compte rendu intégral

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

M. Christian Cambon,

M. Claude Haut.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du vendredi 24 juin 2016 a été publié sur le site internet du Sénat.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté.

2

Suites du référendum britannique et préparation du Conseil européen

Déclaration du Gouvernement suivie d’un débat

M. le président. L’ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat, en application de l’article 50–1 de la Constitution, portant sur les suites du référendum britannique et la préparation du Conseil européen.

À l’issue de ce débat, je transmettrai à M. le Président de la République ainsi qu’à M. le Premier ministre le rapport de la commission des finances ainsi que le compte rendu de nos débats de cet après-midi, afin qu’ils en disposent avant l’ouverture du Conseil européen.

La parole est à M. le ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. Jean-Marc Ayrault, ministre des affaires étrangères et du développement international. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mesdames, messieurs les sénateurs, dans le cadre de l’article 50–1 de la Constitution, j’ai l’honneur de vous présenter l’intervention que le Premier ministre fait actuellement à la tribune de l’Assemblée nationale.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le choc est historique : pour la première fois depuis le début de la construction européenne, un peuple a décidé de quitter l’Union. On croit toujours que les choses sont acquises, que ce qui a été fait ne peut être défait. Combien de fois avons-nous entendu parler de l’irréversibilité de la construction européenne !

Les Britanniques se sont prononcés. Il faut respecter ce choix démocratique. Il s’impose à nous tous.

Dès lors, l’alternative est simple : soit nous faisons comme toujours, en évitant l’évidence, en essayant simplement de colmater les brèches, avec des petits arrangements ; soit nous prenons enfin notre courage à deux mains, nous allons au fond des choses, nous faisons de ce choc un électrochoc. Car l’erreur historique serait de croire que ce référendum ne regarde que les Britanniques. Non ! C’est de l’avenir de chacun des peuples de l’Union qu’il s’agit, donc aussi, et avant tout, de celui du peuple français. C’est pourquoi le Gouvernement a souhaité venir s’exprimer devant vous, en plein accord avec le président de votre assemblée.

Parce que je crois profondément à l’Europe, je refuse que ce grand dessein dérive. Je refuse qu’il chavire et sombre, entraîné par le poids grandissant des populismes. Je refuse que nous cédions au fatalisme, au pessimisme. Je refuse que nous subissions. Pour cela, chacun doit réinterroger ses certitudes, savoir se remettre en question.

Je sais bien que certains diront que le résultat de ce référendum n’est pas surprenant. Après tout, le Royaume-Uni a toujours entretenu une relation « particulière » à l’Europe : un pied dedans, un pied dehors, comme on a coutume parfois de dire. Le vote de jeudi dernier révèle quelque chose de beaucoup plus profond.

Ce vote montre le malaise des peuples, qui doutent de l’Europe, qui ne comprennent pas toujours ce qu’elle fait, ne voient pas ce qu’elle leur apporte concrètement. Pour eux, l’Europe devient envahissante sur l’accessoire et absente sur l’essentiel. Pire, ils ont le sentiment qu’elle impose ses choix et joue contre leurs intérêts. Utilisé pendant la campagne du référendum en Grande-Bretagne, le slogan des pro-Brexit, « reprendre le pouvoir », dit très clairement les choses. On en connaît les raisons, on sait l’usage qui en a été fait et ses conséquences, mais on ne peut pas l’ignorer. L’Europe se fera avec les peuples. Sinon, elle se disloquera. Et la France doit être à l’initiative.

Une fois ce constat posé, que faut-il faire ? Ma conviction, c’est que cette crise, comme toutes les crises, est l’occasion d’une grande transformation. Comme au cours de ces dernières années, chaque fois que l’essentiel est en jeu sur l’Europe, la France se doit de répondre présent. C’était vrai il y a un an, lorsqu’il a fallu sauver la Grèce et convaincre nos partenaires qu’elle devait rester dans la zone euro.

Je n’oublie pas que certains voulaient sceller le destin de ce grand pays d’un revers de main. Certains voulaient faire sortir un pays membre, oubliant le principe même de solidarité, et la suite des événements leur a donné tort. Même si tout n’a pas été réglé, ce pays, aujourd’hui, se porte mieux et en est notamment reconnaissant à la France. Sauver la Grèce, c’était déjà sauver l’Europe !

Il y a un an, la France, par la voix du chef de l’État, était dans son rôle. Elle le sera, une nouvelle fois, aujourd’hui. Parce que nous sommes la France, un pays respecté, écouté, attendu. Parce que – c’est une responsabilité politique et morale – nous sommes un pays fondateur. Parce qu’avec l’Allemagne, conscients de nos responsabilités, nous voulons l’Europe, notre horizon commun. Le Président de la République l’a rappelé hier soir avec la Chancelière allemande et le président du Conseil italien. Parce que nous savons que c’est l’Union qui nous renforce et la désunion qui nous affaiblit.

Je mets en garde ceux qui croient qu’on renforcera notre souveraineté nationale en tirant un trait sur l’Europe ; ceux qui pensent qu’on s’en sortira mieux dans la mondialisation, qu’on traitera mieux la crise migratoire, qu’on combattra mieux le terrorisme en agissant seuls, en se privant d’appuis, dans le seul cadre de nos frontières nationales. Rien n’est plus faux !

Être européen, aujourd’hui et demain, c’est respecter le choix des peuples ; c’est vouloir peser sur le cours des choses. Chacun se rappelle ces mots de François Mitterrand : « La France est notre patrie, l’Europe notre avenir ». (M. Jean-Louis Carrère applaudit.) Être européen, ce n’est pas trahir la France. C’est, au contraire, l’aimer et la protéger.

Depuis plusieurs jours, le Président François Hollande est à l’initiative. Il a d’abord souhaité rencontrer les présidents des deux assemblées, puis les chefs des formations politiques représentées au parlement français et au parlement européen. Il s’est ensuite entretenu avec les présidents du Conseil européen et du Parlement européen, puis avec la Chancelière allemande, le président du Conseil italien et nombre de ses homologues.

Pour ma part, avec Harlem Désir, j’ai moi-même participé, dès le 24 juin, au conseil Affaires générales à Luxembourg, où étaient présents les vingt-huit États, dont la Grande-Bretagne. J’étais le lendemain à Berlin, à la réunion des pays fondateurs et hier à Prague, avec le groupe de Visegrád.

Avec le secrétaire d’État aux affaires européennes, je le disais, nous avons multiplié les contacts et nous continuons. Dès ce soir, j’aurai parlé au téléphone avec chacun des ministres des affaires étrangères des vingt-sept États de l’Union. C’est essentiel. J’ai également échangé ce matin avec le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg.

Comme vous le savez, le chef de l’État sera, aujourd’hui et demain, au Conseil européen. Il y tiendra un discours de fermeté vis-à-vis des Britanniques. Non pas que nous voudrions les punir, ce serait absurde et irrespectueux pour ce grand peuple, car le Royaume-Uni restera un grand pays ami à qui nous devons tant. Dans trois jours, nous célébrerons ensemble le centenaire de la bataille de la Somme. Et nous continuerons de coopérer, en particulier en matière de défense, de gestion migratoire et sur le plan économique.

Mais l’Europe a besoin de clarté. Soit on décide de sortir, soit on reste dans l’Union ! Je comprends que le Royaume-Uni veuille défendre ses intérêts, mais l’Europe doit aussi se battre pour les siens. Depuis janvier 2013, elle est suspendue à la décision britannique. Nous avons fait preuve de patience et de compréhension. Dorénavant, l’entre-deux, l’ambiguïté ne sont plus possibles, parce que nous avons besoin de stabilité, notamment sur les marchés financiers. Il ne revient pas au parti conservateur britannique d’imposer son agenda.

Soyons clairs : comme le Parlement européen l’a demandé ce matin, le Royaume-Uni doit activer le plus tôt possible la clause de retrait de l’Union européenne, prévue dans le traité de Lisbonne, pour « éviter à chacun une incertitude qui serait préjudiciable et protéger l’intégrité de l’Union ». Il n’y a pas de temps à perdre. Il s’agit de l’article 50, et tant que cet article ne sera pas déclenché, les Britanniques, s’ils veulent se prévaloir d’un accès au marché unique, devront respecter l’intégralité des règles, c’est-à-dire d’un membre à part entière de l’Union européenne, avec ses droits et ses devoirs. Je le disais, le Président de la République, au nom de la France, tiendra un langage de fermeté, mais aussi un langage de vérité car il faut inventer une nouvelle Europe. Inventer, c’est-à-dire passer à une nouvelle grande étape. Il y a eu la reconstruction, après la Seconde Guerre mondiale, puis, pendant la guerre froide, la consolidation et l’élargissement. Nous avons accueilli de jeunes démocraties : la Grèce, l’Espagne, le Portugal. Après la chute du mur de Berlin, nous avons œuvré à la réunification du continent.

Les acquis historiques de la construction européenne, à laquelle la France a toujours pris une part essentielle, sont irremplaçables. Et la France est garante de leur maintien. Malgré la paix, malgré les formidables échanges économiques et culturels, malgré la création d’une monnaie unique, à laquelle les Français sont attachés, une fracture s’est ouverte ; elle n’a cessé de grandir.

Cette fracture a des causes profondes. Ce n’est pas uniquement une question de normes tatillonnes, c’est aussi une question de souveraineté démocratique et d’identité.

C’est une question d’identité, car les peuples ont l’impression que l’Europe veut diluer ce qu’ils sont et que des siècles d’histoire ont façonné. Or une Europe qui nierait les nations ferait simplement le lit des nationalismes. Ce modèle au-dessus des nations, niant la particularité de chacun, serait un échec, et certains ont laissé croire qu’il était le seul possible.

C’est une question de souveraineté et de démocratie aussi. Nous avons cru pouvoir agrandir à marche forcée, que les « non » seraient oubliés grâce à « plus d’Europe », que les référendums pouvaient être contournés, que le rejet croissant de l’Europe se soignait uniquement par de la pédagogie. Avouons-le, depuis 2005, nous avons fui les vrais débats. Et nous avons laissé un boulevard à ceux qui exploitaient le malaise ! Nous avons laissé les populismes proférer leurs mensonges et installer l’idée que « construction européenne » et « souveraineté nationale » étaient incompatibles. (M. Michel Bouvard s’exclame.) Nous devons reprendre la main, retrouver les sources de l’adhésion au projet européen, et, surtout, réinventer les causes de l’adhésion en répondant à ces questions : pourquoi sommes-nous européens ? Quel est notre projet collectif ? Quel intérêt avons-nous à être ensemble ? Pour défendre quelles valeurs ?

L’Europe, c’est une culture, c’est une histoire commune, c’est la démocratie, c’est le continent de la conquête des libertés, ce sont des valeurs partagées – l’égalité entre les femmes et les hommes, une exigence quant à la dignité de la personne –, c’est l’aspiration à l’universalité, la défense de la nature et de la planète, et c’est un certain modèle de vivre ensemble et de cohésion sociale. Oui, chacun de nos pays a ses propres caractéristiques, mais seule une union peut les protéger face à la concurrence de pays-continents.

L’Europe, c’est notre interface avec le monde. Elle doit être une protection quand nous en avons besoin, elle doit aussi être l’occasion de démultiplier nos forces, nous permettre de peser plus que si nous étions seuls. Tout cela, c’est le sens des initiatives que la France entend porter.

Elle le fera d’abord en mettant les enjeux de sécurité au cœur de l’Union. La menace terroriste et la crise migratoire mettent l’espace Schengen à l’épreuve. Nous devons en reprendre le contrôle. Dans un monde dangereux, si l’Europe ne protège pas, elle ne joue pas son rôle. Grâce à la France, beaucoup a déjà été fait : le PNR européen – enfin ! – ou l’encadrement de la circulation des armes. Mais il faut aller plus loin et vraiment maîtriser nos frontières extérieures, non pas en sortant de Schengen, mais en agissant pour que les règles régissant cet espace soient appliquées fermement et pleinement. Oui, l’Europe a des frontières. Une frontière, ce n’est pas seulement une réalité matérielle, géographique ; c’est aussi une réalité symbolique, qui nous définit, qui dit ce que nous sommes et ce que nous ne sommes pas, qui dit où l’Europe commence et où elle s’arrête. L’Europe, ce n’est pas un ensemble indéfini.

L’Europe doit également assumer un effort de défense digne de ce nom et être capable d’intervenir à l’extérieur, d’autant que les États-Unis se désengagent de plus en plus. Il ne faut donc plus hésiter ! C’est d’abord cela que la France entend porter auprès de ses partenaires : l’Europe de demain doit être protectrice.

Et puis l’Europe doit mieux s’imposer, en protégeant l’intérêt des Européens. Cessons la naïveté ! Les États tiers comme la Chine, l’Inde ou les États-Unis défendent bec et ongles leurs intérêts partout dans le monde ; et nous, nous ne le ferions pas ? Changeons d’état d’esprit, dans tous les domaines : économique, industriel, financier, commercial, agricole – avec, notamment, la filière laitière –, mais aussi culturel, environnemental et social ! L’Europe ne doit plus être perçue comme le cheval de Troie de la mondialisation. Elle doit protéger ses intérêts, ses travailleurs, ses entreprises. Je pense par exemple au secteur de l’acier, qui représente des milliers d’emplois en France et en Europe !

Nous devons faire preuve de la même fermeté par la négociation du TAFTA, ou Transatlantic Free Trade Agreement. Il faut dire les choses : ce texte ne fait droit à aucune de nos demandes, que ce soit sur l’accès aux marchés publics ou sur les indications géographiques, et n’est donc pas acceptable. Nous ne pouvons pas ouvrir plus grand les portes de notre marché aux entreprises américaines, alors qu’elles continuent à barrer l’accès aux nôtres.

Mesdames, messieurs les sénateurs, l’Europe, c’est 8 % de la population mondiale. Pour conserver son rang, faire entendre sa voix, peser face aux grands ensembles, bâtir une relation forte avec l’Afrique, ce continent d’avenir, défendre son exception culturelle, elle doit s’affirmer comme la puissance qu’elle est, en s’en donnant tous les moyens. L’Europe – le Président de la République l’a dit en des termes très forts dès vendredi – doit être une puissance qui décide souverainement de son destin. Pour cela, elle doit investir massivement pour la croissance et pour l’emploi, bâtir une stratégie industrielle dans les nouvelles technologies et la transition énergétique. Le plan Juncker est d’ores et déjà un succès. Rien qu’en France, il a permis de financer des projets à hauteur de 14,5 milliards d’euros.

Il faut poursuivre, notamment l’harmonisation fiscale et sociale, et ce par le haut, pour donner à nos économies des règles et à nos concitoyens des garanties.

Certains disent que c’est impossible. Mais enfin, ce que nous avons réussi pour le secret bancaire, pour un socle commun de droits sociaux, nous pouvons aussi le faire contre toutes les formes de dumping qui rongent le projet européen de l’intérieur. Avec la mise en place d’un salaire minimum. Avec la lutte contre la fraude au détachement des travailleurs ! Cette fraude revient à s’asseoir sur les règles les plus fondamentales des droits des salariés : rémunération, temps de travail, hébergement. Et l’Europe resterait impuissante ? Non ! Si on ne le fait pas, c’est un des piliers du traité de Rome, la libre circulation des travailleurs, qui sera balayé. C’est pourquoi il faut modifier en profondeur la directive de 1996. La Commission européenne l’a proposé. À nous de l’adopter !

Enfin, nous devrons renforcer la zone euro et sa gouvernance démocratique. Dès le discours de politique générale, en avril 2014, j’avais demandé une Banque centrale européenne plus active. Beaucoup a été fait, le plus souvent à l’initiative de la France : la zone euro est plus puissante et résistante qu’en 2008. Il doit toutefois y avoir plus de convergence entre les États membres et plus de légitimité dans les décisions prises. C’est pourquoi il faut à la fois un budget et un Parlement de la zone euro.

Quelles méthodes doivent être mises en œuvre ?

Il faut réinventer l’Europe. Il faut aussi une nouvelle manière de faire l’Europe. En donnant le sentiment d’intervenir partout, tout le temps, l’Europe s’est affaiblie. Elle doit être offensive là où son efficacité est utile, mais elle doit savoir s’effacer quand les compétences doivent rester au niveau national, voire régional – le président Juncker en est convaincu –, en affirmant le principe de la subsidiarité, mais cette nouvelle philosophie est loin d’avoir pénétré tous les esprits à Bruxelles.

Mesdames, messieurs les sénateurs, il est grand temps de dépasser les oppositions stériles. L’Europe, ce n’est pas la fin des États, c’est l’exercice en commun des souverainetés nationales lorsque c’est plus efficace et lorsque les peuples le choisissent. Comme l’avait déjà dit Jacques Delors, l’Europe est et doit être une fédération d’États-nations.

Un exemple : si la France s’est battue pour une mise en œuvre rapide des gardes-frontières, c’est parce que nous savons que la souveraineté de notre pays, que la maîtrise opérationnelle de notre frontière doit commencer à Lesbos ou à Lampedusa.

Il faut aussi une Europe qui décide vite. Elle sait le faire, comme l’ont montré les négociations en un temps record du plan Juncker. Et s’il faut mener à quelques-uns ce que les vingt-sept ne sont pas prêts à faire, eh bien, faisons-le ! Sortons des dogmes ! L’Europe, ce n’est pas l’uniformité,…

M. Didier Guillaume. Très bien !

M. Jean-Marc Ayrault, ministre. … il existe des différences.

Enfin, le débat démocratique européen doit impérativement gagner en qualité. C’est aussi une leçon du scrutin britannique : à force de ne pas parler d’Europe, les populistes n’ont aucune difficulté à raconter n’importe quoi, à tromper. C’est grave pour l’Europe, c’est fatal pour la démocratie. L’Europe, ça ne peut pas être simplement les États qui rendent des comptes sur la gestion de leurs budgets. Il faut bien sûr des règles, la France les respecte, mais prenons garde à cette image d’une Europe punitive, acquise aux thèses ultralibérales et à l’austérité budgétaire. C’est cela que nos concitoyens rejettent et ils ne comprendraient pas si le seul message de la Commission dans les prochains jours était de sanctionner l’Espagne et le Portugal.

La Nation, c’est aussi sa représentation nationale. Celle-ci doit avoir son mot à dire. Je souhaite donc que les instances européennes puissent rendre beaucoup plus compte de leur action devant les parlementaires nationaux et que les commissaires eux-mêmes viennent s’expliquer devant vous. Je sais, monsieur le président du Sénat, puisque vous l’avez dit dans votre entretien avec le Président de la République, que vous souhaitez que le Sénat saisisse pleinement les instruments de contrôle que l’Europe met à votre disposition. Le Gouvernement souhaite bien évidemment associer au maximum le Parlement à ces questions et se tient à la disposition du Sénat pour toutes les initiatives que vous seriez amené à prendre à cet égard.

M. Charles Revet. Très bien !

M. Jean-Marc Ayrault, ministre. Il faut un changement de culture : les affaires européennes sont des affaires intérieures ! Beaucoup de propositions sont sur la table. Certains suggèrent une convention, une commission, un travail avec des sages. Certains n’ont que le mot de référendum à la bouche. Il faut bien sûr donner la parole au peuple, et le peuple français l’aura dans quelques mois. Mais soyons clairs : un référendum ne peut pas être le moyen de se débarrasser d’un problème, encore moins un moyen de régler des problèmes de politique interne. On a vu, en Grande-Bretagne, ce que cela donne de jouer aux apprentis sorciers !

Je veux être encore plus clair : par le référendum, le Front national ne poursuit au fond qu’un seul objectif, qui est désormais dévoilé : faire sortir la France de l’Union européenne,…

M. David Rachline. Tout à fait !

M. Jean-Marc Ayrault, ministre. … et donc de sa propre histoire et de son propre destin ! (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain.) Quelle étrange ambition pour un parti qui se prétend patriote !

M. Francis Delattre. Vous l’avez tellement aidé, le Front national !

M. Jean-Marc Ayrault, ministre. Notre rôle de responsables politiques n’est pas de suivre, mais d’éclairer, de montrer le chemin. La question qui se pose à la France n’est pas de sortir de l’Europe, mais de refonder le projet européen. L’élection présidentielle sera le moment privilégié, pour les citoyens, de trancher ces débats.

Je crois que, dans ce moment, il faut également inventer des solutions nouvelles…

M. Alain Marc. Efficaces !

M. Jean-Marc Ayrault, ministre. … pour une coconstruction avec les peuples autour de projets et de propositions. Je pense à l’exemple de la COP 21, qui a été particulièrement enrichissant en termes de méthode. (Exclamations sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.)

M. Didier Guillaume. Quand les choses se passent bien, reconnaissez-le !

M. Roger Karoutchi. C’est vraiment déplacé !

M. Jean-Marc Ayrault, ministre. J’ajoute que la COP 21 est le bon exemple pour ceux qui prétendent défendre les intérêts de la Nation. Si la France avait négocié seule à l’échelle internationale un accord pour le climat, croyez-vous que nous aurions été plus forts qu’à vingt-huit ? La démonstration est faite : c’est parce que nous avons négocié à vingt-huit que la France, avec l’Europe, a pesé. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain.)

Mesdames, messieurs les sénateurs, je conclus en rappelant qu’il faut bien sûr associer davantage les citoyens. Les parlements nationaux et le Parlement européen ont leur rôle à jouer. Les parlements nationaux, donc vous-mêmes, devront se prononcer sur le traité de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada. Certains voudraient que seul le Parlement européen se prononce, la position de la France est très claire : les parlements nationaux devront également le faire, il n’y a pas d’autre voix possible. (Très bien ! et applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain.)

Mesdames, messieurs les parlementaires, il y a l’urgence à laquelle l’Europe doit faire face dès aujourd’hui : créer les conditions les meilleures pour négocier dans le cadre de l’article 50 du traité de Lisbonne la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne. Il nous faut également préparer l’avenir, c’est notre responsabilité commune. Merci, mesdames, messieurs les sénateurs, d’y contribuer par vos débats et vos interventions ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe écologiste et du RDSE.)

M. le président. Acte est donné de la déclaration du Gouvernement.

Dans le débat, la parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères. (Ah ! Voilà du souffle ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mmes et MM. les sénateurs de l’UDI-UC applaudissent également.)

M. Jean-Pierre Raffarin, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre des affaires étrangères, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, pour un Européen, le Brexit a d’abord représenté une immense tristesse et aussi une profonde inquiétude, mais il nous impose une nécessaire détermination.

Profonde tristesse de voir l’actualité bousculer l’histoire et de mesurer le rejet du bilan de l’Europe. Combien de marathons, combien de sommets, combien de réunions bilatérales, combien de séances du Parlement européen, combien de tout petits pas faits par de très grands hommes : tout cela a été rejeté !

Il y a, depuis deux générations, des centaines et des centaines de dirigeants européens qui se sont impliqués. Et voilà : les erreurs ont condamné les acquis et nous sommes face à une réalité aujourd’hui inquiétante.

La déconstruction de l’Europe est-elle engagée ? D’évidence, mes chers collègues, l’affaiblissement de l’Europe, ce n’est pas le moment ! C’est au moment où tous les continents sont en train de s’organiser, où des pays-continents – la Chine, l’Inde, les États-Unis, le Brésil et beaucoup d’autres – et les pays émergeant de l’Afrique sont en train d’essayer de diriger la gouvernance du monde, au moment où les pays-continents assument leur responsabilité dans le monde que nous, Européens, nous choisissons la voie de la déconstruction.

Plus grave encore, croyez-vous que notre ennemi numéro un, le terrorisme ne se réjouisse pas de nous voir aujourd’hui affaiblis, fragilisés ?

Ce n’est vraiment pas le moment d’affaiblir notre continent, ce n’est pas le moment de nous diviser. Nous le savons bien, la force passe nécessairement par le rassemblement !

M. Jean-Louis Carrère. C’est votre ami David Cameron qui est responsable de cela !

M. Jean-Pierre Raffarin, président de la commission des affaires étrangères. Si l’Europe est mortelle, chers amis, cela veut dire que la guerre n’est pas impossible ! C’est cela, la vérité à laquelle nous faisons face aujourd’hui : si l’Europe est mortelle, la guerre n’est plus impossible.

Quelles sont les responsabilités ? Bien évidemment, n’accusons pas le peuple anglais. La démocratie est aussi très fragile, nous le voyons ici même. Les pro-européens, ceux parmi lesquels je me compte, ne sont pas innocents de ce malaise. Ils n’ont su ni réformer ni convaincre.

La réalité pour les peuples, c’est que Lisbonne n’a pas changé Maastricht. Si nous sommes aujourd'hui dans cette réalité, c’est qu’au fond, malgré les efforts, les réformes constitutionnelles que nous avons inventées, notamment la décision de faire nommer le président de la Commission par le Parlement, comme c’est le cas pour les premiers ministres de nombreux pays de l’Union européenne, cela n’a pas suffi pour convaincre l’opinion publique que la construction européenne avait des fondements démocratiques.

Dans cette situation, comme le disait Saint-Exupéry : « On ne peut pas être en même temps responsable et désespéré ». Puisque nous sommes responsables, il nous faut être déterminés pour engager cette refondation sans perdre de temps, car, comme vous l’avez dit, monsieur le ministre, il faut aller vite.

Quelles sont les nécessités de la refondation ? Il faut d’abord choisir le langage de la vérité, car il y a beaucoup de mensonges sur l’Europe. Le premier mensonge des responsables politiques, partout dans l’Union européenne, consiste à ne pas assumer. L’Europe c’est nous, l’Europe ce n’est pas les autres ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, de l'UDI-UC et du RDSE.)

Quand un ministre de l’agriculture perd un arbitrage, ce n’est pas la faute des arbitres, mais la nôtre ! Et cela est vrai pour la droite comme pour la gauche ! L’Europe c’est nous, et quand on négocie mal, par exemple l’organisation de la direction générale de l’agriculture à Bruxelles, il ne faut pas s’étonner que l’on perde ensuite des arbitrages en matière agricole. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, et sur certaines travées de l'UDI-UC.)

C’est une responsabilité politique. N’allons pas chercher les technocrates, n’allons pas chercher la bureaucratie ! La bureaucratie n’est que l’expression de la faiblesse de la politique, or l’Europe n’est pas assumée par les politiques, et c’est une responsabilité collective ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.) Assumons cette construction européenne ! C’est une première vérité : l’Europe c’est nous !

La deuxième vérité est que dans cette situation, l’élargissement nous est interdit. Nous ne pouvons pas élargir l’Europe dans la situation d’affaiblissement dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui. Cessons de faire rêver la Turquie à une éventuelle adhésion à l’Union européenne ! (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées de l'UDI-UC et du RDSE.)

Non, l’Europe ne peut pas s’élargir, car elle doit aujourd'hui se conforter et penser à l’intérieur de ses frontières une vie organisée et harmonieuse avant de penser à quelque élargissement que ce soit !