M. Jean-François Husson. Bien sûr que si !

M. Jean-Michel Baylet. Que vous le vouliez ou non, mes chers collègues, l’ouverture du mariage et de l’adoption aux personnes de même sexe est une question de société, et non une question sociale comme vous tentez de le montrer.

M. Charles Revet. C’est jouer sur les mots !

M. Jean-Michel Baylet. Je le répète : c’est une question de société, et non une question sociale !

À ce propos, on peut rappeler que, lors des débats sur la réforme constitutionnelle de 1995, Jacques Toubon – vous le connaissez bien, chers collègues de l’opposition –, alors garde des sceaux, avait expliqué que le gouvernement de l’époque avait choisi sciemment de limiter l’extension du champ d’application du référendum aux questions économiques et sociales, les questions de droit civil, telles que celles qui nous réunissent aujourd’hui, s’en trouvant de jure exclues.

En effet, le référendum ne saurait être un instrument de démagogie. Cela risquerait de nous faire ouvrir la boîte de Pandore : nous n’en maîtriserions pas les conséquences, et nous le regretterions tous.

L’exemple de nos voisins suisses doit nous éclairer et nous inciter à une grande modération dans les actes politiques qui engagent la vie de la nation. (Exclamations sur les travées de l’UMP.)

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. C’est un mauvais exemple !

M. Jean-Claude Lenoir. Les Suisses votent tous les dimanches…

M. Bruno Sido. Faites preuve de modération !

M. Jean-Michel Baylet. Mais nous sommes d’une grande modération, cher collègue, quand nous accompagnons l’évolution de la société !

Surtout, les radicaux de gauche et la plupart de leurs collègues du RDSE s’opposent à cette motion référendaire car ils considèrent qu’elle ne va pas dans le sens du progrès social que permet le présent projet de loi.

On nous dit que nous restons sourds aux clameurs des manifestants. C’est oublier – mes chers collègues, vous avez la mémoire courte ! – que près de 18 millions de voix se sont portées sur la candidature de François Hollande, qui avait clairement affiché… (Protestations sur les travées de l’UMP.)

M. Christian Cambon. Ce n’est pas vrai !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Son engagement ne portait pas sur la filiation !

M. Jean-Michel Baylet. Écoutez la phrase en entier, chers collègues de l’opposition. Vous poussez des hurlements sans même savoir ce que je vais dire ! (Sourires sur les travées du RDSE et du groupe socialiste.)

François Hollande, donc, avait clairement indiqué, dans son programme, qu’il ouvrirait le mariage et l’adoption aux personnes de même sexe.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. La filiation, non !

M. Jean-Michel Baylet. Nos concitoyens ont donc exprimé leur choix en toute connaissance de cause.

Mme Catherine Troendle. Et les 60 % de Français hostiles à l’adoption ?

M. Jean-Michel Baylet. Il en est ainsi de la démocratie et des élus de la République, qui s’honorent, même si cela peut vous sembler bizarre, de transformer leurs paroles en actes. Notre choix est donc responsable.

Madame la garde des sceaux, mes chers collègues, nos débats l’ont déjà clairement montré hier : l’ouverture du mariage et de l’adoption aux personnes de même sexe est un acte fort pour l’égalité des citoyens, mais aussi pour la justice et la liberté. (M. Jean Bizet s’exclame.)

Il n’appartient pas à la puissance publique d’imposer un modèle de famille, lequel relève d’ailleurs davantage, aujourd’hui, du mythe nostalgique que de la réalité des faits.

Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. C’est vrai !

M. Jean-Michel Baylet. Il lui appartient, en revanche, de s’assurer que chacun peut s’épanouir librement dans la dignité et le respect des valeurs de la République.

M. Jean-Claude Gaudin. Cela suffit !

M. Jean-Michel Baylet. Le présent projet de loi marque donc un progrès social, attendu depuis longtemps par des milliers de nos compatriotes et sur lequel nous avons reçu du peuple le mandat de nous prononcer, en bâtissant un texte juridiquement irréprochable.

Sur ce point, d’ailleurs, comment un référendum portant sur des questions aussi techniques que la dévolution du nom de famille ou les modalités de l’adoption simple ou plénière pourrait-il être compréhensible pour nos compatriotes non initiés aux arcanes du droit ?

Je le disais hier à cette tribune, je le répète aujourd’hui avec force : le mariage, ainsi que la famille, sont, depuis deux siècles, en perpétuel mouvement, évoluant avec les transformations de la société et la maturation des mentalités, qui font reculer, et c’est heureux, le conservatisme moral. Contrat civil et institution sécularisée, le mariage n’a plus l’apanage de la légitimation sociale de la famille. Il suffit pour vous en convaincre, mes chers collègues, d’aller à la rencontre de nos concitoyens et de leur famille – cela doit vous arriver de temps en temps –, dont les situations sont aussi multiples que changeantes.

Ce projet de loi est aussi une victoire du combat politique pour la reconnaissance des droits et libertés des homosexuels. J’ai bien conscience qu’il reste beaucoup de travail pour que disparaissent les discriminations à leur égard.

Je sais, madame la garde des sceaux, que nous pouvons compter sur votre engagement, votre détermination et votre courage, que vous avez déjà eu l’occasion de démontrer. Cependant, je ne doute pas que l’ouverture du mariage et de l’adoption pour les couples de personnes du même sexe contribuera à changer les mentalités, en banalisant une question relevant, d’abord, de la vie privée, et en faisant disparaître le curseur de l’orientation sexuelle de la représentation sociale des homosexuels.

Ceux qui, hier, s’opposaient au PACS en stigmatisant la destruction des fondements de la société et le début de la « décadence » en sont aujourd’hui les thuriféraires les plus accomplis, si j’en juge par les amendements qu’ils ont déposés sur le présent texte. Tant mieux ! Cela prouve que, même dans l’opposition, on peut évoluer. Il serait donc dommage, chers collègues, que nous ne puissions vous entendre développer vos arguments sur cette question, si d’aventure cette motion venait à être adoptée.

Dans tous les cas, je ne doute pas que vous, qui vous opposez aujourd’hui au mariage pour tous, y serez demain aussi indifférents que vous l’êtes actuellement au PACS. Ce sera alors, mes chers collègues, la plus belle des consécrations pour le droit des homosexuels, mais aussi pour l’universalisme et le progrès, qui font de la République notre bien commun le plus précieux.

C’est parce que nous défendons ces valeurs républicaines et humanistes que nous nous prononcerons contre cette motion. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à Mme Corinne Bouchoux.

Mme Corinne Bouchoux. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, un jeune public est présent dans nos tribunes. J’espère que mes propos, qui pourront déplaire, ne choqueront personne. J’aimerais donc que l’on puisse s’entendre pour que ces futurs citoyens qui nous regardent n’aient pas une vision trop négative de nos travaux. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

M. Bruno Sido. Au contraire !

M. Gérard Longuet. Vous n’êtes pas maîtresse d’école, madame !

Mme Corinne Bouchoux. En effet, je ne le suis plus, cher collègue.

En ce premier jour de l’opération Sidaction 2013, je voudrais, tout d’abord, rendre hommage aux personnes que j’ai croisées dans la salle des conférences du Sénat, venues assister à nos débats. Je voudrais saluer M. Jean-Luc Romero, qui, avec les membres d’autres associations, a beaucoup fait pour les malades du sida, quelle que soit leur orientation sexuelle, et qui travaille actuellement sur un sujet qui nous concernera tous, le droit de choisir notre fin de vie. (Brouhaha.)

Nous sommes réunis, ce matin, pour discuter de la motion tendant à soumettre au référendum le présent projet de loi. (L’orateur s’interrompt en attendant le silence. – Protestations sur les travées de l’UMP.)

M. Bruno Sido. Le temps passe, madame !

Mme Corinne Bouchoux. Je préfère parler peu mais parler bien, monsieur Sido !

M. Gérard Longuet. Vous pourriez faire les deux !

Mme Cécile Cukierman. Laissez-la parler !

M. le président. Veuillez poursuivre, ma chère collègue.

Mme Corinne Bouchoux. L’article 11 de la Constitution permet de « soumettre au référendum tout projet de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics ». Or les homosexuels n’ont pas la prétention d’organiser les pouvoirs publics. Ils sont des citoyens comme les autres.

L’article 11 permet également de soumettre au référendum tout projet de loi portant sur des « réformes relatives à la politique économique ». Ce n’est pas le sujet.

Mme Corinne Bouchoux. Il permet aussi de soumettre au référendum tout projet de loi portant sur des « réformes relatives à la politique […] sociale ».

Mme Catherine Troendle. C’est le sujet !

Mme Corinne Bouchoux. Les homosexuels ne demandent pas à bénéficier d’une politique sociale particulière. Ils veulent seulement que s’applique le principe d’égalité et qu’ils soient considérés comme des citoyens comme les autres.

L’article 11 permet, en outre, de soumettre au référendum tout projet de loi portant sur des « réformes relatives à la politique […] environnementale ». Les homosexuels ne sont pas des pingouins qui demandent à être protégés. (Exclamations amusées sur les travées de l'UMP.)

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Ce ne sont pas eux, les pingouins !

Mme Corinne Bouchoux. J’attendais cette plaisanterie de votre part, chère collègue ; c’est bien pour cela que j’en ai parlé.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. C’est vous qui avez commencé !

M. Jackie Pierre. Respectez les pingouins ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)

M. David Assouline. Ne regardez pas de leur côté, madame Bouchoux ! Regardez plutôt du nôtre !

Mme Corinne Bouchoux. Oui, mais vous, je le sais, vous êtes dans le bon camp, monsieur Assouline.

Enfin, l’article 11 permet de soumettre au référendum tout projet de loi portant sur des réformes relatives aux services publics qui concourent à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation. Les homosexuels ne prétendent pas être un service public. Ils veulent simplement être des citoyens comme les autres.

Je voudrais remercier l’auteur de cette motion de l’avoir déposée. Sans elle, je l’avoue, je n’aurais pas pris la parole sur ce sujet.

Les citoyens homosexuels et les citoyennes lesbiennes veulent simplement être libres de pouvoir se marier ou de ne pas le faire. Les familles homoparentales sollicitent pour leurs enfants, qui sont déjà, je suis désolée de vous le dire, chers collègues de l’opposition, plusieurs dizaines de milliers, le droit à la sécurité et l’égalité avec les autres enfants. Ils réclament aussi de la considération. Ils demandent à ne pas être méprisés, à ne pas être des sous-citoyens. Ils veulent être, tout simplement, des citoyens comme les autres.

M. Bruno Sido. Il est évident qu’ils le sont !

M. Christian Cambon. Ce n’est pas le sujet !

Mme Corinne Bouchoux. Ce n’est que théorique, mes chers collègues, mais certains d’entre vous, quelle que soit leur tendance politique, ont peut-être, qu’ils le sachent ou non, un fils ou un neveu homosexuel, une fille ou une nièce lesbienne.

M. Gérard Longuet. Et les homosexuels ont des parents hétérosexuels !

Mme Corinne Bouchoux. Peut-être même que leur voisin de commission, au Sénat, est homosexuel ? Mes chers collègues, les homosexuels sont parmi nous, il y en a dans cet hémicycle. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Cela ne nous gêne pas !

M. Gérard Longuet. Ce n’est pas le débat !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Nous n’avons pas de problème sur ce point !

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Ne vous laissez pas impressionner, madame Bouchoux !

Mme Corinne Bouchoux. Pour de nombreuses personnes qui suivent nos débats, vos propos tendent à insinuer qu’il y aurait des citoyens de première zone, qui auraient droit au mariage, et des citoyens de seconde zone, qui n’y auraient pas droit. (Protestations sur les travées de l’UMP.)

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Ce n’est pas vrai !

Mme Catherine Troendle. Nous n’avons jamais dit cela !

Mme Corinne Bouchoux. C’est ce que vos propos laissent entendre !

Mme Catherine Troendle. Cessez de me regarder, madame Bouchoux !

Mme Corinne Bouchoux. Je regarde qui je veux, madame la sénatrice !

Mme Catherine Troendle. En me regardant, vous me stigmatisez !

Mme Éliane Assassi. Respectez l’oratrice !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Restez calme, ma chère collègue, et poursuivez votre intervention.

M. le président. Veuillez poursuivre, ma chère collègue.

Mme Corinne Bouchoux. La motion référendaire déposée ne respecte ni l’esprit ni la lettre de l’article 11 de la Constitution. Nous tenons à redire en ces lieux que les citoyens homosexuels ne demandent que l’égalité des droits. Ils veulent, eux aussi, être libres de choisir de vivre seul, en concubinage, en couple marié. Ce choix, mes chers collègues, doit être ouvert à tous.

Selon nous, le présent texte, tel qu’il est discuté, est loin de méconnaître les intérêts des enfants. Bien au contraire, il va dans le sens de leur protection, de leur sécurité, de leur respect.

Vous l’aurez compris, le groupe écologiste votera contre la motion référendaire.

Je tiens à terminer mon intervention en évoquant le sort de ceux dont on ne parle jamais, parce qu’ils sont extrêmement âgés. Je veux parler de ces « invisibles » dont l’histoire a fait l’objet d’un excellent film, que je vous invite à voir. Toute leur vie, ces personnes ont vécu une homosexualité tue, cachée. Elles se sont même parfois mariées. Dans les lettres que certaines d’entre elles nous ont envoyées, ces personnes nous disent que le choix, qu’elles n’ont pas fait, de vivre son homosexualité au grand jour devrait, au XXIe siècle, être un choix de liberté et de progrès.

Mes chers collègues, je vous invite à examiner les débats qui ont eu lieu ici-même, il y a plus de cinquante ans, sur l’accès des femmes à la citoyenneté. Vous constaterez que les mêmes arguments naturalistes étaient opposés à leurs défenseurs. Il n’était pas naturel que les femmes votent.

M. Gérard Longuet. C’est le général de Gaulle qui leur a accordé ces droits !

Mme Corinne Bouchoux. Tout à fait, et ce fut une excellente chose.

M. Bruno Sido. Vous nous faites la leçon ?

Mme Corinne Bouchoux. C’est un rappel historique, monsieur Sido, et non une leçon !

Plongez-vous, mes chers collègues, dans les débats de l’époque. Les arguments défendus étaient alors les mêmes qu’aujourd’hui : il n’était pas naturel qu’une femme fasse de la politique, ni qu’elle délaisse sa famille. (Mme Françoise Laborde acquiesce.) Les temps ont changé. Nous souhaitons une autre approche de la société.

Pour toutes ces raisons, nous voterons contre la motion que vous avez déposée. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Gérard Longuet. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, le groupe UMP m’a demandé de défendre la motion référendaire qui a été excellemment présentée par notre collègue Bruno Retailleau.

M. Charles Revet. Tout à fait excellemment !

M. Bruno Sido. C’est vrai !

M. Gérard Longuet. J’appartiens à une droite libérale,…

Mme Éliane Assassi. Réactionnaire !

M. Gérard Longuet. … qui considère la pratique et les institutions référendaires avec une grande prudence.

M. Jean-Michel Baylet. Vous avez raison !

M. Gérard Longuet. Je suis aussi parlementaire depuis 1978.

Mme Éliane Assassi. Cela fait longtemps !

M. Gérard Longuet. Force est de constater que les représentants du peuple font preuve de professionnalisme et de sagesse, ce qui rend possible des débats contradictoires de qualité. Loin de moi, cher Jean-Michel Baylet, l’idée de condamner le travail parlementaire !

Aussi, je souhaite attirer votre attention sur les raisons profondes, qui sont des raisons d’avenir, car nous les rencontrerons de plus en plus souvent, justifiant cette demande de motion référendaire.

Trois raisons de nature différente, mais qui convergent sur ce sujet, madame la garde des sceaux, me font militer avec conviction pour la motion référendaire et pour le recours direct au suffrage universel.

J’ai bien entendu les arguments liés à la Constitution ; j’aurais pu en ajouter d’autres, qui sont d’ordre politique. Le référendum peut parfois flatter l’émotion, voire se nourrir d’elle, ce qui n’est pas une bonne façon de travailler. Il appelle quelquefois des réponses à des questions, qui ne sont pas posées : nous l’avons constaté, par exemple, en 2005, lors du référendum sur la Constitution européenne.

En l’espèce, nous devrons faire face, à l’avenir, à trois types de considérations sur lesquelles, mesdames, messieurs les sénateurs, nous serons obligés, en qualité de parlementaires, de nous prononcer.

La première raison est que le quinquennat, on l’oublie trop souvent, a profondément modifié notre République.

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Hélas !

M. Gérard Longuet. Je partage votre sentiment, cher collègue !

Désormais, le soir du deuxième tour de l’élection présidentielle, le seul rendez-vous avec l’opinion qui compte véritablement, tout du moins pour les observateurs de la vie politique, c’est le premier tour de la prochaine élection présidentielle, qui aura lieu cinq ans plus tard !

M. Bruno Sido. Tout à fait !

M. Gérard Longuet. Les élections locales deviennent des scrutins contracycliques, ce qui fait que les élus locaux sont sanctionnés ou reconduits pour des raisons parfaitement indifférentes à leurs efforts et à leur travail. Par ailleurs, l’Assemblée nationale, en raison du calendrier législatif, a le sentiment d’être liée par l’autorité – considérable, il faut le reconnaître – du suffrage universel exprimé dans le cadre de l’élection présidentielle.

Vous avez évoqué la force du vote du 6 mai. Cela signifierait que les députés n’ont plus droit ni à la parole ni à la libre appréciation.

Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. C’est vrai !

M. Gérard Longuet. Ils seraient tenus par un contrat de type référendaire, c'est-à-dire par le suffrage universel.

Les sénateurs ne sont pas dans cette situation, étant élus à une autre date, par d’autres électeurs.

Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. Tout à fait !

M. Gérard Longuet. Les rapports de force sont également autres pour eux : ils sont élus soit à la proportionnelle, soit au scrutin majoritaire, ce qui induit des comportements différents.

Faut-il condamner toute respiration politique pendant cinq ans ? Telle est la question que soulève ce débat, mais qui se posera également sur d’autres sujets. Pourquoi ? Parce que le contrat référendaire du 6 mai, que vous évoquiez, est extraordinairement ambigu. Le véritable socle du Président de la République – on le voit d’ailleurs dans les sondages ; c’était vrai pour le président Sarkozy, ça l’est encore plus pour le président Hollande –, sa véritable légitimité populaire, c’est le premier tour.

Au deuxième tour, il fédère des voix différentes, madame Taubira, ce qui participe d’un contrat. Ce dernier est-il global ? Le serment des Folies Bergères vaut-il pour tous ceux qui ont voté au deuxième tour pour François Hollande, pour des raisons de natures profondément différentes ? Pour ma part, je ne le crois pas ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Mme Cécile Cukierman. Tous les candidats de gauche du premier tour étaient favorables à ce texte !

M. Gérard Longuet. Je comprends parfaitement que les députés élus dans le sillage du contrat référendaire du 6 mai se sentent liés. J’en parle d’expérience : en 1978, j’ai été moi-même élu député en tant que candidat du Président de la République, Valéry Giscard d’Estaing, dans une circonscription où j’avais été parachuté ; j’ai d'ailleurs été battu trois ans plus tard pour les mêmes raisons ! Seul le temps m’a permis d’acquérir localement une petite autorité personnelle.

Donnons à ces députés un peu de liberté. Or la seule respiration qui existe, c’est le référendum. C’est important si nous voulons que l’opinion juge la République vivante et la trouve à l’écoute.

Est-ce une innovation complète ? La réponse est non. Les grands Présidents de la République ont utilisé la respiration référendaire, même lorsqu’ils n’y étaient pas contraints.

M. David Assouline. Sarkozy est-il un petit président ?

M. Gérard Longuet. Je ne parle pas du référendum sur l’indépendance de l’Algérie. Je pense, par exemple, au courage du général de Gaulle, décidant de réformer les institutions régionales, et accessoirement le Sénat, et acceptant, un an après sa victoire triomphale de 1968, de remettre tout en jeu lors d’un référendum.

Le président Pompidou a choisi la voie du référendum pour l’entrée de la Grande-Bretagne dans l’Union européenne, car il n’ignorait pas qu’il s’agissait d’une question majeure pour la construction européenne. Le président Mitterrand aussi a eu recours au référendum – je l’ai soutenu – pour la ratification des accords de Maastricht.

M. David Assouline. Et après ?

M. Gérard Longuet. Certes, Nicolas Sarkozy n’a pas fait le choix du référendum.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. C’est juste !

M. Gérard Longuet. Je le regrette parfois. Après la crise financière de 2008, en particulier, il aurait pu proposer de réformer l’économie de notre pays par des mesures courageuses.

Néanmoins, à cette époque, Jean-Michel Baylet l’a souligné, le parti socialiste se mobilisait sur un sujet majeur, qui a bouleversé l’avenir de la société française pour des siècles : il réclamait un référendum sur le statut de La Poste ! (M. Bruno Sido s’esclaffe.) Aujourd’hui, tout fonctionne bien et nous nous sommes épargné ce rendez-vous. Merci messieurs ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Bruno Sido. Vous êtes cruel !

M. Gérard Longuet. Quoi qu’il en soit, le référendum, dans la République quinquennale totalement présidentielle, c’est la respiration qu’attendent nos compatriotes.

Je m’efforcerai d’être plus bref sur la deuxième raison qui justifie le recours au référendum.

M. Charles Revet. Continuez, nous aimons vous écouter !

M. Gérard Longuet. Madame la garde des sceaux, je rends hommage à votre initiative. Vous avez lancé un débat, et vous l’avez fait avec conviction. À tout prendre, si l’on croit à quelque chose, mieux vieux le faire complètement.

Ce débat a suscité un immense intérêt dans l’opinion française. Le statut familial des cas particuliers, mais qui méritent le respect, évoqués par les uns et par les autres aurait pu susciter de l’indifférence. Nous aurions pu traiter rapidement le débat et le bâcler au cours de l’été. Le calendrier parlementaire ne l’a pas voulu, et c’est tant mieux.

Dans notre pays, se sont exprimées des positions différentes, parfois conflictuelles, mais appuyées sur de profondes mobilisations. Nous commençons à mesurer que le débat concerne non pas telle ou telle catégorie, mais le pays tout entier.

J'appartiens à un groupe, celui de l’UMP, qui a pour fierté, je le dis avec gravité, d'avoir donné à la fois la liberté de parole et la liberté de vote à chacun de ses membres. Je suis plutôt conservateur, voire assez traditionaliste, et je crois que cela se sait.

Mme Éliane Assassi. Ah bon ? (Sourires sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. Gérard Longuet. J'essaye d’écouter tout le monde et de comprendre.

Le débat d’aujourd'hui change la nature des relations entre ceux qui réfléchissent à l'hétérosexualité et ceux qui réfléchissent à l'homosexualité. Il faut s'en réjouir, car, après tout, tous les homosexuels sont filles ou fils d'hétérosexuels.

Je suis père de famille : jamais je ne rejetterai le choix sexuel de mes enfants. Évidemment, en tant que père, j'ai envie d'être grand-père. Je me dis donc que plus c'est simple, moins c'est compliqué… (Sourires sur les travées de l'UMP.)

Néanmoins, il me semble que ce débat est en train de faire bouger le pays. Vous l'avez souligné à l’instant, chère collègue, les homosexuels ont parfois le sentiment d'être réprouvés. Ce n'est pourtant pas une tradition française. De la Révolution française à nos jours, si l'on excepte le cas très particulier de la loi de 1942 – j'en parlerai lorsque l'on évoquera le ministère de la marine ; ceux qui connaissent le sujet comprendront –, l’homosexualité n’a jamais été réprouvée dans notre pays.

Pourquoi Oscar Wilde a-t-il choisi la France ? Parce que c'était une terre de liberté. J'ai succédé dans ma circonscription à un ministre du général de Gaulle qui était ouvertement homosexuel. Cela ne l'a jamais empêché d'être réélu pendant quarante ans. J'ajoute que j'entretenais avec lui des relations de confiance, qui n'ont jamais été marquées par une quelconque forme de réprobation.

La cause homosexuelle et la compréhension dans les familles continueront d’évoluer. Certes, il n’est jamais facile d’appartenir à une minorité. Il n’est pas aisé non plus d’afficher que l'on sera différent de ses parents. Néanmoins, les mentalités bougent. Même si j’ai écouté avec beaucoup de respect les points de vue de mes amis de l'UMP à l'Assemblée nationale et au Sénat, que je ne partage pas, pourquoi vouloir arrêter brutalement une évolution qui va dans le sens du progrès ?

Le doyen Gélard, avec son talent et son ironie discrète, a mis en avant un problème qui n’est pas traité. Je veux parler, madame la garde des sceaux, de la marchandisation du corps humain. Lorsqu'il y a adoption, il y a demande. Et lorsqu'il y a demande, il y a offre. Or quand une offre s'organise – c'est le libéral en matière d’économie qui vous le dit –, elle cherche d'une façon ou d'une autre la solvabilité. Cela se constate déjà dans d'autres pays du monde.

M. Gérard Longuet. Puisqu'on ouvre la porte de l'adoption, nous avons le devoir absolu de ne pas tromper ceux dont on prétend satisfaire les besoins.

Il est compréhensible de vouloir s’inscrire dans la continuité et de désirer une famille. Lorsque l’on vieillit, on aime avoir de la jeunesse autour de soi. Celle-ci sera peut-être d’ailleurs hétérosexuelle. Car si les enfants d’hétérosexuels choisissent parfois l’homosexualité, les enfants d’homosexuels pourront choisir l’hétérosexualité.

En tout état de cause, même si le besoin d'adoption sera sans doute marginal, comme le prouve très largement l'étude de l'INSEE, il pèsera sur la demande, au détriment de tous.

Cet état de fait posera une autre difficulté, mise en lumière par Patrice Gélard avec autorité : celle de la filiation. Qu'on le veuille ou non, et plus encore lorsque l'on avance en âge, on a envie de savoir d'où l'on vient. Qui pourrait refuser à un citoyen français de savoir où sont ses racines ? Car ce sont elles qui lui donnent le courage d'affronter la vie dans toutes ses perspectives !

Voilà pourquoi un tel débat ne peut s'arrêter à l’instant. Vous avez lancé avec succès cette discussion, madame la garde des sceaux. J'ai presque envie de dire que les différentes manifestations sont un hommage rendu au débat que vous avez ouvert ! Ne l’interrompez donc pas, puisqu’il n'aura de sérieux et de responsabilité que s'il se conclut par un vote populaire.

En effet, tant que l’on est dans le domaine du « il n’y a qu'à », « il faut qu'on », on peut exalter sa différence. Les plus traditionalistes de ma famille politique affirmeront qu’il ne faut rien changer parce que tout est parfait. Les plus exigeants de la vôtre clameront qu'il faut tout changer parce que rien n'est parfait. Laissons plutôt le débat s’organiser, par exemple, au cours des déjeuners familiaux du dimanche, car ils existent encore. Les familles, si elles doivent voter, examineront sérieusement le sujet.

Si l'on doit s'affronter, on s'affrontera. Mais s’il faut voter, chacun prendra sa part de responsabilité.