M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Natacha Bouchart.

Mme Natacha Bouchart. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, aujourd’hui, c’est à la fois l’élue de la Haute Assemblée et le maire de l’une des communes les plus pauvres de France, Calais, qui s’adresse à vous.

Vous le savez, la politique de la ville comprend l’ensemble des actions visant à lutter contre les phénomènes d’exclusion des populations urbaines défavorisées. Elle s’intéresse donc aux quartiers en crise.

Depuis ses prémices, dans les années soixante-dix, jusqu’aux émeutes urbaines du mois de novembre 2005, la politique de la ville est restée une « politique incertaine », quant à l’objet qu’elle se donne, à ses perspectives, à son statut dans l’action publique.

Le rappel de son histoire fait apparaître une série d’oscillations : du quartier à l’agglomération, d’un État animateur, voire autoritaire, à l’effacement de l’État au profit des maires, d’une politique d’exception à une politique à visée d’abord pédagogique, du développement autocentré du quartier à sa remise au niveau de la norme environnante.

Pour nous, la politique de la ville est d’abord une politique contractuelle, une politique globale embrassant tous les aspects de la vie quotidienne et une politique interministérielle.

Elle doit avoir pour objectif la prise en compte des territoires en difficulté au sein des villes : une politique publique adaptée doit par conséquent être conduite.

Elle repose sur trois principes fondamentaux : la mobilisation de l’ensemble des compétences et des acteurs à l’œuvre sur un territoire, la contractualisation entre ces acteurs et, pour l’État, une démarche interministérielle.

Ces principes ont été maintenus lorsque le périmètre d’action a été étendu du quartier à la ville pour permettre de mieux résoudre des dysfonctionnements structurels. Par exemple, la desserte des quartiers par les transports ne peut se traiter que dans le cadre d’un plan général de transport.

Le champ d’application de la politique de la ville concerne quatre domaines majeurs : la rénovation urbaine, la sécurité et la prévention de la délinquance, le développement social et culturel des quartiers, le développement de l’emploi et la revitalisation économique de ces mêmes quartiers.

C’est en 2003, sous la présidence de Jacques Chirac, que la loi d’orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine fut votée. Pour la première fois, l’objectif de « réduire les inégalités sociales et les écarts de développement entre les territoires » était explicitement assigné à la politique de la ville.

Les écarts concernent à la fois la population et le territoire en tant que tel, l’urbain – avec les problématiques de l’enclavement, de la fonction des territoires, du logement, des formes urbaines, des dessertes... –, l’économique – je pense à l’emploi, à la qualité de l’offre commerciale, à l’intégration de fonctions économiques dans le tissu urbain, à l’existence de flux – et le social – dans ses dimensions insertion, formation et réussite scolaire.

La loi précitée avait pour objet de réduire les inégalités sociales et les écarts de développement entre les territoires dans les zones urbaines sensibles, les ZUS, notamment avec la création d’un observatoire national de ces ZUS.

Elle a permis la mise en place du programme national de rénovation urbaine, dit « plan Borloo », visant à la construction de 200 000 logements locatifs sociaux, à la réhabilitation de 200 000 autres logements et à la démolition de 200 000 logements vétustes sur la période 2004-2008.

À Calais, pour le quartier du Beau-Marais, la mise en œuvre du plan a correspondu à la construction de 657 logements, dont 308 sur le quartier et 349 hors site, de manière à le « dédensifier ». Nous avons également réhabilité 180 logements, puis « résidentialisé » 593 autres, pour un coût total de 143,8 millions d’euros, dont 7,8 millions d’euros pour le seul budget de la ville.

C’est aussi grâce à cette même loi que l’Agence nationale pour la rénovation urbaine a pu voir le jour.

Plus récemment, en 2008, nous avons soutenu le « plan banlieues » voulu par le Président de la République de l’époque, Nicolas Sarkozy, et intitulé « Une nouvelle politique en faveur des banlieues ».

La précédente majorité avait voulu faire de nos territoires en difficulté le lieu d’une dynamique collective qui mobilise l’ensemble des acteurs impliqués. Cela concernait l’État, bien sûr, avec le retour du droit commun, dans le cadre d’un programme triennal porté par chacun des ministères, mais également les collectivités locales, dans le cadre d’un partenariat responsable et ambitieux, et le monde économique, parce que l’émancipation et l’intégration passent par un emploi et parce que le retour de la croissance dépendra aussi des habitants des quartiers, qui regorgent de talents.

Par conséquent, cette dynamique rompait avec la logique curative des plans précédents. En effet, nos quartiers ne sont pas malades ! En outre, cette nouvelle politique de la ville n’énonçait pas un catalogue de mesures ; c’était une politique sur mesure, répondant aux exigences et aux besoins des habitants des quartiers. Enfin, elle se fondait sur une démarche d’évaluation et sur une culture du résultat.

À cette fin, l’Observatoire national des zones urbaines sensibles, que nous avions voulu indépendant, produit chaque année un rapport sur la situation des quartiers populaires, sur laquelle il apporte un éclairage sans concession.

Pour pouvoir mettre en œuvre efficacement cette politique de la ville rénovée, nous avons modifié la gouvernance. À présent, celle-ci s’articule, à l’échelon national, autour d’une instance de consultation, le Conseil national des villes, d’une instance de décision, le comité interministériel des villes, et d’une instance de préparation et d’exécution, le secrétariat général du comité interministériel des villes.

Cette réforme a permis d’améliorer la visibilité pour les décideurs et l’efficacité des interventions.

La politique de la ville agit aujourd’hui tant sur le développement urbain, grâce à la rénovation urbaine et au désenclavement, que sur le facteur humain, grâce à l’accompagnement social de tous les habitants, notamment les plus modestes d’entre eux.

Son volet le plus visible reste, bien entendu, celui de la rénovation urbaine : aujourd’hui, le beau et le vert ne sont plus l’apanage des quartiers aisés. L’ensemble du programme de rénovation urbaine est ainsi salué non seulement par les élus de tous bords, mais aussi, et surtout, par les habitants qui retrouvent considération et dignité lors de la transformation de leur quartier.

Pour que le volet urbain de la politique de la ville soit complet, il faut également articuler la rénovation urbaine avec le désenclavement. Les zones urbaines en difficulté sont trop souvent excentrées, enclavées, coupées des bassins de vie et d’emploi, fait qui isole durablement les habitants des quartiers populaires.

La réduction de cette fracture territoriale est la condition de l’efficacité des autres actions de la politique de la ville. Grâce à une meilleure desserte des territoires par des transports en commun de qualité, les habitants peuvent accéder plus simplement à l’ensemble de la ville, aux emplois, aux équipements publics et privés, aux activités, mais aussi aux services.

Le désenclavement, qui permet de relier ces quartiers aux autres agglomérations, concourt à la lutte contre le chômage, laquelle doit être au centre de nos préoccupations. La situation de l’emploi est particulièrement difficile, vous le savez. Des écarts énormes existent entre les zones urbaines sensibles et le reste du territoire. Le taux de chômage y est deux fois et demie supérieur : il s’y établit à 22,7 % contre 9,4 % dans les zones hors ZUS des villes qui comprennent une telle zone. Le taux de chômage des jeunes âgés de quinze à vingt-quatre ans atteint 40,4 % en ZUS, contre 21,6 % sur le reste du territoire.

L’éducation doit donc être au cœur de notre démarche, avec la promotion de l’égalité dans l’accès aux filières d’excellence, l’aide aux enfants en difficulté, ainsi que le renforcement de la sécurité dans les écoles des quartiers populaires.

À Calais, par exemple, nous avons mis en place, une politique d’éducation par le sport, alliée à la construction d’équipements spécifiques dédiés : le gymnase Gauguin-Matisse, l’espace Marinot, ou encore Zap’Ados. Cette politique consiste à attirer les jeunes en difficultés vers la pratique sportive, vecteur de règles et de valeurs structurantes. Il faut également citer l’action « lecture pour tous », dont la mise en place et la réussite furent saluées récemment par la presse nationale.

Sous l’impulsion de Nicolas Sarkozy, l’accès aux filières d’excellence s’est développé…

M. François Lamy, ministre délégué. C’était si bien avant !

Mme Natacha Bouchart. Pour la première fois, les classes préparatoires aux grandes écoles accueillent 30 % de boursiers. En effet, l’accentuation de nos efforts en faveur de la mixité sociale passe par l’émergence d’une élite issue des quartiers populaires.

Mais l’emploi et l’éducation ne peuvent être envisagés sans l’ordre public. Seul l’ordre républicain peut permettre l’émancipation sociale et économique des citoyens. Aussi devons-nous mener un combat de tous les jours pour faire reculer la violence dans les quartiers. Aucune politique ne peut être développée ni mise en œuvre sereinement dans un contexte local perturbé.

Le Gouvernement doit donc renforcer son action, d’autant plus que les territoires concernés par la politique de la ville ont particulièrement souffert de la crise. Leurs habitants ne doivent pas être laissés sur le bord de la route qui nous mène à la reprise économique.

Au-delà des réflexions sur les dispositifs, la politique de la ville a besoin de réformes structurantes profondes, afin d’accélérer la réduction des écarts territoriaux, donc des inégalités sociales. Je pense, bien entendu, à la réforme de la géographie prioritaire, à celle de la péréquation et à une nouvelle contractualisation.

Monsieur le ministre, l’expérience nous apprend qu’une politique trop générale dilue tout et ne résout rien. En revanche, plus on concentre les moyens sur les territoires en difficulté, plus les politiques sont efficaces. Je souhaiterais donc que votre gouvernement puisse cibler certains quartiers de façon objective : ceux dans lesquels les revenus des habitants sont les plus faibles, les taux d’emploi sont les plus bas, la proportion des jeunes est importante, la part de logements sociaux témoigne de l’absence de mixité sociale.

La réforme de la politique de la ville doit permettre de répondre à la situation de certains quartiers qui, aujourd’hui, faute d’être classés en zone urbaine sensible, ne bénéficient pas de tous les dispositifs d’accompagnement de l’État.

Si la solidarité accrue de l’État a été d’une grande aide pour certaines communes en difficulté, comme la mienne, elle n’a, en quelque sorte, réglé qu’en amont le problème des villes pauvres, en rapprochant leurs ressources du niveau de ressources moyen des communes. La réforme n’a pas été suffisante pour prendre en charge une part significative des dépenses exceptionnelles auxquelles ces collectivités doivent faire face. Dans bien des cas, les crédits spécifiques de la politique de la ville ont dû également contribuer à la remise à niveau des situations locales difficiles, avant de financer les besoins en équipements et services des populations concernées.

Je peux vous en donner quelques exemples : quand j’ai repris la gestion de la ville de Calais, abandonnée pendant trente-sept ans, j’ai dû investir chaque année environ 2 millions d’euros dans la seule réhabilitation des écoles et 1,5 million d’euros en moyenne dans celle des routes, des trottoirs. Je ne parle même pas de la vétusté de l’éclairage public, dont la seule remise aux normes m’obligerait à dépenser, si j’en avais les moyens, 19 millions d’euros.

Compte tenu de l’ampleur de la tâche, je réalise chaque année des investissements, touche par touche, afin de remettre tous les équipements à niveau au fur et à mesure. Bien entendu, je dois également appliquer mon programme d’investissements nouveaux, tout en faisant face à une dette de 100 millions d’euros. C’est pourquoi, je suis particulièrement soulagée quand je reçois une aide de 8 millions d’euros au titre de la dotation de solidarité urbaine, la DSU, ou encore une aide supplémentaire de 1 million d’euros au titre de la dotation de développement urbain, la DDU, ce qui donne une petite bouffée d’oxygène à mes finances et à mon programme.

Comme dans bien d’autres domaines, ce constat relatif à l’adéquation des ressources aux charges laisse à penser que l’on demande à la politique de la ville de régler des problèmes de portée générale avec des moyens inadaptés. En effet, le vrai clivage réside d’abord dans la distorsion entre villes riches et villes pauvres. Le chemin qui doit être parcouru pour réduire les inégalités territoriales et sociales est encore long. En l’espèce, le courage politique ne suffira pas, monsieur le ministre : c’est ensemble, au-delà des clivages politiques, que nous réussirons. Afin de faire un bout de ce chemin, je me porte volontaire pour participer, avec mes autres collègues qui sont intervenus aujourd’hui, à d’autres réunions de travail en commun, car il y va de la cohésion républicaine, qui constitue le socle de notre démocratie ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE et sur celles du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Étienne Antoinette.

M. Jean-Étienne Antoinette. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en 2006, j’ai suivi de près dans ma commune la préparation du contrat urbain de cohésion sociale, ou CUCS, et du projet de rénovation urbaine, ou PRU. À l’époque, ces dispositifs étaient déjà censés réformer tant la géographie prioritaire que le ciblage des thématiques d’intervention et les modalités d’implication des différents partenaires de la politique de la ville.

Le principe d’une « géographie emboîtée » y était esquissé, notamment pour la définition des projets de rénovation urbaine, de même qu’était clairement affirmée la hiérarchisation nécessaire des quartiers selon le niveau de leurs difficultés, ce dernier étant évalué à l’aide d’un certain nombre d’indicateurs objectifs et chiffrés. Toutes les questions étaient déjà posées : la gouvernance et le pilotage, le partenariat et la cohérence entre les différents dispositifs contractuels, la planification des politiques territoriales, la mobilisation du droit commun, ou encore la synergie entre le volet social – les CUCS – et le volet urbain – les PRU – de la politique de la ville !

S’agit-il donc aujourd’hui de « réformer » ou de « réaffirmer » les principes structurants qui ont été inopérants ou insuffisamment appliqués jusqu’à ce jour ?

Je souhaiterais plutôt m’arrêter sur les réelles innovations que comportent les orientations soumises aujourd’hui à débat. En particulier, j’aimerais que le Gouvernement développe davantage et concrètement ce qu’il entend par « un cadre national souple qui permette à la fois l’adaptabilité et l’expérimentation au niveau territorial ». S’agit-il d’envisager l’expérimentation en rapport avec l’initiative locale des professionnels pour aborder les problématiques de leur terrain, de leur territoire ? N’assistons-nous pas à un essoufflement dans ce domaine, à force de zonage et de cadrage de la politique de la ville durant ces dernières années ?

Je souscrirais volontiers à cette orientation si, de façon effective, on cessait de ne prendre en compte que ce qui entre dans les grilles et les nomenclatures des projets « finançables » par l’ACSÉ ou l’Agence nationale pour la rénovation urbaine, l’ANRU ! À quoi bon invoquer la territorialisation si les projets sont partout les mêmes et les crédits orientés de façon quasi systématique sur des dispositifs nationaux modélisés qui définissent tout par avance : priorités, publics cibles, modalités d’intervention !

Aujourd’hui, il s’agit de perfectionner l’architecture et le pilotage de la politique de la ville. Mais après, pour l’action au quotidien sur le terrain, que changerons-nous ?

Dans ce cadre d’application, au-delà des contraintes budgétaires qui obligent à prioriser tant les zones que les thématiques ou les niveaux de financement en fonction de critères toujours délicats à établir, j’aimerais attirer votre attention, monsieur le ministre, mes chers collègues, sur un problème de fond qui n’est pas encore suffisamment posé : la reconnaissance, à l’échelon national, de « l’intelligence locale » des situations à traiter.

Ainsi, pour les départements d’outre-mer, du fait de son caractère expérimental et de son droit particulier, dérogatoire au droit commun, la politique de la ville fut un véritable levier de développement local. Elle était, en effet, l’une des seules politiques publiques qui déployait un effort d’adaptation au terrain, inhérent à sa définition même et à ses modalités d’intervention.

En quoi les outre-mer, avec leurs problématiques exacerbées de « mal-développement », de retard infrastructurel, de chômage endémique, d’immigration clandestine et d’échec scolaire auront-ils la garantie de cette adaptabilité dont ils ont particulièrement besoin ?

En guise d’illustration, le PRU permet à la ville de Kourou, dont je suis le maire, de reconquérir un centre-ville ancien délabré, enjeu essentiel de dynamique urbaine non seulement pour le quartier, mais pour l’ensemble du territoire de la ville. Toutefois, quelle lutte n’a-t-il pas fallu mener pour que les décideurs nationaux parviennent à comprendre la stratégie locale d’implantation de certains équipements, ou l’intérêt de certains projets !

C’est là que du temps se perd, que des énergies s’épuisent et, surtout, que les projets qui justifient toute la redynamisation d’un quartier ne sont en définitive pas retenus malgré leur portée également territoriale. Finissons-en enfin avec ce hiatus entre les normes nationales de l’intervention et la réalité du terrain !

Tel est, de façon concrète, le sens de mon intervention et de mon interrogation, monsieur le ministre : quelle place sera accordée à « l’intelligence locale » dans les nouveaux contrats ?

Cette incertitude m’amène à reposer tout simplement ma première question : qu’entend le Gouvernement, qu’entendez-vous, vous-même, monsieur le ministre, par « un cadre national souple qui permette à la fois l’adaptabilité et l’expérimentation au niveau territorial », afin de concilier le territoire, l’urbain et l’humain, éléments fondamentaux de la réflexion d’Oscar Niemeyer qui nous a quittés hier ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Christiane Demontès.

Mme Christiane Demontès. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, « plus de 8 millions de nos concitoyens habitant les quartiers relevant de la politique de la ville sont confrontés au quotidien et dans tous les domaines à des inégalités persistantes que les politiques conduites depuis dix ans n’ont pas permis de réduire » : tels sont les mots d’introduction de la feuille de route du Gouvernement. Ils s’inscrivent dans une logique de rupture avec la décennie passée. Le rapport publié par la Cour des comptes en juillet dernier a constaté la baisse constante des crédits depuis 2007. Le projet de loi de finances pour 2013, dont le Sénat n’a malheureusement pas pu examiner la partie « dépenses », stabilise les crédits alloués à la politique de la ville. Dans le contexte actuel, cela confirme la mobilisation du Gouvernement en faveur des 15 % de nos concitoyens qui vivent dans les territoires concernés.

Je voudrais revenir sur le rapport de l’ONZUS de 2012, qui insiste sur le fait que, dans ces territoires, tout s’aggrave encore plus vite qu’ailleurs : le taux de chômage est au moins le double de la moyenne nationale, il est même proche de 50 % pour les jeunes de certains quartiers relevant de la politique de la ville ; les personnes vivant dans les ZUS sont trois fois plus nombreuses que les autres à se dire victimes de discriminations ; un habitant sur trois vit sous le seuil de pauvreté ; un habitant sur quatre renonce à des soins pour raisons financières.

À ce propos, en tant que maire d’une commune de la banlieue lyonnaise, j’ai fait réaliser un diagnostic par l’Observatoire régional de santé, qui révèle des situations effroyables. En particulier, le taux de mortalité chez les hommes âgés de 40 à 50 ans est bien plus élevé que les moyennes départementale et nationale.

Dans le cadre de la réflexion sur la réforme de la politique de la ville, vous avez lancé, monsieur le ministre, en accord avec le Premier ministre, une grande concertation, qui réunit plusieurs centaines d’acteurs. Vous avez mis en place des groupes de travail sur la nouvelle géographie prioritaire, les contrats territoriaux et leur pilotage, les projets de territoire et les priorités thématiques. Ces groupes rendront compte de leurs travaux dans les prochaines semaines. Vous avez par ailleurs adressé un questionnaire aux maires concernés.

Vous avez déjà évoqué, monsieur le ministre, les nouvelles orientations qui pourraient guider une nouvelle politique de la ville abordant des sujets extrêmement importants, tels que la solidarité financière à travers un certain nombre de dispositifs – à cet égard, je salue à mon tour la décision d’augmenter la dotation de solidarité urbaine et la dotation de développement urbain –, le recentrage des aides avec une réactualisation des critères et des indicateurs, ainsi qu’une redéfinition des territoires, pour permettre une concentration des crédits spécifiques de la politique de la ville sur les quartiers et les populations les plus en difficulté.

Vous avez également parlé de la territorialisation des politiques publiques, avec la mise en place de contrats uniques liant les deux problématiques de la rénovation urbaine et de la cohésion sociale, ainsi que la démocratie participative. Je voudrais insister sur ce dernier point, car, nous le savons bien, la politique de la ville est plus efficace lorsque les habitants des quartiers y sont associés dès le début de la réflexion. Je souligne que des expériences conduites sur un certain nombre de territoires ont porté leurs fruits. Il ne s’agit donc pas ici d’inventer la démocratie participative, car elle existe déjà.

Vous avez enfin insisté, monsieur le ministre, sur le retour au droit commun. C’est à ce sujet que je souhaite consacrer la suite de mon intervention.

Claude Dilain a fait l’historique de la politique de la ville depuis les années quatre-vingt, en énumérant une série de sigles. Je me souviens particulièrement du développement social des quartiers à cette époque. Bon nombre de projets ont vu le jour, renforçant ou créant de nouveaux dispositifs en matière d’insertion, d’animation sociale, d’entretien des espaces extérieurs, de sécurité et de prévention de la délinquance, de prévention sanitaire et d’éducation à la santé. Ils ont été financés, dans les territoires, grâce à des crédits spécifiques. Leur pérennisation a pu être envisagée parce que ces actions, nous le mesurions au quotidien, produisaient des effets positifs.

Malheureusement, dans le même temps, les crédits de droit commun dans les domaines de l’éducation, de la solidarité, de la sécurité, de l’emploi n’ont pas été mobilisés pour répondre à ce besoin de pérennisation. Qui pis est, monsieur le ministre, le droit commun a parfois régressé dans ces territoires. Dans ma ville, par exemple, la scolarisation des enfants de moins de 3 ans a reculé, sous le prétexte parfois invoqué par les plus hautes autorités que les parents ne travaillent pas dans ces quartiers. C’est un comble !

Aujourd’hui, le constat est sévère. Comme vous l’avez souligné, monsieur le ministre, l’échec du droit commun a laissé les quartiers populaires de côté, la seule politique de la ville devant remédier à des difficultés qui n’ont cessé d’augmenter.

Monsieur le ministre, vous avez indiqué que la politique de la ville devait redevenir un levier pour remobiliser les grands ministères et les agences de l’État. Pouvez-vous nous préciser, dans le cadre de ce débat, comment vous envisagez de mobiliser les ministères chargés de l’éducation nationale, de la santé, de l’emploi, de l’économie, de la sécurité pour que soit assurée l’égalité républicaine dans les territoires en difficulté, au bénéfice de leurs habitants, qui, aujourd’hui, se sentent encore abandonnés ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Jean Germain.

M. Jean Germain. Monsieur le ministre, conduire la politique de la ville, quelle mission enthousiasmante ! C’est une politique essentielle, mais on ne peut pas tout lui demander, à l’heure où l’exclusion s’étend dans notre pays. Je vais vous donner mon sentiment sur cette question, en tant que sénateur, mais aussi en tant que maire et président d’une communauté d’agglomération de 300 000 habitants. Un tel sujet ne doit pas se discuter uniquement dans quelques arrondissements parisiens.

J’ai lu moi aussi le rapport de la Cour des comptes, mais, sur le terrain, on voit qu’il y a eu des résultats. Où en serait-on s’il n’y avait pas eu la politique de la ville ? Il faut aussi se poser cette question !

M. Jean Germain. On ne peut pas avoir une vision purement comptable des choses.

Dans beaucoup de communes et d’agglomérations, la politique de la ville fait l’objet d’évaluations régulières. Les habitants des quartiers concernés sont interrogés. Il faut tenir compte de ce qu’ils disent et pensent. La stigmatisation est d'ailleurs beaucoup plus le fait de ceux qui n’habitent pas dans ces quartiers.

MM. Claude Dilain et Jean-Pierre Plancade. Tout à fait !

M. Jean Germain. En effet, au sein des quartiers populaires, on constate bien souvent un esprit de communauté.

Il convient d’aborder cette question d’une façon pragmatique. Je souscris à 90 % des propos qu’a tenus tout à l’heure notre collègue Valérie Létard. Que l’on soit dans la majorité ou dans l’opposition, quand il pleut, il faut le reconnaître, et ne pas prétendre qu’il fait soleil !

Je voudrais intervenir sur trois points particuliers.

En premier lieu, dans l’élaboration de la politique de la ville, il ne faut pas oublier les agglomérations. Il convient, selon moi, de distinguer le cas très particulier de la région d’Île-de-France. La communauté de destin et de dessein y est beaucoup moins forte qu’ailleurs, mais les problèmes y sont aussi plus graves. À Tours, la communauté d’agglomération, qui regroupe dix-neuf communes de sensibilités différentes, gère la politique de la ville. Il faut tenir compte de cette disparité entre l’Île-de-France et le reste du pays dans la politique de la ville.

Si la commune est bien l’échelon de mise en œuvre des actions, ces dernières doivent être définies avec l’État dans le cadre de l’agglomération. Cela va d'ailleurs dans le sens des travaux que vous menez actuellement, monsieur le ministre, et dont nous avons été unanimes à souligner la nécessité.

Dans ce domaine aussi, je suis un fervent défenseur de la décentralisation. Il y a eu parfois la tentation de substituer les préfets ou les sous-préfets aux maires pour conduire la politique de la ville. Je me permettrai simplement de rappeler cette belle phrase prononcée par François Mitterrand en 1982 : « La France a eu besoin d’un pouvoir fort et centralisé pour se faire, elle a aujourd’hui besoin d’un pouvoir décentralisé pour ne pas se défaire. » Cette citation me semble toujours pertinente aujourd’hui. Il faut tenir compte de la réalité des territoires.

En deuxième lieu, la mixité est une dimension essentielle. Il faut que des quartiers relevant de la politique de la ville réussissent. Sur ce point, les villes ne sont pas toutes logées à la même enseigne. Certaines villes de banlieue, notamment en région parisienne, sont quasiment des villes-quartiers. Dans d’autres agglomérations, les choses peuvent plus facilement évoluer. Il faut faire vivre ensemble les gens, tout en tenant compte des réalités : certaines familles sont contentes de quitter un quartier parce que c’est pour elles le signe d’une réussite. (M. Jean-Pierre Plancade approuve.)

Comment concilier ce phénomène avec notre volonté d’améliorer la situation dans les quartiers en difficulté ? Il importe, à mon sens, que l’offre de logement ne s’y limite pas au secteur locatif social : il faut promouvoir l’accession très sociale à la propriété,…