compte rendu intégral

Présidence de M. Jean-Pierre Raffarin

vice-président

Secrétaires :

M. Marc Daunis,

Mme Michelle Demessine.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Candidatures à une mission d’information

M. le président. L’ordre du jour appelle la désignation des trente-trois membres de la mission d’information sur la réalité de l’impact sur l’emploi des exonérations de cotisations sociales accordées aux entreprises, créée sur l’initiative du groupe communiste républicain et citoyen en application de son droit de tirage.

En application de l’article 8 de notre règlement, la liste des candidats présentés par les groupes a été affichée.

Cette liste sera ratifiée si la présidence ne reçoit pas d’opposition dans un délai d’une heure.

3

Mise au point au sujet d'un vote

M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau.

M. Joël Guerriau. Monsieur le président, lors du scrutin n° 158 du mardi 25 février dernier relatif à l'autorisation de prolongation de l'intervention des forces armées en République centrafricaine, mon collègue Vincent Delahaye a été noté comme n’ayant pas pris part au vote, alors qu’il souhaitait voter contre.

Je vous remercie de bien vouloir prendre en compte de cette demande de rectification, monsieur le président.

M. le président. Acte vous est donné de votre mise au point, mon cher collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.

4

Débat sur la situation des outre-mer

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur la situation des outre-mer, organisé à la demande du groupe CRC.

La parole est à notre doyen, M. Paul Vergès, au nom du groupe CRC.

M. Paul Vergès. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais tout d'abord adresser mes remerciements au président Bel et à la conférence des présidents du Sénat, qui ont bien voulu accéder à la demande portée par le groupe CRC d'organiser un débat consacré aux outre-mer.

Cette initiative a été dictée par un double constat : d'une part, la gravité de la situation régnant dans nos territoires ; d'autre part, le sentiment que cette situation est méconnue, sinon sous-estimée, tant dans sa gravité que dans ses caractéristiques propres.

Il nous a semblé nécessaire que la représentation nationale soit mieux informée et pleinement consciente des redoutables défis auxquels sont confrontés les outre-mer à un moment où les interrogations sur l'avenir et la place de la France dans le nouveau monde du XXIe siècle conduisent à une réévaluation des politiques publiques.

Le débat actuel sur le pacte de responsabilité et sur le cap ainsi fixé par le Président de la République traduit les inquiétudes légitimes des Français : prend-on le chemin du redressement et de la croissance ou va-t-on au contraire persister dans une orientation stratégique erronée et s'enfoncer dans une crise qui perdure depuis six ans ?

Ces inquiétudes sont encore plus vives dans les outre-mer, où les conséquences de la crise mondiale actuelle viennent aggraver une crise structurelle. Aucun territoire d'outre-mer, aucune région d'outre-mer n'échappent à ces conséquences combinées, mais la situation de chacun d'entre eux est spécifique et ne peut être transposable à l’autre.

C'est pourquoi je voudrais ici insister sur un point essentiel : il n'est pas possible de débattre globalement des outre-mer sans différencier leurs situations respectives.

Nous devons rompre avec une conception découlant d'une vision schématique qui tend à globaliser les situations des outre-mer dans une même approche. La diversité de leurs situations sur les plans géographique, démographique, social, économique et culturel exige une approche différenciée, au-delà des analogies qu'elles peuvent présenter.

Vous comprendrez donc que, dans le temps qui m'est imparti, je m'attacherai à évoquer le cas particulier d'un seul de ces territoires : celui de la Réunion.

En premier lieu, je tiens à insister sur la gravité exceptionnelle de la situation sociale : plus de 40 % de la population vit au-dessous du seuil national de pauvreté ; près de 30 % de la population active est au chômage.

Quelles initiatives prendrait le Gouvernement si plus de vingt-cinq millions de Français vivaient sous le seuil de pauvreté et si la France comptait dix millions de chômeurs ? Une telle situation ne serait pas soutenable et commanderait des mesures radicales. Or c'est la situation que nous connaissons à la Réunion et elle s'aggrave inexorablement, année après année, notamment sous le poids de la progression démographique.

Il ne s'agit pas de nier les progrès réalisés dans les domaines des équipements publics, de la santé ou de l'éducation, ni dans l’agroalimentaire ou l'import-substitution.

Mais, ce qui domine, ce sont les déséquilibres économiques et sociaux. Sur ce plan, nous avons une économie désarticulée, avec une hypertrophie du secteur tertiaire, qui représente plus de 80 % du PIB contre à peine 15 % pour le secteur industriel et moins de 5 % pour le secteur primaire.

Nous constatons aussi, à la Réunion, des inégalités sociales criantes : en 2008, selon les chiffres publiés par les services de l'État, les 20 % les plus riches concentrent 47 % des ressources, tandis que les 20 % les plus pauvres se partagent 7 % du total des ressources. Seulement 7 % !

Le rapport interdécile des niveaux de vie est de 5,2 à la Réunion, contre 3,3 en en France métropolitaine. En 2010, sur une population de 830 000 personnes, 343 000 vivaient sous le seuil national de pauvreté, et 150 000 foyers regroupant 240 000 personnes dépendaient de minima sociaux. Entre 22 000 et 27 000 ménages sont en attente d'un logement…

La situation sociale à la Réunion est jugée « hors norme » par l'INSEE.

Compte tenu du coût de la surrémunération, 65 % du personnel travaillant dans les collectivités locales, notamment dans les communes, ne peut être titularisé.

Globalement, les majorations de rémunération dans les fonctions publiques d'État et hospitalière représentent, à la Réunion, un coût annuel estimé à plus de 500 millions d'euros...

Malgré la scolarité obligatoire, la Réunion compte encore, soixante-sept ans après la départementalisation, 110 000 illettrés – c'est le chiffre officiel.

Enfin, en décembre 2013, 133 010 personnes étaient inscrites à Pôle emploi en catégorie A et 152 100 dans les catégories A, B et C ; le chômage de longue durée augmente, alors que 60 % des jeunes sont privés d'emploi.

Ces données et ces chiffres sont connus, et pourtant les mêmes politiques sont menées depuis le début de la départementalisation, c'est-à-dire depuis soixante-sept ans !

La situation que nous connaissons aujourd'hui est bien le résultat de l'application mécanique de la politique d'intégration en vigueur depuis 1946, date du classement des « quatre vieilles colonies » en départements.

Pourquoi une telle aggravation de la situation ?

D'une part, le Gouvernement, dès 1946, au nom du coût de la vie à la Réunion, a décidé d'étendre à toute la fonction publique d'État le statut colonial existant alors : surrémunérations, congés payés en France tous les trois ans, trois ans de service valant quatre annuités pour la retraite, réévaluation de la pension de 35 % par rapport à la France…

Il était prévisible, et logique, que les entreprises du secteur privé ou parapublic s'engagent dans cette voie officiellement ouverte et que, au cours des années cinquante, les personnels des assurances, des banques, de la sécurité sociale, d'EDF et de la radiotélévision publique obtiennent, eux aussi, par des accords collectifs agréés, des surrémunérations de l'ordre de 30 %, 40 %, 50 % voire 73 % par rapport à la France continentale !

Dans le même temps, et par les mêmes gouvernements, l’égalité sociale a été refusée au secteur privé pendant plus de cinquante ans.

Cette formation officielle d’une inégalité institutionnalisée, d’une part, et la sous-estimation de la transition démographique naturelle qui, sur un siècle, va voir la population réunionnaise passer de 150 000 habitants en 1946 à un million à l’horizon 2050, d’autre part, sont à la base de la crise structurelle qui frappe sur tous les plans la Réunion aujourd’hui.

Certes, des lois d’adaptation ont été régulièrement votées et mises en œuvre. Sur le plan économique, ce sont notamment les dispositifs successifs de défiscalisation ou d’allégement de charges sociales pour les entreprises : loi Pons, loi Perben, loi Queyranne, loi Paul, loi Girardin, entre autres. Tous ces dispositifs répondaient à une même logique : alléger le coût du travail et favoriser les investissements.

Force est de constater que, malgré leurs mérites, ces dispositifs n’ont pas permis d’effacer toutes les séquelles du modèle colonial de l’économie de comptoir et du colbertisme : 65 % de nos échanges se font avec la France, distante de plus de 10 000 kilomètres, ; le taux de couverture des importations par les exportations est extrêmement faible : 6 %, mes chers collègues !

Si des progrès indéniables ont été obtenus dans le domaine de l’import-substitution, notamment dans le secteur agroalimentaire, le système de « l’exclusive postcoloniale », caractérisé par la dépendance vis-à-vis des monopoles d’importation, n’a pas permis à l’économie réunionnaise de trouver les voies d’une insertion dans son environnement géo-économique.

La croissance de notre économie n’a pas été suffisamment « endogène » pour générer des créations de richesses et d’emplois à la hauteur des besoins. Parallèlement, sur le plan social, les différentes formules d’emplois aidés, mises en œuvre par tous les gouvernements successifs, ont également été impuissantes à régler le problème du chômage massif.

Tous les efforts déployés, tant sur le plan économique que sur le plan social, ont certes permis de limiter les dégâts sociaux, mais ils ont eu aussi comme conséquence de camoufler la crise structurelle, ne faisant que retarder l’explosion sociale qui se profile inéluctablement si la crise se prolonge.

Aujourd’hui, le contexte de diminution de la commande publique et de baisse du rythme de progression des transferts publics a provoqué un fort ralentissement de l’activité économique. Le sentiment qu’il n’y a plus de solutions dans le cadre actuel et que nous allons « dans le mur » si rien ne change est de plus en plus partagé par différents acteurs.

Ce n’est pas verser dans le catastrophisme que de constater les limites du modèle actuel de développement et l’état de délitement d’une société minée par le chômage de masse et l’absence de perspective pour la jeunesse. Il faut au contraire alerter sur les risques d’explosion sociale d’une société déjà implosée.

En 1986 déjà, depuis la tribune de l’Assemblée nationale, Aimé Césaire déclarait qu’une société qui ne produit plus et ne travaille plus est un fait historique, et non un événement conjoncturel. On ne peut accepter le scénario programmé d’une société dont plus du tiers de la population – et déjà 60 % des jeunes – est condamnée au chômage.

Telle est la réalité de notre situation ; il faut en prendre la pleine mesure.

Ce diagnostic est certes connu, mais il doit être inlassablement répété tant que les décisions politiques de rupture qu’il impose ne sont pas prises. Il faut en effet être bien conscient que la situation ne peut que s’aggraver.

Le premier facteur qui va jouer est celui de la poursuite de la transition démographique : la Réunion voit sa population augmenter de près de 10 000 personnes chaque année. De 840 000 en 2013, la population réunionnaise devrait se stabiliser à près d’un million dès 2030. Durant cette période, tous les besoins vont augmenter, dans tous les secteurs.

L’économie réunionnaise sera-t-elle capable de créer un nombre d’emplois permettant de faire face à l’arrivée de ces classes d’âges sur le marché du travail tout en étant confrontée au « stock » actuel de 151 000 demandeurs d’emploi ? Poser la question, c’est déjà y répondre...

Dans l’immédiat, la Réunion est confrontée à des échéances qui vont avoir un impact direct sur la vie économique et sociale En juillet 2014, c’est l’expiration du régime actuel de l’octroi de mer. Quelle va être l’économie générale du dispositif ? Quels seront les arbitrages entre les intérêts contradictoires des collectivités locales, des consommateurs et de la production locale ?

Le Gouvernement a également annoncé la déclinaison du pacte de responsabilité outre-mer. L’orientation générale de ce pacte est l’allégement des charges pesant sur les entreprises. Or, dans le même temps, le Gouvernement réduit la voilure sur les exonérations de charges outre-mer en les recentrant sur les bas salaires ; il réduit l’assiette de la défiscalisation au profit d’un crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi difficilement accessible pour les entreprises ultramarines, du fait des difficultés de préfinancement.

Quelle est la cohérence entre la philosophie du pacte de responsabilité et la remise en cause des dispositifs existants ? Nous n’y voyons pour l’instant que des contradictions.

La Réunion, comme les autres collectivités, va également subir l’impact de la réduction des dépenses de l’État et notamment des concours aux collectivités : n’y a-t-il pas lieu de tenir compte de la situation financière fragile des collectivités d’outre-mer, confrontées à l’effet de ciseaux entre le besoin croissant de financement lié au rattrapage des retards et la faiblesse de leur potentiel fiscal ?

Sur le plan de l’environnement économique, la Réunion va être confrontée à l’impact des accords de partenariat économique, ou APE, libéralisant les échanges entre l’Union européenne – nous en sommes partie intégrante – et des pays de notre environnement : quelles sont les dispositions prises par le Gouvernement pour qu’il soit tenu compte de notre situation ?

Enfin, la Réunion va être confrontée à une échéance décisive en 2017, année de la fin des quotas sucriers. Comment préparer les planteurs à ce choc de compétitivité qui va livrer leur production à la concurrence du marché mondial ?

Comment trouver des solutions au surendettement de 2 000 des 10 000 TPE-PME réunionnaises, qui doivent faire face à une dette globale 1,2 milliard d’euros ?

Ces défis ne pourront être relevés que si nous réglons ces problèmes dans le cadre d’une vision globale et cohérente de notre développement, dans l’espace et dans le temps.

La Réunion ne manque pas d’atouts, mais nous devons les faire jouer maintenant, car c’est maintenant que se joue le sort de la génération à venir.

Dans une génération, à l’horizon 2040, notre environnement géo-économique sera totalement transformé. Les grandes puissances émergentes, l’Inde, la Chine, vont poursuivre leur développement en s’appuyant sur leur puissance démographique et leur environnement géographique.

Plus près de nous, l’Afrique australe et les pays de la côte orientale d’Afrique comme le Mozambique, la Tanzanie, le Kenya, connaissent également une forte progression démographique et une croissance économique remarquable de 7 % à 8 % par an.

La Réunion et ses voisins des îles de l’océan Indien se trouvent sur cet axe d’échanges émergeant entre l’Asie et l’Afrique. Madagascar sera passée de 24 millions d’habitants aujourd’hui à 50 millions d’habitants en 2050, c'est-à-dire dans une génération. C’est l’équivalent de la population française au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Avec Maurice, les Seychelles, les Comores, la Réunion peut ainsi participer à un espace francophone de près de 60 millions d’habitants.

C’est une nouvelle frontière pour notre développement qui se dessine. Tout dépendra de l’orientation qui sera prise par Madagascar. Va-t-elle faire le choix de conforter son appartenance à l’espace francophone ou faire un choix différent, sous le poids d’autres influences extérieures ?

L’enjeu est capital pour la Réunion dans cette partie de l’océan Indien. Est-on conscient à Paris de cet enjeu stratégique ?

C’est dans cette perspective que nous plaidons depuis plusieurs années pour l’émergence d’une véritable université de l’océan Indien commune aux îles de l’ancien empire colonial français et de l’actuelle Commission de l’océan Indien.

Le brassage des jeunesses de nos îles est une contribution au développement de nouvelles relations entre elles fondées sur le principe du codéveloppement. Ce codéveloppement permettrait à la Réunion de valoriser ses atouts dans les domaines de la santé, de la recherche en matière agricole, des richesses maritimes et de la pêche, de l’agriculture, des énergies renouvelables, de l’adaptation aux changements climatiques.

Sur ce plan, la conférence de Paris sur le climat en 2015 représente une occasion extraordinaire pour les territoires ultramarins de faire valoir leurs atouts. Quelle initiative la Réunion pourrait-elle prendre dans ce domaine, en ce qui concerne les îles de la Commission de l’océan Indien – Madagascar, Maurice, les Comores, les Seychelles –, à la mesure des initiatives prises dans le même sens pour le Pacifique Sud ?

Les objectifs stratégiques d’autonomie énergétique pour nos îles et d’autonomie alimentaire, dans une stratégie de codéveloppement régional, ouvrent pour la Réunion des potentialités de développement considérables, sources de créations de richesses et d’emplois. Ils fondent les bases d’une nouvelle économie répondant aux exigences du développement durable et de la cohésion sociale.

C’est en ayant à l’esprit ces perspectives que nous devons concevoir et élaborer les outils juridiques, financiers et fiscaux pour permettre à la Réunion de s’insérer dans son environnement géo-économique.

Les rendez-vous que nous avons concernant les aides aux entreprises, la réforme de l’octroi de mer, la question des APE ainsi que l’acte III de la décentralisation sont inséparables, pour un règlement cohérent, de cette vision stratégique de notre avenir.

Soixante-huit ans après le vote de la loi d’intégration à la République, à l’aube d’un XXIe siècle marqué par la globalisation des échanges et la mondialisation de l’économie, la France doit repenser sa relation avec ses territoires ultramarins, qui lui confèrent une présence dans tous les océans et la mettent aux portes des grands marchés émergents.

Je crois le moment venu, monsieur le ministre, mes chers collègues, de jeter les bases d’un nouveau compromis historique, en particulier pour la Réunion : ce compromis doit permettre de concilier notre appartenance à la France et à l’Europe – depuis notre intégration à la métropole, il y a soixante-huit ans – avec notre environnement géo-économique.

Cette nouvelle donne est fondatrice d’un nouveau pacte de développement inaugurant une nouvelle ère pour notre pays.

Puis-je évoquer, dans cette vision de la nécessité d’une décision stratégique d’avenir, la pensée du premier Président de notre Ve République, qui disait avec force que, lorsqu’il s’agit d’avenir, il faut voir loin et viser haut ? (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Frogier.

M. Pierre Frogier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’aurais pu évoquer, cet après-midi, ce qui va bien en Nouvelle-Calédonie. C’est pourtant de la radicalisation de la vie politique qui nous menace à quelques semaines des élections municipales et provinciales que je vais vous parler. C’est cette inquiétude que je veux exprimer devant vous, à l’occasion de ce débat sur la situation des outre-mer, et alors que nous abordons des échéances électorales déterminantes pour notre avenir.

Vous le savez, la Nouvelle-Calédonie est engagée, depuis vingt-cinq ans, dans un délicat processus de paix et de réconciliation. Elle devra, dans quelques années, décider de son destin et de ses liens avec la France.

À ce titre, l’année 2014 est particulièrement importante et symbolique : elle marque le début de la dernière mandature de l’accord de Nouméa, celle au cours de laquelle nos compatriotes devront choisir leur avenir.

C’est dans le respect, la responsabilité et la sérénité que ce choix doit être fait. Rien ne doit venir interrompre le cheminement exemplaire que nous avons emprunté ; rien ne doit troubler la difficile construction du destin commun auquel nous appelle l’accord de Nouméa.

Et pourtant, à l’heure où je vous parle, nous sommes très loin du compte !

Nous sommes entrés dans une surenchère des positionnements et des attitudes, laquelle, au mieux, risque d’escamoter le débat démocratique, au pire, de nous faire perdre les acquis de ces dernières années.

Malheureusement, monsieur le ministre, ce durcissement ne me surprend pas ! Vous le savez, cela fait un petit moment que je tire la sonnette d’alarme. J’ai toujours eu conscience que ces échéances électorales de 2014 seraient particulièrement sensibles. J’ai toujours su qu’elles risquaient d’être prises en otage et instrumentalisées par les uns et par les autres.

C’est la raison pour laquelle j’ai dit clairement, et à plusieurs reprises, qu’il fallait non pas attendre passivement 2014, mais prendre toutes les initiatives pour instaurer un climat de paix, de confiance, de reconnaissance et de dialogue, de manière à préparer sereinement cette dernière étape de l’accord de Nouméa.

C’est dans cet état d’esprit que j’ai proposé, dès février 2010, la levée des deux drapeaux. Il s’agissait d’un symbole fort, d’un geste de sincérité qui a été validé par le comité des signataires et approuvé par une large majorité du Congrès.

C’est aussi dans cet état d’esprit que j’ai souhaité la mise en place de trois comités de pilotage pour nous permettre de préparer, en confiance et dans un dialogue apaisé, cette prochaine échéance électorale.

J’ai pris tous les risques, au mépris des conséquences électorales ! J’ai pris toutes mes responsabilités, comme signataire de l’accord de Matignon et de celui de Nouméa !

Aujourd’hui, c’est la composition du corps électoral spécial, appelé à participer aux élections provinciales, qui provoque de nouveau la crispation.

À deux mois du scrutin, les indépendantistes brandissent la menace de faire radier 6 720 électeurs de la liste provinciale.

C’est une revendication irresponsable, provocatrice, qui scandalise à juste titre celles et ceux qui sont attachés à la Nouvelle-Calédonie dans la France et, au-delà, qui inquiète aussi le plus grand nombre.

C’est une revendication basée sur une logique d’exclusion qui ne correspond en rien à l’esprit de l’accord de Nouméa.

C’est une revendication exorbitante, à laquelle aucune réponse claire n’a, jusqu’à présent, été apportée par l’État.

Comment en est-on arrivé là ?

En février 2007, une révision constitutionnelle visait à priver du droit de vote aux élections provinciales toutes les personnes arrivées en Nouvelle-Calédonie après novembre 1998, c’est-à-dire après le référendum d’approbation de l’accord de Nouméa. C’est ce que l’on a appelé « le gel » du corps électoral.

Cette révision exigée, je le rappelle, par les indépendantistes, a été très majoritairement votée par le Parlement, contre la volonté unanime des parlementaires calédoniens. Cette réforme était pourtant contraire à l’esprit de l’accord de Nouméa, comme l’avait indiqué le Conseil Constitutionnel lui-même dans sa décision relative à la loi organique de 1999.

Mais telle était la volonté des indépendantistes, fortement soutenus par l’État. Nous sommes ainsi passés d’un corps électoral glissant, qui subordonnait le droit de votre à une durée de résidence de dix ans à la date de chaque élection, à un corps électoral gelé.

Cette réforme, monsieur le ministre, dont vous ne portez pas la responsabilité directe, a été bâclée et son texte mal écrit. La loi étant imprécise, il est revenu à la Cour de cassation de l’interpréter ; et c’est sur la base d’un arrêt de 2011 que les indépendantistes réclament la radiation de plus de 6 000 électeurs.

La Cour de cassation indique, dans cet arrêt, que pour participer à l’élection des assemblées de province et du Congrès, il faut impérativement avoir été inscrit sur les listes électorales avant le référendum de 1998.

Il ne suffit donc pas d’avoir été présent, encore faut-il avoir été inscrit ! Cela veut dire que le droit de voter repose, en Nouvelle-Calédonie, sur l’accomplissement d’une formalité purement administrative qui aurait dû être accomplie avant 1998, mais qui n’a été connue qu’après la révision constitutionnelle de 2007 ! Et le comble, dans cette interprétation, c’est qu’elle revient à déchoir de leur droit de vote des électeurs qui ont pu l’exercer en 2004 et en 2009 !

Aujourd’hui, ce sont plusieurs milliers de personnes, inscrites sur les listes électorales avant la révision constitutionnelle de 2007 qui sont susceptibles de faire l’objet de demandes de radiation pour les élections provinciales.

Si je vous dis, monsieur le ministre, que nous avons nous-mêmes recensé près de 6 000 électeurs d’origine mélanésienne également susceptibles d’être radiés de la liste électorale provinciale parce qu’ils ne justifient pas des conditions requises dans l’état actuel du droit, vous conviendrez que la situation devient ubuesque. Et nous touchons aux frontières de l’absurde quand on voit que le corps électoral du scrutin de sortie de l’accord de Nouméa – car c’est un autre corps électoral - est moins fermé que le corps électoral provincial !

Vingt-cinq ans après la signature des accords de Nouméa, nous nous retrouvons à subir des décisions qui sont à l’opposé de la volonté de vivre ensemble et de construire une communauté de destin avec la totalité des composantes de la population calédonienne.

Monsieur le ministre, face à cette véritable provocation des indépendantistes, la réponse du Gouvernement, que vous représentez à ce banc, est loin d’être satisfaisante.

Alors que le FLNKS agite depuis des mois ses menaces de radiation, alors que les commissions administratives chargées de réviser les listes électorales se réunissent dans quelques jours en Nouvelle-Calédonie, votre seule réponse – encore donnée hier par le Premier ministre à l’Assemblée nationale – consiste à exhumer un arrêt de la Cour de cassation contredisant celui sur lequel s’appuie le FLNKS.

Bref, vous faites la démonstration qu’il n’y a pas d’issue à rechercher sur le plan du droit. À une question de principe, vous essayez, en vain, de trouver une issue juridique, alors que la solution – comme toujours en Nouvelle-Calédonie – est politique.

Il nous faut maintenant, rapidement, trouver une issue à cette situation inextricable qui pourrait aboutir à la radiation de milliers d’électeurs de la liste électorale spéciale. C’est dans ce but que j’ai formulé plusieurs propositions à l’occasion de deux courriers adressés respectivement au Président de la République et au Premier ministre.

Tout d’abord, j’y indiquais que nos représentants au sein des commissions de révision s’opposeraient vigoureusement à la radiation de ces milliers d’électeurs lorsque nous estimerions que celle-ci se fait en contradiction avec les principes fixés par l’accord de Nouméa. Dans cette éventualité, il y aura donc partage de voix au sein des commissions et il reviendra à l’État de faire valoir, par le biais de ses représentants, la voix prépondérante qui lui est reconnue par les textes.