiée en 2004 à l'installation sur un nouveau site. (M. le président de la commission des finances applaudit.)

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Philippe Douste-Blazy, ministre. Cela va être difficile ! (Sourires.)

J'ai conscience que, en demandant la réduction de l'effort budgétaire, la commission des finances soulève la question du rôle du Défenseur des enfants et de l'orientation des constats qu'il est amené à faire. Je sais en particulier que le rapport annuel pour 2004 a soulevé un certain nombre de critiques de votre part, mesdames, messieurs les sénateurs.

Je tiens à vous dire que la politique de la famille que le Gouvernement conduit ne tire pas son inspiration des seules propositions de cette autorité administrative indépendante, même si certaines d'entre elles méritent attention.

Comme vous le savez, lundi dernier, le Président de la République et le Premier ministre m'ont fait l'honneur de me confier la mission de conduire cette politique au sein du Gouvernement. Je souhaite m'y investir pleinement, en liaison étroite avec la CNAF et le milieu associatif.

J'entends donner immédiatement suite aux démarches engagées par Mme Roig, à qui je tiens à rendre hommage pour la détermination avec laquelle elle a mis en place des actions qui traduise notre ambition. Je recevrai en particulier dans les tout prochains jours les animateurs de la préparation de la conférence de la famille de manière à engager les travaux sans perdre de temps.

Dans ce contexte, mesdames, messieurs les sénateurs, je considère le rapport de la Défenseure des enfants comme une contribution qu'il convient, par définition, d'analyser et d'étudier.

En première analyse, monsieur le rapporteur spécial, j'estime que certains points de ce rapport méritent d'être approfondis. J'en citerai un à titre d'exemple.

Il est proposé que les départements rendent compte chaque année, en annexe de la loi de finances, de la mise en oeuvre de leurs compétences décentralisées.

Je rends hommage, monsieur le rapporteur spécial, aux conseils généraux pour le travail - considérable, on ne le dit pas assez - qu'ils accomplissent dans le domaine de l'enfance, mais, dans le même temps, j'ai le sentiment que ce n'est pas faire injure aux efforts accomplis par les départements dans ce domaine que d'estimer qu'une telle mesure pourrait être utile.

Cette proposition se rapproche en effet de demandes plus générales qui visent à une meilleure information sur les politiques de la santé, sur l'offre de soins et sur la solidarité, c'est-à-dire sur l'effort de la nation prise dans son ensemble, Etat, collectivités territoriales, sécurité sociale.

En termes de politique de la famille, une telle annexe mettrait en évidence l'effort important des conseils généraux, même si des disparités existent vraisemblablement entre départements.

En conclusion, je tiens à dire que, sous réserve du bon exercice du rôle qui lui est dévolu, la Défenseure des enfants apporte des éléments de réflexion stimulant dans le débat sur le perfectionnement de notre politique de la famille. Je ne pense pas que Mme Claire Brisset ait voulu dire du mal des conseils généraux, et je considère qu'il y a des éléments positifs dans ses observations.

J'ai bien compris que la somme de 100 000 euros correspondait à des crédits d'installation dont on peut en effet se demander s'ils doivent être reconduits. Dans le même temps, la charge de travail du Défenseur des enfants a augmenté...

Dans ces conditions, et eu égard à la gravité des problèmes auxquels sont confrontés de nombreux enfants aujourd'hui, tout en saluant de nouveau le travail des conseils généraux, je vous demande, au nom du Gouvernement, de bien vouloir retirer l'amendement, monsieur le rapporteur spécial.

M. le président. L'amendement est-il maintenu ?

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Mesdames, monsieur les ministres, mes chers collègues, vous avez bien compris que la proposition de la commission des finances était symbolique, et vous avez relevé que c'est à l'unanimité que cette dernière s'est prononcée dans le sens d'une restriction à hauteur de 100 000 euros des crédits.

Tout d'abord, monsieur le ministre, je vous remercie des paroles reconnaissantes que vous venez de prononcer à l'endroit des conseils généraux, qui, en matière de politique familiale et d'aide sociale à l'enfance, accomplissent au quotidien des tâches, sans doute discrètes et humbles mais qui vont à l'essentiel, dans des conditions extrêmement difficiles.

Je comprends bien qu'il faille s'efforcer de porter une appréciation sur ce qui s'accomplit ici et là, mais je veux vous rendre attentif au fait que la décentralisation ne saurait se résumer à de la simple sous-traitance.

Autrement dit, si l'Etat estime que la politique familiale est de sa responsabilité, qu'il l'assume et se dote des moyens de la conduire ; mais, dès lors que l'on demande à des collectivités territoriales d'accomplir une mission, on doit leur reconnaître la responsabilité de trouver les voies et moyens nécessaires pour les remplir.

La vigilance est nécessaire, bien sûr, mais je ferai observer que, pour porter un oeil exigeant sur l'action des conseils généraux, il y a, placés auprès du préfet dans chaque département, les services départementaux de la direction des affaires sanitaires et sociales. Je voudrais, monsieur le ministre, vous rendre attentif au fait que ces derniers ne disposent peut-être pas toujours des moyens dont ils auraient besoin pour accomplir leur tâche.

Il est trop simple de multiplier, dans notre République, les lieux d'observation et les hautes autorités - j'aurai tout à l'heure l'occasion de revenir sur l'une d'entre elles, qui est de création toute récente -, ou de créer un poste de Défenseur des enfants.

Que les médias se fassent l'écho de difficultés et que l'affaire agite l'opinion publique à l'échelle nationale, le politique réagit en créant une nouvelle institution ! C'est malheureusement parfois à la lisière de la gesticulation.

M. Jean-Louis Carrère. C'est de la gesticulation, de la gesticulation « à la Sarkozy » !

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Je veux donc mettre le Gouvernement en garde contre ce type de réaction, car les lendemains sont finalement assez décevants.

Dans le cas particulier, je rappelle que les départements doivent notamment faire face à la prise en charge des enfants étrangers. Sans doute parce que l'Etat ne parvient pas à contrôler les flux migratoires, parce que le recours à la demande d'asile est systématique, parce que l'OFPRA, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, a besoin de temps pour examiner les demandes, parce qu'en cas de refus il y a des commissions de recours et parce que les opérations de reconduite à la frontière ne sont pas suivies de succès - je n'ai en tout cas pas mémoire d'un seul exemple pour le département que je connais bien - , c'est de plus en plus difficile.

Nous nous trouvons là face à un véritable dysfonctionnement de l'Etat. Il suffit qu'un jeune étranger erre sans papiers dans les rues du chef-lieu de département, et qu'il se proclame mineur, pour que le juge le place sous la responsabilité du conseil général, lequel devra débourser pour son accueil en foyer entre 150 euros et 200 euros par jour. Comprenez donc bien que les conseils généraux sont confrontés à de réelles difficultés.

Nous ne sommes pas là pour remettre en cause Mme Claire Brisset, Défenseure des enfants, et, je l'admets, les observations critiques sont utiles ; vous-même, monsieur le ministre, avez indiqué que c'était stimulant.

Dans le cas particulier, la commission des finances entend exercer sa vigilance et souhaite que l'examen des fascicules budgétaires ne se réduise pas à une simple litanie, liturgie, léthargie, exercice dont on verrait vite les limites. J'ajoute que nous devons nous préparer aux nouvelles modalités de discussion des lois de finances, qui, sous l'empire de la loi organique sur les lois de finances, entreront en application à l'automne 2005.

Une somme de 100 000 euros, c'est bien peu, d'autant que seule une fraction des crédits prévus pour le changement de site aurait été consommée et que le solde aurait servi à créer des postes. Nous vous savons, monsieur, mesdames les ministres, trop attentifs au nécessaire contrôle des créations de poste pour rester insensibles à cet argument. Dans quelques jours, nous aurons d'ailleurs à nous prononcer sur un projet de loi organique sur les lois de finances, venant modifier à la marge la loi organique du 1er août 2001, dans lequel nos collègues députés ont prévu un strict contrôle des créations de poste financées non seulement par l'Etat dans les différents ministères mais également par des fonds publics d'Etat dans des organismes périphériques.

Le cas qui nous intéresse me fournit donc l'occasion de souhaiter que nous puissions évoquer avec la Défenseure des enfants, qui, dès le début de l'année 2005, aura toute latitude pour venir s'exprimer devant la commission des finances, les difficultés auxquelles elle pourrait se trouver confrontée.

Je crois pouvoir dire, sous le contrôle de M. le rapporteur spécial, que la commission des finances ne nous a pas autorisés à retirer cet amendement, qu'elle a adopté à l'unanimité.

Nous avons clairement entendu votre message, monsieur le ministre. Ne prenez pas notre position en mauvaise part : elle est non pas la marque d'une quelconque défiance, mais une manière de rappeler que, confrontés à des déficits et à une dette publique considérables, la meilleure politique que nous puissions conduire, y compris en termes de démographie, est de laisser à nos enfants un autre héritage qu'une montagne de dettes. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Claire-Lise Campion, pour explication de vote.

Mme Claire-Lise Campion. Je voudrais à mon tour, après M. le ministre et M. le président de la commission des finances, saluer le travail que les départements français accomplissent sur tout le territoire national en matière de protection de l'enfance, à travers leurs services d'aide sociale à l'enfance. Il ne viendrait à l'idée de personne de le critiquer, quelles que soient les difficultés qu'il comporte, et je sais de quoi je parle pour avoir l'honneur d'assumer, pour le département de l'Essonne, la responsabilité de la protection de l'enfance.

Vous me permettrez de revenir un instant sur le Défenseur des enfants, autorité indépendante, créée en mars 2000 et chargée de défendre et de promouvoir les droits de l'enfant, qui reçoit, par saisine directe, les réclamations individuelles tant des enfants mineurs que de leurs représentants légaux, dès lors qu'ils estiment que les droits de l'enfant n'ont pas été respectés. Elle joue un rôle très important puisque, depuis sa création, on a assisté à une augmentation régulière - 23 % en 2004 et 16 % en 2003 - du nombre des saisines directes.

Conformément à la loi, le Défenseur des enfants a aussi pour mission de mettre en place sur tout le territoire un maillage de correspondants territoriaux, indispensables pour faire directement remonter les difficultés rencontrées par certains enfants dans nos départements. Cet objectif n'a pas encore été atteint puisque la moitié à peine du territoire national est aujourd'hui couvert.

Il faut également savoir que, s'agissant de la promotion des droits de l'enfant, les moyens humains dont dispose cette autorité ne lui ont pas permis d'aller jusqu'au bout de sa mission. Il lui reste donc un certain nombre de tâches très importantes à accomplir.

Les 100 000 euros que la commission des finances propose de supprimer des crédits du Défenseur des enfants correspondent effectivement aux salaires de nouveaux collaborateurs. En effet, Claire Brisset, lorsqu'elle a reçu une dotation pour son changement d'implantation dans Paris, a fait le choix, en s'installant dans des locaux plus modestes, d'en économiser une partie et de l'employer à créer des postes. Pour l'un d'entre eux, on ne saurait parler de création de poste puisqu'il s'agit de pourvoir au remplacement d'une secrétaire, mise à disposition au démarrage par l'éducation nationale et qui, ayant réintégré son administration, n'a pas été remplacée.

Les deux autres postes ont, quant à eux, été effectivement attribués à des collaborateurs venus renforcer une équipe qui assume, comme je viens de vous l'expliquer, de très lourdes charges.

Le rôle et les missions du Défenseur des enfants ne sont pas contestables, ni d'ailleurs contestés par un seul d'entre nous. Ils sont, au contraire, très largement reconnus, y compris par l'ensemble des départements qui ont eu, durant toutes ces années, à travailler avec cette instance. Je pense donc nécessaire qu'en toute responsabilité nous fassions en sorte que la dotation proposée par le Gouvernement et défendue devant nous par M. le ministre soit intégralement maintenue, de manière que les services de Mme Claire Brisset continuent à travailler comme nous attendons qu'ils le fassent, et que l'ensemble des enfants en situation vulnérable trouvent auprès de la Défenseure des enfants, en premier lieu grâce aux services départementaux de l'aide sociale à l'enfance, des réponses à leurs difficultés.

Je vous remercie d'aller dans ce sens en repoussant cet amendement n° II-9.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. J'ai bien compris, madame Campion, que, comme vous venez de le confirmer, la Défenseure des enfants avait, en quelque sorte, contrevenu aux dispositions de la LOLF qui ouvre, conformément à ce qui s'appelle « la fongibilité asymétrique », la possibilité d'utiliser des crédits sous la condition de ne pas les affecter à des créations d'emploi. En effet, dans ce cas particulier, la Défenseure des enfants s'est servie de crédits susceptibles d'être affectés à d'autres charges de fonctionnement pour créer des emplois. En conséquence, j'aurais tendance à y voir, ne serait-ce que pour la forme et l'exemple, un argument supplémentaire en faveur de l'amendement.

Enfin, je suis tout à fait d'accord avec vous pour reconnaître que c'est sur le terrain que tout se joue : il faut toute l'implication des élus, de l'ensemble des travailleurs sociaux, des enseignants dans les écoles, dans les collèges pour qu'une relation de confiance permette, au quotidien, de signaler ceux des enfants qui pourraient faire l'objet de maltraitance. De la sorte, nous réussirons et nous assumerons infiniment mieux cette éminente responsabilité qu'en dotant de moyens supplémentaires le Défenseur des enfants.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Godefroy. J'entends bien tous les arguments techniques que vient de présenter M. le président de la commission des finances, mais je voudrais très gentiment lui faire observer que, si je peux partager son souci de ne pas reporter les dépenses sur les générations futures, il faudrait également l'avoir en tête s'agissant de la CADES, la caisse d'amortissement de la dette sociale. Ce serait alors « une autre paire de manches », car cela met en jeu des sommes bien supérieures à 100 000 euros...

Or, ce n'est pas à ce type de réactions que nous avons eu droit dans le cadre de l'examen du projet de loi relatif à l'assurance maladie et des dispositions du projet de loi de finances concernant la sécurité sociale ; pourtant les dépenses en jeu étaient sans commune mesure avec celles auxquelles s'intéresse l'amendement de M. Jégou !

M. François Autain. Très bien !

M. Jean-Pierre Godefroy. C'est un premier point !

Il en est un second qui concerne la réaction de la commission des finances, que vous me permettrez de qualifier, mes chers collègues, d'un peu « épidermique ». Il faut clarifier le problème avec la commission des finances, certes, mais aussi avec l'Association des départements de France et Mme Brisset, et le déconnecter du budget que nous examinons aujourd'hui. Si une explication doit avoir lieu, c'est en présence des parties concernées. Or, je n'ai pas encore eu l'occasion d'entendre Mme Claire Brisset, mais j'y reviendrai ultérieurement, monsieur le président.

En effet, puisque, d'une part, M. Arthuis vient de nous dire que la commission des finances doit entendre Mme Brisset au début de l'année, et que, d'autre part, j'ai été informé que la commission des affaires sociales la rencontrera pour examiner son rapport le 19 janvier, s'il y a des choses à dire, c'est alors qu'il conviendra de le faire.

Supprimer par anticipation, pour ne pas dire par rétorsion, ces 100 000 euros sur un budget de 1 957 000 euros ne me semble pas une bonne pratique, d'autant que cela ne visera pas tant Mme Brisset que toute la politique en faveur des enfants, ce qui serait tout à fait dommageable.

Je rappellerai, même si cela « gratte » un peu, que la Défenseure des enfants est tout de même dans son rôle puisque ses principales missions sont les suivantes : identifier les questions majeures, les dysfonctionnements éventuels et élaborer des propositions de réforme. Cela peut déranger, mais se discute et ne peut pas être rejeté d'un trait de plume.

En conséquence - ce sera peut-être une exception dans cette journée, mais après tout, pourquoi pas ? (Sourires) -, je considère que nous devons nous ranger à l'avis de M. le ministre. Aussi, pour ce qui les concerne, les membres socialistes de la commission des affaires sociales, dans leur majorité, voteront contre cet amendement de la commission des finances.

M. le président. La parole est à M. François Autain, pour explication de vote.

M. François Autain. Je pense, monsieur le président de la commission des finances, qu'en dépit de toutes vos explications vous aurez du mal à faire passer cet amendement pour autre chose qu'une sanction.

Je dois dire que cette démarche est assez mesquine, car, en exposant les reproches que vous adressez à la Défenseure des droits de l'enfant, vous ne vous êtes pas montré très convaincant. Mme Claire Brisset a en effet fait son travail dans d'excellentes conditions. Elle occupe aujourd'hui une fonction irremplaçable puisque, comme l'a indiqué précédemment ma collègue Mme Campion, on enregistre une augmentation régulière des saisines individuelles. Elle reçoit les réclamations des enfants. Elle promeut les droits de l'enfant, ce qui concerne essentiellement les conflits quant à l'autorité parentale et les conflits avec l'institution scolaire.

Certes, elle établit des rapports annuels qui sont généralement critiques et qui comportent des propositions pouvant déplaire ; mais je ne vois pas en quoi des propositions pourraient entraîner des réductions de crédits.

A cet égard, le dernier rapport n'échappe pas à la règle puisque la Défenseure des enfants y dénonce la place générale qui est faite aux droits de l'enfant en France, se faisant ainsi simplement l'écho du rapport très critique de l'ONU sur l'application par la France de la Convention internationale des droits de l'enfant.

Elle critique enfin l'absence de politique de l'enfance au niveau national depuis la décentralisation de l'assistance éducative. Il semble, en l'occurrence, que soit visée ici bien plus la politique nationale, incarnée par M. le ministre, que la politique des départements. J'observe pourtant que M. le ministre est contre cet amendement présenté par la commission des finances.

Devant cette situation, nous nous rangerons, comme nos collègues socialistes, à l'avis du Gouvernement, et nous voterons contre l'amendement de la commission des finances.

M. le président. La parole est à M. Bernard Cazeau, pour explication de vote.

M. Bernard Cazeau. J'aurai un discours différent de celui de mes collègues : une fois n'est pas coutume.

Je ne méconnais pas le rapport de Mme Claire Brisset. Je ne sais si tout le monde ici l'a lu : il est assez volumineux !

Je sais aussi que l'Assemblée des départements de France, à travers son président, Mme Claudy Lebreton, a réagi assez vivement à la manière dont certaines choses sont présentées dans ce rapport.

Manifestement, Mme Claire Brisset a rédigé son rapport sans véritablement rencontrer les conseils généraux - cela a déjà été dit. Peut-être en a-t-elle rencontré quelques-uns ayant connu des problèmes. Il y a en France cent conseils généraux qui, Mme Brisset le dit très bien, ne sont pas homogènes. Les problèmes rencontrés en Seine-Saint-Denis sont en effet différents de ceux qui peuvent exister dans la Creuse ou en Dordogne ; il faut prendre cela en compte.

Quand Mme Brisset parle de l'inégalité entre les départements, de l'utilisation à bon escient des finances, cela commence à « faire » : quand elle continue sur l'attitude politicienne de certains présidents de conseils généraux, cela « fait beaucoup » !

Il faut que Mme Claire Brisset s'informe, mais aussi qu'elle se rende compte que les travailleurs sociaux sont des gens formés, dévoués, et dont le métier n'est parfois pas facile, d'autant que, l'aide sociale à l'enfance étant cogérée par les conseils généraux et la justice - il ne faut pas l'oublier -, c'est cette dernière qui, très souvent, décide, et ce sont les conseils généraux qui exécutent.

Cette question est bien trop complexe pour être réduite à un rapport aussi simplificateur. Depuis 1983, nombre de conseils généraux ont pris leurs responsabilités et présentent des réussites à leur actif.

Je profite de cette occasion et de la présence dans cette enceinte de M. le ministre des solidarités, de la santé et de la famille et de Mme la secrétaire d'Etat aux personnes handicapées pour dire qu'il faudrait s'entendre sur ce qu'est la décentralisation. L'Etat veut-il appliquer cette décentralisation dans tous ses attendus ou veut-il cogérer un certain nombre des transferts effectués ?

Je citerai deux exemples : celui de l'enfance, dont le transfert est remis en cause aujourd'hui, et celui du handicap, pour lequel il est question de créer un GIP, ou groupement d'intérêt public, avec cogestion entre les associations et l'Etat. Nous savons comment ce genre de choses fonctionne....

Mais si l'Etat désire cogérer, il faudra, comme l'a d'ailleurs dit M. Arthuis, qu'il assume sa part des financements, ainsi que sa part des responsabilités, y compris la responsabilité pénale. En effet, les présidents de conseils généraux sont aujourd'hui obligés en permanence de se faire conseiller afin de se prémunir contre les risques liés à cette responsabilité pénale qui pend comme une épée de Damoclès au-dessus de leur tête.

Avant de rédiger un rapport de cette ampleur, il aurait été utile que Mme Claire Brisset rencontre l'Association des départements de France - elle va certainement le faire, puisque nous l'avons contactée - ainsi que le Sénat et l'Assemblée nationale.

Les enjeux actuels, ce ne sont pas ces 100 000 euros - monsieur le président de la commission des finances, permettez-moi l'expression, cela fait un peu « pingre » -, ce sont, d'une part, la prise en compte véritable et objective de l'enfance et, d'autre part, le rôle de l'Etat dans les transferts. Les collectivités locales vont-elles devoir tout prendre pour ensuite tout cogérer ? Si c'est le cas, monsieur le ministre, madame la secrétaire d'Etat, ne comptez pas sur les présidents de conseils généraux pour accepter. Cela sera en effet source de conflits, et rien ne fonctionnera. Je tenais à vous le dire officiellement aujourd'hui.

M. le président. La parole est à M. Paul Blanc, pour explication de vote.

M. Paul Blanc. L'amendement de la commission des finances présente un double aspect : la forme et le fond.

Le fond, c'est le rapport. Je pense pouvoir dire, au nom de l'ensemble de la commission des affaires sociales, qu'il est du ressort de cette dernière d'examiner ce rapport. Cela me paraît la moindre des choses. La commission des affaires sociales a été mise à contribution de manière considérable dans les six derniers mois. Elle a en effet examiné le projet de loi relatif à la politique de santé publique, le projet de loi de financement de la sécurité sociale, le projet de loi pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, et le projet de loi de programmation pour la cohésion sociale. Elle est donc prête à examiner un autre rapport, ...

M. Paul Blanc. ...qui est d'ailleurs tout à fait de son ressort. Je ne me prononcerai donc pas sur le fond, c'est-à-dire sur le rapport lui-même.

En revanche, sur la forme, il y va de la compétence de la commission des finances de savoir comment l'argent public est utilisé. Dès lors que le rapporteur et le président de la commission des finances nous disent qu'une somme - une somme assez importante, 115 000 euros -, affectée l'année dernière pour le déménagement et l'installation de cette institution, n'a pas été utilisée pour ce à quoi elle était destinée, je ne peux, sur la forme, que me rallier à leur position ; il est en effet ici question d'argent public, et notre devoir est de savoir exactement ce qu'il advient de l'argent public.

C'est pour cela que, à titre personnel, je voterai l'amendement ; mais, j'y insiste, je ne me prononce pas sur le fond !

M. le président. La parole est à M. Philippe Nogrix, pour explication de vote.

M. Philippe Nogrix. J'interviendrai sur quatre points : personnalisation et stigmatisation ; travail effectué et objectifs poursuivis ; mission ponctuelle ou pérennisée ; Etat ou décentralisation.

Je suis étonné que, dans cet hémicycle, on discute uniquement de savoir si Mme Claire Brisset a eu ou non raison. Ce n'est pas Mme Claire Brisset qui nous intéresse, mais bien le Défenseur des enfants, sur une mission qui lui a été confiée, ce qui me laisse supposer que l'on est en train de choisir le clan du « le » ou le clan du « la ». C'est quand même dommage, quand il s'agit de financement.

Si l'on ne veut pas personnaliser un débat, il faut éviter de le stigmatiser ; or j'aimerais, mes chers collègues, que vous compreniez bien à quel point les départements sont stigmatisés dans ce rapport. Pour l'élaboration de ce dernier, il n'y a eu aucune prudence, il y a eu sans doute de l'emportement, voire la volonté de créer l'événement.

Le travail effectué par le Défenseur des enfants était indispensable, et créer une telle fonction était sans doute nécessaire. Mais que reste-t-il aujourd'hui des objectifs poursuivis à l'origine ?

D'où mon troisième point : l'oeuvre du Défenseur des enfants devait-elle être ponctuelle ? Doit-elle être pérennisée ? Les financements doivent-ils être maintenus ? C'est sans doute la question que la commission des finances commence à se poser. Notre rôle, cette année, est de prévoir des financements en fonction d'objectifs. Ce sera encore plus vrai l'année prochaine, ce qui veut dire qu'il faudra essayer d'affecter les crédits en fonction de l'efficacité, de la réussite des missions concernées.

Le cadre de l'enfance maltraité, de l'enfance en danger, a été modifié. Sous l'impulsion de M. le ministre Christian Jacob, l'Observatoire national de l'enfance en danger a été créé. Tout cela doit-il se superposer ? Ce qui a été créé doit-il perdurer même si, depuis, à l'observation, en fonction des analyses, on estime qu'autre chose aurait pu être mis en place ?

Enfin, quand il s'agit de l'enfance, de l'enfance maltraitée qui plus est, est-ce véritablement sur l'événementiel, sur le réactionnel qu'il faut s'appuyer ? Ne faudrait-il pas faire preuve d'une certaine modestie, d'une certaine humilité ?

Plutôt que de toujours communiquer, il faudrait motiver les responsables. Les véritables responsables - c'est ce que nous avons voulu -, ce sont les départements, avec leurs services compétents, professionnalisés, et ce n'est sans doute pas en les stigmatisant que l'on réussira à les motiver.

La réduction des crédits n'a absolument rien à voir avec le contenu du rapport de Mme Brisset, Défenseure des enfants ; elle tient à la raison de leur affectation : les 115 000 euros votés l'année dernière étaient affectés à une mission exceptionnelle.

On voudrait réintroduire cette somme pour se plaindre de la baisse du taux d'augmentation des crédits, par rapport à l'année dernière. Je ne suis pas d'accord : ce n'est pas responsable. La responsabilité, c'est de dire que ces 115 000 euros n'interviennent plus dans les crédits octroyés à la mission confiée au Défenseur des enfants.

Enfin, monsieur le ministre, le Défenseur des enfants était sans doute nécessaire pour alerter et pour intervenir sur la question de l'enfance maltraitée. Aujourd'hui, c'est un protecteur et un promoteur de la famille qu'il est urgent d'instituer ! Et cela nécessite un accompagnement !

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Le protecteur des enfants, c'est M. Douste-Blazy ! (Sourires.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur spécial.

M. Jean-Jacques Jégou, rapporteur spécial. Mes chers collègues, je ne siège au Sénat que depuis deux mois. Je tiens à vous dire que je n'ai rien contre Mme Brisset. J'ai simplement essayé de faire mon travail de rapporteur spécial, alors même que nous votons pour la dernière fois le budget dans le cadre de l'ordonnance de 1959, et que, dès l'année prochaine, nous allons nous trouver sous l'emprise de la LOLF.

Or nous commençons bien mal, mes chers collègues - et je m'adresse à l'ensemble de l'hémicycle -, si nous ne prêtons pas attention à cet amendement qui est une véritable concrétisation de notre volonté de rendre la dépense publique plus efficace, dans une situation tout de même inconfortable, mesdames les ministres, monsieur le ministre, puisque le déficit budgétaire s'élève à 45 milliards d'euros.

Si nous avons opté pour cette nouvelle constitution financière que j'ai moi-même soutenue, c'est bien parce que nous nous devons de vérifier l'efficacité de la dépense publique.

En l'occurrence, il ne s'agit nullement de mesquinerie dans cet amendement, mon cher collègue, et vos propos me peinent. Je ne connais pas Mme Brisset ! Simplement, en étudiant son rapport, j'ai constaté qu'elle avait obtenu 115 000 euros pour emménager.

A ma connaissance, ce n'est pas une dépense reconductible, car un déménagement ne se reproduit pas tous les ans, sauf à révéler un problème de gouvernance !

J'ai même appris - et j'étais prêt à passer cette information sous silence si M. le président de la commission des finances n'avait pas, pardonnez-moi cette expression quelque peu triviale, « lâché le morceau » - que cette somme avait été utilisée à hauteur de 50 000 euros pour emménager et 65 000 euros pour créer des emplois.

Là, je dis non ! Si nous ne sanctionnons pas une telle pratique, nous ruinons toute la LOLF, car la « fongibilité asymétrique » est un mode de gestion parfaitement adapté à la maîtrise des dépenses publiques en matière de personnel.

Par conséquent, cet amendement n'est aucunement une sanction. Il relève au contraire de la mission première que nous, parlementaires de la majorité comme de l'opposition, avons l'honneur d'exercer, celle du contrôle des dépenses et de la politique du Gouvernement. (Mme Bernadette Dupont applaudit.)

Si nous ne veillons pas à l'application de la LOLF telle qu'elle nous sera proposée dans le cadre du projet de loi de finances pour 2006, demain risque d'être encore pire qu'aujourd'hui. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Carrère, pour explication de vote.

M. Jean-Louis Carrère. Je n'avais pas l'intention d'intervenir, mais je suis un peu troublé par les propos tenus par M. le rapporteur spécial, qui me rappellent un adage que l'on évoque dans la campagne chalossaise : « Qui veut tuer son chien l'accuse de la rage » !

Moi non plus je ne connais pas la Défenseure des enfants. Mais si nous nous intéressons vraiment aux difficultés de l'enfance et si nous sommes tous animés de bonnes intentions à l'égard de cette dame, nous gagnerions peut-être à la connaître un peu mieux !

M. Jean-Louis Carrère. Tout en essayant de préserver la forme - et je partage le souci de rigueur et de méthode du président de la commission des finances -, ne serait-il pas souhaitable de rencontrer Mme Brisset afin de rechercher, conjointement avec M. le ministre, des accommodements qui permettraient d'éviter de donner une apparence de désaveu ou de brimade à la protection de la forme ?

M. Jean-Louis Carrère. Dès lors, nous trouverions peut-être matière à vous suivre, monsieur le rapporteur spécial, sans penser à mal, et sans tenir des propos qui vous ont peiné, ce que je comprends. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Mes chers collègues, si nous n'avions pas déposé cet amendement, nous nous serions privés d'un débat tout à fait intéressant. Or ce qui fait le prix de nos échanges, c'est d'avoir des débats sur quelques questions, car, à l'évidence, nous ne pouvons pas tout traiter.

Sur le sujet qui nous occupe, nous avons évoqué le fond et la forme. Je veux vous libérer de toute interrogation qui, ce soir, pourrait susciter chez vous des insomnies. Ce serait contraire à la santé, monsieur le ministre ! (Sourires.) Vous l'aurez bien compris, il n'est pas dans l'intention de la commission des finances de traiter de mauvaise manière qui que ce soit.

Mais il s'agit là d'une question de méthode, qu'il est important pour le Parlement de respecter, dans un souci de clarification. La tâche du politique en sera d'ailleurs grandement facilitée

Si cet amendement est voté par le Sénat, il sera examiné en commission mixte paritaire le jeudi 16 décembre, puisque les dispositions adoptées respectivement par l'Assemblée nationale et le Sénat seront alors différentes sur ce point.

Je ne doute pas que, d'ici là, Jean-Jacques Jégou mettra en application au sein de la commission des finances du Sénat les bonnes habitudes qu'il avait déjà à l'Assemblée nationale - il a d'ailleurs déjà commencé à le faire - et que, en vertu de ses prérogatives, il ira procéder à un contrôle sur pièce et sur place et rencontrer Mme la Défenseure des enfants. Une décision, dont nous rendrons compte au Sénat, sera ensuite prise par la commission mixte paritaire.

Mais pour qu'il y ait cet échange avec les députés, encore faut-il que nous votions l'amendement. (M. Philippe Nogrix applaudit.)

En tout cas, il doit être parfaitement clair que cette disposition ne représente en aucune façon une brimade ou des représailles. Ce serait indigne !

M. Charles Pasqua. C'était pour que vous connaissiez cette dame ! (Sourires.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° II-9.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances, sur les crédits du titre III.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. La commission des finances a eu une tentation qui, si elle y avait cédé, aurait probablement prolongé ce débat de quelques minutes.

Nous avons en effet été tentés de déposer un amendement visant à comprimer les crédits mis à la disposition de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité.

Ces crédits s'élèvent en effet à 10,7 millions d'euros pour la première année, ce qui est très substantiel.

Au cours du débat instituant la Haute autorité, qui s'est tenu dans cette enceinte voilà deux semaines, le rapporteur, M. Lecerf, avait noté que les députés venaient de ramener ce montant à 9 millions d'euros. Mais l'Assemblée nationale, au fil de ses réflexions, a finalement, après une seconde délibération, rétabli les crédits alloués initialement à la Haute autorité, ce que le Sénat ignorait au moment où il s'est prononcé en faveur de la création de cette instance.

Mes chers collègues, je veux vous rendre attentifs au fait que, selon les prévisions budgétaires, les crédits qui seront mis à la disposition de ladite Haute autorité passeront de 10 700 000 euros à 11 423 000 euros la deuxième année - 2006 - et à 14 380 000 la troisième année - 2007 -, ce qui représente une progression très significative.

Or, sans être une sous-médiature, cette Haute autorité reprend d'une certaine façon des prérogatives qui relevaient, pour une partie, du Médiateur de la République et, pour l'autre, des autorités judiciaires et d'un certain nombre d'organismes publics et parapublics qui ont été mis en place pour lutter contre toutes les formes de discriminations et de manquements aux exigences d'égalité républicaine.

La tentation a donc été forte, pour les motifs que vous comprendrez bien, liés au niveau du déficit public, de vous proposer de réduire significativement cette ligne de crédits.

Toutefois, ayant réfléchi une fois encore sur la question, nous avons décidé de faire confiance au Gouvernement, et en particulier à Mme Nelly Olin, en charge de ce budget, pour faire en sorte que, d'ici à l'année prochaine, des mesures soient prises pour contenir cette dérive, d'autant que la Haute autorité s'est dotée d'un statut totalement indépendant qui tend à en restreindre le contrôle.

Madame la ministre, si vous pouviez nous apporter quelques apaisements, vous feriez peut-être disparaître le scrupule que j'ai encore de ne pas avoir demandé à la commission des finances de déposer un amendement.

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Nelly Olin, ministre déléguée. Monsieur le président de la commission, je vous remercie d'avoir exposé le point de vue de la commission des finances sur cette question qui relève de sa compétence et, à cette occasion, je tiens à rendre hommage au travail que vous accomplissez.

Les dotations accordées à la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité permettront le démarrage de cette instance à laquelle le Président de la République est très attaché, dans notre pays qui connaît, malheureusement, des discriminations chaque jour plus fortes et plus dures.

Mais il s'agit de finances publiques, et le Gouvernement est évidemment tout à fait favorable à un contrôle des finances de cette Haute autorité, compte tenu du volume important de crédits qui lui sont alloués.

M. le président. Je mets aux voix, modifiés, les crédits figurant au titre III.

(Ces crédits sont adoptés.)

Titre IV : moins 903 448 693 € 

M. le président. La parole est à M. François Autain.

M. François Autain. Monsieur le ministre, je souhaite vous interroger sur les crédits affectés aux agences régionales de l'hospitalisation, ou ARH, dont on doit déplorer la régression par rapport à 2004.

J'aimerais savoir, en particulier, si une partie de cette enveloppe est réservée aux soins palliatifs et, plus généralement, connaître le montant des crédits qui sont affectés à ces derniers en 2005, dans le cadre du plan quadriennal qui s'achève dans un an.

Cette synthèse nous serait d'un grand secours, car elle me semble indispensable si l'on veut y voir clair. En effet, ces crédits sont disséminés dans plusieurs budgets, ou divers plans, au sein d'agrégats où ils ne sont pas toujours identifiables. J'ajoute que vos rares déclarations sur ce sujet, loin d'apporter les éléments nécessaires à une meilleure compréhension de la politique du Gouvernement, contribuent souvent à la rendre au contraire plus opaque.

C'est ainsi que, lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale dans cette enceinte, vous avez renvoyé l'examen de deux amendements ayant trait aux soins palliatifs, présentés par deux de nos collègues, à la discussion de la proposition de loi sur la fin de vie, à l'occasion de laquelle, aviez-vous déclaré, cette question pourrait être largement débattue. Or, quelques jours plus tard, précisément au cours de l'examen de la proposition de loi par l'Assemblée nationale, vous avez indiqué que le sujet des soins palliatifs ne donnait pas matière à débat et que, s'il existait des problèmes de financement des soins palliatifs, la faute en incombait aux ARH.

Or, la situation est loin d'être satisfaisante : chaque année, sur 150 000 à 200 000 personnes qui relèveraient de soins palliatifs, seules 5 000 peuvent y accéder.

Le nombre de lits de soins palliatifs n'a pas sensiblement augmenté par rapport à mai 2001, terme du plan triennal lancé par le gouvernement précédent. L'on en dénombrait 1 040 à cette date, contre un millier aujourd'hui, ce qui signifie que la situation se serait plutôt dégradée. Et encore suis-je bienveillant à l'égard du Gouvernement, puisque la lettre de la Société française d'accompagnement et de soins palliatifs, publiée cet été, en recensait seulement 772, répartis dans 78 unités de soins palliatifs, ou USP.

De surcroît, vingt-trois centres hospitaliers universitaires, CHU, sur trente et un ne possèdent toujours pas d'USP, trois régions métropolitaines en sont totalement dépourvues, onze départements ne disposent d'aucune équipe mobile et cinquante-huit départements seulement ont un réseau de soins palliatifs.

Monsieur le ministre, face à cette situation préoccupante, qui a peu de chances d'être profondément modifiée dans un an, l'on peut déjà affirmer que le plan quadriennal 2002-2005 que le gouvernement auquel vous appartenez est chargé de mettre en oeuvre est d'ores et déjà un échec et que, cinq ans après avoir été votée, la loi du 9 juin 1999 n'est toujours pas appliquée.

Je conclurai en disant qu'il s'agit là d'un triste bilan dont il vous sera difficile d'imputer la responsabilité au gouvernement qui vous a précédé !

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Philippe Douste-Blazy, ministre. Monsieur le sénateur, vous posez la question de la loi sur la fin de vie. Comme vous le savez, le 26 novembre dernier, l'Assemblée nationale a adopté à l'unanimité - 548 votes pour et 3 abstentions -, avec le soutien du Gouvernement, une proposition de loi, de tous les groupes parlementaires réunis, pour la mort dans la dignité, visant à donner à chaque personne consciente la possibilité, lorsque tout est fini et qu'il n'y a plus d'espoir, de choisir entre la pompe à morphine ou l'acharnement thérapeutique.

C'est la voie française. Nous n'autorisons pas l'euthanasie comme aux Pays-Bas ou en Belgique, et nous n'optons pas non plus pour l'hypocrisie du statu quo. J'espère que la Haute Assemblée aura très prochainement l'occasion de se prononcer sur cette proposition de loi.

Cette proposition de loi concerne non seulement ce sujet, mais également les soins palliatifs. Vous avez raison de le souligner, monsieur Autain, il est évident qu'il ne sert à rien de donner le choix aux personnes concernées si une structure de soins palliatifs n'est pas prévue à cet effet. En 1999, Bernard Kouchner avait présenté un projet de loi similaire.

Monsieur Autain, je me suis simplement permis de dire que cette proposition de loi devra faire l'objet d'une évaluation agence régionale de l'hospitalisation par agence régionale de l'hospitalisation. En effet, il est bien de voter des crédits au niveau central mais si, au niveau des agences régionales de l'hospitalisation, les crédits sont affectés, notamment dans les CHU, à d'autres domaines que la gériatrie, les soins palliatifs ou les urgences, les plans prévus ne pourront pas être effectifs.

Je soulignerai trois points. Les unités mobiles de soins palliatifs ne sont pas assez nombreuses, et vous avez eu raison de le souligner, monsieur Autain.

Par ailleurs, nous allons créer, au cours des trois prochaines années, 1 980 places en unités de soins palliatifs. Notre objectif est d'atteindre cinq places pour 100 000 habitants, afin d'offrir à tous les Français la possibilité de bénéficier de ces structures.

Enfin, nous ne voulons pas créer un lieu spécifique où les gens iraient mourir ; ce serait horrible. Nous voulons simplement que, dans chaque maison de retraite spécialisée et médicalisée, dans chaque établissement hospitalier, des petites unités humaines de soins palliatifs soient mises en place.

S'agissant des chiffres, monsieur Autain, je prends l'engagement de vous répondre très prochainement par écrit.

Etat B - Titres III et IV
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2005
Art. 77

M. le président. Je mets aux voix les crédits figurant au titre IV.

(Ces crédits sont adoptés.)

État C

Titre V. - Autorisations de programme : 35 360 000 € ;

Crédits de paiement : 18 839 000 €.

M. le président. Je mets aux voix les crédits figurant au titre V.

(Ces crédits sont adoptés.)

Titre VI. - Autorisations de programme : 35 483 000 € ;

Crédits de paiement : 7 283 000 €.

M. le président. Je mets aux voix les crédits figurant au titre VI.

(Ces crédits sont adoptés.)

M. le président. J'appelle en discussion les articles 77 à 79 qui sont rattachés pour leur examen aux crédits affectés à la santé, à la famille, aux personnes handicapées et à la cohésion sociale.

II. - Santé, famille, personnes handicapées et cohésion sociale

Etat C - Titres V et VI
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2005
Art. additionnel après l'art. 77

Article 77

I. - A. - A l'article L. 245-7 du code de la sécurité sociale, les mots : « de la Caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés » sont remplacés par les mots : « du Fonds de financement de la protection complémentaire de la couverture universelle du risque maladie mentionné à l'article L. 862-1 ».

B. - Après le c de l'article L. 862-3 du même code, il est inséré un d ainsi rédigé :

« d) Le produit de la cotisation mentionnée à l'article L. 245-7. »

C. - Le changement d'affectation prévu au A et au B s'applique aux sommes à percevoir à compter du 1er janvier 2005.

II. - Au III de l'article L. 862-4 du même code, la somme : « 75 € » est remplacée par la somme : « 76,13 € ».

III. - A l'article L. 862-6 du même code, les mots : « de la déduction » sont remplacés par les mots : « des déductions ».

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy, sur l'article.

M. Jean-Pierre Godefroy. La couverture maladie universelle complémentaire, la CMUC, assure le bénéfice d'une complémentaire santé à plus de 4,8 millions de personnes. Elle est aujourd'hui financée par une contribution provenant des organismes de protection complémentaire et par une dotation d'équilibre qui est versée par l'Etat.

En 2005, le nombre de bénéficiaires devrait s'accroître, 300 000 enfants supplémentaires devant bénéficier de la CMUC.

Afin de financer ces mesures, le Gouvernement nous propose d'utiliser l'intégralité du rendement de la cotisation sur les boissons alcooliques de plus de 25 degrés, soit 370 millions d'euros, un rendement qui était précédemment affecté à la Caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés, la CNAMTS.

Alors que le budget de la sécurité sociale atteint un déficit sans précédent, le Gouvernement détourne, avec cet article, une partie importante des droits sur les alcools au profit du budget de l'Etat, alors que ceux-ci devraient revenir à l'assurance maladie.

Les prélèvements sociaux vont augmenter de 6,5 milliards d'euros en 2005, et le Gouvernement retire à l'assurance maladie la cotisation qu'elle percevait sur les boissons de plus de 25 degrés, dont le bénéfice devrait inévitablement lui revenir, puisqu'il s'agit d'une mesure de santé publique !

Comme l'a souligné M. Alain Vasselle dans son rapport sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale, cette mesure n'est pas sans incidence sur l'assurance maladie, puisqu'elle la privera d'une recette historique : 370 millions d'euros.

De plus, il faut le dire, cette mesure est présentée un peu en catimini et avec une grande opacité. En effet, elle est indiquée de manière incidente dans l'annexe C du projet de loi de financement de la sécurité sociale, alors même qu'il s'agit d'un élément budgétaire nouveau. Comme l'a souligné notre collègue Alain Vasselle, ce transfert de recettes est contredit par l'annexe « jaune » relative au bilan des relations financières entre l'Etat et la sécurité sociale, selon laquelle le produit de la taxe sur les boissons alcoolisées demeure affecté à la CNAM !

M. Bernard Perrut, rapporteur à l'Assemblée nationale sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale, note ceci : « Les droits sur l'alcool : un bon exemple de mauvaise lisibilité des comptes sociaux. »

La complexité de ces transferts est reconnue par tous. Monsieur le ministre, j'aimerais que vous puissiez nous fournir quelques explications en la matière.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Philippe Douste-Blazy, ministre. Le fonds CMU financera, à hauteur de 200 millions d'euros, des mesures nouvelles visant à octroyer l'ouverture de la CMU à 300 000 enfants qui sont au-dessous du seuil de pauvreté -cette mesure a été annoncée par M. le Premier ministre - et à créer le crédit d'impôt inscrit dans la loi relative à l'assurance maladie qui est ouvert, au titre des contrats d'assurance complémentaire de santé individuels, pour les personnes dont les revenus sont compris entre le plafond de ressources de la CMU et ce même plafond majoré de 15 %.

Le fonds CMU bénéficiera d'un versement de la CNAM de 100 millions d'euros, qui correspond au financement de la moitié des mesures nouvelles. En outre, il obtiendra des ressources nouvelles, à hauteur de 370 millions d'euros, par le biais du transfert de la taxe sur les alcools forts, qui était précédemment affectée à la CNAM. En contrepartie, la dotation de l'Etat diminue de 286 millions d'euros. Le fonds CMU est donc financé en 2005.

Concernant la CNAM, la perte de recettes de 370 millions d'euros sur les alcools forts sera compensée par la prise en charge, par l'Etat, des crédits de décentralisation versés aux écoles de formation, soit un montant annuel de 350 millions d'euros.

Ce transfert ne prendra effet qu'au milieu de l'année 2005. Pour compenser en grande partie la charge qui incombera encore à la CNAM en 2005, des droits sur les tabacs lui seront affectés à concurrence de 90 millions d'euros. L'opération sera donc totalement neutre en année pleine.

M. Jean-Pierre Godefroy. Ce sera totalement compensé ?

M. le président. Je mets aux voix l'article 77.

(L'article 77 est adopté.)

Art. 77
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2005
Art. 78

Article additionnel après l'article 77

M. le président. L'amendement n° II-33, présenté par M. Etienne, est ainsi libellé :

Après l'article 77, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le remboursement des actes réalisés par télémédecine, au sens de l'article 32 de la loi n° 2004-810 du 13 août 2004 relative à l'assurance maladie, fait l'objet d'une tarification particulière par la caisse nationale d'assurance maladie.

La présente disposition sera applicable à compter de mars 2005.

Cet amendement n'est pas soutenu.

Art. additionnel après l'art. 77
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2005
Art. 79

Article 78

L'article L. 6213-4 du code de la santé publique est ainsi modifié :

1° Au deuxième alinéa, les nombres : « 1140 » et « 1300 » sont respectivement remplacés par les nombres : « 1715 » et « 1955 » ;

2° Les mots : « redevance forfaitaire » et « redevance » sont remplacés par le mot : « taxe ». - (Adopté.)

Art. 78
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2005
Défense

Article 79

L'article L. 1123-8 du code de la santé publique est complété par trois alinéas ainsi rédigés :

« Toute demande d'autorisation mentionnée au présent article pour une recherche portant sur les produits mentionnés à l'article L. 5311-1 donne lieu, au profit de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, à la perception d'une taxe à la charge du demandeur.

« Le barème de cette taxe est fixé en fonction du type d'essai clinique, dans la limite d'un montant maximal de 4 600 €, par un arrêté conjoint des ministres chargés de la santé, du budget et de la recherche. Pour les demandes relatives à des projets dont le promoteur est une personne physique ne poursuivant pas de but lucratif, un organisme public de recherche, une université, un établissement public de santé ou un établissement de santé privé participant au service public hospitalier ou un établissement public, le montant exigé sera limité à 10 % du taux applicable selon le barème de la taxe.

« La taxe est recouvrée selon les modalités prévues pour le recouvrement des créances ordinaires des établissements publics administratifs de l'Etat. » - (Adopté.)

M. le président. Nous avons achevé l'examen des dispositions du projet de loi de finances concernant la santé, la famille, les personnes handicapées et la cohésion sociale.

Défense

Art. 79
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2005
Rappel au règlement (début)

M. le président. Le Sénat va examiner les dispositions du projet de loi de finances concernant le ministère de la défense.

J'indique au Sénat que, pour cette discussion, la conférence des présidents a opté pour la formule fondée sur le principe d'une réponse immédiate du Gouvernement aux différents intervenants, rapporteurs ou orateurs des groupes.

Ainsi, Mme le ministre répondra immédiatement et successivement aux deux rapporteurs spéciaux, puis aux cinq rapporteurs pour avis, puis au président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, et enfin, à chaque orateur des groupes.

Ces réponses successives se substitueront à la réponse unique en fin de discussion.

Chacune des questions des orateurs des groupes ne devant pas dépasser cinq minutes, le Gouvernement répondra en trois minutes à chaque orateur, ce dernier disposant d'un droit de réplique de deux minutes maximum.

J'invite chaque intervenant à respecter l'esprit de la procédure, qui repose sur des questions précises et en nombre limité, et les temps de parole impartis.

La parole est à M. Jean-Pierre Plancade, pour un rappel au règlement.

Défense
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2005
Rappel au règlement (suite)

M. Jean-Pierre Plancade. Madame la ministre de la défense, je le sais, vous avez beaucoup travaillé et vous vous êtes battue pour défendre ce projet de budget. Vous avez dû batailler contre Bercy, car il n'est pas facile, dans notre pays, d'obtenir des crédits supplémentaires.

Cependant, au-delà de la hausse générale des crédits qui marque ce projet de budget, nous aurions souhaité débattre avec vous plus longuement et plus précisément des différents choix qui y sont opérés, avec les nuances qui s'imposent dans un budget aussi difficile que celui-là. Malheureusement, nous ne pourrons pas le faire, et ce en vertu d'un règlement que le Sénat s'est imposé lui-même.

Au nom de mes collègues socialistes membres de la commission des affaires étrangères, de la défense, et des forces armées, je souhaite ici exprimer notre désapprobation à l'égard de l'organisation, en séance publique, du débat relatif aux crédits de la défense, dont l'ampleur justifierait qu'un temps de parole accru soit accordé à tous les groupes politiques, à la place du débat tronqué, parcellaire, qui est actuellement en vigueur.

Déjà en 2003 et en 2002, en pareille circonstance, mon collègue Didier Boulaud avait regretté un tel choix de procédure pour ce débat budgétaire.

En effet, sur une question aussi sérieuse et importante que la défense et la sécurité, mobilisant, je vous le rappelle, le deuxième budget de la République - un budget qui s'élève à quelque 33 milliards d'euros -, nous avons pour nous exprimer, en tout et pour tout, quatre petites questions de cinq minutes chacune, associées, avec une générosité extraordinaire, à un droit de réplique de deux minutes ! Ce faible temps de parole pose problème lorsqu'on sait, par ailleurs, que les rapports et les avis budgétaires sont accaparés par la majorité !

Est-ce bien raisonnable, mes chers collègues ? Est-ce bien convenable, et, j'ose le dire, est-ce bien juste ?

Qui plus est, comment expliquer une telle situation quand on constate avec regret qu'il s'agit là d'une singularité du Sénat ? De toute évidence, nos collègues de l'Assemblée nationale n'ont pas subi le même sort, et j'en suis rassuré. Tous les députés, quelle que soit leur appartenance politique, ont largement eu le temps de s'exprimer et d'engager un échange réel avec le Gouvernement sur ce projet de budget.

Par notre comportement - nous avons nous-mêmes opté pour cette procédure -, n'accréditons pas l'idée selon laquelle il existe une différence patente entre les deux chambres de notre République. Le Sénat n'est en aucune façon une assemblée de seconde zone. Cette position, je le sais, est partagée ici par tous les sénateurs, quelles que soient les travées sur lesquelles ils siègent.

Toutefois, nous avons voté un règlement qui nous contraint à suivre une procédure particulière, diminuant notre temps de parole. Je comprends que le temps de parole soit précieux pour tout le monde ; néanmoins, si une telle procédure pourrait peut-être se concevoir s'agissant d'autres budgets, il ne peut en être question pour le deuxième budget de la République !

Nous n'avons pas souvent l'occasion de débattre, en séance publique, des questions relatives à la défense et à la sécurité, à l'équipement de nos armées, au moral des 347 000 femmes et des hommes qui consacrent leur vie à la défense de notre pays et à l'aide de nombreuses populations à l'étranger, aux industries de l'armement qui emploient des milliers de salariés, et encore, par exemple, à l'action de nos services de renseignements. Je sais, madame la ministre, vos efforts pour transformer l'image de cette institution dans l'esprit de nos concitoyens.

Quoi qu'il en soit, nous réclamons aujourd'hui, et avec force, que le débat budgétaire, et notamment celui relatif à la défense, fasse l'objet d'une procédure normale.

Je sollicite le président de notre commission, que je sais concerné par cette situation, et vous, monsieur le président de séance, pour transmettre cette requête, qui, je le crois, est largement partagée sur toutes les travées de cet hémicycle. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à Mme Hélène Luc, pour un rappel au règlement.

Rappel au règlement (début)
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2005
Défense

Mme Hélène Luc. L'organisation du débat relatif au budget de la défense est tronquée par une procédure que ni M. le président du Sénat ni vous-même, madame la ministre, semble-t-il - mais vous nous donnerez votre position -, ne voulez changer, et nous en sommes donc réduits à vous poser des questions.

Le rôle du Parlement, et donc des groupes parlementaires, est de donner sa position sur vos projets et d'émettre un vote ; les ministres sont au banc du Gouvernement pour confronter leurs projets à nos propositions, mais encore faut-il que l'organisation du débat le permette !

Madame la ministre, dans la presse, à la télévision, au sein de la Commission européenne, se déroulent des débats, et des projets se profilent. Nous allons, par exemple, discuter d'un projet de loi relatif au statut des militaires alors même qu'un grand débat national sur la politique nationale de défense et de notre industrie d'armement n'aura pas été organisé à l'Assemblée nationale, ni au Sénat.

Madame la ministre, quand aurons-nous ce véritable débat ? Je voulais poser la question en cet instant, parce que, selon moi, le rôle du Parlement en matière de défense nationale appelle un vrai débat devant le Parlement ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je rappellerai que c'est la conférence des présidents qui, sur ma proposition, au nom de la commission des finances, a opté pour ce mode de discussion.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Nous sommes en effet réunis pour débattre d'un projet de loi de finances, d'un budget, et pas forcément pour engager un débat de fond sur la politique étrangère ou de défense.

Mme Hélène Luc. Eh bien voilà, c'est clair !

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Il a été fait référence à l'Assemblée nationale ; mais il n'est dit nulle part que le Sénat doit être le clone de l'Assemblée nationale,...

M. Didier Boulaud. Cela ne risque pas !

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. ...faute de quoi on aurait tôt fait de démontrer qu'il y a sans doute une assemblée de trop !

M. Jacques Peyrat. Absolument !

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Le Sénat peut avoir son expression originale.

M. Jean-Pierre Plancade. Si l'on n'entrave pas la démocratie !

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Je me permets d'émettre une hypothèse, mes chers collègues : les discussions budgétaires sont objectivement affectées par leur déroulement, pendant trois semaines, selon un mode qui peut s'apparenter à de la télécommande. Quel en est le résultat ?

Nous avons donc fait le choix de rendre les débats interactifs. Nous ne sommes pas là pour entendre les discours de ministres que nous avons déjà entendus dans d'autres assemblées. Nous lisons les journaux, nous nous informons au travers des médias, et nous souhaitons que l'échange soit un peu vivant,...

M. Didier Boulaud. Quand l'opposition n'a pas la parole, c'est plus vivant !

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. ...interactif, quelquefois dérangeant, afin de sortir des conventions.

La commission des finances du Sénat a la chance de pouvoir désigner des rapporteurs parmi les représentants de tous les groupes.

M. Didier Boulaud. Ce n'est pas vrai !

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Ne confondez pas les commissions saisies pour avis et la commission des finances !

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Au sein de la commission des finances, j'affirme que tous les commissaires sont rapporteurs spéciaux.

M. Didier Boulaud. Ce n'est pas le cas pour la défense !

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Bien entendu, cela ne signifie pas que tous les groupes sont représentés pour chaque rapport. Nous nous répartissons les rapports. Voilà comment cela se passe !

M. Jean-Pierre Plancade. Mais ce n'est pas réparti de façon proportionnelle !

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. De surcroît, je vous rends attentifs au fait que, dès l'année prochaine, nous discuterons sur la base de la loi organique relative aux lois de finances, c'est-à-dire mission par mission et non plus département ministériel par département ministériel. Nous allons donc devoir imaginer ensemble une autre procédure, aussi interactive que possible, qui donne lieu à un véritable échange entre le Gouvernement et le Parlement.

M. Didier Boulaud. Si c'est pour que le Gouvernement reste avec sa majorité, ce sera beaucoup plus interactif !

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Nous avons donc fait le choix d'une discussion interactive, choix que j'ai cru devoir rappeler, compte tenu des deux rappels au règlement que nous venons d'entendre.

M. Didier Boulaud. C'est une pantalonnade !

Rappel au règlement (suite)
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2005
Rappel au règlement

M. le président. Nous en venons maintenant aux dispositions du projet de loi concernant le ministère de la défense.

La parole est à M. Yves Fréville, rapporteur spécial.

M. Yves Fréville, rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation, pour l'exposé d'ensemble et les dépenses en capital. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi, au moment où s'ouvre cette discussion budgétaire, de rendre d'abord hommage à tous les militaires français qui servent hors de France et particulièrement en Côte d'Ivoire, à leur professionnalisme, à leur sens de l'honneur militaire, et d'être en communion de pensée avec leurs familles, dont certaines sont si durement éprouvées.

Le budget de la défense s'élève globalement à 42,4 milliards d'euros, pensions comprises, en progression de 2,6 % à structures constantes. Pour rappeler le contexte budgétaire, j'ai le regret de vous dire que le budget affecté à la charge de la dette a égalé, cette année, celui des dépenses militaires.

Le budget des armées a cette particularité de s'inscrire dans le temps. A ce sujet, je limiterai mon propos à deux questions : ce budget consolide-t-il la remise à niveau de notre effort militaire ? Prépare-t-il à l'efficacité qu'exigera désormais du Gouvernement et du Parlement la loi organique relative aux lois de finances, la LOLF ?

Ce budget s'inscrit dans le temps, disais-je ; je l'envisagerai donc sous l'angle de la planification à long terme, de la programmation à moyen terme et de la budgétisation à court terme.

Sur le plan de la planification à long terme, tout d'abord, ce budget s'inscrit dans le cadre du modèle d'armée 2015, qui prenait acte du premier choc stratégique que fut, après la chute du mur de Berlin, la prise de conscience du développement de crises multidirectionnelles. De ce fait, nous évoluons, grâce à la professionnalisation, vers la création d'une armée de projection de forces.

Ce modèle d'armée absorbe cette année quelque 2 % du produit intérieur brut, 1,75 % seulement si l'on défalque la part de la gendarmerie affectée à la sécurité civile. C'est plus que l'Allemagne, qui ne dispose pas de dissuasion nucléaire, mais moins que la Grande-Bretagne, qui y consacre 2,4 % de son PIB, et évidemment beaucoup moins que les Etats-Unis.

Mais nous conservons la garantie nucléaire pour nous protéger - je schématise - des risques engendrés par des Etats voyous. Elle représente encore 20,7 %, soit le cinquième, des crédits du titre V.

Ma première question - et je me fais l'écho, à cette occasion, de l'opposition - est la suivante: est-il nécessaire de maintenir cette force de dissuasion ?

Tout le monde s'accorde à reconnaître la logique de la mise en chantier du quatrième sous-marin lanceur d'engins de nouvelle génération, le SNLE-NG, le Terrible, pour assurer la présence à la mer permanente de notre force. En revanche, certains se demandent s'il ne conviendrait pas de réduire le programme M 51. Pour ma part, je ne le pense pas, mais je serais heureux, madame la ministre, que vous puissiez nous expliquer pourquoi, pour allonger la frappe et miniaturiser les missiles, cet effort demeure nécessaire.

Ma deuxième question, toujours en matière de planification, a trait aux attentats du 11 septembre 2001. Avons-nous tiré toutes les conséquences du deuxième choc stratégique que constitue la menace terroriste ? Dans ce budget, vous avez à juste titre développé les crédits destinés au renseignement, en particulier en termes de personnel. Cependant, ne faudra-t-il pas un jour développer les moyens humains nécessaires à la lutte antiterroriste, l'armée n'étant naturellement pas la seule concernée ?

J'en viens maintenant à la programmation à moyen terme. Sur ce plan, le mérite du budget est simple et clair, à savoir le respect des engagements de la loi de programmation militaire, malgré les difficultés budgétaires. Après la remise à flot de près de 10 % du budget en 2003 et en 2004, les crédits de paiement vont atteindre 15,2 milliards d'euros, soit le même montant, en euros constants, que l'an passé. Cette consolidation est indispensable à la bonne exécution industrielle des programmes à moyen terme.

Je sais que certains s'inquiètent de la baisse des autorisations de programme. C'est une conséquence mécanique de la façon dont la loi est préparée. Naturellement, les autorisations de programme sont très importantes au début, puis diminuent au fur et à mesure que nous nous rapprochons de l'échéance de 2008. Pour y remédier, il faudrait adopter une programmation glissante ; nous n'en sommes, hélas ! pas encore là !

Les rapporteurs saisis pour avis décriront le contenu de cet effort d'équipement soutenu,...

M. Jean-Louis Carrère. Ils auront le temps...

M. Yves Fréville, rapporteur spécial. ...qui ne portera naturellement pas ses fruits immédiatement. Pour prendre l'exemple de l'avion de transport A 400 M, il faudra attendre la fin de la décennie - 2009 - pour la première livraison. Un effort considérable d'entretien du matériel doit donc être réalisé pour passer cette période difficile.

Or la disponibilité opérationnelle des matériels a considérablement baissé au tournant du siècle, faute de moyens budgétaires, mais faute aussi d'avoir apprécié à leur juste valeur les conséquences de la suppression de la main-d'oeuvre nombreuse fournie par la conscription.

En revanche, je remarque l'efficacité de la stratégie mise en place par le service de soutien de la flotte, le SSF, et par la Structure intégrée de maintien en condition opérationnelle des matériels aéronautiques et associés de la défense, la SIMMAD. Pourquoi une action du même type, qui permet la globalisation des contrats et la gestion des stocks de rechange, n'est-elle pas aujourd'hui entreprise pour l'armée de terre, madame la ministre ?

Pour en terminer sur la programmation, si les crédits destinés à la recherche ont été considérablement augmentés en cinq ans, pour un montant de près d'un milliard d'euros, il conviendrait sans doute de porter une plus grande attention aux crédits de recherche amont.

Pour ce qui est de la budgétisation à court terme, le projet de loi de finances pour 2005 a été construit selon la règle de la croissance zéro des dépenses en volume. On a dit du budget des armées, tantôt qu'il était sanctuarisé, tantôt au contraire que la fongibilité à l'envers y était appliquée, c'est-à-dire que les dépenses d'équipement éliminaient certaines dépenses de fonctionnement. Or, à structures constantes et hors opérations militaires extérieures, les OPEX, on constate que les crédits de fonctionnement, qui s'élèvent à 17,7 milliards d'euros, sont en progression réelle de 1,8 %. Finalement, la norme de la croissance nulle est respectée pour le budget militaire, lequel suit en définitive la règle générale.

Bien entendu, mon collègue François Trucy, rapporteur spécial pour les dépenses ordinaires, traitera des diminutions d'emplois, assez sensibles, qui concernent 879 postes, essentiellement des personnels civils. Elles sont souvent la conséquence de transferts à des établissements publics ou de méthodes d'externalisation.

M. Jean-Louis Carrère. Là, ce n'est pas grave !

M. Yves Fréville, rapporteur spécial. Quant au budget d'équipement des forces armées, il est essentiel qu'il ne fasse pas l'objet d'annulations en cours d'année. Le collectif budgétaire a permis cette année de compenser à 30 millions d'euros près - c'est peu, eu égard à la masse des crédits - les annulations qui avaient pu intervenir dans le cadre des décrets d'avance, de sorte qu'il n'y a pas eu de réduction de ce budget au cours de l'année 2004.

Madame la ministre, vous avez inscrit 75 millions d'euros d'autorisations nouvelles pour les OPEX. Celles-ci ne couvriront pas, nous en sommes parfaitement conscients, la dépense prévisible. Il faudra donc faire en sorte que les mêmes règles de budgétisation que cette année soient appliquées au cours de l'année prochaine.

En tout cas, il ne faut pas, à mon avis, allonger la durée des programmes. Un tel allongement se traduit en effet par des coûts supplémentaires et non pas simplement, contrairement à ce que l'on peut penser, par le report de la dépense dans le temps. Comme le XXVIe rapport du comité de fabrication d'armement le démontre parfaitement, les économies que l'on pense réaliser sont généralement plus que compensées par les pertes engendrées par l'obsolescence des matériels.

Après la consolidation de l'effort militaire, j'en arrive logiquement au second aspect de ce budget de la défense, à savoir la préparation de la réforme budgétaire. J'envisagerai deux questions essentielles : l'enjeu de l'application de la LOLF, c'est-à-dire la nouvelle structure du budget de la défense, d'une part, et les financements innovants, en particulier le programme des frégates de la marine, d'autre part.

La mise en place de la LOLF constitue un défi pour le ministère de la défense.

Il faut tout d'abord concilier les responsabilités financières voulues par la LOLF avec les impératifs du commandement militaire. Il ne faudrait pas faire renaître la vieille querelle de la plume et de l'épée !

Il faut ensuite rendre compatibles une approche organique, chaque chef d'état-major étant responsable de la préparation des forces, une approche opérationnelle, lorsque les forces passent sous le commandement du chef d'état-major des armées, et une approche transversale, qui vise à rendre plus efficaces certains services comme l'informatique, l'immobilier ou le parc automobile.

Permettez-moi de formuler quelques observations sur les choix déjà effectués et sur ceux qui sont en cours concernant la structuration du budget et le choix des responsables.

Le premier choix essentiel est celui de la création d'une mission unique « défense », qui couvre 77 % du budget, c'est-à-dire l'essentiel du budget du ministère, soit 35,6 milliards d'euros.

Certains considèrent qu'une masse aussi importante ne permettrait pas le contrôle budgétaire. Personnellement, je ne suis pas sensible à cet argument. Je considère en effet que le Parlement retrouvera au contraire, dans le cadre de cette mission, la possibilité d'amender la répartition des crédits entre fonctionnement et investissement. Je ne pense donc pas qu'il y ait là un capitis diminutio.

Le choix fondamental, dans le cadre de cette mission « défense », est l'existence de deux grands programmes : le programme 2 « Préparation et emploi des forces », qui pèse 21 milliards d'euros de crédits et le programme 3 « Equipement des forces », qui représente 10 milliards d'euros de crédits.

Il me paraît essentiel que la frontière entre les dépenses d'équipement, l'ancien titre V, et le nouveau programme « Equipement des forces » ait été revue. On va sortir du titre V actuel les crédits de maintien en condition matérielle des équipements et les munitions.

C'est une bonne chose. Il faut que cesse un jour en comptabilité nationale, à Eurostat et, par voie de conséquence, pour les critères de Maastricht, cette fiction consistant à considérer les dépenses d'équipement militaire comme des dépenses de consommation courante ! Ces dépenses s'étalent dans le temps, et il faudra les traiter comme telles dans le cadre budgétaire.

La question de la responsabilité est évidemment posée. Vous avez choisi à juste titre, madame le ministre, de confier au chef d'état-major des armées le pouvoir d'arbitrage entre les différences actions pour le programme « Préparation et soutien des forces » ; pour le programme « Equipement des forces », ce sera une co-responsabilité partagée entre le chef d'état-major des armées et le délégué général à l'armement. Certains s'étonnent de cette dualité. Pourtant, il est bon que le chef d'état-major des armées soit présent dans les deux cas.

Je me permets néanmoins d'attirer votre attention sur une difficulté, madame le ministre. Cette fonction de responsabilité n'est acceptable que si elle est comprise comme une fonction décisionnelle de haut niveau éclairée par le conseil des systèmes de forces judicieusement mis en place. Les responsables de budgets opérationnels de programme qui, dans les autres ministères, n'ont qu'une fonction interne à l'administration, devraient alors conserver, me semble-t-il, une place éminente de « gouverneurs de crédits » soumis en tant que tels au contrôle du Parlement. C'est peut-être là un étage supplémentaire dans l'organisation de la loi organique relative aux lois de finances ; mais, compte tenu de l'organisation des forces armées, cela me paraît nécessaire.

Pour terminer, j'envisagerai le problème des financements innovants. C'est toute la question du financement des investissements. Et vous savez, mes chers collègues, que le budget de la marine a toujours fait preuve d'innovation en ce domaine. La distinction entre autorisations de programme et crédits de paiement date de l'avant-guerre, et elle a été opérée dans le cadre du budget de la marine.

Or, ici, nous avons une difficulté essentielle. Il s'agit aujourd'hui de lisser dans le temps le paiement du programme des frégates multi-missions pour lequel est ouverte dans ce budget une autorisation de programme de 1,7 milliard d'euros, ce qui portera in fine la provision globale à 4,4 milliards d'euros par mobilisation pour l'essentiel « d'autorisations de programme des années antérieures dormantes », c'est-à-dire non affectées. Or, cet énorme programme n'est pas doté d'un échéancier de crédits de paiement !

Ce programme, qui fera prochainement l'objet d'un arbitrage du Premier ministre, soulève trois problèmes.

Il pose tout d'abord un problème d'équipement militaire : la construction de huit frégates dans un premier temps - dix-sept frégates, à terme -, en partenariat avec l'Italie, est nécessaire au renouvellement de la flotte de surface et à la restauration de ses capacités opérationnelles. Il faut savoir que les frégates actuelles n'ont pas fait l'objet de refonte à mi-vie. Ces huit premières frégates multi-missions sont de plus indispensables à la sécurité du groupe aéronaval ainsi que des SNLE lors du passage du goulet de Brest.

Ce programme pose également un problème économique : la réalisation avec l'Italie de ce plan de dix-sept frégates nous permettra d'avoir des coûts substantiellement plus bas.

Ce programme pose enfin un problème financier parce que la marine, qui a pris en charge une partie des dépenses de restructuration de la direction des constructions navales, n'aura plus les crédits nécessaires pour ce plan.

D'où l'idée d'un étalement des paiements qui pourrait se faire par l'absence d'un paiement d'acompte avant la livraison et peut-être, après la livraison, par un étalement sur une dizaine, voire une vingtaine d'années. L'arbitrage devra être pris rapidement par le Premier ministre.

A cet égard, la position de la commission des finances est la suivante.

Premièrement, ce financement lissé ne doit pas être une facilité. Il doit avoir comme contrepartie des coûts et des avantages importants. Si la direction des constructions navales s'engage à prendre à sa charge, pendant six ans, certains risques d'indisponibilité, nous pouvons aller dans cette direction...

M. Jean-Louis Carrère. Cela vous permet surtout de continuer à vivre au-dessus de vos moyens ! Mais, continuez donc à discuter entre vous...

M. Yves Fréville, rapporteur spécial. Deuxièmement, le budget de la défense devra prendre en charge le coût du portage, c'est-à-dire que les intérêts correspondant à ce portage devront être inscrits dans le budget de la défense.

Troisièmement, les engagements hors bilan avant livraison et la dette en cas d'échelonnement après livraison devront être inscrits soit dans le hors bilan de l'Etat, soit dans la dette publique.

Du reste, la nouvelle comptabilité générale dont se dote l'Etat, conformément à la loi organique relative aux lois de finances, à côté de l'actuelle comptabilité budgétaire, transformera en profondeur, et progressivement, les méthodes de financement des équipements militaires.

En effet, si l'Etat doit emprunter pour financer des dépenses d'équipement, il n'a pas vocation à emprunter pour couvrir les dépenses d'investissement.

M. Jean-Louis Carrère. Que nous sommes heureux de vous l'entendre dire !

M. Yves Fréville, rapporteur spécial. Pour conclure, madame le ministre, je dirai que la loi organique relative aux lois de finances est une construction continue. Je souhaite qu'un débat et un dialogue s'engagent...

M. Jean-Louis Carrère. Ce débat se limite aux groupes de la majorité. C'est dire combien c'est interactif !

M. Yves Fréville, rapporteur spécial. ...entre le Parlement et votre département ministériel pour le choix des indicateurs de performance.

M. Jean-Louis Carrère. Faites cela entre vous !

M. Yves Fréville, rapporteur spécial. Ce dialogue...

M. Didier Boulaud. Pour être interactif, c'est vraiment interactif...

M. Yves Fréville, rapporteur spécial. ... sera fructueux, car votre volonté de réforme tend aussi à rendre plus efficace le renforcement de notre défense. Et c'est en prenant acte de cette volonté de dialogue (Protestations sur les travées du groupe socialiste.) qu'au nom de la commission des finances je vous propose, mes chers collègues, d'apporter votre soutien à ce dernier budget de la défense. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. François Trucy, rapporteur spécial.

M. François Trucy, rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation, pour les dépenses ordinaires. Monsieur le président, madame le ministre de la défense, mes chers collègues, la crise ivoirienne, son lourd bilan en morts et blessés pour nos forces engagées dans une mission de maintien de la paix, la situation dramatique de nos ressortissants sont là pour nous rappeler, s'il en était besoin, que le budget de la défense est un acte essentiel de la loi de finances et qu'il a des implications directes et graves sur l'action internationale de la France, sur son rôle dans le monde, sur la protection de nos compatriotes et de nos intérêts nationaux.

Je souhaite aujourd'hui que chacun d'entre nous, quelle que soit son appartenance, en examinant ce budget de la défense, n'oublie aucun de ces faits, aucun de ces drames.

Madame le ministre, soyez au premier chef remerciée et félicitée pour votre comportement et vos actions dans cette crise qui, malheureusement, n'en est peut-être qu'à ses débuts.

Le présent, c'est le présent.

Pour le passé, à votre arrivée au ministère de la défense, vous avez trouvé une situation très dégradée dans tous les domaines vitaux de la défense : des programmes majeurs désorganisés, des choix essentiels différés, des matériels délaissés et mal entretenus dont l'indisponibilité atteignait des taux records ! Une condition militaire négligée et un moral des militaires au plus bas hypothéquaient la réussite d'une professionnalisation déjà par ailleurs fort difficile. Tel était le bilan en 2002.

Madame le ministre, vous avez fait adopter une loi de programmation militaire volontariste, une loi de reconstruction ; et les deux premières années, 2003 et 2004, ont été marquées par le respect scrupuleux de ses prévisions. C'était une première pour une loi de programmation militaire !

En sera t-il de même en 2005 ?

Derrière l'affirmation rassurante selon laquelle cette année encore, et malgré des difficultés économiques bien connues, les crédits de la défense seraient conformes, force est de constater et de regretter deux faiblesses : un déficit dans les effectifs et une baisse des crédits d'entretien. La discussion permettra de préciser ces points.

Dans les faits, avec des crédits de rémunérations et charges sociales qui vous ont été trop strictement mesurés, il vous a bien fallu choisir entre les dépenses nécessaires pour la condition militaire, les mesures catégorielles attendues et certains recrutements.

Certes, le ministère de la défense a louablement, semble-t-il, participé aux efforts de réduction de la dépense publique ; mais il a dû le faire en limitant ses effectifs à 436 910 personnes là où la loi de programmation militaire en prévoit 440 719. Au 30 juin 2004, le décalage entre effectifs budgétaires et effectifs réels atteignait déjà 8252 personnes.

En outre, sur le plan qualitatif, comme il est hors de question d'envoyer en opération extérieure ou outre-mer des unités incomplètes avec des matériels en mauvais état, ces sous-effectifs pèsent exclusivement sur les unités de métropole ; celles-là-mêmes qui sont pourtant mises à contribution pour fournir les contingents nécessaires aux opérations extérieures.

Quel jugement portez-vous, madame le ministre, sur ces sous-effectifs ? Etes-vous d'accord sur les chiffres annoncés ? Les estimez-vous supportables ?

De tels sacrifices dans le domaine des effectifs ne risquent-ils pas, à terme, de remettre en cause le format des armées retenu et même l'étendue des missions qui leur sont confiées.

Nous avons eu beau dire, dès le début, qu'avec la professionnalisation, les rémunérations et charges sociales de l'armée et son budget de fonctionnement allaient croître, et croître fortement, cette notion est visiblement mal comprise en politique ! (Sourires.)

Pour illustrer mon propos, j'ai étudié la structure des budgets des principaux pays qui produisent un effort significatif dans le domaine de la défense.

Tout d'abord, permettez-moi une prudence oratoire. Comme les critères qui fondent les statistiques varient à l'infini, retenez des chiffres qui vont suivre plus les rapports de comparaison que l'échelle. Cette dernière peut en effet être très différente de celle que nous utilisons habituellement...

Premier critère, le pourcentage des dépenses de fonctionnement au sein des dépenses totales de défense de divers pays. Face aux Etats-Unis, au Canada, et à pratiquement tous les pays de l'Europe des Quinze, la France est le douzième pays sur douze avec 63,8 % des dépenses de fonctionnement dans l'ensemble.

Néanmoins, ce ratio du titre III en pourcentage des dépenses totales peut être trompeur dans la mesure où il subit le poids du titre V, soit le matériel. Or, un pays qui consacrerait beaucoup de moyens à son titre V réduirait par là même le poids proportionnel du titre III.

Il faut donc trouver un autre critère, plus précis. J'ai choisi celui de la dépense de fonctionnement par militaire, qui est du reste plus simple. A cet égard, les Etats-Unis dépensent 160 407 euros par militaire, le Canada, 127 316 euros, le Royaume-Uni, 121 106 euros, et la France, 66 465 euros.

La France, qui a professionnalisé son armée beaucoup plus tard que le Royaume-Uni, consacre peu en fonctionnement par militaire, l'équivalent de 55 % de la dotation britannique. Dans ce domaine, nous ne sommes pas au bout de nos peines.

La France figure au deuxième rang, derrière les Etats-Unis, pour les dépenses en équipement ; au troisième rang pour les effectifs ; au quatrième pour la dépense par militaire et même au cinquième pour la dépense par habitant.

Selon ces critères un peu différents, n'avons-nous pas raison de craindre des tensions croissantes au sein de ce budget, au sein des rémunérations et charges sociales d'un titre III écartelé entre les dépenses liées aux recrutements et aux renouvellements de contrats, d'une part, et celles qui sont réclamées pour les mesures catégorielles et la condition militaire, d'autre part ?

En revanche, et c'est un sujet de satisfaction, toujours dans le domaine des effectifs, il faut noter que les recrutements - il y en aura 14 448 l'an prochain - s'effectuent dans de bonnes conditions, que le nombre de candidats par poste est confortable, que la qualité des recrues est bonne et que le taux de renouvellement des contrats est conforme aux prévisions. Dans la marine, ce taux atteint 80 %, dans l'armée de l'air, 85 % ; et dans l'armée de terre, 61 %. Ce dernier chiffre doit être examiné avec beaucoup de prudence en raison d'un changement du mode de calcul.

Pour tout dire, la fidélisation est réussie. Vous réalisez vos objectifs, madame le ministre, et c'est de bon augure. Avec quelque 12 millions d'euros, comme en 2004, les efforts de communication des armées et leur « marketing de recrutement » - pour reprendre leurs propres mots - y sont pour beaucoup. Pensez-vous de même ?

En revanche, le service de santé des armées attend encore la correction des sous-effectifs qui date de la disparition du service national. Cette année - grand merci ! -, 59 postes d'officiers médecins seront créés. En 2004, il en fallait encore 278. Il manque encore nombre de chirurgiens dentistes, de spécialistes. Au demeurant, pour ce dernier domaine, je me demande si le service de santé des armées ne rencontre pas ici des difficultés comparables à celles que rencontre la médecine civile, qu'elle soit hospitalière ou libérale.

Madame le ministre, on nous dit que ces sous-effectifs du service de santé des armées sont destinés à persister jusqu'en 2012. Partagez-vous cet avis?

Or le service de santé des armées, ne serait-ce qu'en raison des efforts énormes qui lui sont demandés pour les OPEX, mérite une attention soutenue. Ce n'est pas à vous qu'il faut rappeler que ses interventions dans les opérations extérieures bénéficient largement aux populations civiles secourues - 45 % des consultations médicales et 84 % de l'activité chirurgicale - mais elles engendrent un surcroît de dépenses de 14,47 millions d'euros.

En matière d'emplois civils, le sous-effectif subsiste et même s'accentue. En effet, aux 431 suppressions de postes de 2004 s'ajoutent les 759 de 2005, signalées par Yves Fréville à l'instant. Je ne vous en fais pas grief, madame le ministre, car je crois comprendre que cette situation résulte d'une politique prudente de recrutements au regard du nombre important d'externalisations en route.

Comme le dit mon collègue Yves Fréville, il y a effectivement là un raisonnement : à quoi donc rimerait de recruter des civils pour des tâches destinées tôt ou tard à être déléguées ?

Il est exact que l'externalisation ne doit pas être un but en soi, mais vous avez raison, madame le ministre, de vouloir retirer aux militaires les tâches qui ne relèvent pas des métiers des armes. La décision en cette matière se fonde alors sur des principes de bonne gestion, et cela nous intéresse beaucoup.

Ainsi comprenons-nous bien l'action que vous menez pour ce qui concerne, par exemple, la gestion immobilière des logements de la gendarmerie. Celle-ci concerne le parc de l'Etat, soit un tiers ; à cet égard, vous avez préparé un contrat qui inclut la gestion, l'entretien, la maintenance et les constructions neuves à venir, et vous en attendez quelque 10 millions d'euros d'économies pour la simple année prochaine.

Nous savons aussi que vous avez procédé avec prudence et méthode en procédant à une évaluation des valeurs vénales et locatives, à un état des lieux, à une exploration juridique exigée par la complexité des titres domaniaux de l'Etat et, enfin, à une étude financière.

Quelque 1 200 postes de gendarmes pourront être consacrés à des tâches bien plus utiles, et nous espérons que la Société nationale immobilière, la SNI, qui n' a jamais démérité dans ses oeuvres, remportera le marché.

Je reste plus réservé, sauf explication de votre part, sur l'externalisation de la formation des pilotes d'hélicoptères de Dax, qui a lieu sur une base militaire avec des instructeurs militaires. Seule la location des machines elles-mêmes est déléguée, comme si l'on renonçait à tenir disponibles nos propres hélicoptères.

Nous attendons avec beaucoup d'intérêt, madame le ministre, le projet de loi relatif au statut général des militaires, que vous allez soumettre au Parlement d'ici peu.

Nécessaire et bienvenu aux termes d'une professionnalisation réussie, le statut arrive à point nommé certes, mais qu'apportera-t-il ?

Pour un total de 53,65 millions d'euros, les mesures catégorielles apportent pour le plan d'amélioration de la condition militaire et pour le fonds de consolidation de la professionnalisation des sommes substantielles. Cet effort pour 2005 prolonge les 159 millions d'euros de réalisations des trois années précédentes.

En ce qui concerne les activités, il est fort difficile, pour un rapporteur même attentif, de distinguer dans les états fournis par les états-majors entre les objectifs et les résultats réels obtenus. Une plus grande clarté dans ce dossier nous permettrait mieux d'apprécier le chemin parcouru et celui qui reste à faire. Mais, avec les résultats qui nous sont communiqués, c'est assez difficile. Il y a visiblement loin de la coupe aux lèvres entre les objectifs et les réalisations, et je me propose, durant l'année 2005, de préciser l'état réel des uns et des autres, car, aujourd'hui, il ne m'est pas possible de chiffrer avec exactitude les taux réalisés.

Le financement des OPEX reste donc cette année encore pour vous, madame le ministre, un sérieux sujet de préoccupation et, pour le Sénat, un sujet récurrent d'irritation.

Les OPEX mobilisaient 13 324 militaires au 1er juin 2004 contre 12 264 en 2003.

C'est un poste financier très lourd qui représentait 546 millions d'euros de dépenses en 2002 et 562 millions d'euros en 2003. La dépense pour 2004 est estimée au 1er juin à 650 millions d'euros, dont 590 millions d'euros pour le seul titre III.

Il semble que vous ayez obtenu tout récemment des crédits importants en loi de finances rectificative, des crédits nouveaux, pas forcément des crédits de virement, et nous aimerions que vous nous en disiez plus.

S'agissant des autres postes budgétaires du titre III, hors rémunération des charges sociales, je reste sceptique face aux prévisions en matière de carburant. Elles étaient déjà étonnantes en loi de finances initiale pour 2004, avec un dollar à 0,81 euro et un baril à 23 dollars. En fait, que sait-on de la réalisation qui s'est produite en 2004 ? Il semble même que la loi de finances rectificative ait dû vous apporter des crédits dans ce domaine.

Mais pour 2005, si un dollar à 0,81 euro est plausible, le baril à 30 euros l'est beaucoup moins, même si Thierry Desmaret annonçait récemment que ce tarif serait retrouvé dans le courant de l'année.

Je sais que les crédits d'entretien programmés figurent maintenant en totalité au titre V ; mais que mon ami Yves Fréville me pardonne de les évoquer tant ils conditionnent la disponibilité des matériels et leur usage au titre III.

Ici, le passé est lourd. La précédente majorité avait littéralement ravagé ces crédits en les ramenant de 326 millions d'euros en 1989 à 57 millions d'euros en 2002, soit 18 % des crédits initiaux ! Nul besoin de revenir sur les conséquences d'un tel saccage sur la disponibilité des matériels, de tous les matériels.

Vous réparez progressivement ces dégâts et vous prévoyez, cette année, 2 057 millions d'euros de crédits de paiement, 2 627 millions d'euros d'autorisations de programme. Cependant, ces chiffres sont en baisse pour les crédits de paiement par rapport à 2004 alors même que votre oeuvre de reconstruction est loin d'être achevée.

Je pense particulièrement à la marine, dont les crédits baissent de 10 %, et à l'armée de terre, qui éprouvera de grandes difficultés en 2005, avec une diminution de 15 % des autorisations de programme, pour faire face à de nombreux facteurs d'augmentation de ses dépenses d'entretien d'un matériel ultravieillissant.

Madame le ministre, que pensez vous des taux de disponibilité actuels des forces, que nous avons un peu de peine à apprécier ?

Je devrais vraisemblablement consacrer une partie de mon exposé à parler de la loi organique relative aux lois de finances et des efforts exemplaires que vous-même, votre ministère et vos armées ont déjà déployés pour son application. J'ai consacré à ce sujet un long développement dans mon rapport écrit, et je préfère ne rien ajouter à l'analyse de mon ami Yves Fréville, qui est parfaitement suffisante dans l'immédiat.

Le budget de la défense pour 2005 est un « budget de consolidation » ai-je indiqué en préface de mon rapport écrit. En conclusion de cet exposé, je confirme cette appréciation, mais je tiens à la nuancer de plusieurs réserves qui témoignent d'un début d'inquiétude chez moi concernant les effectifs et le niveau des crédits d'entretien.

Je ne vous ai rien appris, madame le ministre, que vous ne sachiez parfaitement. Ne voyez dans ces remarques que le souci de vous soutenir dans votre action, mais aussi le désir de remplir mon rôle, qui est de rappeler inlassablement que la qualité du titre III du budget de la défense conditionne directement la valeur et l'efficacité de nos armées et que le Gouvernement, en ces temps troublés, ne doit pas l'oublier.

L'effort de défense français est considérable, le rétablissement de l'opérabilité de nos armées est sur la bonne voie, mais tout ce que nous avons examiné ensemble aboutit bien à l'idée forte et dérangeante que cet effort ne pourra se perpétuer en marge de l'Europe.

Bien au contraire, l'Europe politique doit le plus tôt possible accoucher d'une Europe de la défense. La tâche sera rude quand on compare l'effort américain et l'addition des budgets européens.

Les Etats-Unis consacrent 2,6 fois plus en dépenses totales, 2,4 fois plus en fonctionnement et 3,2 fois plus pour le matériel pour seulement 1, 24 fois plus en effectifs !

Madame le ministre, ces remarques ne sont pas des réserves ; la commission des finances a approuvé les crédits du titre III et demande donc au Sénat de les adopter. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense. Mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite tout d'abord remercier les deux rapporteurs spéciaux pour la qualité de la présentation de leurs exposés. Je vais essayer de répondre à leurs questions en me situant à chaque fois dans le contexte de la politique que j'entends mettre en oeuvre.

L'actualité de ces dernières semaines est venue confirmer l'absolue nécessité pour notre pays d'avoir une défense susceptible de protéger notre territoire, mais également nos concitoyens, où qu'ils se trouvent dans le monde. Je tiens à remercier la Haute Assemblée du soutien qu'elle a apporté aux militaires français qui se trouvent en Côte d'Ivoire et qui ont eu à faire face à des épreuves particulièrement difficiles, que ce soit, d'une part, l'attaque totalement injustifiée et délibérée contre notre position à Bouaké et, d'autre part, les difficultés rencontrées pour venir en aide à nos compatriotes et à l'ensemble des étrangers qui ont été victimes d'exactions, de vols, de pillages ou de viols au cours des journées d'insurrection qui ont secoué Abidjan.

Votre reconnaissance, votre action sont, pour les militaires qui se trouvent dans ces conditions difficiles, un soutien important, et je vous en remercie.

Ce budget intervient donc dans un contexte qui, au-delà même de la Côte d'Ivoire, est celui d'un monde instable, d'un monde dangereux.

Le budget de la défense fait, depuis 2002, l'objet d'un effort tout particulier de la part de la nation. C'est important pour nous et cela a des répercussions qui dépassent le domaine militaire, puisque ce budget est également l'un des éléments qui contribuent à la crédibilité de notre pays sur le plan international et qui nous permet de jouer un rôle majeur dans la construction de l'Europe de la défense, laquelle a fait un bond qualitatif considérable depuis 2002. C'est également un élément important pour l'économie française, même si cela n'a été abordé qu'indirectement jusqu'ici, puisqu'il est évident que tout ce qui est matériel, tout ce qui concerne l'entretien fournit des activités à nos entreprises et, par conséquent, des emplois.

Vos questions portent sur deux sujets. Tout d'abord, ce budget permet-il de répondre à l'accomplissement des missions qui nous sont confiées et, ensuite, comment s'inscrit-il dans la nouvelle définition des budgets de l'Etat. J'essaierai donc de répondre à ces deux grandes catégories de questions.

Pour la première fois de toute l'existence des lois de programmation militaire, le projet de loi de finances pour 2005 respecte totalement, pour la troisième année consécutive, le projet de loi de programmation militaire.

C'est la constance de cet effort qui nous permet de poursuivre la modernisation et le renforcement de notre outil de défense.

Nous le faisons sous différentes formes. M. Fréville m'a interrogée sur notre effort en matière de dissuasion. Ce dernier est bien moins important qu'il y a quelques années, puisque nous sommes aujourd'hui à environ un peu moins de 20 % du titre V alors que nous étions largement au double voilà encore quelques années ; il convient de poursuivre cet effort. D'abord parce que, en matière de dissuasion, une pause n'a pas de sens dans la mesure où il faut entretenir et renouveler les matériels afin d'éviter leur obsolescence.

Au-delà, le but même de la dissuasion, c'est d'avoir une crédibilité qui dissuade d'éventuels adversaires de porter atteinte à nos intérêts vitaux. Cela nous oblige donc à aller dans le sens d'une modernisation qui permet de rendre cette dissuasion totalement crédible.

Le problème du M 51, c'est moins la miniaturisation que l'allongement de la portée de ce missile et la précision de ce dernier.

Aujourd'hui, nous avons en face de nous des gens qui, nous connaissant bien, peuvent se dire que, pour préserver des millions de vies, nous hésiterons à répondre à une attaque. Or, l'hésitation est quelque chose de mortel. A partir du moment où ces gens savent que nous possédons des missiles d'une grande précision, pouvant donc nous permettre de viser leur propre centre de pouvoir et de décision en évitant les dégâts très larges qui ne manqueraient de se produire autour, ils savent aussi que nous n'hésiterons pas à faire usage de cette arme. C'est là où notre crédibilité est plus grande.

Le M 51 nous permet de répondre à ce besoin, de conserver notre crédibilité et une totale efficacité de notre dissuasion.

Avons-nous tiré les conséquences de 2001, m'a-t-on demandé monsieur le sénateur ? Oui, nous les avons tirées, et ce d'autant plus que nous étions, avant même 2001, pratiquement les seuls à attirer l'attention sur le risque d'attentats de ce type. Nous le faisions parce que la France a été le premier pays occidental à être victime sur son propre territoire d'attentats de masse, en 1986 et en 1996.

C'est pourquoi, dans notre modèle d'armée 2015, nous avons intégré ce genre de choses et, bien entendu, au fur et à mesure, nous tenons toujours compte et des retours d'expérience et des besoins qui peuvent exister.

Nous faisons donc ce qu'il faut pour prendre en compte la totalité des problèmes de lutte contre le terrorisme. La lutte contre le terrorisme, ce sont des moyens militaires, des moyens policiers, des moyens diplomatiques, des moyens financiers et douaniers, et également des moyens humains d'aide au développement d'un certain nombre de pays. S'agissant de ce dernier point, n'oublions jamais que le terrorisme s'appuie sur la notion d'injustice et, notamment, sur les écarts de développement qui peuvent exister entre certains pays. C'est la raison pour laquelle le Président de la République insiste beaucoup sur la nécessité d'aider au développement d'un certain nombre de pays.

Mais, en attendant, il est vrai aussi que nous devons nous protéger. Nous ne pouvons donc pas éliminer l'option militaire. Pour les opérations que nous menons en Afghanistan, en particulier dans le sud de ce pays, ou dans la corne de l'Afrique, avec nos moyens maritimes, il est indispensable de disposer des matériels nécessaires. Les 15,3 milliards d'euros d'autorisations de programme doivent le permettre.

Bien entendu, ces autorisations de programme ouvrent des perspectives dans le cadre de la loi de programmation militaire, mais nous ne pouvons aujourd'hui utiliser que les matériels dont nous disposons, ce qui implique que nous fassions un effort tout particulier pour leur maintien en condition opérationnelle, sujet que vous avez également évoqué.

Comme cela a été dit, un redressement important de nos matériels était nécessaire. Les efforts que nous faisons se traduisent dans les faits avec un redressement de disponibilité de 8 % pour la flotte de surface, de 5 % pour les avions de combat et un redressement en OPEX pour le matériel de l'armée de terre, probablement le plus vieillissant, qui atteint quand même 90 %.

Monsieur Fréville, vous m'avez demandé si l'on ne pouvait pas faire pour l'armée de terre une SIMMAT, à l'image de la SIMMAD. L'idée a été abandonnée en 2002, mais la direction centrale qui s'occupe du matériel de l'armée de terre est en pleine réorganisation pour obtenir exactement les mêmes résultats.

Sur le plan financier, l'effort que nous avons fait en 2004 se poursuivra en 2005. De ce point de vue, nous devrons poursuivre cet effort sur une longue durée.

Monsieur Trucy, vous avez parlé, au-delà des matériels, de l'activité, en soulignant que ce domaine avait connu certaines difficultés en 2004. Ces dernières tiennent essentiellement, comme j'ai eu l'occasion de le dire à plusieurs reprises, au fait qu'il nous a été demandé de faire la trésorerie des OPEX cette année, ce qui a représenté un effort particulièrement lourd. L'armée de terre, notamment, qui est la première a être sollicitée par les OPEX, a dû prendre sur ses activités de quoi assurer la trésorerie des OPEX.

Au remboursement partiel des OPEX en 2003, s'ajoutait l'absence de budgétisation, et tout cela a effectivement entraîné la suppression d'un certain nombre d'exercices qui étaient jugés comme moins prioritaires ou moins essentiels. Cette situation n'est bien entendu pas satisfaisante ; c'est la raison pour laquelle, en 2005, elle sera améliorée.

Elle le sera d'abord grâce un remboursement intégral des OPEX, si vous voulez bien voter la loi de finances rectificative qui le prévoit.

Par ailleurs, avec l'aide de la Haute Assemblée - je tiens d'ailleurs à l'en remercier -, seront inscrits dès le début de 2005, sur la ligne budgétaire OPEX, 100 millions d'euros, qui vont apporter une certaine souplesse.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Il y a la ligne !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. J'ajoute qu'en 2005, puisque la question vient d'être posée, la situation sera également améliorée grâce à une majoration des crédits de carburants de 20 millions d'euros qui nous permettra, au moins partiellement, de faire face aux aléas qui affectent le prix du pétrole brut.

Sur le plan matériel, nous ne pouvons pas nous contenter de ce que nous avons aujourd'hui ou même de ce que nous avons commandé. Il faut également préparer l'avenir, monsieur Fréville.

En ce qui concerne la recherche et la technologie, j'ai décidé de faire un effort tout particulier cette année en augmentant de 8 % ce budget, qui passe ainsi à 1,34 milliard d'euros. Au-delà de l'effort budgétaire, j'entends poursuivre, à travers la méthode, la politique des démonstrateurs avec, notamment, les projets BOA, bulle opérationnelle aéroterrestre, et EUROMALE.

Cela est exemplaire de ce que l'on peut faire en matière de recherche : l'Etat investit de l'argent dans ces programmes à condition que les industriels eux-mêmes fassent un effort financier en la matière. De ce point de vue, nous arrivons à dynamiser les projets en les ouvrant aussi au niveau européen. Je crois que l'on peut ainsi démultiplier l'effort qui est fait en matière de recherche.

Les ressources des études amont elles-mêmes augmenteront de 100 millions d'euros en 2005, ce qui, me semble-t-il, également répond à l'une de vos demandes.

Ainsi, le projet de loi de finances pour 2005 vise à poursuivre la modernisation de notre outil de défense.

Il convient évidemment que cela soit fait en toute rigueur budgétaire puisque nous participons, comme tout un chacun, au nécessaire effort d'économie. C'est en ce sens que j'ai repensé l'organisation du ministère en mutualisant un certain nombre de fonctions, et c'est dans cet esprit aussi que je mène un certain nombre de mesures d'externalisation.

M. Trucy m'a demandé pourquoi et comment, au-delà même de l'externalisation de la gestion des véhicules de la gamme commerciale, par exemple, ou de la gestion des logements domaniaux de la gendarmerie, on externalisait la formation de base des pilotes d'hélicoptères.

La raison est très simple : dans une logique de bon sens et d'économie, plutôt que d'utiliser des hélicoptères militaires, déjà très spécialisés pour une formation de base que l'on peut pratiquer sur n'importe quel hélicoptère, je préfère que l'on utilise des hélicoptères civils et que l'on réserve les hélicoptères militaires pour la partie typiquement militaire de la formation, ces appareils étant quand même beaucoup plus chers que les hélicoptères civils.

De la même façon, les crédits innovants doivent effectivement nous permettre à la fois de nous moderniser et de faire face à un certain nombre de contraintes.

J'ai bien noté tout ce qui a été dit en la matière ; il ne s'agit pour nous non pas de faire déraper des crédits budgétaires mais simplement d'avoir une gestion qui soit plus souple et plus efficace, et bien entendu cela se fera sous le contrôle de la Haute Assemblée.

C'est d'ailleurs dans cet esprit que, en ce qui concerne le domaine de l'administration financière, j'ai souhaité depuis deux ans que le Parlement soit pleinement associé au suivi de la gestion financière du ministère. J'ai d'ailleurs proposé à la commission de la défense de chacune des assemblées que des membres de ces commissions puissent, tous les trimestres, suivre, avec l'ensemble des responsables administratifs du ministère, la consommation qui est faite de l'ensemble des crédits.

Cette initiative s'inscrit tout à fait dans l'esprit de la LOLF et répond au souci de transparence qu'elle impose. Je souhaite qu'au-delà des programmes, qui doivent garder une certaine cohérence et dans l'élaboration desquels nous avons essayé, là aussi, de faire preuve de bon sens et d'efficacité, il y ait une totale transparence à l'égard du Parlement.

M. Didier Boulaud. On n'y a pas eu droit !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Comme le détail de la présentation le montrera, j'ai tout intérêt à ce regard parlementaire, ce regard extérieur, parce qu'il me permet parfois de percevoir certains éléments que je n'aurais pas discernés d'emblée. Par ailleurs, savoir que j'ai l'appui du Parlement donne d'autant plus de poids à mes demandes dans les discussions.

En ce qui concerne les personnels, je voudrais tout d'abord apporter certaines rectifications à propos des effectifs, point sur lequel vous m'avez interrogée l'un et l'autre.

Ce sujet a suscité en 2004 un certain nombre de fausses interprétations.

Au cours de l'été 2004, j'ai dû constater que certaines armées avaient anticipé sur la capacité de recrutement qui leur était ouverte par la loi de finances. J'ai donc mis le holà parce que, sinon, nous nous serions retrouvés en fin d'année avec des dépassements de crédits que je juge inadmissibles pour mon ministère. Mais il est évident que, si j'ai freiné à ce moment-là les recrutements, je n'y ai pas définitivement mis un terme, et les recrutements ont continué, ce qui a permis en fin d'année d'aboutir à un budget satisfaisant.

Au total, la défense en 2004 aura recruté plus de 32 000 personnels dont 14 500 pour l'armée de terre. A la fin de l'année, les effectifs dépasseront 426 500 personnes, soit un sous-effectif total de 2,4 par rapport à l'effectif budgétaire. Je signale que ce sous-effectif était deux fois plus élevé en 2002. Nous avons donc, au contraire, rattrapé les sous-effectifs qui existaient auparavant.

Dans le projet de loi de finances pour 2005, la masse salariale augmentera de 2,5 %. Une partie de ces crédits sera absorbée par des mesures incontournables telles que la réforme des retraites ou, éventuellement, l'augmentation du point de fonction publique.

Pour autant, les créations d'emplois seront poursuivies dans les domaines prioritaires : 700 gendarmes au titre de la LOPSI, la loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure, 58 médecins et infirmiers pour le service de santé, 20 postes pour la DGSE, la direction générale de la sécurité extérieure.

En ce qui concerne les professions de santé, nous faisons donc un effort tout particulier.

Entre 2010 et 2012, l'effectif tel que nous l'avons défini sera complet. Mais il faut avoir conscience que nous avons, comme dans le secteur civil, un problème de candidatures.

M. Yves Fréville, rapporteur spécial. Bien sûr !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Il ne suffit pas que j'ouvre des postes ; il faut aussi que nous puissions recruter des personnels. Nous avons exactement les mêmes problèmes que ceux que l'on peut rencontrer dans le civil.

L'ouverture de 20 postes pour la DGSE répond aussi à votre propos sur les adaptations au nouveau contexte stratégique et à la lutte contre le terrorisme.

Un certain nombre de mesures sont prises en faveur du personnel. La politique du personnel ne doit pas seulement être d'ordre quantitatif, elle doit être aussi d'ordre qualitatif. J'ai ainsi tenu à ce que le plan d'amélioration de la condition militaire continue à être doté ; il le sera de 43 millions d'euros.

Le fonds de consolidation de la professionnalisation, indispensable pour nous permettre de recruter dans les domaines où nous sommes en concurrence avec le secteur privé, en particulier au regard des salaires, se verra allouer 11 millions d'euros.

Le personnel civil, qui joue un rôle indispensable dans le cadre de la professionnalisation, bénéficie également de 12 millions d'euros. Je rappelle que ces 12 millions d'euros représentent l'équivalent de toutes les mesures prises en faveur du personnel civil entre 1997 et 2002, soit cinq ans.

Au-delà de ces mesures, je suis consciente que la multiplication des missions - et leur nombre ne va d'ailleurs certainement pas diminuer compte tenu du contexte général - engendre des contraintes qui pèsent sur les armées, en particulier sur l'armée de terre.

C'est la raison pour laquelle le ministre du budget vous proposera, dans le collectif budgétaire, l'ouverture de 200 millions d'euros de crédits supplémentaires au profit de l'entraînement et des effectifs, de façon que nous puissions effectivement répondre à ces besoins nouveaux, dont on perçoit l'urgence et le caractère crucial en cette fin d'année, notamment à travers les événements survenus en Côte d'Ivoire.

Bien entendu, je vous tiendrai totalement informés de l'utilisation de ces moyens dès lors qu'ils seront votés.

J'espère avoir répondu aux questions que vous m'aviez posé en m'efforçant de les replacer dans leur contexte général.

Je tiens à vous remercier les uns et les autres de votre soutien sur cette préoccupation qui nous est commune de défense de notre territoire et de nos concitoyens. Je veux surtout vous remercier de la reconnaissance dont vous témoignez à l'égard de nos militaires et du soutien que vous leur apportez. Il convient effectivement de saluer, en toutes occasions et en tout temps, le professionnalisme et le dévouement dont ils font preuve au service de la France. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

M. le président. La parole est à M. Xavier Pintat, rapporteur pour avis.

M. Xavier Pintat, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, pour le nucléaire, l'espace et les services communs. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, les crédits de la dissuasion nucléaire représenteront 3,1 milliards d'euros en 2005, soit un niveau équivalent à celui de 2004. Ils correspondent rigoureusement à l'échéancier de nos différents programmes, conformément à la loi de programmation.

Vous avez eu raison, madame le ministre, de souligner à plusieurs reprises, et encore à l'instant, la nécessité de ne pas renoncer à l'adaptation de notre capacité de dissuasion dans un monde marqué par la prolifération et l'apparition de nouveaux acteurs nucléaires.

Le format de nos forces nucléaires a été réduit dans une logique de stricte suffisance. En l'espace de quinze ans - on l'oublie trop souvent -, ce budget de la dissuasion nucléaire a été divisé par deux, en monnaie constante. C'est pourquoi il est nécessaire de préserver les moyens destinés à maintenir la crédibilité de nos forces dans le nouvel environnement international.

Le missile balistique M 51, qui entrera très prochainement en phase de fabrication, s'inscrit dans cette perspective. Il remplacera en 2010 la génération des missiles M 4, entrés en service il y a vingt ans, et dotera notre composante sous-marine, grâce à sa portée et à sa précision, de moyens adaptés à l'évolution du contexte stratégique et de notre doctrine.

Les dotations prévues pour le programme de simulation, notamment pour le laser mégajoule, permettront de tenir les échéances, ce dont se félicite également notre commission, ces moyens de calcul et d'expérimentation étant destinés, faut-il aussi le rappeler, à garantir la sûreté et la fiabilité de nos armes après l'arrêt des essais nucléaires.

Dans le domaine spatial, nos capacités de télécommunications et d'observation vont être très notablement renforcées avec les prochains lancements, au cours du premier trimestre 2005, d'Hélios II et du satellite Syracuse III. On estime que ces satellites offriront, par rapport à la génération actuelle, des capacités quatre fois supérieures pour l'observation et dix fois supérieures pour les télécommunications.

Cette avancée très importante ne doit pas occulter la relative modestie de nos investissements dans les équipements spatiaux militaires.

L'arrêt du fonctionnement de l'un des deux satellites Hélios I, cet automne, nous rappelle que la durée de ces équipements est limitée et qu'il est donc nécessaire de préparer leur renouvellement. Pouvez-vous nous dire, madame le ministre, où en sont les réflexions sur le programme qui succédera à Hélios II ?

Par ailleurs, alors que les équipements spatiaux jouent un rôle croissant dans la prévention et la gestion des crises, de nombreuses applications militaires de l'espace demeurent encore le monopole des Etats-Unis.

La France, grâce au développement de démonstrateurs, s'est engagée dans les domaines de l'écoute électronique et de l'alerte à la détection des tirs de missiles balistiques. Pensez-vous que cette démarche pourra déboucher sur le lancement de véritables programmes ? Plus généralement, constatez-vous chez nos partenaires européens, au-delà des accords déjà passés avec l'Allemagne et l'Italie sur les capacités en matière de radars, une volonté d'aller plus loin et de financer en commun une gamme plus complète d'équipements spatiaux au service de l'Europe de la défense ?

Quant aux services de renseignement, leurs effectifs seront confortés l'an prochain. Il sera nécessaire de poursuivre et d'accentuer le renforcement de leurs moyens pour mieux répondre aux menaces nouvelles, au terrorisme en tout premier lieu.

Je terminerai en évoquant rapidement les services communs, pour constater qu'une nouvelle étape est intervenue dans la réorganisation de la délégation générale pour l'armement, la DGA, afin de renforcer l'efficacité de la conduite des programmes d'armement.

Par ailleurs, conformément à un engagement pris il y a un an, les crédits de recherche et technologie ont bénéficié d'une dotation complémentaire de 95 millions d'euros dans le collectif budgétaire et seront confortés en 2005. Ici encore, madame le ministre, peut-on espérer une mise en commun des efforts au niveau européen pour une plus grande efficacité, notamment dans le cadre de l'Agence européenne de la défense ?

Enfin, la commission tient à saluer les nombreuses mesures prises depuis deux ans au profit du service de santé des armées, qu'il s'agisse de la création de postes, de la revalorisation des rémunérations et des carrières ou de la définition de nouveaux statuts pour les praticiens et les infirmiers des forces. Ces mesures commencent à produire des effets visibles, même si le nombre des médecins est encore insuffisant.

Sous réserve des ces différentes observations, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, présidée efficacement par notre collègue Serge Vinçon, a émis un avis favorable sur les crédits relevant du nucléaire, de l'espace et des services communs pour 2005. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Jean Faure, rapporteur pour avis.

M. Jean Faure, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, pour la section « gendarmerie ». Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de budget de la gendarmerie pour 2005 se situe exactement à mi-parcours de l'exécution de la loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure, la LOPSI, et de la loi de programmation militaire. C'est donc l'occasion d'un premier bilan.

Le travail de la gendarmerie porte ses fruits. En effet, au cours des dix premiers mois de l'année 2004, la délinquance a reculé de 6,9 % en zone de gendarmerie nationale par rapport à la même période de l'année précédente.

Dans un contexte budgétaire difficile, madame la ministre, vous avez maintenu l'effort consenti annuellement en matière de dotations. Le projet de budget pour 2005 devrait donc permettre à la gendarmerie de conforter encore ce bilan positif.

Les dotations prévues progressent de 3,4 % par rapport à l'an dernier et permettent de poursuivre la remise à niveau des moyens de la gendarmerie. Dans un contexte budgétaire contraint, cet effort doit être salué. Il convient cependant de savoir si les 147 millions d'euros supplémentaires prévus permettront de rester en phase avec la programmation, notamment en termes de crédits d'investissement.

Entre 2003 et 2004, les crédits de fonctionnement ont augmenté de 1,2 %. De plus, la gendarmerie a bénéficié de la totalité de ces reports de crédits, pour un montant de 4 millions d'euros.

Concernant les effectifs, 2 400 emplois de gendarmes ont été créés depuis 2002 et 700 postes budgétaires devraient l'être en 2005. Si tel est le cas, 44 % des objectifs de la LOPSI seraient atteints à la fin de l'année 2005.

A partir de l'année 2005, 3 900 emplois devront cependant être créés dans un délai de deux ans pour respecter l'objectif final et concrétiser les ambitions affichées en 2002.

Je me félicite également des mesures prévues en faveur des personnels. La principale d'entre elles est la première annuité du plan d'adaptation des grades aux responsabilités, le PAGRE, pendant indispensable de la réforme des corps et des carrières de la police.

Ces deux institutions, désormais rassemblées dans une logique de métier, doivent être traitées de façon équitable.

En dépit d'une augmentation de 3,16 %, l'évolution des crédits d'investissement n'est pas conforme à la programmation prévue par la LOPSI, puisque seuls 30 % des crédits de paiement prévus auront été ouverts, résultat sans doute d'un nécessaire effort budgétaire.

Ma première question portera sur les efforts envisagés pour rénover le parc immobilier de la gendarmerie : à la fin de l'année 2003, plus du tiers des 4 223 casernes et 79 335 logements étaient officiellement considérés comme « mauvais » ou « vétustes ». Si cette situation est en cours de redressement, grâce à la participation des collectivités locales, je souhaiterais connaître les intentions du Gouvernement pour participer à cette indispensable amélioration.

Enfin, pourriez-vous, madame la ministre, faire le point sur le calendrier de mise en place opérationnelle de la force européenne de gendarmerie ? Sa création répond à un besoin évident et s'inscrit pleinement dans la construction de la défense européenne.

En conclusion, je voudrais, au nom de notre commission, témoigner notre solidarité à ceux de nos gendarmes qui, avec leur famille, ont été victimes en Corse d'attentats inadmissibles ainsi qu'à ceux qui participent à des missions périlleuses à l'étranger, tout particulièrement, à l'heure actuelle, en Côte d'Ivoire.

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat a émis un avis favorable sur les crédits de la gendarmerie pour 2005. J'invite donc la Haute Assemblée à s'exprimer dans le même sens. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. André Dulait, rapporteur pour avis.

M. André Dulait, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, pour la section « forces terrestres ». Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, c'est avec une très grande satisfaction que nous constatons que, pour la troisième année consécutive, les crédits d'équipement de l'armée de terre seront conformes à la loi de programmation militaire votée voilà deux ans. Nous y voyons le témoignage d'une volonté très ferme de préserver la continuité et la cohérence indispensables à la modernisation de nos forces années, en dépit d'un contexte défavorable pour nos finances publiques.

Le renouvellement des matériels s'effectuera donc selon le calendrier prévu, à quelques exceptions près ne tenant pas à la disponibilité des crédits. Ainsi, l'achèvement du programme Leclerc risque d'être repoussé à 2007, en raison des difficultés de GIAT-Industries. Je salue à ce propos, madame le ministre, les efforts faits pour sauvegarder notre industrie d'armement terrestre.

M. André Dulait, rapporteur pour avis. Le carnet de commandes de GIAT a été conforté avec le programme d'artillerie Caesar et diverses opérations de rénovation de matériels. Par ailleurs, des moyens importants ont été dégagés pour soutenir le plan d'adaptation de l'entreprise. A ce titre, les crédits d'équipement de l'armée de terre seront mis à contribution à hauteur de 33 millions d'euros en 2005.

Il faut se féliciter que les ressources prévues pour 2005 permettent d'éviter tout nouveau retard dans les programmes. En effet, l'âge moyen de la plupart des matériels de l'armée de terre est très élevé. En dépit de l'effort considérable réalisé depuis deux ans en faveur de leur entretien, la disponibilité de certains d'entre eux ne s'est pas améliorée. C'est notamment le cas pour la plupart de nos blindés légers, entrés en service il y a plus de vingt ans et soumis à une usure rapide du fait de leur utilisation intensive, principalement en OPEX.

C'est pourquoi il importe de respecter les échéances de livraison des matériels neufs, à défaut d'avoir pu les avancer ainsi que vous l'aviez envisagé pour l'hélicoptère NH 90.

La commission des affaires étrangères estime également nécessaire de maintenir l'effort en faveur du maintien des compétences technologiques. Je pense en particulier aux missiles destinés aux forces terrestres, domaine dans lequel nous disposons d'une compétence reconnue, mais dont plusieurs programmes ont été abandonnés. A ce sujet, pourriez-vous nous dire, madame le ministre, où en est l'étude relative au développement d'un futur missile de combat terrestre destiné à succéder à nos actuels missiles antichars ?

Les crédits du titre III demeureront contraints en 2005, même si la couverture intégrale du surcoût des opérations extérieures de cette année garantit un début d'exercice sans report de charges.

Les crédits de fonctionnement permettront de réaliser l'an prochain les cent jours d'activité prévus par la loi de programmation. Cependant, l'armée de terre contribuera aussi à l'effort général d'économies, notamment par la suppression nette de près de 700 postes civils et militaires.

C'est surtout l'enveloppe consacrée à la masse salariale, déjà calculée au plus juste en 2004, qui suscite quelques interrogations - auxquelles vous avez déjà répondu en partie - pour l'an prochain.

Nous savons que vous avez pris en compte le risque de tensions qui pourrait en résulter sur les effectifs de l'armée de terre, en raison des fortes sollicitations consécutives aux opérations extérieures. Devant la commission, vous avez mentionné la possibilité d'ajustements en cours de gestion et, lors du débat à l'Assemblée nationale, vous avez évoqué l'utilisation éventuelle à cet effet d'une partie des crédits supplémentaires inscrits dans le collectif budgétaire. Pouvez-vous nous préciser, madame le ministre, la nature des mesures envisagées et les perspectives d'évolution des effectifs de l'armée de terre en 2005, même si vous avez déjà largement évoqué ce point dans votre propos ?

Pour conclure, il me semble que le budget de l'armée de terre pour 2005 conforte le redressement réalisé depuis deux ans. Cette consolidation ainsi que la bonne réalisation des effectifs, à laquelle il faudra être particulièrement attentif l'an prochain, sont particulièrement nécessaires au moment où nos forces terrestres connaissent un rythme d'engagement élevé sur de nombreux théâtres difficiles, en y payant parfois un lourd tribut, comme cela vient d'être le cas en Côte d'Ivoire. Plus que jamais, leurs moyens doivent être pleinement adaptés à leurs missions.

En conclusion, j'indique que la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a émis un avis favorable sur les crédits des forces terrestres pour 2005. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Nogrix, rapporteur pour avis.

M. Philippe Nogrix, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, pour la section « air ». Madame la ministre, je tiens à vous féliciter une nouvelle fois pour la persévérance avec laquelle vous parvenez à poursuivre, pour la troisième année consécutive, l'application de la loi de programmation militaire 2003-2008,...

M. Didier Boulaud. Pour l'instant, il n'y a pas de fausse note !

M. Jean-Louis Carrère. Tout va bien !

M. Philippe Nogrix, rapporteur pour avis. ... et ce dans un contexte budgétaire très contraint, c'est le moins que l'on puisse dire !

Il y avait tant de retard à rattraper...

M. Jean-Louis Carrère. Ah ! ces socialistes !

M. Philippe Nogrix, rapporteur pour avis. ... pour que nos avions puissent enfin voler !

M. Didier Boulaud. Les merveilleux fous volants !

M. le président. Mes chers collègues, je vous en prie ! Laissez s'exprimer l'orateur !

M. Jean-Louis Carrère. Nous vous écoutons, monsieur Nogrix !

M. Philippe Nogrix, rapporteur pour avis. Grâce à votre fermeté, madame la ministre, les équipements militaires ne sont plus une variable d'ajustement du budget global de l'Etat.

Quant au budget de l'armée de l'air, il maintient en 2005 un haut niveau de crédits avec 6,1 milliards d'euros, soit 18,4 % des crédits du ministère de la défense.

Le titre III, consacré aux dépenses de fonctionnement, rémunérations et charges sociales, représente 2,5 milliards d'euros, en hausse de 0,61 % par rapport à 2004, et les titres V et VI, consacrés aux équipements, s'élèvent à 3,6 milliards d'euros, soit une croissance de 0,55 % par rapport à 2004 : 40,5 % du budget seront donc consacrés au fonctionnement et 59,5 % aux équipements et investissements.

Nous savons que le recrutement et la gestion des différents personnels de l'armée de l'air s'opèrent sans difficulté majeure, du fait de l'attractivité qui caractérise cette branche de l'armée. Certes, des tensions ponctuelles existent en ce qui concerne la « fidélisation » de certains sous-officiers très qualifiés comme les mécaniciens, auxquels le secteur privé peut offrir des rémunérations supérieures assorties de contraintes moindres en terme de disponibilité. Mais la création de primes d'attractivité doit permettre, au moins partiellement, d'y remédier.

Notre flotte de combat, déjà forte des Mirage, qui sont des avions de grande qualité, va être renforcée par l'arrivée des quinze premiers Rafale Air : cinq d'entre eux sont déjà en cours d'expérimentation à Mont-de-Marsan,...

M. Jean-Louis Carrère. Dans les Landes !

M. Philippe Nogrix, rapporteur pour avis. Merci pour cette précision géographique, qui montre bien votre connaissance de ce territoire, monsieur Carrère ! (Sourires.)

M. Didier Boulaud. Il y tient !

M. Philippe Nogrix, rapporteur pour avis. Ces cinq avions constitueront un premier escadron dès 2006.

Le resserrement, de 330 aujourd'hui à 300 en 2008, du nombre de nos avions de combat s'accompagnera donc d'un renforcement de la puissance d'intervention de notre flotte, grâce aux nouvelles capacités qualitatives offertes par les Rafale.

Je souhaite maintenant attirer votre attention sur deux ruptures capacitaires de nature à altérer la réactivité de l'armée de l'air.

Tout d'abord, le retrait du service, dès cette année, de trois DC 8 dont le coût de maintenance devenait prohibitif du fait de leur vétusté laisse entier le problème du transport à long rayon d'action.

M. Philippe Nogrix, rapporteur pour avis. Quelles décisions seront-elles prises au cours de l'année 2005 pour remédier à ce retrait, alors que l'entrée en service des deux appareils destinés à remplacer ces DC 8 n'est annoncée que pour la fin de l'année prochaine ? N'est-il pas possible, madame la ministre, d'anticiper ce remplacement afin d'éviter ce déficit de capacité ?

Par ailleurs, quel sera le mode de financement de ces futurs appareils ? Il semble que l'on s'oriente vers une autre formule que l'achat en pleine propriété. Je souhaite, madame la ministre, que vous nous éclairiez précisément sur ces prévisions de financement, comme vous avez commencé à le faire en répondant à nos rapporteurs spéciaux.

La question est simple : qu'attend-on de ce « financement innovant » dont a parlé M. le rapporteur spécial ? (M. Jean-Louis Carrère sourit.) En effet, beaucoup de mes collègues s'interrogent sur cette formule.

M. Philippe Nogrix, rapporteur pour avis. Le troisième DC 8 était dévolu au recueil d'informations électroniques : ces renseignements feront forcément défaut.

Cette lacune sera accentuée par le retrait, au même moment, des premiers drones d'observation, les Hunter, en service dans l'armée de l'air depuis le conflit au Kosovo. La qualité des éléments recueillis par ces appareils n'est plus à démontrer, comme l'atteste le nombre sans cesse croissant de pays européens qui s'associent à la France dans le projet Euro-MALE - moyenne altitude longue endurance - de futur drone d'observation à longue endurance.

D'ici là, les Hunter seront remplacés par les drones Eagle, dont l'autonomie est plus importante. Or ce remplacement ne devrait intervenir qu'à la fin de l'année 2005.

Comment envisagez-vous, madame la ministre, de remédier à ce second déficit de capacité, portant cette fois sur le recueil d'informations, lui aussi préjudiciable à l'armée de l'air et à l'ensemble de nos forces armées ?

Les récents conflits sont, hélas ! démonstratifs à ce titre. J'ai bien entendu les propos de mon collègue Xavier Pintat sur la portée des lancements des satellites Hélios puis Syracuse, mais il y a tout de même là un déficit.

En attendant vos réponses, je vous précise, madame la ministre, que la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, sous la présidence de notre collègue Serge Vinçon, a émis un avis favorable à l'adoption des crédits affectés à l'armée de l'air dans le projet de budget de la défense pour 2005. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. André Boyer, rapporteur pour avis.

M. Jean-Louis Carrère. Enfin la voix de l'opposition ! Cela fait soixante-neuf minutes que l'on attend cela !

Mme Hélène Luc. C'est vrai !

M. André Boyer, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, pour la section « marine ». Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le budget de la marine pour 2005 suscite des motifs de satisfaction pour le présent et certaines inquiétudes pour l'avenir.

J'évoquerai tout d'abord les motifs de satisfaction.

Premièrement, la disponibilité des matériels est en nette progression après trois ans d'efforts soutenus, ce qui est un facteur décisif pour les capacités opérationnelles, mais surtout pour le moral et la motivation des équipages.

Deuxièmement, ce projet de budget prévoit l'entrée en service effective ou tout au moins très proche d'équipements neufs : le Vigilant, le troisième SNLE-NG, sous-marin lanceur d'engins de nouvelle génération, le Mistral, bâtiment de projection et de commandement, le NH 90, hélicoptère de transport, ainsi que les frégates Horizon, dont l'arrivée prochaine est attendue.

Troisièmement, notre marine s'est engagée au cours de l'année 2004 dans des opérations où son niveau d'excellence a été une nouvelle fois reconnu et souligné. Je souhaite insister tout particulièrement sur l'engagement de la marine française, depuis près de trois ans, dans les opérations d'Afghanistan, au sein de « l'autre coalition américaine ».

Mes questions, madame la ministre, porteront davantage sur les motifs d'inquiétude que suscitent le financement des frégates multimissions et, sur un sujet connexe, la place de DCN dans les recompositions industrielles en cours.

M. Didier Boulaud. S'il commence à critiquer, on est foutu ! (Sourires.)

M. André Boyer, rapporteur pour avis. Bien que l'annuité du référentiel de programmation soit respectée, ce dont notre commission se félicite, les premières échéances du programme des frégates multimissions ne seront pas respectées. Il est donc prévu de faire appel à un financement dont le qualificatif fait débat - « innovant », « alternatif », « différé », ... -, et dont nous avons retenu qu'il n'était pas, pour le moment, inscrit au budget de l'Etat. Il ne fera donc pas, à ce stade, l'objet d'une autorisation parlementaire.

Les origines de la situation budgétaire qui président à ce choix sont connues et le diagnostic partagé. Je n'y reviens donc pas.

Le caractère décisif de ce programme est également un constat partagé.

Nous sommes néanmoins dans la plus grande incertitude quant à son financement. A la différence des montages dont nous avons l'exemple - le programme britannique FSTA, future strategic tanker aircraft, le partage des capacités satellitaires, la location de prestations ou d'équipements -, les frégates ne se prêtent ni à un usage dual, ni à l'externalisation. Quels peuvent en être, dès lors, les bénéfices attendus ?

Les caractéristiques du montage financier, les hypothèses de coût, les avantages qui en sont espérés, la façon dont ce programme affectera le budget de l'Etat et les comptes publics sont autant de questions qui restent en suspens. Pouvez-vous nous éclairer sur ces différents points et nous dire quelles étapes restent à franchir avant de finaliser ce dossier ?

Nous souhaitons, madame la ministre, que les échéanciers du programme nous soient communiqués lorsqu'ils seront établis. Ce report des paiements sur la prochaine loi de programmation ne risque-t-il pas d'affecter les capacités d'investissement de la marine, dont les besoins restent importants ?

Ma seconde question est liée à la première.

DCN paraît rester à l'écart des recompositions industrielles qui se dessinent et au sein desquelles elle semblait pourtant pouvoir jouer un rôle. L'alliance avec Thales, un temps annoncée comme imminente, n'est plus d'actualité.

Ces recompositions industrielles, indispensables pour la compétitivité du secteur naval en Europe, ont été trop longtemps différées. Il ne faut pas nous cacher le fait qu'elles seront douloureuses ; mais, si elles doivent encore tarder, c'est le client lui-même qui risque de faire défaut, la marine ne pouvant supporter plus longtemps que pèsent sur son budget des mesures réduisant ses capacités d'acquisition.

L'Etat est l'unique actionnaire de DCN et il est présent dans le capital de ses partenaires français potentiels. Pouvez-vous nous exposer, madame la ministre, sinon les décisions qui seront prises, du moins les différents scénarios envisagés pour l'avenir de DCN ?

Telles sont, madame la ministre, les interrogations que je souhaitais formuler après l'avis favorable donné par notre commission à l'adoption du budget de la défense pour 2005. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Monsieur Dulait, il est vrai que les matériels dont nous disposons sont âgés. Or, comme pour les voitures, plus ces matériels sont âgés, plus ils ont besoin d'entretien et plus ils coûtent cher en termes de maintien en condition opérationnelle, ou MCO.

Notre objectif est donc de réaliser les programmes le plus rapidement possible. Dans la mesure où nous ouvrons les crédits nécessaires, nous attendons aussi des industriels qu'ils fassent le travail nécessaire pour livrer les matériels en temps utile, ce qui n'est pas systématiquement le cas. Nous ne pouvons que le regretter, notamment s'agissant des chars Leclerc.

En ce qui concerne le combat terrestre, nous avons pour objectif de sortir un nouveau missile et, dès 2005, nous allons lancer un programme de démonstrateurs de missiles de combat terrestre.

Il est vrai que l'armée de terre assume aujourd'hui à peu près 80 % des opérations, ce qui, je le reconnais, représente une très forte contrainte. C'est la raison pour laquelle j'ai obtenu, depuis la rédaction du projet de loi de finances initial pour 2005, que 200 millions d'euros soient ouverts dans le collectif budgétaire, essentiellement au profit des effectifs et de l'entraînement, afin de répondre réellement aux besoins. Je tiendrai bien entendu la représentation nationale informée de l'utilisation de ces moyens.

Certains des chiffres qui ont été évoqués sont extrêmes et sont sans fondement par rapport à la réalité. Je n'ai d'ailleurs pas toujours compris d'où ils venaient et comment ils avaient été calculés...

M. Pintat m'a interrogée sur notre effort spatial. Ce domaine aura, dans les prochains mois et les prochaines années, une place essentielle. Je suis persuadée pour ma part que, si la dissuasion a constitué le tournant des années soixante, le spatial constituera le tournant du XXIe siècle.

M. Philippe Nogrix, rapporteur pour avis. Très bien !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. La France est déjà sensibilisée sur ce dossier et, par sa politique de démonstrateurs spatiaux, elle contribue largement au développement de la base industrielle et technologique européenne, indispensable au développement des futures capacités spatiales.

Bien entendu, nous ne pouvons pas le faire seuls et il est essentiel pour nous de convaincre les autres pays européens de nous rejoindre et de participer à cet effort. Certains ont d'ailleurs déjà commencé à prendre conscience de l'importance stratégique des capacités spatiales.

En quelques années, de nombreux pays vont avoir accès à des moyens d'observation par satellite de haute précision et à des moyens de télécommunications militaires.

La France elle-même a proposé, dans le cadre du plan d'action européen pour les capacités, c'est-à-dire du processus ECAP, de présider le groupe de travail sur l'espace avec, pour objectif, d'entraîner ses partenaires à développer une politique spatiale européenne de défense plus ambitieuse.

C'est dans ce cadre que nous préparons le successeur du programme Hélios II. Ce programme, qui doit être européen, présente un caractère d'urgence auquel nous entendons bien répondre.

Monsieur Pintat, au sujet de la dissuasion, je veux également préciser que le contrat de production du M 51 va probablement être notifié aujourd'hui ou demain.

J'en viens à la gendarmerie, sujet cher à M. Faure. Vous savez qu'ont eu lieu, au cours de cette année et de l'année dernière, toute une série d'opérations de regroupement de petites brigades en vue de conjuguer le besoin de présence sur le terrain et le besoin de contact avec le public. Le retour que nous en avons nous montre, en effet, une véritable plus-value de la nouvelle organisation.

Au sujet des crédits, vous avez souligné un certain retard par rapport à ce que serait une annuité moyenne de la LOPSI. Or, je vous le rappelle, cette dernière n'a pas été annualisée et nous ne pourrons donc nous prononcer qu'à son terme.

Dans l'immédiat, ce qui m'a paru très important, c'est de faire un effort sur le domaine dans lequel nous avons un véritable besoin, à savoir les effectifs. Je n'en oublie pour autant le reste, en particulier l'immobilier.

Lors de mes fréquentes visites dans les brigades, je mesure effectivement la vétusté du parc immobilier de la gendarmerie. L'entretien a été notoirement insuffisant dans les années passées, de sorte que nos gendarmes vivent parfois dans des conditions extrêmement difficiles. Je m'en préoccupe, car il me paraît prioritaire d'offrir aux militaires, aux gendarmes et à leurs familles des conditions de vie satisfaisantes.

Cette priorité suppose une amélioration : quantitative d'abord puisque nous recrutons, ce qui nous oblige à dégager de nouvelles capacités de logement, mais également qualitative par rapport à un parc d'immeubles anciens et insuffisamment entretenus.

C'est pour améliorer significativement cette situation que j'ai décidé d'externaliser la gestion des logements domaniaux ainsi que celle de l'immobilier de la gendarmerie auprès de professionnels, lesquels me paraissent les mieux à même de répondre à ces besoins.

Qu'il soit bien entendu que la rédaction des contrats que nous passerons prendra totalement en compte les exigences quantitatives et qualitatives que je viens d'évoquer. La gestion, c'est un métier, qui n'est pas celui de la gendarmerie. Et les gens qui s'engagent ont en général envie de faire autre chose que de la gestion immobilière.

Cette double externalisation aura pour support technique des appels d'offres. Vraisemblablement lancés au cours du premier semestre 2005, ils seront précédés d'une expertise technique et financière qui devrait être achevée au cours des prochaines semaines.

La force européenne de gendarmerie a été créée en un temps record : il a fallu moins de six mois entre le moment où j'ai lancé cette idée auprès de mes collègues à Bruxelles et la signature de l'accord par cinq pays, auxquels se sont joints, depuis, deux autres. C'est au début de l'année 2005 que cette force de gendarmerie sera installée à Vicenza, aux environs de Rome, avec à sa tête un général français.

Je tiens, tout comme vous, à saluer nos gendarmes qui, en Corse et en Côte d'Ivoire, vivent parfois dans des conditions extrêmement difficiles. Je voudrais saluer leur engagement, leur courage, leur professionnalisme et leur attitude, en tous points remarquables.

Monsieur Nogrix, j'en viens aux capacités de l'armée de l'air, notamment les capacités de transport et de renseignement.

Je confirme que le prestige de l'armée de l'air nous évite tout problème de recrutement. Nous devons, bien entendu, garantir la fidélisation dans un certain nombre d'emplois, mais cela se fait aussi sans difficulté majeure.

Vous m'avez fait part de vos préoccupations en matière de renseignement.

Les DC 8, dotés du système aéroporté de recueil d'informations de guerre électronique, le Sarigue, qui collectaient le renseignement d'origine électromagnétique, ont été retirés du service. En effet, on avait fait le choix d'équiper d'un matériel très performant des avions déjà très âgés, ce qui réduisait leur disponibilité et rendait les coûts d'entretien prohibitifs.

De plus, nous le savons, nous avons la possibilité de procéder à ce remplacement. C'est compte tenu de notre retour d'expérience et après concertation avec les états-majors que nous avons décidé ce retrait. En effet, les Transall « Gabriel », ravitaillables en vol, offrent une bonne capacité de recueil du renseignement électromagnétique et d'autres moyens non aéroportés sont également disponibles.

Les deux escadrons de Mirage F1 CR, déjà présents sur les théâtres d'opérations extérieures, continueront à nous fournir une capacité de reconnaissance permettant d'attendre les Rafale.

Les Hunter ont contribué à valider le concept d'emploi des drones dans l'armée de l'air, tout en lui donnant une capacité embryonnaire - mais réelle - dans ce domaine.

Enfin, le prochain lancement du satellite Hélios II, l'arrivée dans quelques mois du système intérimaire de drones MALE sur la base de Cognac et le programme Euromale conforteront les moyens de renseignement dont nous avons besoin.

En outre, vous m'avez interrogée sur les capacités de transport, qui sont l'une de nos préoccupations.

En matière de transport stratégique, nous disposons, je le rappelle, de trois Airbus A 310.

Nous avons également la possibilité de mutualiser les moyens européens. C'est cela aussi, l'avantage de l'Europe ! Le Centre européen de transport aérien nous permet ainsi de faire face à un certain nombre de besoins.

Enfin, nous avons mis en place un certain nombre de procédures en vue de réduire les délais lorsque la défense recourt à l'affrètement.

L'ensemble de ces mesures permet de limiter l'impact de notre déficit capacitaire, dans l'attente des deux avions de transport à très long rayon d'action qui seront livrés dans quelques mois.

S'agissant du mode de financement, ces avions seront loués par les armées en attendant le programme Multi Role Transport Tanker.

Monsieur Boyer, comme je l'ai dit tout à l'heure, nous étudions avec Bercy la mise au point définitive du volet financier du contrat des FREMM, les frégates européennes multimissions.

Nous souhaitons d'abord améliorer les délais de financement. Et, quand on me dit qu'il n'y a pas de crédits, je réponds que c'est normal, puisque le programme n'a pas encore débuté. En revanche, les autorisations de programme nous permettent de démarrer. Les crédits de paiement interviendront en fin de programme, au moment où nous paierons.

Nous cherchons également - et j'y vois l'un des éléments intéressants des financements innovants - à en étendre le périmètre, notamment en intégrant le MCO, le maintien en conditions opérationnelles. Pour pratiquement tout le matériel, c'est sans doute l'une des grandes innovations qui marquera les années à venir. En effet, le matériel que nous achetons doit réellement être disponible en permanence, et nous partageons ainsi un certain nombre de risques avec les industriels, que nous sensibilisons aux conditions de son entretien.

Aujourd'hui, nous avons déjà défini avec Bercy tous les éléments qui vont permettre au Premier ministre d'arbitrer dans un délai compatible avec la partie industrielle du dossier.

J'en viens à la transformation de DCN, qui est un succès. Il faut savoir le dire : c'est un succès ! Le carnet de commandes est plein, nous sommes en avance sur le contrat d'entreprise et les utilisateurs manifestent leur grande satisfaction. Aujourd'hui, les critiques se sont tues et je constate que la marine est heureuse de ce que fait DCN. Il y a même une baisse du coût du MCO ! Tous les critères de satisfaction sont donc réunis.

Cela étant, comme je l'ai dit à plusieurs reprises, si nous voulons conserver une industrie navale dynamique et pérenne, il faut nous donner les moyens de résister à la concurrence. Cela signifie avoir des entreprises d'une taille suffisante, issues des rapprochements européens. C'est la raison pour laquelle il est nécessaire d'ouvrir le capital de DCN.

Aujourd'hui, des discussions ont lieu entre DCN et un industriel français privé dans le domaine de la défense européenne, Thales. Ce rapprochement me paraît positif. L'ouverture du capital entre dans cette dynamique, qui est celle de DCN et qui doit permettre d'en faire un pôle central de l'industrie navale. (Mme Hélène Luc s'exclame.)

Le projet de loi sur l'ouverture du capital sera présenté mercredi prochain en conseil des ministres. Nous montrerons ainsi clairement notre volonté. Enfin, je le précise, tout sera fait dans le respect des garanties de chacun, comme je l'ai annoncé aux personnels. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.

M. Serge Vinçon, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Comme l'an passé, il vous aura fallu, madame la ministre, batailler ferme pour pouvoir nous présenter aujourd'hui un bon budget 2005 pour la défense. Dans sa majorité, notre commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées en a d'ailleurs recommandé l'adoption à notre Haute Assemblée.

Ce projet de budget est, en effet, positif pour plusieurs raisons.

La première est qu'il respecte, pour la troisième année consécutive, les prescriptions de la loi de programmation militaire. Cette innovation, qui mérite d'être saluée, reflète tout d'abord, et ce n'est pas rien, le respect du Parlement, qui l'a votée.

Ensuite, ce budget exprime la persévérance de l'effort financier en faveur tant du renouvellement que du maintien en condition opérationnelle de nos équipements. On s'écarte donc enfin de la logique suivie durant des années des ponctions intempestives effectuées sans compensation sur le titre V et qui ont tant pesé sur le calendrier d'exécution de certains de nos grands programmes.

Nos armées ont reçu cette année ou recevront l'an prochain des équipements nouveaux, attendus depuis longtemps. Je n'évoquerai que certains d'entre eux.

Dans le domaine de la conduite, du commandement, de la communication et du renseignement, celui des capacités dites « C3R », on peut saluer le lancement dans quelques jours du satellite d'observation Hélios II, élément essentiel d'une capacité nationale et européenne d'évaluation autonome des situations. Et, dans quelques mois, le lancement du satellite de communication Syracuse III viendra aussi conforter nos ressources dans ce domaine.

Il faut saluer ici le résultat d'efforts importants consentis depuis plusieurs années pour permettre à notre pays de tenir le rôle de nation cadre dans les opérations de l'Union européenne. C'est donc aussi un signal politique qui est ainsi délivré à nos partenaires de l'Union, comme de l'OTAN.

Toujours dans le même souci de privilégier les capacités stratégiques de renseignement, vous avez, madame la ministre, réorganisé la démarche pour le développement de drones d'observation, avec le lancement du programme de démonstrateur Euromale, qui permettra l'entrée dans nos armées des premiers drones MALE vers 2010.

J'ajoute que c'est dans ces deux domaines centraux des moyens spatiaux et des drones que la France est pays pilote de projets dans le cadre du plan d'amélioration des capacités de la défense européenne.

S'agissant de la projection et de la mobilité, il faut saluer l'admission au service actif, en 2005, du Mistral, bâtiment de projection et de commandement de la marine, grâce auquel il sera possible d'engager, depuis la mer, un groupement interarmées blindé léger de 1 400 hommes.

En ce qui concerne l'évolution de notre capacité de projection et de mobilité, j'ai cependant deux motifs d'interrogations.

Tout d'abord, les retards subis dans le calendrier de l'A 400 M, dont les premiers exemplaires ne seront livrés en nombre significatif qu'à partir de 2011, poseront dès l'année prochaine à l'armée de l'air, avec le retrait des Transall les plus anciens, un problème important de capacité qu'elle devra résoudre d'une manière ou d'une autre.

S'agissant ensuite du NH 90, nous nous étions félicités de votre décision de lancer une étude pour examiner la possibilité d'avancer la livraison à l'armée de terre de cet hélicoptère, actuellement prévue pour 2011, de préférence à la réalisation d'investissements importants pour la rénovation des Puma et des Cougar. Malheureusement, la décision prise avant votre arrivée au ministère apparaît aujourd'hui difficilement réversible, mais je reste perplexe quant aux raisons avancées pour expliquer le choix effectué à l'époque. On constate en effet chaque jour, à la lumière des nouveaux types de conflits, l'importance primordiale de disposer de la capacité de transport et de mobilité optimale que permettent les hélicoptères de nouvelle génération.

Par les crédits de fonctionnement qu'il prévoit, ce projet de budget permettra également des avancées positives.

Il s'agit d'abord de la poursuite de l'amélioration de la condition militaire, dans la mesure où l'attention portée à la situation matérielle des femmes et des hommes de la défense est indissociable de l'accent mis sur la qualité des équipements qu'ils servent.

Il s'agit ensuite du financement des OPEX en loi de finances initiale. Certes, les 100 millions d'euros inscrits à ce titre sont loin de correspondre à la réalité des surcoûts annuels dus à ces opérations ; il reste que la démarche est très positive dans son principe, comme l'est d'ailleurs l'abondement prévu en loi de finances rectificative pour 2004 des sommes nécessaires à la couverture de ce surcoût, qui mobilise des ressources extérieures au budget de la défense.

La défense s'implique d'ailleurs aussi, vous nous l'avez expliqué en commission, madame la ministre, dans l'indispensable effort d'économies de fonctionnement partagé par l'ensemble des acteurs publics, et les restructurations de plusieurs services de votre ministère ou l'externalisation de certaines fonctions en témoignent.

Il reste qu'il arrive - et ce fut le cas en 2004 - que la gestion des crédits de fonctionnement se heurte encore en cours d'année à des mesures de gel provisoire ou aux conséquences des reports de charges, qui peuvent avoir des effets négatifs directs, notamment sur l'entraînement des forces.

Notre attention a par ailleurs été attirée sur les inquiétudes concernant les effectifs, s'agissant en particulier de l'armée de terre. Vous nous avez dit, madame la ministre, avoir reçu des garanties, et vous-même avez pris des engagements pour que de telles craintes ne se concrétisent pas en 2005. Nous vous faisons confiance.

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l'esprit de la loi de programmation comme celui de ce projet de budget s'inscrivent résolument dans la promotion d'une capacité européenne de défense. Cette défense européenne s'affirme d'ailleurs chaque jour davantage dans la réalité opérationnelle, comme en Bosnie-Herzégovine, où l'Union européenne a, voilà quelques jours, pris le relais de l'OTAN.

Notre pays s'implique tout aussi fortement dans les opérations conduites par l'OTAN elle-même, où ce sont d'ailleurs bien souvent des contingents européens qui, comme au Kosovo, forment l'essentiel des forces déployées. Il n'est pas non plus indifférent de voir que, simultanément, deux officiers généraux français exercent le commandement de deux missions majeures de l'OTAN, au Kosovo et en Afghanistan.

Tout cela illustre l'engagement de notre pays dans le fonctionnement d'une organisation atlantique au sein de laquelle, pourtant, la position particulière de notre pays reste malheureusement mal perçue à l'extérieur et demeure parfois l'objet d'une suspicion politique durable.

La création en 2004 d'une force européenne de gendarmerie et celle des groupements tactiques viennent encore illustrer la vitalité de l'ambition européenne de défense dont notre pays aura été le constant promoteur. Il a su, madame la ministre, traduire ses paroles en actes dans l'intérêt de la paix.

Bien sûr, beaucoup reste à faire. L'Agence européenne de défense et d'armements se met au travail et devra jouer le rôle de catalyseur dans les domaines où les capacités européennes sont encore déficientes. Il lui faudra aussi oeuvrer à la définition des règles qui permettront la création d'un véritable marché européen de l'armement : l'examen du Livre vert de la Commission européenne sur les marchés publics de la défense en sera prochainement l'occasion.

Je terminerai mon intervention en évoquant la polémique sur les récents et tragiques développements de la crise ivoirienne.

Chacun sait que, si nos forces sont présentes dans ce pays, c'est à la seule fin d'y rétablir et de tenter d'y préserver la paix civile, comme la communauté internationale le leur a demandé. Depuis près de deux ans, elles se sont acquittées de cette mission, sous votre autorité, avec un professionnalisme exemplaire, au prix des sacrifices que l'on connaît.

Voilà un mois, dans une situation particulièrement difficile et dans un climat de violences et de menaces explicites, nos forces ont été conduites, pour remplir leur devoir de protection des civils placés sous leur garde, à exercer leur droit de légitime défense. La responsabilité des pertes humaines, qui sont, vous l'avez dit, autant de morts en trop, est à rechercher chez ceux qui ont délibérément déclenché cet enchaînement de violences et qui n'ont pas su, ou pas voulu, l'interrompre à temps.

Je voudrais donc redire ici notre confiance et notre solidarité envers tous nos militaires, auxquels il revient, avec vous, madame la ministre, d'empêcher l'aggravation d'une crise pour permettre la reprise d'un dialogue politique plus urgent et nécessaire que jamais. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Monsieur Vinçon, je voudrais d'abord vous remercier, ainsi que l'ensemble des membres de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, que vous présidez, pour le travail que vous avez accompli et pour la relation fructueuse que vous avez su établir avec le ministère de la défense.

Je voudrais également vous remercier tout particulièrement d'avoir rappelé les responsabilités assumées actuellement par les militaires français sur l'ensemble des théâtres d'opérations extérieurs. Que ce soit dans un cadre bilatéral ou dans celui de l'OTAN ou de l'Union européenne, ces opérations sont de toute façon toujours menées sous l'égide des Nations unies.

Je voudrais enfin vous remercier des propos que vous avez tenus sur les militaires de l'opération Licorne. Je crois que l'on assiste effectivement aujourd'hui à une véritable opération concertée de communication qui est, en fait, une opération de désinformation. L'objectif est essentiellement d'essayer de détourner l'attention de ce qui s'est réellement passé, à savoir des violations du cessez-le-feu qui avait été décrété par les Nations unies.

Ces violations sont le fait du gouvernement ivoirien, qui veut détourner l'attention de l'opération qui, de manière délibérée, a conduit à la mort de neuf militaires français, trente-quatre autres ayant été blessés, alors que tous participaient à une opération de paix visant à empêcher de nouveaux combats entre le Nord et le Sud, combats dans lesquels les victimes sont souvent, bien entendu, des civils.

Le gouvernement ivoirien entend en outre détourner l'attention des exactions, des vols, des attaques, des propos racistes et xénophobes, de l'appel au meurtre qui a été lancé par la presse d'Abidjan, toute presse d'opposition et toute presse internationale ayant d'ailleurs été éliminées, ainsi que par un certain nombre de responsables politiques ivoiriens.

Telle est la réalité et, face à cette réalité, je crois comme vous que les militaires de l'opération Licorne, qui sont là à la demande de l'ONU pour soutenir les forces de l'ONUCI et pour protéger les ressortissants étrangers, ont fait preuve d'une maîtrise totale, d'un grand professionnalisme et d'une extraordinaire patience.

Je puis vous dire que je reçois chaque jour, de la part de Français et d'étrangers qui étaient sur place, de multiples témoignages de gratitude à leur égard. Ces personnes expriment également ce qu'elles ont vécu : des coups de feu ont été tirés sur les bâtiments ou sur les voitures qu'ils occupaient, ils ont été l'objet de menaces. Tous affirment très clairement que, sans les soldats de l'opération Licorne, ils ne seraient plus en vie, et ils leur manifestent leur reconnaissance. Je pense qu'il est bon de le dire. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Par ailleurs, vous avez rappelé, monsieur Vinçon, l'investissement que la France consent pour se doter de matériels nouveaux correspondant aux besoins, notamment en matière de moyens spatiaux et de drones. Il est vrai que la France est à la tête des pays qui veulent engager d'une façon forte l'Europe dans cette voie, qui peut le mieux nous mettre en mesure de répondre aux besoins futurs. Je crois que nous progressons dans ce domaine.

Vous m'avez interrogée en outre sur la manière de compenser le retard de livraison de l'avion de transport A 400 M. Comme je l'ai dit tout à l'heure, nous pouvons à la fois utiliser les trois Airbus dont nous disposons actuellement et recourir à des moyens mutualisés à l'échelon européen. Cela nous permet de tenir en attendant les nouveaux matériels.

En ce qui concerne l'hélicoptère NH 90, j'avais effectivement fait étudier la possibilité d'en avancer la livraison, pour les raisons de coût et de difficulté d'entretien des matériels existants que vous avez évoquées tout à l'heure. Malheureusement, les conditions financières qui ont été proposées par l'industriel sont incompatibles avec la loi de programmation militaire. C'est la raison pour laquelle nous n'avons pas pu retenir cette option.

En ce qui concerne le fonctionnement, le ministère de la défense, conscient bien entendu de la situation économique générale de la France, réalise un certain nombre d'économies. Pour autant, nous devons disposer des moyens d'effectuer les missions qui nous sont confiées.

A cet égard, le financement des surcoûts liés aux OPEX s'est amélioré en 2004, puisque nous obtiendrons le remboursement intégral des montants engagés. En ce qui concerne 2005, les 100 millions d'euros inscrits dans le projet de loi de finances initiale ne sont pas, bien sûr, les quelque 600 millions à 650 millions d'euros que coûteront en réalité les OPEX, mais c'est un premier geste significatif.

Pour ma part, je souhaite que nous validions l'année prochaine l'hypothèse qui avait été retenue par l'Inspection générale des finances et le Contrôle général des armées, selon laquelle cette ligne budgétaire serait dotée de 300 millions d'euros chaque année, le caractère quelque peu imprévisible des OPEX demeurant. Si nous parvenions à inscrire 300 millions d'euros à ce titre en loi de finances initiale, la situation serait à peu près satisfaisante.

M. Yves Fréville, rapporteur spécial. Très bien !

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Me permettez-vous de vous interrompre, madame la ministre ?

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Je vous en prie !

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances, avec l'autorisation de Mme la ministre.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Madame la ministre, les projets de loi de finances seront désormais élaborés sur une base nouvelle, instituée par la loi organique relative aux lois de finances, tout entière au service de la sincérité. Or il ne fait pas de toute que, en 2005, les OPEX coûteront quelque 600 millions ou 700 millions d'euros.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Oui, a priori !

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Je comprends donc mal que le ministère des finances se contente d'inscrire 100 millions d'euros à ce titre ! J'espère que 2005 sera l'année de transition vers une complète sincérité.

Cela étant, je rends hommage, madame la ministre, à votre volonté, qui correspond d'ailleurs à un engagement que vous aviez pris devant la commission des finances du Sénat voilà un an, de faire apparaître les OPEX dans la loi de finances initiale. C'est fait ! Le problème est que les crédits inscrits ne sont pas vraiment suffisants, mais c'est un premier pas, et je ne doute pas que le projet de loi de finances pour 2006 marquera un progrès à cet égard.

M. le président. Veuillez poursuivre, madame la ministre.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Le soutien que je viens de recevoir de la part du président de la commission des finances du Sénat sera certainement un argument de poids dans la discussion que j'aurai avec le ministère des finances. (Sourires.) Je vous en remercie, monsieur Arthuis ! (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Il est vrai que je n'avais pas demandé au départ que l'on inscrive 600 millions d'euros dans le projet de loi de finances initial pour les OPEX. En effet, on ne sait jamais, certaines choses ne peuvent être prévues. Je souhaite cependant, pour ma part, que nous puissions nous rapprocher le plus tôt possible du coût probable, car cela nous épargnerait un effort de trésorerie et nous rendrait beaucoup plus facile la gestion de notre budget.

En ce qui concerne la gestion de la masse salariale et des effectifs, je rappelle que, là aussi, dans un souci de bonne gestion, j'ai souhaité que soit respecté cette année un grand principe : on ne peut recruter davantage de personnels qu'on ne sait pouvoir en payer.

Je suis bien entendu consciente de la charge imposée aux armées ; c'est pourquoi je me réjouis que, dans le cadre de la loi de finances rectificative, nous ayons pu intégrer les crédits qui nous permettront de faire face aux OPEX.

Enfin, l'Europe de la défense a considérablement progressé, selon un rythme exponentiel. Il y a deux ans et demi, l'Europe de la défense n'était encore qu'un mot. Aujourd'hui, c'est une réalité. C'est elle qui dirige les forces de l'OTAN en Afghanistan et, avec l'agence européenne de l'armement, nous pouvons envisager la mise sur pied d'une véritable industrie de défense européenne. Tout cela montre que, lorsqu'il y a une volonté,...

M. Charles Pasqua. Il y a un chemin ! (Sourires.)

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. ... on obtient des résultats. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Didier Boulaud. Cent dix minutes pour convaincre ! (Sourires.)

M. le président. Nous passons aux questions des orateurs des groupes.

Je rappelle que chaque intervenant dispose de cinq minutes maximum pour poser sa question, que le ministre dispose de trois minutes pour répondre et que l'orateur dispose d'un droit de réplique de deux minutes maximum.

La parole est à M. Yves Pozzo di Borgo.

M. Yves Pozzo di Borgo. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis l'échec de la Communauté européenne de défense, en 1954, les Européens s'en remettaient à l'ONU ou à l'OTAN pour intervenir dans les crises diplomatiques.

L'évolution des positions franco-britanniques, en décembre 1998 à Saint-Malo, et l'aval de l'Allemagne en mai 1999 à Toulouse ont permis aux sommets européens de Cologne et d'Helsinki de lancer, en juin et décembre 1999, la politique européenne de sécurité et de défense, la PESD, qui permet aux Européens d'intervenir dans les crises en Europe lorsque l'Alliance n'est pas engagée.

L'examen du projet de budget de la défense pour 2005 intervient dans un contexte dont nous ne pouvons que nous réjouir.

La décision des ministres de l'Union européenne, le 22 novembre de cette année, de se doter de treize groupes tactiques formés d'unités de combat de 1 500 hommes censées être opérationnelles en quinze jours en est un élément majeur. Je vous en félicite, madame la ministre.

Le jeudi 2 décembre, nous avons vu la force armée de 7000 soldats de l'Union européenne, l'EUFOR, prendre officiellement la relève de l'OTAN en Bosnie.

Cela montre que les Européens membres de l'Union ont la capacité collective d'agir de manière autonome dans des crises européennes.

En dehors du fait que le développement de cette politique de défense dépendra évidemment, dans les années qui viennent, de la mise en place d'une politique étrangère commune, l'autonomie européenne ne sera réelle que si l'Union européenne dispose d'un certain nombre de capacités critiques en matière de renseignement, de transport de troupes et, surtout, de systèmes de commandement et de communication, sans parler d'autres domaines plus stratégiques.

Un approfondissement de la compatibilité et de la mutualisation des moyens, de concert avec nos partenaires, est une condition sine qua non de cette politique européenne.

Mais revenons au budget que nous examinons aujourd'hui.

Il s'élève, pour 2005, à près de 43 milliards d'euros, en hausse de 850 millions d'euros.

Les dépenses de ce budget sont importantes, mais nécessaires - je dirai même prioritaires -, même si elles sont quelquefois insuffisantes, nul n'en doute. Je voudrais louer, madame la ministre, votre énergie en ce domaine.

Mais ces dépenses pèsent lourdement sur la situation budgétaire de la France.

Notre endettement de 1000 milliards d'euros est effarant. Les 80 % de l'impôt sur le revenu qui ne servent qu'à payer les charges financières de la dette ôtent au pays ses capacités d'investissements majeurs et fondamentaux pour l'avenir et accroissent le poids de la pression fiscale, au détriment de l'initiative individuelle et collective.

Malgré cela, nous voterons un budget 2005 qui est encore en déficit.

L'équilibre des comptes de l'Etat devrait être inscrit dans le marbre de la Constitution. Ce serait sans doute une erreur économique, mais cette initiative, qui ne verra jamais le jour, permettrait au moins au Conseil constitutionnel de rappeler aux gouvernements successifs, de gauche comme de droite, et aux parlementaires que nous sommes qu'ils ne peuvent pas continuer à hypothéquer l'avenir des générations futures.

Les dépenses que nous consacrons à notre défense représentent à elles seules près de 2 % de notre PIB. Si l'on compare ce chiffre à ceux des autres pays européens qui, pour la plupart, ont des dépenses de défense comprises entre 1 % et 2 % de leur PIB - à l'exception des Britanniques, dont les dépenses atteignent 2,4 % -, force est de constater l'écart important de l'effort fourni en ce domaine par les différents Etats membres de l'Union européenne.

Nombre de budgets de défense européens sont en chute libre alors que le nôtre est toujours en hausse, ce dont je vous félicite, madame la ministre. Cette disparité s'amplifie avec le temps, du fait des réformes en cours dans tous les Etats européens.

Pourtant, la question de l'investissement des pays membres de l'Union européenne dans la constitution des forces et dans la mutualisation des moyens constitue un point clé de la politique européenne de défense.

Dans cette perspective, madame la ministre, j'aurais souhaité savoir - mais vous avez déjà répondu en partie tout à l'heure à cette question - quels objectifs et quelle évolution vous comptez donner à la politique européenne de défense.

Comment comptez-vous préparer la défense française à la mise en oeuvre du traité constitutionnel, si celui-ci est ratifié et dépasse les seuls objectifs de Petersberg ?

Dès lors, comment envisagez-vous l'évolution du budget de la défense dans un nécessaire contexte de compatibilité et de mutualisation des moyens nationaux respectifs de l'ensemble des pays européens, ne serait-ce que pour desserrer la pression financière sur notre propre budget ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, la politique européenne de sécurité et de défense n'existait pas il y a dix ans, c'était une utopie. Il y a deux ans et demi, c'était un discours. Aujourd'hui, c'est une réalité.

Cette réalité nous est indispensable, ainsi qu'aux autres pays européens, parce que nous nous trouvons dans un contexte instable et dangereux pour tous nos concitoyens, qu'ils soient sur notre territoire ou à l'extérieur.

Il faut par conséquent poursuivre le développement de la PESD. Celle-ci a beaucoup progressé au cours des dernières années, mais il faut aller plus loin sur le plan des nouveaux matériels, des nouvelles capacités opérationnelles - la force européenne de gendarmerie en est un exemple, comme les 1 500 groupements tactiques -, mais aussi de l'investissement financier des Etats européens.

Je n'exclus pas les gendarmes du budget de la défense, d'abord parce que ce sont des militaires, d'autre part parce qu'ils participent et participeront davantage encore aux OPEX : ils le souhaitent, et cela correspond à un véritable besoin.

En ce qui concerne le budget consacré par d'autre pays à la défense, il serait faux de dire que tous sont loin derrière nous, ou qu'ils ne font pas d'effort. Aujourd'hui, la Grande-Bretagne et la Grèce sont à plus de 2 %, et d'autres pays viennent d'augmenter sensiblement leur budget, comme l'Espagne,...

M. Jean-Louis Carrère. Avec des socialistes !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. ...ou le Portugal.

Je constate d'ailleurs que d'autres pays sont prêts à les suivre, mais exclusivement dans le cadre de la défense européenne.

Quand je suis allée plaider pour l'adhésion de l'Allemagne au programme A 400 M devant la commission compétente du Bundestag, j'ai été frappée de constater que l'on dépassait un certain nombre de préventions sur l'augmentation des budgets de défense dès lors qu'il s'agissait d'un programme européen.

Il faut également rappeler - je le fais régulièrement - que, si cet effort de défense indispensable n'est pas fait, les autres pays nous demanderont de le faire pour eux. Et, quand certains de ces pays nous reprochent alors de ne pas respecter les critères de Maastricht, je considère qu'ils sont de mauvaise foi.

Il est aujourd'hui indispensable de poursuivre ce mouvement que nous avons créé au niveau européen. Je suis, pour ma part, persuadée que la PESD sera le modèle de la politique extérieure. Nous avons en effet réalisé la PESD avant la politique extérieure, et la première entraînera la seconde.

Dès lors que l'Europe est capable d'avancer unie sur un certain nombre de théâtres d'opération, c'est aussi une façon de définir sa politique extérieure. Développer la PESD est donc notre objectif.

Nous voulons d'autre part que la France puisse lancer, notamment sur le plan des matériels, un certain nombre d'initiatives. Quand nous lançons les démonstrateurs de drones, comme l'Euromale, ou les démonstrateurs de satellites, c'est une façon d'associer les autres pays à notre démarche, à laquelle ils se joignent, du même coup, beaucoup plus volontiers.

Quelle est l'évolution du budget de la défense ?

Il faut atteindre les objectifs à long terme que nous nous sommes fixés ; c'est pourquoi il est nécessaire de respecter intégralement la loi de programmation militaire : elle a représenté un effort d'autant plus important que, les premières années, nous avons dû rattraper les baisses de crédits qui avaient affecté la précédente loi de programmation militaire. Si celle-ci n'avait pas vu ses crédits amputés de 20 %, l'évolution nécessaire aurait peut-être été moins importante. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Jean-Louis Carrère. C'était la bonne nouvelle !

M. Yves Pozzo di Borgo. Je vous remercie, madame la ministre.

M. le président. La parole est à Mme Hélène Luc.

Mme Hélène Luc. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, à l'heure où se multiplient les annonces de rapprochement, de restructuration et de privatisation d'entreprises du secteur public industriel, ma question portera sur l'avenir de l'industrie de l'armement et, plus largement, sur les conséquences de cette évolution pour notre politique de défense.

La fusion de la SNECMA et de la SAGEM, la possibilité de rapprochement entre Thales et EADS - particulièrement tumultueuse, nous l'avons encore constaté ce soir en lisant la presse -, la transformation du statut de la société d'Etat DCN, avec une convergence avec Thales et une ouverture du capital que vous venez d'annoncer et dont le prochain conseil des ministres devrait se saisir, le projet en discussion de rapprochement entre Renault Trucks, Thales et Panhard, le désastre annoncé de la restructuration de GIAT Industries sont autant d'exemples dont les implications sont grandes et qui auront un coût social, économique et stratégique des plus importants.

Sur le plan social, 180 000 salariés sont concernés en France, regroupés au sein d'entreprises et de secteurs étatiques publics et privés. En Europe, ils sont plus de 400 000.

Ces personnels hautement qualifiés vont être confrontés à des situations intolérables telles que des licenciements, des annonces de reclassements plus qu'improbables - à Saint-Chamond par exemple, seuls 10 % du personnel sont reclassés -, des mises à l'écart, des déplacements, des changements de statut.

Avec la fusion de la SNECMA et de la SAGEM, nous nous sommes trouvés devant le fait accompli, quatre mois seulement après l'ouverture du capital de la SNECMA.

Alors qu'il détenait 64 % du capital, l'Etat n'en conservera qu'une part comprise entre 30 % et 35 %, avalisant de fait la privatisation de l'entreprise.

Les rumeurs de fusion de la DCN avec Thales laissent présager un sort similaire pour l'entreprise.

Vous aviez décidé, madame la ministre, d'ouvrir le capital dans la précipitation, à l'occasion de la future loi de finances rectificative, à la fin de 2004. Cette méthode avait déjà été employée pour le changement de statut, que j'avais vivement dénoncé. Cette fois, le Conseil d'Etat n'a pas avalisé cette pratique et un projet de loi, que vous venez d'annoncer, est prévu dans le courant de l'année prochaine.

Encore une fois, vous tournez le dos à la nécessaire maîtrise publique de ces fabrications stratégiques.

Quand nous avons discuté du changement de statut de la DCN, on nous a juré qu'il n'y aurait pas d'autre changement,...

M. Yves Fréville, rapporteur spécial. Personne n'a juré !

Mme Hélène Luc. ... et vous nous annoncez maintenant l'ouverture de son capital.

Pour ce qui est de GIAT, le député Teissier a osé en assimiler les salariés à des preneurs d'otages. C'est inadmissible, car ce sont bel et bien les salariés eux-mêmes qui sont pris en otage par le plan GIAT 2006 !

La situation est alarmante, et la politique du PDG, soutenue par votre gouvernement, fait peser un risque majeur de rupture technologique. Et je ne parle pas du non-respect des engagements de l'Etat en matière de reclassement...

La diversification de ses activités, tant militaires que civiles, comme le ferroutage en Rhône-Alpes, mérite une attention toute particulière. Or, jusqu'à présent, les salariés n'ont pas été entendus.

J'en viens à mes questions.

Premièrement, vous avez récemment rencontré les salariés de GIAT, et vous n'avez pas exclu la tenue d'une table ronde. Quand comptez-vous la réunir ?

Deuxièmement, j'aimerais que vous nous éclairiez sur l'éventualité d'un futur projet de loi concernant DCN. Pouvez-vous-nous assurer que GIAT n'y sera pas inclus, comme le craignent les salariés, et que l'ouverture du capital de cette dernière entreprise ne sera pas à l'ordre du jour ?

Troisièmement, vous avez longuement parlé à la radio de la contribution de la France à la défense européenne. Allez-vous enfin engager un vrai débat démocratique au Parlement à ce sujet ?

Enfin, vous le savez, le groupe communiste républicain et citoyen propose la création d'un pôle public de l'armement. Acceptez-vous d'en débattre devant la représentation nationale ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Madame Luc, nous ne sommes pas là pour nous bercer d'illusion ni pour raconter n'importe quoi. Nous savons très bien que, dans les années qui viennent, notre industrie d'armement sera directement en concurrence avec un certain nombre de pays ou de blocs de pays qui, du fait de leur poids et de leurs coûts de revient, seront susceptibles de nous rafler de nombreux marchés.

Vous le savez aussi, nous ne parviendrons pas à faire survivre nos industries de défense dans un marché purement national. Si nous nous montrons responsables, nous devons les mettre en position de résister à une telle concurrence. Il faut donc les conforter. C'est ce qu'a permis la création d'EADS dans le domaine aéronautique.

J'ai également souhaité favoriser des rapprochements avec les démonstrateurs de drones, en associant Dassault et d'autres entreprises d'autres pays européens.

En ce qui concerne DCN, c'est exactement la même chose. Il faut le savoir, d'ores et déjà, la concurrence de l'Asie du sud-est se fait sentir très fortement dans le domaine privé. Or cette concurrence s'étendra, bien entendu, au secteur de la défense.

Parler d'un pôle national n'a pas de sens. Il faut que nous soyons à la hauteur de nos rivaux. Nous devons donc conforter nos entreprises, mais pas uniquement sur le plan national ; il faut aller plus loin.

De ce point de vue, en espérant qu'il aboutira, je me réjouis du rapprochement de DCN et de Thales. Cela nous permettra de disposer d'un pôle fort et nous ouvrira des possibilités supplémentaires de partenariat sur le plan européen, ce qui nous offrira une vraie capacité de résistance.

Je souhaite la même chose pour GIAT, je vous l'ai dit dès le début. N'oubliez pas que les premiers conseils que j'ai reçus quand je suis arrivée à ce ministère étaient de fermer purement et simplement l'entreprise ! Et c'est moi qui ai refusé !

Nous étions alors face à une situation extrêmement difficile : le carnet de commandes était vide à 75 %, et aucun partenaire ne se présentait, non en raison des compétences du personnel, mais parce que la situation financière était trop difficile.

Nous devons donc conforter GIAT et lui permettre d'effectuer les rapprochements nécessaires pour en faire, là aussi, un vrai pôle.

Je suis prête à avoir une discussion sur la politique industrielle.

Mme Hélène Luc. J'en prends acte !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Il reste cependant à déterminer sous quelle forme. Nous verrons s'il s'agit d'une table ronde, d'un colloque ou d'autre chose. Je l'ai déjà dit, mais je le répète, car il est bon que tout le monde connaisse mes positions, qui sont des positions de bon sens.

M. Philippe Nogrix, rapporteur pour avis. Absolument !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Il est vrai que, dans un certain nombre de cas - mais pas pour le rapprochement entre la SNECMA et la SAGEM, où les deux entités demeurent -, les conséquences humaines sont très dures. Soyez persuadée que j'en ai conscience ! C'est bien la raison pour laquelle, aussi bien à l'égard des personnels que des collectivités territoriales, qui sont également touchées par certaines mesures, nous avons mis en place, sous l'autorité et avec le total dévouement de M. Jean-Pierre Aubert, plusieurs mesures.

Vous me dites que, sur le site de Saint-Chamond, seuls 10 % des gens sont reclassés. Toutefois, comme l'application des mesures concernant directement GIAT a connu un certain retard, les problèmes sont lissés sur une période plus longue.

L'objectif ne peut être qu'ambitieux pour notre industrie tant européenne que nationale de l'armement, car les deux sont liés. Nous ne pouvons pas non plus avoir une attitude autre qu'attentive à l'égard de toutes les personnes concernées. Je l'ai d'ailleurs dit, chaque cas sera étudié individuellement. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Hélène Luc.

Mme Hélène Luc. Madame la ministre, vous vous doutez bien que votre réponse ne me satisfait pas du tout.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Voilà qui me rassure !

M. Robert Del Picchia. C'est bon signe !

Mme Hélène Luc. Vous nous rappelez la situation de GIAT. Je ne vais, bien évidemment, pas répéter ce que nous disons pour la troisième année consécutive.

Vous nous dites qu'il faut mettre notre industrie de défense en position de résister. C'est précisément ce que nous vous proposons en créant un pôle public de l'armement. Or ce que vous nous annoncez va à l'encontre de nos propositions.

Cela étant, je prends acte du fait que vous acceptez de discuter, et je vous en remercie. Nous pourrons définir la forme de cet échange avec le président du Sénat.

Je ne vous cache pas qu'une très grande inquiétude prévaut devant l'absence de mesures sociales de même qu'une incompréhension devant une politique de désagrégement du secteur pour des motifs fallacieux sous-tendus par les seuls impératifs financiers. Vos propos au sujet de DCN le confirment.

En effet, nous ne sommes pas dupes devant ce vaste mouvement de libéralisation du marché de l'armement, qui augure des jours sombres pour l'indépendance et la souveraineté des nations européennes ainsi que pour l'émergence d'une politique de paix et de désarmement.

C'est la raison pour laquelle tout me conforte dans ma volonté de plaider en faveur de la création d'un pôle public dans le domaine de l'armement et de la défense, seul garant du contrôle de la représentation nationale et des citoyens. Sans cela, c'est la souveraineté et l'autonomie de notre pays qui sera en danger. Le projet de Constitution européenne le présage déjà.

Il faut avoir le courage, madame la ministre, mes chers collègues, de ne pas nous laisser berner.

Il faut avoir le courage de reconnaître que l'abandon de notre industrie nationale ne constituera pas un rempart contre la mainmise américaine. Il suffit pour s'en rendre compte de constater l'accélération des prises de contrôle des firmes européennes par des capitaux américains.

Il faut avoir le courage de dénoncer cette Europe qui prône la privatisation de l'industrie de défense européenne pour mieux l'assujettir aux desseins transatlantistes et la subordonner à l'OTAN

Enfin, il faut avoir le courage de nous ériger contre les recommandations de la Commission européenne, qui préconisent une libéralisation du marché de l'armement.

L'état des lieux est très préoccupant : la loi de l'argent prend le pas dans un secteur qui ne doit en aucun cas être marchand !

Madame la ministre, vous connaissez mes engagements, ceux de Josiane Mathon et de tous les sénateurs communistes aux côtés des salariés.

Mme Hélène Luc. La semaine dernière encore,...

M. le président. Veuillez conclure, madame Luc.

Mme Hélène Luc. ... je participais à une conférence de presse, ici même au Sénat, avec Jean-Louis Naudet, secrétaire général de la fédération nationale des travailleurs de l'Etat, et Jean-Pierre Brat, délégué syndical de la CGT de GIAT.

M. Philippe Nogrix, rapporteur pour avis. Ils ont sûrement fait avancer le débat !

Mme Hélène Luc. Ils ont exprimé le désarroi des personnels et exposé les propositions alternatives qu'ils ont élaborées.

Quant à nous, nous continuerons à oeuvrer dans l'intérêt de la France et pour une Europe de la coopération, de la justice sociale et de la paix.

M. Robert Hue. Très bien !

M. le président. La parole est à M. André Boyer.

M. André Boyer. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avec la loi de programmation militaire pour les années 2003-2008, notre pays s'est doté d'un calendrier et d'un échéancier précis pour franchir une étape vers le modèle d'armée 2015.

Le modèle 2015 est le format quantitatif et qualitatif défini dans un esprit de stricte adéquation pour permettre à la défense d'assurer l'ensemble de ses missions ; il n'a connu que des adaptations à la marge avec la loi de programmation.

Notre pays pourra-t-il consentir l'effort nécessaire à la réalisation de ce modèle dans un contexte de faible croissance et de finances publiques très contraintes ?

La professionnalisation des armées est une réforme réussie, mais elle est plus coûteuse qu'escomptée. Le recrutement, la formation, la fidélisation et la reconversion des personnels forment un ensemble dont la qualité doit être maintenue au meilleur niveau.

Les nouveaux équipements, à forte intensité technologique et fabriqués en séries limitées, nécessitent une capacité d'investissement considérable. Notre budget le permet-il encore ?

Nous pouvons d'ores et déjà constater que, bien qu'exécutés scrupuleusement, les crédits de la loi de programmation militaire ne suffisent pas à faire face aux besoins, rendant nécessaire le recours à d'autres financements.

Ce constat conduit certains à s'interroger - ce point a d'ailleurs été évoqué par M. Fréville - sur la place occupée par notre outil de dissuasion nucléaire devant les besoins des équipements classiques. La prochaine loi de programmation ne fera certainement pas l'économie d'une réflexion non sur le principe de notre dissuasion, dont je ne crois pas qu'il soit si contesté, mais sur ses modalités et ses composantes. Vous y avez déjà apporté un début de réponse, madame la ministre, mais cette réponse mérite un développement.

Devant le caractère immédiatement sensible des risques et des menaces, l'effort consenti par notre pays pour sa défense est nécessaire et légitime ; je crois qu'il est perçu comme tel par l'opinion publique. Il n'en demeure pas moins que certaines évolutions sont indispensables, la transparence et la recherche d'efficacité étant les meilleurs gages de la légitimité de la dépense militaire.

La préparation et la conduite des programmes doivent faire l'objet d'une attention particulière ; vous avez commencé à travailler dans ce sens. Nous ne pourrons plus nous permettre les dérives de coûts que nous avons pu connaître par le passé, lesquelles n'étaient pas toujours imputables à l'indisponibilité des crédits.

La seconde évolution indispensable est donc celle de l'outil industriel de défense. Vous avez déjà développé ce point, et je n'y reviendrai pas compte tenu du temps qui m'est imparti. Mais il me paraît opportun d'insister, autant pour GIAT que pour DCN, sur la nécessité d'assurer une compétitivité indispensable à la préservation des crédits d'investissement de nos armés.

Cela m'amène au dernier sujet que je souhaite évoquer, tout aussi rapidement faute de temps : l'Europe de la défense.

Dans la situation actuelle de notre défense nationale, une meilleure intégration me paraît une nécessité absolue. Celle-ci passe par le renforcement de la coopération européenne en matière de recherche, seule à même de déboucher sur des expressions de besoins véritablement convergentes en ce qui concerne les équipements, faute de quoi nos coopérations resteront, de façon paradoxale, facteur d'allongement des délais, d'augmentation des coûts et d'insatisfaction partagée.

Certes, l'Europe de la défense progresse, vous l'avez rappelé, avec de véritables engagements opérationnels, comme en témoignent les opérations récentes au Congo ou dans l'océan Indien. Mais, c'est un constat regrettable, elles restent en retrait en ce qui concerne les acquisitions.

Dans le prolongement de ces remarques, je formulerai deux questions.

Pouvez-vous nous exposer les améliorations attendues dans le pilotage des grands programmes d'équipement dans le cadre de la réforme de la DGA ?

Par ailleurs, l'Agence européenne de l'armement vous paraît-elle, dans son organisation actuelle, à même de faire progresser la coopération de façon à construire de véritables programmes communs à plusieurs Etats membres ?

M. le président. La parole est Mme la ministre.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Monsieur le sénateur, j'ai, comme vous, constaté des dérives en ce qui concerne certains programmes ; je n'évoquerai pas le VBCI, le véhicule blindé de combat d'infanterie, non plus que le Rafale.

Il m'a semblé indispensable de poursuivre la réforme de la DGA, pour tenir compte non seulement du contexte national et européen - et, donc, avoir un instrument sur lequel nous puissions réellement nous appuyer -, mais aussi de la complexité croissante des programmes, bien réelle, et, enfin, de l'importance de l'effort financier, qui impliquait, de la part du ministère de la défense, d'être d'autant plus rigoureux quant à l'utilisation de ces crédits.

La réforme de la conduite des programmes d'armements avait donc pour objet premier de permettre une clarification des responsabilités. Un bon suivi suppose de connaître son interlocuteur et de savoir déceler la source d'éventuels dérapages, afin que le responsable les assume.

Une meilleure synergie entre les différents partenaires était, par ailleurs, nécessaire : grâce au Conseil des systèmes de force, dont j'ai souhaité la création, la discussion entre la DGA et les états-majors a pu s'ouvrir et un véritable suivi a pu s'instaurer.

Ayant également voulu que la maîtrise d'ouvrage de l'Etat se renforce, j'ai veillé à ce que mon ministère mène une politique des ressources humaines plus dynamique et plus ouverte, de façon que les compétences des uns et des autres se trouvent rapprochées.

Enfin, j'ai souhaité que notre action industrielle et technologique soit relancée, d'où la constitution d'équipes plus motivées et le déblocage de crédits du type de ceux que j'évoquais tout à l'heure, à l'utilisation desquels les industriels sont davantage associés.

De ce point de vue, le fait de respecter la loi de programmation militaire accroît la lisibilité de notre action, ce qui est indispensable pour les industriels, puisqu'ils se voient ainsi enfin assurés de pouvoir mener à bien leurs programmes. Pendant trop longtemps, en effet, ils ont souffert de ne jamais savoir quand les livraisons interviendraient, tant le risque était grand que les crédits nécessaires aux acquisitions ne leur fassent soudain défaut.

La DGA a la volonté d'agir de façon plus active, pluriactive, et, en même temps, plus transparente vis-à-vis des industriels, tout en faisant preuve également d'une plus grande exigence à leur égard, il ne faut pas l'oublier.

L'Agence européenne de l'armement, quant à elle, est destinée à être une pièce majeure dans la construction non seulement d'une politique industrielle, mais également d'une politique de défense.

C'est pourquoi, approuvés en cela par les Britanniques, nous avons tenu à ce que les quatre missions qui lui sont attribuées constituent quatre piliers équivalents, chacun étant porteur d'une égale ambition.

L'Agence européenne de l'armement doit, tout d'abord, développer les capacités militaires de l'Union européenne, en liaison avec les structures militaires de la PESD.

Il lui appartient également de promouvoir les acquisitions d'équipements de défense en coopération : cette action se met en place de façon satisfaisante.

Il lui incombe, ensuite, d'agir comme catalyseur pour renforcer l'efficacité de la branche « recherche et technologie » de la défense européenne. Vous avez insisté, monsieur le sénateur, sur la recherche, domaine essentiel dans lequel la France a toute sa place et joue un rôle moteur auprès de ses partenaires, qui répondent assez bien à cette incitation, ce qui nous permet, de plus, de renforcer notre base technologique.

Enfin, elle a pour vocation de favoriser la création d'un marché européen des équipements compétitifs et de mettre en oeuvre des politiques visant à renforcer notre base industrielle et de défense.

L'une de nos préoccupations majeures était d'éviter d'en faire un « machin » de plus. C'était, pour nous, essentiel.

C'est la raison pour laquelle j'ai demandé, et obtenu, qu'elle ne soit pas une instance seulement technique mais que les ministres de la défense jouent un rôle essentiel dans la définition et le suivi de ses missions, notre but étant bien de coordonner les efforts, et non pas de créer une structure dans laquelle décisions et responsabilités se perdraient : c'est important pour la défense européenne, pour l'ensemble de nos entreprises et, donc, pour leurs salariés. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. André Boyer. Je vous remercie, madame la ministre.

M. le président. La parole est à M. Didier Boulaud.

M. Didier Boulaud. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le contexte international est lourd de menaces pour notre sécurité. Certes, ces menaces ne sont pas de même nature que celles qui résultaient, jadis, des confrontations dues à la guerre froide. Mais, aujourd'hui, le terrorisme de masse, les conflits qui s'éternisent au Proche-Orient ou en Asie, l'aggravation de la fracture entre le Nord et le Sud nous obligent à analyser le monde avec le souci de mieux définir notre stratégie de sécurité et de défense.

En Irak, ainsi, nous avons l'exemple de ce qu'il ne faut pas faire !

Les questions de sécurité et de défense n'appellent pas toujours une réponse militaire, même si celle-ci doit rester disponible à la décision politique. Des concepts tels que la prévention et le renseignement sont ainsi prioritaires. La capacité à prévoir les mauvais coups, à anticiper l'essor de la menace apporte une différence significative.

L'acquisition de cette capacité vitale passe par la maîtrise d'un certain nombre de technologies pouvant déboucher sur des outils performants, qu'ils soient spatiaux, de communication ou de renseignement. Il convient d'avoir un ensemble de défense adapté avec le développement des capacités de prévention en matière d'alerte avancée contre les menaces balistiques et de protection dans les domaines nucléaire, radiologique, bactériologique et chimique.

L'Europe devra se doter de ces mêmes capacités en développant des programmes autour du spatial militaire, élément structurant de la défense européenne.

Or je remarque le niveau insuffisant des crédits consacrés au domaine spatial. Après la forte baisse enregistrée en 2004, dans le projet de budget pour 2005, les crédits dévolus à l'espace militaire ne représentent que 3,1 % des crédits d'équipement des titres V et VI. Nous voudrions comprendre les raisons de cette situation très compromettante pour l'avenir de notre sécurité.

M. Xavier Pintat, l'un des rapporteurs pour avis, s'en étonne et signale qu'« alors que le rôle croissant des équipements spatiaux dans les opérations militaires ne cesse d'être souligné, on ne peut qu'être frappé par la contraction concomitante du budget spatial militaire français ».

Les crédits consacrés à l'espace ont régressé sur une longue période. Ils se situaient en moyenne à environ 600 millions d'euros courants par an au début des années quatre-vingt-dix et sont revenus autour de 400 millions d'euros par an au cours des dernières armées.

Ce projet de budget fait la part belle aux programmes du passé, aux situations acquises, et ne traduit pas un souci suffisant de l'avenir. Si la recherche et les programmes spatiaux sont maltraités, en revanche, les crédits consacrés au nucléaire continuent d'augmenter.

Actuellement - mais ce n'est pas nouveau - le financement du nucléaire militaire représente 20,7 % du budget d'équipement des armées. Ce n'est pas négligeable : sur un budget total de 32,92 milliards d'euros, la France dépensera 3,14 milliards d'euros pour financer sa dissuasion nucléaire. Cette dépense ne mériterait-elle pas un débat parlementaire approfondi ?

Je veux rassurer tout de suite les « gardiens du temple sacré », s'il en est ici, qui seraient tentés de réfuter aveuglément cette proposition : il ne s'agit pas de remettre en cause notre concept de dissuasion nucléaire, je le dis à l'intention notamment de M. Fréville.

Je le souligne de façon liminaire pour éviter les malentendus, volontaires ou involontaires, car le débat, aujourd'hui, est inexistant : il est purement et simplement confisqué au pays.

Je ne suis pas le seul à condamner cette paralysie de la pensée stratégique : des députés socialistes ont, récemment, réclamé un débat sur le poids du nucléaire militaire en fonction des insuffisances notoires constatées sur le financement d'autres projets nécessaires à notre défense.

Le président de la commission de la défense de l'Assemblée nationale a osé, en septembre dernier, soulever un coin du voile en préconisant, selon une dépêche de l'AFP que j'ai sous les yeux, « une pause de vingt-cinq ans dans le nucléaire militaire à partir de 2015 environ, jugeant que la France ne pourrait pas supporter longtemps le coût de la recherche dans ce domaine ». Avant d'être fermement rappelé à l'ordre, il avait cependant eu le temps de déclarer qu'il craignait « que nous ne puissions pas supporter en même temps le coût du nucléaire et celui de l'entretien de notre armée ».

Le chef d'état-major des armées, le général Henri Bentegeat, a, lui aussi, droit à une opinion sur la question, puisqu'il a déclaré qu'il était nécessaire et légitime de savoir si notre doctrine était adaptée à la réalité des menaces et si l'effort financier consenti en faveur des forces nucléaires était dimensionné au bon niveau.

Si un débat approfondi sur la dissuasion ne semble pas faire peur aux militaires, pourquoi faudrait-il que les politiques restent, eux, muets et disciplinés ?

Pourquoi les crédits consacrés au nucléaire restent-ils à un niveau si élevé ? La « stricte suffisance » nous oblige-t-elle à moderniser encore et encore notre panoplie nucléaire et à poursuivre les dépenses ? Avons-nous changé de doctrine et, en conséquence, sommes-nous à la recherche d'armes nouvelles ? On m'objectera que la part du nucléaire dans les titres V et VI était plus élevée il y a quelques années.

Parlons chiffres : en 1990, la part du nucléaire était de 31,7 %. Il est vrai aussi qu'à l'époque la « guerre froide » était encore toute chaude ! Dès 1995, cette part est tombée à 21,9 % pour, en 2000, être ramenée à 19 %. Or, en 2005, le mouvement reste à la hausse, avec 20,7 %.

Il n'est pas question de « baisser la garde ». Nous savons tout aussi bien que quiconque ici que la prolifération des armes de destruction massive, notamment nucléaires, reste un problème majeur sur la scène internationale. Ce risque ne saurait être négligé.

L'affaiblissement des instruments juridiques internationaux de désarmement est, dans le même temps, un réel motif d'inquiétude. L'attitude européenne face à la situation nucléaire iranienne constitue une démarche très positive qu'il convient d'encourager.

Quelle est la meilleure utilisation des crédits que l'effort des Français met à la disposition de la défense ? Je crains sincèrement que notre effort de défense ne soit par trop dépendant du poids financier de l'armement nucléaire.

Madame la ministre, en cinq minutes, il est impossible d'aborder sérieusement l'ensemble des questions soulevées par cette problématique. Voilà pourquoi, d'ailleurs, nous sommes hostiles à cette forme de débat tronqué qui nous est imposée. Pour une fois, ce n'est pas un reproche qui s'adresse à vous. J'ai simplement voulu vous dire honnêtement qu'il est nécessaire de réexaminer les dépenses de défense de la France à la lumière du débat stratégique qu'il convient d'ouvrir sans tarder.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Monsieur Boulaud, en commençant votre intervention, vous avez dressé un état des données générales et des risques qui pèsent sur la France.

Je relève quant à moi deux problèmes majeurs : les crédits affectés au nucléaire et les crédits alloués au domaine spatial.

Le nucléaire constitue, je le rappelle une fois de plus, notre protection ultime contre des risques majeurs émanant de pays qui, pour une raison ou pour une autre, seraient susceptibles de s'attaquer à nous.

Ce n'est pas au moment où plusieurs pays émergents, dont les régimes sont, souvent, fort loin d'être démocratiques, sont en train de se doter de l'arme nucléaire qu'il nous faut baisser cette protection ultime. Comme je le disais tout à l'heure, nous avons abaissé la part relative de notre dissuasion nucléaire, notamment en en faisant disparaître l'une des composantes.

Il n'existe aucune possibilité de pause, compte tenu des matériels en cause. Sachant cela, il nous faut, en quelque sorte, choisir entre tout ou rien. Or, face au danger, cela ne peut être rien.

En ce qui concerne l'utilisation de l'arme nucléaire, notre doctrine est le même : c'est une doctrine de non-emploi et, en même temps, une doctrine de stricte suffisance, mais, face aux différentes évolutions de la situation internationale, nous ne pourrons être réellement dissuasifs qu'à la condition que notre armement ait la crédibilité nécessaire.

Ce sujet est régulièrement évoqué dans cette Haute Assemblée, que ce soit devant les commissions ou dans cette enceinte, à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances, et je puis vous dire à cet égard qu'il n'y a pas de problème majeur. Je vous ai indiqué très clairement quels sont les éléments de cette composante nucléaire de notre défense et les raisons de son existence, et il ne nous paraît pas devoir en changer.

Par ailleurs, il est vrai que nous ne devons pas négliger le domaine spatial, essentiel également pour notre autonomie de renseignement, de transmission, voire d'action.

Un certain nombre de crédits sont liés à la réalisation de différents programmes : Hélios II ou Syracuse III, notamment.

Je vous ai indiqué aussi ce sur quoi nous sommes en train de travailler au plan européen pour aller plus loin.

Le spatial est le nouvel horizon de la défense et, par conséquent, il est bon que, dans ce domaine également, la France puisse jouer un rôle moteur pour construire une politique spatiale européenne. C'est ce sur quoi je suis en train de travailler et j'espère pouvoir, dans quelques mois, faire des propositions à l'ensemble de nos partenaires européens, bien entendu après en avoir informé la représentation nationale. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Didier Boulaud.

M. Didier Boulaud. Madame la ministre, je tiens à insister, dans le court laps de temps qui m'est imparti, sur l'autre aspect de ce débat, qui concerne bien évidemment la doctrine.

D'aucuns disent que la doctrine française n'a pas changé, que la doctrine de la dissuasion à la française reste immuable. D'autres voix, et non des moindres, reconnaissent qu'il y a eu, qu'il y a des adaptations.

Alors, qui croire ? En juin 2001, le Président de la République parlait de l'adaptation de la doctrine nucléaire. Certaines inflexions existaient en filigrane depuis quelques années sans qu'il y ait eu débat sur la question. Or, depuis cette date, on croit savoir que « l'adaptation » a eu lieu. Quel est le contenu de cette adaptation ?

La dissuasion anti-cités et la dissuasion du faible au fort sont-elles dépassées ? La dissuasion française se place-t-elle aujourd'hui en état de répondre aux « fous », aux puissances non étatiques, à toute menace provoquée par des armes de destruction massive ?

Sommes-nous en train d'adapter, comme envisagent de le faire les Etats-Unis, la capacité de frappe, la précision - vous y avez fait allusion dans votre propos - et la puissance explosive des têtes nucléaires aux actions militaires préemptives ou préventives ?

Le Premier ministre a déclaré, le 16 octobre 2003, que « les forces nucléaires sont [...] adaptées pour faire face à une diversité de scénarios de chantages et de menaces auxquels nous expose, de façon de plus en plus plausible, le développement d'armes de destruction massive. » Cette « diversité de scénarios » mérite explication.

La loi de programmation militaire 2003-2008 affirme que la dissuasion « implique de disposer des moyens diversifiés permettant d'assurer sa crédibilité face aux évolutions des menaces, quelles que soient leur localisation et leur nature ».

En ce qui concerne la « localisation », il s'agirait d'un retour à l'orthodoxie gaullienne : la dissuasion s'exerce « tous azimuts ».

En revanche, la « nature » de la menace pose problème. Cela veut-il dire que l'on élargit le champ d'action du nucléaire ? Est-ce la nature de l'agression ou la dimension de celle-ci qui détermine la riposte ? Toute attaque avec des armes de destruction massive - nucléaire, biologique ou chimique -, indépendamment de la nature de l'attaque, doit-elle attirer le feu nucléaire comme réponse ? Nous savons que ces attaques pourraient ne pas être « signées » et qu'il n'y aurait donc pas d'Etat clairement identifié sur lequel riposter.

Est-il donc crédible d'affirmer que la dissuasion s'exerce contre toute menace quelle que soit sa localisation et sa nature ?

Nous voyons aujourd'hui resurgir les vieilles lunes de l'utilisation offensive, et non pas dissuasive, de cette arme effroyable. Le problème est donc politique. Doit-on évoluer vers une doctrine qui intègre l'emploi de certaines armes nucléaires ? Doit-on, au nom de la modernisation de la panoplie, chercher à tout prix à se procurer des armes tactiques ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Peyrat.

M. Jacques Peyrat. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, à entendre les déclarations des uns et des autres depuis un moment, je peux affirmer très clairement que le débat n'est pas confisqué et que chacun peut exprimer, pendant ces successions de cinq minutes multipliées par un certain nombre d'intervenants dans chaque groupe, tout ce qu'il a envie de dire, que ce soit sur le plan de la contestation ou de l'approbation.

Votre budget est en hausse de 2 %. Pour la troisième année consécutive, il respecte, les rapporteurs l'ont dit,...

M. Didier Boulaud. Si les rapporteurs l'ont dit, il ne faut pas le répéter !

M. Jacques Peyrat. ...la loi de programmation. Bravo, madame la ministre ! C'est bien, et nous sommes satisfaits : vous nous présentez un bon budget.

Vous avez notamment respecté les normes de l'entraînement, aussi bien pour les forces terrestres que pour les pilotes d'avions de combat ou de transport et pour la marine nationale. Il n'est pas de bonne armée s'il n'y a pas de bons moyens matériels, de bons personnels, de bons moyens d'entraînement, de bons chefs, de bons parlements et de bons ministres.

Oui, nous sommes satisfaits, et je tenais à vous le dire d'autant qu'il nous a semblé que dans un budget contraint, souffrant peut-être d'une certaine concurrence avec d'autres ministères, vous avez su tenir le cap, ce qui, pour les forces, qu'elles soient terrestres, maritimes ou aériennes, est une nécessité absolue.

Ayant dit cela, et comme il ne faut pas toujours trouver tout beau, je vais vous maintenant vous faire part d'une préoccupation. Vous y avez d'ailleurs en partie répondu, en vous adressant à notre éminent collègue François Trucy : il se murmure qu'il y aurait un « fléchissement » des effectifs - le mot a souvent été utilisé -, ce qui serait nocif, notamment pour l'armée de terre.

On a parlé de 10 000 hommes. Je m'en suis ouvert aux éminentes personnalités qui vous assistent au banc du Gouvernement, madame la ministre, mais tous m'ont affirmé en riant que ce n'était pas vrai, que si la préoccupation en question était effective dans l'armée de terre, elle n'était pas fondée. On m'a ainsi dit que vous seriez intervenue il y a quelque temps pour ramener chacun à la raison et que, grâce à un système de repyramidage, les pendules seraient remises à l'heure.

Il s'agirait ainsi de remplacer un sous-officier supérieur - sergent-chef, adjudant ou adjudant chef - par deux sous-officiers de moindre qualité, avec une solde moindre mais que deux hommes toucheraient. Ce serait, à mon avis, une mauvaise chose.

Vous savez, au poste que vous occupez, entourée de tous les conseillers talentueux qui vous assistent, qu'il n'est de bonne armée que servie par des officiers de qualité et bien formés : Saint-Cyr pour l'armée de terre, l'Ecole navale pour la marine, l'Ecole de l'air pour l'aviation, Melun pour la gendarmerie.

Mais il n'est surtout de bonne armée qu'avec un bon corps de sous-officiers, ceux que d'aucuns ont appelé les « maréchaux », surtout dans les formes modernes de la guerre. Et si nos troupes ont été valeureuses et d'une discipline remarquable, faisant preuve d'un sens de l'ordre cohérent et d'un sang-froid extraordinaire au Kosovo, en Bosnie, en Afghanistan et en Côte d'Ivoire, quels que soient les circonstances, les climats, les formes de guerres ou d'opposition rencontrées, sachant résister imperturbablement, c'est certainement dû, pour une large part, au corps des sous-officiers.

Si l'on minorait à l'excès ce corps, je craindrais pour l'efficacité de nos armes. Je le dis comme je le pense pour avoir bien connu les sous-officiers, pour avoir combattu avec eux et avoir eu l'honneur, quelquefois, de les commander.

Je ne sais pas si ceux qui font état de ces craintes sont ce que l'on appelle chez moi des marida lengua, c'est-à-dire des mauvaises langues. Mais, si tel est le cas, madame la ministre, vous me direz dans votre réponse ce qui les fera taire, et je serai alors rassuré. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Monsieur Peyrat, vous évoquez trois sujets différents.

Premièrement, s'agissant des effectifs, il est vrai que les chiffres les plus farfelus ont circulé, tenant probablement à une anxiété sur le long terme. Je pense en tout cas vous avoir répondu en ce qui concerne les recrutements et les carrières pour 2004 et 2005.

Deuxièmement, vous parlez de repyramidage. Cela concerne la gendarmerie, qui se trouvait dans une situation d'encadrement extrêmement inférieure à celle de toutes les autres armées. Il s'agit donc d'un rattrapage partiel de l'encadrement existant.

Troisièmement, vous évoquez une mesure qui n'est autre chose qu'un témoignage de satisfaction à l'égard des sous-officiers et qui permet à un certain nombre d'entre eux de bénéficier d'un petit échelon supplémentaire. Nous reconnaissons ainsi le rôle essentiel joué par les sous-officiers dans l'efficacité de nos armées. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Peyrat.

M. Jacques Peyrat. Je ne dirai rien de plus : j'ai applaudi, cela suffit ! (Sourires.)

M. le président. La parole est à M. Robert Hue.

M. Robert Hue. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons le budget de la défense pour 2005 dans un contexte international fragile.

Vous comprendrez, madame la ministre, que j'évoque, à l'occasion de ce débat - comme d'autres l'ont fait, d'ailleurs -, la crise ivoirienne qui, comme j'ai eu l'occasion de le dire ici, est sans doute l'une des plus graves dans lesquelles la France et les militaires français se sont trouvés impliqués directement.

Permettez-moi encore une fois, au nom du groupe communiste républicain et citoyen du Sénat, de rendre hommage aux victimes françaises, à nos soldats tués et aux victimes ivoiriennes, à leurs familles, à nos compatriotes réfugiés qui vivent des heures extrêmement difficiles.

Cette brusque dégradation de la situation en Côte d'Ivoire illustre la fragilité du processus de paix. La situation est délicate et ne peut se résumer, pardonnez-moi, à une opération de désinformation ou de détournement de l'attention des uns ou des autres. Plus le temps passe, plus les rancoeurs s'accumulent et risquent de laisser des traces profondes.

La polémique que se livrent votre ministère et les autorités ivoiriennes sur le bilan et les circonstances des violences s'est déplacée sur un terrain médiatique. Le président de la fédération internationale des ligues des droits de l'homme ne vient-il pas de se montrer à nouveau extrêmement sévère sur le comportement des soldats français ?

Alors que le sang a coulé, il faut repartir sur de nouvelles bases et recréer les conditions du dialogue et d'un retour à la confiance. Nous avons assez perdu de temps. Comme je l'ai demandé à votre collègue Michel Barnier, n'attendons plus pour avoir un grand débat sur ce que doivent être les orientations des relations entre la France et les peuples africains et les conditions de la présence française en Afrique.

Examiner pour 2005 un budget comme celui de la défense, c'est examiner obligatoirement la place et le rôle de notre pays dans le monde ; c'est le faire à un moment où la situation internationale est extrêmement tendue et source d'inquiétude dans de nombreux endroits de la planète. C'est aussi nécessairement réfléchir au rang de la France dans un contexte où la communauté internationale, au travers de l'ONU, voit son autorité trop souvent mise à mal.

La question qui nous est donc posée au moment d'aborder l'examen de ce budget devrait être celle de l'originalité et de la spécificité française, non inféodée à l'hégémonie américaine et porteuse de cette volonté au sein de l'Europe.

Rappelons que les forces françaises sont intervenues et interviennent encore sous mandat de la communauté internationale en Afghanistan, dans les Balkans, en Haïti, et plus récemment et plus tragiquement encore en Côte d'Ivoire. Elles sont également présentes par le biais d'accord bilatéraux dans de nombreux autre pays africains.

Nul ne peut dire comment va évoluer la situation au Moyen-Orient et dans d'autres pays d'Afrique. Ces événements témoignent de façon gravissime de l'importance et du rôle particulier de nos militaires pour la défense de la paix et la protection de nos concitoyens.

Ce contexte éclaire particulièrement la question des OPEX. Jusqu'à présent, elles n'étaient jamais inscrites en loi de finances. Cette année, le projet de budget prévoit leur financement à hauteur de 100 millions d'euros, inscrits au titre III. Nous nous en félicitons. Cependant, madame la ministre, alors que vous souhaitez porter cette enveloppe à 300 millions d'euros en loi de finances initiale, le montant prévisionnel des OPEX pour 2005 est évalué à 600 millions d'euros. Le surcoût provoqué par l'aggravation de la crise en Côte d'Ivoire est estimé entre 6 millions et 7 millions d'euros pour les six dernières semaines de l'année. Quelle que soit, d'ailleurs, l'évolution du dispositif militaire en Côte d'Ivoire - maintien et/ou renforcement de notre implication -, cela accroîtrait de toute façon le coût des OPEX.

Au demeurant, tout cela n'est qu'évaluation, car ces missions sont par nature imprévisibles. Cependant, la question est de savoir comment redéployer les crédits afin de couvrir ces dépenses supplémentaires, soit environ un peu plus de 500 millions d'euros.

Tout doit être mis en oeuvre pour assurer le rapatriement de nos ressortissants de Côte d'Ivoire. En effet, des milliers de nos compatriotes ont quitté ce pays sous la menace et l'hostilité : on parle ainsi de plusieurs milliers de réfugiés dans les pays limitrophes.

J'en viens au budget de la défense lui-même, qui est certes en hausse, mais, chacun le sait, un budget qui augmente n'est pas forcement un bon budget : tout est question de choix. Or, nous venons de le voir, les crédits affectés à la défense ne répondent pas aux enjeux internationaux et ne couvrent pas les besoins de la représentation de la France à l'étranger. L'image de la France risque de s'en trouver encore détériorée.

Pourtant, s'agissant du cas précis de la Côte d'Ivoire, la tâche reste immense : malgré une certaine évolution, la situation demeure tendue et les soldats français subissent de dures épreuves. Il ne fait aucun doute, madame la ministre, que ce projet de budget n'est pas sans conséquence sur leur moral : créations de postes gelées sans explication, prévisions de recrutement inexistantes, différences de traitement entre les différentes armes, OPEX non ou mal remboursées. Le malaise est profond.

A cela, il faut ajouter l'insertion économique de nos compatriotes à l'étranger. Les 100 millions d'euros prévus pour le financement des OPEX n'y suffiront pas !

Il est vrai que, si l'on s'en tient au discours qu'il a prononcé le 16 novembre dernier au Palais-Bourbon, le Premier ministre compte sur le dévouement des parlementaires qui reçoivent des réfugiés dans leur département...

Je ne doute pas que vous estimiez, madame la ministre, que la représentation française et la protection de nos compatriotes méritent d'autres moyens.

Avant de conclure, je veux, à l'occasion de ce débat, réitérer la demande que j'ai adressée à la Haute Assemblée, dès le 1er décembre dernier, en faveur de la création d'une mission d'information parlementaire sur la situation en Côte d'Ivoire.

Madame la ministre, votre projet de budget suscite de sérieuses interrogations - je viens d'en évoquer quelques-unes - qui touchent, à travers nos armées, à la question majeure de la représentation de la France, en Afrique et dans le monde. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Monsieur le sénateur, je vous répondrai d'abord sur la Côte d'Ivoire.

Vous parlez de polémique entre les autorités ivoiriennes et la France et vous évoquez les critiques du président de la Ligue des droits de l'homme à l'égard des militaires français. Je vous remercie d'ailleurs de ne pas les faire vôtres, car je ne saurais admettre de critiques sur l'attitude des militaires français en Côte d'Ivoire, qui, en tout point, a été exemplaire. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Il n'y a pas de polémique : les autorités ivoiriennes essaient, je le répète, de détourner l'attention de leurs propres responsabilités en essayant de nous mettre en accusation.

M. Jean-Louis Carrère. Ce n'est pas la question qui a été posée !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Cette technique de communication est bien connue et je n'ai pas l'intention de m'y laisser prendre.

Je rappellerai simplement une réalité qui est attestée non seulement par certaines autorités ivoiriennes, notamment le ministre de la santé, mais surtout par tous ceux qui sont revenus de Côte d'Ivoire : tous ont souligné les conditions extrêmement difficiles dans lesquelles les militaires français étaient intervenus, avec modération et exemplarité.

Je rappellerai également que l'ensemble des membres de l'Organisation de l'union africaine a félicité la France de l'action de ses militaires. De la même façon, l'OUA a totalement approuvé l'action qu'ils ont menée, à l'occasion des derniers événements, pour assurer la sécurité des ressortissants français et étrangers, comme pour protéger, dans un contexte de légitime défense, les militaires français lorsqu'ils étaient agressés.

Vous avez évoqué les conditions de la présence française en Afrique, en particulier en Côte d'Ivoire.

Je vous rappelle que, si des militaires français se trouvent actuellement en Côte d'Ivoire, c'est sous mandat de l'ONU : c'est non seulement pour protéger les ressortissants français et étrangers, mais également, et je dirai presque surtout, pour soutenir les forces de l'opération des Nations unies en Côte d'Ivoire, l'ONUCI, qui, sans cela, ne voulaient pas exercer ce mandat. Le président de la République du Sénégal, M. Wade, ainsi qu'un certain nombre d'autres autorités l'ont rappelé et ont demandé à la France de demeurer en Côte d'Ivoire et en Afrique pour éviter un certain nombre de crises et de massacres, comme ce continent en a, malheureusement, trop connu.

Vous m'avez également posé, monsieur le sénateur, une série de questions relatives au budget de la défense et souligné à cette occasion que le moral des militaires dépendait de ce budget. Vous avez bien raison : c'est pourquoi je pense que vous allez le voter ! (Sourires.)

Vous avez parlé de créations de postes qui auraient été gelées. Non ! Je l'ai dit tout à l'heure, j'ai mis le holà, au mois de juillet dernier, à un certain nombre de dérapages. Nous serions arrivés, sinon, à des créations de postes dépassant les crédits que la Haute Assemblée a votés l'année dernière. Or il est de ma responsabilité, en tant que ministre, de faire en sorte que le budget soit consommé, mais pas dépassé. D'ailleurs, après avoir été freinés, les recrutements ont tout naturellement repris et, en cette fin d'année, il a été procédé à la totalité des recrutements sur les postes qui étaient ouverts.

Vous avez ensuite évoqué des différences entre les armées. Il n'y en a pas, sinon celles qui tiennent aux missions et à l'importance des effectifs. D'ailleurs, le choix est fait sur arbitrage du chef d'état-major des armées et chaque armée y trouve son compte. Bien entendu, il revient au chef d'état-major des armées, en fonction des besoins opérationnels, de me soumettre un certain nombre de propositions à partir desquelles les décisions sont prises.

Les 100 millions d'euros d'OPEX ne suffiront pas, dites-vous. Bien sûr ! Les OPEX ont la particularité de se dérouler sur l'ensemble de l'année. Le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie a utilisé ce moyen, les années précédentes, pour ne régler qu'en fin d'année. Grâce à la Haute Assemblée notamment, il a été possible d'inscrire, dès la loi de finances initiale, un élément qui nous permet de ne pas faire l'avance totale de trésorerie sur les OPEX. Il va de soi que les OPEX seront remboursées en fin d'année. C'est d'ailleurs une dépense que vous voterez, je n'en doute pas, mesdames, messieurs les sénateurs, dans quelques semaines, à travers le projet de loi de finances rectificative.

Enfin, dans le projet de budget de la défense, aucun crédit, dites-vous, n'est prévu pour les réfugiés de Côte d'Ivoire. Permettez-moi de vous dire, monsieur le sénateur, cela ne relève pas du budget de la défense ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Serge Vinçon, président de la commission des affaires étrangères. Bien sûr !

M. le président. La parole est à M. Robert Hue.

M. Robert Hue. Madame la ministre, souhaiter la transparence, souhaiter être informé n'est pas de nature, loin s'en faut, à affaiblir l'image de la France et de ses soldats, mais, au contraire, les conforte dans leur mission de paix.

Je veux confirmer, après vous avoir entendue, que les événements de Côte d'Ivoire témoignent avec gravité du rôle particulier et important de nos militaires dans la défense de la paix. Mener à bien cette mission exige cependant des moyens que votre projet de budget n'offre pas, madame la ministre. C'est pourquoi, vous vous en doutiez, je ne le voterai pas.

M. Charles Pasqua. Quel dommage ! (Sourires.)

M. Robert Hue. Je suis, comme vous, très attaché à l'image de la France. Mais il faut y faire attention, car elle peut se ternir rapidement. Il suffit pour s'en convaincre d'observer la contradiction qui se dessine entre l'image magnifique qu'a donnée la France lorsqu'elle a accueilli Yasser Arafat dans ses derniers jours et celle que donne aujourd'hui notre politique en Côte d'Ivoire.

Il convient de retrouver en Afrique le chemin du dialogue et du retour à la confiance. N'attendons plus pour avoir un grand débat au Parlement sur la façon dont doivent être orientées les relations entre la France et les peuples africains et sur les conditions de la présence française - pas seulement militaire - en Afrique.

M. le président. La parole est à M. André Rouvière.

M. André Rouvière. Madame la ministre, une nouvelle fois, je souhaite attirer votre attention sur les inconvénients que subit le monde rural depuis la mise en place des communautés de brigades. Ces dernières semblent inadaptées aux spécificités du monde rural, plus particulièrement en zone de montagne et de moyenne montagne.

Les populations rurales perdent, hélas ! leurs services publics. Elles ne veulent pas perdre la sécurité que les gendarmes ont toujours su leur garantir.

Les critiques, au nombre de quatre, que je formulerai au nom des élus et de leur population visent la nouvelle organisation de la gendarmerie. Elles ne s'adressent évidemment pas aux gendarmes, auxquels nous rendons hommage et à la présence desquels nous sommes tous très attachés.

Ma première remarque porte sur les délais d'intervention. A l'heure où la rapidité s'insinue dans toutes les strates de la vie quotidienne, les interventions des gendarmes, en zone de montagne et de moyenne montagne, sont globalement moins rapides que par le passé. Ce n'est plus obligatoirement la brigade la plus proche qui intervient, mais celle qui est en service. Or elle peut venir de loin, ce qui ne se mesure par forcément en kilomètres, mais en temps : le relief est un obstacle, qui ralentit le temps d'intervention. De plus, les gendarmes de service peuvent mal connaître les lieux et effectuer des recherches, ce qui prend du temps. En termes de délai d'intervention, la communauté de brigades réussit beaucoup moins que la brigade de proximité.

Ma deuxième remarque concerne la rédaction des procès-verbaux. Cela peut paraître tout à fait insignifiant vu de Paris, mais, sur le terrain, cela est vécu comme une régression. Auparavant en effet, les procès-verbaux étaient rédigés sur place : le plaignant signait sa déposition chez lui. Aujourd'hui, il est invité à prendre rendez-vous avec la brigade intervenante, qui n'est pas forcément la brigade la plus proche. Or, en milieu rural, les transports en commun sont quasiment inexistants et tout le monde n'a pas une voiture personnelle pour se déplacer. Je ne sais pas si cette pratique est propre à ma région ou si elle est généralisée. Je me permets donc de vous interroger à ce sujet, madame la ministre.

Ma troisième remarque a trait à la communication des procès-verbaux au procureur de la République. J'ai appris avec surprise que la brigade qui rédige le procès-verbal doit obligatoirement le faire transiter par la brigade qui se trouve à la tête de la communauté de brigades. Les délais s'en trouvent donc allongés. Ce n'est pas une simplification ; c'est, au contraire, là encore, une régression en termes de rapidité, voire d'efficacité dans certains cas.

Ma quatrième et dernière remarque porte sur le fait que les communautés de brigades ne favorisent pas le remplacement des gendarmes dans les brigades qui ne sont pas à la tête de cette même communauté. Là encore, cette démarche n'est peut-être pas officialisée, mais c'est celle qui est souvent constatée.

M'appuyant sur ces remarques, je vous poserai deux questions, madame la ministre.

Avez-vous l'intention de faire réaliser, en 2005, un bilan d'étape sur le fonctionnement des communautés de brigades ? Si tel est le cas, pouvez-vous préciser qui sera consulté ? Il serait, en effet, anormal que les élus locaux ne le soient pas.

Mme Hélène Luc. Bien sûr !

M. André Rouvière. Par ailleurs, madame la ministre, ne pensez-vous pas que l'organisation de la gendarmerie pourrait avoir deux visages ? Les communautés de brigades seraient maintenues là où elles donnent satisfaction, mais un retour à la situation antérieure serait possible là où la mise en place des communautés de brigades entraîne des difficultés.

Madame la ministre, ce n'est pas le monde rural qui doit s'adapter à la nouvelle organisation de la gendarmerie, mais la gendarmerie qui doit adapter son organisation aux particularités des zones de montagne et de moyenne montagne. Le monde rural espère que vous entendrez son appel.

Mme Hélène Luc. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Monsieur le sénateur, je suis moi-même une élue locale. Par conséquent je suis très sensible à tout ce qui peut concerner les petites communes, même s'il est vrai que les montagnes sont peu nombreuses dans ma circonscription !

M. Jean-Louis Carrère. Elles ne sont pas loin !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Quel était l'objectif de la réorganisation de la gendarmerie ? Il s'agissait tout d'abord d'assurer une plus grande présence sur le terrain. Or, dans les toutes petites brigades, le personnel n'est pas en nombre suffisant pour qu'une partie des gendarmes effectuent le travail administratif tandis que d'autres sont sur le terrain.

Il s'agissait également, en disposant de plus de moyens, de permettre une rapidité d'intervention supérieure.

Il s'agissait enfin d'assurer plus d'efficacité, notamment en matière de lutte contre la criminalité.

Je vous rappelle que cette réorganisation a été réalisée en association avec les élus locaux, qui ont été consultés.

Notre objectif étant d'assurer le meilleur service possible à nos concitoyens, je souhaite que l'on continue sur cette voie.

Monsieur le sénateur, vous m'avez interrogée sur mon intention de faire réaliser un bilan d'étape. Dans le courant ou à la fin de l'année 2005 sera réalisé un audit. Il nous permettra de mieux apprécier ce qui se passe sur le terrain.

Bien entendu, à cette occasion, les élus locaux seront consultés, parce qu'ils sont à même de nous faire part de la satisfaction ou de l'insatisfaction qui est manifestée dans leur circonscription.

Je souhaite également que soient prises en compte un certain nombre de réalités. Vous avez souligné la situation très spécifique des zones de montagne, en particulier l'hiver, période pendant laquelle la circulation est entravée en raison des conditions météorologiques. Il faudra que nous recherchions ensemble les adaptations nécessaires pour pouvoir répondre à l'attente de nos concitoyens en matière de sécurité. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, plusieurs intervenants les ayant déjà évoqués, je ne reviendrai pas sur les récents progrès de l'Europe de la défense. Cette montée en puissance ne peut que nous réjouir, d'une part parce que les incertitudes géopolitiques croissantes dans le monde, dont nous venons de vivre des exemples en Côte d'Ivoire et en Ukraine, nous montrent chaque jour la nécessité de cette politique européenne de défense, d'autre part parce que nous savons bien que c'est par la qualité de sa défense que la France pourra maintenir le rôle central et moteur qui a toujours été le sien dans le processus de construction européenne.

Mais, si j'en crois un récent rapport du cabinet Mackenzie, les données budgétaires européennes sont inquiétantes. Certes, les pays européens disposent conjointement de troupes dont les effectifs avoisinent les deux millions et d'un budget combiné de 160 milliards d'euros, chiffre qui doit être comparé cependant aux 382 milliards d'euros et aux 3,4 % du PNB que les Etats-Unis consacrent à leur défense.

Encore plus parlante, hélas ! est la comparaison du montant affecté à la recherche et à l'équipement : les pays de l'Union européenne y consacrent 4 000 dollars par soldat alors que cette somme atteint 28 000 dollars aux Etats-Unis, chiffres dont la portée s'aggrave encore lorsque l'on prend en considération les pertes d'efficacité dues aux fragmentations nationales.

L'Allemagne, quant à elle, a gelé son budget de la défense pour trois ans et le poids de la défense européenne repose donc essentiellement aujourd'hui sur le Royaume-Uni et la France.

Mais ces inquiétudes, aussi sérieuses soient-elles, ne peuvent que renforcer l'idée selon laquelle la France est aujourd'hui à la croisée des chemins et qu'une opportunité exceptionnelle s'offre à elle.

Le professionnalisme de nos troupes, la qualité de nos équipements et l'efficacité de nos méthodes sont universellement reconnus et sont pour nous une source de très grande fierté.

Pour la troisième année consécutive, l'annualité de la loi de programmation militaire a été parfaitement respectée et nous devons vous féliciter, madame la ministre, de ce redressement de notre outil de défense.

Dans cette perspective, quels moyens budgétaires sont dévolus à l'appui de l'Eurofor en Bosnie, qu'ils émanent de votre ministère ou de l'Union européenne ?

Puisque nous parlons de cette expérience de l'Eurofor qui, à mes yeux, constitue un laboratoire pour la future construction européenne de la défense, j'aimerais que vous puissiez nous dire comment vous voyez l'avenir des relations entre l'Union européenne et l'OTAN et nous exposer ce que vous attendez du projet de traité constitutionnel dans le domaine de cette Europe de la défense que nous appelons tous de nos voeux, dans l'intérêt même de notre pays. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Madame le sénateur, l'Eurofor, force de l'Union européenne, a pris la relève de l'OTAN en Bosnie. C'est la première fois qu'une telle opération revêt une si grande envergure, car la première opération du même type, qui s'était déroulée en Macédoine, était d'une bien moindre importance.

Le budget des coûts communs de l'opération Althea est fixé aujourd'hui à 71,9 millions d'euros, dont 12 millions d'euros incombent à la France et sont entièrement supportés par le budget de la défense.

Bien entendu, le coût réel pour la France - puisque la somme ci-dessus sera majorée, par exemple, par les primes au titre des OPEX que nous serons amenés à remettre à nos militaires - ne sera réellement connu qu'en fin d'opération.

En ce qui concerne l'Europe de la défense, comme je vous l'ai indiqué, d'importants progrès ont été enregistrés. J'attends que, dans les prochains mois, notamment grâce à la ratification de la constitution européenne, soient confortées un certain nombre d'initiatives prises au plan européen qui aujourd'hui manquent de bases légales.

N'oublions jamais que le premier objectif des pères de l'Europe était, avant tout, de garantir à l'ensemble des membres de l'Europe la paix et la sécurité sur notre continent. Aujourd'hui s'y ajoute la transmission des valeurs européennes à d'autres peuples qui en ont bien besoin. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures cinquante-cinq, est reprise à vingt-deux heures, sous la présidence de M. Adrien Gouteyron.)