compte rendu intégral

Présidence de M. Charles Guené

vice-président

Secrétaires :

M. Jean Boyer,

Mme Catherine Procaccia.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

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Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

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Commission mixte paritaire

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre la demande de constitution d’une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à lutter contre les fraudes et les abus constatés lors des détachements de travailleurs et la concurrence déloyale.

Il sera procédé à la nomination des représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire selon les modalités prévues par l’article 12 du règlement.

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Candidatures à des commissions

M. le président. J’informe le Sénat que le groupe socialiste et apparentés a fait connaître à la présidence le nom des candidats qu’il propose pour siéger :

- à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, en remplacement de Mme Kalliopi Ango Ela dont le mandat de sénateur a cessé ;

- à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale, en remplacement de Mme Hélène Lipietz, dont le mandat de sénateur a cessé ;

- à la commission du développement durable, des infrastructures, de l’équipement et de l’aménagement du territoire, en remplacement de M. André Vairetto, dont le mandat de sénateur a cessé.

Par ailleurs, j’ai reçu avis de la démission de M. Gaëtan Gorce, comme membre de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale, et de celle de M. Luc Carvounas, comme membre de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.

J’informe le Sénat que le groupe socialiste et apparentés a fait connaître à la présidence le nom des candidats qu’il propose pour siéger :

- à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale, en remplacement de M. Gaëtan Gorce, démissionnaire ;

- à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, en remplacement de M. Luc Carvounas, démissionnaire.

Ces candidatures vont être affichées, et les nominations auront lieu conformément à l’article 8 du règlement.

4

Souhaits de bienvenue à une délégation du Parlement de Géorgie

M. le président. Monsieur le ministre, mes chers collègues, j’ai le plaisir de saluer, dans la tribune d’honneur du Sénat, une délégation du Parlement de Géorgie, conduite par son président, M. David Usupashvili. (M. le ministre ainsi que Mmes et MM. les sénateurs se lèvent.)

Le président Usupashvili effectue une visite de trois jours en France, la première depuis son élection à la présidence du Parlement.

Il a rencontré le président du Sénat en fin de matinée avant d’être accueilli par le groupe interparlementaire d’amitié France-Caucase, son président, M. Ambroise Dupont, et notre collègue Alain Gournac, président délégué pour la Géorgie.

Le Sénat entretient depuis longtemps des relations de confiance et d’amitié avec le Parlement de Géorgie, notamment dans le cadre du groupe France-Caucase créé lors de l’établissement des relations diplomatiques entre la France et les jeunes États indépendants de la région. Des contacts suivis ont été noués depuis lors.

Notre assemblée, qui manifeste une attention particulière à l’évolution de la situation du Caucase méridional, sait combien est important le rôle joué par la Géorgie pour conforter la stabilité et favoriser la paix dans la région.

Le peuple géorgien a également manifesté à diverses reprises sa détermination à promouvoir l’approfondissement de l’État de droit, et les dernières élections ont marqué l’enracinement d’une démocratie apaisée.

Mes chers collègues, permettez-moi de souhaiter, en votre nom à tous, à la délégation du Parlement de Géorgie et à son président une très cordiale bienvenue au Sénat. (Applaudissements.)

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Dossier législatif : proposition de loi relative aux comptes bancaires inactifs et aux contrats d'assurance vie en déshérence
Discussion générale (suite)

Comptes bancaires inactifs et contrats d'assurance vie en déshérence

Adoption en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi relative aux comptes bancaires inactifs et aux contrats d'assurance vie en déshérence
Article 1er

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relative aux comptes bancaires inactifs et aux contrats d’assurance vie en déshérence (proposition n° 385, texte de la commission n° 472, rapport n° 471).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.

M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, les comptes bancaires inactifs et les contrats d’assurance vie en déshérence représentent une injustice qui, depuis de nombreuses années, mobilise le Parlement, tant l’Assemblée nationale que le Sénat.

Lors de la discussion du projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires, il y a déjà un an, le problème des comptes bancaires inactifs avait été abordé. Mon prédécesseur, Pierre Moscovici, avait alors indiqué qu’il soutiendrait une initiative parlementaire sur le sujet, qui concerne nombre de nos concitoyens. Je m’inscris moi-même dans cette démarche, et je redis tout le soutien que le Gouvernement apporte à cette proposition de loi.

Je me permets de souligner devant vous le travail approfondi effectué, avant que ce ne soit également le cas ici, par la commission des finances de l’Assemblée nationale et l’implication toute particulière de Christian Eckert, alors rapporteur général. C’est lui qui a souhaité que je sois chargé de défendre ici ce texte, qui doit beaucoup de sa substance et de son intelligence à son propre travail.

L’Assemblée nationale s’est appuyée sur le travail de la Cour des comptes, qui a établi un diagnostic fiable avec un objectif double : d’une part, protéger les clients et les épargnants, ou leurs ayants droit, qui n’ont jamais réclamé des fonds qui leur appartiennent pourtant ; d’autre part, protéger les intérêts financiers de l’État, à qui ces fonds doivent être retournés au terme du délai de prescription trentenaire.

Avant de développer ces deux volets, j’aimerais souligner à quel point la résolution de ce problème, dont la traduction en chiffres révèle l’ampleur, doit être l’une des priorités de l’action publique. Dans son rapport, établi à la demande de la commission des finances de l’Assemblée nationale, la Cour des comptes évalue ainsi le montant des encours concernés à plus de 1,2 milliard d’euros pour les comptes bancaires et à plus de 2,7 milliards d’euros pour les contrats d’assurance vie et de capitalisation non réclamés.

Sur quoi porte le constat de la Cour des comptes ?

Premièrement, les lacunes en matière de traitement des avoirs en déshérence portent atteinte à la protection des épargnants et de leurs ayants droit. D’abord, parce que ceux-ci ne sont pas en mesure d’identifier les fonds dont ils ne savent pas, soit par oubli, soit par ignorance, qu’ils sont les propriétaires légitimes. Ensuite, parce que les règles de transfert à la Caisse des dépôts et consignations ne sont pas assez claires ; elles sont donc mal respectées.

Deuxièmement, le rapport souligne que l’État n’est pas aujourd’hui en mesure de faire respecter son droit en matière de recouvrement des avoirs frappés par la prescription trentenaire.

Les conclusions du rapport de la Cour des comptes confirment donc la nécessité de procéder à des modifications législatives afin d’assurer un traitement satisfaisant des avoirs en déshérence. Le débat sur les avoirs bancaires et les contrats d’assurance vie en déshérence dure depuis trop longtemps.

Cette proposition de loi, de grande qualité, enrichie par l’Assemblée nationale et la commission des finances du Sénat, traite le sujet de façon satisfaisante. Son premier volet, relatif aux comptes bancaires, définit les comptes bancaires inactifs dans le code monétaire et financier. Cette disposition comble une lacune du cadre juridique applicable aux comptes bancaires inactifs, qui ne sont pas définis par la loi aujourd’hui et sur lesquels l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, l’ACPR, ne peut donc exercer un contrôle efficace.

Le texte prévoit un ensemble d’obligations à la charge des banques, en particulier une obligation de consultation annuelle du répertoire national d’identification des personnes physiques, le RNIPP, afin de vérifier que le titulaire du compte n’est pas décédé, le recensement des comptes inactifs et le plafonnement des frais perçus, ainsi que l’obligation de transfert des fonds à la Caisse des dépôts.

La commission des finances du Sénat a par ailleurs trouvé une solution ad hoc pour la gestion du contenu des coffres-forts en déshérence. Il s’agit d’une solution pragmatique dont le Gouvernement se félicite.

M. François Marc, rapporteur de la commission des finances. C’est un beau sujet !

M. Michel Sapin, ministre. Ce beau sujet révèle parfois des surprises : si un compte en banque ne peut contenir que des liquidités, un coffre-fort peut renfermer des objets de toutes natures… (Sourires.)

Le texte a trouvé, pour l’essentiel, sur ces sujets, un bon équilibre. Je ne doute pas que d’autres améliorations seront encore apportées aujourd’hui.

S’agissant des contrats d’assurance vie en déshérence, les premières avancées adoptées dans le cadre du projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires répondaient en partie, mais pas en totalité, à la question de la recherche d’information des bénéficiaires. La proposition de loi prévoit de nouvelles obligations portant sur les assureurs, dont le renforcement des contrôles, la revalorisation, le plafonnement des frais de gestion, ainsi que l’obligation, là aussi, de transfert des sommes détenues à la Caisse des dépôts.

Par ailleurs, en complément des obligations imposées au teneur de comptes, la proposition de loi prévoit d’organiser une consultation des fichiers détenus par l’administration fiscale recensant les comptes bancaires – le FICOBA – et les contrats d'assurance vie – le FICOVIE – par les notaires réglant une succession. Elle offre également aux assureurs la possibilité d’obtenir de l’administration les coordonnées d’une personne physique lorsque celle-ci est le bénéficiaire d’un contrat d’assurance vie dont l’assuré est décédé. Il s’agit d’une garantie supplémentaire pour éviter que les comptes ou contrats ne restent en déshérence. Même si le Gouvernement en comprend la logique, il rappelle que ce dispositif pourrait toutefois imposer une charge de gestion importante aux services chargés du contrôle fiscal qui gèrent ces fichiers.

Enfin, la commission des finances du Sénat a étendu l’obligation de revalorisation post mortem du capital garanti aux contrats d’assurance sur la vie dépourvus de valeur de rachat souscrits par des personnes physiques, telles des assurances temporaires décès. Cette extension a le mérite de traiter de manière identique tous les contrats d’assurance vie souscrits par des personnes physiques et d’éviter que le retard de règlement des prestations par un assureur ne se traduise par un manque à gagner pour les bénéficiaires.

Autre point : le texte propose une solution efficace avec l’obligation de transfert des fonds, après un certain délai, à la Caisse des dépôts, qui serait chargée de les consigner jusqu’à l’application de la prescription. Cette mission confiée à la Caisse des dépôts est essentielle et permettra de donner au nouveau dispositif toute son efficacité, en instaurant un guichet unique. Cela permettra non seulement de préserver les droits des clients ou de leurs ayants droit, mais également d’appliquer correctement la prescription trentenaire en faveur de l’État.

La bonne application du principe de prescription trentenaire devrait permettre à l’État de percevoir in fine les fonds dont les propriétaires ne peuvent pas être identifiés. Le manque de diligence des établissements de crédit et des entreprises d’assurance ainsi que les insuffisances de la législation actuelle privent actuellement l’État de ces recettes, qui lui reviennent de droit. Le Gouvernement donne donc entièrement raison à cette proposition de loi.

Tels sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les enjeux de cette proposition de loi pour la protection des clients, qu’ils soient assurés ou épargnants, et pour la préservation des intérêts financiers de l’État. C’est un double objectif que le Gouvernement soutient ardemment. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. François Marc, rapporteur de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons cet après-midi traite d’un problème qui n’est pas nouveau, auquel le législateur a tenté de remédier à plusieurs reprises au cours de ces dix dernières années. Il s’agit de mettre fin à un flou juridique qui profite surtout aux établissements financiers et de protéger tout à la fois les intérêts des épargnants et ceux de l’État.

La loi de 2005 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de l’assurance, dont Philippe Marini, alors rapporteur général, était le rapporteur, avait renforcé l’obligation pour les assureurs d’aviser les bénéficiaires d’un contrat d’assurance vie au décès de l’assuré, en mettant en œuvre tous les moyens raisonnables pour les retrouver. C’est à cette occasion qu’avait été créée l’Association pour la gestion des informations sur le risque en assurance, l’AGIRA, qui regroupe l’ensemble des professionnels du secteur. On sait qu’elle peut être saisie par tout particulier qui souhaite savoir s’il est bénéficiaire d’un contrat d’assurance vie dont l’assuré est décédé.

Ce dispositif a été sensiblement renforcé par la loi du 17 décembre 2007, qui a imposé aux assureurs une obligation générale de s’informer sur le décès éventuel de l’assuré couvert par un contrat d’assurance vie, ainsi qu’une revalorisation des sommes correspondantes.

Une proposition de loi déposée par notre collègue Hervé Maurey, que je salue, prévoyant notamment une publication annuelle des démarches effectuées par les assureurs pour rechercher des assurés décédés comme des bénéficiaires, a ensuite été adoptée par le Sénat en avril 2010, mais elle n’a pas été examinée par l’Assemblée nationale.

Enfin, l’an dernier, la loi de séparation et de régulation des activités bancaires a prévu, sur l’initiative de la Haute Assemblée, que les assureurs s’acquittent au moins chaque année de l’obligation de s’informer du décès éventuel de leurs assurés sur la vie et publient un certain nombre d’informations.

Pour autant, il nous faut, une nouvelle fois, remettre l’ouvrage sur le métier,…

M. François Marc, rapporteur. … parce que ces différentes initiatives n’ont pas permis de régler le problème des contrats d’assurance vie non réclamés et qu’il est nécessaire d’aborder également la question des comptes bancaires inactifs.

Une enquête commandée à la Cour des comptes par la commission des finances de l’Assemblée nationale, en application de l’article 58 de la loi organique relative aux lois de finances, et remise en juin 2013 a en effet révélé que les montants en cause sont bien plus importants que ce que l’on imaginait jusqu’à présent.

Deux rapports remis par le Gouvernement au Parlement en juin 2009 et juillet 2010 avaient estimé le montant des contrats non réclamés à 1 milliard d’euros, puis à 1,2 milliard d’euros. Ils s’appuyaient sur des données fournies par les assureurs eux-mêmes, qui ont tendance – on le sait bien ! – à minimiser le phénomène. La Cour des comptes a évalué cet encours à 2,76 milliards d’euros. Encore s’agit-il, selon elle, d’un minimum !

Les éléments que j’ai recueillis auprès de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution conduisent aujourd'hui à envisager un montant qui pourrait atteindre 4,6 milliards d’euros, voire le dépasser.

Ces montants révèlent au premier chef le peu de diligence que les assureurs ont mis à s’informer du décès éventuel de leurs assurés et à rechercher les bénéficiaires des contrats. Il est vrai qu’ils n’avaient aucun intérêt à rendre des sommes que personne ne leur réclamait et que le contrôle du respect de leurs obligations en la matière était, jusqu’il y a quelques mois encore, très limité. Ce faisant, ont été lésés non seulement les bénéficiaires de contrat qui n’étaient pas informés des sommes leur revenant, mais aussi les contribuables, la plupart des assureurs n’ayant pas appliqué la prescription trentenaire, en vertu de laquelle les sommes non réclamées après trente ans sont reversées à l’État.

À la suite des contrôles engagés par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, on a commencé à prononcer des sanctions contre les assureurs n’ayant pas respecté leurs obligations légales. Il me paraît indispensable que ces contrôles se poursuivent et que les sanctions des manquements soient à la fois publiques et proportionnées aux montants indûment perçus par les assureurs, qui ont pu être considérables. À cet égard, je rappelle que la loi de 2010 de régulation bancaire et financière a relevé à 100 millions d’euros le plafond des sanctions que peut prononcer l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution.

Je me félicite d’ailleurs que la commission des finances et la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois aient décidé de confier à nos collègues Philippe Marini et Corinne Bouchoux le soin de procéder à une évaluation des dispositions législatives relatives aux pouvoirs de sanction des régulateurs financiers.

S’agissant des comptes bancaires inactifs, la situation n’est pas beaucoup plus glorieuse : la Cour des comptes en estime l’encours à 1,5 milliard d’euros au minimum. Surtout, il n’y a pas moins de 674 000 comptes détenus par des personnes supposées être centenaires, alors même qu’il n’y a que 20 000 personnes âgées de cent ans et plus en France aujourd’hui ! L’écart, on le voit bien, est considérable.

M. Gérard Longuet. C’est qu’ils ont de nombreux comptes ! (Sourires.)