M. Philippe Bas. Très bien !

M. Pierre Frogier. Par ailleurs, pour clarifier l’exercice du droit de vote en Nouvelle-Calédonie, j’ai pris l’initiative de déposer sur le bureau du Sénat une proposition de loi constitutionnelle visant à rétablir le droit de vote des personnes installées en Nouvelle-Calédonie avant 1998, de même que celui de toutes les personnes nées en Nouvelle-Calédonie et de leurs conjoints.

J’ai également proposé, monsieur le ministre, de réunir en urgence un comité des signataires pour dégager un consensus sur cette question essentielle. Depuis toujours, c’est cette instance qui est habilitée à traiter des questions qui fâchent et à trouver un point d’équilibre entre les partenaires. Telle est sa vocation.

Aux signataires de l’accord de Nouméa, à savoir les partenaires locaux et l’État – car, il ne faut pas l’oublier, monsieur le ministre, l’État est un des partenaires essentiels de cet accord –, d’assumer leurs responsabilités et de chercher la voix du compromis qui, depuis vingt-cinq ans, nous a permis d’avancer !

En l’état actuel, je considère que les conditions ne sont pas réunies pour que ces élections se déroulent dans un climat apaisé. Si l’action du comité des signataires ne permet pas de trouver cet indispensable consensus, ou si vous décidiez finalement de ne pas le réunir, je pense qu’un report des élections provinciales n’est pas à exclure.

Vous conviendrez avec moi que ce scrutin déterminant doit se dérouler dans la plus grande sérénité, dans la plus parfaite sincérité. Nous ne pouvons pas courir le risque que la désignation des membres des assemblées de province et du Congrès soit entachée du moindre soupçon d’irrégularité.

Pour conclure, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’ai encore un regret à formuler, et il est de taille !

Fallait-il nous infliger l’affront de l’envoi en Nouvelle-Calédonie, c’est-à-dire sur le territoire de la République française, d’une mission de l’ONU relative au processus de révision des listes électorales ?

En réalité, rien ne justifie cette ingérence du Comité de décolonisation des Nations unies qui viendrait, en France, superviser le travail de commissions présidées par des magistrats et placées sous le contrôle des juridictions de l’ordre judiciaire.

M. Éric Doligé. C’est surprenant ! Très surprenant !

M. Pierre Frogier. Cette intrusion est ressentie par les Calédoniens – mettez-vous à leur place ! – comme une insupportable humiliation.

M. Pierre Frogier. Je vous demande d’annuler la venue de cette mission, qui n’a d’autre justification que de satisfaire, encore une fois, une demande de la minorité indépendantiste.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, la Nouvelle-Calédonie est engagée depuis vingt-cinq ans dans un processus exemplaire fondé sur le dialogue et le partage des responsabilités.

M. Philippe Bas. C’est vrai !

M. Pierre Frogier. La période qui s’ouvre et qui nous emmènera jusqu’en 2018, est un moment très particulier pendant lequel se jouera l’avenir de la Nouvelle-Calédonie. Nous devrons tous nous retrouver autour d’une table pour essayer de dessiner ensemble notre destin partagé, car il n’y a pas d’alternative.

Il est donc indispensable que, durant cette période, l’État joue pleinement son rôle de signataire et d’acteur de l’accord de Nouméa. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

M. Éric Doligé. Les questions sont claires, monsieur le ministre ; les réponses le seront-elles aussi ?

M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau.

M. Joël Guerriau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, un débat sur la situation des outre-mer fournit l’occasion non seulement d’insister sur leur importance pour notre pays et de défendre leurs atouts – il faut sans cesse les rappeler –, mais aussi et surtout de souligner les difficultés qui sont inhérentes à ces territoires.

Ces difficultés sont liées la géographie, à l’éloignement, à l’histoire et à la grande diversité des outre-mer. Dans un souci d’égalité, nous devons veiller à la bonne application des lois en outre-mer et, surtout, à leur bonne adaptation.

Cette problématique a un retentissement européen. Si je me réjouis que Mayotte soit devenue depuis deux mois une région ultrapériphérique à part entière, nous devons veiller au respect scrupuleux du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, qui prend en compte les spécificités ultramarines et nous permet d’adopter des mesures d’aides à l’outre-mer, afin de surmonter les difficultés que je viens de citer. Contraindre les régions ultramarines à adopter des règlements européens ou des lois nationales qui ne seraient pas appropriés à leur situation ne ferait qu’accroître leurs difficultés.

Aborder la situation générale de l’outre-mer en quelques minutes est impossible. La situation économique et sociale est toujours délicate ; il est nécessaire d’y prêter une attention particulière. Je me contenterai donc d’évoquer quelques sujets qui me semblent primordiaux, et de vous interroger, monsieur le ministre, sur leur prise en compte par le Gouvernement.

Dans un premier temps, j’aimerais aborder les questions relatives à la fiscalité, et, tout d’abord, la problématique des niches fiscales. Avec un déficit de 4 %, supérieur à la moyenne de la zone euro, notre pays est dans une situation financière préoccupante. Le Gouvernement cherche à économiser 53 milliards d’euros dans les dépenses publiques, ce qui représente un effort considérable. Dès lors, je suis inquiet pour les outre-mer et pour les niches fiscales qui les concernent.

Un récent rapport rédigé par Éric Doligé et Serge Larcher, au nom de la commission des affaires économiques et de la délégation sénatoriale à l’outre-mer, démontre de manière extrêmement claire l’utilité des niches fiscales en outre-mer, qu’il s’agisse des investissements locatifs, productifs ou en faveur du logement social. Ce constat vient tordre le cou à l’idée selon laquelle ces investissements ne correspondraient qu’à de l’optimisation fiscale et n’auraient aucune autre utilité.

Le travail fouillé du Sénat permet de dégager des pistes de progrès, pour un meilleur encadrement de ces quatre niches. Outre les mesures déjà adoptées dans la loi de finances pour 2014, il faut entendre toute la prudence à laquelle nous invitent les auteurs du rapport, et notamment leur mise en garde contre des réformes trop brutales.

Monsieur le ministre, pouvez-vous rassurer le Sénat sur l’avenir de ces niches ? Dans le cadre de la réduction de la dette, savez-vous comment Bercy traitera les départements et autres territoires d’outre-mer ?

Le ministère du budget doit envoyer les lettres de cadrage budgétaire à chaque département ministériel en avril. C’est sans doute un peu tôt, mais le ministère des outre-mer a-t-il déjà une idée de ce qui lui sera demandé ?

Le Premier ministre a annoncé une réforme fiscale. Là encore, la remise en cause des niches fiscales des outre-mer est possible. Y aura-t-il un volet spécifique les concernant ?

Dans un second temps, je traiterai de la question plus générale de la situation économique et des difficultés permanentes liées à la vie chère.

Il y a trois semaines, vous avez permis, monsieur le ministre, que les choses avancent sur la question du prix des carburants. Les arrêtés que vous avez signés réforment considérablement la méthode de leur fixation dans les départements d’outre-mer. Ils doivent permettre d’apaiser le climat dans ces cinq départements, en introduisant plus de transparence dans la formation des prix des carburants routiers, et de mieux contrôler les marges des pétroliers.

N’oublions pas que la mer est aussi une chance pour les énergies renouvelables, alors que la dépendance aux carburants est très grande. La technologie pour la production d’énergie par les hydroliennes est désormais mature ; nous pourrions en installer des dizaines, à condition de les adapter dans les zones de forts courants entre deux îles. Ces hydroliennes ne rencontrent pas les difficultés d’installation des éoliennes, qui se heurtent à la loi Littoral et courent certains risques en cas de cyclone tropical ou d’entrave à la circulation maritime.

On le voit, tout un domaine reste à conquérir pour le développement des énergies éoliennes, hydroliennes ou solaires.

Par ailleurs, la baisse des tarifs bancaires fait toujours partie des difficultés rencontrées par les Ultramarins. En Nouvelle-Calédonie, une baisse significative des tarifs de plusieurs services bancaires d’utilité courante – les frais de tenue de compte, par exemple – est prévue au cours de l’année 2014.

Du point de vue du développement économique, le Président de la République a fait part de sa volonté de créer un pacte de responsabilité entre l’État et les entreprises. Son objet est naturellement de relancer l’emploi en améliorant l’environnement normatif des entreprises. Il me semble qu’un volet relatif aux outre-mer serait le bienvenu. En effet, ce sont des territoires particulièrement touchés par le chômage, dont le taux atteint plus de 20 % en moyenne. En outre, ils requièrent des mesures spécifiques et des engagements encore plus forts.

Afin de faciliter l’installation d’entreprises, il faut un environnement favorable ; cela passe par des infrastructures modernes et de qualité. À ce titre, le développement du numérique est primordial ; il ne faut donc pas oublier l’outre-mer dans le développement de la 4G.

J’ai noté que des procédures d’attribution de licences seraient lancées au premier semestre 2014. Vos services, monsieur le ministre, devraient rencontrer les différentes collectivités le 6 mars. Comment cela se prépare-t-il ? Quel taux de couverture négociez-vous ? Ces autorisations vont rapporter de l’argent à l’État ; je pense que les sommes récoltées pourraient être consacrées à l’outre-mer.

Naturellement, le premier des leviers économiques pour l’emploi en outre-mer est le tourisme. Dans son rapport annuel présenté le 11 février, la Cour des comptes a pointé les difficultés de ce secteur en Martinique, en Guadeloupe, à la Réunion et en Polynésie, où le tourisme représente respectivement 9 %, 7 %, 2,6 % et 7,7 % du PIB. La Cour souligne en particulier le manque de pilotage des collectivités.

Cette crise du tourisme est particulièrement regrettable au regard de la situation des îles tropicales concurrentes, qui sont très dynamiques. La Cour des comptes estime que les interventions des pouvoirs publics sont inefficaces et peu stratégiques. Il est notamment reproché aux collectivités régionales de ne pas suffisamment solliciter les comités régionaux du tourisme pour bâtir de plans stratégiques cohérents.

Elle estime également que l’aménagement des sites souffre de « problèmes récurrents : propreté de la voirie, organisation des transports […], manque de parking […], collecte des eaux usées, aménagements des espaces littoraux […] et défaut de signalisation », et que la coordination entre les acteurs publics est insuffisante.

En réponse, huit recommandations sont formulées.

M. Christian Bourquin. Il faut se méfier de la Cour des comptes : elle veut faire de la politique à notre place !

M. Joël Guerriau. Comment le ministère des outre-mer compte-t-il répondre à cette situation ? Comment, en particulier, compte-t-il aider les collectivités à améliorer la coordination, qui fait défaut ?

Les territoires d’outre-mer sont extrêmement divers, mais, à partir de ces situations particulières et parfois difficiles, nous devons développer des filières d’excellence. Je pense, par exemple, à la Réunion et à sa capacité à être un laboratoire de la transition énergétique. On peut développer des modes nouveaux de production d’énergie ; ce sont des emplois dans la recherche et la production qui sont à la clé.

Pour conclure, j’aimerais vous interroger, monsieur le ministre, sur la réforme en cours du code minier. La bonne gestion des ressources minières profondes concerne l’outre-mer. Quelles sont les pistes de travail ou les propositions de votre ministère dans la vaste élaboration de ce nouveau code ?

Dans mon intervention, vous l’aurez remarqué, les questions sont nombreuses : elles reflètent tout l’intérêt que nous portons à l’outre-mer. Je vous remercie donc, monsieur le ministre, mes chers collègues, d’y avoir prêté attention. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et sur certaines travées du groupe socialiste et du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la délégation sénatoriale à l’outre-mer, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord dire toute ma satisfaction à voir ce débat sur la situation dans nos territoires ultramarins se tenir, à l’initiative de mon collègue – je dirais même mon ami –, Paul Vergès.

En effet, sauf lorsqu’ils font face avec vigueur à leurs grandes difficultés économiques et sociales ou qu’ils sont au cœur de crises politiques et institutionnelles, comme en Nouvelle-Calédonie, aux Antilles et à la Réunion en 2009, nos compatriotes d’outre-mer ont trop souvent le sentiment d’être ignorés et délaissés par la métropole, y compris par la représentation parlementaire.

Il n’y a pas de fatalité à ce que leurs difficultés de vie suscitent si peu d’intérêt. L’éloignement, l’histoire parfois douloureuse, la complexité des relations avec les populations, ou les particularités de chacune d’entre elles ne sauraient être des excuses : en outre-mer, nous ne connaissons que des citoyens français. À ce titre, ces difficultés doivent être traitées selon les lois et les politiques de la République, avec, bien entendu, la nécessaire adaptation que les spécificités de ces territoires requièrent.

Ce débat nous donne ainsi l’occasion – Paul Vergès l’a fait pour la Réunion – de mieux connaître la situation économique, sociale et institutionnelle de chacun de ces territoires, qui connaissent des contextes locaux différents, sur le plan financier comme sur le plan statutaire.

Dans ce cadre, l’intérêt réside donc essentiellement dans l’évaluation de la pertinence des politiques publiques et de leur capacité à résoudre, avec plus ou moins d’efficacité, les problèmes que rencontrent les outre-mer.

S’il fallait trouver un dénominateur commun à ces territoires, au-delà de leur diversité, je dirais sans doute la grande fragilité de leurs économies. Structurellement déséquilibrées, elles sont sinistrées, en dépit de la forte proportion de jeunes, par un chômage de masse. Ce phénomène nourrit la désespérance de cette catégorie de la population.

D’une manière générale, et sans vouloir faire un constat trop pessimiste, je voudrais m’appuyer sur un récent audit des politiques publiques conduites par l’État en direction des Français d’outre-mer. Ce rapport, qui a été présenté au Sénat au mois de janvier, est une intéressante étude sociologique. Il a été réalisé par le Collectif des états généraux de l’outre-mer. Son grand intérêt est, précisément, de montrer l’évolution des sentiments de nos compatriotes ultramarins, qu’ils vivent sur place ou dans l’Hexagone, sur les politiques mises en œuvre dans ces territoires.

Au-delà des problèmes fondamentaux et récurrents, qui ont trait à l’emploi, au logement, au pouvoir d’achat, à la cherté de la vie ou à l’inadaptation des modes de consommation aux réalités locales – questions qui ne pourraient trouver réponse qu’au terme de réformes structurelles –, l’inquiétante nouveauté révélée par cette étude est que la principale préoccupation de nos compatriotes d’outre-mer est désormais la crainte d’un renforcement des inégalités et d’un processus de paupérisation de leurs sociétés.

Aux problèmes de logement, de chômage et de grande pauvreté s’ajoutent les inégalités sociales. N’oublions pas non plus la démographie, qui a des effets très négatifs sur le logement, la sécurité, mais aussi la santé et la croissance économique.

Cette accumulation de difficultés, qui leur fait craindre un avenir encore pire pour leurs enfants, est d’abord le fruit d’une situation économique et sociale qui ne cesse de se dégrader. Après tout, on pourrait penser qu’il en va sur ces territoires comme sur l’ensemble du territoire national. Eh bien non ! Cette dégradation est encore amplifiée par les lourds handicaps de nos sociétés d’outre-mer.

Cela étant dit, je voudrais souligner les louables efforts accomplis par le Gouvernement en matière budgétaire, notamment, mais aussi dans la lutte contre la vie chère ou pour la régulation des prix pétroliers. De ce point de vue, j’ai apprécié votre détermination à ne pas céder sur la question de la réduction des marges des monopoles de ce secteur, monsieur le ministre.

Ainsi, des efforts budgétaires ont été consentis pour l’année 2014, malgré un contexte dit « contraint » : dans les départements d’outre-mer, le Fonds exceptionnel d’investissement, le FEI, a au moins été reconduit à l’identique, et la TVA n’a pas augmenté. Les crédits alloués aux grandes priorités, comme le logement, ont heureusement été maintenus ; certains ont même progressé, comme ceux qui sont consacrés à la jeunesse et à l’emploi.

En outre, les défiscalisations et les aides à l’investissement ont été préservées, bien que je sois critique sur la pertinence de certaines d’entre elles.

M. Jean-Jacques Hyest. Ô combien critique ! (Sourires.)

Mme Éliane Assassi. Vous me connaissez, mon cher collègue ! (Nouveaux sourires.)

Pourtant, nous le savons tous, un budget voté ne garantit pas le résultat des politiques menées.

M. Christian Cointat. C’est bien vrai !

M. Jean-Claude Lenoir. Nous le vérifions tous les jours !

Mme Éliane Assassi. Tout à fait !

Tout dépend de la mise en œuvre, qui reste aléatoire, surtout quand, au cours de l’exercice budgétaire, le Gouvernement proclame qu’il faut à tout prix, et dans tous les domaines, faire des économies.

C’est pourquoi, malgré un certain nombre de mesures positives, je pense, monsieur le ministre, que votre gouvernement ne se donne pas vraiment les moyens de résoudre les difficultés auxquelles sont confrontés nos compatriotes d’outre-mer.

M. Philippe Bas. C’est certain !

Mme Évelyne Didier. Avez-vous fait mieux, quand vous étiez au pouvoir, à droite ?

Mme Éliane Assassi. Ainsi, vous nous annoncez, monsieur le ministre, « une petite révolution pour l’outre-mer » ; elle se traduira par un projet de loi, que vous devriez prochainement nous soumettre.

Je crains surtout que ce texte ne soit que la déclinaison ultramarine du pacte de responsabilité proposé par le chef de l’État. Je ne souhaite aucunement vous faire un procès d’intention, monsieur le ministre, mais, ce pacte reposant essentiellement sur le principe d’une diminution des cotisations sociales des entreprises et une recherche à tout prix d’économies dans les dépenses publiques, je redoute par avance les effets négatifs qu’il pourrait avoir sur la situation économique et sociale des territoires dont nous parlons.

Je le redoute d’autant plus que la réduction des cotisations patronales est déjà très répandue outre-mer. J’ai donc mal compris pourquoi vous vous étiez encore engagé à remettre à plat tous les dispositifs budgétaires existants ! Je pense, très concrètement, au milliard d’euros d’exonérations de charges, au milliard d’euros de dépenses fiscales, aux 320 millions d’euros du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, aux 100 millions d’euros de TVA non perçue récupérable, ou bien encore aux 500 millions d’euros sur cinq ans du Fonds exceptionnel d’investissement promis par le Président de la République.

Je souhaiterais donc que vous me précisiez les choses à cet égard, monsieur le ministre.

Le temps ne me permettra pas de développer mon propos, mais j’aurais souhaité évoquer ici le gros problème de l’immigration à Mayotte.

Je sais que cette question n’est pas directement de votre ressort, mais je voudrais tout de même attirer votre attention sur la gravité de la situation dans ce département, monsieur le ministre.

Les spécificités géographiques de Mayotte, notamment sa proximité avec l’Union des Comores, au niveau de vie très inférieur, y rendent la pression migratoire exceptionnellement élevée et la mise en œuvre de toute politique de contrôle de l’immigration plus difficile.

Néanmoins, je considère que nos politiques en matière d’éloignement d’étrangers en situation irrégulière ou de gestion du centre de rétention administrative sont inadaptées. Pour m’être rendue sur place et avoir visité le centre de rétention de Mayotte, je peux vous dire très sereinement du haut de cette tribune que c’est un véritable scandale !

C’est la raison pour laquelle je compte beaucoup sur les négociations engagées avec les Comores pour aboutir à un accord global sur la normalisation des relations et l’intensification des échanges entre les îles de l’archipel.

Pour conclure, je formulerai une interrogation : peut-être faut-il changer le modèle économique et, partant de cela, faire évoluer des statuts permettant d’aller vers une plus grande autonomie ? Je pense que la réponse à cette question mériterait à elle seule un grand débat.

Car, à l’évidence, ni la départementalisation ni le nouveau statut des collectivités d’outre-mer, qui sont pourtant efficaces dans de nombreux domaines, ne réussissent à lutter contre ce phénomène qui est une insulte faite à l’avenir de ces territoires : le chômage chronique de leur jeunesse ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste. – M. Jean-Claude Requier applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Étienne Antoinette.

M. Jean-Étienne Antoinette. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, alors que j’aurais pu faire un discours sur la situation sociale, le développement économique, la création de l’entreprise publique minière pour l’activité aurifère en Guyane, que j’ai appelée de mes vœux, j’ai choisi, parmi les nombreuses situations de vulnérabilité dans lesquelles se retrouvent les outre-mer, d’alerter le Gouvernement sur le contexte sanitaire grave que connaissent actuellement les départements français d’Amérique avec l’épidémie de chikungunya.

Aujourd'hui, plus de 350 cas reconnus sont recensés à Saint-Barthélemy, 1 380 cas en Guadeloupe, plus de 1 800 cas à Saint-Martin - un décès est à déplorer -, 3 030 cas en Martinique et 14 cas en Guyane, dont les premiers cas autochtones sont identifiés à Kourou.

Or cette épidémie du virus chikungunya nous rappelle l’épisode catastrophique qu’ont vécu la Réunion et Mayotte voilà huit ans. Entre les mois de février et de novembre 2005, 4 500 cas étaient recensés à la Réunion ; six mois plus tard, le chikungunya infectait plus de 244 000 personnes, soit un tiers de la population de l’île, qui devait déplorer 203 décès liés à cette infection.

Il apparaît alors que nous sommes à un moment critique, à la fois en Martinique et en Guadeloupe, où tout doit être mis en œuvre pour contrôler la maladie, et en Guyane, où il faut par tous les moyens empêcher la maladie de s’installer et de se répandre.

Le gouvernement précédent avait géré cette crise tardivement, minimisant l’ampleur et la gravité d’une telle épidémie. Lorsqu’il est enfin intervenu en déployant massivement des moyens, la situation sanitaire s’était largement dégradée. Cette catastrophe, dont on sait se prémunir en métropole, nous alerte et donne une responsabilité de premier plan à ce gouvernement, dont vous faites partie, monsieur le ministre.

Cette responsabilité vous oblige, monsieur le ministre. Nous savons maintenant que la maladie est loin d’être bénigne, comme on le pensait avant 2005. Elle est virulente et, parfois, mortelle. Elle est susceptible de récidive, les malades ne développant pas toujours d’immunité. Elle peut enfin produire des séquelles à moyen et à long terme.

Les populations des départements français d’Amérique ne comprendraient pas que l’État laisse la situation empirer.

Or, actuellement, les agences régionales de santé font principalement appel aux collectivités locales, départements et communes, pour lutter contre la propagation du virus, mais ces collectivités ne sont pas en mesure de prendre l’ensemble des dispositions que requiert une telle situation.

Cette responsabilité, vous la devez aussi à l’ensemble du continent sud-américain.

En matière économique et sociale, la Guyane est considérée comme un îlot européen de développement en Amérique du Sud.

Pour ce qui est des maladies vectorielles, la Guyane risque, si rien n’est fait, d’être la porte d’entrée d’un virus qui épargnait encore le continent sud-américain. Nos voisins sud-américains attendent une réaction de la France à la hauteur de l’enjeu sanitaire. C’est donc maintenant qu’il faut agir.

Agir, cela signifie une réponse adaptée sur trois points : la lutte contre la transmission du virus, l’adaptation des capacités de prise en charge médicales et le développement de recherches sur les maladies émergentes.

Toutefois, dans l’immédiat, la lutte contre la transmission du virus demeure la priorité. Elle devrait prendre plusieurs formes.

Je citerai d’abord l’information des populations, afin que les personnes infectées se signalent et que leur environnement puisse être traité. En effet, si le vecteur de transmission de ce virus est le moustique, le réservoir est bien l’homme. Il faut donc cibler les zones de contamination pour une efficience maximale du contrôle de l’épidémie.

Or, à Kourou, où le chikungunya est présent, les agents de lutte et de prévention délivrent leur message dans des quartiers qui peuvent cumuler les difficultés socio-économiques. Comment faire entendre à une famille en situation économique difficile qu’il lui faut à la fois signaler les cas suspects et s’équiper de moustiquaires imprégnées et de répulsifs adaptés ? Il est à craindre que des répulsifs peu efficaces soient privilégiés, dans le meilleur des cas. Si l’on veut une action efficace, il faut dès maintenant distribuer des répulsifs au dosage adéquat et, pour cela, débloquer des fonds spéciaux.

L’information doit donc se doubler d’une protection des personnes.

La lutte contre l’épidémie doit également se faire par l’élimination de gîte larvaire.

Le choix de l’insecticide doit privilégier un produit efficace, ce qui nécessite d’obtenir une dérogation de l’Union européenne, car les insecticides autorisés se révèlent inefficaces contre le moustique vecteur de la maladie.

Mais il faut aussi un plan de salubrité des départements des Antilles et de Guyane. Les dépôts de déchets doivent faire l’objet d’un ramassage et des solutions doivent être trouvées pour la résorption de ces réceptacles artificiels de nidification.

En 2010, lorsque la dengue a frappé la Martinique et causé 17 morts, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, l’ADEME, s’est vu débloquer plusieurs centaines de milliers d’euros pour éliminer plus de 2 000 véhicules hors d’usage à l’abandon sur l’île. N’attendons pas davantage pour mener un plan identique sur les Antilles et la Guyane.

J’attends une réponse à la mesure de la situation que je viens d’évoquer, et que vous connaissez bien, monsieur le ministre.

Au premier temps de l’épidémie à la Réunion, en 2005, le gouvernement d’alors avait débloqué moins de 100 000 euros.

Au mois de février 2006, en déplacement sur l’île de la Réunion, le Premier ministre d’alors annonçait 60 millions d’euros pour venir en aide au secteur économique, 22 millions d’euros pour la réponse sanitaire et la prévention, 9 millions d’euros pour la recherche et 300 000 traitements antimoustiques distribués gratuitement.

Cela paraît-il une dépense inadéquate en ces temps de restriction budgétaire ?

Je cite l’étude de l’université Pierre-et-Marie-Curie sur le coût de l’épidémie de chikungunya à la Réunion. Entre la prise en charge médicale, les hospitalisations, les coûts indirects dus aux arrêts maladie, la baisse de consommation, l’effet néfaste sur le tourisme, les chercheurs ont établi le prix de l’action tardive du gouvernement de l’époque à 44 millions d’euros en fourchette moyenne et à 63 millions d’euros en fourchette haute.

La structure économique des Antilles et de la Guyane est similaire. L’arrêt des microentreprises qui en constituent le tissu aura un effet tout aussi terrible.

Ainsi, la réponse du système de santé français doit s’inscrire dans une démarche qui aille au-delà de la seule lutte anti-vectorielle, qui est un élément parmi d’autres de la lutte que nous devons mener contre le chikungunya.

Il s’agit d’organiser l’offre de soins, libérale et hospitalière, d’ajuster les plateaux techniques pour la prise en charge des formes sévères ou pour une plus grande réactivité du diagnostic.

Enfin, au-delà du plan blanc, il faut d’ores et déjà anticiper sur un renfort en personnels de santé avant même de se tourner, en recours ultime et parfois tardif, vers l’Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires, l’EPRUS.

Monsieur le ministre, vous faites face à une situation sanitaire grave, qui demande des réponses à la hauteur de l’enjeu, en particulier le déblocage de fonds spéciaux. J’ai toute confiance en votre capacité à apprécier la situation et apporter au Sénat des éléments sur votre action. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)