M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Jean Louis Masson. En outre, la région Est aurait été équilibrée par une organisation autour de trois pôles urbains : Reims, Metz-Nancy et Strasbourg. Au Nord, la ville de Lille aurait joué le rôle de métropole d’une véritable grande région.

À la suite des cafouillages de dernière minute, le Président Hollande a arbitré, en proposant une région Picardie-Champagne-Ardenne. C’est un mouton à cinq pattes, car il n’y a vraiment rien de commun entre le département de la Somme, situé au bord de la Manche, et celui de la Haute-Marne, à proximité de Dijon.

M. Jean Louis Masson. De même, la Picardie est desservie par l’autoroute A1 et le TGV-Nord, alors que la Champagne-Ardenne l’est par l’autoroute A4 et le TGV-Est.

Mes chers collègues, le bon sens exige manifestement qu’on revienne au projet initial !

M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec.

M. Ronan Dantec. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, après un renvoi devant le Conseil constitutionnel, une motion référendaire, un rejet en commission, nous voici avec un texte retardé, un texte critiqué, un texte malmené…

M. Michel Delebarre, rapporteur. … mais un texte libéré !

M. Ronan Dantec. Nous nous retrouvons surtout avec un texte totalement identique à la première version examinée en commission par le Sénat voilà maintenant huit jours. Beaucoup d’énergie pour un bien faible résultat !

J’avoue ma perplexité devant ces tentatives assez dilatoires et peu constructives, ayant en mémoire l’article 24 de la Constitution, qui confie expressément au Sénat la représentation des collectivités territoriales. J’espère – le travail qui a été réalisé ce matin par la commission spéciale m’a permis de retrouver en partie mon optimisme naturel, même si je ne nie pas la vigueur des divergences – que notre assemblée ne s’enfermera pas dans une opposition stérile. Un Sénat qui ne peut représenter les collectivités qu’en s’opposant à toute réforme territoriale, cela fait tout de même désordre et justifie que l’on cherche à le réformer.

Vous le savez, monsieur le ministre, le groupe écologiste critique la méthode employée par le Gouvernement. Je reviendrai sur ce point, mais je veux d’abord exposer les raisons qui nous conduisent à considérer que cette séquence législative porte des évolutions positives et nécessaires justifiant un débat de fond, afin d’apporter un certain nombre d’améliorations au projet de loi. Nous souhaitons sans ambiguïté que celui-ci soit adopté : telle est la position claire du groupe écologiste.

Nous avons une vision d’ensemble du projet de loi, celle d’un ensemble de plusieurs lois, dont un premier volet était constitué par la loi sur les métropoles, qui concernait déjà quelque peu les régions, adoptée l’an dernier. Le Président de la République avait exprimé sa volonté de réaliser un « acte III de la décentralisation », dont les écologistes défendent le principe. Avec le nouveau projet de loi de Mme Lebranchu, que nous aurions préféré examiner en premier, car il aurait permis d’éclairer différemment le débat, c’est la première fois que nous nous trouvons face à un texte aussi clair sur l’organisation institutionnelle de la France. Ce texte correspond à ce que les écologistes demandent depuis toujours, parfois en se sentant un peu seuls – cela nous arrive encore, monsieur le rapporteur –, à savoir une décentralisation fondée sur le couple socle des territoires de vie d’aujourd’hui : les intercommunalités et les régions.

Dans le projet de loi, les intercommunalités, qui correspondent à la réalité des bassins de la vie quotidienne actuelle, se voient confier les compétences opérationnelles et les services publics de proximité. Les régions, ces territoires qui sont parfois fondés sur la culture et l’histoire – ce qui est une chance –, mais aussi sur les dynamiques et les échanges réguliers des réseaux d’acteurs, ont la responsabilité, lourde et essentielle, des stratégies d’aménagement durable et de développement économique des territoires, déclinées – c’est fondamental – en schémas prescriptifs permettant enfin une véritable cohérence des politiques locales entre tous les niveaux de collectivités.

J’ai noté dans votre intervention liminaire, monsieur le ministre, la mention du rôle clé que joueront à l’avenir les régions dans la transition énergétique. Je partage votre analyse.

Les écologistes ont toujours défendu cette vision de la décentralisation, qui, jusqu’à aujourd’hui, n’était guère partagée. Monsieur le rapporteur, nous étions, une fois encore, en avance sur notre temps ! Cette vision n’est pas dogmatique, elle est seulement mue par la volonté de construction d’une régionalisation rompant avec des siècles d’un centralisme qui montre, aujourd’hui encore plus qu’hier, ses limites. Elle est d’abord liée à notre analyse des fractures territoriales qui s’aggravent et ne seront pas réduites par le statu quo et le repli sur les gouvernances du passé.

Bien sûr, nous avons dans nos communes périurbaines, rurales ou de banlieue, des élus dévoués, qui sont le rempart démocratique – parfois le dernier ! – contre le repli sur soi, les tentations de céder aux sirènes des populismes protestataires. Leur travail est essentiel pour maintenir une cohésion sociale, que détricote chaque jour la montée des inégalités et des exclusions.

Évidemment, nous avons aussi des élus départementaux attentifs à défendre leurs territoires, à répondre aux souffrances individuelles et collectives. Mais ont-ils aujourd’hui les moyens réels de leur action si celle-ci ne s’inscrit pas dans une nouvelle péréquation financière, qui nécessite de construire de nouveaux espaces politiques d’intervention rassemblant des territoires en dynamique économique avec d’autres territoires davantage en difficulté ? Peuvent-ils accompagner de nouveaux secteurs économiques créateurs d’emplois et garantir des services publics de proximité s’ils ne peuvent s’appuyer sur des planifications, des stratégies discutées et financées collectivement ?

La question n’est pas la libre administration des collectivités, car ces dernières sont parfois libres seulement de gérer des difficultés, faute de moyens d’intervention et de capacités suffisantes pour susciter de nouvelles solidarités et interactions territoriales. Elles ne peuvent donc, au final, réduire cette fracture territoriale qui s’aggrave. C’est là que réside l’urgence, et cette réforme s’inscrit dans ce cadre – je vous rejoins, monsieur le ministre, sur ce point.

Même si toute réforme de ce type ne va pas sans heurts, sans susciter des craintes, souvent légitimes, je le redis, ne pas tenter une remise à plat de nos modes d’intervention, c’était se résigner à l’affaiblissement, voire à la marginalisation des territoires les moins bien dotés. Cette réforme me semble donc bienvenue, même si je reste lucide sur les faiblesses du processus proposé.

Ce texte pose en effet quelques problèmes, et la méthode employée par le Gouvernement ces derniers mois ne nous semble pas avoir été la plus adéquate. N’ayons pas peur de le dire, il est incohérent de se prononcer d’abord sur une carte, puis sur les compétences qui seront données aux territoires redéfinis. Une inversion était plus que souhaitable, le débat aurait gagné en sérénité, et je suis convaincu qu’une meilleure compréhension des nouveaux outils de la planification économique régionale prévus par le projet de loi aurait conforté les désirs de fusion.

Notre erreur est bien évidemment dans la publication de cette nouvelle carte, qui n’illustre guère de manière incontestable la recherche d’un nouvel équilibre territorial, fondé tout à la fois sur les potentiels économiques, universitaires et urbains et les traditions de coopération et les solidarités culturelles et historiques.

Ces erreurs ne sont pas sans raison dans la perception d’une réforme plus combattue que débattue, et nous le regrettons profondément.

Le Gouvernement a pris la responsabilité de procéder à une révision de la carte des régions à la va-vite, sans avoir écouté les acteurs des territoires, qui ont la volonté de mettre en place des projets et des destins communs, ni pris en compte les spécificités des régions, façonnées par l’histoire, les cultures ou la géographie. Clairement, la valse-hésitation des dernières heures, que nous avons tout particulièrement vécue ici, avec des mariages annoncés puis défaits, n’a pu que dérouter jusqu’aux plus ardents défenseurs de la réforme. Probablement aussi, le refus d’entrer dans une logique autre que la fusion de régions a fragilisé l’édifice, plus qu’il ne l’a conforté. La peur d’ouvrir ce qui pouvait apparaître comme la boîte de Pandore de l’autodétermination départementale a finalement créé des tensions non nécessaires, que ces soupapes auraient permis de canaliser.

Monsieur le ministre, nous considérons qu’il faut du temps pour qu’une telle réforme puisse être partagée et soutenue par la population et les acteurs des territoires. Quelle est cette urgence absolue qui nous impose de boucler cette réforme de la carte des régions avant le week-end, j’allais dire avant le quart de finale de la Coupe du monde ? Sans remettre en cause les contraintes, y compris peut-être constitutionnelles, nous avons encore du temps. Alors prenons-le, écrivons une méthode ! Je suis convaincu que les évolutions qui semblent aujourd’hui impossibles peuvent devenir envisageables au terme d’un débat de qualité au Parlement, et surtout dans les régions.

Concernant la rapidité d’évolution, il suffit de voir la tournure qu’a prise en quelques jours le débat sur la fusion entre la Bretagne et les Pays de la Loire. Je note que le temps des postures semble aujourd'hui révolu et laisse place à des approches plus ouvertes et que la population s’invite dans le débat, certes par sondages, puisque nous n’avons pas fait appel à d’autres méthodologies. Il faut donc engager un débat public construit. L’opinion publique se fait entendre et elle est en train de faire évoluer un certain nombre de prises de position politiques.

Aussi, notre premier amendement vise à remplacer la carte du Gouvernement par une méthode, fondée sur l’instauration d’un véritable débat dans les territoires, dans un temps certes contraint, mais pas irréaliste. Si jamais cette méthode n’était pas adoptée – j’ai tout de même quelques craintes sur le fait de trouver une majorité sur ce point –, nous soutiendrions le renvoi à l’automne en deuxième lecture de la finalisation de la carte. C'est un temps nécessaire, et ce ne sera pas du temps perdu. La nécessité de donner du temps au temps pour aboutir à une réforme ambitieuse est assez largement partagée ici. Tel est le sens du débat que nous avons eu ce matin.

Il faut aussi prévoir des mécanismes d’assouplissement de cette carte pour qu’elle puisse répondre à la complexité des situations : la diversité de nos territoires ne permet pas de calquer la même formule de redécoupage sur l’ensemble du pays. Il faut, par exemple – je pense que nous évoluons sur ce point –, un droit d’option des départements pour rééquilibrer certaines fusions. Nous avons bien avancé ce matin sur ce sujet, et j’en remercie notamment M. Mézard, avec lequel nous avons formé un axe politique que nous n’utilisons probablement pas assez souvent.

M. André Gattolin. Très bien !

M. Ronan Dantec. Nous soutiendrons la suppression des référendums actuellement obligatoires pour entériner le processus des redécoupages, quand ces derniers font déjà l’objet d’un consensus entre les élus concernés. Les différents groupes politiques sont parvenus, me semble-t-il, à un accord sur ce point. Je remercie M. le rapporteur d’avoir fait émerger des convergences de vues.

Je rappelle que les référendums obligatoires ont été introduits au Sénat, non pas dans un élan irrépressible en faveur de la démocratie directe, mais précisément pour rendre plus difficile toute évolution des limites territoriales. C'est notamment ce qui a empêché la création de la collectivité unique alsacienne, pourtant voulue par une majorité des habitants. La souplesse est rarement un handicap, surtout quand il faut réussir des réformes aussi acrobatiques, pour reprendre les termes du président Hyest.

J’en viens aux départements. Le projet de loi ne les supprime pas ; après-demain, « de façon apaisée », on discutera tranquillement de leur disparition. Pour l’instant, ils conservent leurs compétences en matière d’action sociale, d’égalité d’accès aux services publics, d’égalité territoriale, ainsi qu’une compétence partagée sur le sport, la culture, le tourisme.

À cet égard, je veux m’adresser à mes collègues écologistes : quitte à m’éloigner – seulement en apparence – de la doxa de notre propre groupe politique, je crois que les départements peuvent, au contraire, aider à la réussite de cette réforme et apporter des réponses spécifiques quant à la diversité des territoires. Ils restent un échelon infrarégional qui peut garder une justification pour des secteurs ruraux évidemment, mais aussi pour des compétences particulières, des expérimentations.

Plutôt que de perdre hier un après-midi pour rien, si ce n’est pour dire qu’on s’est bien battu et qu’on est contre cette réforme, nous aurions dû débattre sur le fond de la place demain, dans certains territoires – pas obligatoirement dans tous –, d’échelons infrarégionaux dynamiques que la Constitution nomme départements, aux compétences claires, afin de ne pas retomber dans le travers des compétences croisées. Nous aurions été plus productifs, et cela aurait davantage correspondu au rôle que doit jouer le Sénat.

Je répondrai même à mon ami Michel Delebarre, qui ironise parfois sur certaines des propositions écologistes, en suggérant qu’elles seraient en avance ou en retard sur leur temps,…

M. Jean Desessard. Disons qu’elles sont « décalées » !

M. Ronan Dantec. … qu’il y a peut-être comme un parfum de bicamérisme, entre un conseil régional élu au suffrage direct et une sorte de chambre des territoires. Cette piste devra être explorée.

M. Jean-Pierre Raffarin. Ah, voilà l’idée : 69 is back !

M. Ronan Dantec. Par conséquent, si nous pouvions éviter de crisper nos débats sur la disparition des départements, qui n’est pas prévue dans les deux projets de loi de réforme territoriale, il me semble que la qualité de nos échanges s’en trouverait améliorée.

Dernier point : cette réforme n’a de sens que si elle est accompagnée d’un véritable processus démocratique. On m’a parfois opposé, en commission, que nos propositions sur le sujet étaient hors de propos et qu’il valait donc mieux les renvoyer à plus tard, voire à très tard ! Mes chers collègues, nous avons déjà voté une loi sur les métropoles en 2013, nous sommes en train de débattre du projet de loi relatif à la délimitation des régions et nous examinerons prochainement le projet de loi sur les compétences. On ne va quand même pas faire une quatrième loi pour traiter du volet démocratique ! Monsieur le ministre, ce volet manque indéniablement dans le présent texte. Cela dit, nous nous sommes limités aux points les plus importants dans la série d’amendements que nous avons déposés sur le sujet. Monsieur le rapporteur, j’aurais pu en faire beaucoup plus !

M. Michel Delebarre, rapporteur. Je l’imagine volontiers !

M. Ronan Dantec. L’instauration, dans les intercommunalités, du suffrage universel direct, selon un scrutin proportionnel, est essentielle. On ne peut pas renforcer les intercommunalités et, dans le même temps, conserver le système actuel ! On m’a objecté qu’une telle évolution renforcerait la technostructure, éloignerait le citoyen de l’élu… Soyons sérieux ! Les conseillers communautaires gèrent, parfois, des collectivités de plusieurs dizaines, voire centaines de milliers d’habitants. Il serait tout de même logique qu’ils soient élus au scrutin direct dans les intercommunalités de plus de 20 000 habitants ! Au demeurant, il me semble que cette proposition aboutira tôt ou tard ; il ne s’agit plus que d’une question de temps…

Le Sénat aurait pu franchir ce cap dans le cadre de la présente réforme. C’était notre ambition, mais je crains, malheureusement, qu’elle ne soit quelque peu difficile à réaliser. En tout cas, ce point reste, pour les écologistes, tout à fait essentiel : l’accroissement des responsabilités des établissements publics de coopération intercommunale sur la vie quotidienne des citoyens doit nécessairement s’accompagner de cette évolution démocratique.

Nous soumettons au débat d’autres propositions, comme la parlementarisation des assemblées régionales, avec, notamment, la séparation de l’exécutif et du délibératif – cette séparation se pratique déjà –, ou encore l’évolution de la composition et du rôle des conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux, les CESER.

M. Jacques Mézard. Supprimons-les ! Ce sera toujours ça d’économisé…

M. Ronan Dantec. J’ai été surpris du peu d’enthousiasme que suscitait cette dernière proposition. Il s’agit tout de même de recueillir l’avis de la société civile !

Autre point important, que nous devrons examiner dans les prochaines semaines : les rapports entre l’État, les collectivités locales et les préfets. Nous insistons également sur la nécessité de renforcer le droit de pétition local, qui crée du débat public dans les régions, et de réfléchir sur la possibilité, à terme, d’un système bicaméral régional – je n’y reviens pas.

Toutes ces propositions nous semblent relever complètement du champ du présent projet de loi.

Enfin, et ce point réunira peut-être davantage de consensus, il ne peut y avoir de renouveau démocratique sans une alliance dynamique entre démocratie participative et démocratie représentative. En effet, le renforcement de la démocratie passe par des élus présents sur les territoires, dans les lycées, les collèges, les multiples lieux de coélaboration permanente du projet territorial, avec les acteurs locaux et les citoyens. Or l’article 6 du projet de loi, en plafonnant à 150 membres l’effectif des conseils régionaux, représente un véritable recul pour certaines régions, en premier lieu l’Île-de-France.

MM. Jean Desessard et André Gattolin. Oh oui !

M. Ronan Dantec. La mission de représentation des membres des conseils régionaux est d'ores et déjà très lourde. En termes d’agenda, il leur est déjà très compliqué de siéger dans les lycées ! Et, demain, ils devront en plus siéger dans les collèges, alors qu’ils seront moins nombreux ! Cette évolution est tout de même assez surprenante.

Mme Cécile Cukierman. Le problème ne se pose pas seulement en Île-de-France ! Dans le Cantal, il y aura deux élus pour siéger dans cinq lycées et quatorze collèges !

M. Ronan Dantec. Nous sommes bien d’accord, ma chère collègue.

Il serait paradoxal que nous baissions le nombre d’élus alors que les compétences des régions augmentent et que nous insistons tous sur la nécessité de renforcer la proximité. Comment moins d’élus pourraient-ils prendre plus de décisions ? C’est une équation impossible ! Loin de verser dans le populisme facile de ceux qui dénoncent le trop grand nombre d’élus, nous considérons, au contraire, qu’un réseau dense d’élus régionaux est une clé de la réussite de cette réforme. C’est pourquoi nous avons déposé un amendement afin de maintenir le nombre d’élus actuel.

Le renforcement des collectivités locales doit nécessairement s’accompagner d’un renouveau de la démocratie locale. C’est aussi de cette manière que nous ferons reculer le repli sur soi et le sentiment diffus de relégation qui mine notre pays. Donnons plus de pouvoirs aux citoyens ! Donnons plus de pouvoirs aux élus locaux et régionaux : ils les investiront au service de leur territoire ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste. – M. Jean-Pierre Sueur applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Léonce Dupont.

M. Didier Guillaume. Ah, un président de conseil général !

M. Jean-Léonce Dupont. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, une réforme territoriale est nécessaire. Mais faut-il que notre pays soit fasciné par les structures et les jeux de pouvoir pour refuser d’aborder frontalement et au préalable les vrais enjeux… Je pense à la recherche du système le plus efficace, de la meilleure répartition des compétences, des niveaux de financement que nous pouvons aujourd’hui mobiliser. Après seulement pourra se construire le Meccano territorial permettant d’appliquer de manière pertinente les décisions prises en amont.

Pourtant, la méthode qui nous est imposée aujourd'hui est celle à laquelle on recourt traditionnellement dans ce pays : on joue au culbuto, on fait les choses à l’envers.

Je le répète, une réforme territoriale est nécessaire. Or la démarche présentée ne débouchera pas sur des économies rapides – si elle débouche un jour sur des économies ! Monsieur le ministre de l’intérieur, vous avez énuméré un certain nombre d’économies potentielles : vous avez raison, mais vous avez omis l’éventualité d’une augmentation des dépenses.

M. Éric Doligé. Absolument !

M. Gérard Longuet. Voyez les transports !

M. Didier Guillaume. Et la fusion des départements et des régions ?

M. Jean-Léonce Dupont. Je pose notamment la question des régimes indemnitaires.

Nous avançons à tâtons dans le maquis des contradictions et de l’improvisation dans laquelle le Gouvernement travaille et veut nous entraîner.

En 2013, nous avons débattu des métropoles, de leurs statuts et du seuil de leur création. À aucun moment ne s’est posée la question du périmètre des régions ou des communautés de communes, ni celle de l’avenir du département. Il nous a été présenté un nouveau mode de scrutin – ô combien créatif, pour ne pas dire exotique ! – pour l’élection des conseillers départementaux, que le monde entier nous envie déjà,…

M. Didier Guillaume. C’est l’ADF qui l’a présenté !

M. Jean-Léonce Dupont. … et un nouveau découpage cantonal censé donner aux départements un cadre rénové de représentation, une nouvelle vie en quelque sorte. Nous étions alors loin de nous imaginer que les prochains candidats futurs élus auraient à éteindre la lumière !

Nous avons débattu de la création de conférences territoriales de l’action publique, de la suppression de la suppression de la clause de compétence générale et du principe de domaines partagés, dans lesquels tel ou tel niveau de collectivités exercerait un rôle de chef de file. Et, sans en avoir terminé sur le chapitre des compétences ni en avoir commencé sur celui des moyens, vous voilà en train de modifier la carte régionale, en attendant de toucher à celle des intercommunalités, et de sacrifier peu ou prou le département, dont le Premier ministre vantait ici même il y a quelques mois les mérites,…

M. Jean-Léonce Dupont. … en reprenant, d'ailleurs, les propos du Président de la République !

M. Didier Guillaume. Excellents propos !

M. Jean-Léonce Dupont. La carte régionale, dont nous allons débattre, vaudra sans doute pour les décennies prochaines. Évitons donc les erreurs fatales !

Les conditions publiques du tracé de cette carte ont ôté tout crédit aux propositions formulées pour un nombre non négligeable de régions.

M. Jean-Léonce Dupont. Ceux qui, dans cet hémicycle, en sont les représentants n’ont de cesse de dénoncer ces propositions et de démontrer l’absence de logique des regroupements ou des non-regroupements présentés. Il n’échappe à personne aujourd’hui que cette carte est largement le fruit de jeux d’influence en proximité d’un parti devenu ultra-minoritaire dans l’opinion…

M. Éric Doligé. Oui, on va le voir !

M. Jean-Léonce Dupont. Pas de concertation, nulle discussion sérieuse, aucun fondement rationnel pour cette carte, modifiée jusqu’à la dernière seconde précédant le bouclage des quotidiens régionaux ! En 1789 et 1790, la carte des départements, qui a démontré sa solidité, a été élaborée en six mois, après de multiples contacts du Comité de constitution de l’Assemblée nationale avec ce que nous appellerions aujourd’hui « le terrain ».

M. Philippe Bas. On savait travailler à l’époque !

M. Jean-Léonce Dupont. Autre souci cartographique : les regroupements imposés par blocs régionaux existants. La remise à plat d’une carte qui a plus de cinquante ans ne peut pas se faire sans ouvrir la possibilité aux départements de sortir de leur cadre régional. Ce serait considérer que rien n’a changé dans notre pays, alors que les transformations sont, au contraire, innombrables. Par exemple, en un demi-siècle, les transports ou la carte des universités ont bouleversé les pratiques de vie sur tous les territoires. Des départements situés en frontière de régions peuvent légitimement souhaiter sortir de leur cadre régional actuel, qui ne doit pas devenir une prison par détermination de la loi. Cela ne concernera sans doute que quelques cas, mais reconnaître cette liberté de choisir son destin territorial est un minimum démocratique.

M. Didier Guillaume. Très bien !

M. Jean-Léonce Dupont. Quant aux chefs-lieux de région, nous savons qu’ils ont historiquement été choisis par référence à l’administration d’État, là aussi depuis plus d’un demi-siècle. Tout en respectant, bien sûr, les prérogatives du pouvoir réglementaire, ne devons-nous pas l’encadrer et l’inciter à intégrer dans ses choix la montée en puissance économique et sociale des régions-collectivités territoriales et leur rôle structurant dans le développement du territoire ?

Toutes les régions actuelles s’incarnent à travers leur ville-capitale. Cette incarnation est largement liée aux actions de marketing territorial qu’elles ont conduites. Demain, la perte de cette qualité, pour un nombre significatif d’entre elles, sera un coup fatal porté à l’aménagement du territoire ainsi qu’à leur croissance. Faut-il aussi que la ville chef-lieu soit automatiquement le siège du conseil régional, l’aire la plus peuplée et, par principe, la métropole, si métropole il y a ? Je ne le crois pas, et je pense que nous devrions avoir, sur ce sujet, par ailleurs pas ou peu abordé en commission, une réflexion forte.

Autre conséquence de la nouvelle carte régionale : la représentation des territoires au sein des conseils régionaux. Vous le savez, le plafonnement à 150 sièges oblige à une diminution drastique du nombre de représentants. Sur ce plan, les petits départements ruraux sont, évidemment, les plus durement touchés. Dans ces conditions, il est difficile de créer un sentiment d’appartenance à un nouvel ensemble. L’éloignement autant que l’absence d’un nombre raisonnable de représentants suscitent, à l’inverse, un sentiment d’exclusion. Est-ce le nouveau désert français que nous voulons pour le XXIe siècle ? Ce désert, nous savons trop bien qui risque vite de l’occuper ! Notre responsabilité est immense. (M. Jacques Mézard approuve.)

Dernier point : le calendrier électoral. Les mandats locaux sont devenus des variables d’ajustement : tel gouvernement les abrège, tel autre les allonge. Le gouvernement actuel n’a pas le monopole de tels procédés, même s’il semble y prendre un plaisir répété. Le calendrier électoral se trouve brinquebalé d’une année à l’autre. La précipitation du débat législatif qui nous est imposée résulte, nous le savons bien, de la nécessité que la circonscription électorale régionale soit définie un an avant la tenue du scrutin, que vous ne pouvez reculer encore davantage.

Mais il y a mieux, pour ne pas dire « pire » : le projet de loi programme d’ores et déjà une durée raccourcie du mandat des conseillers élus en 2015, durée qui serait justifiée par la réforme territoriale. Ne vaut-il pas mieux, au contraire, donner aux régions, qui seront en pleins travaux tout au long du mandat à venir, entre des périmètres nouveaux et des compétences supplémentaires, le temps d’un mandat normal pour « digérer » tous ces changements ?