M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à onze heures cinquante-cinq, est reprise à douze heures dix.)

M. le président. La séance est reprise.

Nous poursuivons l’examen de l’article 1er.

La parole est à M. Michel Teston, sur l'article.

M. Michel Teston. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes appelés à nous prononcer aujourd’hui sur la proposition de loi relative à la reconnaissance du 19 mars comme journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire de toutes les victimes – j’y insiste – civiles et militaires de la guerre d’Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc, un texte qui a été adopté par l’Assemblée nationale en janvier 2002. Il aura donc fallu dix ans à la représentation nationale pour reconnaître officiellement cette date du 19 mars.

De 1954 à 1962, la guerre d’Algérie a causé des dizaines de milliers de morts et des centaines de milliers de blessés. De nombreuses personnes sont encore aujourd’hui traumatisées.

Sous le gouvernement de Lionel Jospin, avec la loi du 18 octobre 1999, un texte d’origine parlementaire, les assemblées ont enfin reconnu que ce qui était pudiquement appelé les « événements d’Algérie » était bien une guerre. Jusqu’à cette date, on parlait officiellement de simples « opérations de maintien de l’ordre en Afrique du Nord ».

Grâce à la loi de 1999, votée, à ma connaissance, à l’unanimité dans les deux assemblées, la réalité a enfin été reconnue : le conflit d’Algérie était bel et bien une guerre.

Aujourd’hui, c’est la date du 19 mars qui va devenir une journée nationale de recueillement et de mémoire en souvenir de toutes les victimes de la guerre d’Algérie, des combats en Tunisie et au Maroc et de tous les drames qui les ont accompagnés.

Le choix de la date de commémoration fait l’objet de débats depuis de nombreuses années, vous le savez tous. Pour ma part, j’ai toujours considéré qu’il fallait retenir le 19 mars. Si cette date n’a pas marqué la fin réelle des hostilités, elle n’en demeure pas moins essentielle, car elle est celle du cessez-le-feu entre la France et le FLN.

Cette date a donc une signification historique forte, contrairement, par exemple, à celle du 5 décembre, qui n’a aucun lien historique avec les combats d’Afrique du Nord. En outre, elle est souhaitée par une majorité d’anciens combattants de la troisième génération du feu.

Comme l’a dit notre collègue Alain Néri, « la guerre d’Algérie, restée trop longtemps une guerre sans nom, ne doit pas rester une guerre sans date historique et symbolique. »

Avec cette date historique et symbolique, nous nous souvenons de celles et de ceux qui ont perdu la vie, nous soutenons celles et ceux qui ont été meurtris dans leur chair, et, chers collègues, nous exerçons tout simplement notre devoir de mémoire ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Robert Tropeano applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Gérard Larcher, sur l’article.

M. Gérard Larcher. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le 25 octobre dernier, il s’agissait de débattre, dans le cadre de l’ordre du jour réservé, d’une proposition de loi qui, qu’on le veuille ou non, est clivante pour le monde combattant.

Cette proposition de loi, qui a été adoptée par une représentation nationale issue d’élections en 1997, ravive des blessures encore profondes au sein de notre société, au détriment d’un principe, celui de l’apaisement. Or ce dernier me semble essentiel pour toutes les commémorations et hommages que la Nation se doit de rendre à celles et à ceux qui se sont sacrifiés pour elle. Le débat de ce matin montre combien l’apaisement est encore un chemin à parcourir.

Oui, le 19 mars est une date qui, pour nombre de nos concitoyens et de leurs descendants, est encore synonyme de douleurs et de drames, notre collègue Jean-René Lecerf l’a rappelé ce matin.

En plus d’être inopportun pour la cohésion de toute la nation, ce texte revient sur deux lois qui ont fait l’objet d’un examen et d’un vote dans des délais raisonnables.

La loi du 23 février 2005 portant reconnaissance de la nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés a été voulue par le président Jacques Chirac : elle rend un hommage solennel aux combattants morts pour la France en Afrique du Nord.

J’ai entendu dire que cette date ne faisait référence à aucun moment de l’histoire. Elle permet toutefois le respect de toutes les mémoires, ne meurtrit le passé d’aucun des citoyens, ce qui est essentiel quand on parle de cohésion nationale ; peu importe leur appartenance politique, leur statut à l’époque, leur origine et leur choix.

Le 5 décembre offre à la Nation l’occasion d’un moment de recueillement républicain et d’hommage apaisé.

Aujourd’hui, en proposant la date du 19 mars, même si cela répond à la demande de deux associations que je respecte, contre l’avis de quarante autres qu’il faut aussi, monsieur Alain Néri, écouter et respecter,…

M. Alain Gournac. Eh oui ! Respectez les associations !

M. Gérard Larcher. … vous balayez le travail accompli depuis 2005 et le chemin parcouru par nombre d’associations et de familles sur la route d’une mémoire nationale rassemblée, alors que les événements d’Algérie sont encore des temps de mémoire douloureux.

Vous revenez également sur la loi du 28 février 2012 fixant au 11 novembre la commémoration de tous les morts pour la France, qui permet une véritable communion entre toutes les générations du feu, celle de 14-18, celle de 39-45, celle qui a combattu en Algérie, mais aussi en Indochine – un conflit dont personne n’a parlé, et que je voudrais pour ma part évoquer.

M. Gérard Larcher. La mémoire de celles et ceux qui sont tombés pour la France en Indochine mérite un temps de rassemblement, que la date du 11 novembre nous offre, car elle permet de transcender les valeurs de notre pays. Et elle joue le même rôle pour ceux qui sont tombés au cours des opérations extérieures.

Monsieur le ministre, en inscrivant cette proposition de loi à l’ordre du jour dont dispose le Gouvernement, l’exécutif, pour reprendre les mots que vous avez prononcés le 25 octobre dernier, fait preuve d’ingérence et d’interférence. Puisqu’il s’ingère, je voudrais savoir si le Gouvernement entend saisir l’Assemblée nationale de l’éventuel texte qui sortirait aujourd’hui de nos travaux. C’est une démarche qui me paraît indispensable, afin que nos collègues issus des élections législatives de juin dernier puissent en connaître.

Notre collègue Joëlle Garriaud-Maylam l’a rappelé avec d’autres, le texte que nous examinons aujourd’hui se situe dans un contexte différent de celui du 25 octobre dernier.

En effet, mardi 30 octobre, le ministre des anciens combattants de la République algérienne démocratique et populaire, Chérif Abbas, a souhaité de la part de la France « une reconnaissance franche des crimes perpétrés à leur encontre par le colonialisme français ». Une fois encore, ces propos ont mis sous tension les relations franco-algériennes et placent sous de difficiles auspices le voyage, que je juge utile et même indispensable, du Président de la République à Alger les 19 et 20 décembre prochain.

Cette proposition de loi figurant à l’ordre du jour fixé par le Gouvernement ne peut être ressentie comme une réponse à une injonction extérieure. Cinquante ans après les événements, la mémoire nationale doit d’abord être un rassemblement et une unité. Elle ne peut en aucune manière être instrumentalisée. La véritable conciliation des mémoires française et algérienne ne peut se faire sur la stigmatisation des uns et le parti pris des autres.

La mémoire de l’Algérie, celle de 1830 à 1962, en France comme de l’autre côté de la Méditerranée, nécessite dialogue, objectivité, respect mutuel, travail préalable conjoint d’historiens, comme l’avait proposé le Président de la République Jacques Chirac, dans le cadre de la préparation du traité d’amitié entre la France et l’Algérie, qui n’a malheureusement jamais été signé.

Le choix de la date du 19 mars me paraît contraire à de telles exigences. Pour l’unité et la mémoire de toute la Nation, ce texte doit être retiré. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Charon, sur l’article.

M. Pierre Charon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant d’évoquer de nouveau le fond de cette proposition de loi, je souhaiterais, comme nombre de mes collègues avant moi, vous faire part de ma consternation devant les méthodes du Gouvernement et ma tristesse de voir le mépris avec lequel sont traitées nos institutions.

C’est pourtant bien vous, monsieur le ministre, qui avez ouvert nos débats le 25 octobre dernier, en vous en remettant à la sagesse de notre Haute Assemblée, « dans le plein respect des prérogatives du Parlement, car c’est à ce dernier qu’il incombe d’achever un processus législatif qu’il a lui-même engagé, et ce sans aucune ingérence ni interférence de la part de l’exécutif. » Merci de ces propos !

Il est dès lors incompréhensible que l’ordre du jour ait été bousculé comme il l’a été, pour essayer de faire passer ce texte en force, comme cela semble d'ailleurs devenir l’habitude. Si certains d’entre nous avaient encore des doutes quant aux sombres arrière-pensées politiciennes qui motivent l’exhumation de ce texte, je pense qu’ils seront éclairés par ces méthodes, qui n’annoncent pas les plus belles heures de la démocratie.

M. Jean-Jacques Mirassou. C’est nul, ça !

M. Pierre Charon. L’article 1er du texte qui nous est donc présenté aujourd’hui vise à créer une journée nationale à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc. Il pose une première question : pourquoi instituer une journée nationale, alors qu’elle existe déjà ?

Permettez-moi, mes chers collègues, de rappeler le décret du 26 septembre 2003 instituant une journée nationale d’hommage aux « morts pour la France » pendant la guerre d’Algérie et les combats du Maroc et de la Tunisie, le 5 décembre de chaque année. Ce texte sera d’ailleurs suivi d’un certain nombre d’avancées législatives, telles que la loi du 23 février 2005, complétée le 7 mars dernier par l’adoption de la proposition de loi déposée par notre collègue Raymond Couderc. Enfin, la loi du 28 février 2012 fixe au 11 novembre la commémoration de tous les morts pour la France, « de Verdun à la Kapisa », pour reprendre les termes que j’avais employés à l’époque.

Il y a plusieurs raisons possibles à cette volonté de remettre aujourd’hui la main dans l’histoire et de sceller la mémoire du conflit algérien au 19 mars. Je préfère ne pas imaginer la première, qui tiendrait à ce que le décret que je viens d’évoquer date de 2003, début du deuxième mandat de Jacques Chirac et du gouvernement de notre éminent collègue Jean-Pierre Raffarin… Si vous n’êtes donc pas inspirés par la jalousie politique, peut-être votre positionnement résulte-t-il d’une simple méconnaissance des événements qui ensanglantèrent la France et l’Algérie pendant huit ans ?

Je tiens donc, mes chers collègues, à rappeler les conditions douloureuses de la fin de ce conflit, qui excluent évidemment de retenir cette date pour en cristalliser la mémoire.

Le 19 mars 1962 fut non pas la fin d’une tragédie, mais le début d’un long cauchemar. La conclusion des accords d’Évian ne déboucha malheureusement pas du tout sur le cessez-le-feu promis et attendu ! Ce fut une signature vide, trahie le jour même par le FLN, qui a laissé une blessure ouverte dans la mémoire de ce conflit. Par ailleurs, une semaine plus tard, le 26 mars 1962, des civils français non armés, partisans du statu quo, manifestent devant la grande poste de la rue d’Isly à Alger. Ils seront mitraillés par l’armée française.

Mes chers collègues, la comparaison faite avec les dates du 11 novembre et du 8 mai est particulièrement choquante.

En effet, comment comparer le 11 novembre 1918, armistice victorieux qui signe le retour de la paix dans notre pays, le 8 mai 1945, victoire des alliés sur l’Allemagne nazie, rassemblant la France avec elle-même après la déchirure de l’occupation, et le 19 mars 1962, qui est non pas un armistice, mais une trahison du FLN, lequel a profité de la situation pour reconstituer ses forces armées, massacrer les harkis et lancer une campagne d’enlèvement des Français restés en Algérie. Dès lors, un cessez-le-feu, certes, mais comme le disait Jean-René Lecerf tout à l’heure, certainement pas un « cessez-le-sang ».

En choisissant la date des accords d’Évian comme symbole national, on oublie et quelque part on méprise les civils et les militaires morts après le 19 mars 1962. Je ne peux accepter que soit dénaturée la position du général de Gaulle dans cet épisode de notre histoire.

Oui, la raison inspira au général cette issue douloureuse et nécessairement imparfaite au conflit algérien, mais nous savons que son cœur lui soufflait pourtant fidèlement « tous Français, de Dunkerque à Tamanrasset ». Oui, l’Histoire a amené le peuple algérien à disposer librement de lui-même, et il n’est évidemment pas question de revenir aujourd’hui sur cette idée et sur ce mouvement. Néanmoins, l’acceptation de cette réalité ne doit pas nous conduire à transformer une blessure en fête nationale.

Notre histoire est un bien précieux. Elle est faite de conquêtes, de rêves et de batailles. Elle est faite de victoires et de défaites. Elle est faite d’héroïsme et de souffrances. Il ne s’agit pas de nier les faits. Mais il ne viendrait à l’idée de personne de fêter Sedan ou Diên Biên Phú ! Aussi, comment peut-on aujourd’hui imaginer célébrer une défaite, qui est fêtée comme une victoire en Algérie ?

Voilà pourquoi, mes chers collègues, je ne peux ni comprendre ni accepter le choix de cette date, qui, loin de refermer la plaie, la ravive et la creuse. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam, sur l’article.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Mes chers collègues, le chef de l’État et le Premier ministre revendiquent la concertation comme marque de fabrique du Gouvernement.

M. Jean-Jacques Mirassou. C’est exact !

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Or, aujourd’hui, que nous demande-t-on de faire ? Il s'agit d’adopter un texte sur lequel nos collègues députés n’auront pas leur mot à dire, puisque l’on présume qu’un vote vieux de dix ans est toujours valable, alors même que certains des députés ayant adopté ce texte en 2002 le voteront aujourd’hui de nouveau, cette fois en tant que sénateurs.

M. Alain Néri, rapporteur. Ils n’ont pas retourné leur veste !

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. C’est en particulier votre cas, cher Alain Néri. Je note votre persévérance à soutenir cette proposition de loi, quitte à passer de l’Assemblée nationale au Sénat et à laisser la commission des affaires étrangères pour rejoindre celle des affaires sociales.

M. Jean-Pierre Sueur. M. Néri est un homme fidèle, et qui a de la suite dans les idées.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Certes, je n’ai pas trouvé très convaincantes vos contorsions sémantiques, mais c’est surtout l’absence de consultation du monde combattant qui m’inquiète et me gêne.

En 2003, la date du 5 décembre avait été retenue pour instituer une journée d’hommage, justement parce qu’elle était soutenue par une très large majorité d’associations d’anciens combattants, seules deux de ces dernières lui préférant la date du 19 mars, comme l’a opportunément rappelé Gérard Larcher.

Cette fois, la méthode inverse a été retenue, très certainement parce qu’une concertation plus large n’aurait pas permis de dégager de consensus ou même de simple majorité en faveur du 19 mars.

Alors que cette proposition de loi a été inscrite il y a plus d’un mois à l’ordre du jour, M. le rapporteur a jugé nécessaire de ne rencontrer que quatre associations parmi la quarantaine que compte le monde combattant.

La FNACA et l’ARAC, les deux seules associations qui militent pour une commémoration nationale le 19 mars, comptent à peine plus de 300 000 membres, alors que les quarante autres associations qui s'y opposent représentent plus de 2 millions de familles. (Murmures sur les travées du groupe socialiste.) Je trouve vraiment scandaleux, indigne, que quatre auditions suffisent à légitimer une proposition de loi aussi clivante.

Oui, bien sûr, mes chers collègues, il y a eu un cessez-le-feu le 19 mars 1962 ; personne ne le conteste. (Ah ! sur les travées du groupe socialiste.) Je peux même vous dire que certains d’entre nous, au sein du groupe UMP, ont déclaré vouloir approuver le choix de cette date, parce qu'ils se souviennent de la joie qu'ils ont alors ressentie. Qui ne se réjouirait qu’une guerre prenne fin ? Mais comment oser honorer nos morts à une date qui fut une journée de dupes, qui représente aujourd'hui encore une plaie béante pour des millions de personnes ? Comment oublier tous les morts qui ont suivi ? Comment oublier tous ces humbles enlevés, suppliciés ? Comment oublier, surtout, tous ces harkis qui ont péri parce qu'ils croyaient en la France et envers qui nous avons une dette d'honneur ?

Monsieur le rapporteur, vous avez mentionné l'existence de rues du 19 mars 1962 et évoqué le bachaga Boualem. Je veux dire la honte que j'ai ressentie quand une municipalité socialiste a débaptisé une rue qui portait son nom !

Pour moi, imposer cette date du 19 mars serait une nouvelle trahison, envers les rapatriés, envers les harkis, envers les associations combattantes, qui, dans leur majorité, sont contre ce choix. Vous avez déclaré qu'il fallait réconcilier le monde combattant et les Français : mais alors comment osez-vous proposer cette date ! Vous êtes en contradiction totale avec vous-même !

Vraiment, par égard pour le monde combattant, par égard pour la France, par égard pour notre assemblée, par respect pour toutes les victimes de la guerre d'Algérie, vous vous honoreriez, mes chers collègues, en refusant de défendre une telle proposition de loi ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. Yves Détraigne applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mlle Sophie Joissains, sur l’article.

Mlle Sophie Joissains. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je tiens à associer mon collègue et ami Bruno Gilles à l'ensemble des propos que je vais tenir maintenant.

Pour répondre à l'objet de l'article 1er de cette proposition de loi, deux textes ont déjà été adoptés.

Le premier, spécifique, est la loi du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés. Celle-ci a été modifiée par la loi du 7 mars 2012 relative aux formations supplétives des forces armées afin de sanctionner pénalement toute injure envers ces dernières. Si ce texte concernait l'ensemble des supplétifs de l'armée française, il est important de noter qu'elle visait principalement à protéger les harkis, lesquels ont été massivement massacrés à partir du 19 mars 1962.

Cette loi, adoptée à la quasi-unanimité des sénateurs, a fixé comme date de commémoration le 5 décembre. Pourquoi cette date ? Parce qu'elle est neutre et que, de ce fait, elle permet le respect de toutes les mémoires. Elle n'offense le passé d’aucun citoyen, quels que soient son appartenance politique et les choix que lui-même ou ses ascendants ont pu faire lors de conflits douloureusement fratricides. Par ce biais, elle atteint pleinement l'objectif d'unité du peuple français, d'apaisement de la douleur des mémoires ; elle s'inscrit sur le chemin de la réconciliation de ceux qui ont été divisés, déchirés par les conflits d’indépendance.

Le second texte, la loi du 28 février 2012, fixe au 11 novembre la date de la commémoration de tous les morts pour la France. Elle a été votée par le groupe socialiste et le groupe UMP le 24 janvier 2012. Elle permet d'honorer l'ensemble de ceux qui se sont battus et sont morts pour la France, des plus anciens, comme les Poilus, aux plus récents, les soldats partis en opérations extérieures, notamment en Afghanistan.

Cette loi, adoptée elle aussi à la quasi-unanimité, va, comme le texte précédent, dans le sens de la cohésion nationale, du devoir de mémoire et de l'union républicaine.

Ces dates ont été choisies pour honorer le courage et la mémoire de tous nos combattants, dans un souci de dignité, d'honneur et de respect à l’égard de ceux, de tous ceux, qui se sont battus pour la France. Tel n'est pas le cas de la date du 19 mars.

Pour le groupe UMP, les commémorations du 5 décembre et du 11 novembre répondent le mieux possible aux revendications des anciens combattants d'Algérie, de Tunisie et du Maroc. Elles unissent sans cliver, et surtout sans risquer d’insulter – ce serait inimaginable ! – le souvenir de ceux qui ont été massacrés et que la France, malheureusement, n’a pas défendus.

L'association qui demande la reconnaissance de la date du 19 mars regroupe 358 500 adhérents. Un autre collectif, ulcéré par cette proposition de loi, rassemble 43 associations et compte 1 200 000 adhérents. Permettez-moi de vous lire un passage du courrier qu’il nous a adressé :

« Le 19 mars ne peut pas être une date de recueillement, car il rappelle, hélas, pour trop de Français, le deuil et l’exode. S’en tenir au 19 mars serait bafouer la mémoire des dizaines de milliers de harkis massacrés après cette date, comme celle du million de nos compatriotes victimes d’une véritable épuration ethnique. Faut-il rappeler qu’il s’agissait notamment de descendants des révolutionnaires de 1848, des patriotes d’Alsace-Lorraine, enfin des anciens républicains espagnols exilés, refusant la dictature, et de tous ceux qui se sont engagés, plus que d’autres, dans les campagnes de la Libération de la France entre 1943 et 1945. C’est aussi leur voix qu’il faut écouter, c’est celle des Français.

« Lorsque la Nation a voulu honorer ceux qui ont donné leur vie pour la France dans tous les conflits, le Parlement, à sa très grande majorité, a voté le 28 février dernier une loi que l’on peut qualifier de “mémorielle” retenant le 11 novembre comme journée de commémoration pour tous les morts pour la France. Cette loi exclut la suppression de commémorations existantes, officielles comme associatives.

« Une nouvelle loi serait superfétatoire, venant notamment de sénateurs qui avaient voté la loi du 28 février dernier. »

M. Guy Fischer. Et l’article 4 de la loi de février 2005 ?

Mlle Sophie Joissains. « Aussi, le report de cette discussion s’avère une opportunité à saisir pour s’interroger sur son bien-fondé.

« En s’inspirant de personnalités aussi différentes que le général de Gaulle ou François Mitterrand, qui, l’un comme l’autre, avaient refusé cette date, chaque sénateur devrait pouvoir s’exprimer en son âme et conscience : soit rejeter cette proposition de loi au nom de l’unité et d’une mémoire collective apaisée, confirmant le sens du vote de la loi de février dernier, soit choisir de réveiller une division profonde entre Français de toutes catégories et de toutes origines, en la votant pour satisfaire une fraction minoritaire du monde combattant.

« Une telle “loi mémorielle” votée à une courte majorité serait certes légale, mais sans légitimité faute de consensus national. »

M. Jean-Jacques Mirassou. La loi, c’est nous !

Mlle Sophie Joissains. C'est le monde des anciens combattants qui s'exprime, ce n'est pas moi !

La fin du conflit en Algérie remonte aujourd'hui à cinquante ans, et pourtant il suffit de voir le nombre d'associations de Français rapatriés et de harkis pour mesurer la profondeur des blessures qui subsistent.

M. Guy Fischer. À cause de qui ?

Mlle Sophie Joissains. L'apaisement avec l'Algérie doit aussi être obtenu pour eux et avec eux. (Marques d’impatience sur les travées du groupe socialiste.)

M. Kader Arif, ministre délégué chargé des anciens combattants, tenait les propos suivants, le 21 octobre : « Il est inacceptable par exemple que nos compatriotes harkis ne puissent pas se rendre dans le pays de leurs ancêtres ou, pour ceux qui le souhaitent, y être enterrés. Nous avons abordé cette question avec nos amis Algériens, et nous avons compris qu’il y avait une volonté d’ouverture de leur part à ce sujet. » L'apaisement est peut-être en bonne voie. (Marques renouvelées d’impatience sur les travées du groupe socialiste.)

M. Ronan Kerdraon. C’est fini !

Mlle Sophie Joissains. Je ne vous ai pas interrompus lors de vos interventions ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)

Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Vous avez dépassé votre temps de parole !

M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.

Mlle Sophie Joissains. Croyez-vous vraiment que si nous adoptons une date qui a été le signal du massacre de leurs aînés, les harkis auront envie de se rendre sur cette terre qui est celle de leurs ancêtres ? Cela serait peut-être pour eux une immense humiliation.

On estime que de 60 000 à 70 000 harkis sont morts après le 19 mars, dans des conditions atroces. De même, plus de 3 000 pieds-noirs ont été enlevés, sans avoir jamais été retrouvés à ce jour. Le traité d'amitié avec l'Algérie doit être conclu dans le respect mutuel, et non pas au prix de l'humiliation de ceux de nos concitoyens qui ont déjà beaucoup souffert.

M. le président. Je vous prie de conclure, ma chère collègue !

Mlle Sophie Joissains. Il me paraît évident que ce texte relève d’une manœuvre du Gouvernement. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.) Cela étant, j'ai perçu de réels accents de sincérité, notamment dans les propos du rapporteur. Néanmoins, une chose m'a frappée : les arguments qui ont été développés en faveur de ce texte par certains auraient pu tout aussi bien les conduire à écarter cette date du 19 mars.

Je veux juste dire une dernière phrase. (Vives protestations sur les travées du groupe socialiste.) On ne peut pas décider pour d’autres de la manière dont ils doivent vivre leur douleur, et j’estime que nous ne pouvons imposer le 19 mars comme date de commémoration aux 1 200 000 personnes du monde combattant qui se sont prononcées contre. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, sur l’article.

M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je voudrais vous livrer un témoignage.

Depuis trente et un ans, d'abord comme député, puis en tant que maire et enfin comme sénateur, j'ai participé à des centaines de réunions d’anciens combattants, je me suis, aussi souvent que possible, recueilli devant les monuments rappelant le sacrifice de ceux qui sont morts pour la France. En effet, je considère que c’est notre devoir d’élus de la nation ou des collectivités locales.

Voilà longtemps, il m’est arrivé de prendre part à une cérémonie commémorative, le soir d’un 19 mars, dans le chef-lieu du département dont je suis élu. Il n'y avait aucune lumière, aucun drapeau, et nous avons déposé les gerbes dans l’obscurité…

En parcourant les villages, les communes, je me suis rendu compte que cette date du 19 mars s'était peu à peu imposée, dans l’esprit de beaucoup de ceux qui ont combattu à l’appel de la République – pas de tous, j’en conviens –, et qu’il y avait là un signe identitaire, reconnu dans mon département du Loiret par de nombreux élus, de droite, de gauche ou du centre. J’ai pu prendre conscience qu'une réalité s'était imposée, celle d'une génération, et qu'il fallait tout simplement la reconnaître. M. le rapporteur l’a exprimé avec éloquence, chacun sait bien que la date du 5 décembre ne correspond pas à un moment historique : c’était simplement ce jour-là que le Président Chirac était disponible pour inaugurer un monument ! (M. Alain Gournac proteste.)