M. Jean Arthuis. Très bien !

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Le Gouvernement espère limiter la progression en volume des dépenses publiques à 0,4 % en 2014, puis à 0,2 % les années suivantes : c’est la trajectoire sur laquelle vous engagez votre responsabilité.

Qu’il me soit simplement permis de rappeler qu’en 2012 la progression réelle en volume a été de 1 %, alors que l’on attendait 0,4 %, mais il est vrai que 2012 était une année à gestion partagée. Pour 2013, on attendait 0,9 % et on a eu 1,7 %. Par conséquent, pardonnez-moi de jauger votre nouvelle prévision à l’aune de ce qui a pu être fait dans le passé le plus récent.

M. Jean-Vincent Placé. Il faut conclure, monsieur le président de la commission !

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. M. le rapporteur général n’a pas utilisé tout son temps de parole. Quant aux ministres, ils ont majoré les quarante-cinq minutes dont ils disposaient. Au demeurant, je serai raisonnable puisque j’en arrive à ma conclusion.

Le Gouvernement ne prépare pas vraiment l’opinion à recevoir un vrai message annonciateur d’économies. Il peut être amené à faire des économies, mais il préfère communiquer plutôt sur ses annonces coûteuses : sur les recrutements dans la fonction publique – certes plus facile à entendre que la réduction du nombre de fonctionnaires –, sur la garantie universelle des loyers (M. Philippe Dallier s’exclame.), sur la revalorisation du seuil de la CMU, sur toutes les conséquences du rétablissement intégral de la retraite à soixante ans, etc.

Certes, vous devez avancer, monsieur le ministre, tel un funambule sur un fil, avec de part et d’autre beaucoup de récifs et d’écueils. Mais, trop souvent, il vous arrive d’annoncer une chose en sachant que vous allez faire le contraire ! Certes, l’horrible RGPP est morte, remplacée par la vertueuse MAP. Mais chacun de ceux qui analysent les budgets et les méthodes sait que, dans le fond, c’est toujours la même démarche d’audit et de recherche de réformes.

De grâce, n’allez pas, par un procédé trop facile, « sataniser » vos prédécesseurs (M. le ministre délégué manifeste par un geste qu’il ne se sent pas concerné par la remarque.), qui ont été il y a peu sur le même fil que vous, cernés par de semblables récifs et écueils.

J’observe que le ressentiment monte aussi chez les élus locaux, chargés de financer les politiques décidées par le Gouvernement, par exemple en matière de rythmes scolaires, tout en assumant, à la place du Gouvernement, les hausses d’impôt – c’est ce qu’on nous propose de faire avec les droits de mutation à titre onéreux – et tout en subissant une baisse des dotations, qui atteignent des niveaux tout à fait inédits. Bien entendu, vous avez le talent de qualifier cela de « pacte de confiance et de responsabilité », comme si cette politique du verbe n’était pas ce qui mine le plus la confiance et comme si cette manière de présenter les choses, contraire à la réalité, pouvait être considérée comme véritablement responsable.

Enfin, en matière fiscale, nous pouvons observer à chaque instant, sur presque chaque sujet, une absence de cohérence. L’impréparation des décisions, les allers et retours, l’absence d’une ligne politique arrêtée et assumée, les concessions qu’il vous faut faire, tout cela porte, je le crains, un coup dur au consentement à l’impôt dans notre pays.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Comme vous, monsieur le ministre, je pense que l’impôt est une réalité citoyenne indispensable dans notre République.

Je me bornerai à regretter que le Gouvernement persiste à afficher des objectifs idéologiques et à mettre en place par la suite les moyens de les contourner, sans vraiment dire la vérité, que ce soit à ses amis et ses alliés, voire à ses compétiteurs et ses adversaires.

Un bon exemple est celui de la fiscalité de l’énergie, mais nous en parlerons au cours de la discussion des articles. Permettez-moi toutefois d’évoquer brièvement la fiscalité écologique. Il devait s’agir de 4 milliards d’euros, destinés à participer au financement du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi. J’examine, je scrute, mais, même dans le cadre de la « remise à plat », je ne trouve pas l’esquisse du début de cette démarche.

M. le président. Veuillez conclure, monsieur le président de la commission.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est dans ce contexte difficile que nous allons examiner ce projet de loi de finances pour 2014. Pour ma part, j’estime, avec de nombreux sénateurs et sénatrices, qu’il faudra rejeter franchement, globalement et frontalement ce texte dès l’examen de l’article d’équilibre. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Vincent Placé.

M. Jean-Vincent Placé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je vous fais une promesse, et je la tiendrai : je serai beaucoup plus bref que le président de la commission des finances !

M. Dominique de Legge. Mais beaucoup moins intéressant ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)

M. Jean-Vincent Placé. C’est une appréciation !

Le budget que le Gouvernement soumet à la représentation nationale s’inscrit, vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, dans la continuité, dans votre continuité. Pourtant, la France est au bord de la rupture. Des Abeilles aux Poussins, les professions se mobilisent les unes après les autres en un improbable bestiaire, des jacqueries violentes sonnent la rébellion contre l’État, le chômage atteint des niveaux inédits et le racisme s’affiche sans vergogne.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Quel rapport avec le budget ?

M. Jean-Vincent Placé. Les préfets décrivent une « société en proie à la crispation, à l’exaspération et à la colère ». Il devient urgent d’en prendre conscience : ce qui fonde notre pacte social et républicain est aujourd’hui en danger.

Certes, la majorité précédente nous a laissé un pays exsangue, à la fois économiquement, avec une dette augmentée de 600 milliards d’euros, et idéologiquement, avec une extrême droite qu’elle a choisi de légitimer.

M. Philippe Dallier. Mais bien sûr…

M. Jean-Vincent Placé. Il reste que c’est désormais à ce gouvernement qu’il appartient de mener le changement.

Lorsque la France a entériné sans renégociation le traité voulu par Mme Merkel et M Sarkozy, j’avais, parmi d’autres, dénoncé à cette tribune les méfaits de l’implacable logique de l’austérité. Le mécanisme en est simple : les efforts commandés par la rigueur se trouvent neutralisés par la contraction de l’économie qu’ils engendrent eux-mêmes, alimentant ainsi le cercle vicieux de la crise.

La première année du quinquennat aura suffi à apporter la démonstration, si besoin était, que l’austérité de gauche, fût-elle travestie en « sérieux budgétaire », reste l’austérité. La loi de programmation des finances publiques prévoyait pour 2013 un déficit structurel de 1,6 %. Néanmoins, et sans qu’aucun événement extérieur nouveau vienne le justifier, les recettes fiscales se sont atrophiées depuis lors de 11 milliards d’euros, si bien que, malgré les efforts, le déficit structurel pour 2013 devrait finalement être de 2,6 %, soit un point de plus que prévu.

M. Jean-Vincent Placé. Or le TSCG – traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance – stipule qu’un écart d’un demi-point suffit à déclencher le mécanisme de correction automatique. C’est donc logiquement que le Haut Conseil des finances publiques a indiqué, dans son avis, qu’il serait contraint de demander ce déclenchement au printemps prochain, à l’occasion de l’examen de la loi de règlement.

Que se passera-t-il alors ? La France devra-t-elle payer une amende ? Le Gouvernement sera-t-il contraint à un ajustement structurel ? Ou bien cela se réglera-t-il par un discours de bonnes intentions ? Comme nous l’avions prédit – cela étant, l’exercice n’avait rien de bien difficile –, cette « règle d’or » n’offre qu’une alternative entre la catastrophe et la mascarade. La responsabilité incite évidemment à préférer la seconde, mais on ne peut pas dire que la politique en sorte grandie.

Bien qu’il ne soit pas parvenu à atteindre son objectif pour 2013, en dépit de l’effort consenti, le Gouvernement, fidèle à sa logique, le reporte pour partie sur l’année prochaine. Il s’engage donc pour 2014 à un effort de 0,9 point de PIB, au lieu du 0,5 point prévu par la loi de programmation. Nous nous enferrons ainsi un peu plus dans une spirale infernale.

C’est dans ce contexte, où la rigueur assumée ne laissait déjà que peu de marges, qu’ont été annoncés l’avènement du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi et son financement partiel par une hausse de la TVA. Vous nous présentez régulièrement cette mesure, monsieur le ministre, comme la colonne vertébrale de la politique économique du quinquennat. Il est, du coup, difficile de comprendre pourquoi elle ne figurait pas en bonne place parmi les engagements de campagne du Président de la République et pourquoi elle fut introduite par un simple amendement, livré aux députés la veille de son examen.

Là encore, au-delà de la rupture du contrat politique, le Gouvernement s’est engagé dans la voie d’une économie sociale-libérale, aussi obsolète que dangereuse. Ce crédit d’impôt est non seulement un chèque en blanc aux entreprises, mais c’est surtout un chèque à toutes les entreprises. Qu’il s’agisse de TPE ou de multinationales, d’entreprises en difficulté ou distribuant des dividendes, d’entreprises soumises à la concurrence internationale ou à l’abri de celle-ci, d’entreprises écologiques ou polluantes, toutes bénéficient de la même disposition, sans conditions. Dans des secteurs comme la grande distribution, les effets d’aubaine sont considérables. Les entreprises considérées sont-elles confrontées à un problème de compétitivité ? Les ménages français vont-ils faire leurs courses en Italie ?

Cette mesure, pourtant extrêmement onéreuse, ne fournit donc aucun levier pour orienter l’économie vers sa nécessaire transition écologique. C’est ainsi qu’il a été décidé d’utiliser cette maigre marge de manœuvre que tolérait la stratégie de la rigueur.

Sous la contrainte de ce double péché originel que constituent donc le TSCG et le CICE, le budget pour 2014 prévoit 6 milliards d’euros d’économies sur les amortisseurs sociaux et 1,5 milliard d’euros sur les collectivités territoriales. Pour l’État et ses opérateurs, ce seront 7 milliards d’euros de coupes claires, dont je mesure les dégâts, par exemple, dans la police et la gendarmerie – je suis le rapporteur spécial de la commission des finances pour les programmes Police nationale et Gendarmerie nationale de la mission « Sécurités ». Heureusement, des crédits viennent d’être « dégelés » afin de pouvoir acheter 2 000 véhicules.

La mission « Écologie, développement et mobilité durables », dont vous comprendrez qu’elle nous est chère, fait partie de celles qui ont été le plus atteintes, alors même que la défense, qui ne figure pourtant pas au rang des trois priorités revendiquées par le Président de la République, est sanctuarisée.

Du côté des recettes, c’est en 2014 que devrait entrer en vigueur la hausse de la TVA. Le paradoxe du choix de la rigueur, monsieur le ministre, c’est qu’il suscite l’envie de s’alimenter sur des assiettes larges. Dès lors, le vrai malheur des gens modestes est d’être beaucoup plus nombreux que les riches ! En effet, lorsque la nécessité du rendement fiscal se fait pressante, il est moins rentable pour le Gouvernement de cibler et de proportionner son prélèvement que de ponctionner la grande masse des Français.

C’est donc par cet impôt régressif pesant sur les ménages – au moment où il est plutôt question de rendre les impôts plus progressifs – que sera largement financé le chèque en blanc aux entreprises.

En outre, le choix d’augmenter le taux intermédiaire à 10 % pénalisera beaucoup de secteurs participant à la transition écologique : transports en commun, traitement des déchets, gestion de l’eau.

Dans ce marasme budgétaire, deux mesures ont toutefois retenu positivement notre attention. La première a consisté à sortir la rénovation thermique des logements du champ de la hausse de TVA, pour en revenir à la situation antérieure au 1er janvier 2012 ; nous ne pouvons que nous en féliciter. La seconde mesure a consisté à poser les bases d’une contribution climat-énergie, ainsi que le Président de la République s’y était engagé. C’est une avancée majeure vers le verdissement de notre fiscalité. Nous regrettons néanmoins que le produit de cette contribution aille au financement du CICE, dont j’ai rappelé le caractère peu écologique, au lieu d’être investi ou d’être retourné aux redevables sous forme de compensations incitatives, conformément à l’objectif prioritaire d’une contribution climat-énergie.

De même, pour que le dispositif soit efficace, il conviendrait de revoir rapidement le prix de la tonne de carbone – 7 euros en 2014 et 22 euros en 2016 –, de manière à se rapprocher des montants qui figurent dans l’accord de mandature que nous avons passé avec nos amis socialistes, à savoir 36 euros dès 2012 et 56 euros en 2020.

M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Il n’est jamais trop tard !

M. Jean-Vincent Placé. Dans ce contexte, c’est avec grand intérêt que nous avons pris connaissance de l’annonce faite par le Premier ministre, dont je salue la volonté réformatrice, réaffirmant l’engagement du Président de procéder à une réforme fiscale. Sans doute n’est-il pas encore trop tard pour s’y atteler.

Cette réforme devra permettre d’en finir avec la dégressivité de l’impôt, qui voit aujourd’hui les plus riches contribuer proportionnellement moins que les gens modestes. Elle devra aussi permettre de rattraper le retard de la France, qui occupe l’avant-dernière place au sein de l’Union européenne en matière de fiscalité écologique. Ce sera l’occasion d’expliquer que l’écotaxe, soutenue par les syndicats et décriée par le MEDEF, est l’alliée du progrès social, qu’elle permet de faire payer les externalités, c’est-à-dire la destruction de l’environnement, aux quelques-uns qui en profitent aujourd’hui gratuitement plutôt qu’à l’ensemble de la collectivité, et d’expliquer aussi qu’en faisant payer le juste prix de la pollution on verra apparaître clairement les secteurs économiques condamnés qu’il convient d’aider à se transformer.

Monsieur le ministre, lors de l’examen du programme de stabilité, en avril, je vous avais dit que, si vous l’aviez soumis à un vote du Sénat, le groupe écologiste ne l’aurait pas voté. Lors du débat d’orientation, en juillet, je vous avais indiqué que nous ne pourrions pas, dans les conditions actuelles, accepter un budget de l’écologie en baisse.

Vous ne serez donc pas surpris d’apprendre que, en attendant la mise en œuvre de la grande réforme annoncée par le Premier ministre, à laquelle nous espérons être pleinement associés, comme l’ensemble des groupes parlementaires – y compris, sans doute, celui qui est le plus proche du pouvoir –, à moins d’avancées significatives dans la discussion des amendements, le groupe écologiste ne sera pas en mesure d’approuver le volet recettes de ce projet de loi.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. J’applaudis la conclusion !

M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à treize heures, est reprise à quinze heures.)

M. le président. La séance est reprise.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2014
Discussion générale (suite)

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Questions cribles thématiques

sécurité : les chiffres de la délinquance

M. le président. L'ordre du jour appelle les questions cribles thématiques sur « La sécurité : les chiffres de la délinquance », posées à M. Manuel Valls, ministre de l'intérieur.

Je rappelle que l'auteur de la question et le ministre pour sa réponse disposent chacun de deux minutes. Une réplique d'une durée d'une minute au maximum peut être présentée soit par l'auteur de la question, soit par l'un des membres de son groupe politique.

La parole est à Mme Virginie Klès.

Mme Virginie Klès. Les « chiffres de la délinquance », les « vrais chiffres de la délinquance », les « nouveaux chiffres de la délinquance »… Qu’importe le qualificatif ; ce qui choque profondément la statisticienne que je fus, c’est ce mélange de singulier et de pluriel.

S’il est un phénomène qu’il est important de qualifier et qui trouve un écho en chacun, c’est bien celui de la délinquance, phénomène de la vie courante. Quand on veut y associer des chiffres, des statistiques, il est essentiel et même primordial de préciser de quoi l’on parle. Aucun phénomène n’est plus multiforme que « la » délinquance. Il faut savoir de quels faits il s’agit, savoir quelle est leur gravité, à quel moment et à quel endroit ils ont été commis, savoir aussi quel est le ressenti des victimes... Autrement dit, les chiffres de la délinquance en tant que tels n’existent pas sur le plan statistique.

Il est temps de sortir de cette grande imposture du chiffre unique et de l’état 4001. D’énormes progrès ont déjà été réalisés sur le sujet, notamment grâce au travail de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales, l’ONDRP. Les progrès ont surtout été enregistrés concernant les qualifications des faits de délinquance recensés : la précision qui est désormais obtenue permet une véritable mesure des faits de délinquance sur le territoire.

Pour autant, quand on connaît l’importance qui, en statistique, s’attache à l’objectivité et à l’homogénéité de la collecte des données, on peut encore se poser des questions lorsqu’il s’agit de faits enregistrés par tel petit commissariat débordé ou par tel autre commissariat installé dans un quartier où un vol de vélo ne fait même plus l’objet d’une plainte de la part du propriétaire.

Sur l’ensemble de ces questions, monsieur le ministre, vous avez réalisé récemment un effort considérable en créant un service de la statistique interne au ministère de l’intérieur. Que peut-on attendre de ce service ? Comment va-t-il fonctionner, notamment en ce qui concerne la collecte des données ? Comment s’articulera-t-il avec l’ONDRP ? Quels meilleurs services en matière d’évaluation des délinquances peut-on en attendre ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Manuel Valls, ministre de l'intérieur. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, madame Klès, la mission du ministère de l’intérieur est, bien sûr, de combattre la délinquance à partir de données fiables et connues.

Dans cette perspective, les statistiques de la délinquance remplissent deux fonctions. La première s’inscrit dans le cadre de la statistique publique : il s’agit d’informer nos concitoyens de la réalité des phénomènes délinquants et criminels. La seconde relève des politiques de sécurité : il nous faut avoir la connaissance la plus précise, la plus fine, de ces phénomènes pour orienter l’activité des forces de l’ordre.

Il est indispensable, pour atteindre ces deux objectifs, que la nature de la délinquance soit appréhendée dans toute sa diversité. C’est évidemment ce que nous souhaitons, comme vous venez de le rappeler.

On ne peut pas se contenter de données trop globales, trop imprécises, et c’est bien le défaut du chiffre unique.

La présentation habituelle des statistiques de la délinquance découle de l’exploitation d’un outil créé il y a maintenant quarante ans, l’état 4001. Le problème est qu’il n’intégrait que les faits poursuivis pénalement et ne restituait donc pas l’activité des forces de l’ordre en matière de présence et de règlement des différends. Une réflexion en profondeur a été engagée, en étroite concertation avec l’ONDRP, qui a bien travaillé sur ces questions.

Nous devons poursuivre ce travail. L’ONDRP a adopté une nouvelle présentation des statistiques de la délinquance et le ministère de l’intérieur a créé un nouveau tableau de bord, qui regroupe notamment les statistiques concernant la délinquance en quatorze agrégats, afin de moderniser les méthodes de pilotage et d’évaluation de l’activité des forces de l’ordre.

Il s’agit de mettre davantage l’accent sur les aspects qualitatifs, en mesurant par exemple la capacité des services à élucider les infractions les plus préoccupantes pour nos concitoyens ou l’apport de la police technique et scientifique dans la résolution des affaires, un apport dont nous avons pu mesurer toute l’importance au cours des dernières heures.

Enfin, l’enregistrement des faits constatés par la police et la gendarmerie connaît une profonde modernisation grâce à un nouvel outil déjà mis en place par la gendarmerie et en cours de déploiement dans la police. Il permet de lier, par un processus automatique, la prise de plainte et la comptabilisation statistique de l’infraction correspondante. Ce système permettra d’avoir des pratiques homogènes sur tout le territoire et dans tous les services et, bien sûr, il interdira toute forme de manipulation.

M. le président. La parole est à Mme Virginie Klès, pour la réplique.

Mme Virginie Klès. Merci, monsieur le ministre, de ces précisions. Elles me satisfont entièrement (MM. Jean-Patrick Courtois et Roger Karoutchi s’esclaffent.) dans la mesure où il me semble que le Gouvernement a pris en compte l’importance de l’outil statistique, y compris au niveau interministériel, puisque l’ensemble des projets annoncés, notamment en matière de sécurité – ce qui implique la justice et la réforme pénale – fait aujourd’hui l’objet d’une étude statistique a priori et non pas a posteriori. Cela permettra d’éviter que les chiffres soient déformés et utilisés politiquement, alors qu’ils doivent constituer un véritable outil d’évaluation des politiques publiques.

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Monsieur le ministre, ma question ira dans le même sens que celle qu’a posée Virginie Klès.

Contrairement au célèbre adage, les chiffres ne sauraient « parler d’eux-mêmes ». En effet, le rapport de l’Inspection générale de l’administration publié en juillet 2013 fait état des méthodes désastreuses utilisées à des fins politiciennes par le précédent gouvernement pour faire parler les chiffres à son avantage.

Ce rapport confirme à quel point la politique du chiffre qui avait été mise en place par Nicolas Sarkozy a engendré des anomalies et des manipulations dans les statistiques de la délinquance. Ce fut le cas en particulier en 2012, avant l’élection présidentielle.

Chacun sait que, ces dernières années, les statistiques étaient analysées à partir des plaintes déposées auprès de la police et de la gendarmerie. De ce fait, toutes les affaires n’étaient pas comptabilisées. En outre, le report systématique de l’enregistrement des faits était de mise dès que les objectifs chiffrés étaient atteints pour le mois concerné. Ainsi, en raison de ces multiples manipulations, les statistiques perdaient tout contenu opérationnel.

Monsieur le ministre, la sécurité de nos concitoyens et concitoyennes exige non seulement qu’existe un niveau minimal de débat – j’entends par là un débat non instrumentalisé – sur la signification des chiffres produits, mais aussi une statistique publique fiable et utile.

Dès votre prise de fonctions, vous avez exprimé votre volonté de relever le niveau du débat en « assumant les chiffres », selon vos propres mots, et de rompre avec la politique du chiffre. Vous avez donc annoncé la mise en place de nouveaux indicateurs pour mesurer la délinquance. Ceux-ci doivent être fiables, afin de permettre une orientation pertinente des politiques publiques et d’être utiles à la police et à la gendarmerie, dont le travail, disons-le, a subi une forte dégradation du fait des pressions hiérarchiques quotidiennes dues au tout-répressif.

Ces nouveaux indicateurs devraient, selon nous, donner des détails pertinents et être assez précis pour permettre la distinction, par exemple, entre les différents délits relatifs aux violences personnelles non mortelles : de la gifle au tir d’arme à feu, il existe, vous en conviendrez, une multitude d’infractions qui méritent peut-être une comptabilisation séparée.

Vos objectifs sont connus, monsieur le ministre ; ma question se bornera donc à vous demander plus de précisions sur les nouveaux indicateurs, ce qui permettra aux parlementaires de juger si tous les éléments pertinents sont ou non pris en compte.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Manuel Valls, ministre. Vous avez raison, madame Assassi : il faut, sur ces questions, partir d’outils fiables et solides.

J’ai souhaité que les statistiques de la délinquance intègrent pleinement le champ de la statistique publique, avec la mise en œuvre de toutes les règles que cela suppose. Nous devons en effet avoir l’assurance que l’évaluation de la délinquance est établie selon des standards précis.

J’ai voulu conforter l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales, qui, en dix ans, à partir de rien – je veux le souligner – a réussi progressivement à s’imposer sur cette question. Son indépendance, son autorité, sa légitimité doivent être préservées et garanties dans la durée. Sa présidence est désormais confiée à un inspecteur général de l’INSEE.

Par ailleurs, conformément aux recommandations du rapport de l’Inspection générale de l’administration que vous venez d’évoquer, un service statistique ministériel sera créé début 2014 au ministère de l’intérieur, suivant les exigences de l’INSEE en matière de statistiques publiques.

J’ai validé, ce matin, la candidature proposée par le comité de sélection pour diriger ce service. Il s’agit d’un inspecteur général de l’INSEE à l’expérience très riche et très diversifiée. Désormais, des statisticiens extérieurs à la police et à la gendarmerie contrôleront les processus de production des statistiques de la délinquance dans mon ministère, ce vers quoi aucun de mes prédécesseurs n’avait souhaité aller.

Il s’agit d’un changement profond dont je voudrais que l’on apprécie toute la portée. Ce sont des mesures importantes, qui ouvrent la voie à une réforme de fond, portant sur l’ensemble du processus d’élaboration, de contrôle et de diffusion des statistiques de la délinquance.

J’ai souhaité ainsi redonner à celles-ci leur véritable vocation : garantir la transparence du débat public et être un outil au service de l’action des policiers et des gendarmes pour agir avec efficacité et pragmatisme face aux défis de la délinquance.

Il faut nommer les choses, puis les mesurer. C’est le réel qui doit gouverner notre action. Ce réel doit s’imposer sur l’ensemble de la chaîne pénale.

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour une réplique qui ne devra pas excéder quelques secondes. (Sourires.)

Mme Éliane Assassi. Je vous remercie, monsieur le ministre, de ces éléments. Les mesures annoncées sont effectivement significatives Il n’est pas dans mon habitude de saluer les mesures prises, mais il faut effectivement, en l’espèce, relever leur importance.

Cela dit, je pense que de nombreuses pistes pourraient être exploitées pour mettre en place de nouveaux critères fiables qui permettraient de rendre compte de l’action policière dans toute sa diversité et sa complexité, à savoir la prévention, la dissuasion et la répression. Ce triptyque ne pourra être assumé par les forces de l’ordre que si on leur donne les moyens adéquats. Nous y reviendrons à l’occasion du débat budgétaire.