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Saisine du Conseil constitutionnel

M. le président. M. le président du Sénat a été informé, par lettre en date du 4 mai 2011, par le président du Conseil constitutionnel que celui-ci a été saisi d’une demande d’examen de la conformité à la Constitution par plus de soixante députés de la loi relative à l’organisation du championnat d’Europe de football de l’UEFA en 2016.

Acte est donné de cette communication.

Le texte de cette saisine du Conseil constitutionnel est disponible au bureau de la distribution.

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Communication relative à des nominations

M. le président. En application de la loi organique n° 2010-837 du 23 juillet 2010 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 relatives à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, la commission de l’économie a émis un vote favorable – vingt-trois voix pour, zéro voix contre – en faveur de la nomination de M. Jean-François Dhainaut à la présidence du Haut Conseil des biotechnologies, en application de l’article L. 531-4 du code de l’environnement ; et la commission de la culture a émis un vote favorable – neuf voix pour, trois votes blancs – en faveur de la nomination de M. Didier Houssin à la présidence du conseil de l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur, en application de l’article L. 114-3-3 du code de la recherche et de l’article 2 du décret n° 2006-1334 du 3 novembre 2006 modifié.

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Communication du Conseil constitutionnel

M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le mercredi 4 mai 2011, que, en application de l’article 61-1 de la Constitution, la Cour de cassation a adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité (2011–147 QPC).

Le texte de cette décision de renvoi est disponible au bureau de la distribution.

Acte est donné de cette communication.

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Dossier législatif : proposition de loi portant dispositions particulières relatives aux quartiers d'habitat informel et à la lutte contre l'habitat indigne dans les départements et régions d'outre-mer
Discussion générale (suite)

Lutte contre l'habitat indigne dans les départements et régions d'outre-mer

Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi portant dispositions particulières relatives aux quartiers d'habitat informel et à la lutte contre l'habitat indigne dans les départements et régions d'outre-mer
Article 1er

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe socialiste et de la commission de l’économie, de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, portant dispositions particulières relatives aux quartiers d’habitat informel et à la lutte contre l’habitat indigne dans les départements et régions d’outre-mer (proposition n° 267, texte de la commission n° 425, rapport n° 424, avis n° 464).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.

Mme Marie-Luce Penchard, ministre auprès du ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration, chargée de l'outre-mer. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens avant tout à vous exprimer toute ma satisfaction de représenter aujourd’hui le Gouvernement au Sénat pour l’examen en première lecture de la proposition de loi portant dispositions particulières relatives aux quartiers d’habitat informel et à la lutte contre l’habitat indigne dans les départements et régions d’outre-mer, adoptée le 26 janvier dernier à l’unanimité par l’Assemblée nationale.

M. Thierry Repentin. Excellent !

Mme Marie-Luce Penchard, ministre. Vous le savez, cette proposition de loi fait suite à une mission que le Gouvernement a confiée au mois d’avril 2009 à M. Serge Letchimy, député de la Martinique, lui demandant d’étudier les moyens de relancer la lutte contre l’habitat insalubre outre-mer.

L’objectif de ce texte est, à la suite de l’élaboration du plan global de lutte contre l’habitat indigne et insalubre en outre-mer, adopté lors du conseil interministériel du 6 novembre 2009, de doter cette politique publique d’outils efficaces.

Le soutien apporté par le Gouvernement à ce texte traduit son engagement en faveur du logement outre-mer afin de mettre en place une véritable politique de relance du logement social en outre-mer et de reconstituer des tissus urbains dégradés.

Dans ce cadre, j’ai eu depuis ma prise de fonction la volonté d’aider nos bailleurs sociaux à développer l’offre de logements avec des moyens nouveaux opérationnels et législatifs. Depuis plusieurs mois, cette mobilisation porte ses fruits. C’est aussi pour moi l’occasion de rappeler que la politique de logement outre-mer repose sur deux piliers : l’un est l’accroissement de l’offre de logements sociaux ; l’autre est l’habitat privé, qui concerne outre-mer beaucoup de propriétaires aux ressources modestes.

Je relève que la présente proposition de loi est un texte particulièrement important pour enclencher une politique publique de rénovation de l’habitat commune à l’ensemble des départements de l’outre-mer. Elle rejoint en cela la loi pour le développement économique des outre-mer, que le Gouvernement a portée et que vous avez adoptée voilà exactement deux ans.

Je souhaite insister sur le fait que cette relance passe par deux volets complémentaires : une intervention forte sur l’habitat informel, dégradé et insalubre ainsi qu’une politique volontariste de développement de l’offre nouvelle de logements.

Concernant le second volet, nous disposons aujourd’hui de deux instruments fondamentaux : la défiscalisation et la ligne budgétaire unique.

Je constate que cette nouvelle ressource crée un véritable effet de levier sur la production neuve. En effet, grâce à la défiscalisation, la production de logements nouveaux engagés a pu connaître un bond de 15 % entre 2009 et 2010, avec plus de 7 000 unités l’année dernière.

La loi de finances pour 2011 a par ailleurs maintenu la capacité d’engagement de la ligne budgétaire unique, puisque, avec 275 millions d’euros en autorisations d’engagement, les crédits sont restés quasiment au même niveau qu’en 2010, traduisant ainsi le souci du Gouvernement de préserver la dynamique du logement à l’œuvre dans les territoires en outre-mer.

M. Daniel Raoul. Et de ne pas la consommer !

Mme Marie-Luce Penchard, ministre. De plus, l’article 169 de cette loi de finances permet désormais à l’État de céder gratuitement ses terrains dès lors qu’ils sont destinés à accueillir des programmes de logements sociaux ou des équipements collectifs.

M. Thierry Repentin. Combien d’opérations réalisées ?

Mme Marie-Luce Penchard, ministre. Il s’agit d’une mesure importante et très attendue, qui avait été décidée par le conseil interministériel de l’outre-mer du 6 novembre 2009. Cela permettra de répondre à la pénurie de foncier dans les départements d’outre-mer et à la cherté du coût des aménagements, puisque la décote totale est de nature à compenser de façon significative le coût lié à l’aménagement des terrains.

Je rappelle en outre que le décret du 9 novembre 2010 offre à l’État la possibilité d’intervenir seul dans la compensation de la surcharge foncière dès lors que la situation financière des collectivités ne leur permet pas de le faire.

Ces mesures sont dédiées à l’habitat social. Mais la mobilisation du Gouvernement en vue de développer l’offre de logements sociaux outre-mer ne doit pas occulter l’autre enjeu fondamental qu’est l’amélioration de l’habitat privé. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement soutient les interventions visant également à réparer les tissus urbains dégradés, qu’il s’agisse de la réhabilitation du logement social ou de l’intervention sur le logement privé.

C’est ainsi que les actions contractualisées pour la rénovation urbaine se poursuivent au travers de treize conventions pluriannuelles dans les cinq départements d’outre-mer et du programme national de requalification des quartiers anciens dégradés, qui concerne la ville de Fort-de-France à travers le projet « Porte Caraïbe ».

Avec ces programmes, ce sont plus de 1,8 milliard d’euros de travaux qui bénéficient aux économies des territoires d’outre-mer et qui permettront la reconstruction de 5 000 logements sociaux.

Pour le logement privé, j’ai signé en 2009 et en 2010 deux conventions d’appui, l’une avec le réseau Habitat et développement, l’autre avec le club des PACT des DOM. Ces conventions mobilisent des subventions du ministère de l’outre-mer à hauteur de 253 000 euros sur trois ans.

Dans le cadre de cette politique globale, le Gouvernement a souhaité donner un nouveau souffle volontariste à la politique de lutte contre l’habitat indigne et informel. En effet, devant le développement exponentiel de constructions informelles et insalubres qui touchait et qui continue de toucher les départements d’outre-mer, il s’agissait de relancer la lutte contre toutes ces formes d’habitat sur des bases devant être adaptées au contexte institutionnel et social des outre-mer.

De ce fait, nous avons pris le parti, au stade de la commande gouvernementale, de ne pas limiter les champs d’investigation exclusivement aux dimensions techniques ou opérationnelles, mais d’inciter la mission à questionner le cadre juridique servant de référence à l’action publique en matière de lutte contre l’habitat insalubre. Il en a résulté un rapport remis au Gouvernement en septembre 2009. À cet égard, je tiens à souligner une nouvelle fois la grande qualité du travail fourni dans ce document et la pertinence des propositions formulées par Serge Letchimy.

Sur la base de ces propositions, j’ai souhaité que des mesures d’application immédiate soient mises en œuvre localement par les préfets et les services territoriaux. Je pense à la mise en place des pôles départementaux de lutte contre l’habitat indigne, qui est aujourd'hui effective. Je pense également au soutien des services au lancement des plans communaux de lutte contre l’habitat indigne ainsi qu’à la mise en œuvre de formations au bénéfice des agents de l’État sur les procédures de lutte contre l’habitat insalubre. Ces formations ont été organisées en Guadeloupe, en Martinique, en Guyane et à la Réunion.

Ces premières actions ont fait l’objet d’instructions très précises transmises aux préfets dès le mois de mai 2010.

Aujourd’hui, mesdames, messieurs les sénateurs, je considère que nous sommes en train de franchir une nouvelle étape importante. La proposition de loi qui vous est soumise est en effet l’aboutissement d’une démarche ambitieuse que le Gouvernement continue de soutenir et qui doit permettre à l’État, aux communes et aux aménageurs de disposer d’outils nouveaux pour agir plus efficacement contre l’habitat insalubre, informel et illégal.

L’habitat insalubre et informel dans les cinq départements d’outre-mer et à Saint-Martin correspond à une réalité particulièrement visible. Il suffit de rappeler quelques chiffres, que vous avez sans aucun doute à l’esprit, pour souligner l’importance du phénomène contre lequel nous voulons lutter.

Nous avons un parc dégradé de 50 000 logements où vivent 200 000 personnes. Le phénomène concerne quasiment une construction sur deux et connaît sur tous ces territoires une croissance de l’ordre de 8 % à 10 % chaque année. Cela signifie que ce sont des dizaines de constructions nouvelles qui sont érigées chaque jour en dehors de toute règle et qui font peser des risques importants sur la santé et la sécurité publiques.

Il s’agit incontestablement d’un phénomène dont le caractère massif est sans comparaison avec le reste du territoire national. Nous sommes donc bien dans le cas de figure où des dispositions sont nécessaires pour traiter des situations qui, par leur ampleur et par la précarité des constructions en cause et la surexposition aux risques naturels, sont spécifiques à l’outre-mer.

En effet, il s’agit de constructions et d’installations à usage d’habitation, construites par des personnes sans droit ni titre, sur des terrains qui forment des zones d’urbanisation de fait, sans desserte, ni assainissement, ni eau potable, ni autres équipements publics de base propres à assurer la salubrité et la sécurité. Malgré l’accélération des opérations de résorption de l’habitat insalubre lancées depuis plus de vingt-cinq ans, le phénomène persiste. Le problème est particulièrement inquiétant à Mayotte, où les bidonvilles se développent.

Les situations sont également très diverses. Dans certains cas, les occupants ont construit sur la base de contrats de location sous seing privé ou d’accords verbaux juridiquement fragiles ; d’autres sont sans droit ni titre. D’autres encore sont locataires de ces habitations.

Ces constructions, autour desquelles se sont développées activités commerciales .et artisanales, constituent souvent le seul patrimoine de leurs occupants. Certaines de ces cases sont correctes ou peuvent être améliorées. La volonté du Gouvernement est d’accélérer le rythme des opérations de résorption.

Pour cette raison, le texte voté à l’Assemblée nationale le 26 janvier 2011, qui constituait la base de vos travaux dans le cadre des commissions, me semble comporter un certain nombre d’avancées fondamentales, au premier rang desquelles je placerai l’institution d’une aide financière compensatoire pour les occupants dont le domicile devra être démoli ou qui devront être expropriés.

Cette aide financière a une finalité importante : faciliter l’intégration de la lutte contre l’habitat insalubre et indigne dans le cadre des opérations d’aménagement. Elle permettra en effet de compenser la perte de domicile résultant des démolitions ou des expropriations qui sont rendues nécessaires lors du déroulement de ces opérations.

Une telle mesure permet de tenir compte de la réalité des constructions érigées sur terrain d’autrui, qui caractérisent l’insalubrité en outre-mer. La compensation qu’elle institue représente une incitation à la transition des personnes occupantes vers une situation normalisée.

Il s’agit d’une disposition équilibrée, dans la mesure où les droits du propriétaire foncier sont préservés et où elle est assortie de conditions d’exécution strictes définies dès l’article 1er de la proposition de loi, notamment la condition de résidence principale, la condition d’occupation continue, paisible et de bonne foi pendant une période de dix ans et, enfin, la condition d’absence d’ordonnance d’expulsion.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je sais que vous avez fourni un travail important pour apporter des précisions sur les conditions de versement de cette aide et veiller à ce que la loi prévoit sans ambiguïté des modalités adaptées de calcul et de versement.

J’ai bien noté que vos travaux vous ont conduits à limiter le champ d’application de la proposition de loi aux départements d’outre-mer et à Saint-Martin.

Vous avez par ailleurs souhaité que l’exclusion des marchands de sommeil du bénéfice de cette aide financière soit bien précisée. Je crois que nous disposons aujourd’hui sur ce point d’un texte très clair dont les objectifs sont conformes à la volonté du Gouvernement et de l’ensemble des parlementaires de combattre cette pratique inacceptable. En effet, l’article 5 vise très explicitement à ce qu’aucune aide ne puisse être versée aux bailleurs de locaux frappés d’un arrêté d’insalubrité ou de péril. Par ailleurs, il s’agit des bailleurs de bonne foi, notion reconnue dans notre droit et soumise à l’appréciation des tribunaux en cas de contestation des conditions de la location.

Je précise que, si le Gouvernement a accepté le bénéfice d’une aide financière pour ces bailleurs, c’est pour permettre la prise en compte d’une situation réelle dans nombre de quartiers d’habitat informel, où une proportion significative d’environ 35 % des occupations locatives ne sont ni précaires, ni abusives, ni indignes. Majoritairement, cette occupation locative se déroule dans un cadre de mutation professionnelle ou familiale.

La deuxième avancée de la proposition de loi réside dans la flexibilité et la souplesse notables qui sont apportées aux conditions d’intervention du préfet et du maire.

Dans un premier temps, je souhaite relever la définition par arrêté du préfet d’un périmètre insalubre à contenu adapté. Ce périmètre tiendra compte de l’état des diverses constructions rencontrées dans les secteurs d’habitat informel. Ainsi, ce dispositif sera moins rigide dans son contenu et ses effets que le périmètre d’insalubrité actuellement en vigueur dans le code de la santé publique, qui s’avère peu adapté aux réalités de l’outre-mer.

En effet, le périmètre d’insalubrité du code de la santé publique permet le traitement des bidonvilles et autres habitats précaires lorsque le quartier est suffisamment homogène dans sa configuration bâtie pour justifier la démolition de tous les locaux inclus. Cette approche n’est pas adaptée aux situations d’habitat informel outre-mer où nombre de quartiers comportent des cases, des maisons, des constructions en dur, qui, au vu de leur état technique, peuvent être conservées et améliorées.

La définition de ce nouveau périmètre sera donc subordonnée à un travail de repérage que j’ai souhaité, lors des débats à l’Assemblée nationale, mieux encadré.

Il me paraissait raisonnable de prévoir des délais permettant une dynamique opérationnelle indispensable dans la lutte contre l’habitat indigne et insalubre. Je constate que le texte de la commission de l’économie du Sénat a encore amélioré cette adaptation à la réalité de certains territoires.

Dans un deuxième temps, je souhaite aussi souligner les possibilités ouvertes par l’article 16 de la proposition de loi, qui vise à doter les maires du support législatif nécessaire pour mieux gérer les situations d’abandon manifeste des parcelles.

Le problème de l’abandon manifeste, sans être un phénomène propre aux départements d’outre-mer, est assez massif dans nombre de centres-villes et de bourgs.

Dans ces conditions, il est nécessaire de simplifier les procédures afin d’accélérer les travaux et de faciliter la récupération de ces biens. Celle-ci, d’autant plus cruciale que le foncier urbain libre est rare, permettra d’utiliser un foncier urbain disponible lorsque les propriétaires n’engagent ni travaux ni procédure pour régler la situation ayant conduit à cet état d’abandon.

Enfin, je serai très attentive aux modalités de recours au Fonds de prévention des risques naturels majeurs, qui pourra, sous certaines conditions, contribuer au versement d’une aide financière aux occupants sans titre de terrains exposés à des risques naturels.

Pour conclure, je veux saluer particulièrement la qualité du travail réalisé par le président de la commission de l’économie, M. Jean-Paul Emorine, et par le rapporteur, M. Georges Patient, ainsi que par les membres de la commission de l’économie et de la commission des affaires sociales, qui, de manière unanime, ont saisi l’importance de ce texte pour l’outre-mer.

J’affirme une nouvelle fois que le Gouvernement est très attaché à la rénovation des procédures législatives et réglementaires ouvertes par cette proposition de loi. Nous soutenons ce texte, qui, nous le savons, est très attendu dans nos territoires. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Georges Patient, rapporteur de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui est importante pour nos outre-mer. Il s’agit d’ailleurs du premier texte consacré à l’ensemble des départements d’outre-mer depuis la loi pour le développement économique des outre-mer, dite LODEOM, du 27 mai 2009. Depuis cette loi, le Parlement a examiné plusieurs textes comprenant des dispositions relatives à l’outre-mer, mais ces dernières figuraient à la fin des textes et il s’agissait essentiellement d’habiliter le Gouvernement à légiférer par voie d’ordonnance.

L’importance de la présente proposition de loi n’a pas échappé à l’Assemblée nationale, qui l’a adoptée à l’unanimité en janvier dernier, ainsi qu’à la commission de l’économie de la Haute Assemblée qui, elle aussi, l’a adoptée à l’unanimité. À cet égard, je remercie de leur soutien le président Jean-Paul Emorine ainsi que l’ensemble des membres de la commission de l’économie.

Avant de vous rappeler le contenu de la proposition de loi et de vous présenter les principales modifications apportées par la commission de l’économie, je souhaite replacer ce texte dans son contexte : la grave crise du logement que connaissent nos outre-mer. Le diagnostic est largement partagé.

Le comité de suivi du DALO, le droit au logement opposable, a comparé, dans son rapport annuel de 2008, la situation des départements d’outre-mer à celle de l’Île-de-France : « Au même titre que la région Île-de-France, les DOM méritent de faire l’objet d’une attention particulière […] compte tenu […] de l’ampleur des besoins de logement non satisfaits ».

Notre ancien collègue Henri Torre a rédigé, au nom de la commission des finances, deux excellents rapports sur la situation du logement en outre-mer. Dans son rapport de 2006, il indiquait qu’une politique ambitieuse était indispensable dans ce domaine, car « les conditions de vie dans certaines zones rappellent […] clairement les pays sous-développés, et sont indignes de la République ».

Cette crise comprend plusieurs volets.

Le premier volet est une grave pénurie de logements sociaux.

En 2008, on comptait dans les quatre DOM près de 166 000 personnes en attente d’un logement social, soit près de 10 % de la population totale. Les constructions restent nettement insuffisantes. Comme l’ont souligné nos collègues Éric Doligé et Marc Massion dans leur rapport spécial sur le projet de loi de finances pour 2011, le nombre de constructions financées en 2009 s’est élevé à un peu plus de 6 000, alors qu’il en faudrait près de 45 000 par an !

La situation de la Guyane est particulièrement alarmante : on y compte 13 000 demandes de logement social pour un parc locatif social de 11 000 logements.

Le deuxième volet de cette crise est la persistance de nombreux logements insalubres.

D’après les données figurant dans les rapports de M. Henri Torre, en 1998, on comptait plus de 26 % de logements insalubres dans les DOM, contre moins de 8 % en métropole. En 2003, le constat était le même : les logements insalubres représentent près du quart du parc immobilier ultramarin.

Dans ce domaine également, la situation est dramatique en Guyane – je reviens souvent sur le cas de mon département qui, avec Mayotte, connaît l’une des situations les plus catastrophiques – : en 2005, on y comptait 13 % de logements sans électricité, 20 % sans eau potable, 27 % sans baignoire ni douche intérieures ou 63 % sans raccordement à l’égout.

Le troisième volet de cette crise est l’habitat informel, qui constitue outre-mer un phénomène de grande ampleur.

Par habitat informel, on désigne les constructions irrégulières qui sont de qualité très diverse. Aux Antilles et à la Réunion, entre 30 % et 40 % des maisons individuelles auraient ainsi été construites sans permis ; en Guyane, 30 % des constructions existantes sont illicites et, sous l’effet de l’immigration clandestine, près de 50 % des constructions nouvelles le sont.

Différents dispositifs législatifs sont intervenus au cours des dernières années, notamment dans le cadre de la LODEOM, afin de relancer la production de logements sociaux. En revanche, aucune initiative législative n’a été prise récemment en matière de logement insalubre et informel ; c’est tout l’intérêt de cette proposition de loi.

Ce texte est issu des travaux du député Serge Letchimy, qui s’est vu confier par le Gouvernement, en avril 2009, la rédaction d’un rapport sur la résorption de l’habitat insalubre dans les DOM. Remis en septembre 2009, celui-ci a effectué plusieurs constats.

Il a estimé à plus de 150 000 le nombre de personnes vivant en Martinique, en Guadeloupe, en Guyane et à la Réunion dans quelque 50 000 locaux insalubres, généralement informels. C’est un chiffre très important. Rapporté à la population métropolitaine, cela représente près de 6 millions de personnes.

L’habitat informel est souvent accepté localement. L’occupation est parfois très ancienne et nombre des occupants s’estiment donc, de bonne foi, propriétaires. Plusieurs d’entre eux paient d’ailleurs la taxe d’habitation et la taxe foncière sur les propriétés bâties.

Les dispositifs mis en place sur le plan national afin de lutter contre l’habitat insalubre sont inadaptés à la réalité ultramarine, caractérisée par une dissociation entre la propriété du sol et la propriété du bâti. Les opérations de résorption de l’habitat insalubre, de RHI, sont ainsi partiellement inefficaces dans les DOM : en Martinique, aucune opération n’a pu être engagée au cours des quatre dernières années. Les outils de police administrative en matière de péril ou d’insalubrité sont également inadaptés, car ils s’adressent aux propriétaires de constructions légales.

Enfin, les acteurs locaux ont pris des initiatives à la limite de la légalité. Je cite un exemple : de nombreux aménageurs versent, dans le cadre d’opérations d’aménagement, une indemnité aux occupants sans titre, après évaluation des constructions par le service des domaines.

En conclusion de son rapport, Serge Letchimy formule quatorze propositions. La présente proposition de loi vise à permettre la mise en œuvre de plusieurs d’entre elles.

J’en viens au contenu de la proposition de loi.

La section 1, les articles 1er à 6 bis, était initialement applicable dans les départements ultramarins et métropolitains. Elle vise à permettre le versement d’une aide financière aux occupants sans titre dans le cadre d’opérations d’aménagements ou pour des raisons de sécurité liées aux risques naturels.

Les différents cas d’occupation sans titre sont visés : l’occupation de la propriété d’une personne publique, à l’article 1er ; l’occupation de la propriété d’une personne privée, à l’article 2 ; le cas des personnes donnant à bail des locaux à usage d’habitation édifiés sans droit ni titre sur la propriété d’une personne publique ou privée, à l’article 3 ; l’occupation sans titre de logements situés dans une zone exposée aux risques naturels, à l’article 6.

Cette aide est très encadrée. Elle ne peut être versée, sauf dans le cas de l’article 6, que dans le cadre d’une opération d’aménagement ou de réalisation d’équipements publics rendant nécessaire la destruction des locaux. Il s’agit d’une faculté et non d’une obligation pour la personne publique. Les occupants doivent justifier de l’occupation des locaux depuis plus de dix ans et n’avoir fait l’objet d’aucune procédure d’expulsion pendant cette période. Pour le cas des logements, ces derniers doivent constituer une résidence principale. L’article 5 précise qu’aucune indemnité ne peut être versée aux bailleurs sans titre dont les locaux sont visés par un arrêté d’insalubrité ou de péril : il s’agit ainsi d’exclure les marchands de sommeil du bénéfice de l’aide.

Il est également prévu que le relogement des occupants évincés est assuré par la personne publique à l’origine de l’opération ou par son concessionnaire, sauf dans le cas des bailleurs sans titre.

J’en viens à la section 2 de la proposition de loi, les articles 7 à 15, qui n’est applicable que dans les DOM et à Saint-Martin.

L’article 7 vise à introduire la notion d’habitat informel dans la définition de l’habitat indigne figurant dans la loi Besson de 1990. Les plans départementaux d’action pour le logement des personnes défavorisées prévoiront le repérage de l’habitat informel.

Les articles 8 à 10 visent à adapter à l’habitat informel présent outre-mer les dispositifs existant en matière de police de l’insalubrité : périmètre d’insalubrité, arrêté d’insalubrité, arrêté de péril. L’article 8 tend ainsi à permettre au préfet d’instituer un périmètre d’insalubrité adapté à l’état des diverses constructions situées dans les secteurs d’habitat informel.

L’article 12 vise à préciser les sanctions pénales applicables aux bailleurs sans titre qui méconnaîtraient leurs obligations résultant des arrêtés pris en application des articles 8 à 10.

L’article 13 tend à permettre la création de groupements d’intérêt public, GIP, outre-mer pour conduire les actions nécessaires au traitement des quartiers d’habitat dégradé.

L’article 15 vise à permettre la réalisation d’opérations de RHI dans la zone des cinquante pas géométriques de Mayotte.

Enfin, la section 3 est applicable dans les DOM et en métropole. Son article unique, l’article 16, vise à simplifier et à accélérer les procédures en cas d’abandon manifeste de parcelles ou d’immeubles.

Ce texte constitue une avancée importante pour nos outre-mer. Certes, il s’agit d’un texte très dérogatoire et, à la première lecture, certaines de ses dispositions peuvent apparaître étonnantes, voire choquantes. Certains d’entre vous, mes chers collègues, ont peut-être d’ailleurs des interrogations semblables à celles que j’avais moi-même au début de mes travaux sur ce texte. Je vais vous faire part de quelques éléments de réponse à certaines de ces interrogations.

Verser une aide financière à des occupants sans droit ni titre afin que ceux-ci libèrent des terrains qu’ils occupent donc illicitement peut paraître étonnant. En réalité, il s’agit d’adapter le droit à une situation de fait, qui, comme je l’ai dit précédemment, perdure parfois depuis plusieurs décennies.

Le versement de cette aide devrait permettre de débloquer les opérations de RHI qui sont au point mort dans les DOM et d’apporter ainsi une réponse aux nombreuses situations d’insalubrité existant outre-mer.

Verser une aide financière aux bailleurs sans titre, comme le prévoit l’article 3 de la proposition de loi, peut paraître gênant. Pourtant, l’intérêt de cette disposition est évident quand on relève que, dans certains quartiers d’habitat informel, près de 50 % des habitants sont locataires.

Par ailleurs, l’article 5 devrait permettre d’exclure les marchands de sommeil du bénéfice de l’aide, notamment si les préfets édictent effectivement les arrêtés d’insalubrité. Nous comptons sur vous, madame la ministre, pour donner des instructions strictes en ce sens aux préfets.

Si je soutiens totalement ce texte, permettez-moi de renouveler les craintes que j’ai déjà formulées en commission quant à l’efficacité des dispositifs qu’il prévoit.

J’estime que ce texte ne se suffit pas à lui-même. Il revient selon moi au Gouvernement de prendre les mesures nécessaires afin qu’il puisse atteindre ses objectifs.

Tout d’abord, ce texte ne pourra être pleinement efficace que si la situation financière des collectivités territoriales ultramarines est assainie.

La mission commune d’information sur la situation des DOM avait ainsi évoqué « la situation globalement très préoccupante des communes des DOM ».

Ce texte prévoit que la personne publique à l’origine de l’opération d’aménagement prendra en charge l’aide financière et assurera le relogement des occupants évincés. Ces dépenses pourront figurer dans le bilan des opérations de RHI, opérations financées à hauteur d’au moins 80 % par l’État. Or les communes ultramarines ont toutes les peines du monde à financer leur participation de 20 %. C’est ainsi ce qui bloque une opération de RHI dans ma propre commune de Mana.

Ensuite, ce texte me paraît formaté pour les Antilles. Il n’est pas adapté à la diversité de nos outre-mer, notamment aux spécificités de la Guyane. Je vous cite un exemple : en Guyane, la majeure partie des occupants sans titre sont des étrangers en situation irrégulière. Face à un risque d’« appel d’air », il est indispensable que la lutte contre les flux d’immigration clandestine soit renforcée dans ce département.

Enfin et surtout, ce texte doit s’intégrer dans une politique ambitieuse en matière de logement social outre-mer, politique qui, à mes yeux, n’existe pas aujourd’hui. La proposition de loi fixe en effet des règles en matière de relogement des occupants sans titre évincés ou concernés par des mesures de police. Or comment assurer leur relogement dans le contexte de grave pénurie que j’évoquais tout à l’heure ?

Ces observations ne remettent en rien en cause l’opportunité de cette proposition de loi. J’estime seulement que ce texte est l’un des éléments d’un puzzle dont certaines pièces manquent encore aujourd’hui.

J’espère donc, madame la ministre, que le Gouvernement prendra les mesures qui s’imposent afin que les dispositifs prévus par ce texte puissent produire leurs effets.

La commission de l’économie a adopté, sur mon initiative, une quarantaine d’amendements, essentiellement rédactionnels ou de précision. Ils ne modifient pas l’esprit du dispositif adopté par les députés.

J’en viens aux trois principales modifications apportées par la commission.

Tout d’abord, en s’appuyant sur l’article 73 de la Constitution et sur la spécificité des DOM en matière d’habitat informel, la commission a réduit le champ d’application de la section 1 aux départements d’outre-mer et à Saint-Martin.

Ensuite, la commission a clarifié les conditions d’éligibilité aux aides financières créées par la section 1, afin d’éviter toute ambiguïté et d’encadrer de façon adéquate le dispositif. Elle a également précisé que ces aides ne pourraient être versées qu’à la libération des locaux par leurs occupants.

Enfin, la commission a renforcé les obligations en matière de relogement pesant sur les bailleurs sans titre bénéficiant de l’aide financière.

Je vous présenterai tout à l’heure, au nom de la commission, quelques amendements complémentaires.

Ce texte est donc très important pour nos outre-mer et, plus généralement, pour la nation. J’espère que nos débats de ce soir seront fructueux et aboutiront à une adoption unanime de ce texte, illustrant ainsi une nouvelle fois le profond attachement de la Haute Assemblée à nos outre-mer. (Applaudissements.)