M. Claude Dilain. Nous sommes d’accord !

M. Jean Germain. … afin que des personnes de diverses conditions sociales et de tous âges choisissent de rester dans ces quartiers et soient heureuses d’y vivre. Je pense que nous aurons l’occasion de revenir sur ce sujet lors du débat sur les taux de TVA : il faudra alors veiller à ce que le logement social échappe à une augmentation forte.

M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques, MM. Claude Dilain et Jean-Pierre Plancade. Très bien !

M. Jean Germain. Enfin, l’égalité des chances, qui n’est pas l’égalitarisme, est un élément important. Tout jeune des quartiers a droit à sa chance de faire son chemin, notamment grâce à l’école et au collège, qui doivent véritablement faire vivre la mixité.

Je tenais à affirmer aujourd’hui que, sur ce sujet essentiel, les pistes de réflexion sont multiples ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. René Vandierendonck.

M. René Vandierendonck. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en écoutant Claude Dilain, grande figure de la politique de la ville s’il en est, je ne pouvais m’empêcher de penser au Saint Sébastien du Pérugin que j’ai vu mardi dernier dans la Galerie du temps, au Louvre-Lens, aux côtés d’anciens mineurs qui me disaient : « On ne pensait pas que c’était pour nous ! »

M. Claude Dilain. C’est vrai !

M. René Vandierendonck. Le Président de la République François Hollande a eu la pudeur de ne pas revendiquer les 6 millions d’euros que l’État a investis dans ce projet. L’Union européenne, de son côté, a participé à hauteur de 30 millions d’euros. Devant cette grande aventure qui débutait, la région Nord-Pas-de-Calais, la plus pauvre de France, s’est demandé comment faire face aux charges de fonctionnement. Vous avez évoqué une mobilisation du droit commun, monsieur le ministre : le dossier est remonté jusqu’au Premier ministre, mais quelles marges vos collègues vont-ils vous concéder, dans le contexte budgétaire très contraint que nous connaissons ? Ne pourrait-on pas imaginer que les visiteurs du Louvre de Paris paient leur entrée un euro de plus afin d’aider la région la plus pauvre de France à promouvoir la culture sur son territoire ? La culture, ce n’est pas un luxe ; c’est ce qui forge l’identité et la citoyenneté. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. René Vandierendonck. Voilà un exemple de mise en œuvre de ce que l’on appelle le droit commun !

Mes chers collègues, citez-moi un seul maire ou président d’agglomération qui dénigre l’ANRU ! Il n’y en a pas : tout le monde veut bénéficier du programme de l’ANRU ! Monsieur le ministre, il vous appartient de trouver les 6 milliards d’euros de financement qui manquent encore.

Il vous revient également de travailler à la réconciliation de l’humain et de l’urbain, pour employer une expression qui a déjà été utilisée par d’autres, et de cibler votre action sur le maillon faible de la politique de la ville, dont je salue tous les acteurs, quel que soit leur bord.

M. Jean-Pierre Plancade. Vous avez raison !

M. René Vandierendonck. À cet égard, il est très important que la problématique de l’accès à l’emploi soit au cœur des préoccupations de votre ministère.

À Roubaix, comme dans de nombreuses autres villes, le premier employeur est l’hôpital. Il y a des filles issues de l’immigration qui réussissent formidablement bien, comme le montre l’étude de l’OCDE publiée le 3 décembre dernier, et veulent travailler à l’hôpital : on compte 67 % de boursiers dans les écoles d’infirmières. Mais nous devons être vigilants : une révolution copernicienne est en cours à Bercy (Sourires.), où il est question de crédit d’impôt pour les entreprises, de choc de compétitivité… Pour ma part, je préfère parler de croissance inclusive. Il serait tout de même paradoxal que les cliniques privées installées à la périphérie de ma ville bénéficient du crédit d’impôt…

M. René Vandierendonck. … et que moi, dont l’hôpital public est condamné à respecter l’ONDAM, je ne puisse pas, avec les emplois d’avenir, l’apprentissage et les parcours de formation, faire accéder les jeunes à l’emploi ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et sur les travées du RDSE.) Il faut savoir adapter le droit commun !

Claude Dilain était déjà là, tel saint Sébastien (Sourires.), quand on parlait de la péréquation, quand on cherchait à mettre en place les zones franches. Ce dispositif a marché : dans ma ville, où 9 000 emplois avaient disparu dans le secteur du textile, 5 000 ont été créés grâce aux zones franches. Certains disent qu’il aurait fallu contrôler davantage : qu’ils relisent les textes ! Ceux-ci prévoyaient expressément que l’État, par le biais de l’URSSAF, exercerait ce contrôle. Or il ne l’a pas fait. Si ce dispositif a marché, c’est parce que les collectivités se sont engagées : faisons-leur donc confiance !

M. René Vandierendonck. Nous n’avons pas de planche à billets à notre disposition. Comment allons-nous faire, dans ces conditions ?

Pour ma part, je pense que, pour que cela marche, il faut que la communauté d’agglomération ou la communauté urbaine, chargée de l’implantation, le conseil régional, qui assure l’aide aux entreprises, et les villes, responsables de la maîtrise d’œuvre, contractent globalement. C’est votre système des poupées russes, monsieur le ministre, que vous allez nous expliquer merveilleusement dans quelques instants. (Rires et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.) Vous avez raison : sans intégration des différents échelons à la politique de la ville, celle-ci ne produira pas de résultats.

Monsieur le ministre, permettez-moi de vous dire, comme mon collègue maire de Tours, qu’il faut laisser aux acteurs de terrain une latitude de travail, y compris en ce qui concerne les critères. Songez aux combats que nous avons dû mener ici : il nous a même fallu convaincre notre ancien collègue Repentin, aujourd’hui ministre ! (Sourires.)

Il n’est pas besoin de faire appel à des études ou à la sociologie pour savoir que la carte de l’immigration, c’est la carte de la politique de la ville, et c’est la carte de l’abstention… Quand je suis face à un jeune issu d’un milieu très difficile mais qui a réussi à l’école, ne me renvoyez pas à un décret en Conseil d’État ou à un avis de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi pour savoir si je peux ou non l’embaucher ! Laissez faire les élus ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.) Je plaide pour que l’on fasse confiance aux élus, je plaide pour que les entreprises et la Caisse des dépôts et consignations entrent de nouveau dans le jeu. Claude Bartolone, lorsqu’il était ministre de la ville, avait fait adopter un texte créant les sociétés d’investissement régional.

M. René Vandierendonck. Il en existe une dans la région Nord-Pas-de-Calais. La question est simple : comment faire revenir les investissements dans un territoire qu’ils ont déserté ? C’est à une telle question que doit répondre la politique de la ville, qu’il s’agisse de l’habitat ou de l’activité économique.

Il y a des économies à faire. Ainsi, personne n’est capable de démontrer que l’EPARECA, l’Établissement public national d’aménagement et de restructuration des espaces commerciaux et artisanaux, apporte une quelconque plus-value par rapport, par exemple, à une société d’économie mixte d’aménagement.

Pour attirer un investisseur, il faut, outre une bonne contractualisation, créer des conditions de prêt telles que, malgré la conjoncture, il décide de se lancer parce qu’il peut accepter un temps de retour sur investissement long sans compromettre son bilan. L’entreprise est la grande oubliée de la politique de la ville : je plaide pour qu’elle y soit intégrée, car c’est extrêmement important. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. Mon cher collègue, vous avez doublé votre temps de parole, mais cela valait la peine…

La parole est à Mme Dominique Gillot.

Mme Dominique Gillot. Engager le changement pour les habitants des quartiers, voilà une belle ambition à partager, monsieur le ministre. Il nous faut lutter contre les visions fermées, négatives, défensives, car, nous le savons bien, les zonages stigmatisants, l’empilement des dispositifs diluent l’action, accentuent les fractures, et alors c’est l’imagination qui dérape et s’emballe, particulièrement quand l’ignorance mutuelle domine : l’humus de la peur, de la xénophobie, du repli sur soi prospère, bloquant toute dynamique de progrès partagé.

Or, pour construire une identité positive des quartiers, c’est la politique de la ville, projet transversal de gouvernance locale, qui peut, en s’appuyant sur une vision prospective globale, réinventer des utopies positives dans lesquelles nos concitoyens pourront se projeter.

N’oublions pas que, pour les générations antérieures, arriver en ville, habiter dans une cité neuve était synonyme d’accès au confort, aux services publics et, par suite, à la formation, à l’emploi, à la mobilité, à la modernité.

Georges Duby ne disait-il pas que la ville avait été au cœur des transformations sociales parce qu’elle était un espace de mélanges et de libertés ? Or, aujourd'hui, même si nous recherchons toujours un vocabulaire le moins stigmatisant possible, vivre dans une ville taraudée par la crainte de voir son homogénéité menacée revient à subir des mécanismes de ségrégation. Le vivre-ensemble est dégradé, constate Pierre Rosanvallon. Il faut donc repenser l’organisation, la cohérence et la vision du territoire dans son ensemble pour répondre à cette segmentation qui ne fait qu’additionner des espaces repliés sur eux-mêmes, ne communiquant pas.

Pour cela, il faut optimiser l’utilisation des fonds dédiés, mais surtout capitaliser les expériences d’ingénierie et d’intelligence du projet collectif, en associant les habitants à la démarche, pour réellement viser l’amélioration non seulement de l’habitat, mais aussi de la qualité de vie.

J’évoquerai maintenant plusieurs programmes et contrats existants, qui sont autant de dispositifs spécifiques, éminemment transversaux, faisant bouger les lignes et favorisant la mixité sociale, la cohésion autour d’un projet commun, facteur de progrès partagé, de fierté.

Les programmes de réussite éducative ont pour objectif de restaurer les adultes dans leur dignité de parents, de les soutenir dans l’exercice de leurs responsabilités, de les guider dans les réseaux d’aide et d’accompagnement institutionnels ou informels, de les encourager à la prise de parole, à l’investissement local auprès de leurs enfants, dans l’école, les centres sociaux, les équipements culturels, la cité, de les accompagner dans l’acquisition d’une citoyenneté active fécondée par leur statut de parents.

Les contrats locaux de santé publique, évoqués à plusieurs reprises, sont destinés à répondre aux besoins en santé des habitants d’un quartier, en s’appuyant sur leurs capacités à s’exprimer, à réagir, à faire, à s’impliquer. Les CLS permettent l’inscription collective dans un parcours de progrès mesurables, où la place de chacun est reconnue et mise en valeur, car c’est un gage de réussite.

Les projets éducatifs locaux devront devenir des projets éducatifs globaux dans le cadre de la mise en œuvre de la refondation de l’école. Ils devront intégrer, autour de l’éducation nationale et des temps de l’élève, les partenaires locaux de la communauté éducative, de l’action sociale, du monde culturel, du mouvement associatif local.

Les programmes locaux de l’habitat, les PLH, dont se sont dotées bien des collectivités, en particulier les intercommunalités, permettent d’atteindre les objectifs quantifiés de production de logements, avec la part de logements sociaux indispensable à l’équilibre urbain. L’évaluation des besoins et l’élaboration des programmes doivent aboutir à un constat indiscutable et à l’acceptation des PLH, dont les habitants peuvent suivre la mise en œuvre et juger la qualité.

À tous ces programmes vont s’ajouter les plans de recrutement des emplois d’avenir, l’accueil des services civiques. De nouvelles initiatives voient par ailleurs le jour, comme celle de la Fédération des étudiants volontaires, la FEV, qui dispense des cours de soutien scolaire et propose des tutorats au domicile des jeunes. Elle met en œuvre un contrat gagnant-gagnant dans les quartiers où la mobilité résidentielle est bloquée. Elle organise l’accueil d’étudiants volontaires dans un appartement en colocation, dont le loyer est pris en charge par le bailleur et les partenaires locaux, en échange de l’apport de services d’utilité sociale aux habitants, à l’école, au centre social, au quartier.

Voilà, me semble-t-il, une dynamique d’éducation populaire, d’échange de savoirs et de soutien au développement de la citoyenneté active à encourager. Je n’oublie pas, bien sûr, les contrats locaux de prévention, d’insertion et de sécurité, qui ne doivent pas seulement promouvoir une politique du chiffre.

Monsieur le ministre, la politique de la ville doit permettre d’élaborer une nouvelle urbanité, un « savoir vivre ensemble ». Véritable colonne vertébrale du projet politique des élus pour leur ville et leurs concitoyens, elle doit être une boîte à outils pour bâtir un monde où la force motrice sera non plus le ressentiment et la frustration, mais la construction d’une réalité collective, facteur d’intelligence et de fierté partagées.

En effet, il ne faut pas négliger la dimension humaine de la ville, qui dépasse la seule problématique urbaine et architecturale. La ville est bien le lieu de rencontre des individualités, dont il faut prendre en compte les singularités pour construire du commun.

La ville, c’est l’hétérogénéité que ne peut effacer aucun plan de rénovation, mais qu’il faut valoriser pour en faire un levier de réussite, élaborer une vision d’avenir.

La sortie de la géographie prioritaire ne doit pas être vécue comme une menace par les villes concernées. Le fait d’avoir bénéficié de financements spécifiques, d’avoir obtenu des cofinancements, d’avoir appris à lever des participations complémentaires pour atténuer leurs charges leur a permis de développer des compétences et une méthodologie dans la conduite de projets contractuels qui sont précieuses.

Ces acquis doivent permettre aux maires et aux préfets de mobiliser les énergies locales pour construire un projet territorial unique, avec ou sans financements particuliers, qui permettra d’activer tous les leviers des politiques publiques de droit commun. Les engagements en matière de droit commun renforcé et de rééquilibrage pris devant – et avec –les habitants et les ayants droit seront quantifiés, évalués et révisés de manière triennale.

C’est ainsi, me semble-t-il, que nous pourrons progressivement réduire les écarts sociaux et territoriaux de façon durable. En parallèle, nous devrons agir pour développer la citoyenneté active. Cela se fera en introduisant plus de lisibilité, en simplifiant les procédures, en promouvant la confiance dans les partenaires et les élus locaux, en allégeant, surtout, les pouvoirs bureaucratiques liés à l’« agenciarisation », bref en remettant de la considération humaine dans un modèle devenu par trop technocratique, illisible et impuissant. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. François Lamy, ministre délégué auprès de la ministre de l’égalité des territoires et du logement, chargé de la ville. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens d’abord à vous remercier de ce débat de qualité. Certes, je regrette moi aussi que les crédits de la politique de la ville n’aient pu être discutés dans cette assemblée, mais faisons contre mauvaise fortune bon cœur : cela a conduit à l’organisation de ce débat, qui nous permettra peut-être de dégager des lignes de consensus pour la réforme de la politique de la ville que j’ai engagée selon les directives du Président de la République et du Premier ministre.

Vos interventions, mesdames, messieurs les sénateurs, sont nourries par votre expérience d’élus locaux, mais se fondent également sur une réflexion théorique. Je vais m’efforcer de répondre à vos interrogations et à vos craintes, sachant que les décisions devront être prises au début de l’année prochaine.

Je souhaite donc vous exposer ma démarche.

Le Président de la République et le Premier ministre m’ont confié la charge de la politique de la ville, mission que j’exerce auprès de la ministre de l’égalité des territoires et du logement. Cette politique vise au rétablissement de l’égalité républicaine dans les territoires, l’objectif étant d’améliorer très concrètement la vie des habitants des quartiers et de réduire les inégalités dans tous les domaines.

C’est une responsabilité qui m’oblige, au service des 8 millions de nos concitoyens qui habitent les quartiers populaires. Si nous devions conduire une « politique de civilisation », ce serait bien celle-ci : raccrocher les quartiers aux dynamiques d’agglomération, les remettre au cœur du pacte républicain. Une bonne partie de l’avenir du pays dépend de notre capacité à intégrer complètement dans la société les habitants des quartiers, notamment les plus jeunes, à exploiter leur potentiel, à valoriser leurs talents, à leur donner la place et la reconnaissance qu’ils méritent.

Le défi est immense. Les différents orateurs l’ont relevé, dans les zones urbaines sensibles, le taux de chômage est près de deux fois et demie supérieur à celui que l’on constate dans les agglomérations sur le territoire desquelles elles sont situées. Les rapports de la Cour des comptes et de l’Observatoire national des zones urbaines sensibles soulignent que la crise frappe plus durement dans ces quartiers populaires que partout ailleurs.

Cette situation, je la constate chaque semaine dans les quartiers que je visite. À cet instant, je tiens à saluer tous les élus, responsables associatifs, enseignants, professionnels ou simples citoyens que je rencontre sur le terrain et qui se battent pour que la vie soit plus douce dans ces quartiers sensibles et que tous les moyens et toutes les énergies soient mobilisés pour que le plus grand nombre possible s’en sorte, surtout parmi les plus jeunes. À une époque qui favorise le repli sur soi et l’individualisme, il me semble qu’il y a beaucoup à apprendre des mécanismes de solidarité qui se développent dans ces territoires urbains en difficulté.

M. François Lamy, ministre délégué. Ma démarche, monsieur Dilain, ne repose pas sur la sectorisation des quartiers et des villes telle qu’elle existe actuellement. Un grand débat national est en train de s’ouvrir, avec le concours de plusieurs intellectuels, sur la fracture territoriale que l’on constate aujourd’hui en France, entre régions, mais également au sein même des villes.

Je partage votre avis : on ne peut se satisfaire de cette situation. Le rapport de la Cour des comptes montre que la situation sociale et économique est aussi difficile dans ces quartiers qu’il y a dix ans. Nous le savons, leur population a changé, mais nous ne pouvons nous satisfaire qu’il existe des quartiers « sas », permettant de passer des quartiers pauvres aux quartiers habités par une population plus aisée. C’est là une organisation du territoire et de la ville qui ne correspond pas au projet du Gouvernement, ni au vôtre, mesdames, messieurs les sénateurs, si j’en crois les propos que vous avez tenus, quelles que soient les travées sur lesquelles vous siégez.

C’est pourquoi j’ai engagé, à la demande du Président de la République et du Premier ministre, une réforme complète de la politique de la ville. Ses grands objectifs ont été présentés lors du conseil des ministres du 22 août dernier. Nous réfléchissons à ses orientations dans le cadre de la concertation que j’ai lancée à Roubaix, le 11 octobre.

Les conclusions de cette concertation trouveront une traduction concrète lors d’un comité interministériel des villes devant avoir lieu au premier trimestre de 2013 au plus tard, puis dans un projet de loi qui vous sera soumis l’année prochaine. La discussion de ce texte dans chacune des assemblées constituera le deuxième temps de la concertation.

Cette concertation rassemble plus de 150 participants : élus, représentants des ministères et de l’État territorial, professionnels, représentants d’associations locales et nationales, d’organismes d’HLM et d’entreprises, personnalités qualifiées. J’ai tout particulièrement souhaité que les élus soient pleinement associés à la démarche. Quatre sénateurs sont ainsi directement parties prenantes à cette concertation : Laurence Cohen, Jean Germain, Hervé Marseille et Philippe Dallier, Claude Dilain ayant pour sa part accepté de copiloter un groupe de travail sur le sujet important de la géographie prioritaire. Par leur connaissance des réalités territoriales et leur capacité à appréhender les grands enjeux nationaux, ils enrichiront les débats, j’en suis convaincu, et seront à même de faire des propositions à la fois pragmatiques et ambitieuses sur le devenir de la politique de la ville.

Parallèlement, j’ai lancé une consultation des élus et des populations concernées, par le biais de questionnaires – plus de 300 nous ont déjà été retournés –, et j’aurai également l’occasion, au mois de janvier prochain, d’organiser quelques forums réunissant des habitants des quartiers, car on ne peut concevoir une politique de la ville sans les écouter ni les associer à la réflexion.

À cet égard, j’estime que, à l’issue de la concertation, il faudra certainement mettre en place des structures pérennes de discussion et de négociation avec les représentants des habitants des quartiers, à un échelon qui reste à déterminer : local, intercommunal, voire régional. En tout cas, la concertation doit déboucher sur des propositions. (M. Claude Dilain acquiesce.)

Quels sont les objectifs de la réforme de la politique de la ville ?

L’objectif premier est de mobiliser les politiques de droit commun ou, pour le dire autrement, de mieux territorialiser les politiques sectorielles.

Cela a été dit, je dois être le dix-neuvième ministre de la ville à venir expliquer dans cette assemblée qu’il va faire tout son possible pour mobiliser les politiques de droit commun ! (Sourires.)

Des choses ont été faites dans le passé. Ainsi, le ministère de l’éducation nationale a pris en compte, voilà maintenant plusieurs années, la nécessité de territorialiser, en mettant en place les zones d’éducation prioritaires. À cet égard, il est important de souligner que le ministère de l’éducation nationale va abandonner la géographie prioritaire qu’il applique actuellement pour adopter celle qui sera définie par la nouvelle politique de la ville : voilà un premier exemple de mise en cohérence interministérielle.

Bien entendu, cela ne suffira pas. Le ministère de la ville ne peut à lui seul, avec les moyens qui sont les siens, corriger des inégalités aussi lourdes que celles dont pâtissent les quartiers populaires. En 2012, 525 millions d’euros ont été alloués à la cohésion sociale et 1 milliard d’euros à la rénovation urbaine. Je veux souligner que, dans un contexte budgétaire particulièrement contraint, le Gouvernement a marqué la priorité accordée aux quartiers populaires en reconduisant globalement pour 2013 les moyens alloués au ministère de la ville. Certes, ces moyens n’augmentent pas, mais un coup d’arrêt a été mis à leur baisse continue, les crédits du ministère de la ville ayant diminué de 31 % depuis 2009.

Cela ne suffira pourtant pas, je l’ai dit ; il faut donc mobiliser les politiques sectorielles et les territorialiser. Je souhaite le faire à l’aide de deux outils.

Il faut d’abord mettre en place un pilotage interministériel à l’échelon national.

Conformément à la demande que j’avais formulée devant le conseil des ministres le 22 août dernier, le Premier ministre a signé le 30 novembre une circulaire interministérielle qui va me permettre de passer, d’ici à la fin du mois de février, des « conventions d’objectifs pour les quartiers populaires » avec chacun des autres ministères concernés pour fixer leurs engagements en faveur de ces quartiers dans les champs de l’éducation, de l’emploi, de la sécurité, de la santé, de la culture, de la jeunesse, des transports, etc.

Ces conventions, qui porteront non seulement sur les objectifs, mais également sur la méthode et sur les moyens engagés à l’échelon national par les différents ministères, sont actuellement discutées entre les cabinets ministériels et le seront prochainement avec les administrations centrales.

Je souhaite que ces conventions, que je veux triennales de façon à pouvoir procéder régulièrement à des évaluations, fixent des objectifs très concrets. Je pense, pour le ministère de l’éducation nationale, à l’accentuation de la scolarisation des enfants de 2 à 3 ans dans les quartiers populaires. (Mme Christiane Demontès approuve.) Je sais Vincent Peillon très sensible à cette question : des objectifs seront fixés, en particulier quant au nombre d’enseignants devant être affectés à ces quartiers. En ce qui concerne le ministère du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, il faudra assurer la présence physique et pérenne de conseillers de Pôle emploi dans chacun des quartiers prioritaires au titre de la politique de la ville. Je pourrais multiplier les exemples d’objectifs concrets et précis en matière de mise en place des politiques de droit commun dans ces quartiers.

M. Claude Dilain. Très bien !

M. François Lamy, ministre délégué. Dans le même esprit, j’ai demandé aux préfets, aux préfets délégués pour l’égalité des chances et aux sous-préfets à la ville de conduire un travail analogue avec l’ensemble des chefs de service de l’État pour que chaque politique sectorielle soit passée au prisme de son incidence sur les quartiers populaires et que soient concentrés les moyens de droit commun dans les territoires défavorisés.

Au cours de mes déplacements, en me fondant sur des expérimentations menées notamment à Amiens, j’exprime aux préfets le souhait qu’ils prennent en compte cette dimension de la politique de ville et mobilisent l’ensemble des services déconcentrés de l’État dans les territoires, sans même attendre les futurs contrats.

D’ores et déjà, le Gouvernement a pris plusieurs initiatives.

Le ministère de la ville a ainsi été associé à la définition des territoires où vont être organisées des zones de sécurité prioritaires, et il le sera également, je l’espère, à la mise en place des dispositifs opérationnels des politiques qui seront conduites dans ces zones.

Un quart des 1 000 postes d’enseignant créés à la rentrée de 2012 ont été affectés aux écoles relevant de l’éducation prioritaire.

Par ailleurs, nous avons pu pour la première fois, grâce aux travaux du Parlement, territorialiser une partie de la politique de l’emploi, puisque 30 % des emplois d’avenir sont réservés aux jeunes des zones urbaines sensibles, afin de prendre en compte la discrimination à laquelle ces jeunes sont confrontés, en particulier lorsqu’ils sont diplômés.

Dans la même perspective, je souhaite expérimenter les emplois francs. Il s’agira là aussi d’un dispositif anti-discrimination, destiné en particulier aux jeunes des quartiers en difficulté qui ont fait l’effort, avec le soutien de leurs parents et de leur entourage, de se former, mais ne trouvent pas d’emploi alors qu’ils ont le même niveau de qualification et, souvent, plus d’enthousiasme et de dynamisme que les jeunes issus de quartiers plus favorisés.

Cette expérimentation sera menée à Marseille, à Clichy-Montfermeil, à Grenoble et à Amiens. Ces quatre villes sont de tailles et de situations économiques différentes, ce qui nous permettra de vérifier que le dispositif ne présente pas de biais, avant de le développer dans le courant de l’année 2014.

Toujours au chapitre de la mobilisation du droit commun, nous avons veillé, avec Marylise Lebranchu, à garantir l’expression de la solidarité nationale, au travers d’une progression sans précédent de la péréquation l’année prochaine. Ainsi, la dotation de solidarité urbaine est augmentée de 120 millions d’euros, principalement au bénéfice des 250 communes qui bénéficient de la « DSU cible », tandis que la dotation de développement urbain est majorée de 25 millions d’euros. Cette majoration de la DDU profitera aux cinquante communes les plus pauvres de notre pays, sachant que j’essaie de faire en sorte que cette dotation soit déplafonnée en 2013 et qu’elle soit répartie avec toute la souplesse nécessaire par les préfets.

J’ai confié à François Pupponi, député de Sarcelles, une mission sur les outils de la péréquation. Claude Dilain l’a souligné, si ces outils ont joué un rôle important pour enclencher la solidarité entre l’État et les communes en difficulté, entre les communes riches et les communes plus pauvres, nous savons tous, d’une part, qu’ils ont des effets pervers, et, d’autre part, que l’on peut faire davantage en matière de solidarité. François Pupponi rendra ses conclusions et formulera des propositions concrètes avant la fin du mois de janvier.

Le deuxième objectif est lié au premier : il est de réformer la géographie prioritaire pour la simplifier et concentrer les interventions sur les quartiers qui en ont le plus besoin.

En effet, la politique de la ville doit être le marqueur territorial pour les politiques de droit commun et pour l’action publique en général. C’est à cette seule condition que les crédits spécifiques auront un véritable effet de levier pour ces territoires.

M. Dilain a fait référence à la superposition actuelle des différents zonages – ZUS, ZRU, ZFU, ZEP… –, dont l’enchevêtrement est tel qu’il est même difficile de déterminer le nombre des villes concernés par les dispositifs de la politique de la ville ! Ainsi, certains contrats urbains de cohésion sociale ont été signés par des villes seules, d’autres par des intercommunalités, d’autres encore par quelques villes à l’intérieur d’une intercommunalité, tandis qu’un cinquième des régions et un tiers à peine des départements se sont engagés dans ce dispositif.

L’ensemble est devenu illisible, et on a saupoudré, au fil des années, les actions de la politique de la ville, ce qui l’a parfois rendue contre-productive.

Jusqu’à présent, les opérations de rénovation urbaine ont été mises en œuvre sans être nécessairement accompagnées d’un volet de cohésion sociale suffisant. Les zonages ont conduit à stigmatiser et à enclaver les populations des quartiers ; il faut donc les revoir tous. Cette réforme a été continuellement repoussée, la dernière tentative remontant à 2009. Fort du soutien du Premier ministre, je suis résolu à la mener à bien, en prenant bien sûr en compte l’ensemble des contraintes des différentes collectivités, car elle est indispensable.

Je crois qu’il faut avoir le courage de dire qu’il existe des villes dont la situation ne justifie plus aujourd’hui qu’elles bénéficient des moyens spécifiques de la politique de la ville. Cela signifie que le travail qui y a été mené a produit des effets positifs. Les élus doivent, à mon sens, s’en satisfaire.