M. Vincent Capo-Canellas. Oh là ! L’exercice promet d’être difficile ! (M. Olivier Cadic sourit.)

Mme Nicole Bricq. Très tôt, dès 2012, celui-ci a mis au centre des décisions des gouvernements successifs la compétitivité des entreprises et la démocratie sociale. Depuis 2012, ce sont les deux piliers de l’action gouvernementale.

François Hollande a d’abord, et très tôt, parié sur le vecteur des négociations nationales. Ce furent les deux accords nationaux interprofessionnels, les ANI, qui se sont succédé dans le temps. Ils ont été transcrits dans deux lois distinctes. Ce faisant – c’est notre singularité par rapport à nos voisins européens –, de nombreux accords de branche et d’entreprises, près de 40 000 par an, ont eu lieu.

Il faut le reconnaître, le dialogue social national a buté. L’échec de l’ANI sur la modernisation du dialogue social, les partenaires n’ayant pas trouvé les voies du compromis, a conduit le Gouvernement à reprendre la main. Ainsi, avec la loi portée par François Rebsamen, c’est le Gouvernement qui a pris l’initiative, les partenaires sociaux n’ayant pas voulu se saisir du thème du dialogue social. Il ne faut donc pas s’étonner qu’ils n’aient pas voulu se saisir de ce texte.

Au demeurant, j’ai noté la volonté de la droite d’aller à l’encontre de la loi Rebsamen. Il est vrai que la gauche contestataire ne l’avait pas non plus votée. Ce n’est pas vraiment étonnant. Les syndicats n’ont pas tous la même vision des évolutions à mener pour conserver le modèle social français. Les divisions patronales ne sont pas moindres.

Dans ces moments de responsabilité, la situation n’est jamais facile pour nous, socialistes. L’équilibre entre le changement par la loi et le changement par la négociation a toujours été notre préoccupation. Nous avons toujours voulu donner droit à la démocratie sociale.

La droite n’a pas ce problème, puisqu’elle veut au contraire s’en affranchir. Il est d’ailleurs symptomatique que, à la fin de son quinquennat, Nicolas Sarkozy ait dénoncé très frontalement ce qu’il décrit comme le « conservatisme des partenaires sociaux ». Il a récidivé en 2014, à Lambersart, commune de l’agglomération lilloise, alors qu’il était à cette époque président de l’UMP. Et les candidats à la primaire s’en donnent à cœur joie. L’un veut réformer le code du travail par ordonnance. Les deux autres veulent obliger les délégués syndicaux à passer 50 % de leur temps sur leur poste de travail. La droite sénatoriale fait écho à cette volonté. Nos rapporteurs ont supprimé l’augmentation de 20 % du temps consacré à la délégation syndicale accordée par le projet de loi.

Pour notre part, nous misons sur le fait que, pour répondre aux nouvelles responsabilités du dialogue social, les délégués syndicaux devront être mieux formés et plus présents auprès des salariés. Nous ne sommes donc pas d’accord.

Nous n’avons pas la même vision de l’entreprise. Lors de l’examen de la loi Macron, nous avions déjà eu le même débat dans cet hémicycle.

La droite confond trop souvent l’entreprise avec l’employeur. Nous considérons l’entreprise comme un collectif humain – nous nous retrouvons à cet égard, monsieur Vanlerenberghe – qui s’intègre à un territoire et à un secteur d’activité, qui affronte la concurrence et qui doit donner à ses salariés les conditions de travail les plus attractives possible, pour qu’ils s’y sentent bien.

Il est prouvé qu’un bon dialogue social dans l’entreprise, au plus près des réalités, est un facteur de compétitivité.

La droite a ses totems. Je pense notamment à la suppression de l’horaire légal, qui fait l’objet d’un amendement. Toutefois, je préfère m’attarder sur quelques outrances.

En proposant de remonter les seuils sociaux, la droite fait croire à tort que le dialogue social est une entrave à l’emploi. Sait-elle qu’en Allemagne et en Suède – ces pays sont souvent cités (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) –, il existe des seuils sociaux inférieurs aux nôtres pour la mise en place d’un comité d’entreprise ou d’un comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, un CHSCT ?

Par ailleurs, son hostilité à toute interférence syndicale dans le cadre du dialogue entre le chef d’entreprise et les salariés est encore une fois un marqueur de sa culture, dominée par la défiance à l’égard d’une représentation encore à construire, particulièrement dans les petites entreprises.

Monsieur Lemoyne, c’est vrai que vous faites preuve d’une plus grande subtilité à propos de l’article 2, mais le résultat est le même. Vous démolissez la finalité de cet article, qui focalise aussi les contestations à gauche, en supprimant, à l’article 10 – un texte se considère dans sa globalité, et non pas « en tranches » –, le principe de l’accord majoritaire à 50 %, qui constituait pourtant depuis 2008 le dénominateur commun à toutes les organisations syndicales. Au passage, vous remettez les clés du référendum au seul employeur.

Là encore, la défiance l’emporte, et le conservatisme triomphe. C’est précisément parce que nous ne voulons pas que l’employeur décide seul que nous voulons donner plus de place à la négociation dans l’entreprise ; c’est aussi un facteur de vitalité syndicale.

Vous rompez avec l’équilibre du texte s’agissant de la négociation dans l’entreprise. Vous voulez à la fois moins de règles et moins de droits. Pour notre part, nous voulons que la loi constitue un socle fondamental des règles et des droits, tout en autorisant leur construction par l’implication des acteurs concernés, au plus près de leurs aspirations.

Les salariés exerceront mieux leur contrôle sur la représentation syndicale au niveau de l’entreprise. Ce texte, qui a été diffusé auprès d’un large public, constitue un exercice démocratique, puisqu’il s’agit de mettre en phase la démocratie politique et la démocratie sociale.

La démocratie politique – je le dis à mes collègues qui comptent sur les manifestations pour nous faire reculer –, c’est celle qui s’exerce dans la vie parlementaire. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe CRC.)

La droite sénatoriale fait comme si nos collègues socialistes n’avaient pas travaillé à l’Assemblée nationale, aboutissant à l’adoption de 761 amendements, qui ont modifié le projet de loi transmis au Sénat. Elle a nié ce travail, en cherchant à limiter considérablement le compte personnel d’activité, qui constitue un formidable outil de sécurité professionnelle et, bien au-delà, d’émancipation individuelle. Elle a refusé aux jeunes qui n’ont rien, aucun soutien, aucun filet de sécurité, la garantie qu’ils seront tous accompagnés dans leur parcours professionnel et leur entrée dans la vie active. Elle a remis en cause le compromis sur les licenciements collectifs trouvé à l’Assemblée nationale.

Avec la réécriture sénatoriale, il suffira désormais d’une seule condition pour engager ces licenciements collectifs, alors que les députés avaient choisi des conditions cumulatives et que la jurisprudence appréciait un « faisceau d’indices ». Nous y reviendrons lors de la discussion des articles.

Certains souhaitent d’un air apitoyé aux membres du groupe socialiste bien du courage. Je veux les rassurer : depuis quatre ans, nous n’en avons jamais manqué !

M. Didier Guillaume. Il en faut !

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Oh oui ! Vous pouvez le dire ! (Sourires sur les travées du groupe CRC et du groupe écologiste.)

Mme Nicole Bricq. D’autres, condescendants ou faussement compassionnels, considèrent l’exercice sénatorial comme un exercice de style. Libre à eux de penser ce qu’ils veulent ! De notre côté, nous soutiendrons notre ministre. Nous mènerons avec elle un travail pédagogique sur cette réforme, qui se heurte à des obstacles culturels – je peux le comprendre – et idéologiques, chacun se faisant sa propre représentation du monde et ayant ses propres pratiques. Nous sommes lucides : ces obstacles sont réels et ce sont souvent les plus difficiles à surmonter.

Passer d’une culture du conflit à une culture de l’engagement n’est pas simple. Il est tellement plus confortable de se réfugier dans les conformismes habituels que de construire de nouvelles normes et de nouvelles références.

Entre ceux qui veulent démolir notre modèle social et ceux qui ne veulent rien changer, la voie est étroite. Raison de plus pour s’y engager, au travers du triple mouvement offert par le projet de loi : dialogue social, sécurité professionnelle et élargissement des compétences.

Je vous invite donc à débattre et à confronter nos arguments. Nous serons présents tout au long de ces quinze jours pour soutenir ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. Didier Guillaume. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à Mme Aline Archimbaud.

Mme Aline Archimbaud. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, Jean Desessard a bien exprimé la position générale du groupe écologiste sur ce projet de loi. Pour ma part, j’insisterai sur trois points précis, même si d’autres sujets auraient également mérité d’être évoqués.

La première version du texte présentait des réformes très problématiques, mais elle contenait quelques bons dispositifs. Le texte issu de la commission en a malheureusement fait disparaître un certain nombre.

J’évoquerai tout d’abord la disposition qui figurait à l’article 23 et visait à généraliser la Garantie jeunes, pour le moment à l’état d’expérimentation. Je ne comprends d’ailleurs pas pourquoi le Gouvernement a inséré cette mesure dans un texte aussi peu consensuel.

Ce dispositif, qui repose sur le principe du donnant-donnant, fonctionne très bien. Cela nous a été rapporté à la fois par les missions locales qui le gèrent et par les jeunes qui en bénéficient. Alors que, selon les chiffres de 2012, 15 % des jeunes de notre pays, soit 2 millions de jeunes de quinze ans à vingt-neuf ans, ne sont ni étudiants, ni en formation, ni actifs, n’est-il pas temps de leur envoyer un signal fort ?

La Garantie jeunes est ce signal fort. Il serait vraiment dommageable que le Sénat ne valide pas cet article et ne saisisse pas l’occasion qui lui est ainsi donnée pour s’adresser aux jeunes.

Ce contrat repose à la fois sur la confiance et l’exigence. Il rend estime de soi et autonomie. Il crée le lien social nécessaire pour sortir de l’isolement, devenir membre à part entière de la société et chercher un avenir.

Nous demandons donc fortement le rétablissement de l’article 23.

M. Jean Desessard. Très bien !

Mme Aline Archimbaud. J’en viens à un autre point important, le désamiantage, à l’article 51 du projet de loi.

Vous le savez, le Comité de suivi sur l’amiante a travaillé pendant un an. Voilà deux ans, il a proposé vingt-huit mesures, qui ont reçu le soutien de la totalité des groupes politiques de notre assemblée. Depuis, rien ! Nous allons donc faire des propositions sur le sujet. J’espère qu’elles seront soutenues par l’ensemble du Sénat.

L’amiante est un matériau hautement cancérigène, présent sous de multiples formes. Les particuliers bricoleurs du dimanche et les professionnels du bâtiment sont donc susceptibles, dès qu’ils font des travaux, de tomber sur de l’amiante dans les bâtiments construits avant 1997. Vous connaissez comme moi les chiffres : nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas ! L’Institut national de veille sanitaire prévoit 100 000 morts d’ici à 2050. Saurons-nous nous mettre au niveau pour faire face à une telle alerte ?

J’espère réellement que l’article 51 subsistera dans le texte final et qu’il aura le soutien de l’ensemble des groupes.

Nous avons déposé d’autres amendements. L’un d’eux reprend une mesure que le professeur Claude Got défend depuis près de vingt ans. Il s’agit tout simplement de rendre publics, préfecture par préfecture, les diagnostics techniques amiante des bâtiments, afin que tout le monde puisse se renseigner avant de faire des travaux.

Je souhaiterais évoquer l’article 44, qui concerne la médecine du travail ; nous aurons sans doute l’occasion d’en débattre longuement. Il est très loin d’être à la hauteur des réformes attendues par les professionnels de la santé au travail et les salariés. Il introduit même de vrais problèmes, dont nous aurons certainement l’occasion de discuter.

Les dispositions prévues mènent droit vers une réduction toujours plus grande du suivi des travailleurs, alors que les pathologies liées au travail sont de plus en plus nombreuses. Selon les chiffres publiés en 2014 par l’assurance maladie, le nombre de maladies reconnues comme professionnelles a augmenté en dix ans de 3,4 %.

La médecine du travail mériterait selon nous une vraie réforme, concertée, protectrice pour les travailleurs et, surtout, renforçant la prévention des maladies professionnelles.

J’espère que nous aurons l’occasion d’évoquer ces questions et de modifier le texte dans un sens plus favorable. Il est absolument indispensable que nous ayons tous le même accès au suivi médical du travail. Nous y veillerons au cours du débat.

Bien évidemment, d’autres sujets devront être soulevés au cours de la discussion des articles. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)

Organisation des travaux

Mme la présidente. Mes chers collègues, je vous propose de terminer la discussion générale avant la suspension du dîner.

Madame la ministre, j’espère que vous saurez faire preuve de sens de la synthèse en répondant aux orateurs. Nous aurons deux semaines pour approfondir ce texte.

Y a-t-il des observations ?

La parole est à Mme Evelyne Yonnet.

Mme Evelyne Yonnet. Je souhaite savoir si la réunion de la commission des affaires sociales qui devait se tenir durant la suspension du dîner est maintenue.

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.

M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Si la discussion générale se termine à vingt et une heures, la commission pourra se réunir de vingt-deux heures à vingt-trois heures.

Mme la présidente. Si les orateurs respectent leur temps de parole et si Mme la ministre fait preuve de concision, nous devrions suspendre la séance vers vingt heures quarante-cinq.

Y a-t-il d’autres observations ?…

Il en est ainsi décidé.

Discussion générale (suite)

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi relatif au travail, à la modernisation du dialogue social  et à la sécurisation des parcours professionnels
Article additionnel avant l'article 1er

Mme la présidente. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. François Fortassin.

M. François Fortassin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, financiarisation et dérégulation de l’économie sont inéluctablement génératrices de crises, qui ont un effet accélérateur sur les inégalités et le chômage.

A contrario, la simplification administrative, une fiscalité lisible et équitable, une formation adaptée et le maintien de l’industrie sur le territoire sont autant de facteurs qui influent sur l’attractivité du pays et le marché du travail. Agir sur un seul levier ne peut pas être source d’efficacité.

Dois-je rappeler ici le malheureux exemple de la TVA restauration ? Très coûteuse pour l’État, elle a bénéficié, comme une étude l’a montré, aux ménages les plus nantis.

Dès lors, il serait illusoire de penser que l’on crée de l’emploi en se contentant de simplifier le code du travail. Le premier levier pour créer de l’emploi, qui est l’activité économique, ne se décrète pas.

Mes chers collègues, la suppression de la durée légale du travail, le recours facilité au temps partiel ou la possibilité de diminuer le salaire dans le cadre des accords offensifs votés par la commission des affaires sociales ne peuvent pas suffire à eux seuls à créer de l’emploi, surtout de l’emploi stable et non précaire.

Plus une société est évoluée, plus elle est complexe et réglementée. Ces caractères sont indissociables d’une société moderne. Pour autant, l’inflation normative ne doit pas être favorisée, y compris lorsque les règles émanent de l’entreprise. La raison d’être du droit du travail consiste à encadrer les relations entre l’employeur et ses salariés et à corriger un déséquilibre naturel en faveur du premier du fait de la préexistence d’un lien de subordination. C’est ainsi que la liberté contractuelle ne peut pas être la norme en la matière, notamment lorsque le taux élevé du chômage laisse peu de choix au salarié.

Le présent projet de loi, tel qu’il a été voulu par le Gouvernement, sacrifie-t-il la protection du salarié ? Sincèrement, je ne le pense pas. Un minimum de flexibilité est requis, surtout dans les petites et moyennes entreprises. L’impossibilité de s’adapter aux réalités économiques entraîne leur fin, donc la destruction de l’emploi.

La conciliation entre vie professionnelle et vie personnelle constitue l’une des principales préoccupations des salariés. Or c’est bien la souplesse au niveau de l’entreprise elle-même qui peut la permettre.

Cessons de nourrir les fantasmes : entre 1 % et 3 % seulement des licenciements économiques font l’objet d’un recours devant le juge.

Le projet de loi prévoit que la charge de travail du cadre doit être raisonnable et reconnaît la responsabilité de l’employeur dans la répartition équilibrée de son temps de travail. Dans un monde hyper-connecté, la frontière entre le temps de l’exécution des missions et le temps de repos devient floue. Cela implique de mettre en place un droit à la déconnexion, pour autant que celui-ci soit effectivement applicable.

Nous sommes favorables aux principes et à la philosophie promus par le texte du Gouvernement. La primauté de l’accord d’entreprise sur l’accord de branche peut être une bonne chose.

Je le rappelle, en vertu du maintien des dispositions d’ordre public, la loi continuera de l’emporter sur les accords d’entreprise. Dans le texte du Gouvernement, le socle commun de protection était maintenu. Pour le reste, faisons confiance au dialogue social.

Le projet de loi contient des dispositions très positives, sur lesquelles la communication a cependant été très lacunaire, voire pire ; je pense aux dispositions relatives à la formation des représentants du personnel ou au service public juridique à destination des PME.

Si nous sommes favorables à l’esprit du projet de loi et à un grand nombre des dispositions qui y figurent, nous ne soutiendrons pas la version proposée par la commission des affaires sociales de la Haute Assemblée.

Réaffirmer le modèle social français, protecteur des salariés, dans un contexte international où certains États promeuvent l’ultra-flexibilité du travail, me semble primordial. La réforme ne doit conduire ni à une déréglementation du marché du travail ni à une harmonisation de la politique de l’emploi de la France avec celle des autres États, notamment des plus libéraux en la matière.

Selon le professeur Alain Supiot : « Il ne faut pas confondre […] le transformisme, qui réduit la politique à la soumission aux contraintes du marché et à l’évolution des mœurs, avec le véritable réformisme, qui consiste à mettre politiquement en œuvre la représentation d’un monde plus libre et plus juste. »

Nous devons sortir de la caricature de l’opposition entre les dirigeants et les salariés. Tous sont embarqués sur le même bateau.

Notre époque étant celle d’une concurrence internationale forte, nous devons être à la fois imaginatifs et très courageux. D’ailleurs, madame la ministre, vous ne manquez pas de courage, ce dont je vous félicite.

Entre une entreprise très performante et une entreprise boiteuse, la différence est évidemment que le carnet de commandes de l’une est plein quand celui de l’autre est vide. Mais, au-delà des commandes, qui sont indispensables à la bonne santé de l’entreprise, le vent frais de l’humanisme, auquel les radicaux sont très attachés, doit aussi souffler sur cette dernière.

De ce souffle découlera automatiquement un dialogue pacifié. Dans un tel contexte, le salarié se sentira beaucoup plus concerné par la marche de l’entreprise. Il sera donc partie prenante de son bon fonctionnement. Il se rendra au travail, le plus souvent, avec plaisir, et sera donc beaucoup plus performant. L’entreprise en tirera des bénéfices considérables. Un certain nombre de chefs d’entreprise et de salariés pourraient méditer la notion de « dialogue pacifié » !

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Milon. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Alain Milon. Madame la présidente, madame la ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, je n’entrerai pas dans l’analyse détaillée du texte ; nos rapporteurs l’ont fait avec talent et précision. Je voudrais plutôt m’attacher aux interrogations soulevées par le projet de loi.

L’ampleur des réactions suscitées témoigne de l’hypersensibilité, dans notre pays, des questions touchant aux relations de travail.

Si chacun s’accorde à reconnaître les évolutions de nos sociétés, les mutations du monde économique ayant entraîné l’apparition de nouvelles formes d’exercice professionnel, le modèle social à la française a été au fil du temps érigé en statue de marbre ; aussi précieux et solide que ce matériau, mais, à certains égards, aussi difficile à « bouger ».

Or, dans un monde en mouvement, caractérisé par la vitesse et les échanges, il faut bien admettre qu’il n’existe plus de citadelle imprenable.

Évitons d’ériger le rempart protecteur en mur d’enfermement. Refuser l’immobilisme et adapter la protection : tels sont les enjeux d’un nouveau droit du travail.

Chacun d’entre nous le sait pertinemment, derrière les postures adoptées par le Gouvernement ou par certains syndicats, les batailles qui se jouent vont au-delà de la loi El Khomri.

Sans être dupes des jeux d’acteurs et autres manipulations pratiqués par certains, nous ne pouvons pas rester sourds aux inquiétudes exprimées avec sincérité par certains acteurs économiques, chefs d’entreprise, salariés, demandeurs d’emploi, étudiants, conscients du besoin de réforme, mais inquiets face aux décisions contradictoires d’un exécutif qui n’a pas de projet clair et cohérent.

La violence des réactions et la profondeur de l’incompréhension résultent d’un malentendu initial entre les propos d’un candidat à la présidence de la République et les décisions du président élu et de son gouvernement.

Les engagements pris, notamment lors du discours du Bourget, n’ont apparemment pas été entendus de la même manière par l’orateur de l’époque et par une grande partie de son auditoire d’alors. D’où le hiatus actuel, qui plonge notre pays dans une forme de chaos et écorne son image et sa réputation.

La contestation accompagnant ce texte trouve ses racines dans la perception d’une illégitimité, qui s’explique par l’écart énorme existant entre les engagements pris et les propositions faites. Cette situation est vécue par une partie de nos concitoyens comme une trahison ou, pour les plus modérés, comme un non-respect desdits engagements.

Respecter ses engagements, c’est l’obligation qui nous est faite, à nous, les politiques.

Le contrat conclu entre le peuple et les élus doit reposer sur des engagements réalisables et sérieux. Nous devons faire ce que nous avons dit et dire ce que nous allons faire ! À défaut d’empêcher la contestation, cela renforce le pacte conclu au moment de l’élection. Respecter ses engagements est une exigence démocratique non négociable.

La seconde exigence, c’est de respecter ses partenaires. De ce point de vue, proposer un texte de réforme du droit du travail, censé valoriser le dialogue social, en omettant de travailler en concertation avec les partenaires sociaux, est ubuesque ! Rétablir le dialogue social a posteriori est une gageure quasi impossible : le sentiment d’avoir été ignoré, méprisé, se traduit par une surenchère contraire à l’essence même de la négociation.

Voilà où nous en sommes aujourd’hui : présenté en fin de mandat, ce texte cristallise toutes les incompréhensions, crispations et inquiétudes d’une société en crise, qui a conscience de la nécessité d’évoluer, est capable et désireuse de se réformer, mais doute et redoute le changement.

La démarche et la méthode suivies sont pour le moins préjudiciables à la nécessité de réformer. Par le biais de ce projet de loi, désormais largement vidé de son contenu, s’exprime cependant une demande de lisibilité. Il nous est demandé de redonner du sens au droit du travail, sans doute, mais aussi, plus largement, à l’action publique.

À travers ce texte, une question plus large nous est posée sur le rôle de l’État dans une société moderne, sur la place de la loi et de la convention dans la gestion des relations humaines.

Pierre Bourdieu considérait : « Plus la situation est dangereuse, plus la pratique tend à être codifiée. Le degré de codification varie comme le degré de risque. »

Si l’on se réfère à cette analyse, et si l’on compare notre système à ceux de certains de nos États voisins, devons-nous en conclure que nous considérons les acteurs de l’entreprise si éloignés les uns des autres que tout rapport entre eux doit faire l’objet d’une loi ?

Je ne le pense pas ! À l’instar de Bertrand Martinot et Franck Morel, je suis convaincu qu’ « un autre droit du travail est possible », à condition qu’il libère le travail, organise au mieux les relations sociales et protège le travailleur.

Dans une France caractérisée par un chômage endémique, où l’entrée dans la vie active des jeunes est difficile et où le retour à l’emploi nécessite du temps, la question du travail, de l’emploi et des relations sociales revêt une acuité particulière.

Preuve en est la place prise par ce thème, au fil des ans, dans le discours politique.

Preuve en est la multiplicité des textes adoptés censés réformer, protéger, sécuriser.

Hélas ! Cet intérêt sincère a produit un maquis législatif complexe, lui-même à l’origine d’une insécurité juridique peu propice à la pacification des relations sociales.

« Le code du travail se veut protecteur et rassurant. Il est devenu obscur et inquiétant. » Ces propos de Robert Badinter traduisent le besoin de retrouver de la lisibilité. La question n’est pas tant celle de l’obésité du code du travail que de la quête d’efficacité et de la confiance accordée ou non aux partenaires sociaux.

Les propos caricaturaux tenus par certains responsables politiques, à commencer par le Premier ministre – le seul argument de ce dernier consiste à brandir le vieux schéma éculé d’une « droite dérégulatrice aux méthodes régressives » –, contribuent à alimenter un climat délétère sans rapport avec les relations qui peuvent se nouer dans l’entreprise, notamment dans les TPE et les PME.

Par-delà les positionnements idéologiques, nous sommes appelés à repenser les modalités d’intervention de l’État dans l’économie, à réfléchir au champ d’action laissé aux acteurs, à définir de nouvelles règles. Cela représente une certaine révolution culturelle. Chacun le sent bien, le temps presse. Cette transformation conditionne l’avenir et la place de notre pays dans la compétition internationale.

Accompagner le changement, restaurer la confiance, libérer les entraves et protéger les salariés : vaste programme ! Quelques pistes susceptibles d’en favoriser la mise en œuvre ont été proposées, mais le projet de loi Travail s’en est désormais affranchi, au moins en partie.

Au mois de septembre 2015, les auteurs du rapport Combrexelle affirmaient la nécessité de créer une dynamique de la négociation dont les moteurs principaux seraient une pédagogie de la négociation collective, une plus grande intelligibilité des accords, un renforcement du rôle de garant de l’État et une limitation de la « négociation administrée ».

Aujourd’hui, dix-huit thèmes de négociations sont obligatoires. N’est-il pas improductif de fixer des obligations de discussion et, a contrario, d’éliminer d’autres sujets ? Dans une société complexe et en mutation constante, n’est-ce pas figer le dialogue que d’en déterminer les sujets et les modalités ?

Au contraire, comme le préconise le rapport Combrexelle, il convient d’ouvrir de nouveaux champs à la négociation. Comme le proposent MM. Martinot et Morel, il faut refonder le droit par la négociation collective.

Au moins de 2016, le comité présidé par Robert Badinter a défini un socle de soixante et un principes essentiels sur lesquels doit s’établir la législation du travail.

Il n’est pas temps ici de développer les différentes mesures préconisées par tel expert ou tel comité. Ce que l’on peut constater en revanche, c’est la prise de conscience collective d’être arrivés à la croisée des chemins, où il devient nécessaire de redonner tant aux partenaires qu’aux salariés eux-mêmes la responsabilité de développer un vrai dialogue. Qui mieux qu’eux connaissent leurs difficultés ou leurs possibilités ?

Il faut fixer le cadre et donner de la souplesse, libérer mais contrôler ! Durée du travail, contrat, accords, sécurité, représentation et formation : tous ces sujets peuvent faire l’objet de négociations.

Pourquoi refuser en matière sociale ce qui a été considéré comme une avancée notable en matière institutionnelle, à savoir la décentralisation ? Qui, aujourd’hui, souhaiterait remettre cette dernière en question ? Cette « proximité », si revendiquée en matière politique, serait donc dangereuse en matière de droit social ?

Il faut sortir de la conception réparatrice du droit du travail pour lui donner une dimension novatrice, consistant à accompagner plutôt qu’à encadrer ; l’innovation n’est pas nécessairement synonyme de régression.

Tous les débats actuels attestent de l’urgence qu’il y a à repenser nos rapports sociaux, à adapter nos conceptions au monde d’aujourd’hui, à retrouver confiance en nous et en nos dirigeants, qu’il s’agisse du monde politique, syndical, économique, voire – permettez-moi cette incursion dans l’actualité – sportif.

Tel est le chemin que chacun doit parcourir pour qu’une autre conception du droit du travail puisse émerger et que les décisions retrouvent du sens et ne soient pas simplement conjoncturelles ou opportunistes.

Comme dans la sphère de la vie familiale, les schémas traditionnels ont vécu dans le monde de l’entreprise !

La mobilité, une certaine flexibilité et les attentes d’une génération dite X, Y ou Z nous obligent à élaborer de nouveaux modèles propres à adapter la protection à l’ensemble des travailleurs, dont le salariat n’est plus la seule forme de dépendance.

J’aimerais avoir réussi à vous faire partager non seulement mes interrogations, mais aussi ma conviction profonde qu’une autre voie est possible. Je sais que toute proposition est source d’inquiétude, parfois même de rejet. Mais je sais également que les volontés réformatrices existent, et que les Françaises et les Français ne peuvent pas se résoudre au déclin. Ils l’ont montré à bien des reprises !

Nous devons rétablir la confiance. Ce sera tout l’enjeu de la prochaine mandature. Quel que soit le sort réservé à ce projet de loi, nous savons bien que son application n’interviendra pas, dans le meilleur des cas, avant le printemps prochain.

À force de concessions et de détricotage, je crains que cette réforme ne soit mort-née…