compte rendu intégral

Présidence de M. Charles Guené

vice-président

Secrétaires :

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx,

M. Jean-François Humbert.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Dépôt de documents

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre :

- en application de l’article 67 de la loi n° 2004-1343 du 9 décembre 2004 de simplification du droit, le rapport sur la mise en application de la loi n° 2011-1977 du 28 décembre 2011 de finances pour 2012 ; il a été transmis à la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois et, pour information, à la commission des finances ;

- en application de l’article L. 4111-1 du code de la défense, le sixième rapport du Haut comité d’évaluation de la condition militaire ; il a été transmis à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées ;

- en application de l’article 61 de la loi n° 2011-1906 du 21 décembre 2011 de financement de la sécurité sociale pour 2012, le rapport sur le financement des établissements de santé ; il a été transmis à la commission des affaires sociales et à la commission des finances ;

- en application de l’article 40 de la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000 de financement de la sécurité sociale pour 2001, le rapport annuel du Fonds de modernisation des établissements de santé publics et privés ; il a été transmis à la commission des affaires sociales ;

- l’avenant à la convention financière du 4 janvier 2011 entre l’État et l’Agence nationale de la recherche pour la réalisation des actions relatives au programme d’investissements d’avenir ; il a été transmis à la commission des affaires économiques, ainsi qu’à la commission de la culture, de l’éducation et de la communication et à la commission des finances.

Acte est donné du dépôt de ces documents.

Ils sont disponibles au bureau de la distribution.

Mes chers collègues, il convient d’interrompre nos travaux quelques instants en attendant l’arrivée de M. le ministre de l’économie et des finances.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à quatorze heures trente-cinq, est reprise à quatorze heures cinquante-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

3

Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire de la République de Chypre

M. le président. Mes chers collègues, je suis particulièrement heureux de saluer en votre nom la présence dans notre tribune d’honneur d’une délégation de la chambre des représentants de Chypre. (Mmes et MM. les sénateurs se lèvent, ainsi que M. Pierre Moscovici, ministre de l'économie et des finances.)

Cette délégation est conduite par M. Averof Neofytou, président de la commission des affaires étrangères et européennes et du groupe d’amitié Chypre-France, et accompagnée par M. Marc Massion, président du groupe d’amitié France-Chypre, ainsi que par les membres de ce groupe.

Cette visite intervient alors que la République de Chypre exerce pour la première fois la présidence semestrielle du Conseil de l’Union européenne. Dans un contexte exigeant, nos collègues chypriotes s’attachent à poursuivre des objectifs ambitieux et à rendre l’Union plus efficace, plus proche de ses citoyens et plus performante sur le plan économique.

Nous formons le vœu que cette visite conforte les relations entre nos deux pays, relations qui se développent considérablement depuis l’entrée de Chypre dans l’Union européenne et son adhésion pleine à l’Organisation internationale de la francophonie.

Nous souhaitons aux membres de cette délégation la bienvenue au Sénat français. (Mmes et MM. les sénateurs applaudissent, ainsi que M. le ministre.)

4

 
Dossier législatif : projet de loi organique relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques
Discussion générale (suite)

Programmation et gouvernance des finances publiques

Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi organique dans le texte de la commission

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi organique, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la programmation et à la gouvernance des finances publiques (projet n° 43 rectifié, texte de la commission n° 84, rapport n°83, avis n° 74).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi organique relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques
Discussion générale (interruption de la discussion)

M. Pierre Moscovici, ministre de l'économie et des finances. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général de la commission des finances, monsieur le rapporteur général de la commission des affaires sociales, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens tout d’abord à dire devant la Haute Assemblée la confusion qui est la mienne en cet instant. Sans doute l’excuse est-elle insuffisante, mais, il y a quelques minutes à peine, mal informé quant à l’heure de début de cette séance, j’étais encore aux côtés du Président de la République, qui rencontrait à l’OCDE un certain nombre de grands responsables d’organisations internationales.

Face à l’incongruité de la situation, je vous dis tous mes regrets d’avoir fait attendre le Sénat et espère que vous saurez pardonner ce retard, qui n’est ni dans mes habitudes, ni dans ma culture, d’autant que le texte dont nous commençons l’examen revêt une importance toute particulière.

Ce projet de loi organique participe en effet de la refondation du paysage des finances publiques que nous avons entamée cet automne, à la fois sur la forme et sur le contenu. Le projet de loi de programmation pluriannuelle des finances publiques et le présent texte visent à améliorer nos règles de gestion, pour donner des gages de crédibilité à nos engagements, sans nuire de quelque manière que ce soit à la souveraineté de la représentation nationale. Ils renforcent ainsi la gouvernance budgétaire autour d’un Parlement mieux informé et mieux associé.

Ces textes profondément structurants constituent une avancée non seulement pour nos comptes, mais aussi pour le Sénat et l’Assemblée nationale. Indépendamment de la ratification du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, le TSCG, dont ils sont aussi, il faut bien l’avouer, la conséquence, ils viennent utilement moderniser nos outils de pilotage des finances publiques. Je crois que nous pouvons collectivement nous en féliciter.

Je voudrais dire un mot du contexte national et européen dans lequel s’inscrit le projet de loi organique, avant d’en venir plus précisément à sa substance.

L’Assemblée nationale et le Sénat ont adopté à une large majorité le projet de loi autorisant la ratification du TSCG. Il faut à présent prolonger et parachever ce travail avec ce projet de loi organique, qui vise à mettre en œuvre l’article 3 du TSCG, ainsi que les règles communautaires dites du « six-pack » et du « two-pack », qui devraient être prochainement adoptées.

Au niveau communautaire, ainsi que les responsables de l’OCDE, du FMI, de la Banque mondiale et de l’OIT l’expliquaient tout à l’heure, et comme chacun le reconnaît, la dynamique progressiste qui s’est dessinée lors du Conseil européen de juin se confirme. Le premier conseil des gouverneurs du Mécanisme européen de stabilité, auquel j’ai participé, a eu lieu au début du mois d’octobre. Avec ce fonds de secours destiné aux pays fragiles de la zone euro, l’Union a franchi une étape dans la solidarité.

Le Conseil européen des 18 et 19 octobre a précisé le calendrier d’une union bancaire qui s’accompagnera, comme le souhaitait la France, d’un champ de supervision étendu.

Enfin, la mise en œuvre du plan de relance européen, du pacte de croissance, progresse.

Bref, le cadre se met progressivement en place.

C’est à l’aune de ces évolutions en matière de gouvernance des finances publiques et de rééquilibrages politiques au sein de l’Union que je vous invite, mesdames, messieurs les sénateurs, à examiner ce projet de loi organique.

J’en viens maintenant au contenu de ce texte, qui vous est à présent largement familier ; aussi, je me contenterai d’en souligner les principaux aspects, tout en rappelant la disponibilité du Gouvernement pour en enrichir le contenu, avec votre concours.

S’agissant de moyens nouveaux que le Gouvernement et le Parlement auront en partage pour le pilotage des finances publiques, nous nous sommes attachés à maintenir sans faille un dialogue étroit. Vous pouvez en témoigner, monsieur le président de la commission, messieurs les rapporteurs généraux.

Les travaux de l’Assemblée nationale et de la commission des finances du Sénat ont déjà permis d’apporter des précisions utiles ; c’est dans le même esprit d’ouverture que les suggestions qui seront formulées au cours de cet examen en séance publique seront considérées.

Avec ce projet de loi organique, nous nous dotons d’une « boîte à outils » commune et utile pour le pilotage des finances publiques partagée à la fois par l’État, les collectivités territoriales et les organismes de sécurité sociale.

Je veux préciser de nouveau, car je sais que c’est fondamental pour nombre d’entre vous, que les innovations contenues dans ce projet de loi organique sont exclusivement – j’y insiste – d’ordre procédural. D’ailleurs, il ne pourrait en aller autrement aux termes de la Constitution : une loi organique fixe des règles, définit une procédure.

En aucun cas ce projet de loi organique ne fait de l’équilibre budgétaire un absolu. Certes, il est la conséquence du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, le TSCG, mais il pourrait exister par lui-même et de façon autonome. Il fixe des règles de bonne gestion en toute hypothèse.

Ce texte prend en compte les circonstances économiques qui contraignent les États et n’impose aucune correction automatique de la trajectoire de nos comptes. Il permet un pilotage des comptes publics qui évite les écueils d’un éventuel « surajustement » en période de croissance faible et laisse donc les pouvoirs exécutif et législatif libres de définir la voie à emprunter pour tendre vers l’équilibre.

Ce texte s’organise autour de trois grands chapitres : une révision de la structure des lois financières, la création d’un Haut conseil des finances publiques et l’introduction d’un mécanisme de correction.

Tout d’abord, il met en place des règles pour l’élaboration de nos lois financières – lois de finances et lois de financement de la sécurité sociale. Il institue un pilotage structurel des finances publiques, c’est-à-dire que nos objectifs seront désormais exprimés en termes de solde structurel – c’est le souhait qu’a exprimé Mme Lagarde, ce matin, devant le Président de la République – ou, autrement dit, sur la base d’un solde corrigé des aléas de la conjoncture.

Je tiens à apporter une clarification : si nous pouvons progresser dans la précision du calcul de ce solde, celui-ci n’est pas pour autant un outil complaisant, car ni son taux effectif ni son évolution ne pourront masquer l’absence éventuelle de réformes de fond ou la dégradation de nos finances publiques, indépendamment des effets de la conjoncture. Néanmoins, il permet d’éviter ce que la conjoncture peut avoir d’excessif et autorise des corrections de nature procyclique ou contracyclique, pour reprendre le vocabulaire des économistes.

Les lois financières suivront désormais une structure différente, qui intégrera la question du respect d’un « objectif de moyen terme » pour les finances publiques, défini dans les lois de programmation des finances publiques.

Cet objectif prendra la forme d’une cible de solde structurel pour les comptes de l’ensemble des administrations publiques. Jérôme Cahuzac, qui nous rejoindra en fin d’après-midi, a eu l’occasion d’expliquer devant la commission des finances du Sénat pourquoi cette approche globale de nos comptes était fondamentale et a rappelé l’esprit de la décision du Conseil constitutionnel à ce sujet. Il connaît la sensibilité naturelle de votre assemblée sur toutes les questions touchant les collectivités locales. Néanmoins, c’est bien un raisonnement toutes administrations publiques confondues qu’il convient de tenir.

Cette approche est absolument nécessaire au pilotage effectif de la trajectoire de finances publiques que nous appelons de nos vœux.

Les lois de programmation décriront par ailleurs la trajectoire de retour à l’objectif de moyen terme des finances publiques et seront établies sur trois ans au moins. Le Gouvernement a proposé que chaque loi de finances intègre un tableau de bord qui permette au Parlement de vérifier le respect de cette trajectoire pour l’année à venir, l’idée étant, bien sûr, de soumettre à son examen une information à la fois plus lisible et fortement enrichie.

Les travaux de l’Assemblée nationale ont permis de préciser ou de renforcer la cohérence des dispositions que nous avions initialement proposées dans ce chapitre.

La trajectoire d’effort structurel s’intègre à présent, en sus de la trajectoire de solde structurel, dans le corps même des lois de programmation des finances publiques, plutôt qu’en annexe. C’était le souhait, notamment, du président de la commission des finances de l’Assemblée nationale.

Si le traité requiert d’exprimer la trajectoire en termes de « solde structurel », le concept d’« effort structurel », calculé comme la somme des mesures nouvelles en prélèvements obligatoires et de l’« effort en dépense », reflète plus fidèlement encore que le « solde structurel » la partie des finances publiques qui peut être directement pilotée par le législateur ou ce qu’on appelle, dans le jargon financier, la « composante discrétionnaire » des finances publiques.

Cette modification rédactionnelle offre une marge de manœuvre supplémentaire au Parlement et renforce utilement la transparence et la lisibilité de la trajectoire.

Dans le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale, il était proposé d’expliciter que les lois de programmation des finances publiques devaient se conformer à un principe de sincérité. Cela va de soi, me direz-vous ! La commission des finances du Sénat a, pour sa part, supprimé cet article, sans doute en portant au crédit au Gouvernement d’avoir d’ores et déjà fait sien ce principe dans l’élaboration des lois financières et en relevant qu’en tout cas cette exigence apparaissait déjà dans la jurisprudence constitutionnelle.

Il reviendra aux deux assemblées d’avancer sur ce point dans leurs discussions. Cette modification ayant été introduite par amendement à l’Assemblée nationale, la version initiale du texte nous convient bien évidemment.

La principale modification voulue par l’Assemblée nationale est l’intégration, dans les lois de règlement, d’un tableau de synthèse toutes administrations publiques confondues, analogue à celui qui est prévu pour les lois de finances et les lois de finances rectificatives. Le Gouvernement y était favorable pour accroître l’intérêt de nos débats sur les lois de règlement, qui restent parfois un exercice un peu formel.

Il est entendu que les données disponibles dans le calendrier de dépôt de ces projets de loi ne pourront être techniquement parfaites, mais il est certainement utile qu’il y ait ce point d’étape dans vos travaux avant l’été sur l’exécution des prévisions « toutes administrations publiques » de l’année écoulée.

Cet ajout, je le signale, n’est pas sans conséquence sur l’organisation des travaux parlementaires, puisque le Gouvernement devra alors, dans cette configuration, expliquer les écarts entre la prévision et l’exécution dès la loi de règlement et non dans le document d’orientation des finances publiques. Cela interviendra donc un peu plus tôt encore.

J’en viens au deuxième volet de ce projet de loi organique, à savoir la création d’un Haut conseil des finances publiques.

Ce Haut conseil aura deux responsabilités : vérifier la fiabilité des prévisions macroéconomiques, ce qui contribuera à éclairer pleinement le Parlement, et donner un avis sur le respect de la trajectoire des finances publiques à moyen terme.

Il ne prescrira pas de recettes économiques, ce n’est pas son rôle, mais il se prononcera sur la cohérence des projets de loi financière présentés au Parlement.

Le mécanisme que nous proposons n’intègre donc pas de jugement ex post, mais il met en place, avec le Haut Conseil, une structure qui examinera ex ante la politique budgétaire et financière proposée par le Gouvernement afin de vérifier si celle-ci est en adéquation avec la trajectoire de retour à l’équilibre telle qu’adoptée par le Parlement.

Ce rôle d’évaluation, d’appréciation et, in fine, de correction est extrêmement important.

Les avis du Haut Conseil ne s’imposeront ni au Gouvernement ni au Parlement ; cela étant, le juriste que je suis envisage difficilement qu’ils ne soient pas suivis. Il serait très délicat pour un gouvernement de s’affranchir de ces avis : si la politique menée s’écartait de la trajectoire de retour à l’équilibre, la sanction des marchés serait immédiate – sans parler de la sanction politique !

Nous avons cependant récusé toute injonction au gouvernement et au Parlement dans le projet de loi organique. Le Haut Conseil aura donc une force considérable, mais sans empiéter sur les prérogatives tant du pouvoir exécutif que du pouvoir législatif. ; c’est ainsi que nous l’avons voulu.

Ce point a été longuement débattu au sein de votre commission des finances, mais Jérôme Cahuzac a apporté sur ce sujet toutes les assurances nécessaires. Évitons de nous corseter davantage.

Vos travaux ont par ailleurs permis de préciser encore l’objet même de ces avis, en particulier lorsque le Haut Conseil s’essaiera à estimer la croissance potentielle.

Votre commission des finances propose ainsi que le Haut Conseil recense les prévisions faites par l’ensemble des organismes économiques ou instituts statistiques, lorsqu’il exprime un avis sur les prévisions macroéconomiques de la loi de programmation des finances publiques.

Le Gouvernement partage le souci que vous avez exprimé de disposer d’un texte aussi complet et utile que possible, et cette proposition peut y contribuer. Je sais en particulier l’attachement du président et du rapporteur général de la commission des finances à la précision des définitions retenues. C’est aussi dans cette optique, me semble-t-il, que les membres du Sénat ont souhaité apporter des précisions, à l’article 15, sur le fonctionnement même du Haut Conseil.

Le Gouvernement proposait à l’origine que ce Haut conseil soit composé de quatre magistrats de la Cour des comptes et de quatre membres désignés par les présidents des assemblées et les présidents des commissions des finances. Ce Haut conseil serait par ailleurs présidé par le premier président de la Cour des comptes.

Vous avez pris connaissance des longs débats qui ont eu lieu à l’Assemblée nationale à propos de la composition du Haut Conseil. Au cours des travaux de vos collègues députés, le projet de loi organique a connu, sur ce point, une évolution significative.

L’Assemblée nationale a d’abord souhaité faire siéger de droit au Haut Conseil le directeur général de l’INSEE. Un débat s’est alors ouvert sur le point de savoir si la présence de cette personnalité ne risquait pas d’entraver l’indépendance du Haut Conseil, qui est le principe absolu de son fonctionnement, dès lors qu’il est aussi le directeur d’une administration nommé en conseil des ministres. Je tiens à vous rassurer sur ce point : même s’il dépend du ministre, le directeur général de l’INSEE appartient à une administration exempte de toute complaisance. Cet organisme est reconnu en France, et aussi très largement au-delà de nos frontières, pour la qualité de ses analyses et précisément pour son indépendance.

La présence en son sein du directeur général de l’INSEE permettra donc au Haut Conseil d’obtenir davantage d’informations. Voilà pourquoi le Gouvernement ne pouvait qu’accueillir favorablement cette proposition.

Les députés ont également opté pour la nomination d’un membre supplémentaire, choisi par le président du Conseil économique, social et environnemental. Si vous suiviez l’Assemblée nationale, mesdames, messieurs les sénateurs, l’équilibre du Haut Conseil serait donc modifié, puisque les membres de la Cour des comptes se trouveraient en minorité dans cette instance ainsi élargie à onze membres.

Le Gouvernement ne s’y est pas opposé, tout comme il ne s’est pas opposé à la proposition de l’Assemblée nationale tendant à exclure explicitement les nominations d’élus par les présidents des chambres : elle est conforme à la conception que nous avons du Haut Conseil et de son rôle, qui est d’être non pas une instance représentative ou politique, mais un expert à même d’éclairer les choix du Gouvernement et du Parlement. En cette qualité d’expert, le Haut Conseil doit être totalement et absolument indépendant pour garantir la crédibilité de notre gouvernance renforcée des finances publiques.

Nous estimons, par ailleurs, que le Haut Conseil devrait comprendre des membres compétents dans l’ensemble du champ des administrations publiques, sans qu’il soit besoin d’entrer dans des logiques de spécialisation.

Dans le cadre ainsi défini, la position du Gouvernement, qui laisse place aux suggestions du Parlement, est une position de sagesse. Après avoir entendu les députés, nous serons à l’écoute des avis des membres de la Haute Assemblée.

Il me semblait important non seulement de vous indiquer les décisions prises mais aussi de vous restituer les débats qui les ont précédées.

Enfin, troisième volet, le projet de loi organique prévoit un mécanisme dit « de correction ».

Le Haut Conseil pourra alerter publiquement le Gouvernement et le Parlement si les écarts entre la trajectoire des finances publiques visée et leur trajectoire effective se creusent, afin que le débat s’engage sur la manière de remédier à ces écarts en tenant compte, le cas échéant, de circonstances exceptionnelles. Ce calendrier a évidemment pour objet de permettre au Parlement de bénéficier de l’éclairage du Haut Conseil avant que n’intervienne le débat d’orientation des finances publiques.

Le Gouvernement devra tenir compte de cet avis dans les lois financières suivantes et s’expliquer devant le Parlement, mais les règles européennes ne disent pas, j’y insiste, que la correction doit automatiquement et mécaniquement s’ensuivre – il n’y a ni corset, ni carcan, ni loi d’airain. Pour être plus précis, le caractère automatique du mécanisme de correction prévu par le traité, et repris dans le projet de loi organique, réside uniquement dans son déclenchement.

Mme Michelle Demessine. Dans ce cas, à quoi cela sert-il ?

M. Pierre Moscovici, ministre. Je le répète, ce projet de loi organique est un texte de procédure et non de substance. Le contenu est défini ailleurs, le cas échéant dans les traités, les lois de programmation et les décisions qui sont prises par les assemblées quand elles débattent de dispositions de finances publiques dans toute leur diversité.

Seul le législateur financier – c’est-à-dire le Sénat et l’Assemblée nationale – pourra, sur proposition du Gouvernement, définir les voies et les moyens pour effectuer cette correction. Par conséquent, je le dis avec force, les prérogatives du Parlement en la matière ne sont pas altérées. (Protestations sur les travées du groupe CRC.) C’est notamment pour cette raison que le Conseil constitutionnel a jugé, le 9 août dernier, que la mise en œuvre du traité « ne port[ait] aucune atteinte aux conditions essentielles d’exercice de la souveraineté nationale ». C’est également pour cela que le Conseil a laissé au Gouvernement l’option entre inscrire ces mécanismes dans la Constitution ou les insérer dans une loi organique, c’est-à-dire une loi de procédure.

Je le dis au passage à l’intention de ceux qui auraient pu s’émouvoir de l’inscription de la règle d’or dans la Constitution – si tel avait été le sens de la décision du Conseil, nous aurions nous-mêmes adopté une autre attitude – qu’il n’y a ici ni règle d’or ni inscription de la règle d’or dans la Constitution. Le raisonnement du Conseil constitutionnel, imparable, s’impose à tous.

Là aussi, des débats très intéressants ont eu lieu au sein de votre commission des finances pour préciser les références au regard desquelles le Haut Conseil se prononcera sur l’existence d’un éventuel écart à la trajectoire. D’ores et déjà, je puis vous dire que l’examen des amendements déposés en ce sens devrait nous permettre de progresser.

J’ai conscience de la complexité législative induite par l’intégration des mécanismes européens dans les temps parlementaires nationaux, comme j’ai conscience de l’attachement de la représentation nationale à sa maîtrise de l’exercice budgétaire. Je sais ces attentes, j’y suis attentif, et je souhaite que nous puissions travailler ensemble à une meilleure lisibilité des échéances financières.

C’est dans cette optique que le Traité lui-même se réfère, en son article 13, à une conférence interparlementaire. Il me semble toutefois qu’il s’agit là, en définitive, d’un enrichissement du rôle d’un Parlement qui contrôlera mieux l’application des règles européennes, et donc d’un progrès démocratique.

Le texte issu des travaux de la commission spéciale de l’Assemblée nationale affirme par ailleurs le droit du Parlement de s’exprimer sur la gouvernance économique et budgétaire européenne, au-delà même des outils dont il dispose déjà aux termes de la Constitution, en prévoyant la possibilité d’organiser des débats parlementaires sur les documents produits par le Gouvernement et les institutions européennes au titre de la coordination des politiques économiques et budgétaires. C’est une aspiration à laquelle souscrit le Gouvernement, au-delà des dispositions présentées dans ce projet de loi organique, et qui trouvera certainement un écho dans cette assemblée.

Mesdames, messieurs les sénateurs, ce projet de loi organique n’est peut-être pas le texte le plus visible, le plus spectaculaire de cette session, mais il est sans doute l’un des plus importants, parce qu’il est profondément structurant et qu’il engage l’avenir. Nous dessinons en effet avec ce texte, enrichi par vos travaux, le cadre des futures discussions financières de la représentation nationale, et l’outil de travail des commissions des finances du Parlement.

Ce texte, que je n’hésite pas à qualifier de « décisif », va nous permettre de déployer notre stratégie pour les finances publiques, au sein d’un cadre qui allie souplesse – grâce au pilotage structurel, plutôt que nominal, nous pourrons à l’avenir laisser jouer les stabilisateurs automatiques, comme l’a dit la directrice générale du Fonds monétaire international – et robustesse, avec un mécanisme de correction qui offre des gages de crédibilité.

Il constitue donc, j’en suis profondément convaincu, un pas important sur la voie de ce redressement des comptes que nous avons résolument engagé, et qui trouvera son point d’aboutissement en fin de mandat, avec une étape décisive dès 2013.

J’espère que ce texte, ainsi paré de toutes les vertus que j’ai dites, fera l’objet d’une large approbation dans cette enceinte, comme cela a été le cas à l’Assemblée nationale, et j’attends avec intérêt les interventions des membres de la Haute Assemblée. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi qu’au banc des commissions.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur général de la commission des finances.

M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis une dizaine d’années, les réformes ou projets de réforme de la gouvernance des finances publiques se sont multipliés. Entre 1959 et 2000, de nombreux projets de modification de notre ancienne ordonnance organique, plus ou moins ambitieux, avaient été imaginés, mais aucun de ces projets n’avait été sérieusement débattu.

Depuis les travaux engagés en 2000 et qui ont débouché en 2001 sur la loi organique relative aux lois de finances, le paysage des règles de gouvernance n’a cessé de s’enrichir.

Au niveau européen, le pacte de stabilité a pris de l’importance, surtout depuis 2003. Outre le TSCG, dont nous tirons aujourd’hui les conséquences, une importante réforme du pacte de stabilité a été adoptée en novembre 2011, et deux autres règlements européens, importants eux aussi, doivent être adoptés d’ici à la fin de l’année.

Au niveau national, nous avons, depuis 2005, une loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale. En 2008, nous avons inscrit dans notre Constitution l’objectif d’équilibre des comptes des administrations publiques, et créé l’instrument juridique devant concourir à cet objectif : les lois de programmation des finances publiques.

Depuis 2011, le programme de stabilité transmis chaque printemps à l’Union européenne est débattu au Parlement, qui s’exprime par un vote.

L’arsenal avait donc depuis de nombreuses années été largement doté. Il est évident que notre présence aujourd’hui pour discuter d’un projet de loi organique s’explique par l’accélération de la crise de la zone euro.

Sans cette crise, les États n’auraient pas décidé d’élaborer un traité intergouvernemental visant à demander aux pays membres qui le signeraient de transposer dans leur droit national une règle inscrite dans le droit européen quelques semaines auparavant.

Sans la crise de la zone euro, nous n’aurions peut-être pas pris l’initiative de transposer cette règle dans notre droit interne avec plus d’un an d’avance sur le calendrier permis par le traité. Nous reviendrons sur ces points. Mais, auparavant, je voudrais indiquer que nous avions semé, dès la loi organique relative aux lois de finances de 2001, des idées qui germent, en quelque sorte, dans le projet de loi organique.

En 2001, nous avions souhaité que soit annexée à la loi de finances une programmation pluriannuelle des finances publiques qui présente la cohérence entre les orientations de la loi de finances et les engagements européens de la France. Nous avions également souhaité, avant le début de la discussion des textes financiers de l’automne, pouvoir débattre de l’évolution consolidée des finances de l’ensemble des administrations publiques, sur la base d’un rapport du Gouvernement sur les prélèvements obligatoires.

Le texte dont nous discutons aujourd’hui constitue une concrétisation aboutie de cette démarche.

Nous allons nous doter d’une règle qui porte sur le périmètre de l’ensemble des administrations publiques et dont l’objet est de tendre vers l’équilibre des comptes publics, objectif déjà constitutionnel chez nous depuis 2008 et qui se justifie par la nécessité de contenir notre dette publique à un niveau soutenable.

Non seulement nous aurons un débat sur les finances publiques au sens large, en dépassant la segmentation entre loi de finances et loi de financement de la sécurité sociale, mais nous allons voter sur les perspectives de solde de l’ensemble des administrations publiques, dans l’article liminaire des lois de finances.

Je me permets de faire ces rappels pour bien souligner que les évolutions de la gouvernance de nos finances publiques qui résulteront de ce projet de loi organique ne sont pas seulement les conséquences d’un traité européen ; elles rejoignent des préoccupations exprimées, au Sénat en particulier, depuis plus de dix ans.

À cet égard, en reprenant une règle qui se serait imposée à nous en tout état de cause en application du volet préventif du pacte de stabilité, le TSCG peut s’interpréter de deux manières.

Pour les uns, il s’agirait de l’un des exemples les plus emblématiques de la manière dont certains États influents en Europe ont cherché, ces dernières années, à court-circuiter la mécanique communautaire au profit de l’intergouvernementalisme.

Pour les autres, l’obligation d’inscrire une norme précise dans le droit interne serait un moyen de « nationaliser » une règle dont la mise en œuvre aurait été, à défaut, uniquement contrôlée par la Commission européenne. On peut donc y voir un rapprochement entre la règle et les citoyens, un renforcement de la légitimité de celle-ci.

Sans doute les deux interprétations contiennent-elles l’une et l’autre du vrai. Quoi qu’il en soit, nous sommes saisis aujourd’hui d’un projet de loi organique. Nous aurions pu être saisis d’un projet de loi constitutionnelle, si les résultats de l’élection présidentielle avaient été différents, ou si les interprétations du traité formulées immédiatement après sa signature avaient été confirmées par la Commission européenne puis, pour ce qui concerne notre ordre juridique interne, par le Conseil constitutionnel.

Dans ces conditions, pourquoi n’existe-t-il pas d’obligation juridique de réviser la Constitution ? Parce que, comme vous le savez, le Conseil constitutionnel comme la Commission européenne ont considéré qu’il n’était pas nécessaire que la règle figurant à l’article 3 du TSCG ait force contraignante dans l’ordre juridique national.