M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Baylet.

M. Jean-Michel Baylet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’élaboration d’un Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale est toujours, par nature, un exercice complexe. En effet, il s’agit de concilier prospective à long terme et monde en perpétuel bouleversement, impératifs militaires et contraintes budgétaires.

À ce jour, nos forces sont engagées au Mali, mais aussi en Côte d’Ivoire, au Tchad, au Liban, dans l’océan Indien, contre les actes de piraterie, ou encore en Afghanistan. Je souhaite en cet instant rendre hommage à leur efficacité, à leur dévouement et à leur action.

C’est également à des militaires qu’il revient d’assurer la protection de notre territoire, dans le cadre du plan Vigipirate. La violente agression dont a été victime un soldat lors d’une patrouille en fin de semaine dernière nous l’a rappelé. Je souhaite d’ailleurs exprimer, à titre personnel, ainsi qu’au nom de l’ensemble de notre assemblée, toute notre solidarité au première classe Cédric Cordier et lui adresser nos vœux de prompt rétablissement.

M. Alain Chatillon. Très bien !

M. Jean-Michel Baylet. Mes chers collègues, la rédaction du présent Livre blanc, cinq ans à peine après celle du précédent, se justifiait également au regard des perspectives en termes de finances publiques et de redressement des comptes de l’État. Ainsi, dès 2012, dans son bilan à mi-parcours de la dernière loi de programmation, la Cour des comptes soulignait que « la programmation budgétaire [pour les années 2009-2014] a péché par excès d’optimisme : certaines hypothèses [n’ayant] pas fait preuve d’un réalisme suffisant ». Elle recommandait la mise à jour du Livre blanc.

Il importe donc de ne pas céder de nouveau, lors de l’élaboration de la future loi de programmation, à la tentation de l’incantatoire. Je formule le vœu, monsieur le ministre de la défense, que le Sénat soit pleinement associé à la rédaction de ce texte, qui sera examiné à l’automne. De ce fait sera concrétisée la volonté exprimée par le Président de la République de renforcer les prérogatives du Parlement. Nous, sénateurs, avons encore en mémoire la façon dont s’étaient déroulés les débats en 2009, procédé qui n’avait pas recueilli notre assentiment…

Ce quatrième Livre blanc trace donc les grandes orientations de notre politique de défense et de sécurité, que M. le Premier ministre nous a exposées tout à l’heure. Une question subsiste cependant : le scénario retenu permettra-t-il à la France de conserver son rang ?

Même si le Président de la République a annoncé que tous les programmes militaires seraient maintenus, il semble néanmoins difficile, compte tenu des contraintes budgétaires, de ne pas en étaler certains dans le temps. Sachant qu’il importe aussi de soutenir nos industries de pointe, quels choix stratégiques seront faits, monsieur le ministre ?

Par ailleurs, vous le savez, l’annonce de la suppression de 24 000 postes supplémentaires dans les armées suscite des inquiétudes quant à notre capacité de projection de troupes, mais aussi quant à l’évolution de la présence militaire sur notre territoire. S’il est bien sûr encore trop tôt pour établir la carte militaire à l’horizon 2020, pouvez-vous, monsieur le ministre, nous indiquer quelle méthodologie sera choisie pour mener à bien ce redéploiement ?

Mes chers collègues, parmi les autres grands thèmes abordés dans le Livre blanc, j’en relèverai deux : d’une part, l’accent mis sur le renseignement, dont nous savons l’importance, notamment dans les conflits asymétriques et face aux risques terroristes ; d’autre part, la sanctuarisation des composantes aéroportée et océanique de la dissuasion nucléaire qui pose la question de leur poids dans le budget de la défense.

L’objectif de concilier autonomie stratégique et mutualisation s’incarne presque naturellement dans la volonté affirmée dans le Livre blanc, et répétée par le chef de l’État, de construire une véritable Europe de la défense.

Le traité de Lisbonne a renforcé l’intégration européenne de la politique de sécurité et de défense commune. Cependant, quatre ans après sa signature, ces avancées tardent, hélas ! à se concrétiser.

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat a mis en place un groupe de travail sur cette thématique. De son côté, Marie Récalde, notre collègue député, dans son rapport sur la proposition de résolution sur la relance de l’Europe de la défense, relève à la fois « une multiplicité d’organismes compétents qui nuit à leur efficacité » et « un regrettable manque d’ambition politique ». L’engagement de nos forces armées au Mali, aux côtés des contingents africains, s’il fut, monsieur le ministre, une réussite militaire indéniable, dont nous nous réjouissons, a jeté une lumière cruelle sur ces deux aspects. À cet égard, il est bon de souligner que le retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN n’a pas permis cette relance.

D’ailleurs, l’auteur du rapport précité voit dans « la baisse des capacités de défense des États membres du fait de leurs contraintes budgétaires » « un risque sérieux, mais aussi une occasion à saisir » pour construire l’Europe de la défense, par la mutualisation des efforts à l’échelon européen. Comment envisagez-vous de relancer cette coopération, monsieur le ministre ?

Dans un contexte où notre allié historique, les États-Unis, effectue un repositionnement stratégique et prend ses distances avec les théâtres d’opérations en Méditerranée et en Afrique pour privilégier un axe Asie-Pacifique, il est temps que l’Europe devienne une véritable puissance militaire et de défense.

M. Alain Chatillon. Très bien !

M. Jean-Michel Baylet. L’épisode de l’achat de drones américains par la France, achat nécessaire et que nous soutenons, pose enfin la question de la coopération entre industries européennes, alors qu’il faut admettre que nous avons raté la révolution de ces appareils sans pilote. Cette acquisition, telle qu’elle a été décidée par le Gouvernement, constitue donc la meilleure option, pour ne pas dire la seule, en attendant que nous rattrapions notre retard technologique.

Dans cette optique, mes chers collègues, le Conseil européen qui se tiendra au mois de décembre prochain apparaît comme un sommet crucial. La France et l’Europe sont à la croisée des chemins. Il sera important de prendre les bonnes décisions. Ne manquons pas ce rendez-vous ! (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste, de l'UDI-UC et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Leila Aïchi.

Mme Leila Aïchi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au nom du groupe écologiste, je tiens tout d’abord à rendre hommage au militaire blessé, Cédric Cordier, ainsi qu’à l’ensemble de nos militaires qui se trouvent actuellement au Mali, notamment.

Cela dit, en 2008, les écologistes avaient été autorisés à contribuer au débat sur le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale. En 2012, malgré notre insistance, nous avons été « vertement » ignorés. Nous regrettons que l’élaboration du nouveau Livre blanc n’ait pas été l’occasion pour l’ensemble des composantes de l’arc républicain de s’exprimer, ce qui l’eût rendu plus légitime.

Cependant, si le présent Livre blanc a pour qualité première de constituer un état des lieux du « pouvoir faire » en matière de défense dans les dix ans à venir, compte tenu des moyens dont nous disposons et de la situation du monde, force est de constater qu’il ne tire pas les conclusions adéquates. Sa lecture laisse en effet une impression d’incertitude et d’inachevé.

Le modèle budgétaire devrait intégrer 4,5 milliards d’euros de recettes exceptionnelles. Pour rappel, entre 2009 et 2011, sur les 3,5 milliards d’euros de recettes exceptionnelles attendus, seuls 980 millions d’euros ont été effectivement obtenus.

La contrainte budgétaire, sous le prisme du lobby militaro-industriel, a surdéterminé la réflexion stratégique.

Le dogme du nucléaire a été soustrait de la réflexion. L’outil de défense, figé dans une posture défensive d’ultime recours circonscrit à l’intégrité territoriale, conduit au format redouté par le général Desportes – « la bombe et les gendarmes » – et appauvrit les forces conventionnelles.

À cet égard, le groupe écologiste du Sénat est au regret de constater l’absence de grandes orientations pour notre outil de défense, bref, l’absence d’une stratégique claire.

L’état des rapports de forces n’est pas non plus abordé lucidement dans le Livre blanc. Il n’y a plus d’ennemi désigné. Notre défense ne se résume plus à l’obsédante question de la sauvegarde de l’intégrité de notre territoire, de notre indépendance politique, de notre existence. C’est au regard d’un continent pacifié, d’une planète dominée par la puissance militaire des pays occidentaux que doit être posée la question du rôle de notre armée professionnelle.

L’accroissement des dépenses d’armement, notamment des pays émergents, ne doit pas faire illusion. Cette augmentation doit être comparée à la hausse du produit intérieur brut de ces pays émergents, dont l’effort de défense suit la courbe de leur montée en puissance vers l’accession à un statut international, en adéquation avec leur démographie et leur économie.

Les données du SIPRI, l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm, instance de référence, démontrent que, en termes de pourcentage du PIB, les dépenses d’armement demeurent stables.

De la même manière, le rapport de 2012 d’Europol permet de reconsidérer le danger que constitue le terrorisme. Sur les 125 actes terroristes recensés en 2012 en France, 121 ont été le fait d’indépendantistes. Cette information ne diminue en rien l’atrocité des actes commis, mais elle permet de donner une consistance à une menace trop souvent fantasmée, exagérée et instrumentalisée. J’en veux pour preuve les 11 450 victimes du terrorisme dénombrées en 2012 dans le monde, chiffre bien inférieur aux 30 000 morts par arme à feu comptabilisées chaque année aux États-Unis.

Après avoir fait la guerre contre un concept, comme d’autres contre des moulins, cessons de rechercher un ennemi pour définir notre politique de défense. La plus dramatique illustration d’une telle pratique fut la politique outrancière et caricaturale menée par l’administration de Georges Bush, en grande partie à des fins commerciales.

En matière de stratégie antiterroriste, dans son discours du 23 mai dernier, le président Obama a développé une analyse juste en considérant que « cette guerre, comme toutes les guerres, doit prendre fin. C’est ce que l’Histoire nous conseille. C’est ce que notre démocratie exige. » Il poursuivait : « Nous ne pouvons pas avoir recours à la force partout où s’enracine une idéologie radicale. Et en l’absence d’une stratégie qui réduirait l’extrémisme à la source, une guerre perpétuelle – via des drones, des commandos ou des déploiements militaires – serait perdue d’avance. »

Alors, mes chers collègues, pour être combattus efficacement, la prolifération nucléaire et le terrorisme doivent être analysés sans postulat idéologique, loin de toute diabolisation stérile.

Pierre Conesa, expert reconnu, nous rappelle que « contre la suprématie absolue des Occidentaux, les stratégies des contestataires de l’ordre international ne peuvent être que le terrorisme et la prolifération nucléaires, moins onéreux et plus aisés que la recherche d’un inaccessible équilibre conventionnel. »

La poursuite de nos engagements vis-à-vis du renforcement de la légalité internationale, de la responsabilisation des acteurs privés, comme les sociétés extractives de minerais ou d’énergies fossiles, et de l’encadrement du commerce des armes doit participer au premier chef à la stabilisation des relations internationales. Celle-ci doit intégrer l’impératif de la prévention des conflits, au moment même où la demande exponentielle de matières premières, conjuguée aux crises énergétiques et environnementales et au changement climatique, accroît les tensions.

Le stress environnemental constitue l’un des tout premiers facteurs de tension et de faillite des États. Le rapport prospectif de l’Union européenne Global trends 2030 annonce une « ère de la pénurie », et ajoute que la « concurrence pour les ressources hydriques et énergétiques ainsi que les crises humanitaires, de déplacement de personnes et d’effondrement étatique, devraient constituer l’un des plus importants facteurs d’affrontement en 2030. » Le président Obama a d’ailleurs érigé le changement climatique en priorité pour la sécurité nationale. C’était en 2008. Quand la France en fera-t-elle autant ?

Moins saisissable et plus complexe à combattre qu’un prétendu État voyou, la crise environnementale et énergétique est aussi plus réelle et plus menaçante. Un stress nourricier, hydrique et climatique ne se dissuade pas. Un stress nourricier, hydrique et climatique nécessite cette prévention que nous peinons à théoriser. Un stress nourricier, hydrique et climatique donne tout son sens à la mise en œuvre de la stratégie de la protection que nous prétendons porter. Une course aux matières premières ne s’arbitrera pas plus à la canonnière qu’avec des appels à la vertu. Et quid des réfugiés climatiques, qui, selon l’ONU, devraient être 250 millions en 2050 ?

Mes chers collègues, les conflits du XXIe siècle ne sont plus les conflits du siècle précédent. L’opération Serval est une leçon magistrale du prix humain et financier de la restauration de l’autorité d’un État corrompu, érodé par son incapacité à gérer les aléas climatiques. Les conditions de la paix résident dans le désamorçage précoce des crises environnementales et énergétiques qui se profilent.

La prévention des conflits doit être une priorité. Un secrétariat d’État dédié permettrait de structurer et de coordonner l’action de l’État en ce sens. Les capacités des armées doivent être repensées en conséquence. Les Anglo-saxons ont déjà conceptualisé cette évolution. À nous de développer notre doctrine écosystémique, notre green defense. La transition environnementale des armées découle logiquement de l’appréciation géopolitique de nos dépendances en matières premières et de notre volonté d’enrayer un mode de compétition belligène.

Au-delà du constat des enjeux et des risques, c’est la question de nos moyens pour répondre à ces derniers qui est éludée par le Livre blanc. Nous devons dresser un bilan de nos possibilités. La France n’a plus les moyens de la grandiloquence. Les départements et collectivités d’outre-mer ne donnent pas à notre pays la capacité de peser dans les océans Pacifique et Indien. Pourtant, la France est non seulement la deuxième puissance maritime mondiale par la superficie de ses eaux territoriales, avec 11,2 millions de kilomètres carrés, mais également la première puissance maritime mondiale par sa biodiversité. À cet égard, je vous rappelle que, à l’échelon mondial, les trafics liés à la biodiversité arrivent en troisième position, après les trafics d’armes et de drogues.

La doctrine de la défense tous azimuts tient plus du discours que de la réalité. Notre défense ne peut se concevoir en dehors de nos schémas d’alliance. La géographie multiplie non pas les capacités, mais les coûts et les contraintes. La géographie française dicte les prémisses de notre politique de défense : une politique d’alliances et de promotion de la sécurité collective onusienne.

L’intervention au Mali n’aurait pas été possible sans l’appui logistique et les moyens d’observation anglo-américains. En évoquant la possible facturation de ce soutien, les Américains nous ont délivré un message clair : ils ne souhaitent plus être les supplétifs de nos ambitions. Qui pourrait le leur reprocher ?

Nous devons fixer notre cadre d’action géographique et développer résolument l’échelon européen. Les axes prioritaires définis dans le présent Livre blanc rejoignent la géographie de l’influence française. C’est une avancée notable par rapport au précédent Livre blanc. Cependant, malgré l’annonce d’une relance de l’Europe de la défense et d’un Livre blanc européen, force est de le constater, l’Europe de la défense se surajoutera à la dissuasion nationale. Elle ne doit pas être pensée comme une défense d’appoint. L’Europe doit construire une identité de sécurité et de défense de premier plan.

À l’alternative entre politique des moyens et politique d’ambition, les écologistes préfèrent opposer une politique du réel et du pragmatisme face à l’origine environnementale et énergétique des conflits à venir. Les changements environnementaux qui affectent la biodiversité et la qualité de l’air, de l’eau, des sols et des océans, ainsi que leurs imbrications, aux effets insoupçonnés, conduisent et conduiront immanquablement à un changement dans les rapports de force internationaux. C’est justement à l’aune de ces risques et de ces contraintes que nous devrions construire notre stratégie de défense.

Mes chers collègues, le XXIe siècle est et sera le siècle traversé par des tensions liées au changement climatique, à la raréfaction des matières premières et à l’explosion démographique mondiale. La conjugaison de ces facteurs entraînera des tensions sociales et environnementales jamais vues dans l’histoire de l’humanité ; j’y insiste.

Nous devons d’ores et déjà considérer le développement durable comme une donnée stratégique pour la construction de notre défense. La France et l’Europe ont les moyens d’une politique de défense ambitieuse tournée vers la prévention des conflits. Pour atteindre cet objectif, l’action de l’État à l’extérieur doit être coordonnée et canalisée. Les aides publiques au développement sont de réels leviers d’action, à condition qu’elles ne soient pas attribuées à la Chine ni ne servent à l’entretien de régimes défaillants, comme le régime malien déchu.

Ces derniers exemples illustrent les lacunes du positionnement français, aveugle aux marges de manœuvres existantes, crispé sur des postulats idéologiques révolus et prolongeant des modes d’action néfastes. Le vide stratégique est manifestement notre tourment. La concertation et le débat sont les seuls remèdes. Europe Écologie-Les Verts a entrepris, sur ma proposition, la rédaction d’un Livre vert de la défense, que nous remettrons officiellement au Président de la République préalablement au Conseil européen de défense. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.  Mme Michelle Demessine applaudit également.)

(M. Jean-Pierre Raffarin remplace M. Jean-Pierre Bel au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Raffarin

vice-président

M. le président. La parole est à M. Xavier Pintat.

M. Xavier Pintat. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, avec la politique de défense, nous abordons un sujet déterminant pour l’avenir de la France. L’essentiel est en jeu : notre capacité à protéger nos concitoyens, notre rôle et notre place dans le monde. C’est dire l’importance qu’il convient d’accorder à ce nouveau Livre blanc, voulu par le Président de la République.

Que retirons-nous du travail réalisé, auquel ont participé trois collègues ? Tout d’abord, ce Livre blanc pose les bases d’un projet de défense qui préserve l’essentiel, mais sa crédibilité reste à démontrer. Elle dépendra largement de la prochaine loi de programmation militaire et de toutes les lois de finances qui la mettront en œuvre. Ensuite, aucune des grandes orientations de notre défense n’est remise en cause. Les principales ambitions en la matière s’inscrivent d'ailleurs dans la continuité du Livre blanc de 2008 ; je pense en particulier à la dissuasion et au renseignement, sujets sur lesquels je voudrais vous faire part de mes observations.

Je commencerai par la dissuasion nucléaire. Le Livre blanc confirme le maintien de ses deux composantes à leur niveau actuel. C’est une excellente chose. Nous vous en félicitons, monsieur le ministre. La dissuasion nous permet en effet de nous prémunir contre toute agression étatique. Il est vrai qu’un tel type d’attaque est peu à redouter aujourd’hui, mais faut-il pour autant abandonner la dissuasion ou baisser la garde ?

Nous avons ouvert le débat au Sénat en 2012 ; Didier Boulaud et moi-même avons participé à la rédaction d’un rapport, dans lequel nous nous sommes interrogés sans tabou sur l’utilité de la dissuasion et sur son coût par rapport aux autres systèmes de forces. Notre réponse, qui, jusqu’à présent, n’engageait que nous, est que la dissuasion doit être conservée. Elle a rendu notre pays indépendant et lui a permis de faire entendre sa voix dans le monde. Elle a également contribué – il faut le rappeler – à rendre la guerre improbable en Europe pendant plus de soixante ans. Sa disparition modifierait l’équilibre des forces. Cela, personne ne le souhaite.

Quant à savoir s’il faut maintenir les deux composantes de la dissuasion, là encore la réponse est « oui ». Nous ne sommes pas à l’abri d’une surprise stratégique, et le fait de reposer sur un double système d’armes rend l’ensemble de notre dispositif plus robuste et offre un éventail plus large de choix au Président de la République.

Pour toutes ces raisons, je suis satisfait de lire, dans le Livre blanc, que la dissuasion reste l’ultime garantie de notre indépendance.

Ma deuxième observation porte sur le renseignement, la maîtrise de l’information et l’espace militaire. En l’espèce, la vigilance s’impose. Je ne souhaite pas entrer dans le détail, car ce n’est pas le moment de le faire ; nous aurons d’autres occasions de commenter, secteur par secteur, programme par programme, l’état des capacités françaises.

Je dirai tout de même un mot des décisions que vous avez prises, monsieur le ministre, en matière de drones MALE. Ne boudons pas notre plaisir : cette décision est en tout point conforme à ce que le Sénat avait souhaité à l’automne 2011. Avec mes collègues Daniel Reiner et Jacques Gautier, nous avions défendu une position raisonnable, qui avait reçu l’appui du président Jean-Louis Carrère. Cette position, qui n’a pas changé, peut être résumée ainsi : il faut dissocier la satisfaction du besoin opérationnel des préoccupations légitimes de politique industrielle.

La satisfaction de notre besoin opérationnel impose d’acheter le plus rapidement possible sur étagère, car la capacité de drones fait grandement défaut à nos forces en opération, et ce manque peut porter atteinte à leur sécurité. Or aucun constructeur national ni européen n’est capable de fournir des drones MALE dans les trois mois. Vous avez donc choisi une solution américaine. C’est la moins chère et la plus efficace. Cependant, il faut acheter le strict minimum de systèmes pour satisfaire le besoin opérationnel, franciser le moins possible et garder notre argent pour investir, avec nos amis du Royaume-Uni, dans une filière européenne de nouvelle génération.

Cette filière reste à construire. Nous devons d'abord définir ensemble ce que pourrait être un drone MALE de troisième génération. Il faudra ensuite tracer une feuille de route financière crédible, afin que ce drone soit disponible à l’horizon 2020-2022. (M. le ministre acquiesce.) Tout cela, vous le savez, monsieur le ministre ; je constate d'ailleurs que vous approuvez mes propos. Nous attendons maintenant que vous mettiez ce projet en œuvre ; nous attendons des actes.

Pour ce qui concerne l’espace militaire, une chose est certaine : c’est l’une des composantes essentielles de l’autonomie d’appréciation de la France. Il est donc indispensable de veiller à ce que la chaîne fonctionne, depuis les lanceurs jusqu’aux satellites de télécommunications, en passant par le renseignement optique, l’écoute électromagnétique, l’imagerie radar, ou encore l’alerte spatiale. Dans ce domaine, notre pays dispose d’un maître d’ouvrage remarquable, le Centre national d’études spatiales, le CNES, et d’industriels de toute première qualité, Astrium et Thales Alenia Space. Comme composante du renseignement, l’alerte spatiale apporte une contribution indispensable au suivi de la prolifération et à la détection de l’agresseur en soutien de la dissuasion.

Nous savons, au Sénat, qu’Astrium a mis de nouvelles propositions sur la table. Celles-ci visent à permettre à notre pays de se doter d’une capacité d’alerte autonome, dans le prolongement du démonstrateur SPIRALE, qui a donné des résultats extrêmement intéressants, et avec un coût réduit de moitié par rapport au satellite initialement envisagé. Il faut être extrêmement vigilant quant au maintien des compétences uniques acquises sur le démonstrateur SPIRALE, sous peine d’un déclassement important. Monsieur le ministre, ces propositions méritent sans doute d’être étudiées attentivement.

J’en viens à ma troisième et dernière observation, qui concerne la défense antimissile balistique, ou DAMB. Daniel Reiner, Jacques Gautier et moi-même avons rédigé un rapport sur ce sujet. Nos conclusions sont simples : la DAMB est une menace, non pas militaire, mais économique. C’est la menace d’un déclassement de nos industriels en matière de technologies qui constitueront les technologies génériques de demain. Or j’ai le sentiment que cette menace a été sous-évaluée dans le Livre blanc, sans doute pour d’évidentes raisons budgétaires, mais peut-être aussi parce que les militaires ne voient que les enjeux strictement militaires de la DAMB et s’interrogent, avec raison, sur la réalité de la menace qui pèse sur nous. Pourtant, des solutions existent, dont le coût, qui se chiffre à quelques dizaines de millions d’euros, demeure à notre portée. Je ne les développe pas, mais sachez simplement que nous sommes quelques-uns, au Sénat, à nous inquiéter du traitement de ce dossier.

Monsieur le ministre, même si nombreux sont les membres de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées à apprécier la régularité, la franchise et la transparence des réunions que nous avons avec vous, même si nous sommes conscients des difficultés du moment, nous ne pouvons que nous interroger sur le point de savoir si les moyens seront au rendez-vous de vos ambitions.

La supériorité de nos armes reste la clé pour appartenir encore au club très restreint des puissances militaires qui comptent. Or nos militaires ne pourront indéfiniment faire mieux avec moins. Aussi, je reste circonspect.

Le maintien d’un effort minimal de défense à hauteur de 1,5 % du PIB est une absolue nécessité. C’est une bonne chose que vous l’ayez obtenu et le Sénat vous en a remercié, par la voix du président de la commission.

Il est un message que nous comptons défendre, budget après budget, sur la plupart des travées de cette assemblée : la défense ne peut servir de variable d’ajustement budgétaire pour pallier, il faut bien l’avouer, l’absence de réformes de structures que nous n’avons pas toujours le courage de faire.

Aussi, le fait d’intégrer 6 milliards d’euros de recettes exceptionnelles dans la trajectoire financière de la loi de programmation militaire fragilise la crédibilité des objectifs affichés.

Notre devoir, en ces temps de crise, est de concentrer nos ressources sur « l’essentiel national », dont fait partie la défense, pour continuer à disposer des moyens que requièrent notre rang et notre rôle dans le monde.

Monsieur le ministre, vous trouverez de nombreux soutiens, ici, au Sénat, en matière de défense, dans l’intérêt bien compris de la Nation.

Comme le disait déjà Jules Ferry : « le Sénat ne saurait jamais être un instrument de discorde ni un organe rétrograde. Il n’est point l’ennemi des nouveautés généreuses ni des initiatives hardies. Il demande seulement qu’on les étudie mieux. » (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)