M. Jean Desessard. Il n’est plus temps de continuer !

M. René Teulade. … assureront l’assentiment à une politique générale aussi complexe que salvatrice.

Au total, de la clarté de l’objectif dépendra l’acceptation par tous de l’effort communément partagé. Notre système de retraites est naturellement lié aux réalités économiques et démographiques. Mais il exige, plus que jamais, une décision politique. C’est là un choix de société ! Aujourd’hui, le présent texte traduit cette démarche. Voilà pourquoi nous devons approuver avec résolution le choix qui nous est présenté ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. Yves Daudigny. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Philippe Bas. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Philippe Bas. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, madame la présidente de la commission, madame la rapporteur, mes chers collègues, depuis 1993, quatre réformes des retraites se sont succédé. Elles forment un tout, qui se distingue à la fois par l’efficacité et par la justice des mesures adoptées.

Un chiffre illustre cette efficacité : en 2020, le produit de l’ensemble de ces réformes permettra de financer nos régimes de retraite à hauteur de 3,5 % du PIB. C’est énorme ! En 2030, ce montant atteindra 6 % du PIB.

M. Claude Domeizel. Vous n’avez rien fait !

M. Gérard Longuet. Écoutez, monsieur Domeizel !

Mme Catherine Procaccia. Et la gauche, qu’avait-elle fait jusqu’à présent ?

M. Philippe Bas. Ces réformes sont également empreintes de justice.

Tout d’abord, le fait de réformer efficacement constitue le premier acte de justice. En effet, sans une véritable réforme des retraites, on assisterait à un sauve-qui-peut. Or tous ne peuvent pas se sauver.

M. René-Paul Savary. Exactement !

M. Philippe Bas. Certains peuvent mettre de l’argent de côté pour leurs vieux jours, quand la taxation de l’épargne ne les en dissuade pas. Mais d’autres dépendent exclusivement de leur pension de retraite. Ce sont eux qui, dès lors, voient leur avenir menacé.

Ensuite, la justice a été assurée par les dispositions adoptées dès 2003, grâce à l’accord de la CFDT et de la CGC au sujet des carrières longues. (M. Gérard Longuet opine.) Elle a également été garantie par les mesures prises en 2010, au titre de la pénibilité.

Mme Catherine Génisson. Ou plutôt de l’invalidité !

M. Philippe Bas. Je songe par ailleurs aux dispositions qui, à partir de 2003, ont enfin été mises en œuvre, après cinq années d’abstention de la part du gouvernement précédent, celui de M. Jospin, en vue de procéder à une première et importante harmonisation des règles de calcul des droits à la retraite entre les secteurs privé et public.

Il faut tirer les enseignements de ces quatre réformes tout à fait essentielles. Or, je dois dire que la proposition formulée par le Gouvernement via le présent texte n’est pas à leur mesure.

En la matière, quelles leçons peut-on tirer du passé ?

Premièrement, chaque Gouvernement doit faire sa part du travail, faute de quoi le gouvernement suivant est obligé de faire le double de sa part !

M. Gérard Longuet. Eh oui !

M. Philippe Bas. Prenons un exemple chiffré. Rien n’ayant été fait entre 1997 et 2002, il a fallu étendre, à compter de 2003, la durée de cotisation des fonctionnaires d’un semestre par an. Si cette réforme avait été menée dès 1997, comme il aurait fallu, une augmentation d’un trimestre par an aurait suffi ! On le constate clairement : lorsqu’un Gouvernement ne fait pas sa part du travail, le gouvernement suivant doit doubler l’effort pour redresser les régimes de retraite.

M. Gérard Longuet. Ce sera donc très dur en 2017 !

M. Philippe Bas. Deuxièmement, les précédentes réformes, qui étaient de vraies réformes, nous ont prouvé qu’il n’y a pas de grand soir des retraites.

Qui peut prétendre garantir, pour la fin des temps, l’équilibre financier des régimes de retraite ? Ce serait stupide,…

Mme Catherine Génisson. Ça c’est vrai !

Mme Christiane Demontès, rapporteur. Nous sommes d’accord !

M. Philippe Bas. … et impossible.

Mme Catherine Génisson. Effectivement !

M. Philippe Bas. Ce qu’il faut, c’est que chacun accomplisse réellement sa part du chemin.

M. Gérard Longuet. Eh oui ! C’est ça la vérité !

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Il faut surtout changer de chemin !

M. Philippe Bas. À partir de 2003, en prévoyant des clauses de rendez-vous à l’horizon de cinq ans (M. Gérard Longuet opine.), méthode qui a été reprise en 2010, on a parfaitement pris conscience de la nécessité de mener des actions progressives, montant en charge petit à petit, et de tenir compte de la situation économique et financière au moment où les décisions sont prises. Il faut faire la part des choix de vie des Français. En effet, on ne peut savoir cinq ans à l’avance quel sera l’arbitrage des Français, soit en faveur du montant de leur pension, soit en faveur de la date de cessation de leur activité professionnelle.

Troisièmement, il faut écarter toute mesure unique. Toute vraie réforme des retraites comporte plusieurs mesures ; le Gouvernement l’a compris et je le constate. Mais encore faut-il que ces dispositions soient suffisamment ambitieuses pour faire face aux difficultés financières des différents régimes.

Quatrièmement, les mesures doivent naturellement s’appliquer à compter du jour où elles sont prises. Prendre des mesures destinées à entrer en vigueur dans sept ans, c’est tout simplement une imposture. Le Gouvernement ne sera plus là dans sept ans !

M. Roger Karoutchi. Et dans dix ans, dans quinze ans…

M. Philippe Bas. J’ignore qui sera alors au pouvoir.

M. Jean Desessard. Peut-être le même Gouvernement ?

M. Philippe Bas. Quoi qu’il en soit, ceux qui seront aux affaires auront à prendre leurs propres décisions.

Cinquièmement, toutes les réformes qui ont été menées – de vraies réformes, disais-je – nous enseignent qu’il faut se méfier des prélèvements supplémentaires. Au deuxième trimestre de 2013, le taux de dette publique a atteint 93 % du PIB. Le taux de chômage s’établit à des niveaux sans précédent. Le pouvoir d’achat est en berne, l’activité, en plein marasme. Dans de telles circonstances, on ne doit pas créer de nouveaux prélèvements en vue de contribuer à l’équilibre des régimes de retraite. C’est criminel pour l’économie.

M. Jacky Le Menn. Ouh là !

M. Philippe Bas. C’est, par conséquent, une leçon de plus. Je note à ce titre que les cotisations de retraite n’ont augmenté qu’une seule fois au fil de ces réformes, et encore dans de très faibles proportions. C’était en 2003, c’est-à-dire à une époque où le nombre de chômeurs baissait. Entre 2002 et 2007, le chômage a reculé,…

M. Claude Domeizel. Allons bon !

Mme Catherine Génisson. Avant aussi, il avait baissé !

M. Roger Karoutchi. Chers collègues, ne vous énervez pas !

M. Philippe Bas. … pour atteindre un taux jamais vu depuis 1988. Je tiens à vous le rappeler, chers collègues de la majorité ! De même, les déficits publics ont alors reculé de 4 % à 2 %.

Sixièmement et enfin, aucune réforme sérieuse ne peut être menée en la matière sans inclure le secteur public qui, aujourd’hui, à l’horizon de 2020, représente la moitié du besoin de financement des régimes de retraite de base.

Madame la ministre, face à ces axiomes, je constate les nombreuses insuffisances de votre texte. Du reste, ce n’est pas un projet de loi de réforme des retraites. C’est un texte portant diverses dispositions relatives aux retraites ! (Marques d’approbation sur les travées de l'UMP.) À savoir des augmentations de recettes par des cotisations supplémentaires, à contretemps sur le plan économique, et une astuce de chef de bureau – pardonnez-moi, madame la ministre – : le report de la date d’effet de l’indexation. Je suis persuadé qu’il s’agit d’une telle astuce !

M. Jacky Le Menn. Vous parlez en expert !

M. Philippe Bas. Je connais bien les chefs de bureau !

S’y ajoutent des mesures d’allongement de la durée de cotisation, qui rapportent deux fois moins que le recul de l’âge de départ à la retraite, et une impasse totale au sujet du secteur public.

Que reste-t-il en définitive ? Une demi-mesure au sujet de l’allongement de la durée d’activité et pas de mesure du tout pour le secteur public. Cette réforme se limite donc à un quart de mesure ! (M. Roger Karoutchi rit.)

M. René-Paul Savary. Une réformette !

M. Philippe Bas. Au surplus, au sujet de la pénibilité, le Gouvernement n’a pas tenu compte de l’avis exprimé au sein du Conseil d’orientation sur les conditions de travail par les partenaires sociaux, au premier rang desquels la CFDT, qui a pourtant approuvé cette réforme sur le principe.

M. Ronan Kerdraon. Qu’avez-vous fait en 2010 ?

M. Philippe Bas. Le compte pénibilité vient heurter de plein fouet notre système de prévention des maladies et risques professionnels, inscrit dans le code du travail et orienté par de grandes directives européennes. À mon sens, la complexité ainsi créée va susciter de très grandes difficultés, compte tenu de la contradiction qui se fait jour entre notre système de prévention des risques,…

Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Son inefficacité est prouvée !

Mme Christiane Demontès, rapporteur. Cela ne marche pas !

M. Philippe Bas. … et le dispositif du compte pénibilité, introduit via le présent texte.

Avant de conclure, j’évoquerai la mesure relative aux avantages familiaux figurant dans l’étude d’impact, que le Premier ministre a détaillée en présentant ce projet de réforme en septembre dernier. Représentant un produit de 1,3 milliard d’euros, cette disposition est inique, les familles nombreuses ne pouvant pas épargner autant que les autres pour assurer leur avenir. Pis, on pensait qu’elle contribuerait à équilibrer le financement de nos retraites, mais elle a subitement disparu de cette réforme. Au même titre que la contribution additionnelle en faveur de l’autonomie et de la dépendance, la CASA, créée l’an dernier, elle vient désormais combler le puits sans fond des déficits publics, au lieu d’être affectée à la réforme des retraites ! (M. René-Paul Savary acquiesce.)

Madame la ministre, nous ne sommes pas dupes. Nous disons à voix haute ce que nous avons constaté : il faut retrouver cette somme, nous en avons besoin. Il est douloureux de voir ces fonds détournés du but annoncé, qui plus est par une mesure scélérate, passez-moi l’expression.

Enfin, monsieur Domeizel, pour juger si une réforme des retraites est utile au pays et à l’intérêt général, il ne s’agit pas de déterminer si elle est de gauche ou de droite.

M. Roger Karoutchi. Heureusement !

M. Philippe Bas. Au reste, il me semble que le Gouvernement n’est pas parvenu à faire l’unanimité dans les rangs de la majorité,…

M. Gérard Longuet. C’est vrai !

M. Jean Desessard. C’est justement parce que cette réforme n’est ni de droite ni de gauche !

M. Philippe Bas. … et je comprends pourquoi.

Le véritable critère est simple : assurer le rendement nécessaire pour tranquilliser nos compatriotes au sujet de leur retraite sans pour autant peser sur l’activité, l’emploi et le pouvoir d’achat. À cette aune, cette réforme est hélas une non-réforme ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. Gilbert Barbier applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Étienne Antoinette.

M. Jean-Étienne Antoinette. Monsieur le président, madame la ministre, madame la rapporteur, mes chers collègues, intervenant parmi les derniers, je ne reprendrai pas toutes les analyses faites sur ce texte. Il est vrai que plusieurs de ses dispositions constituent des avancées qu’il est possible de souligner, même si elles peuvent paraître frileuses.

Pour autant, il n’est pas difficile aujourd’hui d’ajouter au débat des considérations que le législateur semble avoir oubliées. J’entends rappeler ici l’existence de ceux dont la voix ne porte pas suffisamment, s’agissant d’un projet de loi fondamental au point que son intitulé comme son premier article contiennent, comme objectif assumé, la défense de valeurs qui sont au fondement de notre République.

Permettez-moi, dès lors, mes chers collègues, de revenir à ces aspects primordiaux et d’appuyer mon propos sur l’article 1er, qui fixe l’objectif de ce projet de loi. Cela permet de mettre en lumière l’insuffisante prise en compte des trois millions de citoyens qui résident dans les outre-mer et ainsi, je l’espère, de faire bouger les lignes.

Ce projet de loi a le mérite de réaffirmer que le système de retraites par répartition est au cœur du pacte social entre les générations. Il dispose ainsi que « La Nation assigne [...] au système de retraite [...] un objectif de solidarité entre les générations et au sein de chaque génération ». Cela vaut pour tous les retraités, en effet, puisqu’il est alors précisé : « quels que soient leur sexe, leurs activités et parcours professionnels passés, leur espérance de vie ».

Construisant cette énumération, qui vise a priori à garantir l’équité, le législateur semble cependant avoir oublié sa géographie, car, s’agissant des outre-mer, les mesures du texte se révèlent tout à fait insuffisantes pour assurer une égalité réelle.

Ainsi, pour garantir notre système de retraite, ce qui fonde une des mesures les plus douloureusement vécues par nos concitoyens n’est pas uniforme sur le territoire, et rien, dans ce projet de loi, ne permet de les différencier.

Je veux parler de l’espérance de vie, qui justifie le report toujours plus lointain de l’âge légal de départ à la retraite à taux plein, que ce texte dissimule sous l’euphémisme « augmentation de la durée d’assurance ».

En Guyane, madame la ministre, l’espérance de vie est inférieure de quatre ans à ce qu’elle est en métropole ! Cette particularité, que l’on retrouve également à La Réunion et, dans une moindre mesure, en Martinique et en Guadeloupe, ne peut être traitée par la seule prise en considération de la pénibilité des conditions de travail ! Certes celle-ci est ressentie plus douloureusement lorsque l’âge avance, et ce texte porte l’espérance d’une prise en compte juste de ces conditions difficiles.

Si l’allongement de la durée de cotisation peut se justifier par l’allongement de l’espérance de vie, quand celui-ci résulte des progrès de l’hygiène, de l’alimentation et de la médecine, alors cette mesure devrait être suspendue, outre-mer, à la réalisation effective d’un meilleur accès aux soins, à l’éradication des infections et épidémies inconnues en métropole, à la prise en compte de l’isolement et l’enclavement des territoires, de l’état souvent précaire et insalubre de l’habitat, des retards dans les infrastructures d’assainissement. Son application devrait donc dépendre de l’objectif de voir l’espérance de vie globale en outre-mer atteindre le niveau de la métropole.

De plus, en outre-mer, deux fois plus de personnes vivent sous le seuil de pauvreté et les femmes sont souvent multipares et fortement frappées par l’inactivité officielle, ou le chômage. Le chômage structurel est trois fois plus élevé qu’en métropole et impacte alors plus lourdement encore ces fameuses périodes de privation involontaire d’emploi qui ont un effet pénalisant sur le montant et sur la durée de cotisation dans le calcul de la retraite.

Sans une refonte du système économique dans ces territoires, et malgré une prise en compte bienvenue dans ce texte de ces situations difficiles, nous nous préparons, dans les prochaines années, à l’émergence d’une génération de retraités plus pauvres en outre-mer.

Outre la géographie, madame la ministre, n’oubliez pas l’histoire sociale, avec le SMIC DOM, inférieur au SMIC national jusqu’en 1996, l’indemnité temporaire de retraite qui a existé jusqu’en 2008, le revenu supplémentaire temporaire d’activité, supprimé sans compensation en mai dernier, et toutes ces situations particulières, survivances d’un autre âge, qui sont sources d’inégalités avec la métropole.

Si l’on considère, en plus d’une situation de revenus plus faibles que dans l’Hexagone, le contexte de cherté de la vie, la situation devient explosive, y compris chez les fonctionnaires locaux. Ceux-ci sont très majoritairement de catégorie C, ont été tardivement titularisés, et subissent une double décote au moment de leur départ à la retraite. Il n’y a pas de prix « spécial retraités locaux » dans les supermarchés de Cayenne, de Pointe-à-Pitre, de Fort-de-France ou de Saint-Denis de La Réunion !

Madame la ministre, j’espère que ce texte évoluera après cette discussion. Parce qu’il tend à oublier ces situations particulières, il ne contient pas de réponse suffisamment claire aux disparités structurelles que connaissent les outre-mer.

Je formule donc le vœu que les notions d’équité, de cohérence et de cohésion sociale dans les stratégies de développement permettent d’engager un véritable débat sur la retraite dans les outre-mer durant cette semaine, en convoquant les questions de l’emploi, des revenus, de l’insertion et du développement économique. Cette approche, qui est fondamentale, donnera du sens à ce que l’on appelle l’identité législative ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Philippe Bas. Ah ! Enfin !

M. Roger Karoutchi. Monsieur le président, madame la ministre, madame, monsieur les rapporteurs, ce matin, Bertrand Delanoë disait : « je ne comprends pas tout » à la politique du Gouvernement.

M. Gérard Longuet. Il n’est pas le seul !

M. Roger Karoutchi. Certainement ! D’ailleurs, moi non plus je ne comprends pas tout, comme beaucoup.

Madame la ministre, lorsqu’on annonçait, il y a plus d’un an que le Gouvernement allait lancer une grande concertation, j’avais dit, au sein de mon groupe, et également au sein du parti lors d’une convention sur les retraites, que, chacun devant avoir son opinion et ses avis, je voterais d’éventuelles mesures positives que vous prévoiriez, pour faire avancer les choses.

À mon sens, en effet, le sujet des retraites devrait échapper aux affaires partisanes. (Rires sur les travées du groupe CRC.)

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. On continue à allonger…

Mme Cécile Cukierman. C’est au moins un choix de société !

M. Roger Karoutchi. On devrait obtenir presque un accord sur ce sujet, au moins pour sécuriser. Je ne parle pas d’assurer définitivement le système. J’ai entendu ce qui a été dit, et tout le monde s’accorde sur le fait que l’on ne peut prétendre faire une réforme des retraites pour vingt ou pour cent ans.

Mme Laurence Rossignol. C’est pourtant bien ce que vous nous aviez dit !

M. Roger Karoutchi. La société change, les évolutions sont là, et, comme en Allemagne, il faut accepter que le système évolue d’année en année. Cela n’est toutefois pas dans la culture française. Il faut reconnaître que nous avons une tendance naturelle à croire que, parce que nous avons voté une loi, nous avons fait le travail. Nous nous reposons alors sur la loi de tant… Chez les Allemands, voire chez les Britanniques, on évolue d’année en année ; nous, nous nous arrêtons à la loi que l’on a fait voter il y a dix ans.

Pourtant, le monde change. Madame la ministre, nous entendons bien tout ce qui est dit et nous ne contestons évidemment pas tout : la prise en compte de la pénibilité, des carrières longues, nous l’avions déjà fait. Mais tout de même ! Vous évoquez les quatre réformes précédentes, et j’entends une partie de la gauche dire « Nous ne les avons pas votées et nous avons bien fait ». Pourtant, lorsque la gauche est arrivée au pouvoir, elle ne les a pas défaites, elle les a conservées !

M. Gérard Longuet. Elle ne les a en effet pas remises en cause !

Mme Éliane Assassi. Cela pose d’ailleurs un gros problème !

Mme Laurence Rossignol. Comme vous avec les 35 heures, en somme. (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)

M. Roger Karoutchi. Quand, par exemple, nous sommes passés, en ce qui concerne la fonction publique, de trente-sept ans et demi à quarante ans, je me souviens de la gauche affirmant qu’elle reviendrait sur cette mesure. Personne n’est revenu dessus. (M. Gérard Longuet opine.)

Mme Cécile Cukierman. Une certaine gauche n’est pas revenue dessus !

M. Roger Karoutchi. Cela signifie qu’à certains moments, face à une situation donnée, il faut trouver des solutions.

Soyons sincères : chez nos voisins, qui a augmenté l’âge de la retraite ? M. Schröder en Allemagne, M. Zapatero en Espagne, et je ne citerai pas Tony Blair au Royaume-Uni, pour que vous ne m’opposiez pas qu’il n’est pas de gauche. (Mme Laurence Cohen rit.) Ce ne sont pas des gouvernements de droite, mais des gouvernements socialistes.

Qui a allongé la durée de cotisation en Suède, en Norvège, au Danemark ? Des gouvernements socio-démocrates, pas des gouvernements de droite ! Cela signifie qu’il n’y a pas d’un côté une culture de droite où l’on pressuriserait les employés, où l’on embêterait le monde, où l’on irait contre les salariés, et de l’autre une culture de gauche protectrice, qui aurait le droit de nous traiter de méchants. Ce n’est pas vrai, ce n’est pas comme cela !

J’aurais sincèrement souhaité que l’on parvienne, sinon à un consensus, malheureusement rare dans la culture politique française, à tout le moins à un texte dont chacun puisse se dire qu’il contient des éléments déplaisants, mais aussi des éléments positifs.

Malheureusement, nous n’en sommes pas là. Pourquoi ? Parce que, soyons francs – et je n’évoque même pas la question de savoir s’il faudra recommencer –, vous évaluez vous-mêmes, au travers de ce texte de réforme, les besoins de financement pour 2020 à quelque 20 milliards d’euros, alors que par ce texte, vous dégagez 7 milliards. Les deux tiers de la somme étant absents, cela signifie donc que, dans deux ou trois ans, un nouveau texte sera nécessaire. Il faudra bien trouver encore quelque chose ! À ce moment-là, vous ne pourrez pas augmenter à nouveau les cotisations, parce que, pour de bon, les retraités comme les salariés vous diront : « Halte au feu ! Notre pouvoir d’achat n’en peut plus ! » On y viendra obligatoirement. Et on se demandera alors s’il faut passer à 63 ans, s’il faut augmenter plus rapidement la durée de cotisation.

Comme un de mes collègues l’a fort bien dit, faire une réforme qui n’est applicable que dans sept, dix ou quinze ans, cela revient à dire : « Après moi, le déluge, que mes successeurs se débrouillent ! »

Dans la pratique, on sait bien que les gouvernements successifs prétendront que les conditions ont changé, que ce n’est plus la même situation, ni la même société. C’est évident !

Quitte à demander des sacrifices, je le dis franchement, ce gouvernement ferait acte d’autorité et de maturité aux yeux de la société française en faisant en sorte de pouvoir dire aux jeunes de vingt ou trente ans qu’il est en train de sauver le système de retraites. Or, après cette réforme, combien de jeunes de vingt ou trente ans vont croire réellement que vous avez sauvé le système de retraites ? Aujourd’hui, combien de jeunes de vingt ou trente ans disent : « De toute façon, il n’y aura plus de retraite quand j’aurai l’âge » ? On entend cela partout !

M. Jean-Pierre Caffet. Oui, enfin, surtout au café du commerce !

M. Roger Karoutchi. Ces jeunes se disent aujourd’hui que ce qui leur est dit est faux et qu’il n’y aura plus rien pour eux.

Il faut sécuriser, et pour ce faire il faut prendre des mesures courageuses. Madame la ministre, des demi-mesures, de simples hausses de cotisations, pas de réforme systémique, pas de réforme structurelle, pas de convergence entre les systèmes public et privé, pas de remise en cause d'un certain nombre de régimes spéciaux, pas de remise en cause de l’équilibre général du monde de la retraite, cela ne sécurise personne !

La vérité, c’est qu’aujourd’hui, après ce vote, quel qu’il soit, tout le monde se dira : À quand le prochain texte ? Quand serons-nous réellement en déséquilibre et quand faudra-t-il donc prendre des mesures fortes ? Quand y aura-t-il une véritable réforme ?

M. Roger Karoutchi. Voilà le vrai sujet !

Aujourd’hui, nous venons pour voter des hausses de cotisations ; demain, il faudra faire la réforme des retraites ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. Gilbert Barbier applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Cantegrit.

M. Jean-Pierre Cantegrit. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, mon propos vise d’abord à rappeler qu’en matière d’assurance vieillesse il existe aussi une assurance vieillesse volontaire pour les salariés français expatriés, ou les parents chargés de famille expatriés. Cette assurance volontaire est gérée par la Caisse des Français de l’étranger, que je préside, pour le compte de la Caisse nationale d’assurance vieillesse.

Aujourd’hui, 50 000 Français expatriés font usage de cette assurance volontaire : 40 000 d’entre eux relèvent d’entreprises françaises qui expatrient du personnel à l’étranger, et 10 000 sont des assurés individuels.

La cotisation à acquitter est assez élevée : elle peut atteindre 6 200 euros par an. Si, pour les salariés d’entreprises françaises, on peut supposer que l’employeur participe fortement à la prise en charge de cette cotisation, il n’en va pas toujours de même pour les salariés individuels.

Ces chiffres montrent donc le souhait de beaucoup de Français, lorsqu’ils partent travailler à l’étranger, de rester rattachés au système français de sécurité sociale. Tous les Français qui partent hors de France n’ont pas le désir de rompre les ponts avec leur pays d’origine et l’attachement à la sécurité sociale reste souvent très fort.

Malheureusement, l’adhésion à l’assurance volontaire vieillesse est devenue plus compliquée. Alors que cette adhésion était auparavant ouverte aux personnes de nationalité française ainsi que, sous conditions, à certains étrangers, une loi de 2010 a supprimé la règle de la nationalité pour y substituer la condition d’avoir été couvert, pendant au moins cinq ans, par un régime obligatoire d’assurance maladie français.

Cette réforme a d’abord entraîné une grande complexité de gestion, car il est souvent difficile pour une personne de prouver qu’elle remplit cette condition, mais – c’est sans doute le plus grave ! – la difficulté à apporter la preuve de cinq ans d’affiliation à un régime obligatoire d’assurance maladie est peut-être en train de détourner certains jeunes qui partent travailler à l’étranger pour de courtes périodes d’adhérer à l’assurance volontaire vieillesse. Cela est regrettable à un moment où le Gouvernement décide d’allonger la durée de cotisation mais souhaite, en contrepartie, faciliter la validation de certains trimestres de cotisation.

Enfin, les Français de l’étranger qui n’ont jamais résidé en France se voient désormais privés de toute possibilité d’adhérer à l’assurance volontaire vieillesse, ce qui est choquant pour beaucoup de représentants des Français de l’étranger. Il n’y a dans mon propos aucun reproche à votre égard, madame la ministre, la nouvelle règle d’adhésion à l’assurance volontaire vieillesse ayant été instaurée par le précédent gouvernement à la suite d’un arrêt de la Cour de cassation.