Mme la présidente. La parole est à M. Rémy Pointereau, sur l’article.

M. Rémy Pointereau. C’est au nom de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation que je m’exprime. Dans notre rôle d’aiguillons et de vigies de la simplification, nous avons déposé, Philippe Mouiller et moi-même, plusieurs amendements dont les dispositions vont dans le même sens.

Je tenais à intervenir sur le titre VIII du présent texte, et plus particulièrement sur l’article 48, qui institue un plafond national des émissions de gaz à effet de serre, dénommé « budget carbone », ainsi qu’une stratégie nationale de développement à faible intensité de carbone, dénommée « stratégie bas-carbone ».

La délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, en tant que telle, n’a pas nécessairement d’avis sur ce nouvel outil, conçu pour améliorer la gouvernance de la politique climatique nationale. Le plan climat devrait disparaître et le plan national d’adaptation au changement climatique être complété par la stratégie nationale. Dont acte !

En tant que co-auteur d’un rapport rédigé au nom de la délégation, je suis néanmoins tenté de relever, parmi les précisions et compléments apportés à cet article par l’Assemblée nationale, une disposition sur laquelle revient le rapport de la commission des affaires économiques. Je ne résiste pas au plaisir de vous en lire un extrait, mes chers collègues ; nous verrons si vous y comprenez quelque chose :

« L’Assemblée nationale a adopté deux amendements, l’un pour prévoir que la stratégie bas-carbone "veille [...] à ne pas substituer à l’effort national d’atténuation une augmentation du contenu carbone des importations", l’autre pour indiquer que cette stratégie "intègre des orientations sur le contenu en émissions de gaz à effet de serre des importations, des exportations et de leur solde dans tous les secteurs d’activité", sans que l’on sache toutefois quelle forme ces orientations pourraient prendre et quel degré de contrainte elles pourraient mettre en œuvre ». Quelle belle formulation technocratique !

On retrouve, de fait, dans ces deux apports de l’Assemblée nationale, la coïncidence de l’extrême précision dans l’intention et de l’incertitude dans la portée juridique, si caractéristique de la complexité normative.

Même si nous n’avons pas toujours été suivis par M. le rapporteur et M. le rapporteur pour avis sur nos amendements de simplification, je tenais à saluer la vigilance de la commission des affaires économiques sur ce texte, ainsi que la justesse d’appréciation dont elle a fait preuve en excluant les émissions de méthane entérique résultant de l’élevage des ruminants du champ d’application de la stratégie bas-carbone et en prévoyant que la répartition du budget carbone devra tenir compte de la spécificité du secteur agricole.

Toutefois, l’essentiel de mon propos est ailleurs.

En nous souvenant des plaintes réitérées des élus locaux contre les excès normatifs de la réglementation d’application des lois, nous nous sommes demandé ce qui justifie que l’alinéa 11 de l’article 48 prévoie que « les collectivités territoriales et leurs établissements publics respectifs prennent en compte la stratégie bas-carbone dans leurs documents de planification et de programmation qui ont des incidences significatives sur les émissions de gaz à effet de serre, selon des modalités fixées par voie réglementaire ».

C’est ce qui nous hérisse particulièrement ; ce texte réglementaire ne pourra en effet que situer l’opposabilité de la stratégie nationale aux documents locaux de la planification et de programmation à un niveau supérieur à ce que suppose la notion juridique de « prise en compte ».

Je rappelle que, selon le Conseil d’État, la notion de « prise en compte » impose de « ne pas s’écarter des orientations fondamentales sauf, sous le contrôle du juge, pour un motif tiré de l’intérêt [de l’opération] et dans la mesure où cet intérêt le justifie ».

Il ne nous semble pas de bonne législation d’aller plus loin, en prévoyant l’intervention d’un texte réglementaire, qui ne pourrait que réduire à leur minimum les vertus de l’intelligence territoriale. Il faut, mes chers collègues, faire confiance aux élus !

J’ajoute que la composition du comité de gestion de la contribution au service public de l’électricité, créé par l’article 50, est renvoyée à un décret. En tout état de cause, la présence d’au moins un représentant des collectivités territoriales me paraît indispensable.

Mme la présidente. La parole est à M. Franck Montaugé, sur l’article.

M. Franck Montaugé. Il n’est pas de réussite sans vision, sans méthode comprise et partagée par tous, si l’on veut parvenir aux résultats attendus. Il n’est pas non plus de réussite sans la mobilisation des acteurs directement ou potentiellement concernés.

Le titre VIII, dernier titre de ce texte, répond à ces enjeux. Je voudrais vous remercier, madame la ministre, d’avoir placé la mobilisation des acteurs – entreprises, citoyens, territoires, État – au cœur de cette démarche au long cours.

Au travers de la stratégie bas-carbone et la programmation pluriannuelle de l’énergie, ce sont les mots de « planification » et de « programmation » qui reviennent sur le devant de la scène industrielle nationale.

On ne peut s’empêcher de penser aux grandes politiques industrielles des années 1960, que le même type d’approche à visée de long terme avait inspirées, dans un tout autre contexte, bien entendu, mais avec un succès certain. Les bases solides de ces politiques pour l’électricité et le gaz sont toujours là ; elles nous donnent un appui pour écrire aujourd’hui une nouvelle page de l’histoire de l’économie de notre pays, une économie que nous voulons à la fois compétitive et respectueuse de l’environnement.

À l’organisation verticale de l’époque, celle de l’État centralisé et de ses grandes entreprises, s’ajoute aujourd’hui une dimension horizontale, territoriale et participative, qui mobilisera de plus en plus les citoyens, les entreprises locales, les collectivités territoriales, et dont les initiatives, dans la durée, seront déterminantes pour atteindre les grands objectifs que s’assigne cette loi.

Les dispositions que nous avons votées hier, sur votre initiative, madame la ministre, et qui permettent de prolonger la durée des concessions hydrauliques jusqu’à 99 ans et même au-delà, en contrepartie d’investissements adaptés, illustrent ces formes rénovées d’implication de l’État et de ses partenaires dans le nouveau service public de l’énergie.

État stratège donc, fixant le cap et les objectifs, et mobilisant les acteurs : le titre VIII en témoigne, par le mode de gouvernance de l’ensemble du secteur de l’énergie qu’il prévoit.

Dans ce cadre modernisé, certains points méritent une attention particulière. Je les évoquerai brièvement, car le débat nous permettra d’y revenir.

Je veux souligner ici, madame la ministre – je tiens même à vous en remercier –, la dimension sociale que vous avez donnée à ce texte. La généralisation du chèque énergie à tous les modes de chauffage traduit votre souci d’une plus grande équité dans la prise en compte des difficultés quotidiennes des foyers les plus fragiles.

Pour autant, il nous paraît fortement souhaitable de préserver le caractère d’automaticité de l’aide au paiement des factures d’électricité ou de gaz naturel, en maintenant les mécanismes actuels des tarifs sociaux, le chèque énergie leur étant substitué seulement sur le plan de l’appellation, tout en impliquant également les autres sources d’énergie non couvertes aujourd’hui. Je pense notamment au bois ou au fioul.

Dans le même esprit, le principe de péréquation tarifaire doit faire l’objet d’une attention particulière de notre part. Les conditions d’accès à l’électricité doivent rester les mêmes pour les habitants des métropoles et pour ceux des campagnes. Un amendement relatif aux systèmes de flexibilité locale nous permettra de revenir sur ce point.

Toujours au plan social, l’article 60 nous permettra de réaffirmer notre attachement au texte de la commission, sans remise en cause des dispositifs de la loi Brottes garantissant l’interdiction de coupure d’alimentation de ce bien universel qu’est l’eau.

En outre, comme cela a été souligné hier à propos des personnels des sociétés d’économie mixte, les SEM, hydrauliques, existantes ou à venir, et parce que la compétitivité du secteur de l’énergie dépend aussi des conditions d’emploi et de vie des personnels, j’aurais souhaité – nous avions déposé un amendement en ce sens, Roland Courteau en a parlé – qu’une adaptation de la loi du 8 avril 1946 permette d’étendre le statut des industries électriques et gazières, les IEG, à tous les personnels des entreprises du renouvelable.

La commission des finances a rejeté cet amendement au titre de l’article 40 de la Constitution. J’avoue que je ne comprends pas pourquoi ce qui est possible, par exemple, pour les nouvelles sociétés d’économie mixte hydro-électriques ne le serait pas pour des sociétés de production éolienne, photovoltaïque ou de méthanisation. J’ai entendu vos engagements sur ce point, madame la ministre. Ils répondent à nos soucis, et je vous en remercie.

Je veux également le souligner, la question importante des évolutions de la contribution au service public de l'électricité, la CSPE, n’a pas été occultée. Là encore, la méthode retenue, qui consiste à créer un comité de gestion de la CSPE pour en renforcer la gouvernance et mieux en maîtriser l’évolution, est la bonne.

Par ailleurs, et cela concerne le rôle des collectivités territoriales, au-delà du succès immédiat de l’appel à projets que vous avez lancé pour les territoires à énergie positive, ayons le souci de la cohérence et de l’efficience dans l’articulation des schémas régionaux du climat, de l’air et de l’énergie, les SRCAE, intégrés au schéma régional d’aménagement et de développement durable du territoire, et des plans climat-air-énergie territoriaux. Le succès de la stratégie bas-carbone dépendra également de cela.

Saisissons également l’occasion pour créer de la valeur, en emplois et en revenus, par la production d’énergies renouvelables sur les territoires ruraux défavorisés, en particulier agricoles.

Je voudrais souligner la pertinence du dispositif de « contribution climat énergie », introduit dans le projet de loi de finances pour 2015 et directement lié à la stratégie bas-carbone, me semble-t-il. Il faut donner des signes aux consommateurs d’énergies pour orienter leurs comportements vers des modes plus vertueux en matière d’émissions de gaz à effet de serre. Les dispositifs le permettent désormais pour les consommateurs.

Nous le savons, le pilotage s’effectuera par la variable stratégique du coût de la tonne carbone. Quoi qu’il en soit, au regard des enjeux universels que nous avons à relever, il s’agit bien d’une contribution positive, et non d’une fiscalité punitive.

Pour aller dans le même sens, je pense utile de bonifier les aides apportées par les partenaires publics aux investissements réalisés par les collectivités territoriales. Ce sera l’objet d’un amendement visant le bonus investissement climat que je vous proposerai au nom de mon groupe.

Telles sont les points essentiels que je voulais aborder préalablement à l’examen du titre VIII.

Madame la ministre, je vous remercie d’avoir ainsi donné une large place à la participation des acteurs locaux, dans un cadre prospectif et stratégique clair, dégageant les horizons des acteurs et adapté aux enjeux planétaires, dont la COP 21 de Paris traitera en fin d’année.

Pour ce rendez-vous, la France se doit d’être exemplaire aux yeux de ses partenaires. Votre texte y contribuera. Nous vous en remercions. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Ségolène Royal, ministre. Monsieur le sénateur, je vous remercie de vos propos.

Le titre VIII que nous abordons constitue effectivement, en quelque sorte, le mode d’emploi de ce projet de loi. Il met des outils techniques, politiques et stratégiques à la disposition de l’ensemble des partenaires de la communauté nationale : citoyens, collectivités, entreprises et État. Le Sénat a validé les grands objectifs du nouveau modèle énergétique à l’article 1er du projet de loi, ainsi que d’autres objectifs dans les articles suivants. Nous allons à présent voir comment les atteindre de manière crédible.

En tant qu’élue locale, j’attache évidemment beaucoup d’importance – votre commission a enrichi le texte à cet égard et vos amendements vont le compléter – à la mise en mouvement des territoires. En effet, la transition énergétique se joue à 70 % ou à 80 % dans ces derniers. Certes, l’État fixe le cap, les orientations et les grands objectifs. Toutefois, c’est dans les territoires que se mettent en œuvre concrètement les mesures d’économies d’énergie, de performance énergétique, de montée en puissance des énergies renouvelables et de production d’énergie délocalisée.

Le titre VIII se compose de quatre grands chapitres cohérents.

Le chapitre Ier définit les outils de la gouvernance nationale de la transition énergétique. Quelle programmation ? Quel contenu à la recherche et à la formation au service de cette programmation ?

Les budgets carbone et la stratégie nationale bas-carbone seront créés. Il y aura aussi une programmation pluriannuelle de l’énergie, avec les outils de pilotage financier, sans lesquels il n’y aurait pas de transition énergétique possible. Un comité d’experts sera mis en place pour éclairer le Gouvernement et le Parlement sur les budgets carbone.

M. Franck Montaugé a évoqué la réforme de la contribution au service public de l’électricité, avec un renforcement de la gouvernance et la création d’un comité de gestion. Il s’agit, je le sais, d’une demande formulée de longue date par les parlementaires, qui veulent de la transparence et une capacité de définition stratégique.

L’accès aux données dont les collectivités locales ont besoin pour le pilotage de la transition énergique sera plus rapide, plus simple et plus complet.

Une stratégie nationale de recherche et une stratégie nationale biomasse seront élaborées. En ce qui concerne la biomasse, la France est en retard. Depuis le début de nos débats, vous avez été nombreux à intervenir pour réclamer une vision stratégique et, surtout, des mesures opérationnelles.

Le chapitre II porte sur le pilotage de la production d’électricité, notamment du cœur de la stratégie. Quel pilotage pour le mix énergétique dont dispose l’État ? Comment le Parlement pourra-t-il continuer à être associé à sa définition et à son évaluation ?

Le chapitre III nous permettra d’aborder la transition énergétique dans les territoires.

Les collectivités territoriales auront un rôle de chef de file. Je mentionne également les territoires à énergie positive, les plans climat-air-énergie territoriaux et la reconnaissance d’un service public communal de chaleur et de froid.

Il s’agit en l’occurrence d’une généralisation des bonnes pratiques, car il y en a beaucoup dans les territoires. D’une manière générale, j’ai veillé à ne pas faire figurer d’inventions ou d’abstractions dans ce projet de loi. Je souhaite au contraire généraliser dans tout le pays ce qui marche dans les territoires.

Enfin, le chapitre IV concerne les dispositions spécifiques aux outre-mer et aux autres zones non interconnectées. C’est un sujet crucial, avec des enjeux majeurs.

Le coût de l’énergie pèse lourdement sur le développement économique des territoires concernés, où le taux de chômage atteint 40 % ou 45 %. Pourtant, leur potentiel est considérable. Avec le soleil, l’énergie thermique de la mer ou le vent, ces territoires peuvent devenir des îles durables, à énergie positive. Il est urgent de leur donner les moyens techniques d’accéder à l’autonomie énergétique.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je me réjouis d’aborder avec vous ce titre VIII. Je salue une nouvelle fois les travaux de la commission.

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.

L'amendement n° 683 rectifié est présenté par Mme Jouanno et M. Guerriau.

L'amendement n° 767 est présenté par MM. Dantec, Labbé et les membres du groupe écologiste.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Alinéa 7, première phrase

Supprimer les mots :

à l’exclusion des émissions de méthane entérique naturellement produites par l’élevage de ruminants,

La parole est à Mme Chantal Jouanno, pour présenter l'amendement n° 683 rectifié.

Mme Chantal Jouanno. L’article 48 instaure deux nouveaux outils : un plafond national des émissions de gaz à effet de serre, ou budget carbone, et une stratégie bas-carbone.

Nous y sommes tout à fait favorables sur le fond. D’ailleurs, au mois de juin 2014, nous avions déposé une proposition de résolution qui préconisait l’adoption de ces deux instruments.

Je mettrai toutefois un petit bémol sur le plafond des émissions de gaz à effet de serre. Il y a un très bon moyen de réduire les émissions de gaz à effet de serre d’un pays : c’est la désindustrialisation ! La France connaît ce phénomène depuis les années quatre-vingt-dix... Néanmoins, en comptabilisant l’empreinte carbone de chaque habitant, ce qui inclut sa consommation et les importations, on s’aperçoit que nos émissions de gaz à effet de serre ont, en réalité, augmenté.

Pour éviter que la stratégie bas-carbone ne se traduise par une désindustrialisation – ou, monsieur Mézard, par un recul de l’agriculture –, il faudrait raisonner en termes d’empreinte carbone. Nous avons besoin d’une vision scientifique et de comptabiliser toutes les émissions de gaz à effet de serre, y compris le méthane, qui, au sens large, en représente un tiers.

Cet amendement vise donc à comptabiliser les émissions liées à l’élevage.

Bien entendu, dans la stratégie bas-carbone, les efforts demandés secteur par secteur ne seront pas les mêmes. Demander un facteur quatre à l’agriculture serait évidemment un non-sens ; un tel objectif serait inatteignable, et nous n’y gagnerions qu’une augmentation des importations…

Mes grands-parents étaient agriculteurs et éleveurs. Je connais le sujet et n’ai aucune intention de porter atteinte à l’élevage. Simplement, d’un point de vue scientifique, il faut comptabiliser toutes les émissions, quitte, encore une fois, à ce que les efforts demandés secteur par secteur ne soient pas les mêmes.

Mme la présidente. La parole est à M. Joël Labbé, pour présenter l'amendement n° 767.

M. Joël Labbé. Je présente cet amendement relatif à l’agriculture à la place de mon collègue Ronan Dantec, qui va au charbon sur ce texte avec talent, conviction et énergie ! (Exclamations amusées.)

Mme Jouanno a explicité les détails techniques du dispositif que nous proposons. Je me bornerai pour ma part à rappeler qu’il n’est pas possible – heureusement ! – de tout maîtriser en ce bas monde. Certains phénomènes sont naturels et le resteront.

Il faut bien que les vaches et les ruminants existent ! Simplement, il est nécessaire de comptabiliser leurs émissions de gaz à effet de serre. Bien entendu, la stratégie bas-carbone devra se décliner différemment selon les secteurs.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission des affaires économiques ?

M. Ladislas Poniatowski, au nom de la commission des affaires économiques. Mes chers collègues, notre commission avait proposé de supprimer les émissions de méthane entérique des ruminants de la stratégie bas-carbone, et c’était une bonne mesure.

Les auteurs de ces deux amendements identiques veulent revenir sur cette décision. Manifestement, pour certains, qui travaillent leur image, c’est : « Plus bas-carbone que moi, tu meurs ». (M. Joël Labbé proteste.)

Or, de temps en temps, il faut savoir faire preuve de souplesse…

M. Jean-François Husson. Et de sérieux !

M. Ladislas Poniatowski, au nom de la commission des affaires économiques. … et tenir compte des réalités économiques.

À cet égard, madame la ministre, je vous remercie d’avoir retiré l’amendement n° 956, qui devait venir dans la suite de la discussion.

M. Gilbert Barbier. C’est la sagesse !

M. Ladislas Poniatowski, au nom de la commission des affaires économiques. C’est la troisième fois en un mois que je vous prends en flagrant délit d’indépendance et de bon sens ! (Exclamations amusées.)

Tout d’abord, vous êtes revenue sur les décrets des préfets relatifs aux feux de cheminée. Ensuite, vous avez exprimé une position courageuse en indiquant qu’il faudrait envisager la construction de nouvelles centrales nucléaires à la fin de vie des centrales actuelles. Enfin, vous avez retiré cet amendement que vous projetiez de défendre, et vous avez eu raison.

Mes chers collègues, la politique des quotas laitiers en Europe sera abandonnée en avril prochain, c'est-à-dire dans deux mois. Nous ne sommes pas loin d’une vraie crise !

Certains ont anticipé cette suppression. Je vous signale que la production est en train d’exploser partout. Pour devancer cette décision, les Anglais ont déjà augmenté leur production de 10 %, les Polonais de 9 % et les Français de près de 6 %.

Dans le même temps, nous assistons à un nouveau phénomène, à savoir une chute des prix du lait. Une crise se profile devant nous. De grâce, n’en rajoutons pas !

M. Philippe Mouiller. Non, ce n’est pas le moment !

M. Ladislas Poniatowski, au nom de la commission des affaires économiques. Mes chers collègues, soyez attentifs à la réalité économique. Ce n’est pas le moment de s’en prendre aux ruminants et aux éleveurs. Il est possible que, à l’avenir, de nouvelles méthodes permettent d’apporter des solutions mixtes, mais, pour le moment, il n’y en a pas. La seule possibilité, à l’heure actuelle, pour réduire les émissions de méthane entérique serait de diminuer le cheptel de bovins. Or, je le répète, ce n’est pas le moment.

Voilà pourquoi, mes chers collègues, je vous demande de bien vouloir retirer vos amendements. À défaut, bien évidemment, la commission émettra un avis totalement défavorable !

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Ségolène Royal, ministre. Dans le contexte actuel, il convient d’être plus incitatif que contraignant, d’autant que des recherches sont en cours, notamment afin d’améliorer l’alimentation du bétail. C’est dans ce sens qu’il faut aller. Une fois que le résultat des études sera connu, le ministère demandera à l’Institut national de la recherche agronomique, l’INRA, et aux différents organismes de recherche de trouver des solutions opérationnelles pour régler cette difficulté.

Néanmoins, pour ne pas m’opposer aux amendements, je m’en remets à la sagesse de la Haute Assemblée.

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote.

M. Jacques Mézard. La commission, avec la sagesse dont elle est coutumière, a voté les amendements que nous avions déposés tendant à exclure de la stratégie bas-carbone les émissions de méthane entérique, c'est-à-dire celles qui sont issues de nos chers bovins. Par conséquent, nous ne pouvons souscrire à ces deux amendements identiques.

Dans notre pays, qui est un pays de production agricole et d’élevage, la dimension économique, comme l’a rappelé M. le rapporteur, ne doit pas être négligée, en particulier dans les territoires ruraux.

L’élevage bovin connaît déjà des difficultés. Or l’adoption de ces deux amendements pénaliserait les bovins qui mangent de l’herbe : c’est tout de même assez original. De grâce, finissons-en avec cet affichage environnemental et médiatique !

M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques. Tout à fait !

Mme Chantal Jouanno. Cela n’a rien à voir !

M. Jacques Mézard. Madame Jouanno, nos territoires ont le droit de vivre !

Mme Chantal Jouanno. Nous ne les empêchons pas de vivre !

M. Jacques Mézard. Chère collègue, je ne vous ai pas interrompue !

Mme Chantal Jouanno. Mais vous m’interpellez !

M. Jacques Mézard. Il ne serait ni raisonnable ni responsable de passer aujourd'hui un tel message à nos éleveurs.

M. Jean-François Husson. Ce serait honteux !

M. Jacques Mézard. Mon excellent collègue Gilbert Barbier me disait il y a peu qu’il existe des médicaments pour remédier aux flatulences humaines ; qui sait, les hommes expérimentent peut-être en amont pour les animaux ! Nous trouverons peut-être des solutions demain. Mme la ministre nous a également indiqué que des progrès étaient possibles au niveau de la nourriture. Néanmoins, aujourd'hui, rien de tel n’existe encore.

M. Joël Labbé. D’ici là, les ruminants auront cessé de ruminer ! (Sourires sur les travées du groupe écologiste.)

M. Jacques Mézard. Vous aussi, cher collègue, il faudrait que vous cessiez de ruminer sur le plan écologique ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Cet affichage médiatique est absolument insupportable ! Je le dis tout net : nos territoires ne peuvent l’accepter.

Certes, le problème est bien réel. J’ai lancé un plan climat. Il ressort de cette étude que dans un département très rural et d’élevage le méthane entérique représente 18 % de la production de méthane. C’est donc bien une réalité.

Néanmoins, je voudrais que les auteurs de ces amendements m’expliquent comment les éleveurs doivent procéder pour réduire les émissions de méthane chez les vaches. S’ils ont une solution, qu’ils la donnent. Chers collègues, vous avez une vision de bobos parisiens ! (Mme Chantal Jouanno proteste.) Je suis là aussi pour le dire. Sur ce point, nous ne pouvons pas transiger.

Madame la ministre, vous avez fait appel à la sagesse de la Haute Assemblée. J’espère que, devant une autre assemblée, le discours du Gouvernement sera le même, car nous savons qu’il y a eu des négociations. J’ai reçu des mails d’organisations professionnelles faisant état de la pression exercée par les ONG et les sénateurs écologistes. Je ne voudrais pas voir réapparaître in fine ces amendements ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RDSE et de l'UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Ronan Dantec, pour explication de vote.

M. Ronan Dantec. Je m’en tiendrai à la stricte rationalité scientifique. J’en fais rarement état, mais il se trouve que je suis vétérinaire de formation et que j’étais il y a deux ans encore membre du conseil d’administration de l’École nationale vétérinaire, qui travaille de manière extrêmement sérieuse sur cette question.

M. Ronan Dantec. Je suis très étonné par ces déclarations enflammées – au méthane (Sourires.) – et un peu hors-sol, comme une partie de l’élevage d'ailleurs. En effet, l’article est très clair, puisqu’il comporte la précision : « Dans des conditions soutenables sur le plan économique à moyen et long termes ».

M. Jacques Mézard. Non, ce n’est pas clair !

M. Ronan Dantec. La France, qui accueillera dans quelques mois une conférence sur le climat et qui est, comme l’ensemble des pays du monde, concernée par la plus grande crise environnementale que l’on ait jamais connue, doit respecter un objectif de facteur deux. Pour cela, elle doit avoir une vision précise de la totalité de son spectre d’émissions de gaz à effet de serre ; ensuite, elle choisit sur quelles émissions elle souhaite agir.

En aucun cas la France ne doit mettre sous le tapis une partie de ses émissions ! Cela n’aurait pas de sens, et nous mettrions en dehors des comptabilités internationales. Pourquoi refuser de tels amendements, dont l’impact politique ne paraît pas très important ?

Il ne s’agit pas ici, bien évidemment, de stigmatiser les émissions de méthane agricole. C’est, au contraire, en les excluant nommément, comme le prévoit l’article, qu’on les stigmatise. Vous faites donc exactement l’inverse de ce que vous voulez faire !

Tant qu’on ne flèche aucune émission, il n’y a pas de problème : on les prend toutes en compte dans le cadre d’une stratégie de facteur deux. Par ailleurs, l’élevage laitier sur prairie est certainement aujourd'hui celui qui produit le moins de CO2 en raison de la captation de carbone par la production d’herbe. Sans parler des progrès de la zootechnie, notamment pour ce qui concerne l’alimentation.

Pourquoi sommes-nous toujours en retard d’une guerre ? Barack Obama vient d’annoncer un objectif de baisse des émissions de méthane de 45 %. Le méthane, qui a un coefficient au moins vingt-quatre fois supérieur au CO2, représente à l’échelle mondiale quelque 80 millions de tonnes, soit environ 2 milliards de tonnes équivalent CO2. C’est beaucoup !

Nous faisons exactement l’inverse de ce qu’il conviendrait de faire. Nous disposons d’une excellente recherche vétérinaire et d’un bon niveau zootechnique. L’INRA et les écoles vétérinaires sont à l’œuvre. Pourquoi voter un article excluant, comme s’il s’agissait d’un tabou, les émissions de méthane entérique ? (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)

Depuis quinze jours, par moments nous avançons, nous travaillons ensemble et nous trouvons des compromis, et par moments nous butons sur des blocages irrationnels. À vouloir faire comme si la difficulté n’existait pas, nous nous fragilisons économiquement, car nous ne fléchons pas les efforts à réaliser.

Ces amendements ne visent pas à stigmatiser l’élevage, bien au contraire ! C’est en laissant, avec ce genre de demi-phrase, les agriculteurs en dehors de l’effort qu’on les stigmatise. Supprimons cette précision inutile, cela fera travailler notre recherche, qui est efficace en matière de zootechnie et d’élevage ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)