M. Nicolas Alfonsi. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, s’il pouvait subsister un doute quant à l’intérêt de ce débat, ce que je viens d’entendre de la part de l’ancien responsable de l’administration pénitentiaire, qui nous a fait part de l’expérience enrichissante qu’il a acquise, l’aurait dissipé.

Jacques Mézard a exposé les raisons qui ont conduit notre groupe à demander au Sénat de débattre aujourd’hui de la politique pénitentiaire. Je ne peux que partager son analyse de l’état de nos prisons, des causes qui ont conduit aux dérives que nous connaissons et des solutions qui pourraient être apportées.

La publication en 2000 du livre du docteur Véronique Vasseur, Médecin-chef à la prison de la Santé, avait livré à l’opinion publique le constat cruel, mais sans concession, de l’état de délabrement avancé de notre système carcéral. La situation n’avait guère évolué depuis des décennies. Cet électrochoc a sans doute permis de réveiller les consciences et a abouti à une véritable prise en compte du problème des conditions de détention dans notre système pénitentiaire, qui sont d’autant moins acceptables que la République se veut un phare en matière de droits de l’homme.

La loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, dont un premier bilan a été établi par notre collègue Jean-René Lecerf dans son rapport, auquel je tiens à rendre hommage – j’ai également à l’esprit l’hommage que lui avait rendu Robert Badinter lors de sa publication –, avait en son temps suscité beaucoup d’espoirs, tant du côté des détenus, de leurs familles et des associations leur venant en aide, que de celui des professionnels du droit, des personnels pénitentiaires, des avocats et des magistrats. Il s’agissait pour la garde des sceaux de l’époque, Mme Dati, de poser « les fondations d’une nouvelle vision de la prison, une vision apaisée du monde pénitentiaire ». Le moins que l’on puisse dire est que son ambition n’a pas encore été traduite dans les faits ; on peut le regretter.

Quelle est la réalité de la prison aujourd’hui ? Un problème de surpopulation ; il a déjà été évoqué. Des conditions de détention très souvent indignes : le respect des règles élémentaires d’hygiène demeure théorique. Des détenus à 50 % illettrés, livrés à eux-mêmes dans une oisiveté mortifère sur laquelle se greffent des pathologies mentales qui rendent illusoire toute idée de réinsertion. La prison est encore et toujours un élément favorisant la récidive. Ce constat a déjà été fait, mais la situation est telle que la répétition est inévitable.

Est-il normal que des primo-délinquants soient si facilement mis en contact avec des délinquants avérés, qui vont nécessairement les influencer ? Est-il acceptable que l’incarcération fasse partie du parcours « normal » des petits caïds, qui en ressortent avec une réputation accrue ? Est-il acceptable que le prosélytisme des intégristes religieux trouve en prison le moyen de s’exprimer ?

Nous continuons d’acquitter la facture du credo de la tolérance zéro, qui avait conduit l’ancienne majorité à durcir toujours davantage sa politique pénale, par exemple en prévoyant la détention des mineurs dès l’âge de treize ans. Je regrette d'ailleurs que la discussion budgétaire ait été arrêtée et que le débat sur la délinquance de la jeunesse n’ait pu avoir lieu à ce moment, parce que cela aurait pu enrichir notre réflexion. Ce programme absurde de tolérance zéro, totalement impropre à résoudre le problème de la délinquance juvénile, faisait des jeunes délinquants des boucs émissaires.

Madame la garde des sceaux, bien qu’il doive naturellement être soumis à des sujétions particulières en raison de sa nature, l’univers carcéral n’en appartient pas moins à notre société démocratique et doit à ce titre être encadré par des règles dignes d’un État de droit. Pour les membres de notre groupe, la prison doit remplir une double fonction : elle est à la fois la sanction infligée par la société à ceux qui en violent les règles et qui doivent s’amender et un outil de prévention de la récidive et de réinsertion des détenus, ce qui implique de donner un sens à la sanction.

Ce constat nous conduit à déplorer, avec le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, dont je dois saluer la liberté de ton et les nombreuses recommandations, que les établissements pénitentiaires restent encore trop souvent soumis à l’arbitraire, malgré les avancées prévues par la loi pénitentiaire. La réinsertion passe par l’accès à des droits sanitaires et sociaux dont l’effectivité n’est pas encore satisfaisante en dépit des principes posés par la loi pénitentiaire.

Dans son rapport de 2011, Jean-Marie Delarue relevait que, comme notre collègue vient de le rappeler, les détenus exerçant une activité rémunérée pour le « service général » ou pour des entreprises extérieures étaient traités et payés de manière injuste, voire dérisoire. La loi impose des minimas de 45 % du SMIC pour la production et de 33 % pour le service général, mais les payes sont souvent inférieures ; à rebours de l’esprit de la loi de 2009, les minimas deviennent en réalité des plafonds. Nous savons d’ailleurs – ce point a également été rappelé – que la Cour de cassation a transmis au début du mois d’avril au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité sur le droit du travail applicable aux détenus. Nous attendons avec intérêt la réponse.

Il faut également souligner que les détenus travaillent dans des conditions bien éloignées des règles d’hygiène et de sécurité : espaces pas ou peu aérés, fréquemment exigus, machines ayant quelquefois plus de trente ans d’âge ou étant d’un maniement dangereux. L’ensemble de ces éléments nous conduit à nous interroger sur la réalité de la dimension sociale de la prison, un volet que les pouvoirs publics ont longtemps ignoré, fabriquant ainsi des délinquants qui nourrissent des sentiments de révolte à l’égard de la société.

Il est temps de mettre fin à la frénésie législative qui a conduit le législateur, pendant si longtemps, à faciliter l’incarcération tout en déplorant le nombre croissant de détenus.

Il est tout simplement absurde de vouloir enfermer pour punir, puis de libérer au plus vite pour faire de la place aux suivants, dans un cycle sans fin. L’affirmation du caractère subsidiaire de l’emprisonnement ferme et de la nécessité de prévoir son aménagement, mise en exergue par la loi pénitentiaire, doit devenir une réalité L’inscription au niveau législatif des principes du régime disciplinaire a permis le retour à la voie de droit, sans toutefois nous remettre au niveau des standards européens.

Madame la garde des sceaux, mes chers collègues, les membres de mon groupe, dans toute leur diversité, ne souhaitent ni verser dans l’angélisme ni céder aux sirènes du « tout sécuritaire ». Notre ligne directrice consiste à concilier la protection de la société et l’application d’une sanction pour des actes délictueux ou criminels avec l’impératif de réaliser un travail de réinsertion sociale et de garantir des conditions d’exercice professionnel satisfaisantes pour les personnels. Tel devrait être l’objectif de toute politique pénitentiaire équilibrée.

Madame la garde des sceaux, nous souhaitons que vous partagiez cet objectif et que, ensemble, loin de toute considération réductrice, nous allions au-delà de la logique de la loi de novembre 2009 pour refonder un régime carcéral digne de la République. (Très bien ! et applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste. – M. François Trucy applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Hyest.

M. Jean-Jacques Hyest. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, mes chers collègues, le nombre de sénateurs présent ce matin montre que le contrôle et l’évaluation passent davantage par la rédaction de rapports que par l’organisation de débats en séance publique… Une audition réalisée par la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois aurait d'ailleurs eu à peu près le même effet que notre débat de ce matin vis-à-vis de l’opinion publique.

Néanmoins, monsieur Assouline, je vous remercie d’avoir perpétué la tradition de la commission des lois. J’avais moi-même instauré la méthode consistant à nommer deux rapporteurs de sensibilité différente. Je crois que cette méthode a donné de bons résultats dans un certain nombre de domaines.

J’en citerai un, qui m’amuse toujours : nous avons rédigé une excellente proposition de loi sur les sondages, qui n’a malheureusement jamais été examinée par l’Assemblée nationale. J’en ignore la raison ; quelques puissants groupes de pression empêcheraient-ils l’examen de notre proposition de loi ?... (Sourires.) Cette question relève peut-être de votre compétence, madame la garde des sceaux, à moins que la responsabilité n’en incombe à votre collègue chargé de la communication.

La commission des lois du Sénat a également beaucoup travaillé sur la santé mentale en prison. C’est d’ailleurs l’un des sujets que je souhaite aborder aujourd'hui.

Les médias et l’opinion publique ont tendance à ne parler des prisons qu’en cas d’évasion. Il est vrai que la dernière en date, à Lille-Sequedin, était très choquante. De tels événements appellent toujours beaucoup de questions. Comment a-t-on pu en arriver là ? Quelles sont les failles ? Une enquête administrative est en cours pour y répondre.

Il est vrai que ce genre d’événements arrive. Souvenez-vous de ce garde des sceaux qui avait rattrapé plus de détenus qu’il n’y avait eu d’évadés ! J’étais député lorsqu’était intervenu cet épisode amusant. C’était une belle époque !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Ne soyez pas méchant ! (Sourires.)

M. Jean-Jacques Hyest. Non, telle n’était pas mon intention, d’autant que M. Arpaillange était quelqu’un de bien.

Madame la garde des sceaux, à mon sens, deux éléments importants ont changé profondément la situation des prisons.

En premier lieu, la loi pénitentiaire a permis d’apporter d’importants changements, consensuels de surcroît. À cet égard, le Sénat a été plus offensif et plus courageux que ne pouvait l’être le garde des sceaux de l’époque.

Certes, il est primordial de penser d’abord aux victimes – on nous le rappelle tous les jours –, mais il nous a paru aussi important de penser à ce que deviendront les détenus, sans faire preuve de trop d’angélisme car, ne nous voilons pas la face, il y a des individus qui commettent des actes particulièrement répréhensibles et parfois extrêmement graves. Il en est aussi pour qui la prison n’est pas forcément adaptée.

À ce sujet, je voudrais évoquer le problème des malades mentaux en prison, car il est toujours d’actualité. Lors de la réforme du code pénal, nous avions réfléchi à la modification de l’article 64 de l’ancien code pénal sur l’aliénation mentale. Nous étions très contents de ce changement, pensant qu’il allait contribuer à atténuer les peines. En fait, tel n’a pas été le cas. Nous nous sommes aperçus qu’il avait plutôt eu pour effet d’aggraver les peines. Or la prison n’est pas la solution ! Toutes les enquêtes que nous avons menées dans des pays étrangers sur ce sujet ont montré que la plupart des pays recourent à d’autres dispositifs. Force est de constater qu’il y a aussi un problème lié à la psychiatrie en France. Celle-ci, pour diverses raisons, a tendance à errer, nous proposant des solutions divergentes. Toujours est-il que, comme il y a très peu de places en établissements fermés, les malades sont gardés en prison. À mon sens, il s’agit d’un problème majeur.

En second lieu, il faut mentionner la création du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, dans laquelle le Sénat s’est aussi beaucoup impliqué.

Avant que nous ne nous précipitions pour décider de sa fusion avec une autre institution, je n’ai pas peur de dire qu’il a encore beaucoup de travail à accomplir. Les préconisations qu’il formule au travers de ses rapports sont extrêmement précieuses, et je tiens à saluer la qualité du travail du Contrôleur général et de son équipe de collaborateurs.

Nous avons la même conception de sa mission que M. Delarue lui-même : il s’agit non pas de condamner telle ou telle pratique, mais d’essayer de faire en sorte que les choses s’améliorent progressivement, au travers d’un dialogue avec les établissements et les services pénitentiaires, à l’instar de ce que pratiquent avec succès nos amis britanniques.

Madame la garde des sceaux, sachez que je partage les conclusions du riche rapport de nos collègues Jean-René Lecerf et Nicole Borvo Cohen-Seat. Pour avoir beaucoup fréquenté des établissements pénitentiaires depuis 2000, et même avant, je connais bien le sujet, mais je me contenterai de parler des aménagements de peines. Je pense en effet qu’il s’agit d’une question fondamentale.

Certes, d’autres problèmes se posent. Par exemple, on peut se demander combien d’heures de travail de surveillants seraient gagnées si l’on installait partout des portiques dans les plus grands établissements. Ne vaudrait-il pas la peine de réaliser un tel investissement ?

Après tout, dans les aéroports, notamment, mais aussi ailleurs, c’est ainsi que cela se passe. À mes yeux, cette question devrait être une priorité, pour permettre de libérer les surveillants de tâches qui ne sont pas forcément faciles pour eux. En même temps, je pense que cela donnerait satisfaction aux détenus, parce qu’il y aurait moins de fouilles à corps. Une telle modernisation devrait faire l’objet d’une évaluation sur une base simple : si l’on installe tant de portiques de plus, combien d’heures travaillées seront économisées ? Je suis convaincu que ce calcul serait bénéficiaire.

J’en viens aux aménagements de peine. Vous le savez, certains en arrivent toujours à la conclusion suivante : il y a trop de gens en prison, donc il ne faut plus condamner.

Votre circulaire du 19 septembre 2012 aux procureurs généraux ne disait pas autre chose, même s’il faut tenir compte du contexte. En effet, vous leur recommandiez de « s’assurer que les modalités d’exécution des peines d’emprisonnement tiennent compte de l’état de surpeuplement des établissements pénitentiaires. » Cela me gêne toujours d’entendre cela. Toutefois, ce n’est pas tout, heureusement, puisque vous préconisiez ensuite une politique dynamique d’aménagement de peines. Là, je suis d'accord, et l’on est en plein dans le sujet !

Selon moi, ce qui importe n’est pas tant le nombre des places, même s’il faut en avoir assez, que l’individualisation des peines.

À cet égard, je rappelle tout de même à ceux qui réclament des changements en la matière que la loi pénitentiaire avait été offensive, puisque les aménagements de peine étaient obligatoirement envisagés jusqu’à deux ans. Durant la discussion, le gouvernement de l’époque avait tenté de revenir à un an, mais nous avions tenu bon.

Quel est le sens de cette durée de deux ans ? Celle-ci part surtout du constat, partagé par beaucoup d’entre nous, que les très courtes peines ont une utilité extrêmement faible, voire, peut-être, plus d’inconvénients que d’avantages, car elles mettent en contact de grands délinquants avec des gens qui vont apprendre d’eux un certain nombre de choses. On le sait tous, certains mineurs deviennent des héros lorsqu’ils sortent de détention ; ils gagnent une respectabilité dans leur quartier. Or je ne pense pas que tel est l’objectif que nous visons.

Les aménagements de peine nous paraissent donc extrêmement importants. À ce sujet, le rapport de nos collègues est tout de même éloquent, puisqu’il tend à constater qu’il n’y a pratiquement plus de semi-liberté. C’est tout de même incroyable ! Certes, des justifications sont avancées, mais elles ne doivent pas nous empêcher de réfléchir à des solutions.

Le placement à l’extérieur est extrêmement réduit. En revanche, je dois reconnaître que la surveillance électronique marche bien. Tout à l’heure, M. Mézard rappelait que notre excellent collègue Cabanel avait dû se battre pour le bracelet électronique, car l’administration n’en voulait pas. Deux lois ont été nécessaires pour finir par l’imposer ! Certes, ce n’est pas la panacée ; du reste, il n’y a pas de solution idéale en la matière.

Par ailleurs, cela a été dit, les procédures simplifiées d’aménagement des peines font l’objet d’une utilisation très prudente. Enfin, et surtout, se pose le problème de la libération conditionnelle.

Sur toutes ces questions, nous pensons, et la loi tendait justement à l’affirmer, que ces aménagements ne doivent pas être systématiques. Mais il est tout de même triste que ce soient les conditions matérielles qui empêchent de mettre en œuvre ces procédures.

Monsieur Assouline, vous avez raison de souligner qu’il est important d’évaluer la récidive par établissement. Certes, il y a des obstacles, éventuellement d’ordre psychologique, car la population des établissements n’est pas toujours homogène. Or, nous le savons bien, les risques de récidive sont plus importants pour certains délits que pour d’autres.

Néanmoins, selon une étude de l’administration pénitentiaire qui date de 2012, me semble-t-il, les risques de récidive des libérés n’ayant bénéficié d’aucun aménagement de peine restent 1,6 fois plus élevés que ceux des bénéficiaires d’une libération conditionnelle. Il faut donc faciliter ce type d’aménagement pour préparer la sortie des prisonniers. Or il y a encore trop de sorties sèches de détention, ce qui constitue l’un des graves problèmes de notre système.

Madame la garde des sceaux, la crise a rendu plus difficiles un certain nombre de pratiques, que nous souhaitions justement développer. Je pense au travail en prison, qui souffre en outre de la concurrence avec l’activité des entreprises. Il y a donc moins de donneurs d’ordres.

Il en est de même en ce qui concerne la formation et l’éducation. Comment convaincre les régions, qui sont chargées de la formation professionnelle, de s’impliquer davantage – quelques-unes d’entre elles le font, mais pas toutes – dans les établissements pénitentiaires ?

Enfin, si l’on veut des aménagements de peines, il faut des personnels dans les SPIP, les services pénitentiaires d’insertion et de probation, tout simplement. Comme le rappelait Jean-René Lecerf tout à l’heure, alors que l’on estimait à 1 000 le nombre des agents nécessaires pour aboutir à un taux d’encadrement suffisant, on en a recruté seulement 250 !

S’il y a une priorité, elle est bien dans les SPIP. Et, bien entendu, il faut aussi des juges d’application des peines, car les juridictions de jugement prennent peu de décisions d’aménagement de peines, ce qui est dommage, d’ailleurs. Si les juges d’application des peines ne sont pas en nombre suffisant, s’ils sont surchargés – il faut savoir qu’ils exercent parfois cette fonction à temps partiel et qu’ils ont donc d’autres tâches –, nous ne progresserons pas dans la voie des mesures alternatives à l’incarcération.

Madame la garde des sceaux, je tiens à remercier mes collègues. Il y a bien sûr d’autres sujets sur lesquels j’aurais pu développer quelques arguments, mais je tiens à dire que le Sénat dans son intégralité, me semble-t-il, sera toujours très attentif à l’application de la loi pénitentiaire. Ceux qui ont participé à son élaboration, comme ceux qui ont travaillé au sein des commissions d’enquête ont eu à cœur, en fin de compte, de placer la protection de la société au centre du système.

Certes, si des gens sont en prison, ce n’est pas sans raison. Toutefois, on sait très bien qu’ils en sortiront un jour. Seront-ils alors meilleurs ou pires ? Pour notre part, nous souhaitons qu’ils soient meilleurs. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Virginie Klès.

Mme Virginie Klès. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, quand je me suis inscrite sur la liste des orateurs intervenant dans ce débat, je me suis interrogée : en dix minutes, que peut-on dire d’utile pour contribuer au combat que nous menons, sur toutes les travées de cette assemblée, pour que les prisons ne soient plus « la honte de la République », pour qu’elles ne soient plus l’école du crime, pour qu’elles n’engendrent plus la haine ?

Aujourd’hui, nous n’examinons pas un texte de loi. Ce qui est important, c’est donc la parole que nous allons porter et l’information qu’en retiendront nos concitoyens. En effet, madame la garde des sceaux, quelle que soit votre volonté, des choix budgétaires vont intervenir, et il faudra vous soutenir dans votre combat, pour que les arbitrages soient rendus en faveur des prisons. Nous devons donc aussi convaincre nos concitoyens, pour que vous soyez soutenue dans ce combat.

Bien sûr, il faut parler des situations extrêmes, parce qu’elles sont toujours inacceptables, quelles qu’elles soient. Toutefois, ne parler que des extrêmes peut créer une certaine confusion dans l’opinion.

En décembre 2012, le contrôleur général des lieux de privation de liberté, unanimement reconnu aujourd’hui et abondamment cité, a dénoncé avec justesse la situation intolérable de la prison des Baumettes. À cette époque, même nos concitoyens les plus attachés à l’emprisonnement reconnaissaient qu’il fallait agir, parce que la présence de rats dans les cellules leur paraissait intolérable. Aujourd’hui, parce que Redoine Faïd s’est évadé, nos concitoyens en viennent à penser que l’urgence consiste à mieux fermer les prisons, à mieux empêcher les évasions, et non plus à s’occuper des rats.

Ne nous y trompons pas : la situation intolérable et exceptionnelle des Baumettes n’est pas unique en France, alors que l’évasion de Redoine Faïd, tout aussi intolérable, constitue un événement unique, heureusement ! J’ai été choquée d’entendre une journaliste dire, à la télévision, que des détenus aujourd'hui s’évadaient à coups d’explosifs et que d’autres menaçaient de s’évader. Non, madame la journaliste, un seul détenu s’est évadé à coups d’explosifs et un seul autre a menacé de le faire, alors que de nombreuses prisons, en France, connaissent une situation intolérable, comparable à celle des Baumettes, il faut le dire et le répéter !

En revanche, des détenus vraiment repentis s’en sortent et luttent aujourd’hui pour la prévention de la délinquance. Pourquoi ne parle-t-on jamais de personnes comme Yazid Kherfi, qui a fait de la prison et qui travaille aujourd’hui comme consultant en prévention de la délinquance ? Nous devons donc sortir des caricatures et faire attention au discours que nous tenons aujourd’hui à l’intention de nos concitoyens.

M. Claude Dilain. Très bien !

Mme Virginie Klès. J’ai décidé de vous parler de mon expérience, car j’ai usé des prérogatives liées à mon mandat parlementaire pour visiter des lieux de privation de liberté et observer ce qui s’y passe.

Par ailleurs, j’y insiste, il convient de lire tous les rapports du contrôleur général des lieux de privation de liberté, dans leur intégralité, sans se limiter aux passages dénonçant des situations intolérables, les plus susceptibles de nourrir l’actualité immédiate. En effet, ces rapports mettent aussi en lumière le quotidien des prisons françaises.

À Rennes, par exemple, j’ai visité une prison pour femmes située en plein centre-ville, très accessible aux familles et aux associations. Ses locaux sont un peu vieillots, certes, mais l’ambiance y est sereine, parce qu’il n’y a pas de bruit. En revanche, j’ai entendu le bruit de la détention dans la prison toute neuve et toute propre de Vezin-le-Coquet. Ce bruit que l’on ne peut imaginer résonne toute la journée dans les têtes des détenus, aussi bien que dans celles des surveillants. Ce bruit rend la vie insupportable : quelque chose ne fonctionne pas !

Pourtant, dans ces deux prisons très différentes en termes de locaux, j’ai pu observer des équipes composées de surveillants et d’autres fonctionnaires de l’administration pénitentiaire, tous attachés à faire leur métier, à veiller à ce que les choses se passent bien, à réussir la réinsertion des détenus de leur prison.

La prison pour femmes de Rennes est pionnière en matière d’activités offertes aux détenues et la direction de la prison de Vezin-le-Coquet multiplie les efforts pour favoriser l’émergence d’une parole collective au sein de la prison, pour réapprendre aux détenus à parler, à prendre des responsabilités, à négocier, à s’ouvrir aux autres et à ne pas rester refermés sur eux-mêmes, quand ils sont déjà enfermés en prison.

Certains dispositifs fonctionnent donc, pourquoi ne sont-ils pas connus ? À la prison de Vezin-le-Coquet, l’expérience de parole collective que j’ai évoquée faisait partie d’une expérimentation entamée sous l’ancien gouvernement. Malheureusement, cette expérimentation est aujourd’hui devenue lettre morte ; elle n’a pas été reprise ni étendue. Beaucoup reste donc à faire.

J’ai pu aussi constater la présence en prison de malades relevant de la psychiatrie, présence tout à fait anormale, mais qui ne constitue malheureusement pas une exception. Certes, ces malades ne représentent pas la majorité des détenus, mais ils sont encore trop nombreux pour être considérés comme l’exception. Il est donc extrêmement important d’agir en ce domaine.

Enfin, je dois évoquer cet ancien détenu, un jour dans mon bureau. Il est arrivé en me disant : « Madame le maire, je sors de la prison de Rennes et je veux m’en sortir, alors aidez-moi ! Trouvez-moi un endroit où je puisse me doucher, parce que, pour s’en sortir, il faut être propre. Je veux m’en sortir, mais je n’ai plus un sou et j’ai plein de dettes, notamment des amendes de la SNCF. Je vis à Rennes, mais ma tutrice est à Nantes et j’ai dépensé mon pécule en payant un billet de train pour aller la rencontrer, parce que j’avais besoin d’argent. Je n’ai pas eu de chance, elle n’était pas là quand je suis arrivé, parce que je n’avais pas pensé à prendre un rendez-vous par téléphone. J’avais dépensé tout mon argent pour le voyage aller et il ne m’en restait plus, donc je suis revenu sans acheter de billet et j’ai eu une amende. Je suis retourné voir ma tutrice le lendemain, mais elle était encore absente. J’y suis retourné une troisième fois, elle n’était toujours pas là. »

Il m’a montré une épaisse liasse d’amendes de la SNCF et a ajouté : « Maintenant, dites-moi ce que je dois faire ! Ma tutrice doit m’envoyer un mandat, mais ma carte d’identité est périmée et La Poste ne veut pas me verser mon argent. Si je veux une nouvelle carte d’identité, il me faut des sous, parce que j’ai besoin de faire des photos d’identité. » Cette situation peut paraître ubuesque, mais elle est véridique, je vous l’assure.

Aussi, je lui ai donné de l’argent pour qu’il fasse des photos afin d’établir une nouvelle carte d’identité, mais il faut compter un délai de trois semaines pour obtenir ce document. En attendant, la mairie a dû appeler La Poste pour que cette personne puisse exceptionnellement toucher son mandat. Voilà la réalité !

Je ne mets surtout pas en cause, en l’occurrence, les membres de l’équipe qui a entouré la sortie de ce détenu ; ils n’y pouvaient mais, car ils n’étaient pas assez nombreux pour gérer un dossier égaré à la suite des transferts entre prisons, etc. La sortie des détenus mérite donc d’être réellement encadrée, si nous voulons éviter qu’elle ne finisse mal.

Quand on parle de prison et de système pénitentiaire, il faut vraiment entendre tout le monde. J’ai donc entendu aussi des femmes victimes de violences conjugales, ainsi que des enfants également victimes de violences, qui n’osent pas porter plainte, parce qu’ils ne veulent pas envoyer leur père ou leur conjoint en prison, dans cette prison « honte de la République ». Ils préfèrent subir, plutôt que de risquer d’envoyer en prison la personne qu’ils aiment ou ont aimée.

De telles situations doivent être prises en considération : si nous voulons lutter contre la délinquance et contre les violences, il faut aussi que les victimes n’aient pas peur de porter plainte. Il ne faut pas qu’elles aient à redouter les conséquences de leur geste pour la personne contre laquelle elles vont porter plainte, ni qu’elles puissent craindre d’abîmer toute une vie avec une condamnation à quelques mois de prison, provoquant la perte d’un emploi et une véritable rupture sociale pour l’intéressé.

Prenons aussi en compte le personnel pénitentiaire, les surveillants. On rencontre quelques héros parmi eux, mais aussi – pardonnez-moi le terme, mais l’un d’entre eux l’a utilisé récemment devant moi – quelques « brebis galeuses ». Quoi qu’il en soit, l’immense majorité des gardiens font leur boulot comme ils peuvent dans des conditions déplorables, les mêmes que celles dans lesquelles vivent les détenus. Ils travaillent dans des conditions de tension inimaginables : quand un seul surveillant est chargé de 120 détenus, la situation devient infernale et il ne peut pas remplir son rôle comme il le voudrait. N’oublions donc pas tous ces surveillants qui aimeraient pouvoir être fiers de leur métier et qui ne peuvent pas l’être aujourd’hui.

Madame la garde des sceaux, les urgences ont déjà été soulignées par mes collègues et je sais que vous ne manquez pas de volonté sur le long terme. Il est urgent de mettre en place des scanners corporels pour rétablir la sécurité, sans porter atteinte à la dignité des détenus ni des surveillants – l’un d’entre eux faisait remarquer que l’on ne tire aucune fierté d’obliger quelqu’un à se déshabiller pour le fouiller.

La surpopulation et la rénovation des locaux sont une autre priorité, mais vous l’avez compris, puisque vous ne lancerez pas de nouveau plan de construction de prisons, préférant consacrer vos crédits à la rénovation.

Il faut aussi apaiser le climat régnant dans les prisons. Pour cela, des outils comme le scanner corporel ou des caméras sont certes indispensables, car ils permettent d’alléger le travail des surveillants, mais le recours à ces moyens techniques ne doit pas occulter l’importance de l’humanité, de l’autorité et du droit. Une caméra ou un scanner ne font pas le droit. Celui-ci est fait par les hommes et les femmes qui travaillent dans les prisons.

Madame la garde des sceaux, je sais que vous ne manquez pas de volonté. Comptez sur notre soutien pour que ce rapport ne soit pas inutile ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Frédérique Espagnac.