M. Charles Revet. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Jean-Marie Bockel applaudit également.)

M. Jean-Pierre Raffarin, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame la garde des sceaux, messieurs les ministres, mes chers collègues, liberté et sécurité, la dialectique n’est pas nouvelle. Toutefois, placer les activités des services de renseignement dans un cadre défini par le législateur constitue une marque de maturité pour une démocratie et un progrès considérable de l’État de droit.

La démarche est ambitieuse, monsieur le Premier ministre : le législateur doit agir en responsabilité, son action est nécessaire et il est parvenu, me semble-t-il, au terme du travail en commission, à un équilibre raisonnable.

La démarche entreprise est ambitieuse, il faut le souligner. Nous saluons, monsieur le Premier ministre, cette ambition, d’autant qu’elle n’est pas toujours présente dans les textes qui nous sont soumis ici. (M. le Premier ministre sourit.)

Longtemps on a considéré qu’un tel texte risquait d’affaiblir les capacités des services. Or ce risque, selon moi, n’est pas avéré si l’on procède avec précaution. Dans une société démocratique marquée par la liberté de communication et le renforcement du droit, c’est l’absence de cadre légal qui constitue un risque. Légiférer, asseoir la légitimité des services, mieux faire comprendre leurs missions, ce n’est donc pas, de mon point de vue, les affaiblir, mais, au contraire, les renforcer.

Mes chers collègues, pensez une seconde à l’état de notre République, à laquelle nous sommes attachés, si un criminel terroriste, après avoir multiplié les méfaits et étant sorti de ces aventures de manière positive quant à sa santé, intentait un procès aux instances de la République et parvenait à le gagner parce que les services auraient employé des techniques illégales.

M. Ladislas Poniatowski. C’est un risque !

M. Jean-Pierre Raffarin, rapporteur pour avis. Quel ridicule la République devrait affronter !

Nous devons légiférer en la matière pour protéger l’action de nos services.

M. Alain Fouché. Et penser à nous !

M. Jean-Pierre Raffarin, rapporteur pour avis. Légiférer n’est évidemment pas chose facile, car le législateur doit agir en faisant preuve d’une double responsabilité : responsabilité à l’égard de nos concitoyens, qui doivent évidemment bénéficier d’une politique efficace du renseignement, en mesure de les protéger contre des risques graves de déstabilisation ou d’attentats sans que soit mis en place un système abusivement intrusif ; responsabilité aussi à l’égard des services de renseignement, des fonctionnaires et militaires qui les servent, qui effectuent un travail remarquable, il convient de le souligner à cette tribune, la plupart du temps dangereux, dans des conditions toujours difficiles et dont les succès sont par construction voués à rester dans l’ombre quand des difficultés apparaissent, et sans jamais être mis en valeur en cas de réussite.

Ces agents aspirent à œuvrer pour la France dans un cadre juridique stable, solide, légitime, mais qui garantisse aussi l’efficacité et la confidentialité des opérations qu’ils conduisent.

Il sera donc toujours question, lors de la discussion de ce texte et au cours des procédures qui seront mises en œuvre, de la recherche de l’équilibre.

Ce texte était évidemment attendu depuis longtemps. Il n’est en réalité exceptionnel que parce qu’il est le premier du genre dans notre pays, et qu’il met fin à une exception parmi les démocraties avancées.

Ce texte est également nécessaire pour répondre à l’évolution des menaces et servir principalement, et là est l’essentiel, les intérêts de notre pays.

Telle est l’opinion de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.

Ce texte réaffirme la notion de « politique publique de renseignement » et la précise en s’appuyant sur deux notions très importantes définies par le législateur : la stratégie de sécurité nationale, d’une part, et la défense et la promotion des intérêts fondamentaux de la nation, d’autre part. C’est très important !

Il pose également la qualité première de l’État en la matière, autrement dit sa compétence exclusive. Il consolide l’importance de la réorganisation qui a été engagée au sein de nos services.

Ce projet de loi présente le mérite de rappeler que les missions et les finalités pour lesquelles ces services peuvent recourir à des techniques spécifiques, sauf exception, ne se limitent pas à la seule prévention du terrorisme. Il s’agit d’un point important que nous aurons à débattre en ce qui concerne les finalités.

Le spectre des menaces est en effet beaucoup plus large et inclut notamment la lutte contre toute forme d’ingérence étrangère, contre l’espionnage industriel et scientifique, dont on ne parle pas suffisamment, et contre la criminalité et la délinquance organisées. Nous sommes focalisés sur le terrorisme, mais pensons à l’élargissement des finalités. En outre, l’action des services s’étend à la collecte d’informations destinées à permettre aux autorités de notre pays d’effectuer en toute autonomie les choix nécessaires à la conduite de la politique étrangère et – ce qui est fondamental aussi, monsieur le ministre, de défense. Au fond, il est rare, dans notre pays, que l’on puisse renforcer la République en affaissant l’exécutif. De ce point de vue, sur tout ce qu’est le régalien, il est important que nous soyons rassemblés pour que le régalien puisse disposer des outils nécessaires à l’exercice de son autorité.

L’extension à des nouvelles techniques est nécessaire pour l’ensemble de nos pratiques. Les menaces se sont amplifiées et leurs modes d’action deviennent, chacun le constate, extrêmement sophistiqués. Celui qui ne se dote pas de moyens d’action performants se place en situation de faiblesse. Il est donc très important de préserver les capacités des services en les autorisant à recourir à des techniques modernes de recueil de renseignement. Il y a là une course, dans laquelle l’autorité ne peut pas accepter une position de recul ou de retrait.

Encore faut-il que l’usage de ces techniques s’inscrive, évidemment, dans un cadre légal qui limite celui-ci et garantisse la protection contre les atteintes abusives à la vie privée et aux libertés. C’est une mission historique du Sénat, comme Philippe Bas, président-rapporteur de la commission des lois, vient de le démontrer avec talent, précision et rigueur.

Il ne s’agit donc pas, pour nous, d’une loi d’exception ; ce texte n’a d’exceptionnel que d’intervenir dans un domaine non encore saisi par le droit.

M. Manuel Valls, Premier ministre. Voilà !

M. Jean-Pierre Raffarin, rapporteur pour avis. De mon point de vue, il est parvenu à un équilibre raisonnable et globalement responsable.

Pour ce faire, nous avons déposé un certain nombre d’amendements au sein de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Nous avons apprécié que la grande commission des lois sénatoriale de notre République (Murmures d’admiration.)

M. Jean-Pierre Sueur. Toutes les commissions sont grandes ! (Sourires.)

M. Jean-Pierre Raffarin, rapporteur pour avis. … ait bien voulu accepter les amendements de la commission des affaires étrangères.

Grâce à cette démarche, dont je remercie M. le président-rapporteur et tous les membres de la commission des lois, monsieur Sueur, de l’opposition comme de la majorité, nous avons mis en œuvre une coopération constructive et fertile.

M. Jean-Pierre Raffarin, rapporteur pour avis. C’est à mon sens l’une des conditions de la mobilisation en faveur de ce texte. Je rejoins à ce propos M. le Premier ministre, car sur des questions de cette nature l’autorité d’un texte dépend aussi de la qualité de la majorité qui le vote. Je me souviens d’un texte sur le voile à l’école qui a pu avoir cette autorité en raison du rassemblement autour du gouvernement de l’époque.

Sur ce point, on a vu, avec la commission des lois, un certain nombre de progrès très importants enregistrés.

On a pris en compte la notion d’intérêts fondamentaux de la nation – c’est, je crois, essentiel – dans la définition des missions et des finalités.

On a redimensionné la CNCTR, après avoir auditionné les responsables des différentes autorités. Plus le nombre des membres d’une autorité est important, moins celle-ci est efficace en général.

M. Jean-Jacques Hyest. C’est vrai !

M. Jean-Pierre Raffarin, rapporteur pour avis. Une CNCTR comptant neuf membres serait plus efficace que si elle en comprend treize.

On a conforté la légitimité et l’indépendance du président de la CNCTR, grâce à la proposition de loi organique que Philippe Bas et moi-même avons présentée, le Sénat participant à la procédure de nomination de celui-ci.

On a revu la durée de conservation des correspondances interceptées pour qu’elle soit raisonnable.

On a limité un angle mort dans la capacité d’agir des services, instauré par l’interdiction absolue de procéder à la mise en place de certains dispositifs lorsque les personnes visées appartiennent à des professions protégées, ce qui fournit parfois des couvertures faciles pour des agents étrangers, des terroristes ou des criminels. Le recadrage de ce dispositif constitue un progrès.

On a aussi rendu plus intelligibles les dispositions relatives à certaines techniques.

On a actualisé la rédaction des dispositions ayant trait à la délégation parlementaire au renseignement, instance responsable, liée par le secret défense, pour débattre avec l’exécutif des questions les plus sensibles sur ces sujets.

Le travail en séance publique consistera donc à parfaire les points restant en discussion.

Je vous présenterai certains amendements sur lesquels il me semble utile que le Sénat tout entier puisse se prononcer en responsabilité.

Première préoccupation : les intérêts de la politique étrangère dont la qualification par l’épithète « essentiel » me paraît dangereuse, car dans ce domaine, seul l’exécutif doit assurer une réelle prééminence pour définir ce qui est essentiel dans la politique étrangère du pays.

Deuxième préoccupation : la nature de la délégation du pouvoir d’autorisation du Premier ministre à certains de ses collaborateurs.

Monsieur le Premier ministre, vous avez proposé tout à l’heure une avancée. Je pense que c’est utile et nous allons travailler de manière positive sur ce sujet. Néanmoins, spontanément, l’idée que six personnes à Matignon auxquelles s’ajouteront un certain nombre d’autres dans les différents cabinets puissent intervenir à la place de l'autorité politique nous paraît dangereuse si elles ne sont pas en responsabilité avec des délégations.

MM. Bruno Sido et Alain Fouché. Absolument !

M. Jean-Pierre Raffarin, rapporteur pour avis. Les membres du cabinet du Premier ministre sont, naturellement, investis d’importantes responsabilités. Toutefois, pour l’heure, le présent texte ne permet en rien de telles délégations !

Je vous livre ma conviction profonde : avec un tel projet de loi, les systèmes de contrôle mis en œuvre par les pouvoirs publics n’exposent pas les libertés fondamentales à de grands dangers.

Voici ce que je redoute le plus : que des agents privés entreprennent d’employer ces technologies, lesquelles sont assez bon marché, pour créer des offices extérieurs, sur lesquels aucun contrôle ne serait exercé. (Marques d’approbation sur les travées du groupe Les Républicains.) De tels acteurs, s’ils étaient dépourvus de toute éthique, pourraient s’employer à déstabiliser telle entreprise, telle organisation, tel parti politique ou tel autre.

M. Bruno Sido. C’est bien le risque !

M. Jean-Pierre Raffarin, rapporteur pour avis. En conséquence, je crains qu’un certain nombre de personnes, pour avoir eu accès, à un moment ou un autre, du fait de telle ou telle nomination, à un certain nombre de responsabilités, ne se retrouvent, deux ans après les avoir exercées, à proposer leurs services à telle ou telle organisation, à telle ou telle structure. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC. – MM. Daniel Reiner, Bernard Lalande et Jacques Mézard applaudissent également.)

Mes chers collègues, je crois à l’éthique de l’État. Je crois à la responsabilité de ceux qui le servent : si les délégations sont assurées dans le cadre d’un dispositif bien défini, il n’y a, à mon sens, pas de danger à craindre. Toutefois, au cas où ces délégations seraient plus confuses, et où elles s’inscriraient dans un dispositif moins précis, je serais, je vous l’avoue, très inquiet.

M. Jean-Pierre Raffarin, rapporteur pour avis. Monsieur le Premier ministre, vous avez, il y a quelques instants, évoqué une orientation par laquelle nous pourrons, à mon sens, aboutir à un accord.

M. Bruno Sido. Très bien !

M. Jean-Pierre Raffarin, rapporteur pour avis. Notre troisième et dernier sujet de préoccupation, c’est la protection du secret de la défense nationale.

Du fait de cette réforme, il serait possible d’accéder au secret défense ès qualités.

Bien sûr, il semble un peu subversif d’émettre des doutes quant à la légitimité de hautes autorités, juridiquement compétentes, à disposer de cette attribution ès qualités.

Néanmoins, je tiens à le rappeler : l’habilitation doit rester la procédure de droit commun. En conséquence, il ne doit être possible d’y déroger que de manière assez exceptionnelle.

M. Philippe Bas, rapporteur. C’est vrai.

M. Jean-Pierre Raffarin, rapporteur pour avis. Préserver le secret défense, c’est protéger non seulement les informations communiquées mais aussi les personnes qui en sont les détentrices. Il convient donc à la fois de protéger les messages transmis, leurs dépositaires et les institutions. Permettre un accès aux informations classées secret défense sans imposer les procédures d’habilitation pose tout de même problème. (M. Pierre Charon opine.)

Je ne ferai pas de cette question un sujet de rupture majeure. Toutefois, j’attire l’attention des uns et des autres sur ce point. J’invite en particulier M. le ministre de la défense à faire preuve de compréhension : le secret défense n’est pas une réalité banale.

Mme Christiane Hummel. C’est vrai !

M. Bruno Sido. Nous sommes d’accord !

M. Jean-Pierre Raffarin, rapporteur pour avis. On ne peut y accéder du fait d’un simple statut. Il est lié à des fonctions et il engage la responsabilité de celui qui y accède. Si un statut ès qualités est bel et bien défini, il faudra veiller à ce que les dérogations soient aussi peu nombreuses que possible.

Enfin, – ce point est, à mon sens, capital – l’efficacité de cette réforme dépendra pour une large part des moyens budgétaires et financiers alloués à l’ensemble du dispositif.

M. Alain Fouché. C’est très important !

M. Bruno Sido. Mais ça…

M. Jean-Pierre Raffarin, rapporteur pour avis. D’une part, il faudra garantir les moyens budgétaires nécessaires ; d’autre part, il faudra s’efforcer de limiter au mieux le caractère bureaucratique des procédures fixées.

Nous comprenons bien et nous approuvons les procédures proposées via le présent texte. Cependant, nous observons que tout ce dispositif va engendrer une immense organisation administrative et bureaucratique. Il faudra donc veiller attentivement au bon usage des moyens alloués et à l’efficacité des procédures.

À mon sens, cet impératif est de la plus grande importance. Il s’applique à la CNCTR, qui va exiger un certain nombre de moyens humains et budgétaires, ainsi qu’au groupement interministériel de contrôle, le GIC, dont les besoins, eux aussi, seront considérables. Il faut être conscient de tous ces impératifs.

Monsieur le Premier ministre, madame la garde des sceaux, messieurs les ministres, au bénéfice de ces observations, que nous détaillerons dans la suite de nos débats, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées donne un avis favorable à l’adoption de ce projet de loi relatif au renseignement.

À l’heure où, dans ce pays, tout le monde se sent républicain (Exclamations sur les travées du groupe CRC.), il faut donner à notre République les moyens d’assurer sa conservation ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC. – plusieurs sénateurs du groupe socialiste applaudissent également.)

M. Daniel Raoul. Le mot était un peu facile…

M. Bruno Sido. Mais il devait être dit !

M. le président. La parole est à M. Didier Guillaume. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)

M. Didier Guillaume. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame la garde des sceaux, messieurs les ministres, messieurs les présidents-rapporteurs, mes chers collègues, les précédentes interventions nous l’ont prouvé, si besoin en était : les grandes difficultés de la période actuelle exigent le rassemblement de la représentation nationale, vis-à-vis de ceux qui voudraient remettre en cause les fondements mêmes de notre République.

Voilà pourquoi, à nos yeux, le présent texte est fondamental pour nos institutions. Républicains que nous sommes (Exclamations sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.),…

M. François Bonhomme. On progresse !

M. Didier Guillaume. … nous tenons à promouvoir l’état de droit, nous défendons les libertés individuelles, et nous voulons et assumons la sécurité pour tous.

Dans ce cadre, les membres du groupe socialiste et républicain sont favorables au présent texte, qu’ils voteront.

M. Didier Guillaume. Deux de mes éminents collègues, Jean-Pierre Sueur et Michel Boutant, détailleront nos propositions, en revenant sur le travail accompli et sur les amendements que nous avons déposés.

Pour ma part, je tiens à le dire d’ores et déjà : les travaux menés par la commission, sous la houlette de M. Bas, se sont révélés de grande qualité. Ont été mises sur la table des propositions d’avancées émanant de tous les groupes. C’est sur cette base que le Sénat va devoir améliorer encore ce projet de loi. M. le Premier ministre, en ouvrant nos débats, a clairement indiqué qu’il laissait des portes ouvertes.

En outre, les sénateurs de tous les groupes se sont accordés sur un point : l’objectivité de ce projet de loi.

Malheureusement, ce texte, comme beaucoup d’autres, est devenu l’objet de polémiques et le sujet de nombreuses entreprises de désinformation, notamment de la part de personnes qui, sans doute, ne l’ont pas lu...

À cet égard, je tiens à formuler quelques rappels assez simples.

Nous ne pouvons plus laisser dire que ce texte est une loi de circonstance. C’est faux ! Faut-il rappeler les attaques terroristes de janvier, la cyberattaque menée, en avril, contre TV5 Monde ? La France a été ébranlée en janvier, elle a été secouée en avril. Ce sont nos valeurs qui ont été visées. Des Français sont morts sous les balles des terroristes, parce qu’ils étaient juifs, parce qu’ils étaient dessinateurs, parce qu’ils étaient policiers, et, tous autant qu’ils étaient, parce qu’ils représentaient la France et nos valeurs.

Face à une telle situation, il faudrait rester inactif, pour ne pas sembler suivre les circonstances ? Non. Le Gouvernement a eu pleinement raison de presser le pas. Avec tout le travail qu’il a engagé et que nous avons poursuivi, il nous demande de ne pas mollir, il nous enjoint d’agir pour protéger les Français.

Nous ne pouvons pas non plus laisser dire que le présent texte est une loi d’exception contre le terrorisme. C’est là un mensonge, un instrument de désinformation !

M. le Premier ministre l’a rappelé : il n’y aura aucune mesure d’exception. Ce texte n’est en aucun cas un Patriot Act à la française. Au reste, nous, socialistes et républicains, nous sommes toujours opposés aux lois d’exception.

Ce que nous souhaitons, c’est que cette loi soit un cadre pour notre nation, pour notre République, et une adaptation de notre droit aux outils modernes dont les terroristes, les djihadistes font usage, et dont nos services ne disposent peut-être pas totalement aujourd’hui.

Enfin, nous ne pouvons plus laisser dire que cette loi est liberticide. Ce propos est, lui aussi, un mensonge, et relève de la désinformation.

M. Bas a rappelé, à juste titre, que le Sénat a pour tradition de défendre toutes les libertés.

Pour ma part, je tiens à poser de nouveau cette question à cette tribune : qui est l’ennemi des libertés fondamentales ? Qui utilise des moyens technologiques modernes pour affaiblir nos défenses collectives ? Qui attaque nos valeurs et nos institutions ? Non les parlementaires, par leurs débats et leurs discussions, mais tout simplement ceux que nous entendons combattre : les ennemis de la France, les ennemis de la République ; ces terroristes, soldats d’une variante contemporaine de l’idéologie totalitaire.

Oui, ce sont ces ennemis que nous devons combattre. Nous ne devons pas, en refusant de riposter, laisser leurs idées gagner du terrain. La France est un grand pays, et la France doit se défendre !

M. Roland Courteau. Très bien !

M. Didier Guillaume. Le véritable enjeu, c’est bien entendu notre capacité à nous protéger tout en préservant et en garantissant les libertés. J’insiste sur ce point. Comment nous défendre contre de telles attaques sans entraver les libertés fondamentales ? Tel est le point essentiel, tel est l’équilibre que nous devons garantir.

Au demeurant, ce projet de loi est un texte d’équilibre.

Le Gouvernement, l’Assemblée nationale et la commission des lois du Sénat ont déjà apporté des réponses. Je ne doute pas que, par ses débats en séance publique, la Haute Assemblée poursuivra dans cette direction.

Nous avons besoin d’une loi-cadre définissant la mission de renseignement, pour mieux empêcher d’éventuelles pratiques arbitraires, pour garantir les droits et libertés et surtout pour donner aux services concernés des moyens modernes de renseignement, ce pour assurer la protection de tous.

Mes chers collègues, nous en sommes, comme vous tous, convaincus : les Français aiment la liberté plus que tout, mais en y joignant une exigence, celle de la sécurité. Ils demandent beaucoup de liberté, mais ils veulent que nous les protégions, que la France, que la République soient défendues.

Cette exigence de sécurité, cette garantie des libertés sont au fondement de l’équilibre atteint, via ce projet de loi, par la commission et par le Gouvernement. C’est dans ce cadre que nous devons avancer, en donnant aux services de renseignement de notre pays des techniques et des moyens modernes, à la hauteur des enjeux.

Je tiens à remercier sincèrement Mme la garde des sceaux, M. le ministre de la défense et M. le ministre de l’intérieur de leur écoute et du travail qu’ils ont accompli. Par ce texte, ils ont assuré la défense des libertés de notre République tout en agissant avec fermeté pour la protection de chacun. J’insiste sur ces enjeux.

Au cours de ces discussions, n’oublions pas notre but essentiel, notre objectif premier : renforcer notre défense, dans un contexte de guerre contre le terrorisme.

Je me réjouis que nombre de groupes de la majorité et de l’opposition aient pu se rassembler, dans le but que MM. Bas et Raffarin viennent de rappeler : défendre la République, ses institutions et ses valeurs, tout en protégeant les Français.

Oui, cher Jean-Pierre Raffarin, dans ce cadre, l’autorité de l’État sera respectée. Il faut que tous les parlementaires, quelles que soient les travées sur lesquelles ils siègent, que tous les responsables politiques, jusqu’au plus haut niveau, le disent et le répètent.

Il n’est pas question, comme on l’entend parfois encore en province, de « barguigner ». (Mme Esther Benbassa sourit.) On a toujours de bonnes raisons pour critiquer un dispositif, au motif qu’il présente telle carence ou tel excès. Toutefois, une chose est sûre : rassemblée, la France pourra l’emporter face au terrorisme, en donnant à ses services les moyens nécessaires. Divisée, la France faiblira, oubliera ses intérêts, ses valeurs et son histoire et, vraisemblablement, perdra.

Mes chers collègues, faisons vivre le débat, au cours des heures et des jours qui viennent. Agissons pour la sécurité de notre pays, en adoptant ce texte d’équilibre sur le renseignement ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme Esther Benbassa et M. Yves Détraigne applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, mes chers collègues, j’ai souvent eu l’occasion de le rappeler à cette tribune : les élus du groupe écologiste restent réservés quant au recours quasi systématique à la procédure accélérée. Les tenants de l’actuelle majorité ne se privent pas de l’employer, oubliant que, lorsqu’ils étaient dans l’opposition, eux-mêmes n’avaient pas de mots assez durs, à ce sujet, pour l’ancienne majorité,…

M. Éric Doligé. Eh oui ! Il faudrait s’en souvenir !

Mme Esther Benbassa. … laquelle, d’ailleurs, faisait de même !

De ce fait, le Parlement se trouve empêché d’accomplir son travail dans de bonnes conditions et de manière approfondie.

En son principe, l’initiative défendue par le Gouvernement, à savoir la volonté même de légiférer sur le renseignement, ne paraît, a priori, ni illégitime ni superflue.

Cela étant dit, deux questions essentielles méritent, aujourd’hui, d’être clairement posées : premièrement, le présent projet de loi répond-il réellement, concrètement aux attentes légitimes de nos concitoyens ? Deuxièmement, le détail de ses dispositions est-il bel et bien compatible avec l’esprit même de notre démocratie ?

Monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, les membres du groupe écologiste ne sont pas partis en guerre contre un texte qu’ils percevraient, en tant que tel, comme liberticide. Bien au contraire, ils s’efforceront d’être avant tout porteurs de propositions.

Les attentats de janvier ont bouleversé la France. En cet instant, je pense aux dix-sept victimes de ces attaques ainsi qu’à leurs familles. Je rends hommage aux millions de Français descendus dans la rue le 11 janvier pour crier leur indignation, leur attachement à la liberté d’expression, leur refus du racisme et de l’antisémitisme.

À nous de ne pas les décevoir. Que pouvons-nous faire, lucidement, pour éviter que cela ne se reproduise ?

La majorité actuelle a répondu aux attentats perpétrés par Mohamed Merah à Toulouse en mars 2012 par la loi du 21 décembre 2012 sur la sécurité et la lutte contre le terrorisme. Cette loi n’a pas empêché Mehdi Nemmouche d’assassiner quatre personnes au musée juif de Bruxelles le 25 mai 2014. Un nouveau texte a alors été voté en procédure accélérée le 23 novembre 2014, renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme. Deux mois plus tard, les 7 et 9 janvier 2015, nous étions confrontés aux massacres de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes.

Le tempo est donné. L’idée est d’agir vite, d’endiguer les peurs, et de parer au mieux les critiques envers les services de renseignement, qui fusent dans les médias. Le projet de loi dont nous débattons n’a pas d’autre genèse. Il viendrait, en outre, légaliser des pratiques qui ont déjà cours. Si tel était le cas, pourquoi n’ont-elles pas empêché la perpétuation des actes terroristes ? Pourquoi les légaliser si elles n’ont pas prouvé leur efficacité ? Ne peut-on se poser la même question concernant tous les textes antiterroristes antérieurs, qui, eux non plus, n’ont pas été efficaces ?

De toute évidence, le cadre répressif systématiquement privilégié dans notre lutte, certes légitime, contre le terrorisme peine à donner des résultats. Au lieu de combiner cette action répressive avec d’autres, on se contente d’empiler des textes d’inspiration identique, supposés rassurer les Français. On appelle cela une fuite en avant, de l’affichage, ou les deux !

Mais ce projet de loi va plus loin. Ne se limitant pas à la lutte contre le terrorisme, il s’immisce dans de vastes espaces de la vie sociale. Il menace d’empiéter sur nos libertés individuelles et professionnelles. Il met notre démocratie en danger. En cela, il accorde, hélas ! une victoire posthume aux terroristes eux-mêmes.

Aurons-nous seulement les moyens humains et techniques adaptés, proportionnels, pour traiter, comme le fait le Pentagone, les données massives auxquelles nos services de renseignement auront accès ?

Faut-il d’ailleurs ajouter, au passage, que la NSA elle-même a dû suspendre provisoirement son programme de collecte massive des métadonnées téléphoniques, faute d’accord avec le Sénat américain ?

On sait où commence la course au renseignement mais on ne sait pas toujours où elle aboutit. Les lecteurs du Monde daté du 31 mai ont pu découvrir, page 2, comment Paris a fourni à Berlin une technologie qui a permis aux Allemands et aux Américains de surveiller – devinez qui ! – les Français et leur industrie !

Nous faisons aujourd’hui le pari – risqué – que les gouvernements à venir seront dignes de la confiance que nous voulons bien accorder au vôtre, monsieur le Premier ministre, et qu’ils n’abuseront pas de ce texte pour nous enfermer dans une sorte de prison virtuelle, nous surveillant en permanence, au mépris de nos libertés, au mépris, tout simplement, de notre humanité.