Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marie Vanlerenberghe.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, voilà quelques jours, j’ai rencontré un chef d’entreprise belge lors de l’inauguration d’une nouvelle ligne de production de sa société, une boulangerie industrielle en pleine expansion. Il m’a tenu des propos très amènes, mais pas surprenants, sur l’esprit de responsabilité et de mesure des salariés français par rapport à leurs homologues belges. Il m’a imploré de ne pas l’obliger à revenir sur l’accord d’entreprise, prioritaire à ses yeux, relatif à l’organisation du travail, s’agissant notamment de la durée du travail et du travail de nuit.

Certes, il ne s’agit là que d’un avis. Mais ces propos font écho à ce qu’exprimait voilà peu M. Pierre Nanterme, président-directeur général d’Accenture, groupe mondial de conseil en technologie : « Le bon sens amène à dire qu’on ne peut pas réguler le temps de travail de la même manière dans une start-up, dans un grand groupe, dans une entreprise manufacturière ou encore pour une aide à domicile. […] Il faut fixer une butée […] et laisser la gestion des conditions de travail au plus près des entreprises. En France, nous faisons l’inverse, c’est normal que cela ne fonctionne pas ».

C’est cet appel à la liberté que le Gouvernement avait entendu, en lançant le projet de loi Travail ; je vous en donne acte, madame la ministre. Néanmoins, en n’organisant pas suffisamment en amont la concertation avec les partenaires sociaux – cela a été souligné –, en n’expliquant pas assez tôt ni assez en détail la philosophie du texte, le Gouvernement a laissé s’exprimer les peurs les plus diverses, et il a engagé notre pays dans une crise sociale importante.

Je ne parle pas ici de ceux qui refusent le changement au nom de leur idéologie. (M. Dominique Watrin s’esclaffe.) Je ne parle pas non plus de ceux qui essaient de bloquer le pays en manipulant des salariés qui ne sont pas concernés par le projet de loi.

Mme Éliane Assassi. Oh ! Ils sont très forts… (Sourires sur les travées du groupe CRC.)

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Je parle de tous les autres, notamment des membres de ce que j’appellerais la « gauche déboussolée ».

Madame la ministre, en raison du rejet du texte par une partie de votre majorité, vous n’avez pas souhaité poursuivre les débats à l’Assemblée nationale. C’est votre droit. Mais vous ne pouvez pas recourir au 49.3 au Sénat. Nous aurons donc deux semaines de discussions ; j’espère qu’elles seront profitables.

M. Didier Guillaume. C’est vraisemblable… (Sourires sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. La majorité sénatoriale a d’ailleurs décidé d’adopter une démarche réformiste. Elle prendra le temps d’expliquer ce qu’elle a retenu et ce qu’elle a rejeté de votre projet initial. Elle indiquera sa vision de l’organisation du travail dans notre pays.

J’espère que vous saurez nous entendre. À l’instar de Laurent Berger, le secrétaire général de la CFDT, et de l’ensemble des syndicats réformistes, nous pensons qu’il faut faire évoluer le code du travail pour qu’il « reste protecteur face aux changements des emplois et du travail ».

M. Olivier Cadic. Très bien !

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Avant d’aller plus loin dans l’analyse du texte, je tiens à saluer l’immense travail de nos rapporteurs, MM. Jean-Baptiste Lemoyne, Jean-Marc Gabouty et Michel Forissier,…

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. … et celui de la commission des affaires sociales en général.

M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. Tout à fait.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Le texte présenté au Sénat était loin d’être satisfaisant, y compris d’un point de vue technique. Les conséquences des renoncements et des concessions accordées çà et là pour calmer telle ou telle catégorie se mesuraient au travers de ces imperfections.

En procédant ainsi, le Gouvernement s’est éloigné de l’esprit de son avant-projet, qui allait pourtant dans le bon sens. C’est la volonté de revenir à cette première intention qui a guidé les travaux des rapporteurs ; ils l’ont rappelé tout à l’heure. Il s’agit de définir ce qui, en droit du travail, relève de la loi, de l’accord de branche ou de l’accord d’entreprise.

Je salue également le rapport que ma collègue Annick Billon a fait au nom de la délégation aux entreprises. Ce document très éclairant justifiera un certain nombre d’amendements constructifs.

Je voudrais aussi évoquer plusieurs dispositions du texte, qui me semblent parmi les plus importantes. Olivier Cadic précisera la position de notre groupe sur d’autres aspects tout aussi essentiels.

L’article 2 illustre, pour ce qui concerne la durée du travail, les trois niveaux de décision, en plaçant prioritairement la négociation au cœur de l’entreprise et, à défaut, de la branche. Je salue cette avancée, qui va dans le sens d’une meilleure prise en compte de la diversité du monde du travail d’aujourd’hui.

Notre groupe soutiendra donc l’amendement, négocié avec les rapporteurs, visant à fixer, en cas d’absence d’accord, la durée de travail de référence dans une fourchette dont la limite supérieure ne peut pas excéder 39 heures, sans perte de pouvoir d’achat pour les salariés, ce que prévoit l’alinéa 745 de l’article.

J’ai d’abord cru que l’article 10 consacrait la validation d’un accord par des organisations syndicales représentant plus de 50 % des salariés ; cela paraissait de bon sens. Malheureusement, on m’a convaincu qu’en l’état du dialogue social dans certaines entreprises, cela aurait pour conséquence de bloquer ces accords. Il faudra pourtant y parvenir ; je ne conçois pas qu’un accord puisse être durablement adopté par une minorité des salariés, même en l’absence d’opposition majoritaire. Notre groupe soutiendra donc l’amendement, négocié lui aussi avec les rapporteurs, tendant à établir un calendrier de révision de cet article.

Je crois ensuite que les accords de développement de l’emploi prévus à l’article 11 ne doivent pas s’accompagner d’une baisse des salaires. Si celle-ci peut se comprendre dans le cadre d’accords défensifs, lorsque l’entreprise connaît des difficultés et qu’il faut tout mettre en œuvre pour lui permettre de survivre et de sauver des emplois, elle ne se justifie pas lorsqu’il faut conquérir de nouveaux marchés pour se développer. Les salariés doivent prendre leur part de l’effort, mais rien que leur part.

Je voudrais également évoquer la garantie jeune, prévue à l’article 22. Le Gouvernement a choisi de la généraliser et de la rendre universelle.

M. Didier Guillaume. Et il a raison !

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Pourquoi tant de précipitation, sinon pour tenter de calmer la grogne d’organisations syndicales étudiantes ? Encore une fois, ce sont de mauvaises raisons qui ont poussé ce gouvernement à vouloir aller trop vite.

Plusieurs départements expérimentent ce dispositif, qui est intéressant et qui peut devenir un outil efficace de lutte contre le chômage de certains jeunes très éloignés du monde du travail. En faire une allocation universelle le détournerait de sa vocation originelle, qui mêle accompagnement personnalisé…

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. … et dynamique collective.

Mme Nicole Bricq. Mais c’est une bonne chose !

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Attendons le bilan de cette expérimentation et le retour d’expérience des missions locales pour améliorer cet outil et nous assurer de son succès.

Madame la ministre, mes chers collègues, il ne faut pas avoir peur de l’entreprise. Les employeurs ne martyrisent pas les salariés, et ces derniers ne sont pas irresponsables. Nous ne pouvons pas nous permettre une vision aussi manichéenne, fondée sur la lutte des classes. Sortons de cette culture de l’affrontement ; nous savons qu’elle ne mène à rien ! Les entreprises sont des communautés humaines. Il faut leur donner les moyens de s’organiser dans un cadre à la fois souple et protecteur.

Je me réjouis donc qu’un vent de liberté souffle sur l’économie française. Je vous invite tous à faire preuve de mesure, mes chers collègues. Pour construire une société plus juste, cultivons les vertus essentielles du dialogue et de la négociation. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Amiel.

M. Michel Amiel. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, avant d’en venir au texte, je voudrais évoquer le contexte.

Jamais la parole publique n’a été frappée d’autant de suspicion, qu’elle soit portée par les politiques, les syndicats ou l’État ! Il s’agit en réalité d’une remise en question de la démocratie représentative, alors que le référendum devient une nouvelle « passion française », pour reprendre le titre d’un grand quotidien, et que certains voudraient consulter le peuple par voie référendaire pour un oui ou pour un non.

Curieusement, ce sont les mêmes qui s’opposent à la primauté des accords d’entreprise – au motif, bien réel, qu’ils affaiblissent les corps intermédiaires – sur les accords de branche.

C’est dans ce contexte de crise de la démocratie que, à mon sens, trois erreurs ont été commises.

La première, celle du calendrier, a consisté à sortir un texte plutôt libéral à un an des élections nationales, comme pour prouver que la famille de gauche, à laquelle j’appartiens, était capable de réformer, de proposer un nouveau contrat social. Peut-être eût-il fallu le faire quatre ans plus tôt !

La deuxième a été l’absence de travail pédagogique à destination du citoyen sur un sujet aussi complexe que le code du travail, souvent affaire de spécialistes, alors qu’il concerne chacun des travailleurs.

La troisième erreur a été le passage en force, grâce au 49.3, à l’Assemblée nationale. Tout a été dit à ce sujet.

Le débat aura au moins lieu au Sénat, même si ce n’est finalement pas pour grand-chose…

M. Michel Amiel. Dans ces conditions, que dire du texte lui-même ?

Je ne pourrai pas aborder l’ensemble des dispositions dans les quelques minutes de temps de parole dont je dispose. J’ai donc fait le choix de donner un coup de projecteur sur quelques points. Je le rappelle, ce texte, qui contenait initialement 52 articles, a doublé de volume depuis.

J’évoquerai d’abord l’article 2, objet de toutes les polémiques. Disons-le tout de suite, la durée légale du temps de travail à 35 heures était maintenue dans le texte issu de l’Assemblée nationale.

Auparavant de dix heures, la durée maximale de travail par jour pouvait être portée à douze heures en cas d’augmentation de l’activité de l’entreprise ou pour des motifs d’organisation.

De même, la durée maximale de travail hebdomadaire de 48 heures par semaine pouvait être portée à 60 heures, mais cette augmentation devait être autorisée par l’inspection du travail et ne pouvait être appliquée qu’en cas de circonstances exceptionnelles. La possibilité de passer à une moyenne hebdomadaire de travail à 46 heures, au lieu de 44 heures, sur une période de douze semaines consécutives nécessitait un accord d’entreprise.

La commission des affaires sociales a voulu aller plus loin en revenant à une durée légale du travail fixée à 39 heures, faute d’accord d’entreprise. Je ne la suivrai pas.

L’article 2, qui est au cœur des débats, a été rédigé sur la base des recommandations du rapport de Jean-Denis Combrexelle. Il réorganise selon une architecture ternaire les dispositions du code du travail relatives à la durée du travail et aux congés payés. Afin de consacrer le rôle de la négociation d’entreprise, il distingue le champ de l’ordre public, qui ne peut être modifié que par accord, de celui de la négociation collective, chargée de fixer des règles adaptées aux besoins et aux contraintes propres à l’entreprise et à ses salariés. Enfin, il détermine un cadre supplétif applicable en l’absence d’accord.

Alors, oui, il me paraît logique que les entreprises, qui se trouvent au plus près de telles problématiques, soient les plus à même de pouvoir trouver et mettre en place des solutions. Mais je souhaite vivement que cette marge de manœuvre nécessaire à leur meilleur fonctionnement puisse demeurer encadrée, afin de ne pas ouvrir la porte au dumping social. Il ne s’agit bien évidemment pas d’avoir un droit du travail pour chaque cas particulier !

Je voudrais brièvement aborder l’article 44 du texte, qui concerne la médecine du travail.

La santé et le bien-être au travail sont des questions primordiales ; les derniers débats que nous avons eus dans cet hémicycle à propos du burn-out l’ont encore démontré.

Le projet de loi que nous examinons aujourd’hui n’y consacre pourtant qu’un seul article, alors qu’une loi dédiée semblerait bien plus appropriée, voire indispensable, vu la pénurie criante de médecins du travail. Il convient d’engager une réflexion sur les pratiques avancées des professions paramédicales susceptibles de réaliser les visites de prévention – infirmières, psychologues…–, et ce dès l’embauche, mais aussi les visites de suivi, tout au long de la carrière professionnelle.

En attendant, même si la visite d’aptitude réalisée par un médecin, et pas seulement lors de l’embauche, reste bien évidemment la solution idéale, le pis-aller que constitue une visite d’information et de prévention me paraît acceptable avant cette loi plus globale que j’appelle de mes vœux.

Rappelons qu’il y va de la santé et du bien-être de la personne sur les lieux du travail, mais aussi de la responsabilité de l’employeur, voire du médecin !

Tout le monde est d’accord pour dire que l’apprentissage n’est pas considéré en France et qu’il constitue souvent un choix par défaut. Je me félicite des mesures proposées non seulement dans le texte du Gouvernement, mais aussi dans certains amendements : ouvrir l’accès à l’apprentissage dès quatorze ans ; l’élargir jusqu’à trente ans ; favoriser les passerelles entre l’éducation nationale et le monde de l’entreprise ; simplifier la collecte de la taxe d’apprentissage.

Le climat actuel et le calendrier politique me laissent assez circonspect. Je le dis sans arrière-pensée : l’utilisation du 49.3 sur ce projet de loi n’était probablement pas opportune.

Madame la ministre, la forme est aussi importante que le fond !

Si je partage bien des points du texte qui nous est proposé, le manque de pédagogie et l’usage du 49.3 me pousseraient volontiers à en demander le retrait, même si ce n’est pas pour les mêmes raisons que celles de la rue. À défaut d’écouter le peuple, écoutez au moins ses représentants ! Si le Gouvernement ne peut engager sa responsabilité sur le vote du projet de loi devant le Sénat, on sait parfaitement quel sera le devenir du texte, amendé, quand il retournera à l’Assemblée nationale !

Pour ma part, étant à la fois d’accord sur bien des dispositions du texte initial de l’Assemblée nationale et opposé aux durcissements que semble vouloir lui imposer le Sénat, je voterai contre la version qui nous est soumise, tout comme la majorité des membres du RDSE. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe écologiste, du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Cadic.

M. Olivier Cadic. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, la France est isolée.

C’est un constat difficile à admettre. Pourtant, c’est la triste réalité. Nous sommes le dernier grand pays européen à ne pas réussir à engager les réformes nécessaires pour simplifier le droit du travail. Nous refusons de nous donner les moyens d’être à la hauteur du potentiel de notre économie.

Entre mi-2013 et mi-2015, la France a créé 57 000 emplois dans le secteur privé. C’est huit fois moins que l’Allemagne, dix fois moins que l’Espagne et cinq fois moins que l’Italie ! En revanche, notre pays a créé 200 000 emplois publics sur des postes de fonctionnaire ou des contrats aidés.

Le Président de la République se réjouit de nos résultats. Il inverse la formule de Talleyrand pour en faire : « Quand je me regarde, je me console ; quand je me compare, je me désole ! » (Sourires sur les travées de l'UDI-UC.)

Quelle est la différence entre nos voisins et la France ? Leur capacité à réformer et à s’adapter au monde d’aujourd’hui.

Certains ont compris la nécessité de réformer notre droit du travail.

Je veux saluer la démarche de nos trois rapporteurs, MM. Jean Baptiste Lemoyne, Jean-Marc Gabouty et Michel Forissier. Ils ont eu à cœur de simplifier le texte, de le rendre plus juste, plus équilibré. Je ne reviendrai pas sur les nombreuses avancées qu’ils ont permises. Comme l’a souligné mon excellent collègue Jean-Marie Vanlerenberghe, les membres du groupe de l’UDI-UC ont soutenu leur approche en commission. Mais nous pouvons et nous devons encore aller plus loin, pour prétendre installer un environnement social compétitif.

En matière de législation sociale, nous avons un double problème : le poids de la réglementation et l’absence de dialogue social constructif ; d’ailleurs, le premier est la conséquence du second.

En effet, c’est une solution propre à la France que de chercher à prévoir et à inscrire dans la loi ou le règlement tous les cas possibles. Le résultat, c’est un code du travail de plusieurs milliers d’articles, devenu illisible et instable du fait des changements permanents et des interprétations contradictoires. Notre droit du travail est vite devenu incompréhensible pour les PME. Il l’est désormais aussi pour les grandes entreprises, pourtant pourvues de solides directions des ressources humaines.

L’épaisseur du code vient ainsi de l’incapacité des acteurs du dialogue social français à s’accorder, préférant s’en remettre à l’État.

Parmi les neuf priorités du pacte fondateur de l’UDI, nous souhaitons définir les négociations entre les partenaires sociaux à l’échelon de l’entreprise.

À la fin de l’année 1973, quelques mois avant son élection à la présidence de la République, Valéry Giscard d’Estaing définissait son libéralisme avancé.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Cela n’a pas marché !

M. Didier Guillaume. C’était il y a quarante ans !

M. Olivier Cadic. Il déclarait ceci : « Pour moi, être libéral, c’est être partisan d’une évolution politique, économique et sociale, fondée […] sur le transfert aux individus isolés ou organisés des responsabilités de décision, de comportement et de choix ».

Dans cet esprit, à l’UDI, nous croyons que la solution réside dans la détermination des règles au plus près du travail et de l’activité.

C’est la raison pour laquelle, l’an dernier, lors de l’examen de la loi Macron, nous avions déposé un amendement visant à inverser la hiérarchie des normes. La loi doit se contenter d’énumérer les grands principes et d’encadrer la discussion, le reste devant être de la responsabilité des partenaires sociaux.

Il faut simplifier, aller à l’essentiel, à ce qui doit être le socle commun de règles ne pouvant pas faire l’objet de dérogations, et laisser le reste à la négociation collective.

Ce principe de simplification devra guider les travaux de la commission instituée par l’article 1er du projet de loi.

Avec plusieurs collègues de l’UDI, nous proposons des amendements allant dans le sens de la simplification, afin d’éviter de « surtransposer » les directives européennes.

Par exemple, les mesures ajoutées au chapitre Ier bis qui se limitent à certaines discriminations ne semblent pas aller dans le sens de la simplification. Des dispositions en la matière existent déjà dans le code pénal. Il nous paraît inutile de les dupliquer dans le code du travail. Nul besoin d’ajouter des règles au niveau de l’entreprise ; nul besoin de compliquer les choses !

Nombreux sont ceux, par exemple, qui constatent et déplorent les effets néfastes des seuils sociaux. Le droit du travail français a ajouté une multitude de nouvelles règles applicables aux entreprises à chaque passage de seuil. La conséquence est que la plupart freinent leur activité et le recrutement pour éviter d’augmenter leurs effectifs ! (Protestations sur les travées du groupe CRC.)

En attendant de pouvoir éliminer cette exception française, nous proposerons d’adopter les seuils équivalents aux TPE et PME communautaires, soit 50 et 250, pour remplacer les nombres de 20 et 100 adoptés en commission.

Il faut également retirer les entraves à la compétitivité de nos entreprises. La viabilité de certaines entreprises dépend du travail le dimanche, jour de forte consommation, et du travail de nuit, pour assurer la continuité de l’activité économique. (Protestations sur les travées du groupe CRC. – Mme Marie-Noëlle Lienemann s’exclame également.)

Mme Cécile Cukierman. Et le travail des enfants ?

M. Olivier Cadic. Nous ferons donc des propositions en ce sens.

Nous parlerons beaucoup de médecine du travail. Quel beau pays que la France ! Chaque année, une femme de ménage doit faire autant de visites médicales qu’il y a de particuliers qui l’emploient. Dans le même temps, l’éducation nationale, premier employeur de France, ne dispose pas d’une médecine du travail.

Nous avons « la France pour patrie », « l’Europe pour frontière » et « le monde pour horizon », expliquait Jean-Louis Borloo lors de la fondation de l’UDI.

Nous devons adapter notre code du travail aux réalités économiques du monde qui nous environne, pour assurer notre compétitivité et faciliter l’embauche. Notre code n’incite pas les entreprises à embaucher. Ces dernières préfèrent le sous-emploi, la sous-production plutôt que le risque de ne pouvoir licencier si les résultats ne sont pas au rendez-vous.

La France est le dernier pays de l’OCDE à permettre au juge de vérifier la réalité du licenciement économique, en analysant les résultats du groupe au niveau international. En limitant ce pouvoir au niveau national, le Sénat élève la France à la place de dernier ex aequo avec l’Italie. Il faudra bien un jour que le motif de la réorganisation d’entreprise soit affranchi de l’interprétation du juge, à l’instar de ce qui existe dans les autres pays !

Le plus inquiétant est cette hystérie syndicale. (Marques d’indignation sur les travées du groupe CRC.)

Mme Éliane Assassi. Et les hooligans qui cassent tout à Marseille ?

M. Olivier Cadic. Elle cherche régulièrement à bloquer le pays et donne une image déplorable de notre pays, à l’heure où le monde nous regarde à la faveur de l’Euro de football.

Pour s’attirer les bonnes grâces des syndicats, le Gouvernement a déjà vidé le texte initial de son contenu réformateur, et il leur a accordé de nouveaux droits.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. C’est Thatcher qui nous parle !

M. Olivier Cadic. Le plus scandaleux, c’est la possibilité offerte aux syndicats, à l’article 18, de se servir officiellement dans la caisse des comités d’entreprise. (Exclamations sur les travées du groupe CRC.)

Je forme le souhait que l’on trouve le courage de ne pas céder aux corporatismes ni au défaitisme et que l’on tourne le dos au dogmatisme, pour choisir le pragmatisme. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Pragmatiques, les sénateurs le sont ! Nous allons débattre pendant deux semaines d’un projet de loi qui n’a presque aucune chance d’être définitivement adopté dans sa version issue du Sénat.

M. Olivier Cadic. Le Gouvernement campera sur ses positions et cédera probablement encore un peu de terrain pour acheter la paix sociale.

M. François Marc. C’est Giscard à la barre !

M. Olivier Cadic. Ces renoncements, ces calculs politiciens ne dureront plus longtemps. Chaque jour qui passe est un jour de moins pour ce gouvernement. Nous aurons donc un débat d’idées, qui, j’en suis convaincu, sera suivi d’effets dans moins d’un an.

Mme Éliane Assassi. M. Cadic est en campagne !

M. Olivier Cadic. Mes chers collègues, chaque matin, 180 000 compatriotes quittent la France pour aller travailler en Suisse. Ils quittent ce code du travail au profit de celui-ci ! (L’orateur brandit successivement les codes du travail français et suisse.)

Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Olivier Cadic. Si nous parvenons à faire ressembler le premier au second, nous aurons commis un choc de simplification ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains. – Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Bricq. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Mme Nicole Bricq. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, il faut le reconnaître, depuis plusieurs semaines, le pays vit sous tension.

Certains secteurs, au demeurant peu ou pas concernés par le texte dont nous débattons, ont été ou sont encore en grève. Sans contester la réalité de ces mouvements sociaux, force est de constater qu’ils n’ont pas eu les effets escomptés. (Mme Éliane Assassi s’esclaffe.)

D’ailleurs, il est assez original que ces mouvements aient lieu au moment même où le patronat et la droite considèrent que le projet du Gouvernement est vidé de son contenu. Un observateur rationnel ne peut que s’étonner de cette contradiction : si le texte n’a plus de substance, il ne devrait plus déranger ceux qui manifestent contre lui !

Je ne veux pas m’attarder sur cette contradiction. Je préfère indiquer d’emblée les deux raisons essentielles pour lesquelles le groupe socialiste soutient le texte du Gouvernement.

Premièrement, nous le savons bien, dans une économie ouverte et mondialisée, il est impératif de prendre la mesure du moment, de façon responsable. Notre économie a besoin de souplesse et de réactivité.

Deuxièmement, nous devons parallèlement accompagner, voire anticiper les mutations du travail, dans le souci constant d’assurer la meilleure protection à celles et à ceux qui vivent ces mutations aujourd’hui et qui les vivront plus encore demain.

Nous savons que nous y arriverons en accroissant les moyens mis en œuvre pour la formation professionnelle, en élargissant son volume et sa qualité. Le Gouvernement en a pris la mesure voilà quelques années déjà.

Nous y arriverons également en permettant l’innovation sociale, en tenant compte des réalités du monde du travail, en appréhendant les aspirations des jeunes, qui n’ont pas le même rapport à l’entreprise que leurs parents et qui paient aujourd’hui le prix fort, très fort de la flexibilité. Ces jeunes bâtissent leur trajectoire de vie de manière plus indépendante. Il n’est que de voir le nombre de jeunes qui créent leur entreprise et qui passent d’un statut à l’autre !

Cet enjeu de l’individualisation du travail ne me semble pas pouvoir être assimilé purement et simplement à une pratique néolibérale. Bref, nous avons à passer du XXe siècle au XXIe siècle. Ne regardons pas dans le rétroviseur !

M. Didier Guillaume. Très bien !

Mme Nicole Bricq. C’est à la hauteur de cette ambition que je veux resituer le projet de loi.

Madame la ministre, vous portez avec détermination ce texte qui s’inscrit dans l’histoire des socialistes, notre histoire. Votre nom prendra rang dans la lignée des grandes réformes sur le travail de ces trente-cinq dernières années. Je pense aux lois Auroux de 1982, et à la loi défendue en 1998 par Lionel Jospin et Martine Aubry.

Chaque fois que les socialistes ont pris les responsabilités dans notre pays, ils ont affronté la réalité du travail. Pour nous, pour vous, madame la ministre, le travail est une valeur cardinale de la société française. Chaque fois, les socialistes ont ouvert de nouveaux droits pour les salariés et pour tous ceux qui aspirent à mener une vie digne au travers de leur activité et de leur travail.

La période actuelle est décisive. C’est celle de la révolution du travail. Si nous ne bougeons pas, c’est le modèle social qui se délitera. Qu’il y ait des freins, cela me paraît normal. C’est pour cela qu’il faut apporter à la réforme un soutien sans faille, d’autant que la mutation du travail est à l’œuvre depuis les années 1970.

Combattre le chômage sans prendre en compte les évolutions du travail serait une grave erreur historique.

Je veux aussi resituer le projet de loi dans la cohérence du quinquennat de François Hollande.