Mme Nicole Bonnefoy. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la présente proposition de loi déposée par notre collègue Richard Yung reprend très largement une proposition de loi de l’ancien sénateur UMP Laurent Béteille, à la suite d’un rapport d’information qu’ils menèrent conjointement pour dresser une évaluation de la loi de lutte contre la contrefaçon du 29 octobre 2007.

Déposée et adoptée en commission des lois en 2011, elle n’avait pu être inscrite à l’ordre du jour et ainsi poursuivre son parcours législatif. La large approbation dont elle fit l’objet en commission démontrait pourtant la pertinence de cette proposition.

La loi de 2007 a constitué un net progrès dans la lutte contre les atteintes à la propriété intellectuelle par le biais de la contrefaçon. Cette avancée a été mise en évidence dans le rapport d’information.

Toutefois, il est apparu qu’il convenait, d’une part, d’apporter aux dispositifs de lutte contre la contrefaçon des précisions et clarifications attendues par les professionnels, et d’autre part, de renforcer encore la protection de la propriété intellectuelle en France. C’est ce double objectif que cette proposition de loi a enfin l’occasion de remplir.

Le fléau de la contrefaçon a en effet explosé ces dernières années, sous l’effet notamment de la mondialisation des échanges et de l’arrivée d’internet. D’après l’OCDE, le commerce de produits contrefaits a doublé depuis 2000 et représente aujourd’hui environ 10 % du commerce mondial. Dans le même temps, le volume des marchandises saisies en France par la douane a, quant à lui, a été multiplié par six. La contrefaçon touche ainsi, avec une acuité particulièrement féroce, notre pays et nos concitoyens.

En effet, le prix à payer pour le commerce de produits frauduleux est élevé.

Ce sont d’abord nos entreprises qui sont touchées, du fait de la baisse de leur chiffre d’affaires. Par répercussion, ce sont des dizaines de milliers d’emplois qui disparaissent – près de 40 000 en France selon les estimations –, les recettes fiscales de l’État qui sont, elles aussi, grièvement amputées. Chaque année, plus de 6 milliards d’euros manquent aux deniers publics : tel est le coût pour l’État de la contrefaçon.

La sécurité et la santé des consommateurs sont, quant à elles, sévèrement mises en danger.

Sans évoquer les risques causés par la circulation de jouets défectueux, d’appareils domestiques ne répondant à aucune norme ou de produits alimentaires non autorisés, je m’en tiendrai au fait que les ventes de médicaments contrefaits dans le monde ont doublé entre 2005 et 2010, et que la France n’est, bien sûr, pas en reste, puisque les saisies ont plus que triplé dans le pays entre 2011 et 2012.

Les risques d’accidents deviennent lourds lorsque les molécules de produits tels qu’aspirines ou anticancéreux sont remplacées par du sucre, voire par des substances nocives en elles-mêmes.

Hors de tout cadre légal, la fabrication et le commerce de produits contrefaits participent en outre à l’exploitation d’êtres humains et au travail illicite, et sert dans bien des cas à financer les activités d’organisations mafieuses et terroristes.

À l’occasion de mon travail de rapporteur de la mission commune d’information sur les pesticides, j’ai pu mesurer les effets potentiellement délétères pour la société que comporte la contrefaçon, à travers l’étude d’un exemple concret, celui du trafic de produits phytosanitaires frauduleux qui prospère en Europe.

Au cours d’une table ronde organisée dans le cadre de nos auditions, magistrats et juristes, douanes, répression des fraudes, veille sanitaire et alimentaire, responsables de l’administration, tous ont à leur tour insisté sur la .gravité des conséquences de la contrefaçon sur la santé des agriculteurs comme des consommateurs, sur les atteintes à l’environnement et le préjudice pour l’économie des entreprises touchées.

L’ensemble de ces acteurs concernés nous ont fait part de leurs attentes : accroître les moyens accordés à la justice et aux douanes, unifier les normes de sanctions pour une meilleure lisibilité juridique en matière de contrefaçon et accorder un niveau de sanctions pénales et civiles plus adéquat à la gravité des infractions.

Bien que la France possède déjà un arsenal juridique de lutte contre la contrefaçon important, il convient, pour contrecarrer ce fléau qui ne cesse de prospérer, d’aiguiser les moyens accordés à ce dispositif global.

Celui-ci fait intervenir de nombreux acteurs publics : douane, direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, police, gendarmerie, huissiers, magistrats.

Se dessine donc, à travers cette proposition de loi, un ensemble de dispositions s’appliquant diversement aux juridictions spécialisées dans le traitement des affaires de contrefaçon, aux moyens d’inspection accordés aux inspecteurs des douanes et à la justice, à l’arsenal répressif prévu à l’égard des contrefacteurs, aux mesures de réparation accordées aux personnes dont la propriété intellectuelle a été violée.

Cet ensemble cohérent permettra de manifester la volonté des pouvoirs publics de ne tolérer aucune forme de contrefaçon, et aucun des dommages qui y sont liés.

En renforçant la spécialisation des magistrats et juridictions traitant des affaires relevant de la contrefaçon, il s’agit d’affermir l’expertise des dossiers pour décider, avec la fermeté adéquate, des sanctions pénales et des indemnisations civiles les plus justes. Il est important de maintenir ainsi la réputation d’excellence et l’attractivité juridique de la France dans le domaine très concurrentiel de la propriété intellectuelle.

La réforme du calcul des dédommagements versés aux victimes d’actes de contrefaçon dont les auteurs ont été condamnés devrait permettre d’écarter enfin la possibilité de « fautes lucratives ». Cette expression désigne les situations fréquentes dans lesquelles l’auteur, malgré les dommages et intérêts qu’il est condamné à verser, conserve une marge bénéficiaire de son délit suffisante pour qu’il n’ait aucune raison de ne pas récidiver.

Or, lorsqu’un délit de contrefaçon est constaté et condamné, la sanction doit servir à dissuader de manière forte, sinon définitive – cela va de soi –, la personne qui s’est rendue coupable d’un tel forfait. Elle doit en même temps dédommager à la hauteur des méfaits subis les personnes dont la propriété intellectuelle a été violée, avec toutes les conséquences que cela comporte en termes de préjudices financiers, moraux et d’image. C’est en frappant directement au cœur des contrefacteurs, c’est-à-dire à leur portefeuille, que la dissuasion sera forte.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. C’est sûr !

Mme Nicole Bonnefoy. En clarifiant la procédure du droit à l’information, il sera permis aux autorités judiciaires civiles d’accéder à un plus large éventail d’informations et documents détenus par les défenseurs et ainsi de mieux identifier les acteurs des réseaux de contrefaçon.

Les précisions apportées en matière de droit de la preuve, élargissant les pouvoirs du juge pour ordonner la production d’éléments de preuves détenues par les parties, contribueront elles aussi à élargir l’éventail des outils à disposition de la justice pour accomplir au mieux sa mission nécessaire à la préservation de l’intérêt général.

L’ensemble des dispositions tendant à renforcer les moyens d’action des douanes permettra de les doter d’un arsenal juridique complet pour lutter contre tous les types de contrefaçon, quels que soient le domaine de propriété intellectuelle concerné et les circonstances dans lesquelles se trouvent les marchandises contrefaites : import, export, ou transit sur notre territoire.

Il est ainsi nécessaire de réformer les pouvoirs des douanes en tenant compte des situations nouvelles issues de l’intégration européenne et de l’accroissement des échanges extra-communautaires, de repousser les freins à leurs capacités d’investigation tout en les encadrant dans le respect des droits et libertés des individus, et de les doter des moyens nécessaires à l’identification des réseaux de contrefaçon.

Un des grands mérites de ce texte est enfin d’harmoniser les dispositions applicables aux différents droits de la propriété intellectuelle en matière de contrefaçon. En homogénéisant les moyens de lutte dans les différents champs auxquels s’applique ce fléau, le législateur donnera plus de lisibilité et d’efficacité aux actions de justice.

Récompenser l’effort, le talent, le dévouement, l’inventivité des individus qui bénéficient à l’ensemble de la société est l’une des facettes majeures du projet républicain, fondé notamment sur cette belle notion de méritocratie.

Cette récompense doit aussi être accompagnée de la garantie d’une protection contre ceux qui souhaitent s’emparer indûment des idées, du travail, de l’investissement d’un autre sans son autorisation et sans éprouver la moindre gêne pour lui voler les fruits qui lui reviennent légitimement.

La présente proposition de loi s’inscrit avec justesse et efficacité dans la poursuite de cet objectif. J’appelle donc, avec le groupe socialiste, à voter avec enthousiasme cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Michel Delebarre, rapporteur. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Nicole Bricq, ministre du commerce extérieur. Monsieur le président, avec votre permission, je souhaiterais répondre sur le sujet certes important des certificats d’obtention végétale, qui a été évoqué par tous les intervenants au cours de la discussion générale.

M. Hyest a rappelé que l’objet principal de la proposition de loi était la lutte contre la contrefaçon, et qu’une loi sur les certificats d’obtention végétale a déjà adopté le 8 décembre 2011. En outre, un projet de loi d’avenir pour l’agriculture sera prochainement soumis à l’examen du Parlement et défendu par mon collègue Stéphane Le Foll.

J’ai écouté vos interventions avec attention, et je souhaiterais dissiper tout malentendu lors de l’examen des amendements.

La proposition de loi dont nous discutons aujourd’hui, je tiens à le préciser, respecte le cadre des dispositions prévues par la loi du 8 décembre 2011 – ce n’est pas si ancien –relative aux certificats d’obtention végétale. Elle maintient les restrictions prévues au droit de l’obtenteur du certificat : l’exemption du sélectionneur, qui permet la recherche, et le privilège de l’agriculteur, ce qu’on appelle la pratique des semences de ferme.

La France, comme l’Union européenne, a fait, contrairement au brevetage du vivant, le choix stratégique de l’obtention. Ce choix permet de préserver une liberté essentielle pour conserver notre indépendance face à ceux qui se rémunèrent sur la recherche. D’autres pays, comme les États-Unis, ont fait le choix du brevet.

À cet égard, monsieur Le Cam, vous avez évoqué les négociations en cours entre l’Union européenne et les États-Unis en vue d’aboutir dans quelques années à un partenariat transatlantique. La France en particulier – elle n’est pas la seule – s’efforce de préserver les droits européens, notamment les droits de propriété intellectuelle comme les indications géographiques. J’insiste sur le fait que les Français ne sont pas seuls : me déplaçant dans le monde entier, je constate que, jusqu’en Asie, on reprend la notion d’abord française, puis européenne, d’appellation contrôlée. Cela devient un enjeu universel.

Au-delà de ce choix, la France dispose d’un secteur économique des semences très dynamique, et je suis particulièrement bien placée pour en faire l’éloge. En effet, nous disposons notamment de variétés de semences animales, pour les porcs comme pour les bovins, qui n’existent dans nul autre pays au monde. Nous exportons et nos innovations sont suivies avec beaucoup d’intérêt.

Il faut défendre ce secteur économique, qui est composé d’un tissu important de petites et moyennes entreprises et d’entreprises intermédiaires. En matière végétale, nous avons des très grands groupes internationaux qu’il faut aussi défendre ; ils sont à l’offensive dans beaucoup de pays. Ces savoir-faire sont très recherchés et reconnus pour leur qualité. Nous sommes évidemment présents à l’échelle internationale.

Protéger les certificats d’obtention végétale en luttant contre leur contrefaçon contribue au dynamisme de nos entreprises et de nos emplois. C’était aussi l’objectif de la loi adoptée en 2011.

Le dispositif du COV permet de financer la recherche publique et privée.

Comme l’a rappelé mon collègue ministre Stéphane Le Foll lors du débat organisé au Sénat le 27 mars dernier sur l’initiative du groupe CRC, il faut préserver l’équilibre entre, d’une part, notre capacité à disposer d’un secteur économique de production de semences qui fonctionne très bien et à financer une recherche qui permet à notre pays d’être reconnu à l’échelle mondiale, et, d’autre part, la liberté laissée aux agriculteurs de faire des choix.

Tels sont les principes qui guident le Gouvernement dans l’application de la loi du 8 décembre 2011 relative aux certificats d’obtention végétale. Outre les décrets d’application obligatoires, qui seront pris prochainement, le Gouvernement a choisi d’utiliser toutes les souplesses permises par la réglementation internationale.

Ainsi, un premier décret a pour objectif d’étendre la liste des espèces autorisées pour utilisation en « semence de ferme ». Le projet est en cours de discussion finale auprès des instances professionnelles pour transmission au Conseil d’État avant la fin de l’année.

Un deuxième décret définira l’indemnité due à l’obtenteur du certificat par l’agriculteur qui utilise des semences de ferme, dans les cas où aucun accord interprofessionnel n’a été conclu. Pour ce faire, le ministre de l’agriculture a décidé de laisser toute sa place à la discussion interprofessionnelle. Deux ingénieurs généraux ont été mandatés pour faciliter la conclusion rapide de tels accords. Un premier accord interprofessionnel a été signé dans le domaine des céréales à paille le 14 juin 2013.

Le Gouvernement, toujours au travers de l’action énergique de Stéphane Le Foll, est ouvert à la discussion. Vous aurez l’occasion de poursuivre ces débats dans le cadre de l’examen, au premier trimestre de l’année 2014 et, je l’espère, dès le mois de janvier, du projet de loi d’avenir pour l’agriculture. C’est le véhicule législatif adapté pour aborder cette question, dont je ne nie pas l’importance.

La présente proposition de loi ne remet pas en cause le droit existant.

M. Michel Delebarre, rapporteur. Absolument !

Mme Nicole Bricq, ministre. Je peux en informer dès à présent votre Haute Assemblée : le Gouvernement émettra un avis favorable sur l’amendement que Mme Nicole Bonnefoy a déposé au nom du groupe socialiste – il sera examiné dans quelques instants –, car cet amendement rappelle utilement que les dispositions relatives aux semences de ferme seront préservées. Ce point me paraît essentiel dans le cadre de l’examen de la présente proposition de loi. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et sur certaines travées du RDSE, ainsi qu’au banc de la commission.)

M. le président. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion des articles du texte de la commission.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi tendant à renforcer la lutte contre la contrefaçon
Article 1er

Articles additionnels avant le chapitre Ier

M. le président. Je suis saisi de sept amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 4 rectifié bis, présenté par MM. Guerriau, Arthuis et Amoudry, Mmes Morin-Desailly et Goy-Chavent et MM. Roche et Jarlier, est ainsi libellé :

Avant le chapitre Ier

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L'agriculteur qui produit à la ferme ses semences, ses plants, ses animaux reproducteurs ou ses préparations naturelles à base de micro-organismes ou d'autres éléments naturels issues de sa ferme ou de l'environnement naturel et destinées à ses productions fermières ou aux soins de ses cultures et de ses animaux, n'est pas concerné par le code de la propriété intellectuelle au titre des lois naturelles inaliénables.

La parole est à M. Joël Guerriau.

M. Joël Guerriau. La présente proposition de loi renforce des mesures applicables de lutte contre la contrefaçon. Pour nous, cela ne peut évidemment qu’aller dans le bon sens.

Pour autant, le texte soulève tout de même un certain nombre d’inquiétudes, notamment au sein du monde agricole.

Monsieur Yung, dans vos propos liminaires, vous avez affirmé que l’agriculture n’était en aucune manière concernée par la proposition de loi, dont les dispositions étaient sans effet sur ce secteur.

Nous souhaitons en être véritablement convaincus, car cette crainte a été largement exprimée dans un contexte de forte tension économique pour le marché agricole. Ce qui inquiète au premier plan le monde agricole, ce sont les conséquences éventuelles du texte sur la production de semences et de plantes à la ferme, dont Mme la ministre a rappelé à juste titre qu’il s’agissait d’un élément important – notons d’ailleurs que la France est le troisième marché de semences dans le monde. Sont également visées les préparations à base de micro-organismes ou encore la reproduction animale.

Par cet amendement, nous proposons de conforter par écrit toutes les garanties qui sont prises en matière de liberté d’action et de respect des méthodes ancestrales de reproduction des animaux et des plantes dans le monde agricole. En d’autres termes, nous voulons être certains que ces activités seront bien exclues du champ d’application de la loi, afin de rassurer les agriculteurs.

M. le président. L'amendement n° 21 rectifié, présenté par M. Labbé, Mme Lipietz et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :

I. – Avant le chapitre Ier

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

La production à la ferme, par un agriculteur, de ses semences, de ses plants ou de ses animaux pour les besoins de son exploitation agricole, ne constitue pas une contrefaçon.

La production à la ferme, par un agriculteur, de ses ferments, levains, levures et autres préparations naturelles à base de micro-organismes ou d'autres éléments naturels issus de sa ferme ou de l'environnement naturel, et destinés à ses productions fermières ou aux soins de ses cultures ou de ses animaux, ne constitue pas une contrefaçon.

II. – En conséquence, faire précéder cet article d’une division additionnelle et son intitulé ainsi rédigés :

Chapitre...

Limitation de la définition de la contrefaçon

La parole est à M. Joël Labbé.

M. Joël Labbé. Je veux relayer ici les préoccupations d’un certain monde agricole paysan ; elles rejoignent celles de l’ensemble de la société, s’agissant d’enjeux qui ont une échelle planétaire.

Nous en avons conscience, la définition de ce qui relève ou non de la contrefaçon n’est pas l’objet de cette proposition de loi ; notre amendement apparaît, dès lors, comme un cavalier législatif.

Nous savons également que la loi du 8 décembre 2011 relative aux certificats d’obtention végétale a permis de préciser que les agriculteurs ont « le droit d’utiliser sur leur propre exploitation, sans l’autorisation de l’obtenteur, à des fins de reproduction ou de multiplication, le produit de la récolte qu’ils ont obtenu par la mise en culture d’une variété protégée ».

Tout en rappelant une telle spécificité, la loi de 2011 n’est pas allée jusqu’à indiquer que cette production à la ferme ne constitue pas une contrefaçon. De même, elle est restée imprécise sur l’étendue du « produit de la récolte ».

C’est pourquoi il nous est apparu opportun de profiter de l’examen de la présente proposition de loi, qui vise à renforcer la lutte contre la contrefaçon, pour apporter ces précisions.

Il faut y inclure, les semences, les plants, les animaux, mais également les ferments, les levures et les préparations naturelles. C’est d’autant plus nécessaire que se font chaque jour plus prégnantes les conséquences de l’érosion de la biodiversité, qu’elle soit cultivée ou non, et du changement climatique sur les ressources agricoles et alimentaires.

Reprenons quelques chiffres-clés. Depuis les débuts de l’agriculture, 10 000 espèces environ ont été cultivées sur Terre. Aujourd’hui, il ne reste plus que 150 espèces végétales couramment cultivées. En France, il ne reste plus que 30 variétés de vaches laitières, tant la diversité génétique a été, disons-le, combattue au profit de races « Formule 1 », machines à faire du lait !

C’est la diversité des espèces qui a permis de résister aux aléas. Je pense, entre autres, aux aléas climatiques.

La diminution du nombre d’espèces cultivées et la standardisation des espèces et variétés ont fragilisé l’agriculture et appauvri la qualité de notre régime alimentaire.

Or que défendons-nous à travers cet amendement ? La diversité agricole et alimentaire, l’adaptation aux territoires et l’adaptation au changement climatique ! La diversité agricole est une nécessité d’autant plus essentielle face à un horizon brouillé.

Pour nous, le travail des agriculteurs et des éleveurs, qui améliorent leurs semences, les adaptent aux réalités de leur territoire et produisent chez eux ce qui est utile aux besoins de leur exploitation, est un travail d’utilité publique. Ce travail est pourtant contrecarré par la domination sans équivoque des agro-industriels et leur velléité de protection de leur prétendue « création », aidés en cela par une législation qui, sous couvert de protéger, donne trop souvent les pleins pouvoirs à la catégorie d’acteurs la plus à même d’exercer sa prépondérance.

Voilà qui fait selon moi écho au sujet dont nous débattions hier dans cet hémicycle : les pesticides. Je pense aussi aux procédures de reconnaissance et d’autorisation de mise sur le marché, qui sont tout bonnement inaccessibles aux promoteurs des produits les plus naturels.

Le repréciser dans cette loi et l’étendre à l’ensemble des produits nécessaires à la conduite de l’exploitation, cela relèverait non pas du luxe, mais d’une légitimation de cette activité utile, voire indispensable à la réalisation du droit à l’alimentation.

Toutefois, j’ai entendu les déclarations de l’auteur de la proposition de loi, Richard Yung, de M. le rapporteur et de Mme la ministre. Nous avons besoin de garanties, et nous y tenons. Nous en reparlerons lors de l’examen du texte sur l’avenir de l’agriculture. En attendant, je retire cet amendement. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste.)

M. le président. L'amendement n° 21 rectifié est retiré.

L'amendement n° 10 rectifié, présenté par Mme Cukierman, M. Le Cam, Mme Assassi, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Avant le chapitre 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le I de l’article L. 623-4 du code de la propriété intellectuelle est complété par une phrase ainsi rédigé :

« La protection du certificat d’obtention végétale ne s’étend aux semences ou plants reproduits par un agriculteur à partir de sa propre récolte sur sa propre exploitation que s’il effectue une sélection conservatrice visant à reproduire uniquement les caractères distinctifs de la variété protégée et s’il commercialise sa récolte sous la dénomination de la variété protégée. »

La parole est à M. Gérard Le Cam.

M. Gérard Le Cam. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je profite de la présentation de cet amendement n° 10 rectifié pour vous exposer de manière liminaire les motifs ayant conduit le groupe CRC à déposer quatre amendements relatifs à la propriété intellectuelle dans le domaine agricole dans le cadre de l’examen de la présente proposition de loi.

Le 27 mars, le Sénat a organisé, sur l’initiative de notre groupe, un débat sur le droit de semer et la propriété intellectuelle. Il s’agissait pour nous d’ouvrir la discussion pour déterminer comment il est possible, dans le domaine agricole et, au-delà, dans celui du vivant, de concilier les droits de propriété au regard de la recherche et les droits que l’ensemble des hommes détiennent sur ce patrimoine naturel commun.

Comme vous le savez, la propriété intellectuelle dans le secteur agricole voit s’opposer deux systèmes : le certificat d’obtention végétale et le brevet. Nous préférence pour le certificat d’obtention végétale, qui garantit l’exception du sélectionneur, est sans ambiguïté. Cependant, nous considérons aujourd’hui que le COV ne devrait pas couvrir certaines pratiques, comme les semences de ferme ou les semences paysannes.

En outre, nous réitérons ici nos craintes sur l’acceptation de l’idée selon laquelle le vivant pourrait être breveté. Lors du débat, au mois de mars, nous avions expliqué que le COV ne protégeait pas l’obtenteur ou les agriculteurs contre le dépôt d’un brevet sur un gène de la plante. Personne dans cette Haute Assemblée ne semblait s’émouvoir de l’affaire du gène de résistance de la laitue au puceron. Quelques semaines plus tard, lors de son audition par la commission des affaires économiques, le président de l’Office européen des brevets a éludé la question que je lui avais posée sur la politique de l’Office en matière de brevetage du vivant. Pourtant, le 12 juin dernier, l’Office a accordé à une entreprise détenue par Monsanto un brevet sur un brocoli issu d’un procédé de sélection conventionnelle.

Selon les revendications du brevet, les droits du détenteur s’étendent aux plantes, aux graines, aux « têtes de brocolis coupées », ainsi qu’à une « pluralité de plantes de brocolis cultivées dans un champ ».

Aujourd’hui on assiste à la montée d’une vision ultralibérale de l’agriculture en faisant de la recherche dans le domaine du végétal une véritable bulle spéculative. Parallèlement, on assiste à une montée en puissance de la protection juridique de ces opérations commerciales.

C’est pourquoi, même si nous partageons l’objectif des auteurs de la proposition de loi de défendre la propriété intellectuelle, nous considérons que, avec la loi de 2011 relatives aux certificats d’obtention végétale et les dérives du brevet, le patrimoine naturel, bien commun, n’est, en l’état actuel, pas suffisamment protégé.

En ce sens, par nos amendements, nous souhaitons soustraire à la qualification de contrefaçon certaines pratiques agricoles et les produits qui en sont issus. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe écologiste.)

M. le président. L'amendement n° 11 rectifié, présenté par Mme Cukierman, M. Le Cam, Mme Assassi, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Avant le chapitre 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

À l’article L. 623-24-1 du code de la propriété intellectuelle, les mots : « pour les espèces énumérées par le règlement (CE) n° 2100/94 du Conseil du 27 juillet 1994 instituant un régime de protection communautaire des obtentions végétales ainsi que pour d’autres espèces qui peuvent être énumérées par décret en Conseil d’État », sont remplacés par les mots : « pour toutes les espèces ».

La parole est à M. Gérard Le Cam.

M. Gérard Le Cam. Il est défendu.

M. le président. L'amendement n° 1 rectifié ter, présenté par MM. Adnot, Retailleau, B. Fournier, Laménie, Bernard-Reymond, Lenoir, Guerriau et Masson, Mlle Joissains et MM. Beaumont et Reichardt, est ainsi libellé :

Avant le chapitre 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le premier alinéa de l'article L. 623-25 du code de la propriété intellectuelle est complété par une phrase ainsi rédigé :

« Ne constitue pas une contrefaçon la reproduction, par un agriculteur, de semences de ferme, ferments, levains, levures et autres préparations naturelles à base de micro-organismes ou d'autres éléments naturels issus de sa ferme ou de l'environnement naturel et destinés à ses productions fermières ou au soin de ses cultures ou de ses animaux. »

La parole est à M. Bernard Fournier.

M. Bernard Fournier. L'article L. 623-25 du code de la propriété intellectuelle définit de façon très large la contrefaçon : « toute atteinte volontaire portée aux droits du titulaire d’un certificat d’obtention végétale tels qu’ils sont définis à l’article L. 623-4 constitue une contrefaçon qui engage la responsabilité civile de son auteur. »

Par cet amendement, nous proposons un ajout permettant de circonscrire de façon plus précise ce qui ne relève pas de la contrefaçon à l'échelle commerciale, afin d'exclure toute possibilité d'étendre cette notion aux semences de ferme et autres éléments issus et destinés à cette dernière. Il s'agit d'éviter de revenir sur un droit ancestral des agriculteurs de ressemer librement leur propre récolte et de préserver ainsi la survie de nos exploitations agricoles et leurs savoir-faire.

M. le président. L'amendement n° 18 rectifié bis, présenté par MM. Collin, Alfonsi, Baylet, Bertrand, C. Bourquin, Chevènement, Collombat, Esnol, Fortassin et Hue, Mme Laborde et MM. Plancade, Requier, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :

Avant le chapitre 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le premier alinéa de l’article L. 623-25 du code de la propriété intellectuelle est complété par une phrase ainsi rédigée :

« La production à la ferme par un agriculteur de ses semences pour les besoins de son exploitation agricole ne constitue pas une contrefaçon et ce, quelle que soit l’origine de ses semences. »

La parole est à M. Yvon Collin.

M. Yvon Collin. Par cet amendement, il s’agit de protéger une pratique ancestrale que le texte sur la lutte contre la contrefaçon pourrait, aux yeux de certains, remettre en cause : le droit pour les agriculteurs de ressemer leur récolte.

La semence à la ferme concerne encore aujourd’hui 300 000 agriculteurs et 50 % des surfaces céréalières en France. Beaucoup d’exploitations sont fragiles, et cette possibilité de reproduire les semences est indispensable à leur équilibre.

Or, en harmonisant les procédures civiles existantes en matière de contrefaçon, le texte ouvre la possibilité de contester la légalité de la semence à la ferme. Les agriculteurs pourront voir leurs sélections saisies par les services des douanes.

Sans méconnaître la nécessité d’endiguer la contrefaçon, nous estimons que cette lutte ne doit pas conduire à assimiler les agriculteurs à des fraudeurs : ils ne font que leur métier, un métier, on le sait, difficile, et qui n’a surtout pas besoin d’être entravé par une législation retirant un droit millénaire à ceux qui l’exercent.

Le droit de resemer figure d’ailleurs à l’article 14 du règlement européen n° 2100/94, qui dispose que les agriculteurs « sont autorisés à utiliser, à des fins de multiplication en plein air dans leur propre exploitation, le produit de la récolte ».

Au-delà de la nécessité de conserver ce droit aux agriculteurs, je rappellerai également que le principe de sécurité alimentaire, auquel je suis particulièrement attaché, invite à ne pas laisser des firmes accaparer la chaîne du vivant.

Il ne m’a pas échappé, cher Richard Yung, que le texte ne porte pas directement sur cette problématique, mais, comme plusieurs de mes collègues, je souhaitais défendre un amendement d’appel. Il me semble impératif que des mesures conservatoires soient prévues – pourquoi pas dans un prochain texte sur l’agriculture ? – pour faire cohabiter les détenteurs de certificats d’obtention végétale et les agriculteurs producteurs et utilisateurs de semences.

Sur cette question, j’attends, madame la ministre, vos arguments et votre réponse, qui détermineront la suite que je donnerai à cet amendement.

M. le président. L'amendement n° 13 rectifié, présenté par Mme Cukierman, M. Le Cam, Mme Assassi, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Avant le chapitre Ier

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L’article L. 623-25 du code de la propriété intellectuelle est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« La production à la ferme par un agriculteur de ses semences, de ses plants ou de ses animaux pour les besoins de son exploitation agricole, de ses ferments, levains, levures et autres préparations naturelles à base de micro-organismes ou d’autres éléments naturels issus de sa ferme ou de l’environnement naturel et destinés à ses productions fermières ou aux soins de ses cultures ou de ses animaux, ne constituent pas une contrefaçon. »

La parole est à M. Gérard Le Cam.

M. Gérard Le Cam. Monsieur le président, je m’en suis déjà expliqué et cet amendement se justifie par son texte même.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Michel Delebarre, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je ne sais plus quoi dire ! (Sourires.)

M. Robert del Picchia. Alors, ne dites rien !

M. Michel Delebarre, rapporteur. Nous sommes plusieurs à nous être succédé à la tribune pour expliquer qu’il n’y avait pas de risques pour les semences…

M. Roland Courteau. C’est clair !