M. le président. La parole est à Mme Raymonde Le Texier.

Mme Raymonde Le Texier. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis l’après-guerre, jamais le déficit public n’avait atteint de tels sommets : 144 milliards d’euros pour l’année 2009, soit 7,5 % du PIB.

Ce douloureux constat est encore renforcé par un niveau d’endettement sans précédent, comme nous n’en avions jamais connu en temps de paix, de près de 1 500 milliards d’euros.

La situation de nos finances publiques est d’autant plus inquiétante que le déficit constaté n’est absolument pas lié à des dépenses d’avenir, ni à des investissements. Il finance essentiellement les intérêts de la dette, les remboursements et les dépenses courantes.

Dans un tel contexte, il n’est pas étonnant de voir le chômage exploser ! Quand à la mauvaise gestion budgétaire s’ajoute une vision politique réduite aux acquêts des ajustements comptables, c’est tout le pays qui entre dans une spirale récessive et tous les citoyens qui règlent la note, à commencer par les plus fragiles.

« Ce n’est pas nous, c’est la crise ! », répond, en substance, le Gouvernement face à la montée des périls. Dommage, car le rapport de la Cour des comptes montre que ce déficit est pour les deux tiers d’ordre structurel !

Le déficit budgétaire de l’État pour 2009 s’élève à un montant record de 138 milliards d’euros, alors que la loi de finance votée en 2008 l’avait évalué à 67 milliards d’euros. Une erreur de 145 %, pour un différentiel de 71 milliards d’euros ! Or, à l’époque déjà, la crise était installée, la dégradation de notre conjoncture était anticipée par toutes les institutions compétentes et le groupe socialiste alertait le Gouvernement sur les risques qu’il y avait à appuyer des choix stratégiques sur des hypothèses hautement fantaisistes.

À un tel degré d’approximation, on peut se demander si un débat d’orientation des finances publiques qui érige « pifométrie » et « doigt mouillé » comme outils de construction des politiques publiques…

M. Guy Fischer. A un sens !

Mme Raymonde Le Texier. … est vraiment indispensable !

Dans ce contexte, voter sur la trajectoire des finances publiques pour les trois années à venir a d’autant moins de sens que le Gouvernement ne se soucie manifestement même pas de sa crédibilité.

Quand le ministre du budget appuie ses prévisions sur une croissance de 2,5 % pour les années à venir et laisse entendre que ce niveau de croissance est atteignable, son collègue ministre du travail prévoit, quant à lui, une croissance très faible dès lors qu’il s’agit de justifier la réforme du système de retraites.

M. Guy Fischer. Très bien vu !

Mme Raymonde Le Texier. Ce manque de cohérence nuit gravement au sérieux des analyses gouvernementales.

Politiques désastreuses et prévisions insincères ont conduit à une situation critique.

Les mêmes causes produisant les mêmes effets, vos explications indiquant comment vous allez réaliser une économie de 40 milliards d’euros dès 2011 ont au moins le mérite de la clarté, monsieur le ministre. Ce sont les classes moyennes, les bas salaires et les chômeurs qui vont payer.

M. Guy Fischer. Et voilà !

Mme Raymonde Le Texier. Et ce même gouvernement, qui leur réclame de la sueur et des larmes, rembourse 30 millions d’euros à une milliardaire…

Que l’austérité soit à l’ordre du jour est un fait. Mais la question se pose de la justice sociale dans la répartition de l’effort. Quand la plus importante réforme fiscale du Gouvernement, la loi du 21 août 2007 en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, dite loi TEPA, aboutit à faire payer aux plus pauvres l’extension des privilèges des plus riches, il est difficile de porter un message d’effort et de rigueur !

En outre, ces cadeaux fiscaux ont été financés à crédit. La baisse des recettes pour l’État et la sécurité sociale a été la sanction immédiate d’un tel choix.

Pour autant, il n’est toujours pas à l’ordre du jour de ce gouvernement de s’en prendre autrement qu’à la marge aux retraites « chapeau », stock-options et autres niches fiscales et allégements d’impôts. Pourtant, le coût des allégements d’impôts, de la baisse du taux de TVA dans la restauration – « un truc à plus de 3 milliards par an », dixit M. le ministre – et de la mise en œuvre de la loi TEPA s’élève à 5,2 milliards d’euros, auxquels s’ajoutent 111 milliards d’euros de remboursements, dégrèvements, niches fiscales, soit plus du quart du budget de l’État !

Les annonces médiatisées par le Gouvernement, au lieu de lancer une réflexion sur les niches fiscales, ne « tapent » réellement que sur les aides publiques. En l’occurrence, les publics visés sont les chômeurs, les étudiants, les handicapés et les employés à domicile. S’attaquer aux revenus des plus démunis est une démarche indécente quand la solidarité et la protection de notre modèle social devraient inspirer les réformes réelles que notre société mérite.

À ce titre, la situation des finances sociales réclame une attention particulière.

Le déficit de la sécurité sociale incluant l’ensemble des régimes de base et le fonds de solidarité vieillesse s’est fortement creusé en 2009, pour atteindre 21,3 milliards d’euros.

Les quatre branches du régime général ont toutes enregistré une dégradation de leur solde financier, de manière plus prononcée pour l’assurance maladie. Redevenue la branche la plus déficitaire, celle-ci représente un peu plus de la moitié du déficit global.

Le FSV a également renoué avec un déficit important, de plus de 3 milliards d’euros. L’assurance chômage souffre, elle aussi, d’un fort déficit, ses dépenses ayant augmenté de 21,7 %.

Enfin, la dette des organismes sociaux, somme de la dette brute portée par la CADES et de celle directement à la charge des administrations de sécurité sociale, a atteint 155,8 milliards d’euros à la fin de 2009, soit plus de 8 % du PIB.

Tous ces déficits continuent à se creuser en 2010.

L’ensemble du régime général et du FSV serait ainsi déficitaire de plus de 31 milliards d’euros, soit une dégradation de plus de 21 milliards d’euros en l’espace de deux ans. En l’absence de reprise de dette par la CADES, le découvert de trésorerie de l’ACOSS serait de l’ordre de 55 milliards d’euros à la fin de 2010.

Or l’ACOSS n’a pas vocation à supporter une dette durable : sa mission est seulement de couvrir les besoins de trésorerie du régime général. La transformer en « CADES bis », c’est faire supporter au régime général des frais financiers croissants et nier le caractère structurel de cette dette : voilà une double erreur qui devrait encore accentuer les difficultés du régime. Tout cela a déjà été fort bien exposé par le rapporteur général de la commission des affaires sociales, Alain Vasselle.

La solution prévue par la loi est une reprise de dette par la CADES, accompagnée d’un relèvement de la CRDS afin de ne pas allonger la durée de vie de cette caisse.

Cependant, le refus du Gouvernement de tenir ses engagements et d’augmenter la CRDS pose problème face aux déficits qui, déjà, s’annoncent. Au-delà des 87 milliards d’euros de déficits cumulés des années 2009, 2010 et 2011, susceptibles d’être transférés dès 2011 à la CADES, ce sont 75 milliards d’euros de dette supplémentaire qui, mécaniquement, devraient s’ajouter de 2012 à 2016.

Pour éviter de transférer les ressources correspondant à ces dettes, le Gouvernement a choisi de faire sauter le verrou de 2021 et de reporter l’échéance à 2025. D’ores et déjà, c’est l’horizon de 2030 qui apparaît comme le plus crédible.

C’est sans doute pourquoi le Gouvernement n’hésite pas à détourner, au profit de la CADES, le fonds de réserve des retraites, censé pourtant répondre à des dépenses d’avenir plus lointain. Tel ne sera pas le cas puisque ce fonds est à présent affecté au financement des dettes résultant des déficits de l’assurance vieillesse entre 2011 et 2018.

Néanmoins, cela ne suffit pas encore. Si l’urgence est donc posée, la question des ressources, elle, reste floue, les dispositifs peu lisibles, tandis que les réformes potentielles sont réduites au « rabot comptable ».

Autrement dit, le Gouvernement, faute d’agir sur le fond, choisit, au final, de faire financer par nos enfants et nos petits-enfants nos propres dépenses. C’est une charge indue alors que ceux-ci auront à faire face aux pleins effets du vieillissement de la population et de la dépendance.

Le rééquilibrage des comptes sociaux est une nécessité que ne nie pas la gauche – elle l’a prouvé en son temps  –, consciente que l’ampleur des déficits annuels et cumulés remettrait en question, à terme, notre modèle de répartition.

Malheureusement, si nous pouvons éventuellement nous mettre d’accord sur les chiffres et sur l’évaluation de la situation actuelle, nous ne partageons ni votre analyse des causes ni les prévisions sur lesquelles vous fondez vos anticipations, encore moins vos objectifs et les moyens que vous mettez en œuvre pour les atteindre.

En 2007, dans le journal Challenges, Denis Kessler affirmait que la cohérence du projet sarkozyste était de « défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance ». Nous nous approchons aujourd’hui de la réalisation de cette sale besogne. Laisser filer les déficits est encore le meilleur moyen d’arriver à ce résultat, sans en assumer la paternité.

Sous couvert de programmes de stabilité, les mêmes causes produisant les mêmes effets, le Gouvernement se livre à un exercice d’ajustements comptables dont les insuffisances de départ font les mauvais résultats à l’arrivée.

Prenons l’annonce d’un ONDAM fixé à 2,85 % par an de 2010 à 2013. Même dans ce cas, le déficit du régime général de sécurité sociale, dû pour moitié au déficit de l’assurance maladie, plus précisément au coût des pathologies lourdes, atteindrait encore 27 milliards d’euros en 2011 et 35 milliards d’euros en 2013.

Or les hypothèses qui ont amené à construire ces projections sont particulièrement optimistes : croissance de 2,5 % et augmentation de la masse salariale de 5 % par an de 2011 à 2013. Dommage que, une fois de plus, de la Commission européenne au FMI, en passant par l’OCDE, aucune institution ne prévoie une croissance de cet ordre. Au mieux, elle pourrait atteindre 2 %, au pire, elle se situerait autour de 1,5 %.

Si l’objectif des dépenses de l’ONDAM a été fixé à un peu plus de 2,8 %, alors que la croissance spontanée des dépenses d’assurance maladie est plus proche de 4,5 % par an, ce n’est pas, hélas ! parce que le Gouvernement a décidé de prendre à bras-le-corps la question du coût prohibitif de la tarification à l’acte ou du développement d’une médecine de prévention. C’est simplement parce qu’un tel chiffre permet de construire un scénario « vendable », à défaut d’être crédible.

C’est ainsi que les projets de loi de financement de la sécurité sociale successifs se sont souvent caractérisés par des annonces volontaristes que la réalité a toujours infirmées, des sous-budgétisations récurrentes et des mesures d’économie centrées sur les assurés sociaux : franchises, déremboursements, etc.

Pourtant, l’enjeu de la solidarité doit mériter que l’on change la forme du système si c’est pour mieux en préserver l’esprit. Mais chaque fois que la « droite décomplexée » s’attaque à ces questions, c’est la confiance des Français dans la préservation des acquis fondamentaux que sont l’accès généralisé aux soins et une retraite décente pour le plus grand nombre qui s’effrite.

N’aborder ce problème que sous l’angle de la baisse de la prise en charge de l’assurance maladie est délétère. Il y a maintenant des années que les projets de loi de financement de la sécurité sociale se réduisent à cela. Résultat : les dépenses continuent à augmenter, les injustices s’accroissent et le niveau de santé baisse.

Un certain nombre de pistes, néanmoins, restent à explorer. Le groupe socialiste, débat d’orientation budgétaire après débat d’orientation budgétaire, projet de loi de financement de la sécurité sociale après projet de loi de financement de la sécurité sociale, n’a cessé d’avancer des propositions. L’économie de la santé est socialisée, mais l’exercice de la médecine est principalement libéral. N’est-il pas temps de travailler à de vrais projets de maisons de santé, de réfléchir à une réforme de la rémunération des médecins en mettant en place une tarification forfaitaire ?

De même, la médecine du travail et la médecine scolaire peuvent jouer un grand rôle dans la prévention et l’éducation à la santé ; il est temps d’arrêter d’en faire les parents pauvres de la médecine. Voilà qui aurait une autre allure que la révision des critères d’entrée en affection de longue durée, engagée dans le but d’exclure le plus de malades du remboursement à 100 %, ou que la poursuite du déremboursement des médicaments.

Madame la ministre, monsieur le ministre, malheureusement, une fois de plus, les alertes des parlementaires de votre propre majorité, comme les propositions de l’opposition ne devraient pas infléchir votre politique.

Rapport sur la situation de nos finances sociales après rapport, la commission des affaires sociales du Sénat n’a pu que constater la triste réalité : malgré des signaux de plus en plus alarmants, le Gouvernement ne propose que des mesures inadaptées à la gravité de la situation. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Dominati.

M. Philippe Dominati. Monsieur le président, madame le ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, être parlementaire, c’est être généraliste et s’occuper des affaires de la société.

Or, ces derniers temps, en matière économique, nous avons été servis ! Le contexte international, marqué par la récession, a engendré bien des difficultés sociales dans notre pays.

Cette année, au-delà de la situation exceptionnelle de notre déficit, le calendrier parlementaire a été chargé puisque nous avons eu à traiter du grand emprunt, des questions spécifiques liées au Grand Paris, du problème de la Grèce et de plusieurs collectifs budgétaires.

Le débat sur les orientations budgétaires est l’occasion pour le parlementaire de base, celui qui n’est pas spécialiste en la matière, de donner son sentiment. Je tiens donc à rendre hommage à M. le rapporteur général de la commission des finances, tant il est vrai que, cette année, son rapport d’information est extrêmement complet. Je regrette simplement que sa publication intervienne quelque peu tardivement, au milieu d’un débat difficile. Quoi qu’il en soit, ce document fait particulièrement ressortir le contexte international et la nécessaire crédibilité qui doit caractériser les plans d’ajustement.

Nous nous trouvons dans une situation paradoxale. Depuis des années, la crédibilité internationale de la France est grande grâce à l’action du Président de la République et à la vôtre, madame le ministre. Notre pays intervient d’une voix forte dans toutes les crises majeures, notamment depuis le début de la crise internationale.

Paradoxalement, dès qu’il s’agit des finances publiques et du budget de l’État, cette crédibilité, nous devons la retrouver : quelle que soit la méthode retenue, les ajustements opérés ou la conjoncture, cela fait maintenant trente ans que nous peinons à trouver des solutions.

Monsieur le ministre, vous avez de l’expérience, et même beaucoup, mais force est de constater que vous prenez vos fonctions à un moment où il faut sortir des sentiers battus. Le rapporteur général de la commission des finances l’a souligné : nous devons cette fois réussir, pour retrouver notre crédibilité.

Deux économistes de l’OCDE ont réalisé une étude sur tous les plans d’ajustement mis en œuvre au cours des trente-sept dernières années. Il apparaît que ceux d’entre eux qui ont échoué touchaient immodérément à la fiscalité, essayaient par transferts sociaux de protéger les ménages les plus modestes et taillaient dans les dépenses d’investissement. C’était, en réalité, la solution de facilité.

Le problème qui nous occupe ici est celui du juste équilibre entre les économies à réaliser sur la dépense et les recettes potentielles qui permettent d’accepter celle-ci. Sur ce point, il me semble que deux sujets ne font pas nécessairement l’objet d’un consensus au sein de la majorité.

Le premier sujet, je suis extrêmement surpris que nous n’en ayons pas encore parlé, est le périmètre de l’État. Pour moi, il y a beaucoup trop d’État, et de nombreux Français partagent ce sentiment. Au moment de la crise, il est apparu nécessaire que l’État redevienne plus protecteur, mais, automatiquement, ce retour en force a creusé les déficits.

Maintenant que notre pays commence à sortir peu à peu de la crise, du moins je l’espère, nul ne remet en cause l’ampleur beaucoup trop vaste du périmètre de l’État.

Les exemples sont multiples : récemment, en tant qu’élu parisien, j’ai suivi de près, avec Jean-Pierre Fourcade, le projet de Grand Paris, qui sera financé par les fonds publics alors que toutes les villes-monde optent pour une logique totalement différente.

Autre exemple parmi d’autres, le nombre de fonctionnaires. La réduction annoncée est effectivement une bonne chose puisque nous sommes le pays du G20 où la part salariale de la fonction publique est la plus importante. Cependant, pour motiver les fonctionnaires et s’afficher comme un employeur exemplaire, l’État reversera, et c’est naturel, la moitié du gain. L’effort, en réalité, ne portera budgétairement que sur 50 000 postes de fonctionnaires. Or la crédibilité d’un plan d’ajustement est établie sur la confiance.

À mes yeux, c’est un sujet qui n’a pas été assez sérieusement abordé. S’il est courant de s’interroger sur la taille des gouvernements successifs, on n’envisage jamais de réduire le nombre des directions dans l'administration, sauf parfois pour opérer un transfert sur des organismes extérieurs.

Madame le ministre, monsieur le ministre, une partie de votre majorité attend une délimitation plus précise quant à la réduction du périmètre de l’État, faute de quoi nous en resterons au classicisme que nous connaissons depuis trente ans, sans plus de succès.

Le deuxième sujet concerne les niches fiscales, que l’on considère généralement comme une réduction de la dépense.

Telle n’est pas ma vision des choses. Les niches fiscales, je m’inscris totalement en faux contre les propos de Jean-Pierre Fourcade, s’accompagnent d’une augmentation des prélèvements obligatoires. Le plan que vous nous annoncez prévoit 43 % de prélèvements obligatoires pour 2013, soit 1 % de moins qu’en 2007. Or, madame le ministre, vous l’avez souligné tout à l’heure, les pays émergents, notamment asiatiques, les États-Unis ou le Japon retrouvent une croissance plus rapidement que nous.

Nous partageons tous l’analyse du Président de la République : nous ne retrouverons la croissance que si nos prélèvements obligatoires baissent, car ils sont actuellement les plus élevés parmi ceux des pays du G20. Or, la réduction des niches fiscales représenterait une augmentation de 8 milliards d’euros de ces prélèvements obligatoires. Ces niches existent parce qu’elles étaient nécessaires pour rendre l’impôt acceptable,…

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Non !

M. Philippe Dominati. … ou parce qu’elles étaient indispensables pour stimuler un secteur d’activité. Si vous voulez supprimer des niches fiscales, qui, je le comprends bien, peuvent parfois paraître injustes, il faut réaliser plus d’économies par ailleurs. Je me distingue donc d’un certain nombre de mes collègues sur ces deux sujets.

Vous l’aurez compris, je suis un chaud partisan du maintien du bouclier fiscal, parce que je considère que la croissance de notre pays et la création d’emplois, qui vous est chère, sont à ce prix. Autrement, plus rien ne distinguera votre politique de programmes à peu près équivalents qui ont valu à la France une croissance atone depuis des années.

Dans votre intervention, madame le ministre, vous avez considéré que votre programme faisait preuve d’audace. Pour ma part, j’estime que vous pouvez encore faire un effort sur la réduction de la dépense publique, parce que, en ce domaine, il n’y a pas suffisamment d’audace ! (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. André Dulait.

M. André Dulait. Monsieur le président, madame et monsieur les ministres, mes chers collègues, ce débat sur les orientations des finances publiques intervient dans un contexte économique et financier sans précédent dans l’histoire économique mondiale. Nous subissons les effets d’une crise d’une ampleur jamais connue. Ces circonstances nous imposent des réductions budgétaires d’une importance vitale, non seulement pour les finances de l’État, mais surtout pour les générations d’actifs à venir qui devront assumer le poids d’une dette atteignant 80,3 % du PIB à la fin du premier trimestre de 2010.

Cependant, si nous appelons tous de nos vœux ces efforts et si nous approuvons cette politique de réduction des déficits publics, je souhaite attirer votre attention sur les mesures qui concernent la défense.

Depuis 2007, conformément à la volonté du Président de la République, nous avons engagé une réforme de notre politique de sécurité et de défense, afin de procéder à l’indispensable adaptation de notre outil de défense aux réalités stratégiques dictées par un contexte géopolitique mondial de plus en plus complexe.

Aujourd’hui, les circonstances nous conduisent à réduire nos dépenses et le ministère de la défense, comme les autres départements ministériels, n’y fera pas exception. Pour autant, le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale et la loi de programmation militaire ne sont pas morts.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Si !

M. André Dulait. Il s’agit de faire preuve de flexibilité et de s’adapter à une situation financière profondément détériorée, mais nous devons également assumer nos responsabilités à l’égard des armées et de ceux qu’elles font vivre, au sens large. Aussi, je suis rassuré de constater que les coupes budgétaires ont été ramenées à 3,5 milliards d’euros par rapport aux 5 milliards d’euros initialement prévus. Les arbitrages rendus par le Président de la République démontrent que la défense ne sera pas la variable d’ajustement des restrictions budgétaires, comme cela a été si souvent le cas !

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Pourtant, il le faudra bien !

M. André Dulait. Dans le passé, les exemples ont été trop nombreux, et nous avons alors été obligés d’acheter des missiles à l’étranger. Si nous n’avions pas réduit les crédits de recherche et développement à l’époque, nous achèterions aujourd’hui les Trigat-LR de MBDA !

Fort heureusement, le Gouvernement résiste à la tentation de faire de la défense la variable d’ajustement, contrairement à ses homologues européens qui, permettez-moi l’expression, « tranchent à vif », quitte à mettre en péril la souveraineté européenne.

Ainsi, l’Allemagne va supprimer 40 000 postes et devra faire des économies pour un montant de 8,3 milliards d’euros. Depuis le 30 juin 2010, la Suède a supprimé le service militaire, alors que ses soldats fournissent les forces de maintien de la paix au Kosovo et en Afrique. En Espagne, M. Zapatero vient de réduire le budget militaire de 9 %, soit plus de 600 millions d’euros, rien que pour l’année 2010. Au Royaume-Uni, la défense devra diminuer son budget de 15 % d’ici à 2014. Liam Fox, ministre britannique de la défense, parle lui-même de « coupes brutales ».

En effet, il y va de la crédibilité de l’Europe comme puissance militaire et comme partenaire des États-Unis, au moment où un nouveau concept stratégique voit le jour au sein de l’OTAN. Robert Gates, secrétaire d’État américain à la défense, s’est inquiété, le 23 février dernier, de la « démilitarisation de l’Europe ».

Mais il y va également de la souveraineté de la France et de sa capacité à assumer ses responsabilités internationales en tant que membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU et alors qu’elle a rejoint le commandement intégré de l’OTAN voilà un an et demi.

Or, selon l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm, nous pouvons parallèlement constater que, depuis l’année 2000, les États-Unis ont augmenté leur budget militaire de 75 %, la Chine de 217 % et la Russie de 105 % !

Alors que nous peinons à construire une véritable politique de sécurité et de défense commune, toutes ces réductions budgétaires sont des plus inquiétantes. La France est l’un des moteurs de cette construction : ces dernières années, elle n’a cessé d’appeler les Vingt-Sept à investir dans la défense européenne. C’est pour cette raison qu’il est primordial de ne pas hypothéquer les grands programmes en cours ! La politique européenne de sécurité et de défense ne pourra voir le jour sans une véritable base industrielle et technologique de défense.

En Espagne le projet de drone européen Talarion est menacé. Qu’en sera-t-il des frégates européennes multi-missions, les FREMM, et des véhicules blindés de combat d’infanterie, les VBCI, dont nos soldats ont besoin en Afghanistan ? Et surtout, il ne faut pas que le programme Scorpion fasse les frais de ces réductions, à l’heure où Thales, Safran et Nexter sont en passe de trouver des terrains d’entente ! De même, le programme de drone Watchkeeper connaît des résultats très prometteurs. Le partenariat de Thales tant avec les Britanniques qu’avec les Israéliens mérite que l’on s’y intéresse !

Je souhaite remercier M. le ministre de la défense de ne pas céder à cette surenchère en matière de réduction des crédits alloués à la défense, car aller au-delà de ce qui a été décidé serait suicidaire. Madame le ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi, vous avez lancé le concept de « rilance » en évoquant le maintien de dépenses utiles ; vous l’avez même expliqué au Financial Times. Or, ce concept s’applique totalement au budget de la défense.

Les investissements en recherche et développement des industries de défense constituent les meilleurs remparts contre un décrochage technologique et capacitaire. Sachons préserver les domaines de haute technologie, tels que l’aéronautique et le spatial ! Sinon, à terme, nous serons encore contraints d’acheter sur étagères, quitte à le faire à l’étranger, et de mettre en place un crash program pour équiper nos soldats, avec lesquels nous avons passé un contrat moral : ils ont accepté les efforts de modernisation en vue de la revalorisation de leur condition et de l’amélioration de leurs équipements. Ne les trahissons pas ! Faire des économies sur ces équipements est par conséquent inenvisageable.

N’oublions pas que le secteur de la défense et les industries qui en relèvent sont des leviers fondamentaux de notre économie : cela représente 165 000 emplois directs et autant d’emplois indirects, donc des recettes fiscales et des cotisations sociales à due concurrence… La défense fait vivre environ 4 000 petites et moyennes entreprises, qui, avec la crise, n’ont pas de marge de manœuvre, car leur trésorerie ne leur en laisse pas le choix. C’est notamment le cas pour des PME telles que Realmeca, sous-traitante du programme de modernisation des Mirages 2000 D. Non seulement l’armée de l’air en a besoin, mais la productivité de notre industrie, le maintien de savoir-faire uniques et la survie de bassins d’emploi sont en jeu, madame le ministre.

La relance dont notre pays a besoin ne pourra se faire sans ces PME, qui sont des acteurs majeurs du tissu économique français. De plus, le report de commandes déjà signées et signifié aux industriels, et donc aux PME, a un coût et nous leur payons des indemnités.

La base industrielle et technologique de défense et les partenariats européens de défense sont aussi des clés pour la relance de l’économie et des solutions contre les délocalisations ! Les inaugurations des sites de Turbomeca en Aquitaine et de Safran Electronics à Massy sont des signes encourageants de la part de ces équipementiers. Sachons y répondre en étant visionnaires. La réduction des déficits ne doit pas paralyser l’investissement pour l’avenir, et je sais, madame le ministre, que vous en êtes parfaitement informée et consciente. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)