Art. 1er
Dossier législatif : projet de loi prorogeant l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955
Art. 3

Article 2

Il emporte, pour sa durée, application du 1° de l'article 11 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955.

M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery, sur l'article. (Marques d'impatience sur les travées de l'UMP.)

Mme Alima Boumediene-Thiery. Je m'exprimerai à chaque fois que l'occasion me sera donnée !

Arrêter les violences et rétablir les solidarités dans les banlieues est une nécessité, et même une urgence.

Si nous savons tous que la sécurité est la condition de notre liberté, nous sommes également conscients qu'il ne peut y avoir de paix sociale sans justice sociale ! Et la paix sociale ne s'achète pas à coups de subventions !

Cela implique-t-il de nous soumettre à un droit d'exception, au détriment de nos libertés publiques et individuelles ? Cela justifie-t-il le mépris de nos droits fondamentaux, alors qu'hier encore le chef de l'État en appelait aux valeurs de notre République et dénonçait « la crise de sens de la société française » ?

Je vous l'affirme avec effroi, notre démocratie est en danger, et ceux qui la mette en cause, ces sont non pas ces jeunes, mais les responsables politiques au pouvoir qui, aujourd'hui, proposent comme unique solution la répression, pour le plus grand profit de l'extrême droite. Si votre objectif est d'ailleurs de récupérer ses voix, permettez-moi de vous dire que vous faites prendre de gros risques à la République.

Nous vivons un moment crucial, dont nous serons responsables devant l'histoire. En faisant reculer nos libertés et la force du droit, nous donnons du crédit au droit de la force et nous érigeons la répression en stratégie politique ! Nous savons où mène le cycle bien connu qui enchaîne provocations et répression, et quels résultats désastreux il permet d'obtenir !

Les banlieues n'ont pas besoin d'un État d'exception qui restreigne leurs libertés et leurs droits, elles ont besoin de respect, de solidarité et de justice, grâce à une égalité des droits qui ne se réduise pas à des discours !

Il faut changer de méthode. D'autres choix économiques et sociaux sont indispensables et le passage en force systématique doit céder la place au dialogue et au respect ! Il faut mettre en place les conditions d'une véritable reconnaissance sociale et d'une démocratie qui permette à chacun d'intervenir sur les choix qui le concernent en premier lieu.

Or les mesures que vous préconisez sont non seulement porteuses d'atteintes graves à nos libertés publiques et à notre démocratie, mais aussi dangereuses. Elles stigmatisent toute une population et renforcent le sentiment d'apartheid social et territorial que ressentent déjà certains quartiers.

M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois. Après l'intifada tout à l'heure, voilà l'apartheid !

Mme Alima Boumediene-Thiery. Enfin, au coeur des défis que vous lancez se trouvent les principes fondamentaux de notre droit. Il est de notre devoir de démocrates de les défendre et de les garantir.

Comment parler d'indépendance de la justice lorsque le ministre de l'intérieur exhorte le juge des libertés à condamner, voire à expulser, des personnes en situation régulière en France au regard du droit sur le séjour des étrangers ? (Mme Dominique Voynet applaudit.) Comment parler de liberté de circulation quand même un taxi, ici, dans la cour du Sénat, refuse, dans un premier temps, de me conduire chez moi, à Argenteuil, au prétexte que le lieu où je vis est sous couvre-feu ? Comment assurer nos droits quand même les magistrats, garants de nos libertés, sont exclus de certaines procédures et ne peuvent intervenir dans les perquisitions ou les assignations à résidence ?

Que dire d'un garde des sceaux qui encourage les magistrats à exécuter fidèlement, au nom de l'ordre public, des mesures d'exception qui datent d'une triste époque ? Que dire encore de ces procédures expéditives qui se multiplient au mépris des droits de la défense et des conventions internationales ?

Depuis plusieurs années, toutes les réformes judiciaires que nous propose votre majorité n'ont qu'un fil conducteur : la restriction de nos droits et libertés. Vos politiques mettent en place de véritables machines à désintégration sociale et à exclusion, que ce soit à l'école, au travail, dans les quartiers ou ailleurs. Et vous voudriez ensuite nous donner des leçons de citoyenneté ?

C'est la France d'en bas - que vous sollicitiez hier pour parvenir au pouvoir - qu'aujourd'hui vous « ghettoïsez », sans aucun droit ni liberté. C'est l'avenir de notre pays que vous mettez en danger, en enfermant ces jeunes dans l'exclusion et le désespoir ! Comment demain pourrez-vous les alerter sur les dangers du repli communautaire, alors qu'aujourd'hui vous les enfermez dans leur communauté sociale et territoriale ? C'est la démocratie que vous mettez en péril, en répondant à cette révolution sociale par un régime d'exception, à l'instar des dictatures que nous, pays des droits de l'homme, voulions combattre !

Quelle image donnons-nous de notre pays ? Les médias étrangers parlent de guerres de religion !

M. le président. Veuillez conclure, madame Boumediene-Thiery !

Mme Alima Boumediene-Thiery. Alors que nous nous permettons souvent de donner des leçons de démocratie et de liberté à nos voisins et partenaires, quelle crédibilité aurons-nous désormais ?

Ma solidarité, je sais vers qui elle se tournera, naturellement !

Les droits et les libertés, comme le droit à la dignité, sont des valeurs fondamentales et inaliénables que notre pays doit continuer à honorer, au risque de voir sa cohésion sociale durablement mise à mal.

Non, il ne s'agit pas ici de menaces, il s'agit seulement d'une recherche de justice, quel que soit le prix à payer ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. L'amendement n° 5, présenté par Mmes Boumediene-Thiery,  Blandin et  Voynet et M. Desessard, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Face à l'acharnement du Gouvernement à imposer un État d'exception, nous pourrions nous contenter de qualifier d'inutile la loi de 1955. En effet, une grande partie des dispositifs qu'elle autorise sont déjà présents dans notre arsenal législatif. Parmi eux, figure notamment la mesure phare annoncée, le couvre-feu. Alors que les maires peuvent, dans le cadre de leurs pouvoirs de police, instaurer le couvre-feu, notons que, dans la majorité des villes confrontées aux plus graves cas de violences, il n'a pas été appliqué.

Cependant, la loi de 1955 n'est pas seulement inutile, elle est aussi liberticide et dangereuse. Ses dispositions vont au-delà de la procédure pénale actuellement en vigueur pour les flagrants délits. En excluant même un minimum de garanties, telles que l'encadrement par un magistrat de l'ordre judiciaire dans l'application des mesures d'assignation à résidence ou dans les entraves mises à la liberté de circulation, ces mesures ouvrent la porte à l'arbitraire total et donnent tout pouvoir aux autorités policières et administratives.

L'extension des pouvoirs des forces de l'ordre, qui entraîne inévitablement un risque d'abus, n'apporte aucune solution à la désespérance sociale. Au contraire, au lieu d'instaurer le dialogue et le respect pour trouver, ensemble, des solutions constructives et durables, le Gouvernement, consciencieusement, méthodiquement et avec mépris, suscite des peurs pour mieux mettre en oeuvre une attaque généralisée contre nos libertés, je pense notamment à la possibilité d'effectuer des perquisitions de jour comme de nuit.

Naguère, c'était M. Perben qui consacrait le recul des droits de la défense. Marchant sur ses pas, M. Clément, le mois dernier, en appelait ouvertement à violer le principe constitutionnel de non rétroactivité. (Exclamations sur les travées de l'UMP.) Aujourd'hui, M. Sarkozy, appuyé par M. de Villepin, consacre un droit d'exception, avec le consentement silencieux et néanmoins complice du Président de la République. Et demain, la boucle sera bouclée avec le projet de loi de lutte contre le terrorisme. Après le « tout-policier », c'est un État du « tout-sécuritaire » que l'on instaure. Un État Big Brother où nous serons surveillés, contrôlés, observés, enregistrés,... en quelque sorte tous « fliqués » !

M. Jean-Patrick Courtois. C'est délirant !

Mme Alima Boumediene-Thiery. En tant que démocrates, il nous incombe de nous battre pour nos droits et nos libertés, ainsi que pour ceux des générations à venir. Au nom de la mémoire de nos anciens, qui ont combattu pour défendre les valeurs de notre pays, notre devoir est aujourd'hui de nous battre avec force et vigueur, afin que notre République ne bascule pas définitivement dans la sphère de l'injustice et du totalitarisme, gommant à jamais tout espoir de paix sociale. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. - Mme Dominique Voynet et M. Bernard Cazeau applaudissent également.)

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Même avis.

M. Charles Pasqua. Excellente argumentation ! (Sourires.)

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Et très ramassée !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 5.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 2.

(L'article 2 est adopté.)

Art.  2
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Explications de vote sur l'ensemble (début)

Article 3

Il peut y être mis fin par décret en conseil des ministres avant l'expiration de ce délai. En ce cas, il en est rendu compte au Parlement.  - (Adopté.)

Vote sur l'ensemble

Art. 3
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Explications de vote sur l'ensemble (fin)

M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble du projet de loi, je donne la parole à M. Gélard, pour explication de vote.

M. Patrice Gélard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe UMP votera ce texte. Pourquoi ?

M. Robert Bret. Parce qu'on vous l'a demandé !

M. Patrice Gélard. Parce que tous les orateurs qui sont intervenus ont reconnu que des violences, des exactions, des atteintes à l'ordre public ont été commises. Par conséquent, les faits justifiaient la mise en oeuvre de l'état d'urgence.

Si nous relisons la loi de 1955, qui a été dénaturée dans de très nombreuses interventions, nous découvrons qu'elle peut s'appliquer en cas de péril imminent résultant d'atteintes graves à l'ordre public. Ce qui s'est passé dans les banlieues relève-t-il d'une autre définition ? Nous voyons aussi que cette loi peut être mise en oeuvre en cas d'événements présentant par leur nature et leur gravité le caractère de calamité publique. Mais il n'y a jamais été question de circonstances exceptionnelles, d'état de guerre ou autre !

Il est vrai que la loi de 1955 est dépassée sur un certain nombre d'aspects. Il est exact que nous, législateur, aurions dû la réviser (M. Jean-Pierre Bel opine), en particulier sur deux points. D'une part, pour qu'elle cesse de faire référence à certaines institutions qui n'existent plus ; d'autre part, pour qu'elle devienne compatible avec la Convention européenne des droits de l'homme, qui a été ratifiée depuis lors.

M. Robert Bret. Eh oui !

M. Patrice Gélard. Il nous revient de corriger ce texte. Il en va de même, d'ailleurs, pour un autre texte qui n'a plus été appliqué depuis 1870, à savoir la loi sur l'état de siège.

Toutefois, il n'y a pas de République sans état d'exception ! Nous ne pouvons défendre l'ordre public si nous n'avons pas prévu les moyens nécessaires. C'est précisément ce que sont l'état d'urgence, l'état de siège, l'article 16 de la Constitution, qui s'applique dans des circonstances très particulières,...

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Excellente idée ! Pourquoi ne pas avoir mis en oeuvre l'article 16 de la Constitution, ou l'état de siège ? (Sourires sur les travées du groupe CRC.)

M. Patrice Gélard. ...ou la théorie des circonstances exceptionnelles, dégagée par la jurisprudence en 1918. La République doit pouvoir se défendre, toutes les constitutions démocratiques ont prévu un tel cas de figure.

Il n'y a donc rien de choquant à utiliser les armes dont nous disposons quand l'ordre public est menacé, et il n'y a rien d'outrageant à en prolonger l'usage par une loi, parce que nous saluons en même temps le courage des gendarmes, des CRS, des policiers, des pompiers, qui ont défendu l'ordre public au péril de leur vie ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Pour toutes ces raisons, nous voterons ce projet de loi. (Bravo ! et applaudissements sur les mêmes travées.)

M. Charles Pasqua. Ainsi parlait M. Gélard ! (Sourires.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Pelletier.

M. Jacques Pelletier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'heure n'est pas à la politique politicienne. Nous sommes tous responsables de ce qui se passe aujourd'hui.

M. Jacques Pelletier. Tous les gouvernements qui se sont succédé depuis trente ans portent cette responsabilité. Naturellement, pour avoir été ministre pendant six ans, j'en assume ma part.

M. Charles Pasqua. Très bien !

M. Jacques Pelletier. Par facilité, nous avons laissé se créer des ghettos, dans lesquels les populations immigrées se sont rassemblées, afin de se retrouver entre elles. Pour nous adapter à de nouvelles exigences, nous avons supprimé le service militaire, cet instrument essentiel de mixité sociale qui permettait de conforter la cohésion de la société et de rattraper, parfois, des scolarités gâchées ou abandonnées. Nous avons supprimé la police de proximité,...

M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois. C'est faux !

M. Jacques Pelletier. ...pourtant indispensable. La démission des parents, et pas seulement dans les quartiers difficiles, a permis à des enfants de 16 ans, 15 ans, 14 ans, parfois plus jeunes encore, de traîner dans les rues à des heures indues, livrés à eux-mêmes, égarés jusqu'à lancer des cocktails Molotov sur des crèches ou des écoles, comme s'il s'agissait d'un jeu.

Les enfants, dès trois ou quatre ans, malgré les interdictions liées à leur âge, sont « scotchés » devant les écrans de télévision, qui leur proposent souvent, pour seuls repères, des scènes de violence inouïes, jusqu'à leur faire perdre conscience de la distinction entre réalité et fiction.

M. Charles Pasqua. C'est vrai !

M. Jacques Pelletier. Dans certains quartiers, dans certaines villes, mais aussi dans certains villages, les taux de chômage atteignent parfois 30 % de la population active, voire davantage. Si les jeunes gens qui terminent leur scolarité avec un diplôme en poche peuvent espérer obtenir un emploi, bon nombre décrochent dès la fin du primaire,...

M. Jacques Pelletier. ...en sachant à peine lire et écrire, proie facile dès lors pour des dealers peu scrupuleux ou des fondamentalistes illuminés.

Mais la plupart ne sont ni coupables ni responsables. Beaucoup veulent s'en sortir, coûte que coûte. Ceux-là, comme les autres, du reste, méritent que nous les aidions partout où cela peut se faire, dans les quartiers, dans les communes, dans les écoles, dans les entreprises, en nous appuyant sur un tissu associatif, qui accomplit sur le terrain un travail très remarquable.

Parce que ces jeunes préfèrent l'instruction à la délinquance, parce qu'ils veulent travailler pour fonder une famille, parce qu'ils aspirent simplement à être des Français à part entière, ils portent, sans doute plus haut que beaucoup d'autres, les valeurs de la République.

Par conséquent, même si l'état d'urgence n'est pas, et n'a jamais été, la priorité du groupe RDSE, la gravité des événements auxquelles nous avons assisté ces derniers jours l'exige. Il est temps, en effet, de rétablir le respect de la loi, de fortifier le lien social et de protéger la citoyenneté. L'état d'urgence est un instrument de dissuasion, dont le Gouvernement doit faire une application mesurée, je dirai même très mesurée.

M. Charles Pasqua. Absolument !

M. Jacques Pelletier. La moitié de mes collègues du RDSE, avec moi, votera ce texte, une minorité préférant voter contre ou s'abstenir, et je respecte ce choix.

Mes chers collègues, au-delà de cet état d'urgence, pour réussir à mettre en oeuvre des actions pérennes à moyen et long termes, il doit y avoir une union sacrée, par-delà les clivages, les égoïsmes et les idéologies, avec l'ambition et la volonté de tendre vers un seul et même but : donner à tous les mêmes chances, dans une France unie et républicaine. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UC-UDF et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Yannick Bodin.

M. Yannick Bodin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous l'aurez compris, car cela va de soi, le groupe socialiste, à l'issue de ce débat, votera contre le projet de loi prorogeant l'application de la loi du 3 avril 1955. (Murmures sur les travées de l'UMP.)

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Surprenant !

M. Henri Revol. Étonnant !

M. Yannick Bodin. Pour reprendre deux termes utilisés aujourd'hui par mes collègues, nous considérons tout simplement que ce texte est à la fois inutile et dangereux.

Il est d'abord inutile, car M. le ministre de l'intérieur, dans son exposé que nous avons écouté avec attention, n'a pas cessé de nous vanter les mérites de son action, dans le but non seulement de nous démontrer que la situation s'améliorait de jour en jour, mais aussi de nous convaincre d'approuver la prolongation pour trois mois supplémentaires d'une situation d'exception. Quelle contradiction ! À l'évidence, ce texte est inutile car, beaucoup l'ont dit avant moi, l'arsenal juridique existe,...

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Faux !

M. Yannick Bodin. ...il suffit de l'utiliser. Les manquements à la loi doivent naturellement être sanctionnés, cela ne souffre aucune ambiguïté.

Ce projet de loi est ensuite dangereux. Le moment est venu de faire passer un message à nos concitoyens, pour leur dire que nous les avons entendus et qu'il nous faut maintenant engager le dialogue, écouter les uns et les autres avec un peu plus d'attention, discuter d'éducation, de formation, de logement, d'emploi, et proposer des solutions.

M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois. Ce n'est pas le débat d'aujourd'hui !

M. Yannick Bodin. Or, au lieu de cela, vous faites passer un autre message. Comme on dit, vous en rajoutez une couche.

M. Guy Fischer. C'est vrai !

M. Yannick Bodin. Après avoir sorti le bâton, vous menacez d'en sortir un autre, encore plus gros, pour frapper le premier qui bouge !

S'il est nécessaire de tenir un discours de fermeté, pour qu'il soit compris, il faut en même temps montrer sa capacité de dialogue et savoir tendre la main.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Vous êtes fort pour les discours, mais pas pour la pratique !

M. Yannick Bodin. Bref, nous l'avons parfaitement compris, il s'agit tout simplement pour vous de masquer l'échec d'une politique que vous menez depuis maintenant près de quatre ans. (Mme Dominique Voynet applaudit. - Protestations sur les travées de l'UMP.)

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. N'en rajoutez pas !

M. Robert Bret. C'est pourtant cela le coeur du problème !

M. Yannick Bodin. Pour ma part, jusqu'à aujourd'hui, je n'ai pas le souvenir d'avoir vécu une seule fois pareille flambée de violence, d'avoir vu pendant quinze jours autant de voitures et de bâtiments brûler.

M. Josselin de Rohan. C'était l'idylle sous Jospin ! (Marques d'ironie sur les travées de l'UMP.)

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Tout allait bien !

M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois. Rappelez-vous les événements de Strasbourg !

M. Yannick Bodin. Vous pouvez remonter aussi loin que vous voulez, vous ne trouverez pas d'exemple comparable avec ce qui se produit en ce moment. Or c'est vous qui êtes aux responsabilités, et vous y êtes depuis quatre ans !

En réalité, vous souhaitez profiter de la peur des Français pour mettre en avant une vraie politique sécuritaire, et montrer ainsi votre force. Or, en agissant ainsi, vous faites tout simplement la démonstration de votre faiblesse.

C'est pourquoi nous ne vous suivrons pas et nous voterons contre ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. - M. Gérard Delfau applaudit également.)

M. Josselin de Rohan. Mélenchon, lui, a du talent !

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. J'ai déjà expliqué pourquoi nous étions résolument opposés à ce projet de loi. Ce débat, si c'en est un,...

M. Jean-Patrick Courtois. Qu'est-ce que c'est si ce n'est pas un débat ?

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. ...conforte notre groupe dans son refus absolu et déterminé de voter cette loi d'exception.

Monsieur Gélard, vous avez argué de vos qualités de juriste...

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. ...pour nous démontrer l'absolue nécessité de prendre des mesures d'exception lorsque la République est en danger, quand la gravité de la situation est telle qu'il n'est plus possible d'utiliser les moyens légaux ordinaires.

A cet égard, et c'est bien le problème, votre demande de prorogation de l'état d'urgence nous paraît complètement disproportionnée par rapport au but que vous vous proposez d'atteindre.

Juristes ou pas, c'est à cette question que les parlementaires doivent répondre. Or, tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat, la réponse apportée est mauvaise. Nous n'avons rien noté de positif, aucune parole d'apaisement, aucune main tendue, aucune mesure de dialogue, absolument rien !

M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois. Ce n'est pas le but de la loi !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous n'ouvrez la bouche que pour dire : « Tous coupables ! » (Exclamations sur les travées de l'UMP.) A vos yeux, les coupables, ce sont les parents, les familles, et même les polygames maintenant !

M. Guy Fischer. C'est la dernière trouvaille !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous rendez-vous compte de ce que vous dites ? Que cherchez-vous réellement ? D'ailleurs, connaissez-vous vraiment les cités ?

M. Josselin de Rohan. Parce que vous habitez, vous, dans une cité ?

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Connaissez-vous vraiment les pauvres ? (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)

M. Josselin de Rohan. Absolument !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. « Tous coupables », cela veut dire : pas de responsables.

M. Robert Bret. Mais c'est trop facile !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Effectivement !

La politique que vous menez détruit, au fur et à mesure, la cohésion sociale, en sacrifiant les services publics, en privatisant à tout-va, en ne se préoccupant que des actionnaires, que du MEDEF, mais jamais du peuple ! (M. Jean-Luc Mélenchon applaudit. - Protestations sur les travées de l'UMP.)

M. Robert Bret. La France d'en haut !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Elle diminue les impôts pour les plus riches et supprime l'aide médicale pour les plus pauvres !

M. Josselin de Rohan. Grotesque ! Triste ritournelle !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Si ce n'est pas une politique de classes, qu'est-ce que c'est ? (M. Guy Fischer applaudit.)

M. Robert Bret. Absolument.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Comment pouvez-vous nous dire : « Tous coupables ! », en visant d'abord les familles, les mères, les pères, les enfants ?

M. Jean-Patrick Courtois. Pourquoi pas les grands-mères ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Quant à vous, qui menez cette politique, vous n'auriez aucune responsabilité : c'est tout de même extraordinaire ! Qui peut vous croire ?

L'union sacrée autour de mesures d'exception et autour de quelles autres exigences ? Alors qu'il faudrait répondre à l'urgence sociale, vous préférez satisfaire à l'urgence sécuritaire. Nous ne vous suivrons pas dans cette voie : vous recueillerez ce que vous avez semé !

En votant ce texte, les parlementaires se discréditent. (Mme Jacqueline Gourault s'exclame.) Je le répète une fois encore, si la situation est redevenue normale, pourquoi le Parlement voterait-il une loi d'exception ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Gourault.

Mme Jacqueline Gourault. Comme l'a déjà annoncé le président de notre groupe, M. Michel Mercier, nous voterons ce projet de loi.

Je voudrais m'associer aux propos tenus par M. Jacques Pelletier. Son intervention était tout à fait remarquable et je n'aurais pas pu trouver de mots plus justes pour exprimer notre position. Nous partageons complètement sa vision : sur des sujets aussi difficiles, il importe, en effet, de ne pas s'envoyer d'invectives d'un camp à l'autre.

Je souhaite vraiment que la France retrouve une situation totalement calme. Naturellement, monsieur le ministre, j'espère que vous aurez à appliquer ces dispositions le moins longtemps possible. C'est ce que nous pouvons souhaiter de mieux pour tous, pour nos familles, nos quartiers, nos villes, et aussi nos campagnes. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Mélenchon. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

M. Josselin de Rohan. Le meilleur pour la fin !

M. Jean-Luc Mélenchon. La période que nous vivons s'inscrit dans le cadre d'un moment politique beaucoup plus large : au-delà même de ce texte, notre pays est touché par un état d'urgence global, plus précisément un état d'urgence sociale et politique.

Nous assistons à une évolution dans laquelle tous les curseurs de crise atteignent la zone critique. Nous en subissons aujourd'hui le premier avatar violent, qui succède à plusieurs temps forts d'« insurrection civique », marqués par des votes de rejet contre ceux qui souhaitaient imposer une certaine organisation de la société.

Cette conjonction d'une crise sociale et d'une crise politique provoque des explosions imprévisibles, toujours à l'endroit où la société est la plus affaiblie et la plus fragile.

Nous ne faisons donc que commencer à être atteints par cet état d'urgence sociale et politique. Nous souhaitons tous que le calme revienne en banlieue. Mais, si c'est le cas, il ne sera que provisoire, car il restera plein de tempêtes contenues. Votre état d'urgence ne sera pas plus efficace pour régler les problèmes que ne l'a été, en son temps, l'état d'urgence en Algérie ou en Nouvelle-Calédonie.

Ce sera le même échec, avec la même violence : il est donc urgent de ne pas jouer avec les mots, au risque de créer des confusions. Monsieur le garde des sceaux, avec le ministre de l'intérieur, vous n'avez eu de cesse de faire de la provocation, de jeter de l'huile sur le feu. Vous avez continué aujourd'hui, ici même, dans cet hémicycle. À cet égard, nous savons très bien que les propos tenus tout à l'heure par M. Sarkozy vont, hélas ! se répandre.

Puisqu'il a mis en cause les « barbus », il me reste à lui dire que ce n'est pas la barbe qui fait la foi, et qu'il en est des barbus comme des petites personnes : certains sont aimables, d'autres ne le sont pas ; certains ont du coeur, d'autres n'en ont pas ; certains sont des imbéciles, d'autres ne le sont pas.

D'une manière générale, dans notre pays, aucun attribut physique ne permet de caractériser un groupe que l'on voudrait montrer du doigt.

Nous n'avons pas la même définition de l'ordre républicain. Il faut le dire. Pour ma part, je souffre d'entendre accoler l'adjectif « républicain » à chacune de vos trouvailles sécuritaires.

Pour vous, l'ordre républicain correspond aux mesures que vous êtes en train de prendre. Pour moi, pour les socialistes, l'ordre républicain est celui dans lequel l'égalité est établie, la justice est respectée, le droit et la dignité des personnes sont pris en considération et portés au plus haut niveau.

M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois. Voeu pieux !

M. Jean-Luc Mélenchon. Si vous ne rétablissez pas cet ordre républicain-là, c'est-à-dire l'ordre de l'égalité sociale, vous aurez sans cesse besoin de recourir à l'état d'urgence pour faire la guerre au peuple. Vous n'y échapperez pas.

Vous mettez vous-même le doigt dans un étrange engrenage.

Tout à l'heure, un orateur a jugé qu'en raison du fait que des voitures brûlent dans différentes villes il y aurait complot.

M. Guy Fischer. Une main invisible !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Personne n'a dit cela !

M. Jean-Luc Mélenchon. Par conséquent, il a estimé qu'il fallait adopter une loi prolongeant l'état d'urgence. Nous n'avons pas compris quelle menace justifiant l'application de cette loi d'exception planait sur la République.

M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois. Ce n'est pas une loi d'exception !

M. Jean-Luc Mélenchon. Mais si vous commencez à considérer que deux points font une ligne, vive l'état d'urgence fiscal afin de pourchasser les fraudeurs du fisc, nombreux dans notre pays, vive l'état d'urgence sur combien de points où les belles personnes peuvent comploter et nuire à leurs concitoyens sans que vous ne vous en émouviez !

Il y a une crise généralisée, il faut y répondre globalement. Vous pensez qu'une réponse sécuritaire suffit. Si tel était le cas, nous serions muets mais notre expérience historique montre qu'une telle réponse est vaine.

Ce qu'il faut, c'est rétablir l'ordre égalitaire, l'ordre social. C'est cela l'ordre républicain ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...

Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi.

Je suis saisi de deux demandes de scrutin public émanant, l'une, du groupe UMP et, l'autre, du groupe socialiste.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...

Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.)

M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n°11 :

Nombre de votants 330
Nombre de suffrages exprimés 327
Majorité absolue des suffrages exprimés 164
Pour l'adoption 202
Contre 125

Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Le projet de loi est adopté définitivement.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
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