M. Jean Arthuis, rapporteur spécial. Ou au centre !

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Ou au centre ! (Sourires.)

Est-ce un tabou ? Pourquoi ne pas regarder le problème en face ?

Le projet de loi de finances prévoit que notre contribution brute au budget de l’Union européenne s’établira à 19,6 milliards d’euros en 2013 ; par comparaison, les dépenses de l’Union européenne sur notre territoire représentent un peu plus de 13 milliards d’euros.

Dans ces conditions, monsieur le ministre, ne serait-il pas temps que la France fasse d’un rééquilibrage une vraie priorité politique ?

En d’autres termes, plutôt que de critiquer par principe l’approche britannique, ne serait-il pas conforme à nos intérêts d’exiger nous aussi : « we want our money back ! »

Songez, mes chers collègues, que notre pays n’est que le vingtième bénéficiaire des dépenses de l’Union européenne rapportées au nombre d’habitants. Oui, le vingtième !

En effet, les dépenses de l’Union européenne en France représentent seulement 202 euros par habitant. Or savez-vous à combien s’élève ce montant au Luxembourg – un pays pour lequel Jean Arthuis et moi-même avons beaucoup de considération et que nous mentionnons souvent dans nos commentaires ?

M. Jean-Michel Baylet. C’est louche !

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Monsieur Baylet, vous savez qu’il s’agit d’une litote !

M. Jean-Michel Baylet. Je vous connais !

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Chaque habitant du Grand-Duché perçoit 3 065 euros, contre seulement 202 euros pour chaque Français !

De même, la France n’est plus que le huitième bénéficiaire de la politique agricole commune rapportée au nombre d’habitants, alors qu’elle en était encore le cinquième bénéficiaire il y a un an.

Figurez-vous, mes chers collègues, que la France perçoit 152 euros par habitant de dépenses agricoles, alors que l’Irlande bénéficie de 382 euros par habitant ! Dire que l’Irlande est un champion du dumping fiscal en Europe et que la France, bon élève toutes catégories confondues, exerce sur les entreprises une pression fiscale que je qualifierai, monsieur le ministre,…

M. Jérôme Cahuzac, ministre délégué auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé du budget. … de très raisonnable !

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. … d’assez substantielle. Elle est en tout cas beaucoup plus élevée qu’en Irlande, ce qui visiblement nous pose un petit problème de compétitivité.

Mes chers collègues, permettez-moi de vous présenter, pour terminer, quelques observations au sujet de la politique agricole commune.

Le 30 juin 2011, nous avons pris connaissance des propositions de la Commission européenne, consistant à stabiliser le budget de la PAC en euros courants ; ce serait, à la rigueur, un minimum acceptable pour la France.

Seulement voilà : le 13 novembre 2012, le président du Conseil européen a proposé d’amputer de plus de 25 milliards d’euros les dépenses agricoles européennes.

Certes, nous avons obtenu que cette diminution soit limitée à 17 milliards d’euros ; mais il s’agit tout de même d’une baisse de 17 milliards d’euros !

Qu’en pense la France ? Quelle position prend-elle ? Le Président de la République a déclaré ceci : « je ne suis pas le leader de la politique agricole commune, même si je m’inscris dans une tradition française ». Comme toujours, ce sont des propos élégamment tournés, mais qui n’engagent pas beaucoup !

Il me semble que, en agissant ainsi, nous refusons d’assumer nos responsabilités et nous manquons de pugnacité dans la défense de nos intérêts. Pourquoi donc ?

Par ailleurs, je tiens à formuler une remarque plus qualitative sur le contenu de la politique agricole commune.

Dans les années soixante-dix, une approche fondée sur les excédents de production a conduit à délaisser, d’ailleurs avec retard, le soutien à la production.

C’est l’esprit qui a présidé à la mise en place des quotas laitiers en 1984 puis à la réforme Mac Sharry en 1992, à la suite de laquelle on a mis en place des aides directes calculées sur la base de facteurs fixes – les surfaces et les rendements historiques –, avec une obligation de mise en jachère.

En 2003, on est allé encore plus loin dans cette direction en mettant en place un système de paiement unique – les fameuses aides découplées – qui a rompu tout lien entre les aides versées et l’acte de produire.

M. Jean-Michel Baylet. Système calamiteux !

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Aujourd’hui, il serait question d’encourager davantage encore le développement rural et de privilégier une politique agricole environnementaliste ; bref, de faire de nos agriculteurs non plus prioritairement des producteurs, mais des gardiens du paysage – rôle au demeurant estimable.

M. André Gattolin. C’est ce qu’ils revendiquent !

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Sans doute, monsieur Gattolin, mais les besoins alimentaires mondiaux ne disparaissent pas pour autant – vous-même nous le rappelez assez souvent.

Mes chers collègues, je suis de plus en plus convaincu que cette orientation de la politique agricole commune est, dans l’ensemble, une erreur. (MM. Jean Bizet et Jean-Paul Emorine acquiescent.)

La volatilité des prix agricoles et les besoins croissants à l’échelle mondiale plaident pour une politique agricole européenne visant à produire plus et mieux. Malheureusement, je constate que le Gouvernement ne formule aucune proposition dans ce sens.

Peut-être le Gouvernement a-t-il quelques légères difficultés à réunir les fractions qui le soutiennent ? Même si on ne saurait lui en faire le reproche, le fait est que, comme l’illustre bien la situation actuelle au Sénat, la majorité est plurielle et qu’elle est traversée par des contradictions fortes.

M. Jean Germain. En ce moment, l’opposition aussi est plurielle !

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Il faudrait pourtant mettre des propositions sur la table ! Qui le fera si la France, leader naturel de la politique agricole commune, n’assume pas son rôle économique et historique ?

Monsieur le ministre, vous qui êtes l’élu d’un département agricole, comme la plupart d’entre nous, vous allez sans doute nous présenter votre vision de la situation. Étant à présent habitué aux hésitations et aux changements de cap successifs du Gouvernement dont vous êtes l’un des membres les plus valeureux, je souhaite vivement que vous puissiez éclairer le Sénat.

En tout cas, je pense que, cette année encore, le débat sur la contribution de la France au budget de l’Union européenne sera utile ; cette question représente pour tous les groupes, sans doute plus au Sénat qu’à l’Assemblée nationale, une véritable priorité politique. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. Jean Arthuis, rapporteur spécial, applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Baylet.

M. Jean-Michel Baylet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous constatons tous les jours que l’Europe est en crise. Cette crise est à la fois une crise financière, économique, une crise de la dette et désormais, malheureusement, elle est même une crise institutionnelle.

Par un hasard du calendrier, le débat sur l’article 44 du projet de loi de finances pour 2013 a lieu au moment où les événements se bousculent sur l’agenda communautaire.

L’attribution à l’Union européenne du Prix Nobel de la paix, qui lui sera solennellement remis le 10 décembre prochain, ne doit pas masquer les impasses dans lesquelles nous mène la gouvernance actuelle de l’Europe.

Lors du Conseil européen des 22 et 23 novembre dernier, les chefs d’État et de gouvernement des États membres ne sont pas parvenus à s’entendre sur le cadre financier pluriannuel pour les années 2014 à 2020 ; ils se retrouveront au début de l’année prochaine pour tenter d’arracher un accord, s’il est possible.

Par ailleurs, à l’heure où nous débattons de l’évaluation du prélèvement opéré sur les recettes de l’État au titre de notre participation au budget de l’Union européenne, la Commission européenne, le Parlement européen et le Conseil européen ne sont même pas parvenus à s’accorder sur le périmètre de ce budget.

Le Parlement européen a même bloqué les négociations, le trou dans le budget de l’année 2012 n’ayant pas été comblé. Cette situation laisse planer le doute sur la viabilité du programme de bourses étudiantes Erasmus ou sur le Fonds social européen, ce qui n’est tout de même pas rien.

Mes chers collègues, c’est dans ce contexte pour le moins incertain que le Sénat débat de la participation de la France au budget de l’Union européenne.

L’article 44 du projet de loi de finances pour 2013 fixe à 19,6 milliards d’euros le prélèvement sur nos recettes au profit du budget de l’Union européenne. Cette somme est en nette hausse par rapport à l’année dernière : elle augmente de 3,81 %, ce qui représente un accroissement de 720 millions d’euros.

Cet effort de la France n’est pas négligeable, même si la trajectoire de la participation au budget européen est désormais fixée par l’accord européen sur les perspectives financières et par les stipulations du traité de Lisbonne.

Alors que l’ensemble du projet de loi de finances pour 2013 est caractérisé par un objectif de maîtrise des dépenses publiques, nous tenons nos engagements à l’égard de nos partenaires.

Comme l’indique le rapport de nos collègues Marc Massion et Jean Arthuis, le montant de notre participation au budget de l’Union européenne a été multiplié par cinq en vingt ans en valeur absolue.

Relativement à celle des autres États membres, la contribution de la France est restée stable au cours de la période récente : autour de 16,5% du budget de l’Union européenne, sauf en 2009 où elle a été un peu supérieure.

Second contributeur de l’Union européenne, la France reste le premier destinataire des aides du budget européen, même si, malheureusement, la balance entre ce que notre pays verse à l’Europe et ce qu’il en reçoit est désormais largement déficitaire.

Je partage l’avis de nos deux rapporteurs spéciaux, MM. Arthuis et Massion : une réflexion s’impose sur la réforme de la gouvernance de la zone euro et de l’Union européenne. À cet égard, je crois, comme vient de le dire Jean Arthuis, qu’il est nécessaire de mettre en place une gouvernance budgétaire européenne.

Certes, des progrès ont été réalisés depuis l’élection de François Hollande à la présidence de la République, notamment en ce qui concerne l’union bancaire, les project bonds et la Banque européenne d’investissement ; mais il est évident que nous devons aller beaucoup plus loin.

Dans le schéma actuel, l’élaboration du budget de l’Union européenne résulte d’une série de compromis entre la Commission européenne, le Parlement européen et les chefs d’État et de gouvernement réunis en Conseil européen.

Or une situation de blocage absolu existe à l’heure actuelle entre ces différentes institutions, s’agissant de la préparation du budget pour 2013. À ce sujet, M. le ministre pourrait peut-être apporter au Sénat un certain nombre d’éléments d’information sur l’avancée des négociations entre les États membres et les institutions communautaires, et la recherche d’un consensus sur le budget pour 2013.

La question se pose également du contenu de notre participation au budget de l’Union européenne.

En effet, alors que les textes communautaires prévoyaient initialement que le budget de l’Union européenne serait financé par des ressources propres, la participation de la France est aujourd’hui composée, pour environ 70 %, d’une part assise sur notre revenu national brut et, pour 13 %, d’une part provenant très indirectement de la ressource assise sur notre TVA ; le reste est constitué de droits de douane, de prélèvement agricoles et de cotisations sur le sucre.

Ce système cache assez mal que l’autonomie du financement de l’Union européenne est en réalité une illusion. En d’autres termes, les prétendues ressources propres de l’Union européenne ne lui sont pas vraiment propres.

La nécessaire réforme du mode de financement de l’Union européenne passe par la création d’une véritable fiscalité européenne.

À cet égard, le projet de création d’une taxe sur les transactions financières destinée à alimenter le budget européen est un premier pas, même si nous mesurons bien les réticences qu’une telle initiative a fait naître dans certains États membres.

Nous proposons donc une remise à plat de l’ensemble du financement de l’Union européenne, notamment du calcul de la « correction britannique », et la mise en place de véritables « impôts européens ». Ce système aurait l’avantage de la lisibilité, et les citoyens pourraient constater quelle partie de leurs impôts finance les institutions et les politiques communautaires.

Cette proposition s’approche des propositions formulées dans le Paquet sur les ressources propres de la Commission européenne, qui plaide en faveur d’une suppression progressive des rabais dont profitent certains pays, de la mise en place d’une taxe sur les transactions financières et de la création d’une nouvelle ressource assise plus directement sur la TVA.

M. Marc Massion, rapporteur spécial, préconise pour sa part la création d’un impôt harmonisé sur les sociétés. C’est une autre piste tout aussi intéressante et pertinente, même si nous sommes conscients des obstacles à sa mise en œuvre.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. On en est loin !

M. Jean-Michel Baylet. Les résultats du Conseil européen sur les perspectives financières 2014-2020 et les blocages autour du budget pour 2013 ont non seulement des conséquences économiques, du fait de l’incertitude de cette période, mais également des effets politiques dramatiques – il faut le souligner.

Le spectacle des marchandages des différents acteurs est de nature à apporter des arguments à tous les eurosceptiques. Je regrette qu’ils soient nombreux, et j’ai même parfois l’impression qu’ils le sont malheureusement de plus en plus !

Mme Michèle André. Il y en a effectivement de plus en plus !

M. Jean-Michel Baylet. L’Union européenne apparaît comme prisonnière des enjeux nationaux ou – disons-le ! – des égoïsmes nationaux.

M. Jacques Mézard. Très bien !

M. Jean-Michel Baylet. Partisans d’une véritable Europe fédérale, les sénateurs radicaux de gauche sont favorables à plus d’intégration, plus d’harmonisation,...

M. Jacques Mézard. Très bien !

M. Jean-Michel Baylet. ... plus de clarté. Cela passe également par une mutualisation des investissements d’avenir : croissance verte, recherche et développement, infrastructures européennes...

Mais nous débordons du cadre du débat qui nous réunit aujourd’hui et du temps imparti !

Permettez-moi de conclure en précisant qu’au sein du groupe RDSE les sénateurs radicaux de gauche s’accordent avec les conclusions de la commission des finances et sont favorables à l’adoption, sans modification, de l’article 44 du projet de loi de finances. Mais, vous l’aurez compris, ils attendent beaucoup plus, en particulier beaucoup plus d’Europe !

C’est le rôle de la France d’œuvrer pour que naisse cette Europe puissante, seule solution pour maîtriser la mondialisation et pour peser dans ce monde globalisé. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste. – M. Yves Pozzo di Borgo applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. André Gattolin.

M. André Gattolin. Monsieur le président, permettez-moi de commencer mon intervention en rendant hommage à un grand homme de presse qui nous a quittés hier, Erik Izraelewicz, directeur du journal Le Monde.

Je le fais avec d’autant plus d’émotion que j’ai eu l’occasion, au cours de ma carrière professionnelle, de travailler avec lui. C’était un grand journaliste économique, l’un des rares à se passionner pour les débats qui rassemblent dans cet hémicycle, un matin comme l’an passé, un si petit nombre d’entre nous...

Je voudrais témoigner toute ma sympathie et toute ma solidarité à sa famille, aux membres de sa rédaction et à l’ensemble de la classe journalistique, celle qui honore la qualité du travail accompli à ce propos dans notre pays.

J’en viens maintenant au sujet qui nous occupe, disant d’emblée que le groupe écologiste votera naturellement l’article qui correspond à la contribution nationale au pot commun européen.

Comme cela a été rappelé plusieurs fois, la contribution de la France équivaudra en 2013 à environ 19,6 milliards d’euros. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle se situe dans la continuité ! L’augmentation de 2,9 % par rapport à l’an passé s’inscrit dans une tendance à la hausse qui ne s’est jamais démentie au cours des trente dernières années.

Je le dis, je trouve assez étonnants, pour ne pas dire hallucinants, certains des propos qui ont été tenus précédemment. Qu’avez-vous fait les années précédentes pour bloquer ce qui, tout à coup, vous paraît surréaliste ? Monsieur Jean Arthuis, j’ai beaucoup de respect pour vos propositions sur l’Europe, mais, en la matière, je ne comprends pas votre position !

M. Simon Sutour. C’est ahurissant de la part d’un Européen centriste !

M. Richard Yung. Ce n’est pas sérieux !

M. André Gattolin. J’ai qualifié les propos d’ « hallucinants », mais les circonstances nous poussent à être non pas hallucinés, mais plutôt inquiets, j’irai même jusqu’à dire révoltés !

Tout autant que la réalité des chiffres, la qualité de cette contribution reste également comparable à ce qu’elle était pour 2012. J’avais, l’an passé, souligné qu’un tel prélèvement pouvait être jugé à la fois trop faible et trop élevé...

Trop faible, car le budget global de l’Union européenne paraît d’année en année bien étriqué par rapport aux missions qu’on lui confie, sans parler de celles qui devraient lui échoir !

Trop élevé, parce que ce prélèvement correspond à une agrégation de revenus de natures très différentes et remplace des ressources propres au budget européen devenues à peu près inexistantes au fil du temps, alors qu’il ne devait, au départ, que les compléter à la marge.

Cette contribution recouvre à la fois la part de la TVA réservée au financement de l’Union européenne et la ressource attribuée en fonction du revenu national brut de notre pays, c’est-à-dire deux types de recettes ne renvoyant pas à la même réalité et naturellement pas au même calcul en termes d’évolution dans les années à venir.

Surtout, elle devrait être relativement moins importante dans le budget de l’Union européenne. Ce dernier est réputé autonome, mais la réalité nous démontre que les États membres détiennent toujours le dernier mot.

C’est particulièrement vrai aujourd’hui, alors que le Conseil européen de la semaine passée n’a pas permis de trouver un accord...

M. Jean Arthuis, rapporteur spécial. Hélas !

M. André Gattolin. ... sur le prochain cadre financier pluriannuel qui doit déterminer les grandes orientations budgétaires de l’Union européenne pour les sept années à venir.

Cet échec – espérons-le provisoire ! – est inquiétant, car, dans ce cadre financier à l’horizon de l’année 2020, se joue la question des moyens mis en œuvre pour des politiques communautaires aussi capitales que la politique de cohésion et les aides sociales, la politique de recherche et d’innovation, la politique agricole commune, la transition énergétique...

Face à l’ampleur de ces chantiers, quel sens y aurait-il à ne réfléchir qu’en termes de retour direct sur investissement et de contribution nette, État par État ? C’est justement cette politique qui est à l’origine des situations que nous connaissons, situations dans lesquelles les interlocuteurs qui contestent aujourd’hui l’approche européenne du Gouvernement et de l’ensemble de la Communauté sont ceux-là-mêmes qui critiquent en même temps les passe-droits acquis au fil du temps par la Grande-Bretagne et d’autres pays.

Quel sens voulons-nous donner au projet européen ? Quel sens ce dernier pourrait-il avoir sans l’appui d’un budget ambitieux ?

Il y a quelque chose de rageant quand l’échec des négociations au Conseil se résume à un différend portant seulement sur 30 milliards d’euros que le Royaume-Uni voudrait à tout prix retirer de l’enveloppe proposée pour le budget de l’Union pour la période 2014-2020 ! Je dis « seulement », car ces 30 milliards d’euros ne correspondent qu’à 0,04 % du produit intérieur brut de l’Union européenne sur la période considérée.

Il y a quelque chose de rageant aussi quand on voit que l’Allemagne ainsi que la France – je dois le dire ! – souhaitent que l’enveloppe en question n’excède pas 960 milliards d’euros, soit 13 milliards de moins que la proposition avancée par M. Herman Van Rompuy, elle-même inférieure de 75 milliards à la proposition de la Commission européenne, alors que nous discutions, voilà quelques semaines, pour savoir si des programmes aussi capitaux qu’Erasmus ne risquaient pas de se retrouver en faillite !

M. Jean Arthuis, rapporteur spécial. Mais non !

M. André Gattolin. Nous avions une belle unanimité pour nous insurger et nous questionner à ce sujet !

Il y a quelque chose de rageant toujours quand Angela Merkel refuse que la taxe sur les transactions financières permette d’abonder directement le budget communautaire et s’oppose aux demandes des pays européens les plus en difficulté, alors qu’on croyait l’Allemagne favorable à une Europe politique renforcée, alors qu’on croyait que la politique visait précisément à assurer, sinon à instaurer, une cohésion sociale digne de ce nom.

Il y a quelque chose de rageant enfin, quand on nous demande de sacrifier les investissements dans la transition énergétique, la recherche et l’innovation pour préserver la seule politique agricole commune, que l’on tarde en même temps à réformer. Pour résumer à l’extrême, nous aurions le choix d’assurer notre alimentation immédiate ou d’assurer l’avenir de notre alimentation... Quel dilemme !

Devant l’importance de ces défis, nous devons à mon avis nous fixer quelques principes simples.

D’abord, la France doit évidemment se conformer à ses obligations, en particulier s’agissant de la contribution qu’elle doit verser au pot commun.

Ensuite, la France doit faire du budget européen le pendant des missions prioritaires qu’elle se fixe à l’échelle nationale. Il serait insensé, par exemple, que l’éducation soit une mission prioritaire dans l’Hexagone, mais pas au niveau européen, ne serait-ce que parce que des programmes comme Erasmus doivent être préservés et étendus à de nouvelles catégories de la population. C’est d’ailleurs le vœu qu’a exprimé à plusieurs reprises le Premier ministre.

Cela veut dire que le Gouvernement devra a minima refuser tout compromis qui aboutirait pour la période 2014-2020 à un budget inférieur au budget prévu pour l’exercice 2013.

Je sais que le Gouvernement travaille déjà sur un certain nombre de pistes en matière de renforcement. C’est la question capitale des ressources propres qui sont fondées sur des recettes à la fois nouvelles et dynamiques pour abonder directement le budget de l’Union européenne. Il y a la taxe sur les transactions financières, bien sûr, mais aussi la fiscalité écologique, l’idée d’une fiscalité plancher au niveau européen sur les entreprises ou encore une taxe sur le trafic portuaire de marchandises.

Dans la recherche d’un difficile équilibre entre attribution de moyens suffisants à l’Union et consolidation des finances publiques, cette politique européenne pourrait bien, à terme, conduire à augmenter le budget européen tout en diminuant les contributions nationales.

L’idée de demander au budget de l’Union européenne, qui est de toute façon en équilibre, de procéder à une politique de rigueur équivalente à celle qui est menée au niveau national et dans nos collectivités territoriales est quelque chose d’aberrant. D’où viendront la relance économique et la dynamique européenne ?

En tout cas, si nous parvenions à augmenter le budget européen tout en diminuant les contributions nationales, ce serait une avancée bienvenue vers une nouvelle façon de penser les relations entre gouvernements et institutions communautaires. Il y a, en la matière, une véritable urgence ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Bernard-Reymond.

M. Pierre Bernard-Reymond. Monsieur le ministre, imaginez !

Imaginez que le budget européen soit alimenté au moins à 60 % par des ressources propres, comme ce fut le cas par le passé.

Imaginez que l’on ait décidé que les recettes du budget européen seraient essentiellement constituées par le produit de taxes européennes créées ou transférées en partie à cet échelon : la taxe sur les transactions financières certes, mais aussi une partie de la TVA – d’une vraie TVA ! –, des taxes sur le tabac, sur les alcools, une partie du produit des enchères de quota d’émission de CO2, une taxe sur l’énergie, une taxe sur les jeux en ligne, une taxe sur le commerce des armes, par exemple.

Imaginez que les chefs d’État et de gouvernement aient compris qu’il est erroné, s’agissant du budget, de raisonner de la même façon aux niveaux européen et national. Imaginez que chaque nation endettée songe prioritairement à réduire sa dette, mais que l’Europe, qui ne l’est pas, puisse et doive donner la priorité à une vraie politique de relance et de croissance.

Imaginez que les chefs d’État et de gouvernement aient compris qu’en acceptant de transférer ou de créer une série de taxes au niveau européen ils acquerraient des marges de manœuvre supplémentaires pour lutter contre leurs dettes souveraines, puisque leurs cotisations au budget européen en seraient diminuées d’autant.

Imaginez que les chefs d’État et de gouvernement ayant compris tout le parti que l’on pouvait tirer d’un budget à ressources propres aient décidé de doubler le budget européen d’ici à 2020, passant de 1 % – à vrai dire 1,3 % si l’on rebudgétise toutes les dépenses – à 2 % du RNB quand l’étage fédéral aux États-Unis est à 23 %.

Imaginez que l’Europe soit désormais autorisée à emprunter dès lors qu’elle s’appliquerait à elle-même les règles du TSCG.

Imaginez, monsieur le ministre, que l’Europe cesse d’être un club de cotisants passant son temps à vouloir diminuer les contributions, à ne raisonner que selon la théorie du « juste retour » et à se disputer sur des montants de rabais.

Imaginez que les peuples d’Europe comprennent tout à coup que, face à la mondialisation, c’est en étant plus européens qu’ils pourront rester souverains.

M. Jean Arthuis, rapporteur spécial, et M. Jean Bizet. Très bien !

M. Pierre Bernard-Reymond. Imaginez, monsieur le ministre ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur de nombreuses travées du groupe socialiste et sur les travées du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet.

M. Éric Bocquet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je dois l’avouer, ce débat sur la participation de la France au budget de l’Union européenne prend ces jours-ci un relief assez particulier.

Il intervient quasiment au terme de la discussion d’un projet de loi de finances qui vise notamment à consacrer la progression de la participation de notre pays, première étape d’une hausse qui ira de pair, soulignons-le, avec une réduction du prélèvement sur recettes effectué en direction des collectivités locales.

Il est évident que cette progression de la contribution française va au-delà de la simple prise en compte de l’apparition prochaine d’un vingt-huitième invité à la table européenne, à savoir nos amis de la République de Croatie. La part de la population de ce pays et celle de son PIB ne représentent respectivement, dans le cadre de l’Union européenne, qu’à peine 0,8 % et 0,7 %, soit bien moins que la progression de notre contribution.

Clairement, il existe donc d’autres raisons pour lesquelles la contribution de la France est amenée à croître, quand bien même l’adhésion de la République de Croatie, au demeurant actuellement gouvernée par une alliance de centre gauche, devrait se traduire pour ce pays par un versement d’aides communautaires supérieur à son propre apport au budget.

Le problème est que la nécessaire mise à plat du mode de financement de l’Union européenne, même si nous ne doutons pas de la volonté du Gouvernement de peser dans un certain sens en la matière, se déroule dans le cadre d’une négociation intergouvernementale où tout se passe plutôt mal. De fait, on aurait pu croire que, dans le contexte de crise économique et sociale aggravée que connaît l’Europe depuis 2008 – la situation antérieure n’était, à la vérité, guère meilleure –, la solidarité entre les États prendrait le pas sur toute autre considération. Ce n’est pas tout à fait le cas, chacun ici en conviendra aisément.

M. Cameron, Premier ministre britannique, veut absolument garder son « chèque », jadis négocié par Margaret Thatcher et qui permet au Royaume-Uni de ne pas payer ce qu’il devrait payer. Mme Merkel souhaite que le budget connaisse une inflexion à la baisse plus marquée, et en profite pour s’attaquer à certaines dépenses d’action sociale et caritative, notamment, nous l’avons vu, aux aides alimentaires. Quelques-uns des pays du Sud, ces éternels dépensiers aux yeux de certains de nos partenaires européens peu charitables, se battent pour maintenir à peu près à flot une politique agricole commune dont leurs agricultures ont le plus grand besoin.

Au cœur de la crise, donc, et alors même que semblent s’accumuler les nuages les plus sombres sur le devenir des économies européennes, que le concours d’austérité qui s’est déclenché de Gibraltar à la Carélie et du Donegal au Dodécanèse fait de l’Union européenne un objet de risée ou d’inquiétude, ou des deux à la fois, pour les autres économies du monde, prime une fois encore le chacun pour soi, très loin de l’indispensable solidarité qui devrait prévaloir en son sein, mais très près, à l’inverse, des principes de concurrence libre et non faussée inscrits au cœur même de ses traités.

Concours d’austérité, disais-je. Hélas ! car aucun signe ne semble pouvoir soustraire le moindre pays de l’Union à cette logique mortifère appliquée aux objectifs généreux et généraux de la construction européenne.

Aujourd’hui, quel que soit le pays considéré, les recettes appliquées sont un peu trop souvent les mêmes : hausse de la fiscalité indirecte, réduction des dépenses publiques, baisse des prestations sociales, mise en cause des salaires et des éléments de rémunération des agents du service public, privatisation des entreprises publiques dans certains cas. Toute la palette des politiques d’austérité se dévoile et se déploie, sans le moindre résultat concret.

L’euro, la monnaie sur laquelle beaucoup fondaient quelques espoirs, est en difficulté, perdant des points face au dollar ou au franc suisse, devenant l’objet d’une spéculation souvent menée à partir des plateformes boursières situées sur le territoire même de l’Union, comme celles de Londres ou de Luxembourg. Il est temps de changer d’ère en Europe !

Plus que d’un budget européen, les peuples de l’Union ont désormais besoin d’un projet facilitant la pleine expression des compétences et des potentiels de chaque pays et permettant des avancées sociales, économiques et environnementales, l’harmonisation fiscale serait également la bienvenue, le Vieux continent en a besoin.

Nous ne voterons pas l’article de prélèvement européen en l’état, les attendus de la politique menée par la Commission européenne et les lobbies bruxellois ne répondant aucunement aux attentes des peuples européens. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)