Mme Colette Giudicelli. C’est exact !

Mme Françoise Gatel. Le sujet est beaucoup trop grave pour que l’on cherche, à travers lui, à flatter les vôtres ou à diaboliser les autres. Dire est utile, mais, laisser croire qu’en nommant un problème on l’a résolu, c’est une faute. Le législateur n’est pas un porte-étendard au service d’une communication idéologique.

Mme Françoise Gatel. Le législateur écrit la loi et garantit son applicabilité.

Alors, fuyons définitivement toute ambivalence et toute ambiguïté, car si dire est utile, pouvoir faire vraiment est essentiel à la crédibilité politique. Pensez-y aussi, madame la ministre ! (Applaudissements sur plusieurs travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

M. Jean-Louis Carrère. La réaction est en marche…

M. le président. La parole est à Mme Corinne Bouchoux.

Mme Corinne Bouchoux. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis pour combattre une nouvelle forme d’entrave à l’IVG. L’entrave a évolué et prend aujourd’hui la forme de sites internet extrêmement malveillants. Ces derniers sont animés par des faussaires tentant d’influencer des femmes qui s’intéressent à l’IVG ou qui auraient besoin de recourir à un avortement.

Vingt-quatre ans après la loi Neiertz, qui a fait de cette entrave un délit, c’est sur internet que les anti-IVG sévissent désormais, plus ou moins masqués.

Il n’est pas possible d’accepter la diffusion d’informations mensongères sur le déroulement d’une IVG, sur les conséquences d’une IVG pour instiller le doute dans l’esprit des femmes à un moment où elles sont particulièrement vulnérables et se posent des questions.

Déjà, en novembre 2013, un rapport du Haut Conseil à l’égalité observait « depuis quelques années une montée en puissance très importante de sites cherchant à tromper délibérément les internautes en se faisant passer, au premier abord, pour des sites purement informatifs ».

Ces sites internet apparaissent bien souvent en tête des résultats des moteurs de recherche, surtout sur le plus usité, et parfois bien avant les sites officiels. Ils utilisent les mêmes codes couleur ou des éléments de langage similaires pour donner l’illusion de la fiabilité de leurs informations. Certains diffusent même des adresses erronées de centres du planning familial, ralentissant ainsi l’accès à ces établissements.

Selon nous, toute atteinte au droit des femmes à disposer de leurs corps appelle une réponse à la hauteur des enjeux, qui doit donc se placer aussi sur le plan pénal.

Aujourd’hui, le législateur a raison d’arbitrer en faveur de la liberté des femmes.

Des échanges de vues, posés si possible, sont certes nécessaires à la vitalité de la démocratie, mais nous considérons que toute entrave aux conditions d’accès à l’IVG, ou même à l’action des pouvoirs publics en la matière, doit être sanctionnée.

Face aux évolutions numériques, nous pensons donc, même si nous nous sommes posé des questions au début, qu’il convient de compléter l’arsenal législatif. Il faut le transposer du monde réel au monde numérique pour tenir compte de ce que les progrès techniques permettent de faire.

La commission des affaires sociales du Sénat n’a pas adopté le texte sur lequel elle avait pourtant trouvé un consensus il y a quelques semaines. Il faudra nous expliquer ce qui, hormis de prochaines élections, justifie cette évolution.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Exactement ! Retour à l’envoyeur !

Mme Corinne Bouchoux. L’amendement dont nous allons débattre dans quelques instants nous apparaît comme une régression, par rapport à l’esprit du texte et aux discussions que nous avons menées, il y a quelques semaines, dans cet hémicycle.

La version du présent texte issue de l’Assemblée nationale rend applicable l’entrave numérique à l’IVG aux deux alinéas de l’article L. 2223-2 du code de la santé publique. Elle concerne aussi bien l’entrave à l’accès aux établissements que l’entrave par le biais de pressions morales ou psychologiques.

Cette rédaction, qui précise que l’entrave numérique concerne les indications de nature à induire intentionnellement en erreur dans un but dissuasif, nous paraît à la fois claire et posée. Elle est la mieux à même de répondre aux interrogations légitimes quant aux risques d’une atteinte à la liberté d’expression.

Mes chers collègues, l’avortement est un droit fondamental, et il est de notre devoir d’en garantir l’exercice par tout moyen ; cinquante ans après la loi Neuwirth, dont nous avons célébré l’importance il y a quelques jours, au Sénat, en présence de sénateurs et de sénatrices de tous les horizons, nous pensons que l’amendement qui vient d’être voté en commission tend à amoindrir considérablement le présent texte, et donc à lui ôter une partie de son sens.

Les combats dont nous parlons aujourd’hui ne sont pas des combats du passé. Quand nous regardons ce qui se passe, notamment, au pays de M. Trump, nous craignons que l’avortement ne soit remis en cause. Si nous ne le défendons pas aujourd’hui, nous nous exposerons à une régression ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC, ainsi que sur plusieurs travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Alain Milon. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Alain Milon. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, après l’échec de la commission mixte paritaire, au cours de laquelle il a été impossible de trouver un point d’équilibre, nous devons à nouveau nous prononcer sur la proposition de loi relative à l’extension du délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse, qui, on l’a entendu, et on l’entendra encore dans la suite de ce débat, soulève de nombreuses interrogations. Je rappelle à cet égard que nous examinons le présent texte dans la rédaction, non du Sénat, mais de l’Assemblée nationale.

Sur la forme, madame la ministre, nous réitérons notre regret de voir ce texte examiné en procédure accélérée, dans des délais extrêmement contraints, sur un sujet aussi important, sans qu’un débat approfondi ait pu être tenu.

M. Charles Revet. C’est un scandale !

M. Alain Milon. J’ai entendu ici ou là qu’il y avait, de notre part, des manœuvres politiciennes. Permettez-moi de répondre en posant cette question : la procédure accélérée n’est-elle pas, elle aussi, une manœuvre politicienne ? (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains.)

M. Charles Revet. Exactement !

M. Alain Milon. Nous avions souligné que d’autres voies, notamment non législatives, pouvaient permettre d’améliorer plus efficacement la diffusion de l’information sur l’IVG, étant précisé que nous souscrivons au constat sur la nécessité de cette information.

Ainsi, le Gouvernement pourrait agir afin d’améliorer le référencement des sites officiels d’information au sein des moteurs de recherche sur internet.

En outre, la procédure accélérée n’a pas permis d’avoir un avis du Conseil d’État sur des dispositions qui sont susceptibles de porter une atteinte substantielle à la liberté d’expression.

Ces précisions étant apportées, j’en viens au fond.

Je l’ai déjà affirmé à cette tribune, mes convictions et ma pratique médicale me conduisent à défendre tout ce que les progrès de la science apportent à la liberté individuelle : je dis bien tout.

Défendre une liberté, promouvoir un droit sans pour autant porter atteinte de façon insidieuse à un autre droit ou à une autre liberté, tel est le point d’équilibre que nous devons trouver en tant que législateur, équilibre essentiel au bon fonctionnement de nos sociétés démocratiques, à la fois si fragile – on le voit en ce moment – et si indispensable.

Ce point d’équilibre repose sur le besoin de se sentir respecté dans ses convictions et dans l’exercice de sa liberté, et c’est sur lui que reposent notre contrat social et notre cohésion.

Madame la ministre, c’est bien là que réside toute la difficulté de ce texte.

En effet, j’ai le sentiment que vous faites l’amalgame entre le fait d’empêcher la pratique de l’IVG et celui de diffuser des informations défavorables à l’IVG. Or il ne s’agit pas d’actes de même nature.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Il s’agit de fausses informations !

Mme Éliane Assassi. Exactement !

M. Alain Milon. Comme l’a très bien rappelé notre collègue Michel Mercier, rapporteur pour avis, dans l’état actuel du droit, le délit d’entrave se caractérise par le fait qu’il doit être localisé à l’intérieur des établissements pratiquant l’IVG.

Mme Laurence Rossignol, ministre. Définition étroite…

M. Alain Milon. Pour définir cette entrave, deux hypothèses sont retenues. La première survient lorsque les personnels, médicaux ou non, ou les femmes qui souhaitent recourir à une IVG sont empêchés d’entrer ou de circuler dans ces établissements. La seconde est issue de l’élargissement du délit d’entrave assuré via la loi de 2001 : elle concerne les pressions psychologiques exercées sur les femmes qui souhaitent subir une IVG ou sur leur entourage, mais toujours dans le cadre d’un établissement pratiquant l’IVG.

La jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation admet assez facilement le délit d’entrave, mais toujours dans un cadre légal. Elle est fidèle en cela au principe constitutionnel de légalité des délits et des peines.

Or les dispositions de ce texte ne visent plus les agissements physiques qui se produisaient autour des centres d’IVG et pour lesquels le délit d’entrave a été instauré. Elles concernent certaines allégations diffusées sur internet ou directement auprès de personnes qui, après avoir consulté ces sites, prennent contact avec ceux qui les animent.

Dans quelle mesure est-il envisageable de sanctionner pénalement des comportements qui prennent une forme tout à fait différente de ceux pour lesquels le délit d’entrave a été instauré ? Dans quels cas une telle situation devrait-elle justifier une réponse pénale ? Dans quelle mesure le délit d’entrave à l’IVG pourrait-il lui être transposé ? Et comment l’incrimination pourrait-elle être précisément définie ?

Très objectivement, les réponses à ces questions ne paraissent pas évidentes. Pis, le texte adopté par nos collègues députés s’oppose à plusieurs principes, notamment constitutionnels. Michel Mercier l’a clairement démontré dans son rapport. Avec son autorisation, je me permets de reprendre sa présentation.

Pour ce qui est des principes généraux du droit pénal, ce texte contrevient, d’une part, au principe de clarté de la loi pénale et à l’objectif d’intelligibilité de la loi – en effet, ce texte est incompréhensible et Mme Riocreux, rapporteur de la commission des affaires sociales, l’avait elle-même qualifié, en première lecture, d’« inintelligible » ; d’autre part, au principe de légalité des incriminations.

La jurisprudence du Conseil constitutionnel sur ce point est claire : le législateur doit aller au bout de sa compétence et définir pleinement les infractions, sans laisser au juge la liberté de le faire. Or, sur ce point, le texte de l’Assemblée nationale entretient un flou important. Selon Michel Mercier et moi-même, le fait de propager « par tout moyen, y compris en diffusant ou en transmettant par voie électronique ou en ligne des allégations, indications de nature à induire intentionnellement en erreur, dans un but dissuasif, sur les caractéristiques ou les conséquences médicales d’une interruption volontaire de grossesse » ne caractérise pas suffisamment une infraction.

M. Charles Revet. Très bien !

Mme Christiane Hummel. Quand c’est flou, c’est qu’il y a un loup !

M. Alain Milon. Pour ce qui concerne les principes constitutionnels, les dispositions de ce texte portent, selon nous, atteinte à la liberté d’expression.

Madame la ministre, de notre point de vue, il est essentiel de réunir deux principes : d’une part, la liberté de recourir ou non à l’IVG, de l’autre, le respect de la liberté d’expression et d’opinion.

Dans notre droit, la liberté d’opinion est clairement définie par le Conseil constitutionnel. Dans une décision du 11 octobre 1984, le juge constitutionnel estime que le législateur ordinaire ne peut porter atteinte à liberté d’opinion et d’expression que pour la rendre plus effective ou pour la rendre compatible avec une autre liberté de valeur constitutionnelle. Tel n’est pas le cas en l’espèce. Le droit de recourir à l’IVG est un droit, et non une liberté constitutionnelle.

En effet, comment apporter la preuve irréfutable que la consultation des sites en question est l’élément déclencheur du renoncement au recours à l’IVG ? Au mieux, elle ne peut constituer qu’un élément supplémentaire dans une action en justice, mais je doute que cela aboutisse, ou nous entrerons alors dans une dimension inquiétante de restriction de la liberté d’expression !

Pourquoi avez-vous cette volonté de fragmenter, plutôt que d’aborder la question dans sa globalité en apportant des réponses différentes à des situations différentes, mais issues de la même origine : la numérisation de nos sociétés, la multiplicité des sources et la diversité des canaux d’information ?

Ce texte, objectivement, ne résoudra rien ; il ne sert, une fois de plus, qu’à rouvrir les plaies.

Madame la ministre, mes chers collègues, lors du vote de la loi Veil, le député Eugène Claudius-Petit, qui ne fit jamais mystère de ses convictions, tint ce propos que j’ai déjà cité en première lecture et que je rappelle : « Je lutterai contre tout ce qui conduit à l’avortement, mais je voterai la loi. »

Cette position d’Eugène Claudius-Petit justifierait-elle, aujourd’hui, madame la ministre, la qualification de délit d’entrave ?

M. Jean-Louis Carrère. Refaisons la guerre de Troie…

M. Alain Milon. Nous le constatons bien, à trop vouloir répondre aux questions de société, par définition complexes et transversales, au moyen de mesures spécifiques et parcellaires, on ne résout rien, on ne régule rien, on ne pacifie rien. Or l’une des missions de la loi et du droit est précisément de réguler et de pacifier les relations sociales. Ce texte ne vise malheureusement pas cet objectif !

L’atteinte insidieuse que vous portez à cette liberté publique fondamentale ne risque-t-elle pas d’être le prélude à d’autres coups de boutoir ? Les bons sentiments ne suffisent pas à définir une politique. Notre rôle de législateur doit, bien au contraire, être synonyme d’efficacité et de prudence. Nous devons être toujours soucieux de préserver un équilibre entre la sauvegarde de la liberté d’expression et la nécessaire répression de ses abus.

Pour l’ensemble de ces raisons, qui tiennent tant à la forme qu’au fond, au degré d’imprécision, source d’insécurité juridique à venir, à la précipitation, conduisant à un texte de circonstance non abouti, les élus du groupe Les Républicains voteront majoritairement contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.

Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, à la suite de l’échec de la commission mixte paritaire, nous examinons en nouvelle lecture la proposition de loi relative à l’extension du délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse.

Pour parler de l’entrave opposée à un droit, il faut revenir sur le contexte dans lequel celui-ci s’exerce.

Beaucoup d’évolutions ont eu lieu depuis la loi Veil, votée le 17 janvier 1975, reconnaissant le droit à l’avortement, à la suite d’une forte mobilisation des femmes et d’associations féministes et grâce à l’opiniâtreté d’une femme politique. Mais ce droit chèrement acquis a depuis été l’objet d’attaques de la part de conservateurs et d’intégristes religieux.

Exercer un pouvoir sur le corps des femmes reste un enjeu fondamental. On constate une campagne sourde ou bruyante, selon le contexte politique plus ou moins favorable à l’émancipation humaine, mais constante et déterminée contre la loi Veil.

Ainsi, à quelques mois de l’élection présidentielle, plusieurs conceptions s’affrontent, dont une vision nataliste de la société au nom d’un modèle unique de la famille, s’en prenant de fait à l’avortement.

M. Charles Revet. Il faut aussi respecter la famille !

Mme Laurence Cohen. Que dire de plus quand le prétendant de droite à l’Élysée soutient que, « philosophiquement et compte tenu de sa foi, [il] désapprouve l’avortement » ? Ces convictions l’ont conduit à voter contre le remboursement de l’IVG par l’assurance maladie dès décembre 1982, contre l’allongement du délai à douze semaines de grossesse en juillet 2001 et contre la suppression du délai de réflexion en janvier 2016. (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Catherine Procaccia proteste.)

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. C’est la vérité !

Mme Laurence Cohen. Ce sont des faits !

D’ailleurs, cette mobilisation contre le droit à l’avortement n’est pas réservée à notre pays. On assiste, hélas ! à un phénomène identique à l’échelle internationale.

En Europe, le droit à l’interruption volontaire de grossesse a été remis en cause en Espagne en 2014 et plus récemment en Pologne. C’est une fois de plus les mobilisations nationales et internationales qui ont fait échouer ces projets funestes.

En Italie, le pape François poursuit lui aussi son combat contre l’avortement en utilisant des mots d’une rare violence.

Quant à la victoire de Donald Trump à la présidence de la première puissance mondiale, elle n’a rien pour rassurer ! Le nouveau président des États-Unis affirme vouloir « punir les femmes » pratiquant un avortement « illégal ». Il a signé un décret interdisant le financement d’organisations non gouvernementales internationales qui soutiendraient l’avortement. À cela s’ajoute la nomination à la Cour suprême du juge William Pryor, qui considère que « l’avortement est la pire abomination de l’histoire du droit. »

Deux millions de femmes se sont rassemblées, lors de « la marche des femmes » aux États-Unis, pour protester contre ces reculs. Dans toutes les capitales, des marches de solidarité ont eu lieu au lendemain de l’élection de Donald Trump.

Face à cette remise en cause d’un des droits fondamentaux des femmes, il est indispensable de transformer le droit à l’avortement en un droit inaliénable.

À travers la contre-offensive sur l’IVG se joue un bras de fer entre les partisans de l’émancipation humaine et ceux qui continuent à penser que les femmes sont d’éternelles mineures.

Le combat des commandos anti-IVG a changé de terrain ; il se livre aujourd’hui sur internet et il est impératif d’apporter une réponse adaptée aux évolutions de notre société.

Le délit spécifique d’entrave à l’IVG, créé en 1993, étendu aux violences morales depuis 2001 et notamment aux pressions morales et psychologiques, doit être étendu aux sites internet qui prétendent apporter une information neutre sur l’accès à l’IVG, alors qu’en fait ils font tout pour décourager les femmes de pratiquer un avortement.

En réalité, on est face à une entreprise de désinformation qui instrumentalise le désarroi de femmes souvent jeunes et dans une situation de vulnérabilité. Lorsque l’on sait qu’une femme sur trois a recours à une IVG au cours de sa vie, on mesure combien il est important d’informer et d’assurer l’accompagnement de ce choix. Contrairement à ce que certains laissent entendre, aucune femme ne prend la décision d’avorter le cœur léger.

Mme Maryvonne Blondin. Tout à fait !

Mme Laurence Cohen. Assurer l’information et l’accompagnement des femmes ayant recours à une IVG, cela signifie effectivement lutter contre la manipulation des esprits par des sites de désinformation. Et que l’on ne prenne pas le prétexte de la liberté d’information ! Il me semble que le Sénat avait bien travaillé en première lecture pour éviter le couperet du Conseil constitutionnel. Mes chers collègues, qu’est-ce qui a changé depuis la première lecture ?

Mme Laurence Cohen. Madame la ministre, le droit à l’avortement étant un droit fondamental, je saisis cette occasion pour attirer une nouvelle fois votre attention sur les moyens nécessaires pour que chaque femme puisse exercer ce droit partout sur le territoire. Il faut conforter et renforcer les mesures que vous avez prises avec Mme Touraine.

Je rappelle qu’en dix ans 130 centres IVG ont fermé, tandis que le nombre d’avortements est resté stable. Cela signifie que des femmes sont obligées d’aller avorter à l’étranger pour avoir une place dans les délais légaux. Selon Mme Véronique Séhier, coprésidente du planning familial, le nombre de femmes touchées par ce phénomène chaque année est difficile à chiffrer, mais on peut estimer qu’il se situe entre 3 500 et 5 000.

Il est donc important d’avoir des centres IVG en nombre suffisant, mais il importe aussi de ne pas laisser des informations mensongères contrecarrer les décisions mûrement réfléchies des femmes.

Aux yeux des élus du groupe auquel j’appartiens comme pour les associations féministes, améliorer l’accompagnement des femmes nécessite également d’autoriser les centres de planification et d’éducation familiale à pratiquer les IVG chirurgicales.

Parallèlement, il est impératif de maintenir les subventions aux associations qui militent au quotidien auprès des femmes et qui subissent des politiques de restrictions autant que des coupes franches. Je pense par exemple à la région Auvergne-Rhône-Alpes, qui a réduit de 30 % la subvention accordée au planning familial.

Enfin, face à l’offensive lancée contre l’avortement, y compris via la désinformation sur internet, il nous paraît urgent d’inscrire le droit à l’avortement dans la Constitution.

On le voit, pour défendre le droit à l’avortement, il est nécessaire de créer les conditions pour que chaque femme ait accès aux mêmes informations, aux mêmes structures, aux personnels de santé compétents et bien formés. En conséquence, il faut déjouer les manœuvres de sites peu scrupuleux qui, au nom de la liberté d’information, n’hésitent pas à désinformer pour faire prévaloir des convictions personnelles et empêcher les femmes de prendre leur décision en toute connaissance de cause.

Pour toutes ces raisons, je déplore que nous n’ayons pas pu nous mettre d’accord en commission sur le vote consensuel auquel nous étions parvenus en première lecture. J’espère que le nouvel amendement qui vise à rétablir la rédaction sénatoriale sera voté, car il me semble qu’elle est la plus à même d’éviter toute fragilité juridique. Grâce à elle, le délit d’entrave numérique sera rendu effectif le plus rapidement possible dans l’intérêt des femmes.

Mes chers collègues, je vous demande de réfléchir à ce que nous avons pu faire en première lecture et d’en tirer les conséquences pour voter majoritairement la proposition de loi qui résultera de l’adoption de cet amendement. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et républicain, du groupe écologiste et du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger.

Mme Patricia Schillinger. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons en nouvelle lecture la proposition de loi relative à l’extension du délit d’entrave à l’IVG à la suite de l’échec de la commission mixte paritaire.

Cet échec est regrettable, car le texte adopté en première lecture par le Sénat, en commission puis en séance, avait ouvert la voie à un compromis avec l’Assemblée nationale pour garantir le droit à l’information sur l’IVG en modifiant a minima le délit d’entrave tel qu’il existe dans notre droit.

Cet échec est regrettable, car nous avons toutes et tous la conviction que les femmes ont droit au respect de leur libre arbitre, hors de toute manipulation, de toute duplicité et de toute violence, pour décider d’interrompre ou non une grossesse avant la douzième semaine.

De plus, personne ne remet en cause la nécessité du délit d’entrave tel que le législateur l’a défini en 1993, puis étendu aux formes de plus en plus sophistiquées de l’entrave à l’IVG.

Nous partageons ces constats et ces convictions. Pourtant, nous ne sommes parvenus à un accord ni avec l’Assemblée nationale ni au sein de notre commission.

Il semble que l’obstacle au compromis soit notre appréciation divergente de la portée de la proposition de loi en matière de liberté d’expression. Ce point mérite quelques éclaircissements.

Toutes et tous, dans cet hémicycle, avons la conviction que la liberté d’expression est fondamentale, parce qu’elle est la condition d’exercice des autres libertés.

Avec la liberté de conscience, la liberté d’expression est le socle de notre société pluraliste et tolérante, donc de notre démocratie. Fidèles à la philosophie de Voltaire, nous pouvons dire : « Je ne suis pas d’accord avec vous, mais je me battrai jusqu’au bout pour que vous puissiez le dire. »

Mes chers collègues, le texte qui nous est proposé ne remet pas cela en cause.

En effet, les problèmes auxquels sont confrontées les femmes qui apportent leur témoignage sur les entraves à l’IVG ne sont pas les propos publics des mouvements anti-IVG, les manifestations et cortèges des pro-life, les prises de position de l’Église… Même si toutes ces opinions peuvent inquiéter ou choquer, elles sont les manifestations de la liberté d’expression et de conscience ; légitimement protégées par le droit constitutionnel et par le droit européen, elles ne sont en rien concernées par la présente proposition de loi.

En revanche, les problèmes, ce sont l’intimidation, la duperie, la violence psychologique, parfois le harcèlement qui s’exerce notamment au travers des mises en relation téléphonique via des sites d’information. À ce stade – les témoignages recueillis sont éloquents –, il ne s’agit plus de la diffusion d’une information ou de l’expression d’une opinion, mais bien de la volonté de contraindre psychologiquement ses interlocuteurs.

Pour les militants qui se cachent derrière ces sites et plateformes d’appels, il n’y a pas de Voltaire qui tienne ! Bien au contraire, leur approche est claire : « Je ne suis pas d’accord avec vous qui pensez à avorter, aussi, je vais me battre jusqu’au bout pour vous empêcher d’être en situation d’agir, car mes convictions doivent triompher de vous. »

Empêcher ces personnes de nuire est une nécessité et n’a rien à voir avec la liberté d’expression, qui n’a jamais inclus le droit d’imposer ses idées à autrui, encore moins par la contrainte ou la violence.

Les tribunaux ont rappelé à plusieurs reprises qu’il ne saurait être question de liberté d’expression ni de liberté de conscience lorsque des militants anti-IVG bloquent les accès aux établissements, intimident le personnel médical ou font irruption dans la salle d’attente du planning familial pour imposer leurs prières.

Dans une affaire jugée en 2015 par la Cour de cassation, un homme, après s’être introduit dans un centre du planning familial, a remis par surprise des chaussons de bébé à une femme venue recevoir des conseils pour une éventuelle IVG. Liberté d’expression ? Liberté de conscience ? Non, répondent la cour d’appel et la Cour de cassation : il s’agit là de pressions psychologiques et même de violences morales.

Aujourd’hui, ces pressions, violences et menaces ne s’exercent plus seulement dans les établissements de santé ou au sein des centres du planning familial.

Aujourd’hui, ces techniques d’entrave ont migré vers internet et les plateformes téléphoniques.

Notre droit doit s’adapter à cette nouvelle modalité du délit d’entrave. C’est pourquoi cette proposition de loi prévoit que l’entrave à l’IVG doit être poursuivie y compris lorsqu’elle est commise à distance, par téléphone, internet ou textos, à la condition que soient réunis les éléments de sa définition, qui, eux, n’ont pas changé.

Il faut rappeler que les éléments constitutifs du délit d’entrave ne sont pas remis en cause : tel qu’il est proposé par l’Assemblée nationale, le nouveau chapeau de l’article L. 2223-2 du code de la santé publique implique que la « diffusion ou transmission d’indications de nature à induire intentionnellement en erreur, dans un but dissuasif, sur les caractéristiques ou les conséquences d’une IVG » sera constitutif de délit d’entrave si et seulement si cette diffusion a conduit à la perturbation de l’accès à un établissement ou si elle a atteint l’intensité d’une menace, pression morale ou intimidation.

Ce point est important et suscite beaucoup d’incompréhension, car la rédaction issue de l’Assemblée a fait craindre à certains que le chapeau de cet article ne puisse être mis en application par les juges indépendamment du 1° et du 2° de son texte.

C’est pourquoi, dans un souci de compromis, le groupe socialiste vous proposera d’amender le texte de l’Assemblée, afin de lever ce doute et de permettre l’adoption d’un texte enrichi de nos réflexions croisées.

Nous y sommes presque ! Mme la rapporteur a apporté sa précieuse contribution, et c’est dans cet esprit de compromis, autour de fortes convictions partagées en faveur de l’émancipation des femmes, que le groupe socialiste et républicain votera la nécessaire modernisation du délit d’entrave. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du groupe écologiste.)