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Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire du Vietnam

M. le président. Mes chers collègues, j’ai le plaisir et l’honneur de saluer la présence, dans notre tribune officielle, d’une délégation de l’Assemblée nationale de la République socialiste du Vietnam, conduite par son président, M. Nguyên Phu Trong, et présente à Paris à l’invitation du Sénat.

Cette visite officielle, quelques mois après celle du Premier ministre vietnamien, témoigne des liens d’amitié qui unissent nos deux pays.

Je me réjouis de l’intensité des relations entre nos deux assemblées, qui entretiennent un dialogue régulier, renforcé par la signature, en 2003, d’un accord de coopération mutuellement enrichissant.

Je profite, enfin, de cette occasion pour saluer l’action dynamique de notre groupe interparlementaire France-Vietnam, présidé par notre éminent collègue M. le questeur Gérard Miquel. (M. le secrétaire d’État, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent et applaudissent.)

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Discussion générale (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi relatif aux droits et aux devoirs des demandeurs d'emploi
Discussion générale (suite)

Droits et devoirs des demandeurs d'emploi

Suite de la discussion d’un projet de loi déclaré d’urgence

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi relatif aux droits et aux devoirs des demandeurs d'emploi
Motion d'ordre

M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi relatif aux droits et aux devoirs des demandeurs d’emploi.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.

M. Dominique Leclerc, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le présent projet de loi complète les réformes du service public de l’emploi en cours en définissant une notion restée jusqu’à présent assez floue, celle de « l’offre raisonnable d’emploi ».

Comme vous l’avez rappelé, monsieur le secrétaire d'État, le service public de l’emploi s’est beaucoup modernisé ces dernières années. (M. Jean Desessard manifeste son scepticisme.)

Depuis 2006, date de la signature de son dernier contrat de progrès avec l’État, l’ANPE met en œuvre une politique de suivi individualisé des demandeurs d’emploi. Ces derniers sont suivis, à compter du quatrième mois de chômage, par un conseiller « référent » qui les accompagne dans leur recherche d’emploi.

Cette politique a été rendue possible par le renforcement des moyens humains de l’Agence, qui compte aujourd’hui 28 000 agents, soit 55 % de plus qu’il y a dix ans, alors que – Dieu soit loué ! – le nombre des demandeurs d’emploi a baissé environ de un million au cours de cette même période.

L’ANPE est par ailleurs engagée dans un processus de fusion avec les ASSEDIC. Cette fusion est la conséquence logique des efforts de rapprochement engagés depuis 2004 entre les deux organismes, qui ont permis de multiplier les guichets uniques et, surtout, d’élaborer un système informatique commun entre l’ANPE et l’assurance chômage.

Ce projet de loi vise à préciser les droits et les devoirs des demandeurs d’emploi dans leurs rapports avec le nouvel opérateur qui résultera de la fusion de l’ANPE et des ASSEDIC.

Ce nouvel opérateur se voit d’abord assigner pour mission d’orienter et, surtout, d’accompagner les demandeurs d’emploi dans leur recherche d’emploi. À cette fin, il élaborera avec chaque demandeur d’emploi un projet personnalisé d’accès à l’emploi, ou PPAE, qui précisera la nature et les caractéristiques des emplois recherchés.

Lors de l’élaboration conjointe de ce PPAE, le demandeur d’emploi pourra indiquer quel métier il souhaite exercer, s’il recherche un contrat à durée indéterminée ou un contrat à durée déterminée, un emploi à temps plein ou à temps partiel. Ce document sera révisé périodiquement pour élargir le champ de la recherche d’emploi si celle-ci se révèle infructueuse au bout d’un certain délai.

En parallèle, le demandeur d’emploi doit se conformer à trois obligations. D’une part, il doit participer à l’élaboration de son projet. D’autre part, il doit accomplir des actes positifs et répétés de recherche d’emploi ; cette disposition n’est pas nouvelle, puisqu’elle figure dans le code du travail depuis la loi de programmation pour la cohésion sociale du 18 janvier 2005. Enfin, le demandeur d’emploi doit accepter les offres raisonnables d’emploi qui lui sont faites.

Au cœur du projet de loi réside précisément la définition de critères précis et évolutifs dans le temps pour déterminer ce qu’est une « offre raisonnable d’emploi ».

Premier critère, l’offre d’emploi doit être compatible avec les qualifications du salarié.

Deuxième critère, le niveau du salaire antérieur : pour une personne au chômage depuis plus de trois mois, une offre d’emploi est raisonnable si elle est rémunérée à hauteur de 95 % au moins de son salaire antérieur ; au-delà de six mois de chômage, ce taux est ramené à 85 % ; au-delà d’un an, devient raisonnable une offre d’emploi rémunérée au moins au niveau du revenu de remplacement perçu par le demandeur d’emploi.

Troisième critère, la distance entre le domicile du demandeur d’emploi et le lieu de travail : au-delà de six mois de chômage, une offre d’emploi est raisonnable si elle entraîne un temps de trajet, en transport en commun, d’une heure au plus ou si la distance domicile-travail est au plus de trente kilomètres ; si l’on raisonne sur un trajet aller et retour, le temps de transport peut donc atteindre deux heures ou la distance soixante kilomètres.

Il faut savoir que ces critères sont proches de ceux qui sont pratiqués par nos partenaires européens. Ils ressemblent en particulier, tout en étant beaucoup moins sévères, à ceux qui ont été introduits en Allemagne, à l’époque du chancelier Schröder, par la loi Hartz IV. Outre-Rhin, un demandeur d’emploi inscrit au chômage depuis plus de six mois doit accepter un emploi rémunéré à hauteur de 70 % au moins de son salaire antérieur et occasionnant un temps de trajet de deux heures et demie, au plus, aller et retour.

Mme Annie David. Et quelles en sont les conséquences ?

M. Dominique Leclerc, rapporteur. Un demandeur d’emploi ne pourra refuser, sans motif légitime, deux offres raisonnables d’emploi. Après un deuxième refus, il s’exposera à une sanction prenant la forme d’une radiation de la liste des demandeurs d’emploi.

Je rappelle que la radiation entraîne la suspension du versement du revenu de remplacement et qu’elle peut être suivie d’une sanction décidée par le préfet.

La commission des affaires sociales approuve pleinement ce projet de loi, qui présente à ses yeux plusieurs avantages.

D’une part, la définition de critères objectifs pour définir l’offre raisonnable d’emploi assurera mieux l’égalité de traitement entre les demandeurs d’emploi. Aujourd’hui, la notion d’offre valable d’emploi étant laissée en grande partie à l’appréciation de chaque conseiller de l’ANPE, elle est potentiellement variable.

D’autre part, ce projet de loi crée une incitation supplémentaire à un retour rapide à l’emploi, qui est bénéfique tant pour le demandeur d’emploi que pour les entreprises et les comptes de l’assurance chômage.

Ensuite, le présent texte permettra également de mieux sanctionner des abus qui, pour être peu fréquents, n’en sont pas moins choquants pour l’opinion publique.

Enfin, en favorisant une meilleure rencontre entre offres et demandes d’emploi, ce projet de loi devrait permettre de réduire les difficultés de recrutement observées dans certains secteurs.

M. Dominique Leclerc, rapporteur. Mon cher collègue, vous les connaissez aussi bien que moi ! Sur le terrain, on les voit !

Ces difficultés résultent notamment d’une inadéquation de la qualification des demandeurs d’emploi aux besoins exprimés sur le terrain par les entreprises.

M. Jean Desessard. C’est un problème de formation ! Il faut agit sur la formation !

M. Dominique Leclerc, rapporteur. En conséquence, une lourde responsabilité pèsera sur le nouvel opérateur issu de la fusion de l’ANPE et des ASSEDIC.

C’est pourquoi nous soutenons les efforts du Gouvernement pour réformer le service public de l’emploi, dans l’objectif de substituer un accompagnement personnalisé à des modalités de gestion de la liste des demandeurs d’emploi trop souvent bureaucratiques.

Dans la perspective de cette réforme, monsieur le secrétaire d'État, je voudrais insister, au nom de mes collègues, sur deux points.

En premier lieu, nous sommes très favorables à une prise en charge précoce des demandeurs d’emploi. Aujourd’hui, le droit d’être suivi par un conseiller référent ne leur est reconnu qu’à partir du quatrième mois de chômage. Nous le savons, le nouvel opérateur s’est donné pour objectif de faire bénéficier tous les chômeurs de ce suivi individualisé dès leur inscription.

Nous pensons qu’il faut aller encore plus loin et permettre à des personnes qui ont encore un emploi, mais qui savent qu’elles feront l’objet, dans un avenir plus ou moins proche, d’un plan de licenciement ou qu’elles seront victimes de la fermeture de leur entreprise, de bénéficier de cet accompagnement, mais anticipé ; de même, celles qui envisagent d’évoluer professionnellement devraient pouvoir avoir accès à ce service. Telles sont les recommandations de la commission.

En second lieu, nous demandons que l’effort de formation tout au long de la vie soit accentué et que l’offre de formation soit mieux adaptée aux besoins réels des employeurs.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Et il y a de l’argent !

M. Dominique Leclerc, rapporteur. Tous les pays qui ont réussi à sécuriser les parcours professionnels ont misé sur la formation.

M. Guy Fischer. L’Allemagne !

M. Dominique Leclerc, rapporteur. Une concertation pour réformer notre système de formation professionnelle est en cours et nous vous encourageons à faire preuve d’ambition, mais nous savons que vous n’en manquez pas en la matière.

En conclusion, la commission des affaires sociales considère que ce projet de loi est un texte équilibré, qui impose aux demandeurs d’emploi des obligations tout à fait mesurées si on les compare à celles qui sont en vigueur dans différents pays étrangers. J’invite donc, en son nom, le Sénat à adopter ce texte. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Motion d’ordre

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi relatif aux droits et aux devoirs des demandeurs d'emploi
Discussion générale

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires sociales.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Avec l’accord de la commission, monsieur le président, je souhaite, pour faciliter la compréhension de nos débats, disjoindre de la discussion commune prévue les amendements identiques nos11 et 34, qui tendent à supprimer le texte proposé par le II de l’article 1er pour l’article L. 5411-6-3 du code du travail.

M. le président. Il n’y a pas d’opposition ?...

Il en est ainsi décidé.

Discussion générale (suite)

Motion d'ordre
Dossier législatif : projet de loi relatif aux droits et aux devoirs des demandeurs d'emploi
Question préalable

M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Raymonde Le Texier. (M. Jean Desessard applaudit vivement.)

M. Jean Desessard. J’apprécie beaucoup ce que vous faites, madame Le Texier ! (Rires.)

Mme Raymonde Le Texier. Mais s’agit-il pour autant d’applaudissements « raisonnables », mon cher collègue ?

Mme Isabelle Debré. J’espère que vous nous applaudirez de la même façon, monsieur Desessard ! (Nouveaux rires.)

Mme Raymonde Le Texier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il nous aura fallu attendre bien longtemps, plus de deux siècles après la Révolution et pas moins de cinq Républiques, pour qu’un projet de loi s’attache enfin à introduire de la raison dans la recherche de l’emploi, et mieux encore, dans l’esprit des chômeurs : après Quand l’esprit vient aux femmes, voici La raison vient aux chômeurs ! (Sourires. - Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Voilà bien du Mme Le Texier !

Mme Raymonde Le Texier. En effet, ce texte dit relatif aux droits et aux devoirs des demandeurs d’emploi crée une nouvelle notion : l’offre raisonnable d’emploi, ou ORE.

Est considérée comme raisonnable une offre pour un emploi situé à moins de deux heures de transport par jour, ou moins de trente kilomètres, assorti d’un salaire tout d’abord égal à votre ancienne rémunération. Ensuite, la durée de chômage augmentant, le salaire passera à 95% puis 85% de votre ancienne rémunération, pour finir au plus bas, c’est-à-dire au niveau du revenu de remplacement.

En outre, au-delà de six mois de recherche d’emploi, les offres d’emploi n’ayant aucun rapport avec vos qualifications et votre expérience professionnelles seront, elles aussi, labellisées « raisonnables ».

Le chômeur qui osera refuser deux de ces offres se verra non seulement privé de l’allocation chômage pour laquelle il avait pourtant cotisé chaque mois, mais également rayé des listes de l’ANPE ! Même s’il cherche toujours activement un travail par ses propres moyens, le chômeur ainsi radié ne sera donc plus officiellement « un demandeur d’emploi ». Renvoyé du chômage pour faute grave, il ne pourra même plus prétendre au titre de demandeur d’emploi !

Ce système, mûrement réfléchi, cumule les deux avantages que tout gouvernement ultra communicant recherche en permanence : des économies que l’on peut afficher et des chiffres du chômage officiellement en baisse. Le coût humain et social, quantité somme toute négligeable, ne fera, lui, l’objet d’aucune communication !

La seule difficulté tient à la nécessité de trouver le bon habillage pour présenter ce dispositif comme juste, la bonne potion pour faire avaler la pilule. C’est là que l’idée d’« offre raisonnable » se révèle utile, car, dans les esprits, si c’est « raisonnable », c’est donc intouchable ! D’ailleurs, vous avez vite renoncé à votre première formulation, l’ « offre valable d’emploi ». Au pays de Descartes, « valable » est beaucoup plus attaquable que « raisonnable ».

L’usage du mot « raisonnable » sous-entend que le demandeur d’emploi ne saurait refuser une offre fondée sur la raison. S’il devait le faire, ce serait bien la preuve qu’il est dépourvu de raison, à la différence des auteurs de ce texte, bien entendu !

Mme Raymonde Le Texier. Il est réjouissant de voir le Gouvernement proposer un texte fondé sur l’idée philosophique de raison, car cela ne semblait pas être la référence majeure de ce quinquennat. (Protestations sur les travées de lUMP et de lUC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.) Je savais que vous n’apprécieriez pas !

M. Jean Desessard. Moi j’apprécie !

Mme Raymonde Le Texier. En France, la droite ressort cette idée de son chapeau chaque fois que le rapport de force devient trop favorable aux demandeurs d’emploi et que s’accroissent leurs capacités de négociation.

M. Dominique Leclerc, rapporteur. Quelle vision !

Mme Raymonde Le Texier. Mme Carole Tuchszirer, chercheur au Centre d’études de l’emploi, explique qu’il s’agit d’augmenter le volant de main-d’œuvre disponible pour réduire la marge de manœuvre de ceux qui offrent leur force de travail. Autrement dit, le principal objectif de ce texte pourrait être non pas de s’attaquer au chômage en profondeur, mais juste de fournir plus de main-d’œuvre bon marché aux secteurs d’activité sous tension.

En accroissant rapidement la main-d’œuvre disponible, on permet à la demande de rattraper l’offre, donc d’équilibrer le rapport de force au profit des entreprises. Même si cela a mécaniquement pour effet de maintenir les salaires à de bas niveaux, ce n’est pas la fin du monde. Ce n’est pas comme si le pouvoir d’achat était la préoccupation principale des Français !

M. Guy Fischer. Très bien !

Mme Raymonde Le Texier. Cependant, si ces emplois, qu’il faut pourvoir de gré ou de force, sont structurellement non pourvus, ce n’est pas un hasard ! Certains chefs d’entreprise regrettent ouvertement que ce texte conforte une absence de remise en question des employeurs des secteurs sous tensions. En sus des bas salaires, de la précarité généralisée qui les caractérise, ces emplois éternellement non pourvus imposent le plus souvent des conditions de travail difficiles : efforts physiques, travail à la chaîne, cadences, travail en extérieur ou à basse température, travail de nuit, dangerosité, absence de formation ou de plan de carrière, peut-être aussi absence de considération. Pourtant, vous en conviendrez, la considération n’est pas ce qui coûterait le plus cher !

Imposer ces emplois aux chômeurs en faisant fi de ce que vous appelez pudiquement leur compatibilité, c’est-à-dire en ne tenant plus compte, à partir de six mois de chômage, de leur qualification ou de leur expérience, sans même parler de leurs aspirations personnelles – cette prétention folle d’exercer un travail que l’on a choisi ! –, ce n’est pas nouveau. Souvenons-nous que, en 2000, déjà, lors des discussions sur le plan d’aide au retour à l’emploi, le PARE, le MEDEF avait œuvré dans ce sens. Il s’agissait alors de passer de la notion de « qualification » correspondant au poste offert, à l’idée de « capacité ». Huit ans plus tard, c’est la même intention, mais aggravée.

Votre offre d’emploi n’est pas raisonnable, elle est juste disponible et imposée.

Ce projet de loi est un texte de maintien des privilèges : choisir son métier, ne pas subir des conditions de travail trop difficiles, doit rester le privilège de quelques-uns.

Afin de mieux comprendre comment vous en êtes arrivés là, et avant de nous interroger sur l’efficacité de ce nouveau dispositif, il me paraît nécessaire de faire une brève incursion du côté de la théorie économique.

Ce texte semble s’inspirer de deux concepts récurrents dans la conception libérale du chômage. Il associe l’idée du chômage comme « trappe à inactivité » et la théorie du « chômage volontaire ».

Penser que plus longtemps on est au chômage, plus il est difficile de sortir de cette inactivité, cela se tient. Si tant est que l’on puisse considérer la recherche d’un emploi comme une inactivité. Mais penser que les demandeurs d’emploi choisissent d’être au chômage, choisissent l’extrême précarité, choisissent la peur du lendemain, c’est plus qu’une erreur, c’est un déni de réalité ! (M. Jean Desessard applaudit.)

Sauf dans une infime minorité de cas, on ne choisit pas le chômage, on le subit !

Mme Raymonde Le Texier. Évidemment, encore faut-il avoir été confronté aux affres du marché du travail pour le savoir.

Mais, dans la théorie qui anime ce texte, le chômeur est responsable de sa situation. Il est implicitement coupable d’avoir été déchu de son emploi pour des motifs sans doute obscurs, mais assurément légitimes, puisqu’il en est des licenciements comme du reste, « il n’y a pas de fumée sans feu ».

Le chômeur doit donc, c’est son devoir et sa pénitence, s’adapter au marché de l’emploi, quitte à abandonner toute prétention à un salaire décent et à des conditions de travail supportables.

Or les emplois disponibles, il y en a des quantités. Il faut donc les pourvoir coûte que coûte. S’ils ne correspondent ni à votre précédent niveau de rémunération, ni à votre formation, ni à votre expérience, ni, bien sûr, à vos souhaits, qu’importe ! Vous devez expier le crime originel que constitue la perte de votre emploi en acceptant ce chemin de croix.

Je tiens à souligner un aspect particulier de ce projet de loi : le principe des sanctions qui s’aggravent au gré des refus d’offres raisonnables d’emploi, c’est-à-dire au gré des « récidives » du chômeur, renvoie de manière inquiétante à la notion de récidive en droit pénal. À quand une amende pour refus d’offre raisonnable d’emploi ?

Monsieur le secrétaire d’État, votre politique se fonde sur l’affirmation que le travailleur, la main-d’œuvre dans son ensemble, est la seule variable d’ajustement de l’entreprise. Mais c’est faux ! Même dans un secteur d’activité où la main-d’œuvre est importante, l’automobile, par exemple, la part de la masse salariale représente aujourd’hui entre 9 % et 14 % seulement des coûts de production. Il faut donc chercher ailleurs la marge de manœuvre.

Fonder votre texte sur la théorie du « chômage volontaire » présente l’inconvénient majeur de finalement transférer complètement la responsabilité du chômage de l’entreprise sur le salarié. Si le salarié se retrouve au chômage, c’est qu’il l’a cherché, d’une façon ou d’une autre. Dès lors, cela revient à exonérer l’entreprise de toute responsabilité, notamment en termes de défaut de gestion prévisionnel des emplois, de formations qualifiantes, de précarité, tous aspects que vous avez préféré ignorer dans ce texte.

J’en viens à l’efficacité de ce dispositif. Faire peser une forte contrainte uniquement sur les demandeurs d’emploi, à l’exclusion des entreprises, c’est se fourvoyer tant sur l’efficacité de ce dispositif en termes d’embauche que sur ses bienfaits pour l’économie.

En ce qui concerne l’embauche, malgré la liste des États que vous citez régulièrement en exemple, des pays scandinaves au Royaume-Uni en passant par l’Allemagne, l’efficacité de telles mesures sur la réduction du chômage n’est pas avérée. Si tous ces pays ont réellement vu leur taux de chômage diminuer, alors qu’ils avaient instauré de lourdes pressions sur leurs demandeurs d’emploi, aucune étude ne permet à ce jour d’établir de lien direct entre la contrainte et la baisse du chômage.

À l’inverse, on a la certitude que les contraintes que subissent les chômeurs du fait du maintien des salaires au plus bas accentuent directement le phénomène de « travailleurs pauvres ». Ainsi, l’Allemagne a vu son nombre de travailleurs pauvres augmenter de près de 30 % en six ans ! Un article paru cette semaine sur ce sujet concluait ainsi : « Chômeur sans droit ou travailleur sans toit ? La démocratie te laisse le choix ». Est-ce votre ambition pour la France ?

Partout en Europe, il existe un consensus pour reconnaître que le retour durable à l’emploi dépend d’un ensemble de facteurs : d’abord une croissance forte, comme en Allemagne – les dernières prévisions de l’INSEE pour 2009 nous interdisent de trop y compter –, mais aussi des mesures de sécurisation des parcours professionnels et de formation.

Dans ce texte, vous n’actionnez qu’un seul levier, les sanctions contre les chômeurs. De la formation, il n’est pas trace. On sait juste que des négociations sont annoncées, mais vous n’avez pas estimé utile d’attendre leurs conclusions. M. Xavier Bertrand se plaît à nous citer le Danemark comme pays modèle en matière de politiques d’emploi. Pourtant, s’il y a bien un pays où la formation a joué un rôle capital dans la baisse du chômage, c’est le Danemark.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C’est un petit pays ! Il n’a pas la même sociologie !

Mme Raymonde Le Texier. En France, la formation se porte mal. Sur les deux millions de chômeurs inscrits actuellement, seuls 5 % ont bénéficié d’un programme de formation en 2007 ! L’UNEDIC reconnaît n’avoir utilisé que la moitié du budget de formation dont elle dispose ! Est-ce parce que, chez nous, la formation ne marche pas ? Non, bien sûr ! Entre 50 % et 70 % des demandeurs d’emploi ayant suivi soit une formation conventionnée soit une formation d’aide à l’embauche –  cela consiste principalement en une préparation aux entretiens d’embauche, à la rédaction de CV – ont retrouvé un emploi dans les trois mois.

Au vu de ces résultats, nous ne comprenons pas pourquoi vous ne centrez pas votre politique de l’emploi sur le pilier de la formation. Serait-ce parce que le pactole de l’UNEDIC est destiné à d’autres fins, les retraites par exemple ?

M. Jean Desessard. La question est posée !

Mme Raymonde Le Texier. En ce qui concerne l’efficacité économique, ce projet de loi, qui entend « remettre la France au travail », favorisera-t-il l’activité économique des entreprises ? Relancera-t-il la croissance ? On peut en douter, car il semble ignorer deux fondamentaux de l’économie.

En premier lieu, il ne favorise pas, bien au contraire, l’innovation et l’esprit d’entreprise. Mme Labeille, présidente du syndicat professionnel des cabinets de recrutement, parfaitement au fait des questions d’embauche dans les entreprises, déclarait voilà peu : « En ne faisant peser la contrainte que sur le demandeur d’emploi, on n’incite pas l’entreprise à améliorer la qualité des emplois, à former les salariés, à prévoir les évolutions des métiers et carrières ».

L’innovation, la recherche de nouveaux marchés, premiers ressorts d’une économie bien portante, se nourrissent pourtant précisément de cela. Ne pas inciter les entreprises à mieux former leurs employés, ne pas les encourager à anticiper les évolutions des marchés, donc leurs besoins en personnels et en compétences, c’est le signe d’un refus de l’innovation : triste symptôme d’une économie arc-boutée sur elle-même !

En d’autres termes, votre politique de l’emploi est tout simplement une politique à court terme, qui privilégie la recherche systématique des profits et les résultats statistiques temporaires contre les solutions durables.

En second lieu, votre projet de loi oublie un second déterminant de la réussite entrepreneuriale : la motivation. Tous les chefs d’entreprise vous le diront, le premier critère à l’embauche, le premier facteur pour qu’un recrutement produise de la richesse pour l’entreprise comme pour le salarié, c’est la motivation ! Or les embauches que vous imposerez avec ce projet de loi, parce qu’elles seront fondées sur la crainte de la sanction et non sur le choix ou sur la volonté, annihileront toute motivation de la part du salarié. Ces futurs employés en souffriront, c’est sûr, mais les entreprises qui les auront recrutés également.

Enfin, monsieur le secrétaire d’État, permettez-moi, un rappel de méthode.

Vous nous présentez un texte censé s’attaquer au chômage en organisant les prétendus « droits et devoirs des demandeurs d’emploi », alors que, sur la question du chômage, tout reste à faire, tout est en chantier.

Toutes les négociations importantes sur le sujet sont encore à venir. C’est comme si vous entendiez faire commencer le match avant que l’arbitre ne soit entré sur le terrain, avant même que les règles du jeu n’aient été fixées !

M. Jean Desessard. Cela aurait aidé l’équipe de France ! (Sourires.)

Mme Raymonde Le Texier. D’ailleurs, ce paradoxe a été relevé par l’ensemble des organisations que nous avons auditionnées, à l’exception du MEDEF. Toutes ont souligné que ce texte arrivait trop tôt !

Et, de fait, nous ne savons rien du nouvel organisme du service public de l’emploi auquel ce projet de loi fait référence à de nombreuses reprises. Cet organisme, qui naîtra de la fusion ANPE-ASSEDIC, sera pourtant au cœur du dispositif.

Les négociations entre les partenaires sociaux sur la réforme de l’assurance chômage n’ont pas commencé, mais vous passez outre. Est-ce à dire que la définition du revenu de remplacement et, surtout, des prestations d’aide à la recherche d’emploi sur lesquelles les demandeurs d’emploi pourront s’appuyer est, pour vous, un élément accessoire ?

Il en est de même des négociations sur la formation professionnelle et sur la gestion prévisionnelle des emplois. Elles ont beau être capitales dans l’élaboration d’une politique efficace de l’emploi, aujourd’hui, on fera sans !

Sur tous ces points essentiels, la concertation n’a pas commencé, mais la chasse aux fraudeurs et aux « paresseux », elle, est lancée, …