M. le président. La parole est à M. le ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire.

M. François de Rugy, ministre dÉtat, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le sénateur Bigot, vous le savez, les prix du pétrole, très volatils, sont malheureusement orientés à la hausse, pour de nombreuses raisons liées au contexte international.

La taxe flottante, instaurée en 2000, n’arrivait pas à suivre les mouvements à la hausse ou à la baisse des prix du pétrole sur les marchés mondiaux. Toujours à contretemps, et donc inefficace, elle a été abandonnée en 2002. Il n’est pas question de promettre aux Français une mesure qui ne marche pas.

Certains – je ne crois pas que tel était votre propos – suggèrent de baisser les taxes à proportion de la hausse des prix du carburant. Or les prix de l’essence et du gazole ont augmenté d’environ 10 centimes depuis le début de l’année, ce qui signifie qu’il faudrait dégager 4 milliards d’euros dans le budget de l’État. Ce n’est pas très sérieux.

Quant à s’endetter pour subventionner l’importation du pétrole, ce ne serait pas plus sérieux.

Nous menons d’autres actions de fond dans plusieurs directions.

Il s’agit de réduire notre dépendance au pétrole en matière de transports et de chauffage : depuis le début de l’année, 8 000 Français demandent, chaque semaine, à bénéficier de la prime d’État mise en place pour la conversion d’un ancien véhicule – à ce rythme, cela représentera près de 400 000 demandes sur l’année. Je songe aussi au dispositif relatif aux chaudières, financé par les certificats d’économies d’énergie, justement payés par les grands groupes comme Total, ou encore au chèque énergie, qui permet d’alléger la facture de chauffage des Français, et au chèque déplacement, qui fait l’objet de négociations des partenaires sociaux, à la demande du Premier ministre.

M. le président. Il faut conclure !

M. François de Rugy, ministre dÉtat. Il s’agit de permettre aux Français qui utilisent leur voiture pour se rendre au travail de bénéficier d’une aide, à l’instar de ce qui existe pour le chèque déjeuner. (Applaudissements sur des travées du groupe La République En Marche.)

M. le président. La parole est à M. Joël Bigot, pour la réplique.

M. Joël Bigot. Les Français attendent des mesures concrètes. Or les tarifs de l’électricité augmenteront de 5,9 % au 1er juin prochain. Le climat social, dans les mois qui viennent, dépendra justement des solutions concrètes que le Gouvernement prendra. (Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain.)

relations des français avec les forces de l’ordre

M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.

M. Stéphane Ravier. Ma question s’adresse à M. Castaner, qui est encore, dit-on, ministre de l’intérieur.

Vendredi dernier, j’ai eu le privilège de suivre, pendant plus de huit heures, un équipage de la BST nord, puis de la BAC centre de Marseille. J’ai pu observer de près leur travail au cœur des « supermarshits », ces cités où le trafic de drogue peut rapporter jusqu’à 60 000 euros par jour et où les racailles jouent de la Kalach en plein après-midi. Ces rues de Marseille où, à la nuit tombée, il ne fait vraiment pas bon être une femme seule, être juif ou homosexuel, ou tout simplement être « de souche ». (Exclamations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

Dans les deux cas, j’ai constaté que ces policiers n’ont qu’un objectif : garantir à nos compatriotes la première des libertés qu’est la sécurité, et cela souvent au péril de leur vie.

J’ai posté sur mes réseaux sociaux un bref compte rendu de cette expérience. Quelle ne fut pas ma mauvaise surprise de lire de trop nombreux commentaires d’hostilité envers les forces de l’ordre, motivés par les blessures dont ont été victimes certains « gilets jaunes ».

Comment a-t-on pu en arriver là ? Comment un tel fossé a-t-il pu se creuser entre la police et une partie de la population, alors que le soutien populaire était unanime depuis les attaques, réelles celles-là, des terroristes islamistes qui ont fait plusieurs victimes, je le rappelle, parmi les forces de l’ordre ?

Ce fossé, pour ne pas dire ce projet, a débuté en novembre 2018, quand vous avez appliqué avec zèle la stratégie établie par Emmanuel Macron du pourrissement du mouvement légitime, et au départ pacifique, des « gilets jaunes ». Vous avez laissé s’y infiltrer la violence venue de groupes d’anarchistes et d’extrême gauche que vous refusez toujours de dissoudre.

Par calcul politique et électoral, vous avez volontairement dressé les Français les uns contre les autres, quitte à sacrifier l’image de la police, n’hésitant pas à « bluffer », comme on dit chez vous, autrement dit à mentir, en inventant une attaque contre un hôpital parisien.

Face à ce gâchis financier et surtout humain, face à toute cette violence que vous n’avez pas su ou pas voulu maîtriser, parce que vous manquez de dignité républicaine, vous refusez de quitter la table. Ne pensez-vous pas, monsieur le ministre, que vous devriez au moins présenter vos excuses aux policiers, aux « gilets jaunes » sincères et à l’ensemble des Français ? (M. Jean Louis Masson applaudit.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Christophe Castaner, ministre de lintérieur. Monsieur le sénateur Ravier, j’ai l’habitude d’entendre de votre part un certain nombre d’amalgames.

Comment pouvez-vous à la fois vous plaindre des insultes émanant de gens qui vous écrivent au nom du mouvement des « gilets jaunes » sur vos réseaux sociaux, soutenir la police et ne pas vous étonner que les Black Blocs, dont vous appelez à la dissolution, alors même qu’il ne s’agit pas d’une structure juridique, aient été applaudis, mercredi dernier à Paris, par des manifestants que vous saluez aussi ? À un moment donné, monsieur le sénateur, il faut choisir son camp. Si on est du côté des forces de l’ordre, on les soutient totalement, sans « mais », avec un engagement réel et sincère.

Je ne doute pas qu’il y ait ici des femmes et des hommes qui sont au contact quotidien de ceux qui étaient présents samedi et mercredi derniers. À Paris, 7 600 policiers et gendarmes étaient mobilisés. Il y en a même tous les samedis qui sont mobilisés à Marseille, ville que vous connaissez bien. Vous savez la réalité des violences qu’ils subissent.

Ne cherchez pas de responsabilités là où il ne peut y en avoir. La violence ne s’excuse jamais, ni dans les quartiers, où vous avez accompagné une BAC, ni lors des manifestations. Notre pays est habitué aux manifestations ; cela fait partie de notre culture nationale. Certaines d’entre elles ont réuni jusqu’à un million de personnes et se sont bien déroulées.

Aujourd’hui, nous sommes face à de petits groupes de gens qui considèrent qu’empêcher des commerçants d’ouvrir leur magasin et que la violence sont une façon légitime de revendiquer. Ils se trompent et trompent les Français. Ils ne sont pas le peuple et ne doivent en aucun cas être soutenus dans leurs agissements. (Applaudissements sur des travées du groupe La République En Marche, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)

M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.

Les prochaines questions d’actualité au Gouvernement auront lieu le jeudi 16 mai.

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures quarante-cinq, est reprise à dix-sept heures cinquante, sous la présidence de M. David Assouline.)

PRÉSIDENCE DE M. David Assouline

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

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Mise au point au sujet d’un vote

M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé.

M. Franck Montaugé. Lors du scrutin public n° 80 sur l’ensemble du projet de loi portant création de l’Office français de la biodiversité et de la chasse, modifiant les missions des fédérations des chasseurs et renforçant la police de l’environnement, j’ai été comptabilisé comme m’étant abstenu, alors que je souhaitais voter pour.

M. le président. Acte vous est donné de cette mise au point, mon cher collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.

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Discussion générale (interruption de la discussion)
Dossier législatif : proposition de résolution au nom de la commission des affaires européennes, en application de l'article 73 quater du Règlement, sur la réforme de la politique agricole commune (PAC)
Discussion générale (suite)

Réforme de la politique agricole commune

Suite de la discussion et adoption d’une proposition de résolution européenne dans le texte de la commission

M. le président. Nous reprenons la discussion de la proposition de résolution au nom de la commission des affaires européennes, en application de l’article 73 quater du règlement, sur la réforme de la politique agricole commune.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Colette Mélot. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Pierre Louault applaudit également.)

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de résolution au nom de la commission des affaires européennes, en application de l'article 73 quater du Règlement, sur la réforme de la politique agricole commune (PAC)
Explications de vote sur l'ensemble (début)

Mme Colette Mélot. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me félicite de la tenue de ce débat sur l’avenir de la politique agricole commune, quelques semaines avant les élections européennes. C’est en effet le moment opportun pour rappeler toute l’importance de l’agriculture et des agriculteurs en Europe et en France.

La PAC est sans conteste une politique européenne stratégique, confrontée à de nombreux défis, qui devra être fermement défendue par les futurs députés européens français tout au long de leur mandat, et ce dès leur entrée en fonction. En effet, les débats qui se sont tenus au Parlement européen sur l’avenir de la PAC ont été mis en suspens avec le renouvellement des institutions et n’ont pas abouti à un vote en séance plénière. Seule la commission de l’agriculture a adopté sa position : elle est équilibrée et tente de mieux refléter les attentes des agriculteurs et des consommateurs, comme le fait d’ailleurs cette proposition de résolution du Sénat.

Du côté du Conseil, nous ne pouvons que constater des divisions profondes entre États membres. La France devra se montrer plus que jamais convaincante dans les prochains mois pour que ses partenaires la soutiennent, afin d’aller dans le sens du maintien d’une PAC commune et ambitieuse.

Les cartes restent donc sur la table. Tout est encore possible pour l’avenir de notre agriculture européenne, le meilleur comme le pire, et les risques pesant sur l’avenir de la PAC demeurent omniprésents.

La vigilance sera primordiale pour éviter tout détricotage de la politique agricole commune lors des négociations à venir entre le Parlement européen et le Conseil. J’en veux pour preuve les propositions de la Commission, qui s’inscrivent, comme le souligne la proposition de résolution, dans le sens d’une renationalisation de la PAC. Nous ne pouvons être d’accord avec une telle démarche, qui reviendrait à faire marche arrière sur l’une des politiques européennes les plus intégrées.

Comme le souligne également la proposition de résolution, il est inconcevable d’accepter une baisse de 5 % du budget de la PAC. Opérer une telle coupe budgétaire reviendrait à faire de la PAC une variable d’ajustement du budget européen, alors qu’elle est le ciment de l’architecture européenne. Nous ne devons pas oublier que l’Europe est avant tout une puissance agricole : son budget ne doit pas être sacrifié sur l’autel des nouvelles priorités européennes par manque d’ambition budgétaire des États membres. Au contraire, nous devons davantage soutenir nos agriculteurs, qui font face à de nombreux défis : des normes de plus en plus exigeantes et de nouvelles demandes des consommateurs.

L’alimentation de qualité est un enjeu majeur de nos territoires et sociétés. La concurrence est de plus en plus rude face aux autres puissances agricoles mondiales, les enjeux climatiques et environnementaux sont de plus en plus prégnants. Face à cette situation, il est primordial de préserver et protéger notre agriculture, mais aussi de la renforcer en la rendant plus compétitive, tout en préservant l’environnement. Il faut donc l’accompagner dans sa transition et son évolution, ce qui demande des moyens adéquats et des réponses adaptées. Nous l’avons déjà fait avec la loi Égalim ; il faut poursuivre ce travail et veiller à ce que les mesures adoptées soient bien mises en œuvre sur toute la chaîne alimentaire.

Il faut aussi que la future PAC accompagne la transition vers une meilleure répartition de la valeur entre le producteur, le transformateur et le distributeur. Il convient également d’adapter le droit de la concurrence aux spécificités agricoles et de lutter davantage contre les pratiques déloyales de firmes internationales et transnationales.

Il est également primordial de soutenir les petits agriculteurs, qui représentent le cœur de l’agriculture européenne, comme ceux qui se trouvent dans des zones à handicaps naturels. La Commission le propose déjà dans ses textes ; il faut aller plus loin, ainsi que sur les mesures valorisant les externalités positives de l’agriculture au regard des services qu’elle rend à la société et à l’environnement.

Par ailleurs, l’installation des jeunes agriculteurs doit constituer un pan primordial de cette politique. Je me félicite d’ailleurs de la récente initiative prise par la BEI et la Commission pour lancer un programme européen visant à financer à hauteur de 1 milliard d’euros des prêts à taux réduits destinés aux jeunes agriculteurs. Cela contribuera au renouvellement indispensable des générations dans le monde agricole.

Enfin, l’innovation doit être au cœur des priorités de l’agriculture de demain. Les moyens mis en place sont un signe positif de la volonté d’accompagner les agriculteurs dans cette transition. Il faudra que cela soit une opportunité pour eux et non pas un fardeau supplémentaire.

Finalement, la nouvelle réforme de la PAC doit être considérée comme une occasion de nous poser la question du modèle agricole européen que nous souhaitons pour l’avenir : l’agriculture doit rester une priorité européenne, au vu de ses enjeux économiques, territoriaux et environnementaux. Nous devons réfléchir ensemble, avec nos partenaires, pour trouver les meilleures voies et les moyens budgétaires adéquats qui permettront de remplir ces objectifs.

Dans le contexte du Brexit, une attention particulière devra aussi être portée à la préservation des relations commerciales futures entre le Royaume-Uni et l’Union européenne dans les domaines de l’agriculture et de la pêche, en veillant avant tout à préserver les intérêts des agriculteurs français et européens.

Le groupe Les Indépendants soutiendra bien évidemment cette proposition de résolution européenne. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)

M. le président. La parole est à M. Jean Bizet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)

M. Jean Bizet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà maintenant près d’un an, le Sénat votait sa deuxième proposition de résolution européenne sur la réforme de la politique agricole commune. Nous étions alors nombreux sur ces travées à juger que le débat s’engageait sur des bases extrêmement inquiétantes. Aujourd’hui, force est de le constater, ces inquiétudes ne sont pas levées, tant s’en faut. La première d’entre elles porte évidemment sur les ressources budgétaires allouées à l’agriculture européenne.

Le projet de cadre financier pluriannuel de 2021 à 2027 marque à ce titre une véritable rupture, en prévoyant des coupes d’un niveau inégalé, bien supérieur aux 13 milliards d’euros correspondant au Brexit. C’est ainsi qu’une baisse de 15 % est proposée, ce qui représente un manque à gagner de près de 7 milliards d’euros pour l’ensemble de la ferme France et engage la pérennité des filières les plus fragiles, ainsi que la survie économique de nombre d’exploitations à travers notre pays.

Le Gouvernement, sitôt ces annonces connues, s’est bien sûr empressé de contester ce déclin de l’ambition agricole de l’Europe. La vigueur de sa réaction ne saurait toutefois faire oublier à quel point elle fut tardive. En effet, focalisé sur le financement de nouvelles politiques européennes, le Gouvernement a relégué l’agriculture au second rang des priorités françaises durant les discussions budgétaires préparatoires.

En refusant de jouer son rôle de premier défenseur de la PAC auquel nos partenaires étaient habitués, il a de facto donné blanc-seing à la Commission pour proposer l’atrophie des crédits agricoles. Sachez que, lors des différentes rencontres que j’ai pu avoir avec mes partenaires dans les conférences spécialisées pour les affaires communautaires, c’est un message que j’ai malheureusement régulièrement entendu.

Cette erreur est lourde de conséquences, car chacun sait qu’une fois posées les bases d’une négociation il devient très difficile d’en inverser totalement les paradigmes.

Tous les grands pays producteurs de la planète mènent une politique stratégique de renforcement de leurs concours publics à l’agriculture, cela a été évoqué par un certain nombre de nos collègues. Je vous le rappelle, les États-Unis y consacrent pratiquement 498 dollars par Américain, alors que l’Europe n’y consacre que 198 dollars par habitant.

La question financière, pour centrale qu’elle soit, ne doit cependant pas nous conduire à ignorer l’autre sujet de préoccupation de cette réforme de la PAC, à savoir le nouveau modèle de mise en œuvre proposé par la Commission elle-même au travers de l’élaboration par les États membres de plans stratégiques nationaux.

Bien sûr, nous sommes tous en faveur d’une meilleure application du principe de subsidiarité, et nous savons tous que la PAC ne peut faire l’économie d’une simplification administrative supplémentaire. Toutefois, gardons à l’esprit qu’il doit s’agir avant tout de simplifier la vie des agriculteurs et non pas celle de la Commission, qui cherche surtout ici à se défaire d’une charge administrative en la transférant aux États membres.

Mme Sophie Primas. Absolument !

M. Jean Bizet. Le principal danger de cette proposition, qui couvre tant les actions du premier que du second pilier, est ailleurs : il réside en premier lieu dans la remise en cause de la gestion partagée de la politique agricole au niveau communautaire. Ne nous y trompons pas, ce qui en résultera précisément est bel et bien une renationalisation rampante de la PAC et la transformation de ce qui est aujourd’hui une politique commune cohérente en un simple supermarché de possibilités et d’outils. En effet, ce cadre global relâché, combiné aux nouvelles flexibilités accordées aux États membres, laisserait à chaque pays des marges de manœuvre extrêmement importantes, qu’il s’agisse des règles d’éligibilité des bénéficiaires, des contrôles et des sanctions, du choix des types d’aides et de leurs montants, ou encore du niveau même de transferts financiers entre les piliers.

Dans ce contexte, je ne peux que m’inquiéter du fait que cette nouvelle architecture à l’utilité plus que douteuse et au risque bien établi ne fasse pas l’objet d’une opposition plus résolue, notamment de la part des autorités françaises, qui me paraissent à ce sujet bien passives.

Monsieur le ministre, c’est avec une gravité certaine que nous devons aborder la suite de ces négociations, dont vous avez hérité. C’est la légitimité même de la PAC et son efficacité au travers d’une mise en œuvre cohérente sur l’ensemble du continent et le niveau de ses ressources budgétaires qui risquent d’être irrémédiablement remises en cause. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)

M. le président. La parole est à Mme Gisèle Jourda.

Mme Gisèle Jourda. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à l’instar des auteurs de cette proposition de résolution européenne, qui a d’ailleurs le soutien du groupe socialiste, nous sommes nombreux à souhaiter une politique agricole renouvelée dans son projet et ses instruments, une PAC ambitieuse, malgré la perspective du Brexit, qui complique les choses. Nous voulons une PAC impulsée par le Gouvernement, au service des agriculteurs et des biens communs européens. Cela exige notamment une contribution au développement des territoires fragiles dans l’Hexagone et outre-mer.

Je n’évoquerai pas aujourd’hui le rôle de l’Europe, mais la méthode du Gouvernement.

Au cours des derniers mois, les sénateurs, les maires, les conseillers départementaux et les députés européens ont cherché inlassablement à connaître le détail de la cartographie des zones soumises à contraintes naturelles et des zones soumises à contraintes spécifiques. En vain ! Puis cette carte est apparue au détour d’une réunion du Conseil national d’évaluation des normes, qui se tenait au Sénat. Est-ce normal ? Non, je ne le crois pas !

La carte en main, nous avons cherché à en connaître les données pédologiques ou biophysiques et les critères sélectifs ayant permis d’y faire entrer un grand nombre de communes, mais aussi d’en sortir brutalement de nombreuses autres, comme c’est le cas dans mon département de l’Aude et dans celui du Gers. Las, ni vous, ni moi, ni même la Commission européenne, ne sommes en mesure d’obtenir les critères ayant permis à ce gouvernement de faire des choix aux conséquences vitales pour nos agriculteurs et nos communes.

Quelles sont les données dont nous disposons aujourd’hui ? Pour les zones soumises à contraintes naturelles, c’est l’utilisation des données anciennes qui a prévalu. Pour l’exercice d’affinement économique qui aurait pu permettre de lisser la carte, vous avez choisi l’échelle des petites régions agricoles, échelle datant de 1946. Quelle logique ! Aujourd’hui, les PRA sont un ensemble économiquement hétérogène, notamment dans le Gers, et une cartographie basée sur de telles données est immanquablement discriminatoire. Je pourrais aussi vous parler du recours au recensement agricole et du calcul de la surface agricole utile, mais je ne dispose que de cinq minutes pour mon intervention.

Pour les zones soumises à contraintes spécifiques, pour lesquelles vous disposiez d’une marge de manœuvre plus large, le critère du maintien de l’activité touristique a été omis, ce qui est regrettable.

Comme une résolution européenne du Sénat dont je suis l’autrice vous y invitait, vous pouviez utiliser le critère de continuité territoriale pour intégrer dans le zonage à contraintes spécifiques des territoires plus étendus, et non uniquement des communes isolées, territoires qui se trouvaient jusqu’ici exclus de la cartographie des zones défavorisées simples. Ce choix était à votre discrétion, mais vous ne l’avez pas retenu. Pourquoi ?

Venons-en aux conséquences de telles décisions. Elles sont économiquement et socialement dramatiques, pour les agricultrices et les agriculteurs et pour les exploitations les plus fragiles, dont bon nombre seront amenées à disparaître, ce qui amplifiera encore la désertification rurale.

Monsieur le ministre, derrière un point sur la carte se dessinent de véritables drames humains. Quand cesserez-vous de les ignorer ? Que va-t-il advenir face à l’appauvrissement de ces territoires ? Je pense aux élus de la Piège, dans l’Aude, qui, à l’annonce de l’exclusion de leurs communes de la cartographie, ont placé, à l’entrée de leurs agglomérations, des écriteaux « Village à vendre ». L’incompréhension des éleveurs et des jeunes agriculteurs est d’autant plus forte qu’ils se sont investis pour obtenir leur statut, moderniser leurs exploitations et opérer leur conversion, pour nombre d’entre eux, à l’agriculture biologique.

Monsieur le ministre, où sont ces données ? Pourquoi refuser de les communiquer ? La justice administrative a été saisie. Le ministère a donné des informations a minima, quand il a bien voulu donner les bonnes ! C’est insuffisant ! S’agit-il d’éviter les recours devant le tribunal administratif ?

Vous l’avez dit, le Gouvernement a prévu d’accompagner les territoires et les agriculteurs qui sortiront du zonage à partir de 2019, sur une période de transition de deux ans, pour lisser les effets de la réforme. Et après, plus rien ?

La sortie de la cartographie des zones défavorisées implique pour les producteurs agricoles la caducité des agréments sanitaires nécessaires pour la vente des produits issus de circuits courts au-delà d’une distance de 80 kilomètres.

Par ailleurs, la sortie du zonage entraînera de lourdes conséquences financières pour les jeunes agriculteurs, qui perdront alors la bonification de leur aide à l’installation.

La question de l’ICHN, inhérente à la prise en compte des inégalités territoriales, dont l’hyper-ruralité souffre tout particulièrement, justifie une action résolue des pouvoirs publics français. Les difficultés que je viens de soulever vont à l’encontre de l’action cohérente dont nos territoires ont besoin, dans la PAC présente et celle à bâtir.

Monsieur le ministre, même si les habitants de l’Aude ne peuvent pas vous dire merci, ils comptent sur vous pour ce qui concerne le devenir de la PAC.

M. le président. La parole est à Mme Sophie Primas. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Sophie Primas. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons souhaité, avec M. le président de la commission des affaires européennes Jean Bizet, avoir ce débat très important en cette période d’élections européennes. Car comment parler d’Europe sans aborder le sujet de la politique agricole commune ? Comment parler d’Europe sans évoquer cette politique voulue par les pères fondateurs ? Elle a permis, en l’espace de soixante petites années, de garantir une alimentation de qualité et en quantité suffisante pour tous les citoyens européens. N’en déplaise aujourd’hui aux vendeurs de peurs, ceux qui ont le ventre plein et la mémoire courte !

Comment réfléchir à l’avenir de l’Europe sans penser à une politique agricole qui façonne notre modèle de développement, aussi bien sur les plans stratégique, économique et environnemental, qui dessine notre modèle alimentaire, y compris dans sa dimension sanitaire, qui impacte l’aménagement de nos territoires ruraux et constitue, en définitive, une partie de notre identité ?

Henri Cabanel disait qu’un agriculteur se suicide tous les deux jours. C’est un drame. L’émotion que cela devrait susciter est la même que celle que nous avons ressentie lorsque la charpente de Notre-Dame brûlait. C’est notre identité la plus profonde qui est touchée.

Sans la PAC, permettez-moi d’affirmer qu’il n’y aurait sans doute pas l’Union européenne que nous connaissons. Pour la famille gaulliste qui est la mienne, la PAC est l’un des acquis du couple franco-allemand voulu par Adenauer et de Gaulle. Ses difficultés actuelles sont le signe d’un affaiblissement de cet axe franco-allemand que le Président de la République s’était pourtant engagé à relancer.

Tout l’enjeu des négociations en cours sur l’avenir de la PAC, sur la question tant du budget que de son contenu, est de définir quelle agriculture européenne, mais, plus généralement, quelle Europe nous voulons pour demain. Car, oui, monsieur le ministre, nous voulons l’Europe !

Ces négociations ont débuté en 2018 et ont suscité de vives inquiétudes dans nos campagnes. Au-delà du budget, préoccupation majeure plusieurs fois évoquée, le risque le plus important et le plus inédit est celui de la renationalisation de la PAC, qui fait craindre une course au moins-disant social et environnemental au détriment de nos agriculteurs, et qui est l’inverse de l’esprit européen.

La situation est historiquement grave ; si nous en sommes là, monsieur le ministre, c’est que la négociation à laquelle a participé la France a été un échec. Le Président de la République a clairement sa part de responsabilité dans cet échec – comment le nier ? –, et il doit s’en expliquer.

Comment le nier, en effet, sachant les termes dans lesquelles ledit Président esquissait, à la Sorbonne, en septembre 2017, son projet agricole européen ? « La PAC », disait-il, « est devenue un tabou français » ; il poursuivait en affirmant son souhait d’« ouvrir de manière décomplexée et inédite une politique agricole commune […] permettant de laisser plus de flexibilité au niveau des pays ».

Deux ans plus tard, nous y sommes. Les annonces présidentielles ont été mises en œuvre. Et, comme l’a dit Jean Bizet il y a quelques instants, la direction prise sera difficile à modifier.

Certes, entre-temps, plusieurs prises de paroles officielles, dont la vôtre, monsieur le ministre, ont dénoncé tant le budget que la réforme proposés pour la PAC. Le discours que vous nous avez tenu est volontariste, et je vous crois sincère. Mais je ne savais pas que nous étions en cohabitation, tant votre discours est différent de celui du Président de la République…

Les négociations sont au point mort, nous dit-on. Et force est de constater que la France est étonnamment isolée au niveau européen. Le travail diplomatique de conviction et d’alliance doit être repris ; l’heure est venue d’obtenir des résultats. Ce n’est pas une question de majorité politique en Europe – vous le savez, monsieur le ministre. C’est une question de force et de présence de la France dans les instances de décision européennes.

De ce point de vue, j’attire l’attention des électeurs du 26 mai prochain : soyons vigilants s’agissant des groupes politiques européens auxquels les eurodéputés français vont adhérer ; car être dans l’opposition d’extrême ne sert à rien, sinon à affaiblir la position de la France. Ne pas dire où l’on siégera, et être ainsi nulle part, c’est très inquiétant.

Les auteurs de la proposition de résolution se refusent à la fatalité d’un échec des négociations de la PAC.

La procédure de décentralisation de cette politique doit être rejetée de manière unanime, au regard des risques qu’elle présente. Il faut défendre, à la place de cette procédure, un renforcement des mécanismes contracycliques et une meilleure mobilisation de la réserve européenne de crise, tant attendue par nos agriculteurs, afin de couvrir ces derniers contre les aléas économiques, climatiques ou géopolitiques.

Il serait également juste et nécessaire de garantir une concurrence loyale et équilibrée protégeant nos produits alimentaires des importations.

Je soutiens enfin une révision à la hausse des moyens budgétaires, à l’image de ce qui se pratique dans toutes les autres grandes puissances agricoles, afin que nous relevions ensemble les défis auxquels est confrontée l’agriculture. Il y va, monsieur le ministre, de notre indépendance géostratégique et de notre sécurité alimentaire.

Les négociations vont reprendre, après les élections européennes ; c’est un moment historique. Et je vous souhaite – je nous souhaite et je souhaite à la France – force, courage et réussite ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste. – Mme Colette Mélot applaudit également.)