M. le président. La parole est à M. Jean-Vincent Placé.

M. Jean-Vincent Placé. La délinquance environnementale est un véritable enjeu de société, trop souvent éludé par les pouvoirs publics. Déchets radioactifs, pollutions des eaux, dopage : ces sujets sont pourtant au cœur de l’actualité.

Je vois que cela fait sourire certains de mes collègues de l’opposition. Il se trouve que je suis, par ailleurs, rapporteur spécial des crédits de la police et de la gendarmerie ; cela ne m’empêche pas de considérer ces sujets comme extrêmement importants. Du reste, sachez-le, chers collègues de l’opposition, cela ne m’intéresse pas de participer aux polémiques stériles que vous ne manquerez pas d’ouvrir sur les statistiques concernant les atteintes aux biens et aux personnes. Cette intervention me permet au contraire de saluer l’action du ministre de l’intérieur en ce qui concerne la sécurité.

L’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique a connu de profondes évolutions au cours des dernières années. Les enjeux écologiques et sanitaires sont, en effet, devenus des sujets de préoccupation majeurs, consacrés juridiquement, grâce à une évolution législative à laquelle je me félicite que le groupe écologiste du Sénat contribue. Ces progrès dans la législation et la réglementation doivent aboutir à ce que des sanctions soient prises à l’encontre de ceux qui commettent des infractions, et cela suppose un travail renforcé de la police et la gendarmerie.

Grâce à une soixantaine de gendarmes et policiers extrêmement dévoués, l’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique, qui est un service de police judiciaire à compétence nationale, concentre ses forces sur les problématiques des déchets, de l’atteinte aux espèces protégées, des produits phytopharmaceutiques, des infractions relatives à l’agroalimentaire, du dopage ou encore des déviances médicales. Il s’agit, par exemple, de lutter contre les abandons de déchets faussement déclarés en zone non contrôlée, comme dans des bâtiments désaffectés, des fleuves ou en haute mer, mais aussi de combattre les exportations de déchets dangereux par des sociétés peu scrupuleuses vers des pays en développement ne disposant pas de moyens de traitements adaptés.

Je signale au passage que les infractions concernant les déchets dangereux ont explosé entre 2011 et 2012, enregistrant une augmentation de 175 %.

À l’heure actuelle, il reste toutefois impossible d’avoir une vision exhaustive de la délinquance environnementale en raison de l’absence d’outil statistique commun à tous les services chargés d’une mission de police et à l’inadaptation de l’état 4001, appareil statistique utilisé à la fois par la police et la gendarmerie qui occulte complètement l’action des acteurs dans le domaine des polices de l’environnement et de la santé publique.

Monsieur le ministre, face à la croissance des enjeux environnementaux et au manque flagrant de visibilité de l’action des forces de l’ordre, qui font pourtant tout ce qu’elles peuvent en la matière, il convient de mettre en place des indicateurs performants, mais aussi des moyens à la fois humains et matériels adéquats.

Quelle est donc la stratégie du Gouvernement pour mieux lutter contre ce phénomène et quels moyens compte-t-il déployer pour la rendre opérationnelle ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Manuel Valls, ministre. Monsieur Placé, aux nombreux éléments que vous avez vous-même apportés j’ajouterai que l’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique bénéficie aussi du soutien d’un réseau de 350 enquêteurs spécialisés de la gendarmerie, qui sont répartis sur l’ensemble du territoire métropolitain et ultramarin, du réseau diplomatique, avec les attachés de sécurité intérieure du ministère de l’intérieur, et de l’ensemble des administrations centrales et déconcentrées compétentes, puisque beaucoup d’entre elles interviennent sur ces questions.

Le volume de la délinquance environnementale est pour l’heure difficile à apprécier, car nous manquons parfois des outils et de la coordination nécessaires. Néanmoins, selon les chiffres qui figurent dans le rapport annuel de l’office central, le nombre de faits constatés a fortement augmenté, passant de 3193 à 3836 entre 2007 et 2012, soit une progression de 20 %.

Monsieur le sénateur, je vous rejoins pour dire que les chiffres fondés sur l’état 4001 ne sont pas susceptibles de rendre compte de l’ampleur du phénomène.

Par ailleurs, interviennent d’autres organismes, tels que l’Office national de la chasse et de la faune sauvage, lequel dépend du ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie et qui, à lui seul, a relevé en 2012 plus de 17 000 infractions.

Comme je l’ai dit il y a un instant, si j’ai voulu renouveler la présentation des statistiques de la délinquance, c’est pour rendre compte de phénomènes contemporains que les anciens outils ne permettent pas de restituer. Un agrégat des atteintes à la santé et à l’environnement a donc été créé : il offrira à terme une vision fine de la délinquance environnementale, qui permettra de renforcer l’action des pouvoirs publics et de répondre aux légitimes demandes d’information de nos concitoyens et des élus.

M. le président. La parole est à M. Jean-Vincent Placé, pour la réplique.

M. Jean-Vincent Placé. Je veux remercier M. le ministre de son implication et indiquer qu’il faut évidemment prendre en compte, dans cette problématique, les autres acteurs de la police de l’environnement et de la santé publique, comme l’Office national de la chasse et de la faune sauvage, l’Office national des forêts ou encore l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé.

J’espère que ce début de réflexion pourra intéresser nos collègues, y compris ceux de l’opposition. Du reste, je sais que notre collègue Chantal Jouanno, que je vois avec plaisir dans l’hémicycle, mesure parfaitement l’importance de ce problème, une importance qui ne fera que croître dans les années à venir. (Mme Corinne Bouchoux applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.

M. Jean-Claude Requier. Monsieur le ministre, l’égalité devant le droit à la sécurité fait partie intégrante des valeurs de la République, auxquelles vous êtes, comme nous, très attaché, nous le savons.

Une étude publiée le 12 septembre dernier par l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales a montré une augmentation du sentiment d’insécurité chez nos concitoyens, avec une forte montée de ce ressenti parmi les classes moyennes, dans les zones pavillonnaires et périurbaines, et surtout, fait inédit, dans les zones rurales.

De fait, entre 2009 et 2012, les zones couvertes par la gendarmerie nationale ont vu le nombre de cambriolages multiplié par deux, alimentant non seulement la peur, mais aussi le sentiment d’abandon par l’État de territoires ruraux et hyper-ruraux déjà éprouvés par les effets dévastateurs de la RGPP, laquelle a conduit à la suppression de plus de 4000 postes au cours de la période. Plus largement, on constate depuis un an une hausse de certains délits, comme les vols à main armée contre les commerces ou les atteintes aux biens.

Il y a plus grave encore : les zones rurales sont désormais touchées par une délinquance nouvelle et très organisée, qui vise directement les exploitations agricoles. On note ainsi, depuis janvier 2013, une hausse de 7,5 % des vols de cultures et de matériels. Plus globalement, c’est l’ensemble de l’appareil productif des exploitations qui est aujourd’hui touché à des degrés divers, mais néanmoins inquiétants : le matériel agricole ou d’irrigation, l’outillage, le gasoil, produits agricoles, y compris le bétail ! Il semble que des filières très bien structurées profitent de l’isolement de certaines exploitations.

Monsieur le ministre, les citoyens des campagnes sont inquiets de voir des phénomènes de délinquance, qu’ils croyaient réservés aux villes, venir aujourd’hui les toucher. Bien sûr, ils ne sont pas plus acceptables en zone urbaine qu’en zone rurale, mais il est évident que les forces de sécurité en zone urbaine sont davantage habituées à prévenir ou traiter ces phénomènes. Le maillage territorial de la gendarmerie nationale territoriale est moins adapté à une délinquance nouvelle, organisée et très mobile, qui profite de l’étendue et de la faible densité des espaces agricoles.

M. le président. Veuillez poser votre question, mon cher collègue.

M. Jean-Claude Requier. Monsieur le ministre, face à cette évolution inquiétante, quelles réponses pensez-vous apporter ? (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur quelques travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Manuel Valls, ministre. Monsieur le sénateur, je serai demain dans votre département pour témoigner de ma préoccupation (Exclamations amusées sur les travées du groupe UMP.), comme je l’ai déjà fait dans le Cantal, dans l’Aveyron ou dans la Meuse, entre autres. Et, monsieur Karoutchi, je viendrai bientôt visiter les milieux ruraux des Hauts-de-Seine. (Rires.)

Monsieur Requier, vous avez raison : les cambriolages ont explosé, connaissant une augmentation de 18 % de 2007 à 2012, avec une progression de 44 % s’agissant des résidences principales. Ce phénomène, au demeurant, n’est pas propre à la France : il touche l’ensemble de l’Europe.

Nous y répondons en restituant à la gendarmerie les moyens qui lui avaient été enlevés ces dernières années, mais aussi en mettant en place des zones de sécurité prioritaires dédiées à la lutte contre les cambriolages.

Dans le monde rural, les forces de l’ordre se mobilisent et doivent continuer à le faire pour préserver la sécurité et la richesse de nos territoires, en participant à la protection de l’outil de travail agricole, ce qui passe par la lutte contre les trafics de tracteurs et d’engins de chantier, contre les vols de métaux. À ce sujet, sachez que, le 23 août dernier, dans les Landes, la gendarmerie a démantelé un vaste réseau de voleurs de systèmes métalliques d’irrigation hydraulique, ce qui prouve l’efficacité de notre travail.

En outre, nous apportons des conseils de prévention aux agriculteurs, comme dans la Sarthe, département de mon collègue Stéphane Le Foll, grâce au réseau des « référents sûreté », en contact avec les organisations agricoles, et au dispositif d’alerte par SMS, en lien avec les chambres d’agriculture.

Enfin, nous nous efforçons de démanteler les trafics agroalimentaires avec l’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique, dont nous avons parlé il y a un instant.

Mesdames, messieurs les sénateurs, aucun territoire, qu’il soit urbain, périurbain ou rural, ne sera oublié ; aucun effort ne sera épargné. Tel est notre engagement devant tous les Français.

Cela étant, monsieur Requier, j’ai été très sensible à votre question parce qu’elle concerne les territoires ruraux, qui, jusqu’à récemment n’étaient pas touchés par ces phénomènes. Hélas, force est de constater que la violence des centres urbains atteint maintenant les campagnes, s’attaquant à certaines habitudes de vie en société : raison de plus pour maintenir notre effort, comme vous le souhaitez très justement.

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour la réplique.

M. Jean-Claude Requier. Monsieur le ministre, nous apprécions votre engagement et votre fermeté, dans la lignée de Clemenceau, qui fut non seulement le « Père la Victoire », mais aussi le « premier flic de France ».

M. Roger Karoutchi. C’est dit ! (Sourires.)

M. Manuel Valls, ministre. Il le fallait ! (Nouveaux sourires.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Patrick Courtois.

M. Jean-Patrick Courtois. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais en mon nom personnel et, je le sais, au nom de tous les membres de cette assemblée, rendre hommage aux services de police pour l’arrestation rapide de Abdelhakim Dekhar.

Cette arrestation a été permise, je tiens à le rappeler, grâce notamment à l’utilisation du fichier FNAEG – fichier national automatisé des empreintes génétiques –, créé par la précédente majorité.

Je tiens aussi à dénoncer les propos tenus par M. David Assouline et mêlant notre formation politique à ce tragique fait divers.

Les problèmes de délinquance se multiplient en ville, comme nous n’avons de cesse de le répéter. L’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales confirme ce constat : l’explosion des crimes et délits se poursuit et s’aggrave mois après mois ; la plupart des indicateurs virent au rouge. Cet organisme relève ainsi une hausse de 4,1 % des atteintes aux biens et de 3 % des violences contre les personnes sur l’ensemble du territoire national. Par ailleurs, la courbe des cambriolages poursuit sa croissance de plus de 10 % et les vols enregistrent une évolution similaire, sans parler des vols à la tire, qui augmentent de plus de 14 %, les actes de violences sexuelles enregistrant, quant à eux, une progression de plus de 8 %.

Les chiffres de la délinquance n’ont cessé d’augmenter depuis votre arrivée au pouvoir. À cela s’ajoutent les messages d’impunité délivrés par Mme le garde des sceaux.

Outre l’inquiétude de nos concitoyens, nous devons constater la morosité des services de police et de gendarmerie. Ces services de sécurité intérieure se sentent orphelins, avec un ministre qui ne leur donne pas de moyens suffisants, du fait des restrictions budgétaires, pour exercer aujourd’hui leur mission régalienne ; ils ont d’ailleurs exprimé un message de « ras-le-bol » mercredi dernier.

Ce sentiment est encore aggravé par des décisions judiciaires qui, en l’absence de dispositions législatives précises, ont encore rendu plus complexes les enquêtes de police.

Monsieur le ministre, la rallonge de 110 millions d’euros que vous venez d’annoncer semble bien modeste face aux enjeux de sécurité d’aujourd’hui et de demain. Vous ne pouvez pas définir une politique de sécurité dépendant d’arbitrages budgétaires relatifs et variables, imposés par Bercy. Vous ne calmerez pas la morosité des services à coup d’enveloppes financières si vous n’annoncez pas un cap clair pour leur avenir.

Nous avons donc besoin d’une politique structurelle, laquelle passera notamment par un redéploiement des forces de police et de gendarmerie sur l’ensemble du territoire, particulièrement en zone rurale, où la délinquance explose.

Je citerai l’exemple du département de Saône-et-Loire, où la délinquance de proximité y est en hausse de plus de 20 % en un an. Cette forte augmentation tient notamment à la recrudescence des cambriolages, facilités par la mobilité des délinquants, plus aisée dans les territoires ruraux. Il en est ainsi du vol de cuivre dans les installations électriques publiques et du vol de fonte par des groupes d’individus parfaitement organisés en filières itinérantes.

M. le président. Veuillez poser votre question.

M. Jean-Patrick Courtois. Monsieur le ministre, quand allez-vous définir une politique de sécurité durable, ambitieuse pour notre pays et sécurisante pour nos services de police et de gendarmerie ?

M. le président. Monsieur Courtois, il vous restera peu de temps pour réagir aux propos de M. le ministre.

M. Jean-Patrick Courtois. Je renonce à la réplique, monsieur le président.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Manuel Valls, ministre. Monsieur Courtois, votre préoccupation au sujet des moyens des forces de l’ordre vous honore, même si je regrette votre ton polémique.

S’agissant des moyens humains, il faut savoir que 13 700 postes avaient été supprimés entre 2007 et 2012.

M. Manuel Valls, ministre. Nous venons d’arrêter cette hémorragie, notamment en remplaçant tous les départs à la retraite et en créant tous les ans 400 à 500 postes de policiers ou de gendarmes.

J’ai donc plutôt l’impression, monsieur le sénateur, que vous vous adressiez à l’un de mes prédécesseurs !

S’agissant du FNAEG, je me permets de vous rappeler qu’il a été créé en 1999 par Élisabeth Guigou pour les délinquants sexuels et les crimes très graves, même si, vous avez raison, il a été développé par Nicolas Sarkozy.

Mais, de grâce, arrêtons ce genre de polémiques ! Monsieur Courtois, je vous connais suffisamment pour savoir que vous pouvez avoir un peu de hauteur sur ces questions-là. Les questions de sécurité s’inscrivent dans une continuité ; elles sont trop graves pour qu’on les aborde, surtout ici, au Sénat, dans un esprit partisan.

Vous avez encore raison lorsque vous dites que les moyens humains ne suffisent pas : il faut aussi investir. À cet égard, alors que, depuis cinq ans, les budgets d’investissement et de fonctionnement avaient diminué, ils augmenteront l’an prochain pour la première fois. J’ai même obtenu le dégel des crédits gelés en début d’année pour la gendarmerie et la police, car ces services avaient besoin non seulement de véhicules, mais aussi de carburant pour les faire rouler.

Vous êtes également dans le vrai lorsque vous réclamez un redéploiement sur le terrain – c’est aussi l’objet de l’outil statistique – pour que policiers et gendarmes s’attaquent aux vrais phénomènes de délinquance : les violences sur les personnes, les violences faites aux femmes, les cambriolages, les crimes et les trafics de drogue et d’armes, qui prospèrent aujourd’hui au cœur d’un certain nombre de cités, mais qui concernent également les territoires ruraux.

C’est cette politique globale, qui passe par une action particulière en direction des zones de sécurité prioritaires, qui nous permettra d’être efficaces et de répondre à l’attente des Français, dans le souci de l’intérêt général et du rassemblement, à l’écart de toute polémique.

M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau.

M. Joël Guerriau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mes interrogations portent sur la délinquance des mineurs, sujet humainement délicat.

Depuis dix ans, l’Observatoire de la délinquance et des réponses pénales rapporte que les mineurs commettent 18 % de l’ensemble des délits et un tiers de la totalité des vols. En moyenne, entre 2007 et 2012, cela a représenté 140 000 mises en cause par an, soit 400 par jour. Il n’est pas rare qu’un policier soit amené à interpeller le même jeune plus de dix fois dans la même année !

J’illustrerai mes propos par un exemple. En mai 2012, à Nantes, un barrage de police a été forcé par une voiture volée, blessant sept policiers. Le chef de la bande avait treize ans. Le week-end précédent, il avait été présenté devant le parquet pour une série de cambriolages et pour vol de voitures.

Ce mois-ci, les mêmes auteurs, toujours mineurs, viennent d’être arrêtés pour une nouvelle série de cambriolages.

Cet exemple montre que l’absence de réponse adaptée à la gravité des faits conduit à une escalade de la violence. Le sentiment d’impunité confère aux auteurs un statut de caïd et affaiblit l’autorité des représentants de l’État.

Pour ne rien arranger, la Chancellerie vient de complexifier la tâche de la police en interdisant l’utilisation de la géolocalisation lors de l’enquête préliminaire sans l’autorisation du juge.

M. Jean-Pierre Sueur. Ce n’est pas la Chancellerie, c’est la Cour de cassation !

M. Joël Guerriau. Mais la Chancellerie a confirmé !

M. Jean-Pierre Sueur. La Cour de cassation est indépendante !

M. Joël Guerriau. Nous n’attendons pas une nouvelle réforme pénale, mais l’application de mesures permettant de protéger ces jeunes d’eux-mêmes. La question est de savoir si nous disposons du personnel, formé et en nombre, qui soit capable de ramener ces mineurs dans le droit chemin. Je reste persuadé que l’action préventive et le travail éducatif sont déterminants.

Concernant les actions préventives, la police de proximité et les brigades spécialisées subissent des contraintes supplémentaires avec l’accroissement du temps passé à la rédaction d’actes.

Concernant les actions éducatives, le programme du candidat Hollande contenait l’engagement de doubler le nombre de centres éducatifs fermés. Or, aujourd’hui, les intentions du Gouvernement à cet égard sont confuses.

Malheureusement, le durcissement des actes de délinquance pose le problème des récidivistes que les centres éducatifs ne réussissent pas à réinsérer.

Dans ce contexte, monsieur le ministre, j’ai deux propositions à vous faire et deux questions à vous poser.

Nous proposons, tout d’abord, qu’une mission parlementaire d’information permette de mesurer l’efficacité des centres éducatifs.

Nous proposons, ensuite, la rédaction d’un texte législatif pour préciser le cadre d’utilisation par la police de moyens techniques de surveillance, de traçage téléphonique ou de localisation.

Enfin, les promesses de la campagne pour l’élection présidentielle seront-elles tenues ? Quels moyens envisagez-vous concrètement pour lutter contre la récidive des mineurs, qui empoisonne nos concitoyens et met en danger les auteurs eux-mêmes ? (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Manuel Valls, ministre. Monsieur Guerriau, vous avez raison de partir des chiffres relatifs à l’augmentation de la part des mineurs dans les violences aux personnes entre 2002 et 2012. Il s’agit d’un phénomène de société qui doit être examiné sur le long terme.

Je tire deux enseignements des statistiques que vous avez rappelées.

D’une part, la délinquance violente des mineurs s’est aggravée. Les barrières que sont censées ériger l’éducation, la morale ou les valeurs qui fondent notre société ne sont plus des remparts suffisants pour préserver contre l’appât du gain, les atteintes à l’intégrité physique, voire à la vie humaine.

D’autre part, nous constatons une professionnalisation accrue de cette délinquance des mineurs. On retrouve en effet ces jeunes dans toute une série de réseaux, ce qui pose d’ailleurs des problèmes majeurs.

Vous entendez prendre des initiatives au niveau du Parlement : c’est évidemment votre droit. Ces enseignements me conduisent, moi, à deux séries de conclusions.

Premièrement, il est urgent, pour lutter contre cette inscription dans l’illégalité d’individus de plus en plus jeunes et de plus en plus déterminés, de réinvestir tous les territoires de la République, par une approche à la fois globale et très fine, comme nous le faisons à Marseille, mais aussi sur de nombreux autres territoires, en particulier dans les zones de sécurité prioritaires.

Deuxièmement – et ceci relève de ma responsabilité et de celle de la ministre de la justice –, nous devons adopter une attitude sans concession à l’égard de cette forme de criminalité qui procède d’une détermination que nous ne pouvons pas sous-estimer, je le répète, même chez les mineurs. Sans le respect des valeurs que j’évoquais, sur lesquelles nous pouvons « faire société » et que défendent souvent les parents de ces mêmes mineurs, le travail social, l’éducation, l’instruction, la justice même, ne pourront faire leur œuvre et dissuader ces jeunes de céder à l’appât du gain et aux facilités de l’économie criminelle.

De mon point de vue, les centres éducatifs fermés représentent une réponse. Vous proposez, quant à vous, de les évaluer. J’insiste sur le fait qu’il faut apporter à la fois une réponse éducative et une réponse pénale : c’est en nous appuyant sur ces deux piliers que nous pourrons combattre ce phénomène particulièrement grave.

M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau, pour la réplique.

M. Joël Guerriau. Monsieur le ministre, vous n’avez pas pleinement répondu à ma question.

Pendant la campagne pour l’élection présidentielle, votre candidat a parlé de doubler le nombre des centres éducatifs fermés : pour l’instant, seule la création d’un nouveau centre éducatif à Marseille a été annoncée par le Premier ministre. Il sera donc important d’évaluer les résultats de ces centres.

Je constate, sur le terrain, l’agacement des policiers qui doivent interpeller plusieurs fois les mêmes auteurs, avant même qu’ils puissent être condamnés, avec une efficacité manifestement nulle. Je rends d’ailleurs hommage à ces policiers qui ne se découragent pas pour autant, dans un contexte extrêmement difficile : locaux vétustes, moyens de plus en plus limités, etc.

L’interprétation par la Cour de cassation de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales a mis fin à la possibilité, pour les policiers, de travailler avec la géolocalisation. Il faut réagir à cette situation et la première solution consiste à accorder à la police des outils supplémentaires, car quelques millions d’euros d’investissements en plus ne suffiront pas.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.

M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le ministre, à cet instant du débat, j’ai envie de dire à mes collègues : « Soyons justes ! »

D’une part, en ce qui concerne les mineurs, à en juger par les difficultés qu’il faut affronter pour que les jeunes puissent aller à l’école neuf demi-journées par semaines et un peu plus de 140 jours par année, je me dis que nous avons un problème d’instruction et d’éducation que la société doit aussi prendre en charge !

D’autre part, quand je vous entends, cher Jean-Patrick Courtois, énoncer que les policiers se sentent orphelins et que Bercy pose des problèmes, je pense qu’il faut aussi s’interroger sur ce qui s’est passé dans les années précédentes : Bercy devait quand même déjà dire son mot…

M. Jean-Patrick Courtois. Nous ne sommes plus au pouvoir !

M. Jean-Pierre Sueur. … quand on a supprimé des postes de policiers ! Des postes que vous rétablissez d’ailleurs, heureusement, avec beaucoup d’énergie, monsieur le ministre. Je ne pense donc pas que les policiers se sentent orphelins, ni les gendarmes d’ailleurs.

J’en viens à l’objet de ma question, qui a trait aux statistiques, puisque tel est le thème de cette séance de questions cribles.

On a tout dit sur l’état 4001, son inefficacité et son imprécision.

L’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales est un organe très important, parce qu’il est indépendant : il faut donc conforter son indépendance.

Nous disposons des statistiques de la police et de celles de la gendarmerie. Une réforme a eu lieu en 2012. À la fin de la même année, l’ONDRP a estimé qu’il existait une rupture statistique. À cela s’ajoute le fait que les statistiques du ministère de la justice reposent sur des bases différentes.

Par conséquent, nous avons trois sources statistiques qui obéissent à des logiques qui ne sont pas parfaitement cohérentes. Or, pour bien appréhender le phénomène de la délinquance, il faut une cohérence entre ces trois sources. Quelles sont vos intentions à cet égard, monsieur le ministre ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Manuel Valls, ministre. Monsieur Sueur, vous avez eu raison de rappeler que la décision relative à la géolocalisation, mentionnée par un de vos collègues, émanait de la Cour de cassation. Il nous appartient maintenant de résoudre le problème ainsi posé, et j’y travaille avec Mme la ministre de la justice.

Par ailleurs, vous l’avez dit à juste titre, seule la confrontation, catégorie de faits par catégorie de faits, des données relatives aux auteurs interpellés, sur l’ensemble du champ répressif, de la réitération à la récidive, permet d’évaluer de manière scientifique, avec la plus grande cohérence possible, les conséquences des politiques publiques en matière de sécurité.

J’ai proposé que nous fassions avancer ce chantier dans le cadre du plan « anti-cambriolages et anti-vols à main armée », car il n’existe guère de délinquance plus sérielle que le cambriolage. Aujourd’hui, nous vivons encore au Moyen Âge de la statistique criminologique. La modernisation à peu près concomitante des fichiers de police, de gendarmerie et de justice va nous permettre d’accéder, je l’espère, à un âge véritablement scientifique, avec des croisements fins de données entre auteurs et victimes pour mieux prévenir – je réponds, là encore, à la préoccupation exprimée tout à l'heure par Mme Assassi –, dissuader ou punir. Bien sûr, ces statistiques resteront anonymisées.

Cette exigence de sens et de cohérence illustre l’ambition de la réforme de l’ONDRP que j’ai déjà évoquée et que je conduis avec Christiane Taubira. Nous avons entrepris de renforcer l’indépendance et le professionnalisme de cet organisme, notamment en associant étroitement l’Autorité de la statistique publique à son fonctionnement. Nous veillerons à doter cette instance des moyens nécessaires à la construction, tant attendue en France, d’un diagnostic de la délinquance complet, précis et rigoureux, propre à bâtir des politiques publiques adaptées à la récidive.

Nous avons pris cet engagement cet été, Mme la garde des sceaux et moi-même, lors d’une communication conjointe devant le conseil des ministres. Il est très important que, dès 2014, les deux services statistiques de nos deux ministères puissent enrichir les données recueillies par l’ONDRP et les mettent à la disposition tant du grand public que des chercheurs, sur des séries récurrentes. La police et la gendarmerie disposeront ainsi d’un outil adaptable et efficace.