M. Jean-Claude Lenoir. Les jésuites ne méritent pas cela, quand même !

Mme Esther Benbassa. Il fallait bien l’inventer, une telle formule, pour tenter de justifier une prorogation de l’état d’urgence, alors même que ce fameux bilan, dans le strict domaine de la lutte contre le terrorisme, est assez mince ! Sur 3 289 perquisitions administratives effectuées, seules cinq procédures concernent des faits de terrorisme, contre 202 relevant du chef d’infraction à la législation sur les stupéfiants.

Dans quelques années, lisant l’exposé des motifs de ce projet de loi, les historiens ne manqueront pas de souligner comment une tactique politique a habilement été transformée en obsession politique, contribuant au lavage de cerveau de la population, afin de la persuader que sa sécurité dépend de la prorogation de l’état d’urgence. (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Bruno Sido. Ce qui est excessif est insignifiant !

Mme Esther Benbassa. Personne n’oserait affirmer aujourd’hui que la menace terroriste est écartée. Chacun sait, sur nos travées comme dans l’ensemble de notre société, que la menace est bien réelle et qu’il faudra probablement plusieurs années pour la réduire. Devons-nous, pour autant, maintenir ce régime d’exception aussi longtemps que durera le terrorisme et conférer aux autorités administratives des pouvoirs étendus et renforcés, susceptibles de restreindre considérablement les libertés publiques ?

M. Bruno Sido. C’est terrifiant !

Mme Esther Benbassa. Nous disposons en France d’un arsenal législatif pour le moins complet, pour ne pas dire pléthorique, permettant de lutter contre le terrorisme. Cet arsenal n’a cessé d’être renforcé ces dernières années et promet de l’être un peu plus encore dans les semaines à venir, avec de nouveaux textes visant davantage à protéger les politiciens des retombées électorales d’un éventuel attentat que les Français eux-mêmes. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains et sur certaines travées du groupe socialiste et républicain.)

Je voudrais également rappeler que les conditions permettant de décréter l’état d’urgence ne visent pas spécifiquement la criminalité terroriste. En effet, les mesures de contrainte qu’il autorise ont vocation à s’appliquer à un nombre potentiellement infini de situations, puisqu’il suffit, pour décider d’une perquisition ou d’une assignation à résidence, d’exciper d’un « comportement » perçu comme « une menace pour la sécurité et l’ordre publics », pour interdire une réunion, de soutenir qu’elle est « de nature à provoquer ou à entretenir le désordre », ou, pour dissoudre une association, de démontrer qu’elle participe, facilite ou incite « à la commission d’actes portant une atteinte grave à l’ordre public ».

M. Bruno Sido. Eh oui !

Mme Esther Benbassa. Non seulement les résultats obtenus à ce jour sous le régime de l’état d’urgence ne plaident pas en faveur de sa prorogation, mais ses nombreuses dérives militent contre elle. Il est dommage, par ailleurs, que nous débattions de ce texte aujourd’hui, avant que le comité de suivi sénatorial sur l’état d’urgence ait remis un rapport de mi-parcours.

L’exécutif a plutôt le devoir de revenir à l’État de droit afin de remédier à tout ce qui fait défaut actuellement pour parvenir à éradiquer le terrorisme et de se donner les moyens nécessaires. Il est urgent de poser les bonnes questions, pour trouver des réponses plus adaptées à ce phénomène à facettes multiples que nous avons su cerner et vaincre dans le passé sans avoir eu recours à un état d’exception, et ce dans les pires moments.

Légiférer en permanence, en profitant de l’émotion d’une population endeuillée, relève de la paresse intellectuelle. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains et sur certaines travées du groupe socialiste et républicain.)

M. Bruno Sido. C’est dit avec délicatesse !

Mme Esther Benbassa. Cela impressionne peut-être les délinquants, mais pas les terroristes !

M. Michel Bouvard. Votre intervention ne nous impressionne pas !

Mme Esther Benbassa. On ne va tout de même pas proroger l’état d’urgence pour maintenir l’ordre public !

M. Urvoas, nouveau garde des sceaux, reconnaissait lui-même, lorsqu’il était président de la commission des lois de l’Assemblée nationale, que « l’arrêt de l’état d’urgence ne sera pas synonyme d’une moindre protection des Français. L’essentiel de l’intérêt que l’on pouvait attendre des mesures dérogatoires me semble à présent derrière nous. » Je ne crois pas que M. Urvoas soit un adhérent d’EELV !

M. Didier Guillaume. Il y en a de moins en moins !

Mme Esther Benbassa. C’est encore lui qui disait, il y a peu : « Stop à l’état d’urgence ! »

Si quelque chose pouvait sortir les Français de leur marasme et de leur angoisse, ce serait moins l’empilement de textes de loi à l’efficacité douteuse que la prise d’un éventail de décisions pragmatiques et opérationnelles en matière de lutte contre le terrorisme et l’émergence de quelques espoirs pour l’avenir en matière économique et sociale. Rien ne sert de les plonger dans cette ambiance obsédante, tournant autour de l’état d’urgence et de la déchéance de nationalité, mesures qui, de surcroît, enfoncent chaque jour un peu plus leurs initiateurs. Les Français veulent vivre en sécurité, en liberté et améliorer leur quotidien : sans cela, tout le reste ne sera considéré que comme une vaine entreprise – une de plus !

Mon groupe votera majoritairement contre la prorogation de l’état d’urgence. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. David Rachline.

M. David Rachline. Monsieur le ministre, vous venez une nouvelle fois devant le Parlement demander la prorogation de l’état d’urgence. Si, la fois précédente, nous n’avions guère hésité à soutenir cette demande, car les douze jours accordés par la Constitution étaient nettement insuffisants pour agir efficacement, cette fois votre requête nous paraît beaucoup moins légitime.

Comme aucun parlementaire du premier parti de France en termes électoraux ne fait partie des différentes commissions mises en place pour contrôler l’application de l’état d’urgence, nous n’avons que peu de visibilité sur le détail des mesures prises rendues possibles par cette dérogation au droit commun permise par nos textes.

Certes, vous faites état d’un certain nombre de perquisitions, de saisies d’armes, de fermetures de mosquées ou de salles de prière fortement radicalisées ; nous vous prions de faire part de nos félicitations et de notre soutien à vos services.

M. Roger Karoutchi. Jusque-là, ça va !

M. David Rachline. Mais à quoi sert l’état d’urgence lorsque des migrants sèment le chaos à Calais, soutenus par des groupuscules d’extrême gauche ? (Protestations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste et républicain.)

À quoi sert l’état d’urgence lorsque, sur les plateaux de télévision, des islamistes radicaux viennent proférer des paroles scandaleuses, le tout devant une ministre qui reste muette, alors qu’on la connaît bien virulente quand, par exemple, des parlementaires s’opposent à sa politique ?

En outre, douze lieux de culte fermés, c’est bien faible, d’autant que l’Unité de coordination de la lutte antiterroriste nous apprend que, contrairement à une idée reçue, on ne bascule quasiment jamais dans l’islam radical en pianotant seul sur son ordinateur, le facteur déclenchant étant lié, dans 95 % des cas, à un contact humain ! Dans ces conditions, ce n’est pas la fermeture de sites virtuels qui va régler la question de la radicalisation, mais bien celle de sites réels !

Certes, me direz-vous, un certain nombre de forces de police considèrent qu’il faut prolonger l’état d’urgence, car les procédures sont simplifiées, les marges de manœuvre plus grandes, etc. Cela se comprend très bien. Dans un État policier, les procédures sont toujours plus simples pour les forces de l’ordre ! Mais nous, nous défendons non pas un État policier, mais un État de droit. (Exclamations sur diverses travées.) D’autres avouent que ces facilités sont désormais utilisées à d’autres fins que la seule lutte contre le terrorisme, mais tous sont unanimes pour dire que les difficultés naissent souvent au moment de la judiciarisation de la procédure. À cet égard, le tant espéré départ de celle qui faisait office de ministre de la justice ces derniers mois fait naître un sentiment d’espoir !

Si vous entendez, comme nous, faciliter le travail des forces de l’ordre dans la lutte contre les terroristes et dans la lutte contre la délinquance tout en respectant l’État de droit et en préservant les libertés, permettez-moi de vous donner – ou plus exactement de vous redonner – quelques pistes : contrôles aux frontières, arrêt de l’accueil des migrants, politique pénale forte, expulsion des délinquants étrangers, accès aux fiches « S » élargi à l’ensemble des forces de police ! Pourquoi un officier de gendarmerie, commandant une compagnie, ne peut-il pas avoir accès à ces fiches et ne connaît-il donc même pas les personnes habitant sur son secteur repérées comme potentiellement dangereuses ?

M. le président. Il faut conclure !

M. David Rachline. Oui, je pense que la prolongation de l’état d’urgence, c’est avant tout de la « com’ », destinée à cacher votre absence d’action ou vos errements en matière de réforme constitutionnelle !

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.

M. Jacques Mézard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, faut-il proroger l’état d’urgence ? Répondre à cette question – nous le ferons, très majoritairement, de manière favorable –, c’est résoudre une équation à plusieurs degrés.

La situation est-elle la même que lors de la discussion de la loi du 20 novembre 2015 ? Pas exactement : d’abord, parce que le choc émotionnel s’est en partie estompé, ensuite parce que, deux mois et demi de mise en œuvre de l’état d’urgence, cela permet de tirer un bilan, bilan d’autant plus accessible que le ministre de l’intérieur a fait le choix de la transparence à l’égard du comité de suivi sénatorial.

Le pouvoir exécutif doit aussi nous dire et établir qu’il existe toujours un péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public.

Si le travail que nous avons réalisé au sein du comité de suivi nous permet de disposer d’éléments concrets sur le bilan de l’état d’urgence, en ce qui concerne le péril imminent, il revient au Gouvernement – et, en premier lieu, au ministre de l’intérieur –, qui dispose en l’état des renseignements de nature à étayer l’existence de ce péril imminent, de nous convaincre de celle-ci. Vous l’avez fait lors de votre intervention, monsieur le ministre, et nous n’avons pas de raison de mettre en doute la fiabilité de vos déclarations.

Ce point étant établi, la résolution de l’équation avance ; il convient ensuite de décider si la prorogation de l’état d’urgence est encore utile pour assurer la sécurité de nos concitoyens face au risque terroriste et si le maintien des procédures restreignant les libertés est proportionné audit risque.

Je comprends que, pour un gouvernement, quel qu’il soit, imaginer un nouvel attentat, un nouveau drame après la sortie de l’état d’urgence relève du cauchemar, car personne ne l’épargnerait en ce cas, et surtout pas ceux qui refusent la prorogation de l’état d’urgence.

M. Bruno Sido. Exact !

M. Jacques Mézard. Pourtant, mes chers collègues, il faudra bien sortir un jour de l’état d’urgence !

Cet exercice est difficile, en premier lieu pour le Gouvernement, dont un des objectifs, respectable au demeurant, est de rassurer l’opinion publique, tétanisée, sur tout le territoire national, par les attentats odieux et, il faut le dire, par la reprise en boucle des images à longueur de semaine par des chaînes de télévision capables de terroriser nos compatriotes jusque dans nos plus petits villages de montagne.

MM. Roger Karoutchi et Henri de Raincourt. Eh oui !

M. Jacques Mézard. Cependant, monsieur le ministre, il en est de l’état d’urgence comme de tout : sa pérennisation entraînerait sa banalisation pour l’opinion et une dérive inacceptable pour les libertés publiques. Vous risquez donc de cumuler attentats et atteinte aux libertés. C’est la dure loi de l’exercice du pouvoir !

L’état d’urgence a-t-il été efficace ? Autrement dit, les mesures administratives en découlant ont-elles prouvé leur utilité dans la lutte contre le terrorisme ?

Ces mesures, vous l’avez rappelé, ont été d’une ampleur exceptionnelle : environ 3 300 perquisitions administratives et 392 assignations à résidence ont été décidées sur l’ensemble du territoire national.

On peut raisonnablement considérer que le « stock » de perquisitions a été largement évalué, et c’est là un euphémisme. Reste à permettre ou non à l’autorité administrative d’intervenir suite à de nouveaux renseignements. Quant aux assignations à résidence, la question est plutôt de savoir dans quelles conditions il peut y être mis fin, la fin de l’état d’urgence emportant la fin des assignations à résidence.

Comme l’a rappelé notre excellent rapporteur Michel Mercier, l’état d’urgence constitue bel et bien « un régime juridique exceptionnel par les prérogatives étendues qu’il offre à l’autorité administrative », sous le seul contrôle a posteriori, ajouterai-je personnellement, du juge administratif. C’est là à nos yeux le nœud du problème et la vraie question de fond pour l’avenir.

Certes, le rapporteur a souligné, à juste titre, que l’état d’urgence « ne constitue aucunement un régime arbitraire dénué de toute voie de recours », mais, la différence fondamentale avec le contrôle de l’autorité judiciaire, c’est que le juge administratif intervient a posteriori et au fond plusieurs mois après le recours.

Dans la perspective de la recherche du juste équilibre entre sécurité et liberté, nous pouvons être sensibles à l’argumentation du ministre Bernard Cazeneuve et du rapporteur Michel Mercier et accepter la prorogation pour trois mois de l’état d’urgence, mais en disant clairement que cela ne vaut pas blanc-seing pour ce qui se passera au terme de cette prorogation.

M. Bruno Sido. Bien sûr !

M. Jacques Mézard. Il convient que, au cours de ces trois mois, soient mises en place les dispositions législatives utiles pour faciliter le travail de nos services de sécurité – et uniquement pour cela – et qu’il soit mis fin à l’état d’urgence.

Monsieur le ministre, cela ne devrait pas amener à éluder les problèmes de fond concernant les quartiers sensibles, l’économie, le pouvoir d’achat et le bilan de notre politique étrangère, laquelle n’est pas sans lien avec ce qui se passe sur notre territoire…

Nous disons fermement que les textes relatifs à ces questions, en particulier en matière pénale, doivent restituer à l’autorité judiciaire le pouvoir de garant des libertés individuelles au sens de l’article 66 de la Constitution et de l’expression initiale de la loi constitutionnelle du 3 juin 1958, ce qu’ont rappelé avec force et courage, ces dernières semaines, le Premier président de la Cour de cassation, ainsi que tous les premiers présidents de cour d’appel de France.

Nous aurons l’occasion d’y revenir lors des prochains débats sur la révision constitutionnelle et le texte portant réforme du code de procédure pénale, et je pense que la position d’une partie de notre groupe sera alors différente…

Pour l’heure, monsieur le ministre – c’est aussi une marque de confiance personnelle à votre égard –, la grande majorité du groupe du RDSE votera la prorogation de l’état d’urgence ; deux de nos collègues s’y opposeront. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur certaines travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Bruno Retailleau. Monsieur le ministre, les chiffres parlent d’eux-mêmes. Vous les avez rappelés, ils sont consternants. J’en ajouterai un que vous n’avez pas cité : le nombre des signalements a plus que doublé depuis mars 2015, pour dépasser les 8 000 cas.

La France est donc en guerre, une guerre d’un type totalement nouveau, une guerre qui ne dit pas son nom, où nos ennemis sont en civil, ont pour cible des civils qui sont leurs compatriotes, une guerre qui s’est affranchie des frontières, des champs de bataille, des codes militaires, une guerre qui ne s’achèvera pas par un armistice et ne finira malheureusement pas avec la seule éradication de Daech.

Cette guerre a surpris un Occident perdu dans des rêves de fin de l’histoire et brutalement réveillé par le retour dans l’histoire du tragique, sous sa forme la plus archaïque et la plus cruelle. C’est une guerre prétendument menée au nom d’une religion, une guerre froide peut-être aussi, inspirée par un totalitarisme, au sens que donnait à ce terme Hannah Arendt : la fusion de l’idéologie et de la terreur.

La menace est là. Elle est non seulement imminente, mais aussi permanente. Nous n’en avons donc pas fini avec cette guerre. Tout se passe comme si l’État islamique, mis en difficulté au Levant, était en train de se projeter partout sur la planète, frappant sur presque tous les continents. La liste de ses cibles est aussi étonnante qu’effrayante.

M. Charles Revet. Tout à fait !

M. Bruno Retailleau. Devant cette menace, mes chers collègues, nous ne devons pas hésiter, nous ne devons pas trembler. Nous devons être implacables, nous devons protéger les Français et la France.

Nous voterons, monsieur le ministre, cette seconde prorogation de l’état d’urgence, comme nous avions voté la première, comme nous avions voté la loi relative au renseignement ou la loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme. La majorité sénatoriale a toujours su prendre ses responsabilités. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.) Notre soutien ne vous a jamais manqué dès lorsqu’il s’est agi de protéger nos compatriotes.

Nous voterons cette reconduction de l’état d’urgence d’abord parce que nécessité fait loi, en balayant toutes les oppositions d’ordre idéologique, en considérant que la sécurité et la liberté ne sont pas des sœurs ennemies, mais plutôt des sœurs siamoises !

Nous voterons cette reconduction de l’état d’urgence avant même d’avoir voté une quelconque révision constitutionnelle.

Nous voterons ce projet de loi tel qu’amendé par le rapporteur et le président de la commission des lois, que je tiens à remercier ici.

Nous le ferons à la lumière d’une double évidence : d’une part, l’état d’urgence ne peut être que temporaire ; d’autre part, comme l’a dit dans son avis du 2 février dernier le Conseil d'État, pour faire face à une menace permanente, il faut des instruments pérennes.

M. Bruno Sido. Tout à fait !

M. Bruno Retailleau. Il importe donc d’envisager dès maintenant la sortie de l’état d’urgence.

Aujourd'hui, Michel Mercier y a fait allusion, deux textes sont sur la table : le projet de réforme du code de procédure pénale du Gouvernement et notre proposition de loi tendant à renforcer l’efficacité de la lutte antiterroriste, votée ici la semaine dernière. Permettez-moi de vous dire, monsieur le ministre, qu’entre ces deux textes, je choisis le second, parce que celui du Gouvernement est trop timide…

M. Bruno Retailleau. … en matière de répression du terrorisme : nous créons trois nouveaux délits, vous n’en créez pratiquement aucun.

En outre, la proposition de loi que nous avons adoptée est beaucoup plus exigeante et rigoureuse en matière d’application des peines.

M. Roger Karoutchi. Tout à fait !

M. Bruno Retailleau. Par exemple, sur la proposition de Michel Mercier, nous avons introduit une peine de perpétuité réelle, une peine d’interdiction du territoire non pas facultative mais systématique pour les étrangers reconnus coupables d’infraction en matière de terrorisme. Il faut rompre définitivement avec l’angélisme pénal qui a marqué les quatre premières années du quinquennat.

M. Didier Guillaume. C’est exagéré !

M. Bruno Retailleau. Évidemment, on ne gagne pas une guerre uniquement avec un arsenal juridique.

Sans même évoquer la diplomatie, à laquelle Jacques Mézard vient de faire allusion, non plus que la fragilité dont souffre parfois la coopération entre nos services de renseignement, je voudrais mettre en exergue trois lignes de front qui me semblent importantes.

La première, c’est l’Europe. Nous assistons, mes chers collègues, à l’émergence du chaos, au retour des passions nationalistes sur le continent européen. Où sont les voix qui appellent à rebâtir une Europe menacée de déliquescence, en voie de désintégration ? Je ne mésestime pas vos efforts, monsieur le ministre, mais il est urgent que l’Allemagne et la France fassent entendre une voix forte.

M. Gérard Longuet. Très bien !

M. Bruno Retailleau. La deuxième ligne de front, c’est celle de nos valeurs. Nous ne devons rien céder sur ce plan. Il faut, évidemment, rappeler systématiquement l’exigence de laïcité, refuser toute dérive communautariste en France, rétablir l’autorité de l’État sur tout le territoire, monsieur le ministre ! Aucune parcelle du territoire national ne saurait échapper à la loi de la République. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur certaines travées de l'UDI-UC.)

La troisième ligne de front, c’est l’école. Parce que nulle part ailleurs dans le monde il n’existe un lien aussi étroit entre la nation et l’école, parce que nulle part ailleurs sur la planète une importance aussi décisive n'est accordée au pacte scolaire au cœur du pacte républicain, il nous faut créer, comme Pierre Manent l’écrit si bien, une nouvelle « amitié civique ». Nous ne le ferons ni dans la médiocrité ni dans la facilité ; nous le ferons dans l’exigence, dans le mérite, dans l’effort, pour que demain, pour les jeunes Français, les mots « France », « patrie », « République » ne soient pas des termes abstraits, mais renvoient à un contenu sentimental et affectif. C’est capital !

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Bruno Retailleau. En conclusion, mon groupe votera bien sûr la prorogation de l’état d’urgence. À Stockholm, Albert Camus, recevant le prix Nobel, fit allusion à l’école de la République et à son instituteur. Celui-ci lui avait confié la mission qui est la nôtre aujourd'hui : « empêcher que le monde se défasse ». La France ne doit pas se défaire face à la barbarie ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur certaines travées de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. François Zocchetto.

M. François Zocchetto. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’émotion est déjà derrière nous, la vie quotidienne a repris son cours. Pour autant, est-ce le retour à la vie normale pour notre pays ?

Bien évidemment, nous savons que la menace terroriste est toujours aussi forte et nous devons apprendre à vivre avec, sans céder à la peur et encore moins à la panique, qui pourrait nous entraîner, par un réflexe sécuritaire, à mettre en péril nos libertés publiques. Ce serait là sans nul doute la victoire de nos ennemis, les terroristes.

L’état d’urgence, tel qu’il a été voté le 20 novembre 2015, est une mesure d’exception, qui était nécessaire. Faut-il oui ou non le proroger aujourd'hui ? Pour le savoir, il ne faut surtout pas se demander si la menace terroriste est toujours aussi forte, car la réponse est évidente et elle pourrait nous conduire à proroger très longtemps, trop longtemps, ce cadre qui doit rester une exception. Telle est d’ailleurs l’analyse du Conseil d’État sur ce projet de loi : « L’état d’urgence doit demeurer temporaire. »

Nous devons aujourd’hui savoir si nos services de police, de gendarmerie et de renseignements ont impérativement besoin que nous maintenions l’état d’urgence. D’après le Gouvernement, la réponse est oui, et le Conseil d’État partage son analyse.

Monsieur le ministre, une nouvelle fois, nous allons vous faire confiance. Je formulerai toutefois deux interrogations.

La question de la durée de la prorogation de l’état d’urgence n’a pas été évoquée jusqu’à présent. Pourtant, il faut justifier cette durée. Pourquoi trois mois et pas deux ?

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. C’est une bonne question !

M. François Zocchetto. Est-ce pour attendre le vote du projet de loi défendu par le garde des sceaux ? Pourquoi ne pas parler de l’Euro 2016, qui est présent dans tous les esprits ? Quid de cette compétition, en effet ?

La question principale, qui a déjà été soulevée, c’est de savoir quand et comment nous pouvons sortir de l’état d’urgence. L’éventualité d’un attentat commis au lendemain de la levée de l’état d’urgence ne doit pas nous conduire à rester trop longtemps en dehors du cadre de droit commun. Le moyen de sortir de l’état d’urgence sans baisser la garde, c’est de renforcer et d’actualiser notre arsenal répressif contre les terroristes.

Telle est bien la démarche qu’a choisie le Sénat dès que nous avons voté l’instauration de l’état d’urgence. Aussitôt en effet, la commission des lois s’est mise au travail, s’appuyant sur les connaissances qu’elle avait déjà accumulées, auditionnant un certain nombre d’acteurs du dispositif d’enquête et de répression, en particulier les magistrats, dont les procureurs. Nous avons proposé un dispositif qui me semble assez complet concernant l’amélioration de la chaîne pénale : accroître l’efficacité des enquêtes ; créer de nouvelles incriminations.

Nous avons ainsi créé deux incriminations très importantes : la première porte sur la consultation habituelle des sites Internet faisant l’apologie du terrorisme ; la seconde, plus importante encore à mes yeux, concerne le fait de séjourner intentionnellement sur le théâtre d’opérations de terrorisme, qui devient un délit, de façon à ne pas attendre que ceux qui en reviennent et qui sont des menaces en puissance commettent un autre délit pour que nous puissions les appréhender et les neutraliser.

C’est dans le cadre normal de l’État de droit, sous l’autorité du juge judiciaire, que nous envisageons la lutte à moyen et long termes contre le terrorisme. Monsieur le ministre, convenez qu’il s’agit d’un apport tout à fait considérable du Sénat, donc de la représentation nationale, à la lutte effective contre le terrorisme. En effet, dans la période troublée que nous connaissons, de quoi avons-nous besoin ? De symboles ou d’outils juridiques efficaces ? Probablement des deux, mais ce qui est sûr, c’est que la menace d’une déchéance de nationalité ne permettra jamais de neutraliser le moindre terroriste. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du groupe Les Républicains.)

M. François Zocchetto. Ces remarques formulées, vous aurez compris, monsieur le ministre, que notre groupe soutiendra la demande de prorogation et sera particulièrement attentif à ce que les dispositifs de suivi de l’état d’urgence puissent se poursuivre, sous la houlette de la commission des lois et de Michel Mercier. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)