Sommaire

Présidence de M. David Assouline

Secrétaires :

MM. Yves Daudigny, Michel Raison.

1. Procès-verbal

2. Mises au point au sujet de votes

3. Modifications de l’ordre du jour

4. Communication relative à des commissions mixtes paritaires

5. Lutte contre les espèces toxiques envahissantes. – Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Texte élaboré par la commission

Vote sur l’ensemble

M. Vincent Segouin, rapporteur de la commission des lois

Rappel au règlement

M. Jean-Pierre Sueur ; M. le président.

Vote sur l’ensemble (suite)

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d’État auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire

M. Dany Wattebled

M. Thani Mohamed Soilihi

M. Pierre-Yves Collombat

M. Jean-Luc Fichet

M. Jean-Claude Requier

M. Yves Détraigne

M. Philippe Mouiller

Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission.

Suspension et reprise de la séance

6. Réforme de la politique agricole commune. – Discussion d’une proposition de résolution européenne dans le texte de la commission

Discussion générale :

M. Claude Haut, au nom de la commission des affaires européennes

Mme Pascale Gruny, au nom de la commission de la commission des affaires européennes

M. Daniel Gremillet, rapporteur de la commission des affaires économiques

M. Franck Montaugé, rapporteur de la commission des affaires économiques

M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation

M. André Gattolin

M. Fabien Gay

M. Henri Cabanel

Mme Anne-Catherine Loisier

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher

7. Questions d’actualité au Gouvernement

lutte contre le chômage

M. François Patriat ; M. Édouard Philippe, Premier ministre.

fermeture des trésoreries

Mme Josiane Costes ; M. Gérald Darmanin, ministre de l’action et des comptes publics ; Mme Josiane Costes.

manifestations du 1er mai (i)

Mme Éliane Assassi ; M. Édouard Philippe, Premier ministre.

manifestations du 1er mai (ii)

M. David Assouline ; M. Christophe Castaner, ministre de l’intérieur ; M. David Assouline.

actions en faveur de la biodiversité

M. Jérôme Bignon ; M. François de Rugy, ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire.

manifestations du 1er mai (III)

M. Philippe Bas ; M. Christophe Castaner, ministre de l’intérieur.

maisons de services au public

M. Jacques Le Nay ; Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.

loi biodiversité et espèces protégées

M. Ronan Dantec ; Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d’État auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire ; M. Ronan Dantec.

déficit des comptes sociaux

M. Alain Milon ; Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé ; M. Alain Milon.

visite du président de la république à amboise

M. Serge Babary ; M. Christophe Castaner, ministre de l’intérieur.

prix des carburants

M. Joël Bigot ; M. François de Rugy, ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire ; M. Joël Bigot.

relations des français avec les forces de l’ordre

M. Stéphane Ravier ; M. Christophe Castaner, ministre de l’intérieur.

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE M. David Assouline

8. Mise au point au sujet d’un vote

9. Réforme de la politique agricole commune. – Suite de la discussion et adoption d’une proposition de résolution européenne dans le texte de la commission

Discussion générale (suite)

Mme Colette Mélot

M. Jean Bizet

Mme Gisèle Jourda

Mme Sophie Primas

M. Jean-Claude Tissot

M. Pierre Louault

M. Michel Raison

Clôture de la discussion générale.

Texte de la proposition de résolution européenne

Amendement n° 2 rectifié ter de M. Joël Labbé. – Retrait.

Amendement n° 1 rectifié ter de M. Joël Labbé. – Retrait.

Vote sur l’ensemble

Adoption, par scrutin public n° 97, de la proposition de résolution, dans le texte de la commission.

Suspension et reprise de la séance

10. Contrôle de l’application et de l’évaluation des lois. – Adoption d’une proposition de résolution dans le texte de la commission

Discussion générale :

M. Franck Montaugé, auteur de la proposition de résolution

M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur de la commission des lois

M. Alain Richard

M. Pierre-Yves Collombat

M. Jean-Pierre Sueur

Mme Nathalie Delattre

M. Dany Wattebled

Mme Nathalie Goulet

M. François Bonhomme

M. Vincent Segouin

Clôture de la discussion générale

Article 1er

Amendement n° 7 de M. Franck Montaugé. – Retrait.

Amendement n° 8 de M. Franck Montaugé. – Retrait.

Amendement n° 9 de M. Franck Montaugé. – Retrait.

Adoption de l’article.

Article 2 – Adoption.

Articles additionnels après l’article 2

Amendement n° 1 rectifié de Mme Nathalie Goulet. – Retrait.

Amendement n° 4 rectifié de Mme Nathalie Goulet. – Rejet.

Vote sur l’ensemble

Adoption, par scrutin public n° 98, de la proposition de résolution dans le texte de la commission.

11. Ordre du jour

compte rendu intégral

Présidence de M. David Assouline

vice-président

Secrétaires :

M. Yves Daudigny,

M. Michel Raison.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 2 mai 2019 a été publié sur le site internet du Sénat.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté.

2

Mises au point au sujet de votes

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.

M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, lors du scrutin n° 87, portant sur l’ensemble de la proposition de loi relative au droit de résiliation sans frais de contrats de complémentaire santé, M. Alain Bertrand a été enregistré comme s’étant abstenu, alors qu’il souhaitait voter pour.

M. le président. Acte est donné de cette mise au point, mon cher collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.

La parole est à Mme Patricia Morhet-Richaud.

Mme Patricia Morhet-Richaud. Monsieur le président, je souhaite rectifier mon vote lors des scrutins nos 82, 83, 84, 85 et 87 du 2 mai dernier, portant sur le même texte.

En effet, lors du scrutin n° 82, j’ai voté contre, alors que je souhaitais voter pour ; lors des scrutins nos 83, 84, 85 et 87, j’ai voté pour, alors que je souhaitais voter contre.

M. le président. Acte est donné de cette mise au point, ma chère collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.

3

Modifications de l’ordre du jour

M. le président. Mes chers collègues, par lettre en date du lundi 6 mai 2019, le Gouvernement sollicite l’inscription à l’ordre du jour du Sénat du lundi 27 mai, après-midi et soir, et, éventuellement, du mardi 28 mai, après-midi et soir, du projet de loi pour la restauration et la conservation de la cathédrale Notre-Dame de Paris et instituant une souscription nationale à cet effet.

Nous pourrions entamer l’examen de ce texte en séance publique le lundi 27 mai, à seize heures.

La réunion de la commission pour établir le rapport et le texte est fixée au mercredi 22 mai, au matin. Le délai limite pour le dépôt des amendements de séance pourrait, quant à lui, être fixé au vendredi 24 mai, à midi.

Y a-t-il des oppositions ?…

Il en est ainsi décidé.

Par ailleurs, à la suite de la nomination de M. François Pillet au Conseil constitutionnel et de la démission de Mme Catherine Troendlé de son poste de juge suppléante, le scrutin pour l’élection d’un juge titulaire et d’un juge suppléant à la Cour de justice de la République pourrait se tenir mardi 14 mai, de quatorze heures trente à quinze heures, en salle des conférences. Le délai limite pour le dépôt des candidatures à la Présidence serait fixé au vendredi 10 mai, à midi.

Y a-t-il des observations ?…

Il en est ainsi décidé.

4

Communication relative à des commissions mixtes paritaires

M. le président. J’informe le Sénat que les commissions mixtes paritaires chargées de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi portant diverses dispositions institutionnelles en Polynésie française et sur celles du projet de loi organique portant modification du statut d’autonomie de la Polynésie française sont parvenues à l’adoption d’un texte commun.

5

 
Dossier législatif : proposition de loi tendant à renforcer l'intervention du maire dans la lutte contre l'introduction et la propagation des espèces exotiques envahissantes
Article unique

Lutte contre les espèces toxiques envahissantes

Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission

M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe Les Républicains, les explications de vote et le vote sur la proposition de loi tendant à renforcer les pouvoirs de police du maire dans la lutte contre l’introduction et la propagation des espèces toxiques envahissantes, présentée par Mme Agnès Canayer et plusieurs de ses collègues (proposition n° 215, texte de la commission n° 476, rapport n° 475).

La conférence des présidents a décidé que ce texte serait discuté selon la procédure de législation en commission prévue au chapitre VII bis du règlement du Sénat.

Au cours de cette procédure, le droit d’amendement des sénateurs et du Gouvernement s’exerce en commission, la séance plénière étant réservée aux explications de vote et au vote sur l’ensemble du texte adopté par la commission.

La commission des lois, saisie au fond, s’est réunie le 2 mai 2019 pour l’examen des articles et l’établissement du texte. Le rapport a été publié le même jour.

proposition de loi tendant à renforcer l’intervention du maire dans la lutte contre l’introduction et la propagation des espèces exotiques envahissantes

Discussion générale
Dossier législatif : proposition de loi tendant à renforcer l'intervention du maire dans la lutte contre l'introduction et la propagation des espèces exotiques envahissantes
Explications de vote sur l'ensemble

Article unique

Larticle L. 411-8 du code de lenvironnement est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Lorsquil constate la présence dans le milieu naturel dune ou plusieurs espèces mentionnées aux articles L. 411-5 ou L. 411-6, le maire peut en aviser lautorité administrative mentionnée au premier alinéa du présent article. »

Vote sur l’ensemble

Article unique
Dossier législatif : proposition de loi tendant à renforcer l'intervention du maire dans la lutte contre l'introduction et la propagation des espèces exotiques envahissantes
Rappel au règlement

M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble du texte adopté par la commission, je vais donner la parole, conformément à l’article 47 quinquies de notre règlement, au rapporteur de la commission, pour sept minutes, puis au Gouvernement, et enfin à un représentant par groupe, pour cinq minutes.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Vincent Segouin, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi n° 215, présentée par notre collègue Agnès Canayer, vise à renforcer les pouvoirs de police du maire dans la lutte contre l’introduction et la propagation des espèces toxiques envahissantes.

Cette proposition de loi tend plus spécifiquement à donner des pouvoirs au maire, afin qu’il puisse lutter contre les frelons asiatiques. Les maires sont en effet régulièrement interpellés par leurs administrés, qui, inquiets, scrutent et détectent un nid sur leur propriété, sur des espaces privés voisins ou même sur des espaces publics. Ils n’ont cependant aucune compétence lorsque le nid est situé sur une propriété privée dont le propriétaire refuse de donner l’autorisation de pénétrer ou d’agir, sauf s’il existe une menace grave et imminente pour la sécurité publique.

Je commencerai mon intervention par une rapide présentation des espèces exotiques envahissantes.

L’introduction de nouvelles espèces sur le territoire national n’est pas un phénomène récent. Avec le développement des échanges au niveau mondial, il s’est toutefois accéléré et de nombreuses espèces végétales ou animales arrivent sur le sol national. Au total, 14 000 sont comptabilisées. Parmi elles, 10 % s’acclimatent et 10 % de ces 10 % deviennent invasives, avec des conséquences écologiques, économiques ou sanitaires néfastes. On les appelle les espèces exotiques envahissantes.

Certaines ont un impact écologique, avec la création de désordres au niveau de l’écosystème faunique et floral : elles représentent ainsi la troisième menace pour la biodiversité à l’échelon mondial. D’autres ont un impact économique, avec une menace sur l’agriculture, par exemple, ou sanitaire, avec une menace pour la santé publique, comme c’est le cas de l’ambroisie à feuilles d’armoise, qui provoque des allergies.

Les pouvoirs publics se sont rapidement rendu compte de la nécessité de coordonner au plus haut niveau la lutte contre ces espèces. Une convention internationale a tout d’abord été signée en 1992, avant que le sujet ne soit appréhendé à l’échelon européen en 2004. La notion d’espèces exotiques envahissantes a fait son apparition dans le droit national en 2016.

La lutte contre les espèces exotiques envahissantes n’est efficace qu’au début de leur implantation sur le territoire. À ce moment-là, une opération rapide peut permettre d’éradiquer les spécimens d’une espèce sur le territoire à moindre coût. Après cela, l’espèce s’est diffusée et la stratégie de lutte doit s’orienter vers une gestion de la population globale et une protection des espèces autochtones qu’elle menace. Cette stratégie est alors beaucoup plus coûteuse.

En France, c’est le préfet qui dispose du pouvoir de police pour lutter contre l’introduction et la propagation de ces espèces : il peut notamment intervenir à ce titre sur les propriétés privées.

En cas de menace grave et imminente pour la santé publique et la sécurité, le maire peut également prendre, à défaut des propriétaires, toutes les mesures nécessaires pour mettre fin à cette menace au titre de son pouvoir de police générale ; c’est l’article L. 2212-4 du code général des collectivités territoriales. Il peut, dans ce cadre, ordonner la destruction de certaines espèces exotiques envahissantes.

Mais revenons plus précisément au frelon asiatique.

Une seule reine frelon asiatique a été introduite en France en 2004 à l’intérieur de poteries importées de Chine. Présent dans treize départements en 2006, le frelon asiatique avait envahi cinquante-six départements en 2012 et a depuis conquis la France métropolitaine entière, à l’exception de la Corse.

Le cycle de vie des frelons asiatiques est annuel. Les reines sortent de l’hibernation au printemps et fondent de nouveaux nids. Pendant l’été, les frelons chassent les insectes pour nourrir leurs larves, surtout les abeilles et les guêpes. Puis, la colonie meurt naturellement en hiver. Seules les femelles fécondées survivent en se protégeant du froid. Ils ne reviennent jamais dans le nid de l’année précédente ; il faut le savoir. Leur piqûre n’est pas plus dangereuse pour l’homme que la piqûre du frelon européen ou que celle des guêpes. En revanche, les frelons asiatiques représentent un vrai danger pour les abeilles domestiques, donc pour l’apiculture.

La stratégie d’éradication des nids n’est pas très efficace et coûte actuellement très cher. Nous ne constatons aucune diminution du nombre de frelons asiatiques. Au vu de la vitesse de propagation de l’espèce, il semble aujourd’hui que son éradication soit, sinon impossible, du moins très difficile. La recherche se concentre alors sur la protection des ruches.

Le frelon asiatique est classé parmi les espèces exotiques envahissantes et les dangers sanitaires. Le pouvoir de police spéciale en la matière appartient donc au préfet. Cependant, au titre de son pouvoir de police générale, le maire peut intervenir en cas de menace grave et imminente pour la sécurité publique. Je me suis attaché à décrire dans mon rapport les possibilités dont disposent les maires pour lutter contre le frelon asiatique et pour répondre aux sollicitations de leurs administrés en la matière.

La proposition de loi qui nous occupe aujourd’hui vise à donner de nouveaux pouvoirs au maire dans la lutte contre les espèces exotiques envahissantes.

M. Vincent Segouin, rapporteur. L’auteur de la proposition envisageait initialement de permettre au maire de mettre en demeure le propriétaire d’agir contre les espèces exotiques envahissantes présentes sur sa propriété et, à défaut, de procéder à l’exécution de ces opérations aux frais du propriétaire.

Plusieurs effets indésirables étaient toutefois à craindre : l’erreur sur l’identification des espèces, le maire n’étant pas systématiquement un biologiste ; l’emploi des techniques de lutte et les moyens utilisés sans encadrement, ce qui pourrait porter atteinte à la biodiversité au lieu de la protéger ; un risque de mise en cause de la responsabilité du maire en cas de mauvaises actions ou d’inaction ; et la concurrence des pouvoirs de police avec le préfet, susceptible de conduire à la déresponsabilisation des deux autorités. En outre, mettre ces opérations à la charge du propriétaire pourrait avoir un impact négatif en matière de suivi scientifique de la diffusion de l’espèce, avec une diminution des signalements.

Un nouveau pouvoir de police spéciale augmenterait les risques de contentieux, ce qui rendrait encore plus difficile l’exercice du mandat, en particulier pour les petites communes qui ne disposent pas de service juridique. Ce dernier point nous a notamment été souligné par l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité, l’AMF.

Après avoir évalué les différentes hypothèses, la commission des lois a choisi, dans le cadre de la procédure de législation en commission, une autre solution. Celle-ci consiste, d’une part, à rappeler aux maires les pouvoirs dont ils disposent en matière de lutte contre les espèces exotiques envahissantes, en particulier les frelons asiatiques, et, d’autre part, à consacrer la possibilité pour les maires de saisir le préfet du département lorsqu’ils détectent des espèces exotiques envahissantes sur le territoire communal.

Une telle position responsabilise les préfets en leur permettant de prendre les mesures pertinentes à la suite de ce signalement. Le maire aura un rôle de facilitateur et de sentinelle dans la lutte contre les espèces exotiques envahissantes. Il pourra ainsi sensibiliser et informer le public sur les risques. Il pourra jouer le rôle d’intermédiaire pour permettre une action sur les propriétés privées. Il formera un maillon essentiel de la chaîne de détection précoce des espèces, en opérant un signalement aux autorités chargées de la lutte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste, ainsi quau banc des commissions.)

Rappel au règlement

Explications de vote sur l'ensemble
Dossier législatif : proposition de loi tendant à renforcer l'intervention du maire dans la lutte contre l'introduction et la propagation des espèces exotiques envahissantes
Explications de vote sur l'ensemble (début)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour un rappel au règlement.

M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, comme vous l’avez rappelé, les possibilités de déposer des amendements sont très limitées sur un tel texte. Mais je voulais faire un rappel au règlement fondé, notamment, sur l’article 34 de la Constitution.

En effet, le texte tel qu’il nous est présenté a cette particularité d’être totalement inutile, puisqu’il prévoit simplement que le maire peut téléphoner ou écrire au préfet s’il est avisé de l’existence d’insectes toxiques sur le territoire de sa commune.

Mes chers collègues, que nous votions cette loi ou non ne change rien au fait que tout maire peut évidemment téléphoner ou écrire au préfet ou à toute autorité administrative !

Je me permets de le rappeler, car je pense qu’il y a tellement de lois nécessaires qu’il n’est peut-être pas utile de faire des lois qui ne changent rien à ce qui existe aujourd’hui.

M. le président. Acte est donné de votre rappel au règlement, mon cher collègue.

Vote sur l’ensemble (suite)

Rappel au règlement
Dossier législatif : proposition de loi tendant à renforcer l'intervention du maire dans la lutte contre l'introduction et la propagation des espèces exotiques envahissantes
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire dÉtat auprès du ministre dÉtat, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, ce texte, qui soulève la question des espèces exotiques envahissantes, arrive à un moment important pour la discussion française et mondiale sur la biodiversité.

Le groupe d’experts internationaux sur la biodiversité, regroupés au sein de l’IPBES – la Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques – a rendu son premier rapport hier, après avoir siégé une semaine entière à Paris ; il était hébergé par l’Unesco. Le bilan complet qu’il dresse de l’évolution de la biodiversité dans le monde est alarmant : un million d’espèces animales et végétales sont menacées d’extinction, notamment 40 % des amphibiens, 33 % des récifs coralliens et 33 % des mammifères marins.

Le rapport isole des causes et propose des pistes d’action. Cinq causes principales sont évoquées. La première est l’artificialisation et la fragmentation des milieux. La deuxième est la surexploitation des ressources naturelles. La troisième est le changement climatique. La quatrième, ce sont les pollutions. Et les espèces exotiques envahissantes dont nous parlons aujourd’hui sont la cinquième cause d’extinction ou de réduction de la biodiversité dans le monde.

Nous sommes tous, je le crois, en train de prendre progressivement conscience de l’importance d’un tel enjeu, qui a été présenté au G7 Environnement à Metz hier et avant-hier. Cela a donné lieu à la première adoption d’une charte mondiale pour la biodiversité, signée par tous les membres du G7 et par les pays de différents continents qui étaient invités.

À partir de cette action internationale, nous allons mener un agenda ambitieux ayant pour objectifs d’adopter une stratégie pour la décennie qui s’annonce, mais surtout d’ouvrir des pistes d’action mondiale lors de la COP dédiée à la biodiversité, qui aura lieu en Chine fin 2020, et du Congrès mondial de la nature de l’UICN, l’Union internationale pour la conservation de la nature, qui aura lieu à Marseille, donc de nouveau en France, au mois de juin 2020.

Les espèces exotiques envahissantes sont originaires d’autres continents. Elles ont été introduites par l’homme, volontairement ou parfois accidentellement, comme c’est très probablement le cas, vous l’avez rappelé, s’agissant du frelon asiatique. Ce phénomène a pris une ampleur considérable depuis la Révolution industrielle, avec l’augmentation des flux de passagers et de marchandises à travers le monde. En effet, beaucoup d’espèces voyagent comme passagers clandestins.

On dénombre environ 12 000 espèces exotiques en Europe. Heureusement, toutes ne sont pas envahissantes. Elles sont environ un millier à l’être. En France métropolitaine, nous en avons identifié 390.

Ces espèces sont à l’origine d’impacts négatifs multiples : des impacts environnementaux, des impacts économiques sur l’agriculture, sur le tourisme, et des impacts sanitaires sur la santé humaine. Mais ces espèces ont un impact particulièrement important dans nos outre-mer. Je le rappelle, nos outre-mer recèlent environ 80 % de la biodiversité française. Or cette biodiversité est spécifique et fragile. Elle est soumise à des flux importants, qui peuvent être autant de vecteurs de propagation.

Les espèces exotiques envahissantes sont donc un problème sanitaire au sens large, avec un impact sur la santé de l’environnement, la santé vétérinaire, la santé des végétaux et la santé humaine. Du coup, plus ces espèces sont détectées précocement, meilleures sont les chances de parvenir à leur éradication dans un court laps de temps. En effet, lorsque le phénomène devient visible, il est souvent trop tard pour agir, et la détection dépend bien souvent de notre capacité collective à arpenter la nature et à sillonner le territoire, les techniques de lutte empiriques apparaissant parfois comme totalement dépassées. Certaines espèces – c’est le cas du frelon asiatique – sont trop largement répandues pour pouvoir être facilement éradiquées.

À l’échelon international, la Convention pour la diversité biologique intègre dans son programme stratégique 2011-2020, qui s’appelle l’agenda d’Aichi, un objectif spécifique sur ces espèces exotiques envahissantes. C’est d’ailleurs l’un des 4 objectifs sur 20 sur lesquels le rapport relatif à la biodiversité dont je parlais constate que des progrès satisfaisants ont été réalisés. En 2014, l’Europe a édicté un règlement qui liste les espèces et qui pose des interdictions sur ces espèces : interdiction de détention, de transport, d’utilisation, etc.

Par ailleurs, la France s’est dotée, au travers de la loi du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, d’outils permettant de contrôler l’introduction sur notre territoire ou dans le milieu naturel, ainsi que la détention, le transport et l’utilisation de ces espèces. Cette réglementation nationale relève à la fois du ministère de l’agriculture et de l’alimentation, du ministère de la santé et du ministère de la transition écologique et solidaire.

La problématique monte donc en puissance. Il me semble important que le Sénat s’en saisisse. C’est un sujet du quotidien pour nos concitoyens. Cela nécessite une coordination forte entre les acteurs de terrain impliqués à différentes échelles géographiques et la concentration de la lutte sur les espaces et sur les espèces prioritaires, car il n’est pas possible de vouloir agir sur tous les fronts.

M. le rapporteur a présenté la problématique du frelon asiatique sur la base d’une proposition de loi proposée par Mme Agnès Canayer. Ce texte confiait au maire un pouvoir de police renforcé pouvant exiger du propriétaire une action de lutte contre les espèces exotiques envahissantes présentes sur sa propriété.

Mais, comme vous l’avez souligné, monsieur le rapporteur, cette proposition de loi soulevait différentes questions, notamment des risques d’erreur d’appréciation, de traitement inapproprié, de dispersion des moyens, qui ne conduisent pas forcément à l’efficacité recherchée en matière de lutte contre les espèces exotiques envahissantes.

Le maire peut et doit jouer un rôle de sentinelle, d’informateur à l’égard de ses administrés sur cette problématique. C’est le sens de l’amendement de M. le rapporteur, sur lequel le Gouvernement a émis un avis favorable ; il a été adopté par la commission.

À ce jour, il n’existe aucune solution totalement efficace de lutte contre le frelon asiatique. Les pièges physiques ne sont pas sélectifs et les biocides conduisent parfois à des pollutions diffuses. Il est préférable, comme vous l’avez rappelé, de se concentrer sur la protection des ruches par encagement. L’espèce ne présente pas de danger pour l’homme, du moins pas plus que les espèces locales.

Le grand opérateur issu de la fusion de l’Agence française de la biodiversité, l’AFB, et de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage, à savoir l’Office français de la biodiversité, sera un acteur de premier plan, à l’appui des maires et des préfets sur la problématique des espèces exotiques envahissantes. Ses deux composantes travaillent déjà activement sur le sujet en matière de gestion, de prévention, de formation des gestionnaires et de communication.

En liaison avec la stratégie nationale dont je parlais, un Centre de ressources national sur les espèces exotiques envahissantes a d’ores et déjà été créé auprès de l’AFB, animé avec le Comité français des associations de la nature. Ce centre fournit des informations sur les espèces présentes sur le territoire métropolitain, mais aussi en outre-mer, sur les techniques de gestion, sur la réglementation. Il produit une lettre d’information transmise régulièrement à plus de 1 500 acteurs de terrain.

La France dispose déjà de beaucoup des outils nécessaires pour une lutte efficace, ciblée, à travers une chaîne de décision opérationnelle et une mobilisation des acteurs locaux. Le texte amendé par la commission a perdu son caractère normatif,…

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire dÉtat. … comme cela a été rappelé lors du rappel au règlement. Néanmoins, il constitue un appel à la vigilance de chacun, notamment des maires. Cela va dans le bon sens.

M. Jean-Pierre Sueur. Ça ne mange pas de pain !

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire dÉtat. C’est la raison pour laquelle, malgré la perte du caractère normatif du texte, le Gouvernement émet un avis favorable sur cette proposition de loi.

M. Jean-Pierre Sueur. Une loi sans caractère normatif, voilà un concept intéressant…

M. le président. La parole est à M. Dany Wattebled.

M. Dany Wattebled. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi sur laquelle nous sommes appelés à voter cet après-midi vise à renforcer la lutte contre la propagation d’espèces exotiques envahissantes.

En effet, l’introduction volontaire ou fortuite d’espèces exotiques envahissantes est l’une des premières causes majeures d’atteinte à la biodiversité dans nos territoires. Sorties de leur milieu naturel et introduites dans le nôtre, ces espèces déséquilibrent les écosystèmes.

De par sa position de carrefour géographique, le territoire métropolitain est fortement touché par ces espèces, ce qui entraîne des dommages sanitaires et économiques considérables, notamment dans les filières agricoles et forestières.

En effet, n’ayant plus à craindre leurs prédateurs naturels, elles croissent démesurément et menacent, voire détruisent, les espèces qui préexistaient. C’est le cas – cela a été rappelé – du frelon asiatique, qui parasite les ruchers en se nourrissant des abeilles. C’est également le cas du ver bipalium kewense, dont la proie est le lombric.

Face à ce danger, il faut donc prévenir l’introduction de telles espèces, mais il faut surtout agir rapidement lorsque l’introduction n’a pu être empêchée, et pour que celle-ci ne devienne pas invasive.

Depuis l’adoption de la loi du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, le préfet a le pouvoir de procéder ou faire procéder à la capture, au prélèvement, à la garde ou à la destruction des spécimens de l’espèce introduite.

C’est pourquoi il est important que l’État puisse agir afin de préserver la biodiversité de nos territoires, mais aussi la santé de nos concitoyens.

La proposition de loi que nous nous apprêtons à voter aujourd’hui met en lumière le fait que le dispositif existant n’est pas suffisant et doit être complété. Elle vise à conférer au maire le pouvoir d’avertir l’autorité administrative compétente lorsqu’il constate la présence dans le milieu naturel d’une ou plusieurs espèces exotiques envahissantes. Toutefois, comme le maire est trop souvent démuni face aux sollicitations de ses administrés, il nous semble préférable qu’il relaie l’information au préfet, afin que celui-ci se charge de déterminer les actions à entreprendre. Car identifier l’espèce en cause et déterminer l’action idoine requièrent une certaine expertise que ne détient pas nécessairement le maire.

De plus, il est important que les opérations de lutte contre les espèces exotiques envahissantes conservent un financement public. Dans la mesure où la propagation de ces espèces menace et met en danger des écosystèmes de l’ensemble de nos territoires, le sujet relève de l’intérêt général. Nous sommes tous concernés par les externalités négatives de ces espèces et de leur propagation.

C’est pourquoi, même si le groupe Les Indépendants est défavorable à l’augmentation des dépenses publiques, il nous paraît juste que de telles opérations restent financées par la puissance publique. Les spécimens de ces espèces n’ont que faire des frontières administratives de notre territoire. C’est par conséquent à l’État qu’il revient de mener et de coordonner la lutte. À l’heure où nous connaissons la sixième extinction animale de masse, l’enjeu est majeur et le temps presse. Nous devons tous avoir comme objectif la plus grande efficacité. Seule une politique nationale pourra apporter une solution à la mesure de la situation.

Le groupe Les Indépendants soutient l’objectif de cette proposition de loi. Nous sommes cependant convaincus qu’une telle mesure devra s’accompagner d’autres actions en faveur de la préservation de nos écosystèmes si nous voulons sauvegarder la biodiversité de nos territoires.

M. le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.

M. Thani Mohamed Soilihi. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, j’interviens aujourd’hui pour le groupe La République En Marche un peu par hasard : je dois bien avouer que je ne suis pas un spécialiste du frelon asiatique ! (Exclamations amusées.)

Mme Sylvie Goy-Chavent. Vous pourriez le devenir ! (Sourires.)

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Il est encore temps ! (Nouveaux sourires.)

M. Thani Mohamed Soilihi. D’ailleurs, à ma connaissance, il n’existe pas dans mon département, c’est-à-dire Mayotte.

En revanche, d’autres espèces exotiques envahissantes, qu’elles soient animales ou végétales, impactent particulièrement les territoires ultramarins, qui, rappelons-le, comme l’a dit Mme la secrétaire d’État, contiennent 80 % de la biodiversité de notre pays. Je pense notamment à la liane papillon à La Réunion, à la tourterelle turque en Guadeloupe, au rat noir dans différentes îles, à l’iguane vert en Martinique et en Guadeloupe ou à la vigne marronne à Mayotte.

La lutte contre ces espèces constitue donc un défi croissant pour préserver les richesses naturelles exceptionnelles de ces territoires.

Motivée par l’expansion continue du frelon asiatique sur l’ensemble du territoire hexagonal, la proposition de loi, qui nous a été soumise en procédure de législation en commission, visait de façon plus générale à renforcer les pouvoirs de police des maires dans la lutte contre l’introduction et la propagation de ces espèces exotiques envahissantes, en lui permettant de mettre en demeure le propriétaire d’un terrain où s’est implantée une de ces espèces, de faire procéder à leur capture, à leur prélèvement, à leur garde ou à leur destruction.

Si ledit propriétaire n’obtempérait pas dans le délai fixé par le maire, les dispositions du texte autorisaient celui-ci à agir en ses lieu, place et frais.

Conscient que cette proposition de loi répond à une véritable préoccupation de nos concitoyens, qui interpellent très régulièrement leur maire, elle nous paraissait néanmoins comporter en sa rédaction initiale de nombreux effets indésirables, comme le soulignait M. le rapporteur.

En effet, outre le fait que les maires disposent déjà de moyens au titre de leur pouvoir de police générale pour lutter contre les frelons asiatiques et autres « fléaux calamiteux » en cas de danger grave et imminent, le présent texte aurait pu entraîner des conséquences fâcheuses en matière de responsabilité. Nous savons que le but recherché par les auteurs de cette proposition de loi n’est pas de rendre l’exercice du mandat de maire plus difficile qu’il ne l’est aujourd’hui et qu’il s’agit bien au contraire de le faciliter.

Par ailleurs, la lutte contre les espèces toxiques envahissantes nécessite des compétences naturalistes et techniques sans lesquelles les interventions sont au mieux inefficaces, au pire dangereuses pour l’environnement – en raison, par exemple, de l’emploi de produits inadaptés et toxiques – et pour la biodiversité – en cas d’erreur sur l’identification des espèces.

En outre, faire peser le coût des interventions sur les particuliers, au lieu de sensibiliser les citoyens, pourrait avoir comme conséquence la diminution des signalements de ces espèces aux scientifiques et aux pouvoirs publics.

C’est la raison pour laquelle le texte issu de notre commission, qui rappelle aux maires les pouvoirs dont ils disposent aujourd’hui en la matière et leur consacre un rôle d’alerte auprès du préfet lorsqu’ils constatent la présence de spécimens sur le territoire communal, nous satisfait.

La discussion autour de cette proposition de loi a eu le mérite de poser et de clarifier la question de l’articulation adéquate entre les pouvoirs du préfet et ceux des maires. Elle a également permis d’évoquer la prise en charge du coût de ces interventions.

Le groupe La République En Marche se ralliera donc à la position de compromis retenue par le rapporteur et votera en faveur de la proposition de loi ainsi modifiée. (M. Arnaud de Belenet applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.

M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, comme cela a été souligné, cette proposition de loi tente d’apporter une solution à un problème réel : aucun maire ou ancien maire ne dira le contraire. Mais qu’elle y parvienne, c’est une autre affaire !

Le texte soumis à notre approbation améliore incontestablement la proposition initiale, qui, au final, chargeait les maires, qui n’en manquent déjà pas, d’obligations et de responsabilités nouvelles non seulement en matière sanitaire, mais aussi en matière de sécurité.

En l’absence de mise en œuvre de la procédure prévue, la commune devant faire l’avance des frais sans certitude d’être remboursée par le contrevenant, le maire et la commune auraient pu être mis en cause en cas d’accident dû à l’un de ces hyménoptères malvenus.

Mme Sylvie Goy-Chavent. C’est vrai !

M. Pierre-Yves Collombat. Mieux vaut donc laisser cette charge, comme le prévoit d’ailleurs la loi, au préfet et aux spécialistes de la « petite bête », qui peuplent les directions départementales des territoires et de la mer, les DDTM. (Sourires.) Le texte de la commission évite cet écueil, mais vise-t-il à ajouter un outil de lutte, dont nous ne disposerions pas, contre les espèces invasives ? Évidemment non,…

M. Pierre-Yves Collombat. … puisque tout élu municipal, voire tout citoyen, peut déjà aviser l’autorité administrative des dangers potentiels dont il aurait connaissance.

M. Pierre-Yves Collombat. C’est même là le devoir de tout citoyen…

On l’aura compris, le groupe CRCE s’abstiendra d’ajouter une nouvelle disposition superfétatoire à toutes celles qui existent déjà. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – M. Jean-Pierre Sueur applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Fichet.

M. Jean-Luc Fichet. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les espèces exotiques envahissantes ont des effets délétères en matière de biodiversité mondiale, de risques économiques pour les territoires impactés et de santé publique. Parmi ces dernières, le frelon asiatique en est l’un des spécimens les plus redoutables.

Identifié pour la première fois en France il y a une quinzaine d’années après son importation involontaire, il s’est très rapidement propagé sur le territoire et est désormais installé dans toute la France métropolitaine, à l’exception de la Corse. Le frelon asiatique est responsable de dégâts considérables dans les lieux où il sévit. Il s’attaque aux abeilles et aux ruches, causant l’anéantissement de nombreuses colonies. Cette surmortalité est source de fortes inquiétudes, les abeilles étant, en tant qu’insectes pollinisateurs, un maillon essentiel de notre écosystème.

Ma collègue Nicole Bonnefoy, impliquée de longue date sur ce sujet, a ainsi déposé dès 2011 une proposition de loi tendant à créer un fonds de prévention contre la prolifération du frelon asiatique, et notre groupe politique s’est mobilisé à plusieurs reprises.

Il faut également le rappeler, la piqûre du frelon asiatique peut s’avérer potentiellement mortelle pour l’homme et la présence d’un nid constitue une vraie menace pour les particuliers.

La lutte contre cette espèce nuisible repose aujourd’hui essentiellement sur la loi du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages.

L’article L. 411-6 du code de l’environnement prévoit ainsi que sont interdits l’introduction sur le territoire national, la détention, le transport, le colportage, l’utilisation, l’échange, la mise en vente, la vente ou l’achat de tout spécimen vivant d’espèces exotiques envahissantes. L’arrêté ministériel du 14 février 2018 inclut le frelon asiatique dans la liste de ces espèces.

S’agissant des opérations de lutte, elles sont prévues par l’article L. 411-8 du même code, qui dispose que l’autorité administrative, dès le constat de la présence d’une des espèces mentionnées dans l’arrêté, peut procéder ou faire procéder à la capture, au prélèvement, à la garde ou à la destruction de spécimens.

L’article R. 411-46 désigne enfin le préfet de département comme autorité administrative compétente.

Le déploiement du frelon asiatique sur l’ensemble du territoire et sa persistance nécessitent de mettre en œuvre des mesures à grande échelle, les actions localisées paraissant insuffisantes à enrayer sa prolifération.

Une stratégie nationale de lutte, telle que celle qui est prévue par le code de l’environnement, semble donc aujourd’hui incontournable.

Pourtant, en réponse à plusieurs questions adressées par des sénateurs, le Gouvernement reconnaît « qu’il n’y a actuellement aucune stratégie collective reconnue efficace ». Le ministère de l’agriculture et de l’alimentation a, quant à lui, annoncé avoir décidé de subventionner des actions de recherche visant à valider des méthodes de lutte sur le plan de leur efficacité et de leur innocuité sur l’environnement. Il serait à cet égard utile, madame la secrétaire d’État, que le Gouvernement puisse nous informer de l’avancée de ces recherches.

En tout état de cause, les travaux de notre commission des lois, réunie jeudi dernier pour examiner la proposition de loi de notre collègue Agnès Canayer, me paraissent aller dans le bon sens puisqu’ils clarifient le rôle du maire en matière de lutte contre les espèces exotiques envahissantes. Il faut, à cet égard, rappeler que, en l’état actuel du droit et au titre de son pouvoir de police générale, celui-ci peut déjà intervenir sur les propriétés privées en cas de danger grave et imminent pour la sécurité publique, en complémentarité avec le pouvoir de police spéciale du préfet.

Notre commission a, en outre, décidé de consacrer dans la loi le pouvoir d’alerte du maire auprès du préfet lorsqu’il constate la présence d’une de ces espèces sur le territoire communal afin que ce dernier puisse prendre les mesures nécessaires à la suite d’un tel signalement, ce qui n’est, en fait, pas une nouveauté.

Nous avons enfin choisi de valoriser le rôle d’intermédiaire du maire, afin de sensibiliser les citoyens aux risques que constituent ces espèces exotiques envahissantes et d’obtenir l’accord des administrés pour qu’une intervention sur leur propriété privée soit mise en œuvre.

Sur ce sujet, j’ai rappelé la nécessité de ne pas imputer aux particuliers les frais relatifs à ces opérations, afin d’éviter que ceux-ci ne décident, pour éviter ces coûts, de procéder eux-mêmes à la destruction des nids de frelons au travers de manœuvres hasardeuses, voire dangereuses.

La proposition de loi ainsi modifiée nous paraît adaptée et équilibrée. Elle permettra, nous l’espérons, d’aboutir à une lutte plus efficace contre ces espèces exotiques envahissantes. Notre groupe politique votera donc en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et au banc des commissions.)

M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Bravo pour votre courage !

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.

M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le rapport de la Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques révèle une augmentation d’environ 70 % du nombre d’espèces exotiques envahissantes depuis 1970 dans 21 pays. Ces espèces contribuent au déclin de notre biodiversité, y compris par leur impact sur l’agriculture.

Parmi ces espèces, le frelon asiatique pose de véritables difficultés dans tous nos territoires du fait de sa prédation à l’encontre des colonies d’abeilles domestiques, alors que ces dernières subissent les effets du changement climatique et de certains pesticides.

Répondant aux préoccupations de nos concitoyens et des élus, les auteurs de la proposition de loi ont souhaité renforcer les pouvoirs du maire en lui permettant d’intervenir contre ces espèces, au sein des propriétés privées et aux frais du propriétaire.

Bien que comprenant parfaitement la frustration de certains maires de ne pas pouvoir intervenir systématiquement en l’absence d’accord du propriétaire – cela m’est arrivé lorsque j’étais maire –, le dispositif proposé ne nous semblait pas le mieux adapté pour freiner l’expansion de l’espèce.

En effet, outre les conséquences juridiques fâcheuses qu’il aurait pu engendrer en ouvrant la porte à la mise en cause de la responsabilité des maires, il aurait eu pour résultat de dissuader les propriétaires de signaler les nids et de les inciter à les détruire, à leurs risques et périls. Or nous avons besoin d’une connaissance la plus exacte possible de l’espèce et de méthodes de destruction sélectives et moins nocives pour l’environnement. De surcroît, la reconnaissance des espèces ne va pas toujours de soi, le frelon asiatique pouvant être confondu avec le frelon d’Europe, la guêpe des buissons, la scolie des jardins et autres hyménoptères.

M. Pierre-Yves Collombat. C’est fâcheux !

M. Jean-Claude Requier. Ces remarques sont applicables à l’ensemble des espèces exotiques envahissantes.

Désormais le texte, tel qu’il résulte des travaux en commission, est dénué de portée normative. Lorsqu’il est saisi de la présence de ces espèces, le maire s’adresse d’ores et déjà au préfet, sans que la loi l’y oblige. Son rôle consacré dans la loi ne serait que celui de « pouvoir » aviser le préfet, qui, en vertu de l’article L. 411-8 du code de l’environnement, peut procéder ou faire procéder à la capture, au prélèvement, à la garde ou à la destruction des spécimens, y compris sur les propriétés privées.

Mes chers collègues, il n’est nul besoin de rappeler au maire qu’il dispose de son pouvoir de police générale.

Mme Sylvie Goy-Chavent. C’est sûr !

M. Jean-Claude Requier. Comme cela a été rappelé par le rapporteur, en cas de danger grave et imminent pour la sécurité publique, le maire peut intervenir dans les propriétés privées sans obtenir d’accord. Certes, l’intervention reste à la charge de la commune. Et c’est là toute la question : qui doit prendre en charge, notamment sur le plan financier, les opérations de destruction ?

En l’absence de prise en charge financière par l’État, le cœur du problème réside dans la réponse à géométrie variable qu’obtiennent nos concitoyens, qui ne sont pas sur un pied d’égalité selon que la collectivité territoriale participe ou non au coût de la destruction.

Nous concevons que l’intention des auteurs de la proposition de loi soit de consacrer le rôle d’alerte du maire, mais il eût été plus pertinent de renforcer les obligations du préfet en la matière, car le problème reste entier, le préfet décidant des suites à donner selon son bon vouloir.

La problématique des espèces exotiques envahissantes devenant dans le cas du frelon asiatique une menace de caractère national, la responsabilité de l’État est d’aboutir à l’élaboration d’un système de prévention et d’intervention plus réactif, car, une fois que ces espèces sont installées, il est souvent trop tard. Le frelon asiatique, suivant un cycle de vie annuel, rend inutile la destruction des nids – si ce n’est pour la protection immédiate des ruches –, car, comme l’a souligné le rapporteur, le frelon asiatique ne revient jamais dans son nid.

Mes chers collègues, il faut agir de manière prudente et une stratégie nationale doit être mise en place pour accompagner les particuliers, les professionnels et les collectivités territoriales dans la destruction des nids si cette solution est considérée comme indispensable.

En tout état de cause, la lutte contre les espèces exotiques envahissantes ne peut uniquement être abordée par le seul prisme de la destruction, mais elle doit faire l’objet d’une recherche visant à rétablir les équilibres écologiques, car les interventions peuvent se retourner contre nos espèces domestiques.

En conclusion, le groupe du RDSE votera ce texte, même modifié et vidé de ses contraintes et de son caractère normatif. En effet, comme auraient pu l’affirmer les jésuites – et c’est un radical qui le dit ! –, l’intention dans ce cas vaut l’action ! (Sourires. – Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi quau banc des commissions. – M. Thani Mohamed Soilihi applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)

M. Yves Détraigne. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous terminons aujourd’hui l’étude de la proposition de loi tendant à renforcer les pouvoirs de police du maire dans la lutte contre l’introduction et la propagation des espèces toxiques envahissantes, dont nous avons examiné jeudi dernier les articles grâce à la procédure de législation en commission.

Comme je l’ai déjà dit à cette occasion, lorsque j’ai découvert le programme de la commission des lois, j’ai commencé par me dire qu’il y avait erreur d’aiguillage : pour quelle raison le frelon asiatique s’invitait-il en discussion devant la commission des lois ?

Lors de l’examen en commission jeudi, les diverses interventions de mes collègues, tous confrontés à ce problème, m’ont un peu éclairé. Mais je n’irai pas jusqu’à dire qu’elles m’ont convaincu de l’intérêt de légiférer sur le sujet.

Le maire est déjà une vigie solide au quotidien et, comme se plaisait à l’énoncer Montesquieu, dont vous connaissez la formule, « les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires ». Un débat sur le sujet n’était sans doute pas inutile pour clarifier les compétences du maire et rappeler l’importance du rôle des préfets en la matière, mais pas suffisamment pour aboutir à la nécessité d’adopter une nouvelle loi.

Si les travaux de la commission ont pu clarifier l’articulation des pouvoirs respectifs du maire et du préfet, et donner aux maires ce que j’appellerai un « mode d’emploi » face aux frelons asiatiques et aux espèces envahissantes, je m’en réjouis évidemment.

Mais les maires de France ayant déjà été confrontés à ce type de problèmes avec divers nuisibles, la jurisprudence est parfaitement établie. Samedi dernier, j’ai lu tout à fait par hasard ceci dans La Lettre de lAdministration Générale d’avril 2019 : « Le juge rappelle qu’il appartient au maire d’une commune, en vertu de ses pouvoirs de police, de prendre les mesures nécessaires pour assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publique. Les interdictions édictées à ce titre ne doivent être ni générales ni absolues, et doivent être justifiées par les troubles, risques ou menaces qu’il s’agit de prévenir. Ces mesures de police doivent être strictement proportionnées à leur nécessité. » Ces mots sont tirés d’un arrêt du 9 juillet dernier de la cour administrative de Marseille concernant la commune de Beaucaire, qui était confrontée à ce même type de problèmes.

Il me semble donc que les maires n’ont pas besoin d’une nouvelle législation pour intervenir, avec les services compétents de l’État, dans la lutte contre l’introduction et la propagation des espèces toxiques envahissantes. La population française serait d’ailleurs certainement moins nombreuse si les maires n’étaient pas intervenus les fois précédentes !

Cependant, ce texte aura sans doute le mérite de sensibiliser les pouvoirs publics et les maires sur ces questions. S’agissant de notre vote, le groupe Union Centriste s’abstiendra sur cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste. – M. Franck Menonville applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Mouiller. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Philippe Mouiller. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui a pour objet de renforcer l’intervention du maire dans la lutte contre l’introduction et la propagation des espèces exotiques envahissantes, et tout particulièrement du frelon asiatique.

Comme pour beaucoup de sujets, les maires sont les premiers réceptacles de l’anxiété de leurs administrés. Ils sont notamment sollicités sans avoir les moyens scientifiques, juridiques et matériels de répondre à leurs demandes.

C’est pourquoi je salue l’initiative de notre collègue Agnès Canayer, qui nous permet de faire le point sur ce sujet et d’apporter une réponse pragmatique à une préoccupation bien réelle. Je salue également l’excellent travail de notre collègue rapporteur, Vincent Segouin.

Ce texte est attendu par les maires et le Sénat est dans son rôle lorsqu’il cherche des solutions adaptées aux collectivités territoriales.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. C’est bien vrai !

M. Philippe Mouiller. Je pense, notamment, aux maires de petites communes, que je rencontre, qui se sentent démunis face à la demande de leurs concitoyens ayant détecté des nids de frelons sur leur propriété ou sur celle de leur voisin. Cela pourrait paraître anecdotique, mais c’est une réalité vécue au quotidien dans nos mairies.

Si certaines espèces exotiques n’ont aucune incidence, d’autres, qualifiées d’envahissantes, ont des impacts importants sur la biodiversité, l’économie et la santé. La lutte contre la prolifération des espèces exotiques envahissantes participe à la préservation de la biodiversité, en grand danger comme le démontre le rapport rendu hier à l’Unesco par les experts de l’IPBES. À ce titre, le frelon asiatique est un bon exemple.

Arrivé en France en 2004, il s’est répandu, en une quinzaine d’années, sur l’ensemble des départements français. Il constitue une réelle menace pour de nombreuses espèces d’insectes, tout particulièrement pour les abeilles domestiques. C’est pourquoi, depuis un arrêté du 26 décembre 2012, le frelon est classé dans la liste des dangers sanitaires de deuxième catégorie, pour l’abeille domestique, sur tout le territoire national.

En France, la loi du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages a donné une définition des espèces exotiques envahissantes. La même loi confie aux représentants de l’État, les préfets, la compétence de lutter contre l’introduction et la prolifération de ces espèces. Il leur revient donc de prendre les mesures adéquates en vertu de leur pouvoir de police spéciale. Toutefois, ils semblent avoir, suivant les départements, une vision différente de l’exercice de leurs prérogatives.

Quant aux élus locaux, certains ont fait le choix de prendre en charge, au niveau communal ou intercommunal, la destruction des nids de frelons chez les particuliers ou ils fournissent des pièges. Souvent, ils diffusent de l’information auprès de leurs administrés sur l’attitude à adopter en cas de découverte de nids de frelons.

Dans sa version initiale, la proposition de loi tendait à renforcer les pouvoirs de police du maire dans la lutte contre l’introduction et la prolifération de ces espèces. Il était ainsi prévu de permettre aux maires, en cas de présence sur une propriété privée d’une espèce exotique envahissante, de mettre en demeure le propriétaire négligent de faire procéder à sa capture, à son prélèvement, à sa garde ou à sa destruction.

Dans l’hypothèse où le propriétaire n’obtempère pas à la mise en demeure, après un certain délai, le maire peut faire procéder d’office à l’exécution de ces opérations, aux frais du propriétaire. Il s’agissait de créer un pouvoir de police spéciale pour les maires. Toutefois, cette proposition a paru poser des inconvénients juridiques, environnementaux et matériels. En effet, la coexistence de deux pouvoirs de police spéciale risquait de conduire à une déresponsabilisation. L’efficacité passe par une clarification du rôle de chacun. De plus, il est toujours délicat pour une commune d’intervenir sur une propriété privée. La probabilité d’un contentieux est forte.

C’est pourquoi la proposition de la commission des lois visant à compléter l’article L. 411-8 du code de l’environnement, en laissant aux préfets, seuls, la compétence de lutter contre l’introduction et la propagation des espèces exotiques envahissantes et à faire du maire un lanceur d’alerte me paraît un bon compromis.

Dans la version adoptée en commission, le maire devient donc un maillon essentiel dans la chaîne de lutte contre ces espèces. Véritable sentinelle, il aura pour mission d’informer la population sur les risques et pourra alerter le préfet en cas de découverte d’espèces envahissantes sur sa commune, pour permettre de prendre les mesures adéquates. En cas de menace grave et imminente, le maire a toujours la possibilité d’agir en vertu de son pouvoir de police générale.

Cette proposition de loi est examinée suivant la procédure de législation en commission, mise en place au Sénat sur l’initiative de son président, Gérard Larcher. Elle me paraît tout à fait appropriée à ce type de texte, qui exige d’être réactif, tout en garantissant un examen approfondi.

Pour tous ces arguments, le groupe Les Républicains votera naturellement en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi quau banc des commissions.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’ensemble de la proposition de loi.

(La proposition de loi est adoptée.) – (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe La République En Marche.)

M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à quinze heures vingt-cinq, est reprise à quinze heures vingt-huit.)

M. le président. La séance est reprise.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi tendant à renforcer l'intervention du maire dans la lutte contre l'introduction et la propagation des espèces exotiques envahissantes
 

6

 
Dossier législatif : proposition de résolution au nom de la commission des affaires européennes, en application de l'article 73 quater du Règlement, sur la réforme de la politique agricole commune (PAC)
Discussion générale (suite)

Réforme de la politique agricole commune

Discussion d’une proposition de résolution européenne dans le texte de la commission

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande de la commission des affaires économiques et de la commission des affaires européennes, de la proposition de résolution au nom de la commission des affaires européennes, en application de l’article 73 quater du règlement, sur la réforme de la politique agricole commune, présentée par M. Daniel Gremillet, Mme Pascale Gruny, MM. Claude Haut et Franck Montaugé (proposition n° 316, rapport n° 378, rapport d’information n° 317).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Claude Haut, au nom de la commission des affaires européennes. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – M. Jean-Luc Fichet et Franck Menonville applaudissent également.)

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de résolution au nom de la commission des affaires européennes, en application de l'article 73 quater du Règlement, sur la réforme de la politique agricole commune (PAC)
Discussion générale (interruption de la discussion)

M. Claude Haut, au nom de la commission des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous nous apprêtons aujourd’hui à débattre d’une troisième proposition de résolution européenne du Sénat consacrée à la prochaine réforme de la politique agricole commune, la PAC. Le Sénat a déjà adopté deux résolutions européennes à ce sujet, les 8 septembre 2017 et 6 juin 2018.

Par cette nouvelle initiative, nous entendons indiquer au Gouvernement les préconisations de la Haute Assemblée et exprimer nos inquiétudes à l’égard des propositions formulées par la Commission européenne.

Pour mémoire, ces propositions de la Commission s’articulent autour de cinq grands axes : un nouveau mode de mise en œuvre de la PAC supposé favoriser la simplicité et l’efficacité, grâce à davantage de subsidiarité ; un meilleur ciblage des aides et leur plafonnement à 100 000 euros par exploitation ; un renforcement notable des ambitions environnementales ; la promotion de la recherche et des innovations technologiques ; enfin, une diminution du budget agricole, estimée par le Parlement européen à 15 % en termes réels pour la période 2021-2027, comparée à la période 2014-2020.

Cette réduction représente, en fait, la matrice de l’ensemble de la réforme.

Depuis leur présentation, le 1er juin 2018, ces propositions sont demeurées largement inchangées, dans un contexte où les négociations entre les États membres au sein du Conseil sont apparues longues et difficiles.

Au regard de tous ces éléments et des positions prises par les autorités françaises, il nous a semblé indispensable de revenir sur le sujet.

Cette troisième proposition de résolution européenne, qui a été adoptée par nos commissions des affaires économiques et des affaires européennes, confirme et prolonge nos réflexions antérieures.

Nous voulons une PAC forte, rénovée et répondant aux attentes des agriculteurs.

Dans cet objectif, notre proposition de résolution comporte 28 demandes et recommandations, visant à : obtenir un budget stable en euros constants sur la période 2021-2027 et réaffirmer les termes des précédentes résolutions du Sénat ; rappeler que la PAC doit demeurer une priorité stratégique pour l’Union européenne ; souligner le fort risque que le nouveau mode de mise en œuvre ne remette en cause la substance même de la politique agricole commune ; mettre en garde contre les perspectives de distorsions de concurrence supplémentaires, de dumping social et environnemental et de pénalisation des producteurs les plus vertueux ; demander de nouvelles améliorations en matière d’adaptation des règles de concurrence ou d’intervention, au-delà des progrès apportés par le règlement « Omnibus » du 13 décembre 2017 ; enfin, saluer les avancées en matière d’aides aux jeunes agriculteurs, de nouvelle réserve de gestion des crises et de soutien accru à la recherche et à l’innovation.

Fort heureusement, les négociations sur les contours de la future réforme de la PAC sont loin d’être finies.

Par ailleurs, les autorités françaises ont affirmé le caractère « inacceptable » des propositions de la Commission européenne en matière budgétaire dans le prochain cadre financier pluriannuel.

Pour autant, nos agriculteurs ont grand besoin d’être rassurés. Il en va de même pour la représentation nationale.

Vous êtes d’ailleurs bien placé pour savoir, monsieur le ministre, que le sujet de la PAC nous tient tous particulièrement à cœur, au point de transcender largement nos différentes sensibilités politiques.

Nous attendons donc avec un grand intérêt de connaître la position du Gouvernement sur l’état des négociations en cours. (M. Thani Mohamed Soilihi applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme Pascale Gruny, au nom de la commission de la commission des affaires européennes.

Mme Pascale Gruny, au nom de la commission de la commission des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en complément de l’intervention de notre collègue Claude Haut, j’axerai mon propos sur la comparaison entre les propositions du Sénat et le schéma de réforme envisagé par la Commission européenne. Or, en l’état actuel des choses, disons-le clairement : l’écart entre les deux apparaît tout à fait considérable.

Certes, ce schéma comporte plusieurs points positifs. Notre collègue vient de les saluer.

Néanmoins, le contenu général des négociations en cours suscite un très vif sentiment de malaise, en raison tout à la fois des contraintes budgétaires, du manque d’ambition et des risques soulevés par les orientations de la Commission européenne.

Plus précisément, ces orientations ne reprennent que très imparfaitement, voire contredisent, aussi bien les recommandations des deux premières résolutions du Sénat, de 2017 et 2018, que celles de notre nouvelle, et troisième, proposition de résolution européenne sur la PAC.

Nous déplorons le projet de diminution drastique du budget : en termes réels, baisse de 12 % pour le premier pilier et de 28 % pour le second. S’y ajoutent l’incertitude pesant sur le nouveau mode de mise en œuvre de la PAC, des interrogations sur les nouvelles ambitions environnementales, ainsi que la perspective d’un quasi-statu quo sur l’adaptation des règles de concurrence aux spécificités agricoles.

En dernière analyse, le risque ultime de la réforme en gestation est même celui d’une renationalisation de la politique agricole.

Depuis de nombreuses années, en effet, les pays de l’Union affichent des divergences de vues de plus en plus profondes sur la PAC. Par cette proposition d’un nouveau mode de mise en œuvre, la Commission manifeste surtout l’intention de mettre un terme à son travail de médiation pour trouver une position commune, en laissant désormais la main largement aux États membres pour la gestion de leur politique agricole.

Or les obligations réglementaires et les standards permettant d’assurer de bonnes conditions agricoles et environnementales, qui figurent dans l’annexe du projet de la Commission, deviendraient presque tous optionnels. Les distorsions de concurrence ne pourraient, dès lors, que s’accentuer dans une course au moins-disant environnemental conduite en toute légalité, au détriment des producteurs les plus vertueux, notamment français, alors même qu’ils éprouvent déjà de grandes difficultés à vivre dignement du fruit de leur travail.

Au surplus, la présentation détaillée du dispositif, qui comprend 142 articles et plusieurs annexes, conduit à craindre un simple « transfert de bureaucratie » de l’Union européenne vers les États membres, dont les agriculteurs ne tireraient aucun bénéfice. En définitive, seule la Commission européenne semblerait y trouver intérêt…

Ce changement radical d’approche fait craindre un fort risque de « renationalisation rampante ». On peut ainsi redouter, à terme, c’est-à-dire à la fin des années 2020, d’aboutir de facto à 27 politiques agricoles qui ne seraient plus communes en rien. Cela marquerait la fin de la PAC telle qu’elle a été conçue et appliquée depuis l’origine, en 1962.

Permettez-moi de conclure en rappelant que mes collègues Daniel Gremillet, Claude Haut, Franck Montaugé et moi-même avions présenté, dès le mois de juillet 2017, un premier rapport d’information intitulé PAC : traverser le cap dangereux de 2020.

Ce travail a été actualisé par un second rapport d’information, publié en février 2019. Le titre de ce document, PAC : arrêter lengrenage conduisant à sa déconstruction dici 2027, résume à lui seul l’évolution inquiétante de ce dossier, ainsi que la ligne directrice qui sous-tend notre proposition de résolution, afin de conjurer pareille perspective.

Depuis le 6 juin 2018, date de notre dernier débat en séance publique avec votre prédécesseur, monsieur le ministre, les négociations sur la future PAC ont continué à avancer, sans malheureusement que les orientations défendues par la Commission européenne soient fondamentalement remises en question, au sein du Conseil, par les États membres.

Or, monsieur le ministre, il y a urgence, car, plus le temps passe, plus ces orientations risquent de s’imposer à la longue.

Le Président de la République nous donne parfois l’impression de nous écouter à Paris, mais de tenir un discours inverse à Bruxelles. Pour peser face à nos partenaires, il faut une parole constante et une voix qui ne tremble pas.

Disons-le franchement : si les autorités politiques françaises ne réagissent pas maintenant, en envoyant un signal politique particulièrement fort, il sera définitivement trop tard ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Élisabeth Doineau applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Gremillet, rapporteur de la commission des affaires économiques. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Franck Menonville applaudit également.)

M. Daniel Gremillet, rapporteur de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en juin dernier, le Sénat a adopté à l’unanimité – et vous étiez des nôtres à l’époque, monsieur le ministre – une proposition de résolution européenne appelant à la préservation d’une politique agricole commune forte.

À cette occasion, j’avais relevé le paradoxe temporel de la proposition de réforme administrative et financière de la PAC proposée par la Commission. Il peut se résumer ainsi : c’est justement à l’heure où l’on parle d’une Europe en crise que la Commission européenne a délibérément choisi de sacrifier sa politique la plus européenne et la plus intégrée. Cette situation n’a pas changé et il est important de le rappeler à la veille des élections européennes. Modifier ainsi la PAC serait plus qu’une faute : ce serait un véritable renoncement.

Un renoncement à l’égard de femmes et d’hommes travaillant jour et nuit, avec passion, pour nourrir le continent. À l’heure où il est si facile d’obtenir des produits alimentaires importés de moindre qualité, comment peut-on justifier de telles coupes drastiques dans les budgets européens, lesquelles viennent saper la compétitivité de nos exploitations au détriment de la sécurité sanitaire du continent ?

C’est un renoncement au regard de l’ambition agroenvironnementale de l’agriculture européenne. Comment pourrait-on demander aux agriculteurs de faire beaucoup plus avec beaucoup moins ?

C’est également un renoncement face à une ambition stratégique que tous les autres grands pays du monde ont bien comprise. La PAC semble une priorité déclinante pour l’Union européenne, alors qu’il en va bien autrement pour toutes les autres grandes puissances agricoles.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : entre 2008 et 2015, alors que l’Union européenne diminuait son budget agricole par habitant de 20 %, la Chine augmentait le sien de 145 %, les États-Unis – un pays déjà largement en tête – de 39 % et le Brésil de 44 %. Et la Commission ambitionne d’accélérer la réduction avec une baisse de 15 % en euros constants du budget de la PAC dans le prochain cadre financier pluriannuel.

Cela fait un an que la position de la Commission est connue. Le Gouvernement a toujours déclaré, en public, être contre ce budget. Or, depuis notre dernier débat, en juin dernier, rien n’a évolué. Les coupes sont toujours là, au même niveau que ce qui avait été annoncé. Ce renoncement, monsieur le ministre, c’est aussi celui du Gouvernement dans la négociation européenne.

Quelques lueurs d’espoir sont apparues, notamment au sein de la commission de l’agriculture du Parlement européen, qui, bien que politiquement contrainte, a proposé quelques avancées. Je pense notamment à la pérennisation jusqu’en 2050 du système des autorisations de plantation de vigne, seul outil de gestion du potentiel de production au sein de la PAC. Mais le bilan reste très terne.

Enfin, et c’est sûrement le plus grave, c’est un renoncement au regard de l’idée européenne en cette veille d’élections.

Les auditions de notre groupe de suivi ont mis en évidence un sentiment, largement répandu dans le monde agricole, de perte de sens de la politique agricole commune. Or la PAC a rempli, depuis 1962, un rôle fondateur essentiel pour garantir une nourriture en quantité suffisante et d’une qualité exemplaire à l’ensemble de l’Union européenne.

Comme aime à le dire le président de la commission des affaires européennes, Jean Bizet, c’est une politique ancienne, mais loin d’être une vieille politique. Elle est la clef d’entrée pour relever les principaux défis du XXIsiècle.

La position du Sénat a toujours été très claire et cette proposition de résolution, fruit d’un travail transpartisan, la réaffirme haut et fort.

Pour nos deux commissions, l’agriculture garantit l’indépendance alimentaire du continent européen, tout comme elle veille à la sécurité sanitaire des consommateurs européens. Elle contribue à la vitalité de nos territoires ruraux. Sans elle, les mécanismes d’aide alimentaire ne seraient pas ce qu’ils sont. Elle permet une meilleure préservation de l’environnement grâce à ses externalités positives qui bénéficient à l’ensemble de la société.

L’agriculture doit être notre priorité stratégique. C’est pourquoi aucune réforme de la politique agricole commune ne sera satisfaisante sans une préservation a minima d’un budget, d’une ambition en euros pour la période 2021-2027.

Votre responsabilité, monsieur le ministre, est désormais de lutter contre ce renoncement et de faire évoluer les choses. Après, il sera trop tard ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Franck Menonville applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé, rapporteur de la commission des affaires économiques.

M. Franck Montaugé, rapporteur de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour la troisième fois, nous interpellons le Gouvernement sur le devenir, très préoccupant selon nous, de la plus grande politique intégrée de l’histoire de l’Union européenne, la PAC, une politique qui a longtemps été la clef de voûte de toutes les institutions européennes.

Pour l’essentiel, les inquiétudes et les propositions que nous formulions dans les deux résolutions précédentes persistent. Les voici en quelques mots : une vision stratégique faible dans un contexte international où l’indépendance et l’autosuffisance alimentaires deviennent des enjeux majeurs ; des protections amoindries pour les agriculteurs dont le travail n’est pas reconnu à sa juste valeur et qui sont de plus en plus confrontés aux aléas sanitaires, économiques et environnementaux ; une insuffisante prise en compte des attentes de la société et des consommateurs en matière de qualité et de sécurité sanitaires des aliments.

Dans ce contexte, notre groupe de suivi demande au Gouvernement de préserver à euros constants le budget de la PAC pour la période 2021-2027 par rapport à la période 2014-2020. Les premières analyses des effets de la loi du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite loi Égalim, sur le revenu des producteurs ne sont pas bonnes. Pour nous, il est inacceptable de voir le budget français de la PAC diminuer de 15 %, avec plus de 10 % de perte de revenu direct pour les agriculteurs et près de 30 % pour de développement territorial.

En sus des problèmes du programme Leader, le message en direction des acteurs des territoires déjà en difficulté – agriculteurs, maires, etc. – est ici très négatif. C’est pourtant l’épure qui résulte du nouveau contrat de financement pluriannuel.

Vous nous direz, monsieur le ministre, comment, dans un tel contexte, l’effort qui est demandé aux agriculteurs en matière de conversion et de transition vers l’agroécologie sera rendu possible par le Gouvernement.

Dans cette situation, nous appelons à la reconnaissance des externalités positives de l’agriculture – les paiements pour services environnementaux, les PSE –, que nous promouvons avec Henri Cabanel, Jean-Claude Tissot et le groupe socialiste depuis longtemps maintenant, et notre groupe de suivi revient sur l’enjeu du maintien des indemnités compensatoires de handicaps naturels, les ICHN.

Certains territoires et leurs producteurs sont victimes de la nouvelle carte. Je vous renouvelle la proposition gersoise de mettre en œuvre sur ces territoires une démarche expérimentale de PSE. Nous avons tous les éléments – scientifiques, économiques et juridiques – pour nous y engager.

Et s’il fallait ne pas prendre sur les crédits de la PAC, nous vous proposons de rémunérer ces services sur les fonds Horizon Europe – 100 milliards d’euros prévus tout de même sur la période 2021-2027 -, voire sur les fonds LIFE.

Les syndicats agricoles y sont prêts. Il faut y aller !

Je terminerai sur la question centrale de la gouvernance de la future PAC.

Prenons garde, monsieur le ministre, que ce qui, sous couvert de subsidiarité, est présenté comme une simplification de la gestion de la PAC ne se traduise dans les faits par une concurrence accrue entre agricultures nationales.

Dans l’état actuel des propositions, pour le moins floues, le risque de renationalisation de la PAC est pour nous réel. Si cette voie devait être engagée, les inconvénients pour la France pourraient à terme être plus importants que les avantages. Mesurons-le et tirons-en les conséquences politiques !

Pour notre part, nous en appelons plutôt à des mécanismes européens communs et plus souples de gestion. Je pense à la réserve de crise et à l’article 224 qui permet de déroger aux règles de la concurrence, à la mise à disposition des exploitants agricoles d’une boîte à outils de gestion des risques auxquels ils sont confrontés, à des normes identiques – c’est très important – s’appliquant à l’ensemble des agricultures européennes, au refus des produits d’importation qui ne respectent pas les standards de production européens, et donc à la création d’une structure de contrôle sanitaire européen.

La PAC est à un tournant aussi important que celui de 1992, qui avait consisté à s’aligner progressivement sur les prix des marchés par réduction des aides. Depuis l’ouverture de cette période, l’agriculture française se porte-t-elle mieux ? C’est peut-être le cas de certains acteurs des filières, mais certainement pas des producteurs. Cet enjeu social apparaît insuffisamment pris en compte dans les orientations de la Commission.

Notre agriculture a aussi reculé à l’exportation et la question de sa compétitivité est posée.

C’est à l’aune de ces problématiques, en plaçant les paysans et les producteurs agroalimentaires au cœur du raisonnement, que nous construirons une nouvelle étape de l’agriculture répondant aux demandes de la société européenne et aux enjeux de l’agriculture française.

Le commissaire Hogan avouait que « les principes de la future réforme sont déjà acquis ». Alors, pourquoi en discutons-nous ?

Quelle est en définitive, monsieur le ministre, la stratégie du gouvernement français pour que les principes de la future PAC servent les intérêts des agriculteurs français ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains et au banc des commissions. – M. Jean-Marie Janssens applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Didier Guillaume, ministre de lagriculture et de lalimentation. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires économiques, monsieur le président de la commission des affaires européennes, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, cette proposition de résolution, la troisième que le Sénat présente sur ce sujet, a été une nouvelle fois adoptée à l’unanimité, et je veux vous en remercier.

Cette proposition de résolution aide en effet beaucoup le Gouvernement et le ministre que je suis, et je la partage « de fond en comble ».

Je partage vos critiques sur l’orientation politique de l’Union européenne et de la Commission. Pour cette raison, j’espère que, le 26 mai, ces orientations changeront et qu’une nouvelle coalition ainsi qu’une autre majorité pourront voir le jour. En effet, si la majorité devait demeurer inchangée, les mêmes causes produiront les mêmes effets et la Commission exprimera la volonté de baisser le budget de la PAC. La France y est tout à fait opposée !

Pour l’instant, 20 pays en Europe, dont la France et l’Allemagne, sont opposés à la proposition de la Commission, à l’instar du Sénat que je souhaite encore remercier à cet égard.

Sur les 3 points que vous avez évoqués, vous déplorez la baisse du budget ; le Gouvernement aussi.

Vous exprimez la crainte de voir réapparaître la renationalisation ; le Gouvernement également.

Vous écrivez dans la proposition de résolution européenne, ou PPRE, que l’ambition environnementale devait être conditionnée au maintien du budget. C’est, là encore, la position du Gouvernement.

J’y insiste, sur l’ensemble des points que vous évoquez, le Gouvernement français est en parfait accord avec cette PPRE. Si je siégeais à vos côtés, je la voterais volontiers, comme je l’avais fait pour la précédente.

Il est vrai que nous ne vivons pas dans un îlot, que nous ne sommes pas seuls en Europe. Le Gouvernement peut agir sur certains points, et c’est ce qu’il fait ; je vous ai indiqué quelles orientations il suivait.

Mais, en Europe, il faut des majorités. Si la France était seule à décider, le budget de la PAC ne baisserait pas d’un centime et nous pourrions soutenir certaines propositions, comme celle qu’a évoquée M. Montaugé.

Or la France n’est pas seule, pas plus qu’elle n’est isolée. Pour l’instant, sur les 27 États membres, je le redis, seuls 20 sont en phase entre eux. L’objectif de ces pays et le sens du combat que je mène à l’occasion de chaque Conseil des ministres sont de dénoncer le caractère absolument inacceptable de la proposition de la Commission européenne, qui vise à baisser de 3 % le premier pilier de la PAC et de 15 % le second. Le Président de la République l’a également dit lors du Conseil européen devant les chefs d’État et de gouvernement de l’Union, et je l’ai répété plusieurs fois devant le Conseil des ministres.

Il n’est aujourd’hui pas pensable de baisser le premier plier et les aides directes à l’agriculture. Au moment où l’agriculture européenne, notamment française, souffre, il est hors de question de diminuer d’un seul centime ce premier pilier.

Quant au second pilier, il ne doit pas baisser non plus. Si nous voulons travailler sur les sujets du filet de sécurité, du système assurantiel, des ICHN, des zones de montagne et des mesures agroenvironnementales et climatiques, les MAEC, il doit être maintenu.

Or, soyons très clairs : le budget de la PAC va baisser, tout simplement parce que le Royaume-Uni va quitter l’Union européenne. C’est absolument évident ! Dire aujourd’hui que le budget de la PAC ne doit pas diminuer est à la fois un parfait mensonge et une ineptie.

Le travail que nous menons au niveau des États membres, unanimement, c’est tout simplement de dire que, dans le cadre de ce que nous appelons le budget UE-27, c’est-à-dire dans une configuration excluant le Royaume-Uni, il est hors de question que la baisse du budget de la PAC soit supérieure aux 13 milliards d’euros représentant la participation budgétaire du Royaume-Uni. C’est la bataille que nous menons, et elle est absolument indispensable. Si nous tenons pour l’instant, c’est parce que nous disposons, au sein du Conseil des ministres, d’une majorité qualifiée. Il semble que la position de l’Allemagne soit en train d’évoluer ; nous verrons bien ce qu’il en est. D’autres demandes sont par ailleurs exprimées, notamment sur la sécurité, sur les hubs, sur les réfugiés. Encore une fois, nous verrons !

Je puis en tout cas réaffirmer devant vous, mesdames, messieurs les sénateurs, la position de la France : nous soutenons votre PPRE, car elle va exactement dans le sens des orientations suivies par le Gouvernement.

J’en viens aux questions posées par les uns et les autres.

M. Gremillet évoquait une « perte de sens ». Celle-ci peut exister si nous ne savons pas où nous voulons aller. Or, pour ce qui concerne la politique agricole commune, les choses sont très claires. Elle repose sur deux piliers, l’un représentant les aides directes pour le maintien de la compétitivité de l’agriculture, et le second les aides destinées à la transition agroécologique, laquelle ne pourra être accomplie que si ce pilier est suffisamment fort.

Je le réaffirme, s’il est possible d’envisager des ajustements, la France est opposée au basculement des aides d’un pilier à l’autre et, sur ce point, la majorité des États membres partage notre point de vue ; il n’y aura donc pas, je crois, de problème à cet égard.

Mme Gruny, en évoquant les propos du Président de la République, a dit qu’il fallait parler d’une voix qui porte et qui ne tremble pas. Mais je crois que la position de la France est connue ; j’en fais d’ailleurs part lors de chaque Conseil des ministres. Chacun sait en effet – là réside peut-être la différence entre la République fédérale d’Allemagne et la République française – que, pour notre part, nous ne tremblerons pas et que nous garderons jusqu’au bout la même position quant au maintien du budget de la PAC.

M. Laurent Duplomb. On verra bien…

M. Didier Guillaume, ministre. Je partage, je l’ai dit, l’analyse globale du Sénat qu’a développée M. Haut. Nous devons avancer ensemble pour faire muter la PAC et l’agriculture française.

M. Montaugé a parlé des zones défavorisées simples, les ZDS, et de la force européenne d’inspection sanitaire, issue d’une proposition de la France qui a été actée par l’Union européenne et qui sera mise en place dans les mois et les années à venir.

Une telle instance européenne de contrôle sanitaire est indispensable, et la France l’a réclamée à plusieurs reprises.

Si notre pays n’a pas accepté de signer en faveur du lancement de consultations en vue d’un accord entre l’Union européenne et les États-Unis d’Amérique, c’est parce que ce pays refuse l’accord de Paris sur le climat.

La France refuse par ailleurs le dumping social et fiscal, et l’Europe devra se battre pour empêcher l’entrée dans l’Union européenne de produits qui ne correspondent pas à ses standards. À défaut, il n’y aura plus aucune compétitivité et nous serons tous en difficulté.

Pour reprendre très rapidement les principaux points que vous avez soulevés, mesdames, messieurs les sénateurs, je redis que la position de la France est claire : la PAC est une priorité, et ce ne peut être négociable. Elle ne saurait être la variable d’ajustement d’un accord politique portant sur d’autres sujets.

Le budget de la PAC doit être sanctuarisé parce que l’agriculture est un secteur économique très important, stratégique tant pour les territoires, l’alimentation, l’environnement, nos paysages que pour notre secteur agroalimentaire. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement défend une PAC très forte en demandant le maintien de son budget, hors effet Brexit, dans le cadre de l’UE-27, et accueille donc favorablement votre PPRE.

Par ailleurs, le Gouvernement défend une PAC commune réellement intégrée au niveau européen.

Nous l’avons dit à plusieurs reprises, il est hors de question de renationaliser la politique agricole commune. Il y a non pas 27 PAC, mais une seule ! Nous maintiendrons cette position et la majorité, solide, qui s’est constituée autour de ce principe tiendra bon également. À cette fin, nous nous battons pour limiter le nombre de mécanismes facultatifs que certains voudraient nous faire adopter, qu’il s’agisse du plafonnement ou de l’éco-régime – eco-scheme dans le patois du Vaucluse, monsieur Haut ! (Sourires.)

L’eco-scheme du premier pilier doit évidemment être obligatoire pour tous les États membres, sinon il n’a pas de sens. C’est aussi l’un de nos combats et il est absolument indispensable, même si nous n’avons pas encore réuni de majorité sur ce point.

Nous devons donc nous battre inlassablement au sein du Conseil pour défendre le niveau du budget et le maintien d’une politique agricole commune intégrée, et non pas renationalisée. S’il fallait prévoir des mécanismes de flexibilité – on peut bien le comprendre, et la France en fera peut-être elle-même la demande –, ceux-ci devraient être prévus à la marge pour soutenir certaines particularités régionales ou filières économiques.

Il faut également se battre pour que la subsidiarité ne rime pas avec la renationalisation, laquelle n’est pas acceptable.

Pour ce qui concerne la simplification, je l’ai dit, je serai intraitable, tout au moins si je suis soutenu, notamment par le Sénat et par l’Assemblée nationale. La précédente PAC a été beaucoup trop complexifiée, au point d’être incompréhensible pour nos agriculteurs. Elle prévoyait 9 200 critères : on ne savait plus où l’on en était…

Si le Parlement aide la France à simplifier la PAC et à définir de grandes orientations, claires et compréhensibles par tous, tout le monde, l’ensemble des filières et des secteurs, y gagnera. Je compte à cet égard sur vous, mesdames, messieurs les sénateurs.

Enfin, la France défend une PAC forte qui protège ses agriculteurs.

Cette protection est absolument indispensable, afin que nos agriculteurs puissent être réactifs en période de crise. Or, aujourd’hui, le filet de sécurité n’est pas suffisamment important. Si une crise devait survenir, l’Europe ne serait pas assez réactive.

Nous travaillons afin de mettre en place des outils de réactivité en cas de crise climatique, économique ou sanitaire. Je défendrai ainsi, au nom de la France, la présence d’un système assurantiel au sein du second pilier de la PAC.

Aujourd’hui, le système assurantiel ne fonctionne pas, vous l’avez dit à maintes reprises. Il faudra aller plus loin. J’ai rencontré des représentants de la Mutualité sociale agricole et du Crédit Agricole, entre autres. Nous devons créer un nouveau système assurantiel qui vise à aider les paysans, et non à les enquiquiner lorsqu’ils sont confrontés à la grêle, par exemple. Nous aurons l’occasion d’en reparler.

Les agriculteurs ont besoin d’un revenu fort. C’est indispensable.

J’en viens à nos spécificités, dont il convient de tenir compte.

Pour ce qui concerne la spécificité ultramarine, sur laquelle nous avons travaillé avec les délégations parlementaires à l’outre-mer – je salue notamment l’action du président Magras –, il convient de soutenir fortement le programme d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité, le Poséi.

Il faut également maintenir les ICHN pour les zones de montagne et les zones défavorisées qu’évoquait M. Montaugé.

Je précise que 14 000 communes sont désormais inscrites dans la nouvelle carte des zones défavorisées simples, qui a été validée par l’Union européenne, et que 6 800 en sortent, ce qui, évidemment, ne les satisfait pas. Cette carte comprend donc environ 7 000 communes supplémentaires.

Bien sûr, dans notre pays, on ne dit jamais merci : si les communes qui y sont entrées n’ont rien dit, celles qui en sont sorties se sont fait entendre…

Nous avons essayé de régler le cas d’un certain nombre d’exploitations, là où cela était possible. Nous avons procédé à un audit de certaines exploitations. Nous faisons en sorte que l’accompagnement soit de 80 % la première année et de 40 % la deuxième année, et d’examiner s’il est possible d’ajouter des MAEC.

Sur tous ces sujets, nous allons essayer d’avancer.

Mesdames, messieurs les sénateurs, s’agissant de la politique agricole commune, il est important de prendre conscience – c’est évidemment le cas dans cet hémicycle ! – que l’agriculture est une filière économique importante pour notre pays et que le développement économique de ce secteur est absolument essentiel. Pour cette raison, nous devons aider les filières agricoles à se transformer. Les unes et les autres y travaillent, je le crois, beaucoup : les plans de filières qui ont été mis en place sont maintenant actionnés. Nous organisons des comités de suivi trimestriels pour permettre ces évolutions.

La mutation de l’agriculture aujourd’hui en France se fait comme jamais elle ne s’est faite. Il n’existe aucune autre filière économique de notre pays qui ait dû autant lutter ces dernières années, à qui on ait demandé autant de sacrifices et de mutations, que la filière agricole.

Nous pouvons nous retrouver, au travers de votre PPRE et par la suite, sur le fait qu’il faut avancer pour protéger, développer, défendre, promouvoir l’agriculture française.

Pour se battre au niveau européen contre la proposition de la Commission européenne, qui n’est pas acceptable, il faut que nous soyons solides et que nous essayions de faire un pacte. Je l’ai dit à l’Assemblée nationale et à l’ensemble des organisations professionnelles agricoles, qu’il s’agisse de l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture, l’APCA, ou des associations spécialisées : pour être forte et se faire entendre, la France doit être capable de parler d’une seule et même voix. C’est ce que je vous propose. Nous ne serons pas d’accord sur tout, mais nous devrions parvenir à l’être sur trois ou quatre grandes orientations. Les organisations professionnelles agricoles ont toutes répondu positivement à ma proposition, tout comme l’APCA. Il existe des divergences dans le monde agricole, comme dans le monde politique, mais, si nous sommes capables de nous fixer ces trois, quatre, cinq objectifs ou orientations et que la France parle d’une seule et même voix, il sera plus facile pour nous de nous faire entendre.

Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires économiques, monsieur le président de la commission des affaires européennes, mesdames, messieurs les sénateurs, sachez que le Gouvernement, par ma voix, soutient votre action, ainsi que la proposition de résolution européenne que vous présentez cet après-midi, laquelle nous aide et nous donne de la force pour aller négocier. J’espère qu’ensemble nous pourrons faire en sorte que la politique agricole commune post-2020 soit forte, qu’elle nous protège et qu’elle nous donne les moyens, à la fois, d’accorder des aides aux filières économiques et de mener la transition agroécologique. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains et du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. André Gattolin.

M. André Gattolin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes aujourd’hui appelés à nous prononcer sur la troisième proposition de résolution européenne émanant du groupe de suivi sur la PAC, mis en place conjointement en 2016 par la commission des affaires européennes et celle des affaires économiques, dont je salue les rapporteurs. Les deux précédentes PPRE ont été approuvées à l’unanimité par notre assemblée, respectivement en septembre 2017 et en juin 2018.

Cette troisième proposition de résolution survient à un moment très particulier du calendrier.

Nous sommes, en effet, à moins de trois semaines d’un scrutin européen très important, lequel définira les contours politiques du nouveau Parlement européen de Strasbourg qui, lui-même, déterminera les équilibres et les orientations de la future Commission européenne qui prendra officiellement ses fonctions le 1er novembre prochain.

On sait d’ores et déjà que M. Jean-Claude Juncker passera la main puisqu’il n’est pas candidat à sa succession.

On sait aussi que, fort probablement, le Royaume-Uni aura choisi de quitter l’Union européenne à ce moment-là.

La Commission qui achève son mandat, comme toutes celles qui l’ont précédée, a fait l’objet de nombreuses critiques. Si certaines sont justifiées, je veux dire ici qu’il faut néanmoins rendre hommage à bon nombre de décisions et d’engagements pris par cette dernière, notamment au cours des deux dernières années.

Le discours sur l’état de l’Union prononcé en septembre dernier par le président Juncker était particulièrement riche et offensif, insistant sur la nécessité pour l’Union d’affirmer sa souveraineté – on parle ici de souveraineté alimentaire – dans le cadre des valeurs fondatrices qui sont les siennes, à un moment où l’édifice européen est en proie à des menaces à peine voilées, tant à l’intérieur de son périmètre qu’à l’extérieur de celui-ci.

Ce discours n’est pas sans faire écho à celui qui a été porté par le Président de la République française tout au long de sa campagne présidentielle et maintes fois réaffirmé depuis.

Depuis deux ans, la Commission ainsi que les présidences successives du Conseil et les commissions du Parlement européen travaillent ardemment à la préparation du prochain cadre financier pluriannuel 2021-2027, qui fixera les choix budgétaires de l’Union pour la prochaine mandature et même au-delà.

La Commission, en dépit du Brexit qui occupe beaucoup ses services, a voulu aller vite pour tenter d’éviter les affres et parfois la confusion qui avaient régné – on s’en souvient ! – lors de la préparation et de l’adoption in extremis du précédent cadre financier pluriannuel pour la période 2014-2020.

Cette volonté d’anticiper et d’accélérer le processus européen peut avoir ses bons côtés : ainsi, la réactivité accrue de l’Union quant à la production de directives sur des questions stratégiques s’est largement améliorée par rapport à l’enlisement dont elle souffrait parfois dans le passé.

Mais, dans le contexte particulier du prochain cadre financier pluriannuel, l’espoir de la Commission – heureusement déçu ! – de le faire adopter en amont des échéances électorales de cette année avait quelque chose de très gênant d’un point de vue démocratique : en effet, une Commission et un Parlement sortants auraient, purement et simplement, défini par anticipation le cadre budgétaire de toute la mandature à venir, sans que les nouvelles instances concernées par celui-ci aient eu leur mot à dire.

Si nous sommes parvenus à échapper à cette ineptie démocratique, la Commission sortante nous a cependant laissé un testament très directif et qui risque de peser lourd dans les négociations à venir.

À sa décharge, il faut dire que le financement de l’Union européenne repose plus que jamais sur les contributions nationales des États membres, qui, rigueur budgétaire oblige, sont assez malthusiens quant aux moyens à allouer à l’Union et de plus en plus vigilants sur le taux de retour pour leur pays des investissements budgétaires.

En contrepartie, les exigences de nouveaux investissements réclamés par tous dans les domaines de la défense, de la sécurité, de la politique de la recherche et de l’innovation et pour développer Erasmus – j’en passe et des meilleurs ! – conduisent à des arbitrages des plus complexes.

On est aujourd’hui loin des années 1980 et 1990, au cours desquelles les ressources propres dites « classiques » et de TVA représentaient environ 80 % des ressources globales de l’Union, rendant plus facile l’allocation des dépenses pour les différentes politiques communautaires.

Cela n’excuse évidemment pas les coupes importantes proposées par la Commission et soutenues par un certain nombre d’États quant au budget de la PAC pour la période 2021-2027, mais contribue quelque peu à les expliquer.

Certes, il faut adapter et ajuster la PAC aux nouveaux défis de l’époque, comme cela a déjà été fait à de très multiples reprises depuis les années 1980.

Il faut le dire, certaines des propositions de l’actuelle Commission pour le prochain cadre pluriannuel financier sont louables, comme le renforcement des aides aux jeunes agriculteurs, la volonté de consolider l’ambition environnementale et la recherche et l’innovation dans ce secteur, ainsi que la création d’une réserve de crise pluriannuelle.

Mais la baisse du budget global de la PAC pour la période 2021-2027, en particulier des aides au développement rural, telle que proposée par la Commission, n’est pas acceptable pour la France et ne correspond pas au principe fondateur de la PAC à sa création : celle de garantir la souveraineté alimentaire de l’Europe.

La proposition de la Commission de consacrer 10 milliards d’euros, tirés du futur programme Horizon Europe, à la recherche et à l’innovation dans les domaines de l’alimentation, de l’agriculture, du développement rural et de la bioéconomie, contre seulement 3,8 milliards d’euros dans l’actuel programme Horizon 2020, est certes une bonne chose.

Ce qu’on appelle le smart farming, autrement dit l’agriculture de précision, peut apporter beaucoup à notre agriculture, tant en termes de qualité des produits que d’optimisation de la production, en ayant notamment moins recours aux intrants, qui représentent des charges très chères pour les exploitants.

Mais, il faut le dire, les moyens financiers proposés aujourd’hui par la Commission ne sont pas encore suffisants et, en l’état, ces technologies appliquées à l’agriculture restent encore, pour diverses raisons, dont la formation et la connectivité du monde agricole, assez inaccessibles à près de 80 % de nos agriculteurs.

Pour toutes ces raisons et aussi pour toutes celles qui ont été rappelées par les rapporteurs, le groupe La République En Marche votera en faveur de cette proposition de résolution européenne, qui donnera à notre gouvernement un appui lors les négociations difficiles qui se rouvriront dans les mois prochains à Bruxelles. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)

M. le président. La parole est à M. Fabien Gay.

M. Fabien Gay. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens à excuser ma collègue Cécile Cukierman qui devait prendre la parole aujourd’hui, mais qui est retenue dans la Loire.

« Faire mieux avec toujours moins de moyens » : monsieur le ministre, si je devais résumer en une seule phrase la direction prise pour l’avenir de la PAC, ce serait celle-là.

Les négociations actuellement en cours sur la future PAC confirment nos craintes, que nous avions déjà exprimées lors des précédents débats, puisque la Commission européenne fait le choix d’un abandon de toute régulation publique des marchés agricoles et d’une renationalisation de la PAC. Ajoutons à cela une baisse du budget et vous voyez combien l’avenir de cette PAC, pourtant politique européenne historique, est sombre.

Alors, oui, les objectifs annoncés par la Commission européenne sont louables ; sans faire de liste exhaustive, nous pouvons nous féliciter de la volonté annoncée d’assurer un revenu équitable aux agriculteurs, de rééquilibrer les pouvoirs dans la chaîne d’approvisionnement alimentaire, ou encore d’agir contre le changement climatique. Mais soyons sérieux : comment réaliser tout cela avec un budget amputé de près de 16 % et, surtout, sans instrument de régulation ?

À l’heure où la Commission européenne fait des annonces vertueuses, l’Union multiplie les accords de libre-échange – seize accords sont sur la table –, alors que, comme nous le disons depuis longtemps, il est temps d’en finir avec ce modèle économique de libre-échange. Celui-ci nuit aux agriculteurs comme aux citoyens et, surtout, les conséquences environnementales sont désastreuses.

Pourtant les États généraux de l’alimentation ont montré que l’on a impérativement besoin de construire un nouveau modèle fondé sur la recherche de la qualité et sur la relocalisation de productions créatrices d’emploi. Le CETA va exactement dans le sens opposé des objectifs annoncés… comme une certaine loi Égalim.

Alors, monsieur le ministre, est-ce un discours de façade ou l’expression d’une réelle volonté ? Je laisse à chacun le soin de se faire son avis.

De plus, la Commission européenne a même précisé que « l’aide aux agriculteurs ne doit pas avoir ou peu d’incidences sur les échanges commerciaux pour que l’Union puisse respecter ses obligations […] dans l’accord de l’Organisation mondiale du commerce ». Elle fait donc fi de la question de la rémunération des agriculteurs, de la régulation du fonctionnement des marchés et de la volatilité des cours des produits agricoles.

Pire encore, la réforme à venir ne se prononce pas sur le protectionnisme de certains États et les conséquences du CETA – monsieur le ministre, j’en profite pour vous demander à quelle date aura lieu la ratification, qui devait initialement intervenir en septembre dernier ; peut-être attendez-vous la fin des élections européennes ? – ou des autres traités de libre-échange. La nouvelle PAC ne définit pas de politique européenne en termes d’échanges avec le reste du monde : à défaut de définir des tarifs douaniers ou des règles d’importation des produits agricoles venant d’autres zones du monde, cette PAC s’inscrit dans un marché mondialisé et dérégulé.

Dès lors, je ne peux que me féliciter de la qualité du rapport conjoint de la commission des affaires européennes et de la commission des affaires économiques, qui ne se sont pas trompées. Oui, mes chers collègues, la réforme qui se profile sera un coup fatal porté à notre modèle agricole. Pour la première fois, la PAC va peu à peu être dissoute au profit des politiques agricoles nationales, variant d’un pays à l’autre, tout comme va l’être l’idéal européen, qui était de construire une destinée agricole commune.

Cet abandon se reflète d’ailleurs dans la position de la Commission européenne tout comme dans celle du gouvernement français. Lors des négociations, monsieur le ministre, vous avez mis en avant la nécessité de préserver un budget stable, ce qui est certes impératif, mais vous semblez avoir oublié que les modalités de gestion de la PAC sont tout aussi importantes et déterminantes.

Au travers d’un nouveau mode de gestion censé être moins bureaucratique, c’est l’approche uniforme, jusqu’ici en vigueur, qui est remise en cause, remplacée par des plans stratégiques élaborés par les États membres, puis validés par la Commission.

Chaque pays pourra ainsi définir des objectifs en compétition avec ceux de ses voisins, ce qui introduira de fait un risque de dumping puisque les règles environnementales, mais aussi sociales, peuvent être adaptées.

Dans cette nouvelle PAC, seuls les grandes firmes agroalimentaires et les grands acteurs de la distribution seront en mesure d’avoir des projets à dimension européenne, à grand renfort de rachats et de fusions-acquisitions. À l’opposé, nous prônons une PAC à l’échelle européenne, afin de permettre une transition vers l’agriculture paysanne et le maintien de paysans nombreux sur tous les territoires.

Face au défi climatique et alimentaire, c’est d’une PAC ambitieuse et rénovée que les Européens ont besoin, et cela implique la reconnaissance d’une exception agricole, l’exclusion du secteur agricole des accords de libre-échange et l’indispensable besoin d’une coopération fondée sur des objectifs partagés.

Nous devons sortir la PAC de cette politique productiviste mortifère. À l’inverse, les Français et les Européens dans leur ensemble veulent une agriculture favorisant les circuits courts, permettant une meilleure traçabilité des produits et favorisant de nouvelles formes de distribution.

Ce qu’ils veulent surtout, c’est une redirection des aides vers les exploitations paysannes en faveur de la transition écologique et une sortie du glyphosate et des substances nocives pour la santé.

Pour conclure, les Européens veulent non pas d’une PAC au rabais, mais d’une PAC en faveur de l’emploi paysan et d’une transition vers l’agriculture paysanne, projet qui répond aux attentes sociétales et environnementales de nos agriculteurs et des citoyens. C’est la raison pour laquelle nous voterons cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel. (M. Éric Gold applaudit.)

M. Henri Cabanel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette nouvelle proposition de résolution européenne sur la réforme de la PAC reprend quelques-uns des grands principes formulés dans les deux textes que le Sénat avait successivement adoptés en 2017 et 2018, et que nous avions pour la plupart approuvés.

Pourquoi renouveler aujourd’hui une attention soutenue sur cette question ? Parce que nous mesurons, au Sénat, combien il est fondamental d’encourager une agriculture performante et durable à l’échelle européenne et de garantir l’avenir des exploitations dans nos territoires.

Est-il utile de rappeler tous les enjeux que recouvre l’agriculture ? J’ai déjà eu l’occasion de les énumérer : indépendance alimentaire, qualité des produits agricoles, santé publique, emplois non délocalisables, exigences environnementales et aménagement du territoire, sans oublier une réponse aux mutations sociétales et aux attentes des consommateurs.

Cela invite à poursuivre avec détermination notre travail d’alerte face aux difficultés, comme la volatilité des prix et les crises sanitaires et climatiques : rares sont les secteurs économiques qui cumulent autant d’aléas.

Ce contexte génère un mal-être qui pousse trop souvent nos paysans au geste fatal : un agriculteur se suicide tous les deux jours. Je ne cesserai de le répéter tant ce chiffre, qui ne fait pas l’actualité, est inacceptable. Pourtant, la filière ne ménage pas sa peine, consciente depuis bien longtemps des mutations.

De PAC en PAC, les paysans jouent le jeu de l’adaptation. Quand il a fallu produire plus dans les années 1960, ils l’ont fait. Quand on leur a demandé de produire moins avec les quotas, ils l’ont fait aussi. Aujourd’hui, on leur demande de produire mieux. Beaucoup le font déjà, et les autres attendent tout simplement qu’on leur en donne les moyens.

La PAC pour 2021 à 2027 va-t-elle dans le bon sens ? Les propositions européennes, publiées par la Commission le 1er juin 2018, donnent-elles les clefs pour une agriculture à la fois compétitive, rémunératrice et respectueuse de l’environnement ?

Les auteurs de la proposition de résolution n’ont pas caché leurs inquiétudes, et je souscris, ainsi que mes collègues du groupe du RDSE, à la plupart d’entre elles.

J’évoquerai d’abord la question des moyens budgétaires, avec, en avant-propos, une parenthèse concernant le constat alarmant sur la PAC actuelle : seulement 3 % des 700 millions d’euros dédiés au programme Leader ont été consommés. C’est un gâchis 100 % français, car nous avons un gros problème qui se résume en une simple phrase : pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?

M. Laurent Duplomb. Tout à fait !

M. Henri Cabanel. Les territoires ruraux font les frais d’une complexification, mais aussi d’un transfert de gestion de ces dossiers aux régions, alors que celles-ci n’y avaient pas été préparées. À un an de la perte de ce budget, la solution est urgente : simplifier les modalités d’instruction.

Sur la prochaine PAC, tout a été dit. On ne peut se satisfaire d’une baisse de 15 % des crédits par rapport au budget 2014-2020. Sans méconnaître les nouvelles priorités de l’Union européenne, l’agriculture ne doit pas devenir la variable d’ajustement.

Cette diminution est à contre-courant de ce que font les grands pays, comme les États-Unis, la Chine et le Brésil, qui renforcent au contraire les moyens qu’ils consacrent à l’agriculture, bien conscients de son rôle stratégique, sans oublier les logiques d’accaparement des terres dans lesquelles certains s’engagent aussi.

Se profile le défi alimentaire global d’un monde à 9 milliards d’individus d’ici à 2050, auquel l’Union européenne devra prendre toute sa part. Il faut nous y préparer dès aujourd’hui.

Le métier d’agriculteur est un métier d’avenir.

La question des moyens de la PAC est aussi pour chacun des États membres celle du niveau des aides que l’on peut apporter à nos agriculteurs à l’échelon local pour soutenir leurs revenus, ainsi que les transitions qu’ils doivent opérer sur leurs exploitations.

Dans le cadre de la loi Égalim, nous avons beaucoup discuté de la question des revenus, car il n’est plus admissible que les agriculteurs vivent à peine, ou plus du tout, de leur travail et se retrouvent victimes de la guerre des prix de la grande distribution.

Sur ce point, j’en profite pour saluer les avancées du projet de directive sur les pratiques commerciales déloyales, qui accentuera ce que l’on a pu déjà faire au niveau national.

Pour revenir à la PAC, je note avec satisfaction un meilleur ciblage des aides au sein de la nouvelle architecture des paiements.

En parallèle, il faut mettre en place un système très opérant de gestion des crises, ce qui implique de reconquérir les esprits au niveau européen pour que le mot « régulation » ne soit pas tabou. On se souvient de l’attentisme des institutions européennes lors de la crise du lait en 2015.

Par ailleurs, la PAC n’a de sens que si elle garantit aussi pour ses agriculteurs un cadre intra-européen de concurrence loyale.

À cet égard, la proposition de résolution insiste sur le principal écueil du nouveau mode de mise en œuvre de la PAC, qui instaure davantage de subsidiarité.

Mais la Commission est-elle prête à revoir sa copie pour éviter que ne s’instaure un dumping social ou normatif, lequel serait notamment défavorable aux exploitants qui s’engagent dans la transition agroécologique ?

J’en viens au dernier point important de la réforme : le relèvement notable des ambitions environnementales. Je suis très attaché à ce volet, sous réserve que soit respectée l’équité entre États membres.

On pourrait, par exemple, inscrire les PSE comme objectif commun.

La proposition de résolution en faveur de la création de paiements pour services environnementaux va dans ce sens. Je l’ai cosignée avec mes collègues Franck Montaugé et Jean-Claude Tissot, mais cette proposition est également soutenue par Joël Labbé, qui a d’ailleurs organisé un colloque au Sénat pour la mettre en avant.

Ce serait un juste retour des choses, pour tout ce qu’apportent à la collectivité les milliers de femmes et d’hommes qui s’investissent au quotidien dans leurs exploitations. À l’heure de l’agribashing, au lieu de stigmatiser nos paysans, il faut soutenir ceux qui ont opté pour des modes de production vertueux.

Les conclusions du rapport 2019 de l’IPBES sur la perte de la biodiversité nous obligent à une responsabilité commune, notamment dans le cadre d’une politique européenne d’agriculture durable que nous devons coconstruire avec tous les États membres. Car, aujourd’hui, nous sommes devenus concurrents, alors que la véritable menace économique vient de l’extérieur.

J’ai été récemment choqué par un reportage, diffusé le 1er mai dernier, qui montrait des agriculteurs espagnols obligés de tronçonner leurs arbres face la commercialisation d’oranges provenant d’Australie ou de Nouvelle-Zélande.

Nous sommes tous concernés et nous devrions être tous solidaires face à l’iniquité des charges sociales et des cahiers des charges concernant les modes de production, en adoptant une réelle politique commune qui lisse déjà en interne les obligations de chacun.

Enfin, je pense vraiment qu’il faut exclure les produits alimentaires des accords de libre-échange, car on ne peut absolument pas garantir une transparence sur ces produits à l’heure actuelle.

En attendant ces avancées, le RDSE approuvera la proposition de résolution européenne sur la prochaine réforme de la PAC, que nous souhaitons, d’un mot, plus ambitieuse. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et sur des travées du groupe socialiste et républicain. – M. Pierre Louault applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste. – M. Jackie Pierre applaudit également.)

Mme Anne-Catherine Loisier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour la France, première puissance agricole de l’Union européenne, la PAC constitue un enjeu majeur : un enjeu alimentaire, un enjeu économique, un enjeu d’aménagement du territoire. Cela a été dit, nous examinons aujourd’hui une troisième proposition de résolution, les deux premières ayant été peu ou pas entendues.

À l’heure où l’Union européenne doit s’affirmer face aux pressions américaines ou asiatiques, il nous apparaît essentiel de ne pas manquer le rendez-vous de la PAC de 2020.

Cette réforme doit être à la hauteur du nouvel ordre mondial qui se dessine. Pour s’imposer, l’Union européenne doit s’appuyer sur ce qui constitue le socle de sa cohésion, la politique agricole commune, et affirmer très clairement une vision stratégique pour l’agriculture de demain.

Comment alors admettre une PAC qui s’orienterait vers une diminution de plus de 15 % des aides directes, bien au-delà des 13 milliards d’euros induits par le Brexit et qui se traduirait par des baisses importantes de revenus des agriculteurs ?

Quand nous savons qu’un tiers des agriculteurs français vivent avec moins de 350 euros par mois, ces perspectives ne sont pas acceptables, d’autant qu’elles s’inscrivent – nous le savons – dans une mondialisation et une dérégulation grandissantes des marchés, qui font peu de cas des standards européens et d’une concurrence loyale.

Monsieur le ministre, quelles sont les chances de survie de notre modèle agricole familial et extensif dans un tel contexte ? Avec, qui plus est, un risque de renationalisation des politiques et le retour en force des stratégies du moins-disant, de dumping social et environnemental, pour conquérir les marchés du voisin.

On s’interroge : où est la vision communautaire ? (M. Laurent Duplomb applaudit.) Soyons donc plus cohérents ! Nous avons voté, il y a quelques mois, une loi Égalim, qui préconise la contractualisation, le regroupement en organisations de producteurs, une montée en gamme, l’inversion de la construction du prix et une meilleure répartition de la valeur entre producteur, transformateur et distributeur.

Pour mettre en place cette loi et être cohérents, il nous faut une PAC qui protège et qui permette d’agir pour une meilleure reconnaissance et une plus juste rémunération du producteur, lui permettant de vivre dignement de son métier, mais aussi – vous l’avez dit, monsieur le ministre – d’investir, d’innover et de gagner en compétitivité agricole.

Les citoyens, les élus, les consommateurs veulent une PAC forte et ambitieuse, mais également réaliste, et non une PAC de repli face aux puissances agricoles conquérantes, américaine, asiatiques ou russe, celles-là mêmes qui semblent avoir bien saisi toute la dimension hégémonique de l’enjeu agricole dans les prochaines décennies et investissent massivement.

Ils veulent une PAC qui s’adapte sans ignorer les pratiques protectionnistes grandissantes de ces mêmes acteurs, lesquels viennent conquérir les marchés européens mais protègent les leurs. Nous concluons pourtant avec ces acteurs des accords de libre-échange portant sur nos filières les plus vulnérables, parce que les plus exigeantes en qualité – je pense notamment au piège dans lequel nous poussons nos producteurs de viande –, et ce sans respecter l’article 44 de la loi Égalim, qui interdit la vente de produits alimentaires ne respectant pas les normes de production ou de traçabilité européennes.

Avec cette nouvelle PAC, cela a été dit, c’est ni plus ni moins la subsistance du modèle d’agriculture français, mais aussi européen, familial, extensif, de qualité et de proximité, présent sur l’ensemble de nos territoires, nourrissant les populations et exportant dans le monde entier, qui est en jeu. Ce modèle crée des emplois et aménage le territoire.

C’est la raison pour laquelle le Sénat réaffirme une fois de plus, en cette période cruciale, que le rendez-vous de la réforme de la PAC ne doit pas être manqué.

Comme ses prédécesseurs l’ont fait avec succès, le Président de la République doit lui-même peser dans les négociations à venir et tracer la voie de l’agriculture européenne du XXIe siècle, compétitive et responsable.

Il faut soutenir les agriculteurs, en priorité ceux qui produisent de la qualité dans le respect de l’environnement, en favorisant, entre autres, la mise en place de paiements pour services environnementaux.

Il faut assurer la viabilité des exploitations, notamment de celles qui se trouvent dans les zones les plus défavorisées.

Il faut prôner une coopération d’un nouveau genre, avec des traités internationaux où la qualité des productions, la santé des consommateurs et le respect de l’environnement deviennent les maîtres mots.

Pour le groupe Union Centriste, qui apporte son total soutien à cette résolution, c’est ainsi que la France apportera sa contribution à une Europe agricole plus juste et plus responsable, une Europe forte qui relève les défis du XXIe siècle, faisant écho aux attentes clairement exprimées par les jeunes générations. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures trente, est reprise à seize heures quarante-cinq, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)

PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher

M. le président. La séance est reprise.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de résolution au nom de la commission des affaires européennes, en application de l'article 73 quater du Règlement, sur la réforme de la politique agricole commune (PAC)
Discussion générale (suite)

7

Questions d’actualité au Gouvernement

M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.

Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur le site internet du Sénat.

J’invite chacun à respecter son temps de parole et la courtoisie, qui font partie des valeurs essentielles du Sénat.

lutte contre le chômage

M. le président. La parole est à M. François Patriat, pour le groupe La République En Marche. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)

M. François Patriat. Il y a quelques semaines, nous pouvions lire dans un éditorial du Monde : « La France, pays du chômage, devient le pays de l’embauche. » (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.) Je sais que cela peut en gêner quelques-uns, ceux qui s’intéressent peu à l’emploi, mais, nous le constatons, les chiffres donnent raison à cette affirmation, puisque 2,7 millions de projets d’embauches sont prévus pour 2019, soit le plus haut niveau depuis 2010, c’est-à-dire 15 % de plus qu’en 2018.

Monsieur le Premier ministre, vous menez, avec le Gouvernement et la majorité, une politique active en faveur de l’emploi. L’OCDE souligne les effets positifs des lois et des mesures qui ont été prises, et elle nous encourage à poursuivre dans cette voie, tout en prenant soin de tous les problèmes sociaux qui se posent à côté et que nous n’ignorons pas. Néanmoins, une trop grande partie de notre jeunesse, de nos seniors et de certains de nos territoires restent exclus du monde du travail. Doit-on donc penser qu’il s’agit d’une fatalité, malgré les efforts entrepris pour redonner au travail la place qu’il mérite ?

Hier, à Matignon, monsieur le Premier ministre, devant les partenaires sociaux et les élus locaux, vous avez rappelé votre objectif : une mobilisation totale pour l’emploi et des solutions concrètes apportées à des problèmes concrets. Il y va de la responsabilité de chacun d’entre nous.

M. Jean-Marc Todeschini. Il serait temps !

M. François Patriat. Sans doute, mon cher collègue, mais il y a encore, aujourd’hui, des apprentis qui, malgré les lois, ne trouvent pas les solutions dont ils ont besoin.

Nous devons agir dans la concertation, pour lever les freins quotidiens à l’embauche, au déplacement, à la formation et multiplier les emplois liés à la transition écologique.

À ce titre, la journée d’hier a posé les bases d’une démarche. Pouvez-vous nous dire, monsieur le Premier ministre, en précisant le cadre, la méthode, le calendrier et les responsables, comment seront mises en place ces actions nécessaires et attendues de tous ? (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Je vous remercie de votre question, monsieur le président Patriat. Elle va me permettre d’indiquer le sens et le fonctionnement de la démarche engagée hier à Matignon, à l’occasion du lancement de la mobilisation nationale et territoriale pour l’emploi et les transitions.

L’objectif de cette mobilisation était, au fond, simple : il s’agissait de constater qu’un certain nombre de problèmes concrets se posent, qu’aucun d’eux ne pourrait être résolu par l’action d’un seul – une seule collectivité, l’État seul, un syndicat ou les seules entreprises – et que, pour lever les freins au retour à l’emploi, pour favoriser encore plus le recours à l’apprentissage, pour mettre en œuvre les instruments de la transition écologique au quotidien, il fallait, indépendamment de la définition de nouveaux instruments ou de la sollicitation de nouveaux budgets, mobiliser les acteurs, afin de trouver des solutions concrètes.

Nous avions identifié cinq thèmes, cinq sujets, sur lesquels nous pouvons nous réjouir d’un certain nombre de nouvelles. Le premier, c’est l’apprentissage.

Vous avez raison, monsieur le président Patriat, l’apprentissage repart ; c’est une bonne nouvelle, parce que c’est évidemment la voie royale du retour à l’emploi. Avec une augmentation de 8 % par rapport à l’année dernière et de 12 % depuis le début de l’année, le recours à l’apprentissage se développe dans notre pays, et c’est tant mieux.

Toutefois, nous le savons, alors même qu’il se développe, un certain nombre de questions pratiques continuent de constituer des freins au développement de l’apprentissage. Comment faire en sorte que toute personne voulant obtenir un contrat d’apprentissage trouve une entreprise pour l’accueillir ? Ce n’est pas le cas aujourd’hui. Dès lors, comment mobiliser les entreprises pour y arriver ? Comment, par ailleurs, faire en sorte de répondre au mieux aux questions très précises, et évidemment très importantes, du logement ou de la mobilité pour les apprentis ?

M. Gérard Longuet. Dix ans de perdu…

M. Édouard Philippe, Premier ministre. On ne peut répondre à ces questions qu’en rassemblant autour de la table l’ensemble des partenaires intéressés par leur résolution. Je pense ainsi aux collectivités territoriales, aux associations environnementales et sociales, aux organisations syndicales et patronales ; en outre, pour la réunion que j’ai organisée hier à Matignon, j’avais demandé à un représentant du Sénat – ce fut le sénateur Dallier – et à un représentant de l’Assemblée nationale d’être présents, afin que l’ensemble des institutions et des partenaires puisse travailler concrètement à la définition de ces solutions.

Nous avions identifié, je l’ai dit, cinq sujets ; il est apparu opportun, lors de la discussion, d’en ajouter un sixième, celui de la rénovation thermique des bâtiments. En effet, les organisations syndicales et les associations environnementales nous ont dit que, malgré l’existence de budgets, d’instruments et de compétences dédiés, c’était encore trop compliqué, qu’il y avait encore trop de freins pour déclencher les décisions de rénovation thermique des bâtiments. Il nous faut donc trouver des solutions concrètes.

Nous sommes convenus d’une méthode : les préfets de région et les présidents de conseil régional organiseront, conjointement, des mobilisations territoriales avec l’ensemble des partenaires. Ils décideront de la granularité, de l’échelon auquel ils doivent rassembler les partenaires – tantôt à l’échelon départemental, tantôt à l’échelon des aires métropolitaines. C’est à eux qu’il reviendra de porter cette appréciation. Notre objectif est simple, mesdames, messieurs les sénateurs : faire en sorte que les questions concrètes trouvent des réponses concrètes.

En juin, une fois le travail fait en région, il sera possible de déterminer la part des réponses qui relève de la logique nationale et celle des réponses qui relève d’accords ou d’engagements territoriaux. En septembre, nous aurons construit cet agenda de solutions, qui nous permettra, je l’espère, d’obtenir des solutions pratiques et concrètes en matière de retour au plein-emploi, de développement de l’apprentissage, d’écologie du quotidien, de diminution de l’usage et de la consommation de plastique, de recyclage. C’est ce que souhaitent nos concitoyens – avoir des solutions pratiques et concrètes –, et c’est ce que cette mobilisation permettra d’obtenir. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Union Centriste.)

fermeture des trésoreries

M. le président. La parole est à Mme Josiane Costes, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)

Mme Josiane Costes. Monsieur le ministre de l’action et des comptes publics, les directeurs départementaux des finances publiques ont reçu, en décembre 2018, une note interne intitulée « Bâtir un nouveau réseau ». Cette note prévoit le démantèlement du réseau de proximité des finances publiques, avec, notamment, la suppression des trésoreries et le regroupement des services des impôts des particuliers et des services des impôts des entreprises d’ici à 2022.

Ainsi, dans le département dont je suis élue, le Cantal, l’application de ce projet pourrait avoir des conséquences très importantes, avec la fermeture de treize trésoreries, de deux services des impôts des particuliers et de deux services des impôts des entreprises. Ces suppressions aggraveraient évidemment la fracture territoriale qui pénalise déjà très lourdement de nombreux territoires ruraux, dont la population, en moyenne plus âgée qu’ailleurs, rencontre de réelles difficultés dans l’utilisation de l’outil numérique. Ne l’oubliez pas, la couverture numérique du territoire n’est pas encore achevée, ce qui contribue à pérenniser les inégalités territoriales ! La présence physique de personnel compétent y est donc indispensable, au nom de la conception du service public à laquelle nous sommes attachés.

Monsieur le ministre, pourriez-vous nous donner plus d’informations sur la suppression envisagée des services de proximité des finances publiques et nous indiquer comment vous comptez les remplacer pour assurer l’égalité entre les citoyens et les territoires ?

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’action et des comptes publics.

M. Gérald Darmanin, ministre de laction et des comptes publics. Permettez-moi de vous rassurer, madame la sénatrice, il n’y a pas de plan de fermeture de trésoreries, et, vous l’aurez constaté, il n’y a eu aucune fermeture de trésorerie dans votre département – celui de l’ancien ministre Mézard, votre prédécesseur –, en 2019. En outre, sur les deux cent quarante-sept communes que compte votre département, il y a quatorze lieux d’implantation de la Direction générale des finances publiques, ainsi que des permanences, demandées d’ailleurs par les élus, dans trois communes.

C’est vrai, il y a eu, depuis neuf ans, 1 200 fermetures de trésorerie ; il y a encore 2 500 trésoreries sur le territoire national.

Le travail des agents de la Direction générale des finances publiques change. On supprime la taxe d’habitation, qui est l’objet de 50 % des visites de particuliers dans les trésoreries. Il y a le prélèvement de l’impôt à la source ; chacun aura vu que la Direction générale des finances publiques sait y faire face avec succès. Il y aura sans doute, demain, la suppression de la déclaration de l’impôt sur le revenu pour les gens qui n’ont pas de changement de vie fiscale. Enfin, le paiement en numéraire – les espèces – ou par chèque sera traité autrement, notamment via des réseaux comme ceux de la poste ou des buralistes – un appel d’offres est organisé en ce moment par la Direction générale des finances publiques, pour qu’il y ait plus de proximité.

Ce que nous souhaitons, c’est qu’il y ait, dans le Cantal, 30 % à 40 % d’agents du service public en plus sur le territoire des communes et que l’on passe de quatorze lieux d’implantation à une vingtaine, voire à plus si nous le pouvons. Je me suis déjà rendu dans le Limousin – en Corrèze, dans la Creuse et la Haute-Vienne –, vos collègues sénateurs de tous bords politiques étaient là, et, chaque fois, j’ai rencontré tous les élus locaux. Je leur ai expliqué cette nouvelle carte, afin, effectivement, d’éviter les fermetures de trésorerie que vous connaissez malheureusement depuis très longtemps. Nous devons changer notre modèle.

Depuis lors, le Président de la République a fait des annonces et, sous l’autorité du Premier ministre, la Direction générale des finances publiques s’inscrit bien sûr dans le cadre de la déconcentration de proximité ; je pense notamment, mais pas seulement, aux maisons France service. Les 2 500 trésoreries et les 110 000 agents des finances publiques seront au plus près des territoires ; moins de personnes à Paris, plus de personnes dans le Cantal, voilà, pour résumer, la politique du Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe Union Centriste.)

M. le président. La parole est à Mme Josiane Costes, pour la réplique.

Mme Josiane Costes. Je vous remercie, monsieur le ministre. Vous l’aurez compris, nos territoires ruraux, où la population est très âgée, ont besoin de présence physique et de proximité. Votre réponse nous rassure. (Applaudissements sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe La République En Marche.)

manifestations du 1er mai (i)

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Mme Éliane Assassi. Le droit constitutionnel de manifester dans le respect est essentiel dans une démocratie.

M. Jean Bizet. Sans casser !

Mme Éliane Assassi. Pourtant, il a été bafoué à Paris, le 1er mai.

Les victimes des interventions violentes et répétées dues, pour l’essentiel, aux forces de l’ordre (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) furent les dizaines de milliers de manifestants réunis ce jour, et non les Black Blocs, dont nous condamnons tous les actes. Cette violence fut déclenchée dès le départ de la manifestation, et – fait inédit – les cortèges syndicaux furent la cible de tirs de grenades et se retrouvèrent noyés dans un nuage de gaz lacrymogène. J’y étais, monsieur le Premier ministre, et j’ai été le témoin de cette agression irresponsable contre des manifestants.

À la télévision et sur Twitter, M. Castaner a d’abord évoqué une « attaque » contre l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière et a même affirmé que nos « forces de l’ordre [étaient] intervenues pour sauver le service de réanimation ». Or les faits et rien que les faits démontrent le contraire.

Monsieur le Premier ministre, vous n’avez pas employé les mêmes termes, mais vous avez indiqué, le lendemain, que le « fait d’entrer dans un hôpital alors qu’on est en train de manifester est idiot et, au fond, scandaleux. »

Je ne qualifierai pas ici l’intelligence des propos de M. Castaner, mais pouvez-vous enfin reconnaître aujourd’hui qu’émettre, lorsqu’on est ministre, des mensonges ou des contrevérités, même si l’on modifie ultérieurement son propos, pour salir le mouvement social relève du scandaleux et de l’inacceptable ? Où est la République de la responsabilité, souvent convoquée par le Président de la République ?

Je le dis avec force, tout cela n’est pas qu’une question de sémantique. La crédibilité du ministre de l’intérieur, qui a manipulé l’opinion, est aujourd’hui entachée, et il devrait, pour le moins, être entendu par les commissions des lois du Parlement.

Trop de blessés, y compris parmi les policiers, trop de violence devraient vous inviter à revoir votre doctrine de maintien de l’ordre, monsieur le Premier ministre.

M. le président. Il faut conclure !

Mme Éliane Assassi. Allez-vous enfin répondre à cette exigence ? (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Madame la présidente Assassi, vous m’interrogez sur la journée du 1er mai dernier, sur les événements qui se sont déroulés ce jour-là et sur la polémique qui s’en est suivie.

Vous commencez votre question en indiquant votre attachement au droit de manifester. Sur ce point, nous sommes d’accord ; la liberté de manifester est une liberté républicaine, c’est une liberté publique, à laquelle nous sommes attachés ; c’est une traduction de la liberté de pensée et de la liberté d’expression.

Cette liberté est organisée, dans le droit français, comme toutes les libertés publiques, et, comme toutes les libertés publiques, elle s’exprime dans le respect du droit.

M. Roger Karoutchi. Bien sûr !

M. Édouard Philippe, Premier ministre. J’observe que, depuis le début de ce qu’il est convenu d’appeler le mouvement des « gilets jaunes », des gens qui se réclament de la liberté de manifester prennent un soin infini à ne pas respecter les règles posées par les parlementaires et par la jurisprudence sur le droit de manifester. Je ne dis pas que c’est condamnable en soi, mais je dis qu’il faut remettre dans cette perspective la totalité de ce qui se passe depuis.

Que s’est-il passé le 1er mai, madame la présidente Assassi ?

Nous le savons, depuis quelques années, le 1er mai n’est plus seulement un jour très symbolique au cours duquel on manifeste – les organisations syndicales et bien au-delà – en mémoire de la lutte qui a permis de passer à la journée de huit heures.

M. Martial Bourquin. C’est mieux que ce que disait le Président de la République…

M. Édouard Philippe, Premier ministre. En effet, vous le savez parfaitement, madame la présidente Assassi, depuis quelques années, viennent se greffer à ces manifestations des femmes et surtout des hommes dont l’objet est non pas du tout de conjuguer leurs efforts pour cette commémoration et pour cette manifestation, mais bien de casser, de provoquer, de profiter de la manifestation pour faire bien autre chose.

Mme Éliane Assassi. Nous en sommes les victimes !

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Cela s’est traduit, le 1er mai 2017, par des images d’une très grande violence ; j’ai notamment en tête le souvenir de ce CRS en flammes – en flammes ! J’ai aussi en tête le souvenir des très grandes violences qui ont eu lieu le 1er mai 2018, au tout début du cortège syndical. Je me souviens également de ce que m’ont dit les responsables d’organisation syndicale, qui demandent eux-mêmes que l’on circonvienne ces casseurs, sans quoi c’est la liberté de manifester qui en pâtit.

M. Pierre Laurent. Nous sommes d’accord !

M. Édouard Philippe, Premier ministre. C’est ce que nous avons fait,…

M. Édouard Philippe, Premier ministre. … en donnant des consignes et en organisant les choses de telle façon que les Black Blocs, comme vous les appelez à juste titre, ne puissent pas venir se mélanger, ne puissent pas priver de leur droit ceux qui veulent manifester dans le respect des règles.

C’est évidemment un exercice difficile ; tous ceux qui se sont occupés d’ordre public savent que c’est un exercice difficile. Néanmoins, je veux le dire, et nous avons un point de désaccord à ce sujet, madame la présidente Assassi, je considère que, de ce point de vue, la journée du 1er mai dernier a été remarquablement tenue. En effet, le ministre de l’intérieur, le préfet de police, l’ensemble de la chaîne de ceux qui sont intervenus en matière d’ordre public ont permis d’éviter les débordements qui étaient pourtant annoncés, prévus et qui allaient faire de Paris, le 1er mai, la capitale de l’émeute. Eh bien, tel n’a pas été le cas ! Je m’en réjouis, et, au fond, je pense que nous nous en réjouissons tous.

Mme Éliane Assassi. On a volé le 1er mai aux travailleurs !

M. Édouard Philippe, Premier ministre. En second lieu, vous évoquez dans votre question le cas de cette intrusion violente dans l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière.

Mme Laurence Cohen. Elle n’était pas violente !

M. Édouard Philippe, Premier ministre. C’était, à l’évidence, une intrusion et, à l’évidence, un certain nombre de gens qui étaient présents sur les lieux ont d’abord dit que cette intrusion violente leur avait donné le sentiment que le fonctionnement normal du service de réanimation – lequel est évidemment sensible, je pense que vous en conviendrez – serait mis en cause ; cela aurait pu avoir des conséquences catastrophiques.

Compte tenu de ces informations, le ministre de l’intérieur a fait une déclaration. Très rapidement, le lendemain, il a indiqué que, compte tenu ce qu’il savait, il avait utilisé une expression qui n’était pas adaptée. Je vais dire une chose très simple, madame la présidente Assassi : avoir, quand on est un responsable public, un mot qui n’est pas adapté, cela arrive, c’est courant. Cela m’est arrivé, et peut-être, un jour, cela vous arrivera-t-il.

Mme Éliane Assassi. Ça m’est arrivé…

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Le corriger, en assumant d’avoir utilisé un terme qui n’était pas adapté et en revenant à un terme qui l’est parfaitement, fait honneur à celui qui le fait, c’est une bonne chose et cela me semble à la hauteur de ce que doit faire un responsable politique. Je veux donc, à cette occasion, redire toute ma confiance en M. le ministre de l’intérieur. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)

manifestations du 1er mai (ii)

M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour le groupe socialiste et républicain.

M. David Assouline. Monsieur le Premier ministre, nous avons entendu vos explications et nous partageons la condamnation de ceux qui utilisent les manifestations pour casser et dévoyer les revendications légitimes de ceux qui s’expriment par ce biais. Toutefois, rien ne peut justifier qu’un ministre de l’intérieur, qui est là pour apaiser et permettre la concorde, jette de l’huile sur le feu en proférant un mensonge massif. (Exclamations ironiques sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)

M. Philippe Dallier. Tout en finesse…

M. David Assouline. Rien ne peut justifier qu’on utilise des techniques de nasse, dont des manifestants légitimes, travailleurs, femmes, enfants, ne peuvent s’échapper. (Protestations sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)

M. Fabien Gay. Il a raison !

M. Philippe Pemezec. C’est de la démagogie !

M. David Assouline. Monsieur le Premier ministre, je vous pose cette question : derrière la déclaration du député Jean-Michel Fauvergue, de votre majorité – « il faut oublier l’affaire Malik Oussekine » (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.) –, faut-il percevoir une doctrine qui ne s’embarrassera plus des libertés publiques et de l’État de droit pour faire face à la difficulté de garantir la liberté de manifester malgré la présence de casseurs ?

Je le dis solennellement ici : ma génération n’oubliera jamais Malik Oussekine (Mêmes mouvements sur les mêmes travées.) et la façon dont il a été tué, à quelques dizaines de mètres d’ici, en se réfugiant dans une cage d’escalier.

Cette nouvelle doctrine est-elle une annonce, signifiant que, maintenant, face à la difficulté du maintien de l’ordre, on ne s’embarrassera plus des libertés publiques et de l’État de droit ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Christophe Castaner, ministre de lintérieur. Monsieur le sénateur David Assouline, je crois qu’il est important d’avoir en tête les circonstances, que le Premier ministre a rappelées, dans lesquelles nous étions en cette veille du 1er mai : les tensions, les informations dont nous avions connaissance, selon lesquelles mille à deux mille personnes viendraient pour casser, la mémoire de certains samedis, du 1er mai 2017, que le Premier ministre a rappelée, et du vandalisme à l’encontre d’un McDonald’s et d’un garage Renault, incendiés le 1er mai précédent. Or, nous le savions tous, certains venaient de nouveau à Paris pour reproduire ces exactions.

La veille de la manifestation, j’ai échangé avec le responsable de la CGT et celui de FO, et j’ai pris un engagement : faire en sorte que la manifestation puisse partir à l’heure prévue et arriver à son point de destination. C’est un exercice difficile, parce que, vous le savez, près de 18 000 personnes s’étaient mobilisées en avant du cortège officiel déclaré, et celui-ci ne pouvait pas partir.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Ce n’est pas la question !

M. Christophe Castaner, ministre. À quatorze heures, nous avons ouvert le chemin, et les 18 000 premières personnes n’ont pas bougé ; alors, nous avons mis en place une force intermédiaire entre la tête du cortège et le cortège de la CGT et des autres partenaires sociaux, pour les faire avancer.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Ce n’est pas la question !

M. Christophe Castaner, ministre. Nous avons ensuite connu, pendant le parcours, de nombreuses exactions, notamment à proximité de l’hôpital de la Salpêtrière. J’ai entendu le maire du XIIIe arrondissement, M. Jérôme Coumet, évoquer, en utilisant d’ailleurs le mot qui m’est reproché, ce qui s’est passé dans une école, les violences à l’entrée de l’hôpital et le CRS blessé, qui, au moment où il était emmené par ses collègues vers l’hôpital, a pu entendre crier : « Achevez-le ! »

Monsieur le sénateur, vous me faites un reproche, celui d’avoir choisi un mot, « attaque », à partir des témoignages qui venaient de m’être livrés par le personnel hospitalier. Au vu des éléments apparus le lendemain, j’ai corrigé ce mot, et je l’ai fait sans aucun état d’âme, parce que, tout simplement, compte tenu de ces éléments, il n’était plus adapté. C’est cela, monsieur le sénateur, la réalité ! N’y voyez pas une quelconque menace pour l’ordre public,…

M. le président. Il faut conclure !

M. Christophe Castaner, ministre. … auquel nous sommes tous, ici, particulièrement attachés, quelle que soit notre histoire, y compris notre histoire commune, et quelle que soit la réalité de notre engagement. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – Mme Laure Darcos et M. François Grosdidier applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour la réplique.

M. David Assouline. La réalité des propos qui viennent d’être tenus sera jugée à l’aune des suites qui seront données à l’ensemble des saisines de l’IGPN, qui tardent à venir.

M. François Grosdidier. Et les agresseurs de policiers ?

M. le président. Il faut conclure !

M. David Assouline. On attend les verdicts ; il y a des centaines de cas, et il n’y a pour l’instant aucun aboutissement. (Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain.)

actions en faveur de la biodiversité

M. le président. La parole est à M. Jérôme Bignon, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)

M. Jérôme Bignon. Monsieur le ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, nous sommes entrés dans la sixième extinction de la biodiversité, qui est majeure, ce n’est plus discutable. Alors que l’homme en est le principal responsable, sommes-nous à la hauteur pour arrêter ce désastre et en protéger les générations qui viennent ?

La biodiversité n’est pas un catalogue d’espèces ni une obsession d’écolo à la mode ; ce n’est pas un sujet d’actualité ni un argument de campagne ; c’est un « miracle » qui a nécessité quelques milliards et plusieurs centaines de millions d’années d’évolution. Or le monde est pourtant en train de l’anéantir, à une vitesse qui s’accélère.

Cette année, nous fêterons le dixième anniversaire du Grenelle de la mer. Nous avions déjà dénoncé, à l’époque, les millions de bouteilles en plastique qui dévalaient nos vallées pour atteindre l’océan ; dix ans après, l’océan compte un septième continent…

Les dossiers des Dreal et des DDT sont remplis de demandes d’artificialisation des sols, qui sont la plupart du temps approuvées, toujours pour de bonnes raisons… Ainsi, tous les cinq ans, la surface agricole utile équivalente à un département disparaît ! Quand arrêterons-nous définitivement de morceler nos campagnes, de polluer nos rivières, de détruire les myriades d’étangs et autres zones humides qui sont la richesse de notre pays ?

Depuis des années, s’accumulent sur les étagères des ministères des rapports sur l’extinction de la biodiversité et sur les solutions pour y mettre fin. Pour nous rassurer, depuis des années, tous les gouvernements successifs s’étourdissent de mots, de réunions, de colloques, de plans d’action.

Monsieur le ministre d’État, le Parlement a les mains liées ; la Constitution confie au Gouvernement la charge de l’urgence et de l’ordre du jour prioritaire. C’est aussi le Gouvernement qui a les clefs de Bercy. Pouvez-vous donc nous annoncer le calendrier de la mise en œuvre des dispositions destinées à arrêter la perte irréversible de ces millions d’insectes, d’oiseaux, de mammifères qui peuplent notre planète ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe La République En Marche et du groupe socialiste et républicain. – M. François Grosdidier applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire.

M. François de Rugy, ministre dÉtat, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le sénateur Bignon, je connais votre engagement en faveur de la biodiversité.

Vous le savez, voilà encore quelques années, quand je me suis engagé pour l’écologie, beaucoup de gens ridiculisaient un tel engagement : « À quoi bon s’intéresser aux petites fleurs et aux petits oiseaux ? Il y a bien d’autres sujets beaucoup plus importants. » Or, aujourd’hui, des scientifiques du monde entier ont fait un rapport précis sur l’état de la biodiversité ; cela passe, en effet, par la mesure des petites fleurs et des petits oiseaux, chez nous, en France, comme partout dans le monde.

Pour ma part, je suis fier d’être un ministre nommé par un Président de la République qui a reçu ces scientifiques. C’est la première fois qu’un Président de la République fait de la biodiversité un enjeu dans la politique internationale, dans la diplomatie française, de même niveau que le climat. Par ailleurs, il demande au Gouvernement d’agir, ici et maintenant, dans sa politique pour la biodiversité.

Je veux vous donner deux exemples pour garder espoir, car vous m’avez semblé céder un peu au fatalisme ; pour ma part, je ne céderai jamais au fatalisme sur ce sujet.

Dans les années 1970 et 1980, le bouquetin avait quasiment disparu des Pyrénées et des Alpes ; aujourd’hui, il y en a dix mille en France. Dans les années 1970, il n’y avait plus que trois espèces de poisson dans la Seine ; aujourd’hui, il y en a près de quarante. Pourquoi ? Parce que nous avons su prendre des mesures de prévention, de lutte contre les problèmes de pollution, à la racine. En matière d’eau, il s’agit de la lutte contre les pollutions industrielles et de l’amélioration du traitement des eaux usées, et, pour continuer avec l’exemple du bouquetin, il s’agit de la protection des endroits où il peut se développer.

C’est exactement ce que nous allons continuer à faire. Nous le faisons à travers la création de l’Office français de la biodiversité, qui disposera de 5 000 agents dédiés à la biodiversité sur l’ensemble du territoire français, et celle du parc naturel forestier. Nous allons protéger près de 30 % du territoire national, comme nous l’a demandé le Président de la République.

M. le président. Il faut conclure !

M. François de Rugy, ministre dÉtat. Croyez en notre détermination à agir pour l’écologie en général et pour la biodiversité en particulier. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)

manifestations du 1er mai (III)

M. le président. La parole est à M. Philippe Bas, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Philippe Bas. Monsieur le ministre de l’intérieur, j’aimerais que nous puissions nous en tenir aux faits. C’est à cela que servent les questions d’actualité.

Le 1er mai dernier, plusieurs dizaines de manifestants ont pénétré, certains par effraction, dans l’enceinte de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière pour échapper aux gaz lacrymogènes. Cette irruption dans un lieu de soins était de nature à susciter une légitime émotion.

Heureusement, aucune agression ne semble avoir été commise, et les manifestants n’ont apparemment pas pénétré dans les bâtiments. Je veux saluer ici le sang-froid, le calme et le formidable professionnalisme dont ont fait preuve les personnels de santé pour maintenir les patients à l’abri de cette agitation qui a fait peur.

Las, on ne peut dire que le Gouvernement ait fait preuve du même sang-froid si l’on en juge par ses déclarations : « On a attaqué un hôpital », « on a agressé son personnel soignant », « c’est une intrusion violente », avez-vous dit successivement, monsieur le ministre. « C’est un acte scandaleux », avez-vous ajouté, monsieur le Premier ministre. « C’est une exaction inqualifiable et indigne », a déclaré la ministre de la santé. Quant au président de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, l’ancien ministre Le Guen, il a ajouté : « C’est un acte de pure barbarie. »

Alors, monsieur le ministre, sur quels faits le Gouvernement s’est-il fondé pour donner l’alarme aux Français sur des violences qui n’ont pas eu lieu ? Que s’est-il passé exactement à la Pitié-Salpêtrière le 1er mai ? Et si vous avez été induit en erreur par de fausses informations,…

M. le président. Il faut conclure !

M. Philippe Bas. … quelles conséquences en avez-vous tiré ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Sylvie Goy-Chavent applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Christophe Castaner, ministre de lintérieur. Il est effectivement important de regarder l’ensemble des faits qui se sont déroulés sur le périmètre de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière.

Une partie des manifestants n’a pas suivi le parcours prévu. En empruntant la rue Jeanne-d’Arc, elle a bloqué, de fait, la tête du cortège qui était ouvert, comme je l’ai souligné voilà quelques instants, par des forces de sécurité, comme cela se fait de manière traditionnelle.

À ce moment-là, un certain nombre de heurts assez violents ont eu lieu. Ils ont débuté dès quatorze heures trente. Ensuite, nous avons assisté à une attaque. Un commissariat a été pris pour cible. Des images très claires de violences montrent qu’il y avait volonté d’y pénétrer. Il était quinze heures quarante-sept.

À seize heures une, certains casseurs ont tenté de s’introduire dans une école primaire. Vous avez pu voir, notamment sur les réseaux sociaux, le témoignage de la responsable du site.

À seize heures quarante-sept, boulevard de l’Hôpital, un CRS est tombé. Ses camarades l’ont évacué sous les cris de « Achevez-le ! », comme je l’ai rappelé. Il a été traîné jusqu’à l’hôpital.

Dans ce créneau horaire, deux effractions ont eu lieu : l’une, par l’entrée principale ; l’autre, par l’entrée secondaire. Les images ont notamment montré trois individus franchissant une grille de plus de trois mètres de haut, qu’ils ont ensuite ouverte en brisant la chaîne et la serrure du portail, avant d’entrer dans les lieux.

Quand je me suis rendu sur place pour prendre des nouvelles de la santé du CRS blessé, je n’étais pas informé de cette intrusion. Par contre, les responsables hospitaliers qui m’ont accueilli m’ont fait part de leur émotion. C’est sur la base de leur émotion, filmée par les chaînes d’information, que je me suis prononcé. C’est sur la base de cette émotion extrêmement forte que j’ai dénoncé ces faits.

Monsieur Bas, jamais, je crois, dans l’histoire d’une manifestation, nous n’avons assisté à une telle situation avec l’attaque successive d’in commissariat, d’une école primaire et l’entrée, de force – car il y a bien eu bris de serrure –, dans un hôpital.

M. le président. Il faut conclure !

M. Christophe Castaner, ministre. C’est la raison pour laquelle j’ai utilisé ce mot.

Face aux événements du lendemain et à la polémique qui était née et qui mettait en cause la qualité exceptionnelle du travail de nos forces de sécurité, j’ai préféré utiliser le même terme que celui de la directrice en évoquant une « intrusion ». (Applaudissements sur des travées du groupe La République En Marche et du groupe Les Républicains.)

maisons de services au public

M. le président. La parole est à M. Jacques Le Nay, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)

M. Jacques Le Nay. Madame la ministre de la cohésion des territoires, lors de sa conférence de presse du 25 avril dernier, le Président de la République a annoncé une disposition en faveur des milieux rural et périurbain, à savoir le déploiement de maisons de services au public sous la nouvelle appellation « France service ».

Notre pays compte déjà plus de 1 300 maisons de services au public qui permettent non seulement de pallier la fermeture de services publics, mais aussi la fracture numérique dans certains territoires. Mises à disposition par les collectivités territoriales, aidées par l’État et par différents organismes publics ou privés, ces maisons de services au public sont, sans aucun doute, un gage d’attractivité du territoire lorsque leur fonctionnement et leur organisation sont bien assurés.

Le Président de la République a annoncé leur déploiement à raison d’un France service par canton. Je m’interroge sur cette intention. En effet, le dispositif mis en place sur l’initiative des communes et des EPCI avait pour objectif de constituer un bon maillage territorial. Il n’est pas rare de compter deux ou trois maisons de services au public dans certains cantons ruraux, en raison de leur étendue ou, tout simplement, de l’existence de bassins de vie dépassant les limites administratives du canton. Ne pensez-vous pas, madame la ministre, que le principe d’un seul France service par canton aboutisse à un affaiblissement du dispositif existant ?

Toutefois, la question essentielle me semble être celle du financement : depuis quelques mois, les projets en cours sont gelés, faute de crédits. Pouvez-vous nous indiquer les dispositions financières qui permettront de mettre en œuvre ces engagements du Président de la République ?

Enfin, compte tenu de la situation particulière des territoires ultramarins, quelles mesures comptez-vous prendre dans le cadre de ce dispositif pour assurer la continuité territoriale ? (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.

Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. La semaine dernière, en Charente, le Premier ministre a précisé les modalités de déploiement des maisons France service, annoncées par le Président de la République. Ces maisons, vous avez raison de le souligner, monsieur le sénateur Le Nay, constituent le prolongement naturel des maisons de services au public, souvent encore trop peu connues de nos concitoyens et qui correspondent à un réel besoin de proximité, largement exprimé lors du grand débat.

Il existe aujourd’hui 1 340 maisons de services au public sur l’ensemble du territoire. Le Premier ministre a annoncé la création de 500 nouvelles maisons.

Au regard du maillage actuel, l’objectif du Gouvernement est de couvrir en priorité, et le plus rapidement possible, les endroits où l’on ne trouve pas de maisons de services au public, qu’il s’agisse des cantons ruraux, des quartiers ou des territoires ultramarins.

Bien évidemment, nous ne fermerons aucune des maisons de services au public existantes, portées, comme vous l’avez rappelé, par les collectivités territoriales, par La Poste et parfois par des associations. Il s’agit de mettre de nouveaux services là où il n’y en a pas. Encore une fois, nous ne fermerons aucune MSAP.

Par ailleurs, et vous l’avez également souligné, les niveaux de services peuvent différer d’une maison à l’autre. Nous voulons mettre en place un bouquet de services minimums pour obtenir le label « maison France service ».

Ces maisons seront financées par l’État et par les opérateurs, à hauteur de 36 millions d’euros, ainsi que par la Caisse des dépôts et consignations, qui vient d’annoncer une enveloppe exceptionnelle de 30 millions d’euros. Il convient d’ajouter les montants consacrés par les collectivités territoriales, lesquelles assurent, en général, environ la moitié des financements de fonctionnement. (MM. Philippe Bonnecarrère et Pierre Louault applaudissent.)

loi biodiversité et espèces protégées

M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)

M. Ronan Dantec. Ma question s’adresse à M. François de Rugy et complétera celle de Jérôme Bignon.

Le Président de la République a eu des mots forts pour commenter le rapport dramatique de l’IPBES, évoquant des faits « cruels » et la nécessité de changer de modèle économique de production. Il n’est pas le premier à trouver les mots. Tout le monde se rappelle l’orfèvre en la matière que fut Jacques Chirac, lors du sommet de la Terre, à Johannesburg. À l’inverse de ses prédécesseurs, qui ont finalement beaucoup laissé brûler la maison, Emmanuel Macron sera-t-il le premier à définir et appliquer des politiques publiques à la hauteur de ces défis redoutables ? La crédibilité de la réponse passera par des actes, rien que par des actes, et par de vrais investissements.

À l’heure où, mû par une légitime émotion, notre pays se mobilise pour reconstruire une cathédrale au cœur de son histoire, l’État peut-il laisser se perdre des pans entiers de son patrimoine naturel ? Aujourd’hui, 120 espèces endémiques sont en danger d’extinction en France, notamment dans les territoires ultramarins, où beaucoup de ces espèces se portent bien plus mal que le bouquetin dans les Alpes.

Nous avons voté, dans la loi Biodiversité, et j’ai eu l’honneur de porter cet amendement, un article disposant que toutes ces 120 espèces devraient, d’ici au 1er janvier 2020, faire l’objet d’un plan national d’action. Je vous rejoins sur ce sujet : les plans nationaux d’action se sont souvent traduits par des résultats remarquables.

Monsieur le ministre d’État, ma question est simple et précise : où en est-on ? La France tiendra-t-elle cet engagement et à quel coût ? Sauver la biodiversité ne consiste bien évidemment pas à se payer de mots, mais à investir résolument dans l’avenir. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – M. Jérôme Bignon applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire.

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire dÉtat auprès du ministre dÉtat, ministre de la transition écologique et solidaire. Vous avez raison, monsieur le sénateur, nous sommes à un moment important pour la biodiversité, marqué à la fois par le rapport de l’IPBES, que vous avez cité, par le G7 des ministres de l’environnement, à Metz, sous l’égide de François de Rugy, qui a tenu à mettre la biodiversité au cœur des discussions intergouvernementales, et par le discours du Président de la République, après sa rencontre avec les scientifiques de l’IPBES, qui a déclaré que nous allions agir.

Nous allons agir en consacrant le premier conseil de défense écologique, qui se tiendra autour du Président de la République avant la fin de ce mois, à la préservation de la biodiversité. Nous allons agir sur la transition agricole, nous allons agir sur l’étalement urbain et la lutte contre l’artificialisation des sols, nous allons agir sur la lutte contre le gaspillage et les déchets.

Vous posez une question précise sur les espèces endémiques en danger, qui doivent faire l’objet, comme vous l’avez souligné, depuis la loi Biodiversité de 2016, de plans de protection, dits plans nationaux d’action, ou PNA.

Nous avons lancé 65 PNA, dont 16 pour des espèces ou des plantes ultramarines. Comme nous le savons tous, les grands enjeux se situent très largement en outre-mer, où est concentrée 80 % de notre biodiversité.

Ces 65 plans, en cours de mise en œuvre, concernent à la fois des espèces classiques en métropole – je pense, par exemple, au milan royal ou à l’aigle de Bonelli – et des espèces ultramarines : l’iguane des Petites Antilles, le gecko vert de La Réunion, les tortues marines des Antilles et de la Guyane. Un plan concernant l’albatros des TAAF est également en cours de lancement.

Nous allons continuer ce travail indispensable sur ces plans. C’est à l’ordre du jour de l’Agence française pour la biodiversité, et bientôt de l’OFB, ou Office français de la biodiversité, qui sera créé au 1er janvier 2020. Nous allons travailler pour lancer des plans complémentaires et peut-être en regrouper certains afin de couvrir les 120 espèces concernées. C’est notre objectif, et il est important.

M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec, pour la réplique.

M. Ronan Dantec. Je vous remercie de cette réponse précise, madame la secrétaire d’État.

Le milan royal n’étant pas une espèce endémique, cela signifie qu’il reste encore probablement une centaine d’espèces endémiques en voie de disparition qu’il convient de protéger par des plans.

J’espère que nous tiendrons, à quelques mois près – il est clair que l’échéance du 1er janvier 2020 ne sera pas atteinte –, cet engagement international de la France, car il s’agit bien d’un engagement international.

déficit des comptes sociaux

M. le président. La parole est à M. Alain Milon, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Alain Milon. Ma question s’adresse à Mme la ministre des solidarités et de la santé.

Madame la ministre, lors de l’examen du PLFSS pour 2019, votre collègue chargé du budget annonçait fièrement que le bon vieux trou de la sécurité sociale, qui aggrave les déficits publics depuis 2002, allait être rebouché. Et cela, dès 2019, disait-il, avant le retour à l’équilibre promis par le Premier ministre dans son discours de politique générale.

Je vous ai bien écoutée à l’époque, et vous disiez : « Pour la première fois depuis dix-huit ans, la sécurité sociale retrouvera l’équilibre, c’est une bonne nouvelle pour les jeunes générations. »

La bonne nouvelle n’était, semble-t-il, qu’une fake news. En effet, la sécurité sociale pourrait afficher, à la fin de l’année, un déficit de 3,6 milliards d’euros. C’est ce qu’annonce le Haut Conseil du financement de la protection sociale, dans son rapport du mois de mars. Il y précise même qu’aucun équilibre n’est envisageable avant la fin du quinquennat.

Les promesses d’un petit excédent de 600 millions d’euros se sont envolées, le discours de la fin de l’année a été happé par la réalité.

Comment, madame la ministre, pouvez-vous expliquer et justifier un tel décalage entre les prévisions présentées comme la preuve incontestable de la bonne gestion du Gouvernement et la réalité des chiffres de la fin de l’année 2019 ? Quels objectifs se fixe désormais le Gouvernement en termes de réduction du déficit de la sécurité sociale ?

Enfin, comment allez-vous, en l’absence d’excédents, financer les nouveaux moyens confiés à la CADES, qui n’avaient été déclarés conformes à la Constitution qu’en raison des excédents prévisionnels du budget de la sécurité sociale ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre des solidarités et de la santé.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Vous avez raison, monsieur Milon, mais il ne s’agit évidemment pas d’une fake news. C’est simplement l’évolution des comptes.

Cet automne, lors de l’examen du PLFSS pour 2019, nous avons présenté un budget qui devait être à l’équilibre en 2019. Aujourd’hui, le Haut Conseil du financement de la protection sociale prévoit effectivement un déficit de 3,6 milliards d’euros pour 2019.

Je veux tout de même rappeler les efforts considérables de gestion qui ont été faits pour redresser les comptes sociaux. En mars dernier, lors de la clôture des comptes, nous avons présenté, avec Gérald Darmanin, le plus faible déficit annuel de la sécurité sociale depuis 2001 : à la fin de 2018, il atteignait 1,2 milliard d’euros, en baisse de 3,9 milliards d’euros par rapport à 2017. Notre gestion des comptes sociaux a donc été tout à fait remarquable. Cela montre concrètement le sérieux budgétaire et financier du Gouvernement.

La loi du 24 décembre 2018 portant mesures d’urgence économiques et sociales a réduit, de facto, les recettes des administrations de sécurité sociale : l’anticipation, en janvier 2019, de l’exonération des cotisations sociales sur les heures supplémentaires représente un manque de 1,3 milliard d’euros pour les comptes sociaux, de même que l’annulation de la hausse de la CSG pour les retraités modestes, ceux qui perçoivent moins de 2 000 euros de pension. Ces mesures expliquent les projections du Haut Conseil du financement de la protection sociale.

Nous allons travailler tous ensemble pour réduire ce déficit, de façon à reprendre la trajectoire initialement prévue. Nous vous présenterons tout cela lors de l’examen du PLFSS pour 2020. (Applaudissements sur des travées du groupe La République En Marche.)

M. le président. La parole est à M. Alain Milon, pour la réplique.

M. Alain Milon. Malheureusement, les prévisions du Haut Conseil remettent sérieusement en cause la viabilité financière du projet de réforme des retraites.

Le Gouvernement a fait le choix d’une communication sur le maintien de l’âge de départ à la retraite à 62 ans. Dire la vérité aux Français sur la nécessité de prolonger l’effort entrepris par les précédentes réformes me semble être de nature à créer la confiance. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Sophie Primas. Très bien !

visite du président de la république à amboise

M. le président. La parole est à M. Serge Babary, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Serge Babary. Monsieur le Premier ministre, le 2 mai dernier, à Amboise, ville paisible des bords de Loire, le Président de la République, Emmanuel Macron, a rencontré le Président italien Sergio Mattarella. Cette rencontre avait pour objet de célébrer la personnalité universelle de Léonard de Vinci, mort voilà cinq cents ans.

Cet évènement symbolique rappelait l’amitié franco-italienne, quelque peu mise à mal, et surtout préfigurait, en en donnant le coup d’envoi, les festivités des cinq cents ans de la Renaissance en Val de Loire. Tout portait donc à s’attendre à un moment festif pour la population…

Las, une tornade sécuritaire s’est abattue sur la ville. Je ne résiste pas à l’envie de vous détailler les consignes passées aux habitants : circulation interdite en ville de sept heures à dix-sept heures ; stationnement interdit toute la journée, et ce depuis la veille, à sept heures ; interdiction d’aller et venir pour les piétons de sept heures à treize heures à proximité du château ; interdiction pour les habitants de paraître aux fenêtres et aux balcons. (Rires.)

M. Pierre-Yves Collombat. C’est beau, la popularité ! (Sourires.)

M. Serge Babary. Certes, cette dernière interdiction, envisagée dans un premier temps, a finalement été annulée. Outre l’interdiction de manifester, il y avait aussi interdiction de naviguer sur la Loire.

Cette ville touristique de 13 000 habitants, très active, accueillant près de 1 million de visiteurs par an, s’est trouvée bouclée et désertée. Une ville fantôme vidée de toute vie, un véritable désert, commentent les habitants bloqués chez eux. Tous les commerces ont leur rideau baissé. Une ambiance aussi impressionnante que ridicule…

M. Serge Babary. On peut rétorquer qu’une menace terroriste est toujours présente. Ressort alors l’image de la visite du général de Gaulle, en 1959, émergeant d’une marée humaine en liesse, au pied du château.

Vu de Paris, vu de Rome, cette ville « sous cloche », comme le titrait le journal local, marquait peut-être un signe fort de l’amitié franco-italienne, mais, vu d’Amboise, c’était la sidération, l’image d’une ville parfaitement vide.

M. le président. Il faut conclure !

M. Serge Babary. Il y a donc des questions à se poser sur les rapports d’un Président avec le peuple et de ce pouvoir avec la nation.

Le traitement de la sécurité par le vide est-il vraiment nécessaire ? S’agit-il, là aussi, d’une nouvelle doctrine sécuritaire pour les déplacements présidentiels ? (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste – Mme Michelle Meunier et M. Jean-Pierre Sueur applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Christophe Castaner, ministre de lintérieur. Monsieur le sénateur, à chaque fois que nous recevons un hôte étranger du niveau du Président italien, nous devons garantir au mieux la sécurité.

Les circonstances de la semaine dernière étaient exceptionnelles : quelques jours auparavant, et je n’entrerai pas plus avant dans les détails, quatre personnes projetant un attentat contre les forces de sécurité de l’Élysée avaient été interpellées. L’enquête se poursuit, et une autre interpellation a eu lieu aujourd’hui même. L’instruction est placée sous l’autorité du procureur de Paris, dans le cadre de la section C1 chargée des activités terroristes. Pour ces raisons, il nous a semblé nécessaire d’être particulièrement vigilants.

J’ai ensuite eu connaissance, monsieur le sénateur, de dispositions qui m’ont paru disproportionnées. Certaines des mesures que vous évoquez, et que je ne remets nullement en cause, ont pu être amplifiées par souci de protection et de précaution maximum. Nous avons décidé d’en lever quelques-unes, à la suite des interrogations des élus locaux et de la presse locale, qui ne nous semblaient pas tout à fait adaptées à la situation.

Quand il s’agit de célébrer un moment aussi important et d’assurer la sécurité d’un Président de la République, quel qu’il soit, et celle d’un Président étranger, nous pouvons tous convenir qu’il est nécessaire de prendre certaines dispositions contre un risque terroriste, hélas ! permanent. (Applaudissements sur des travées du groupe La République En Marche.)

prix des carburants

M. le président. La parole est à M. Joël Bigot, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain.)

M. Joël Bigot. Ma question s’adresse à M. le ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire.

« Coup de chaud sur les prix à la pompe », titre cet après-midi un quotidien du soir.

En novembre 2018, le Président de la République s’était prononcé favorablement pour la mise en place d’une taxe flottante « anti-pic » pour lutter contre l’augmentation exponentielle du prix des carburants. Aucune suite n’y a été donnée… Or c’est bien cette augmentation des prix de l’essence qui avait déclenché le mouvement social des « gilets jaunes », à l’automne dernier – mouvement qui, à ce jour, continue de mobiliser.

Devant la poursuite de cette hausse des prix du baril, et malgré le gel de la taxe carbone, vous avez exprimé, mardi dernier, votre refus de recourir à une taxe flottante sur les carburants. Initiée sous le gouvernement de Lionel Jospin et instaurée encore à l’été 2012, par voie d’arrêté, pour une période de trois mois, cette taxe permet de réduire instantanément le prix à la pompe de 3 ou 4 centimes.

Élu de Maine-et-Loire, je connais bien les difficultés rencontrées par nos concitoyens qui n’ont d’autre choix que d’utiliser leur voiture pour l’ensemble de leurs trajets quotidiens, faute d’alternatives en matière de transports collectifs, et vous le savez. Il ne suffit pas de dire aux Français qu’ils doivent « se libérer du pétrole ».

J’ai évoqué la taxe flottante, mais d’autres mesures pourraient être actionnées en direction des marges des distributeurs, lesquels, me semble-t-il, ne traversent pas de crise majeure, bien au contraire. Je pense surtout aux grands groupes pétroliers, dont les bénéfices sont en forte hausse, pour ne pas dire explosifs, ces dernières années. Eux aussi devraient pouvoir contribuer à la transition énergétique, ce qui allégerait d’autant la fiscalité pesant sur les ménages. L’effort fiscal doit incontestablement être mieux réparti.

Ma question est donc très simple : quelles solutions, à court terme, le Gouvernement est-il en mesure de proposer pour épargner aux Français une nouvelle ponction excessive sur leur pouvoir d’achat en raison de l’augmentation du prix du baril ?

M. le président. La parole est à M. le ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire.

M. François de Rugy, ministre dÉtat, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le sénateur Bigot, vous le savez, les prix du pétrole, très volatils, sont malheureusement orientés à la hausse, pour de nombreuses raisons liées au contexte international.

La taxe flottante, instaurée en 2000, n’arrivait pas à suivre les mouvements à la hausse ou à la baisse des prix du pétrole sur les marchés mondiaux. Toujours à contretemps, et donc inefficace, elle a été abandonnée en 2002. Il n’est pas question de promettre aux Français une mesure qui ne marche pas.

Certains – je ne crois pas que tel était votre propos – suggèrent de baisser les taxes à proportion de la hausse des prix du carburant. Or les prix de l’essence et du gazole ont augmenté d’environ 10 centimes depuis le début de l’année, ce qui signifie qu’il faudrait dégager 4 milliards d’euros dans le budget de l’État. Ce n’est pas très sérieux.

Quant à s’endetter pour subventionner l’importation du pétrole, ce ne serait pas plus sérieux.

Nous menons d’autres actions de fond dans plusieurs directions.

Il s’agit de réduire notre dépendance au pétrole en matière de transports et de chauffage : depuis le début de l’année, 8 000 Français demandent, chaque semaine, à bénéficier de la prime d’État mise en place pour la conversion d’un ancien véhicule – à ce rythme, cela représentera près de 400 000 demandes sur l’année. Je songe aussi au dispositif relatif aux chaudières, financé par les certificats d’économies d’énergie, justement payés par les grands groupes comme Total, ou encore au chèque énergie, qui permet d’alléger la facture de chauffage des Français, et au chèque déplacement, qui fait l’objet de négociations des partenaires sociaux, à la demande du Premier ministre.

M. le président. Il faut conclure !

M. François de Rugy, ministre dÉtat. Il s’agit de permettre aux Français qui utilisent leur voiture pour se rendre au travail de bénéficier d’une aide, à l’instar de ce qui existe pour le chèque déjeuner. (Applaudissements sur des travées du groupe La République En Marche.)

M. le président. La parole est à M. Joël Bigot, pour la réplique.

M. Joël Bigot. Les Français attendent des mesures concrètes. Or les tarifs de l’électricité augmenteront de 5,9 % au 1er juin prochain. Le climat social, dans les mois qui viennent, dépendra justement des solutions concrètes que le Gouvernement prendra. (Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain.)

relations des français avec les forces de l’ordre

M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.

M. Stéphane Ravier. Ma question s’adresse à M. Castaner, qui est encore, dit-on, ministre de l’intérieur.

Vendredi dernier, j’ai eu le privilège de suivre, pendant plus de huit heures, un équipage de la BST nord, puis de la BAC centre de Marseille. J’ai pu observer de près leur travail au cœur des « supermarshits », ces cités où le trafic de drogue peut rapporter jusqu’à 60 000 euros par jour et où les racailles jouent de la Kalach en plein après-midi. Ces rues de Marseille où, à la nuit tombée, il ne fait vraiment pas bon être une femme seule, être juif ou homosexuel, ou tout simplement être « de souche ». (Exclamations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

Dans les deux cas, j’ai constaté que ces policiers n’ont qu’un objectif : garantir à nos compatriotes la première des libertés qu’est la sécurité, et cela souvent au péril de leur vie.

J’ai posté sur mes réseaux sociaux un bref compte rendu de cette expérience. Quelle ne fut pas ma mauvaise surprise de lire de trop nombreux commentaires d’hostilité envers les forces de l’ordre, motivés par les blessures dont ont été victimes certains « gilets jaunes ».

Comment a-t-on pu en arriver là ? Comment un tel fossé a-t-il pu se creuser entre la police et une partie de la population, alors que le soutien populaire était unanime depuis les attaques, réelles celles-là, des terroristes islamistes qui ont fait plusieurs victimes, je le rappelle, parmi les forces de l’ordre ?

Ce fossé, pour ne pas dire ce projet, a débuté en novembre 2018, quand vous avez appliqué avec zèle la stratégie établie par Emmanuel Macron du pourrissement du mouvement légitime, et au départ pacifique, des « gilets jaunes ». Vous avez laissé s’y infiltrer la violence venue de groupes d’anarchistes et d’extrême gauche que vous refusez toujours de dissoudre.

Par calcul politique et électoral, vous avez volontairement dressé les Français les uns contre les autres, quitte à sacrifier l’image de la police, n’hésitant pas à « bluffer », comme on dit chez vous, autrement dit à mentir, en inventant une attaque contre un hôpital parisien.

Face à ce gâchis financier et surtout humain, face à toute cette violence que vous n’avez pas su ou pas voulu maîtriser, parce que vous manquez de dignité républicaine, vous refusez de quitter la table. Ne pensez-vous pas, monsieur le ministre, que vous devriez au moins présenter vos excuses aux policiers, aux « gilets jaunes » sincères et à l’ensemble des Français ? (M. Jean Louis Masson applaudit.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Christophe Castaner, ministre de lintérieur. Monsieur le sénateur Ravier, j’ai l’habitude d’entendre de votre part un certain nombre d’amalgames.

Comment pouvez-vous à la fois vous plaindre des insultes émanant de gens qui vous écrivent au nom du mouvement des « gilets jaunes » sur vos réseaux sociaux, soutenir la police et ne pas vous étonner que les Black Blocs, dont vous appelez à la dissolution, alors même qu’il ne s’agit pas d’une structure juridique, aient été applaudis, mercredi dernier à Paris, par des manifestants que vous saluez aussi ? À un moment donné, monsieur le sénateur, il faut choisir son camp. Si on est du côté des forces de l’ordre, on les soutient totalement, sans « mais », avec un engagement réel et sincère.

Je ne doute pas qu’il y ait ici des femmes et des hommes qui sont au contact quotidien de ceux qui étaient présents samedi et mercredi derniers. À Paris, 7 600 policiers et gendarmes étaient mobilisés. Il y en a même tous les samedis qui sont mobilisés à Marseille, ville que vous connaissez bien. Vous savez la réalité des violences qu’ils subissent.

Ne cherchez pas de responsabilités là où il ne peut y en avoir. La violence ne s’excuse jamais, ni dans les quartiers, où vous avez accompagné une BAC, ni lors des manifestations. Notre pays est habitué aux manifestations ; cela fait partie de notre culture nationale. Certaines d’entre elles ont réuni jusqu’à un million de personnes et se sont bien déroulées.

Aujourd’hui, nous sommes face à de petits groupes de gens qui considèrent qu’empêcher des commerçants d’ouvrir leur magasin et que la violence sont une façon légitime de revendiquer. Ils se trompent et trompent les Français. Ils ne sont pas le peuple et ne doivent en aucun cas être soutenus dans leurs agissements. (Applaudissements sur des travées du groupe La République En Marche, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)

M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.

Les prochaines questions d’actualité au Gouvernement auront lieu le jeudi 16 mai.

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures quarante-cinq, est reprise à dix-sept heures cinquante, sous la présidence de M. David Assouline.)

PRÉSIDENCE DE M. David Assouline

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

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Mise au point au sujet d’un vote

M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé.

M. Franck Montaugé. Lors du scrutin public n° 80 sur l’ensemble du projet de loi portant création de l’Office français de la biodiversité et de la chasse, modifiant les missions des fédérations des chasseurs et renforçant la police de l’environnement, j’ai été comptabilisé comme m’étant abstenu, alors que je souhaitais voter pour.

M. le président. Acte vous est donné de cette mise au point, mon cher collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.

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Discussion générale (interruption de la discussion)
Dossier législatif : proposition de résolution au nom de la commission des affaires européennes, en application de l'article 73 quater du Règlement, sur la réforme de la politique agricole commune (PAC)
Discussion générale (suite)

Réforme de la politique agricole commune

Suite de la discussion et adoption d’une proposition de résolution européenne dans le texte de la commission

M. le président. Nous reprenons la discussion de la proposition de résolution au nom de la commission des affaires européennes, en application de l’article 73 quater du règlement, sur la réforme de la politique agricole commune.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Colette Mélot. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Pierre Louault applaudit également.)

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de résolution au nom de la commission des affaires européennes, en application de l'article 73 quater du Règlement, sur la réforme de la politique agricole commune (PAC)
Explications de vote sur l'ensemble (début)

Mme Colette Mélot. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me félicite de la tenue de ce débat sur l’avenir de la politique agricole commune, quelques semaines avant les élections européennes. C’est en effet le moment opportun pour rappeler toute l’importance de l’agriculture et des agriculteurs en Europe et en France.

La PAC est sans conteste une politique européenne stratégique, confrontée à de nombreux défis, qui devra être fermement défendue par les futurs députés européens français tout au long de leur mandat, et ce dès leur entrée en fonction. En effet, les débats qui se sont tenus au Parlement européen sur l’avenir de la PAC ont été mis en suspens avec le renouvellement des institutions et n’ont pas abouti à un vote en séance plénière. Seule la commission de l’agriculture a adopté sa position : elle est équilibrée et tente de mieux refléter les attentes des agriculteurs et des consommateurs, comme le fait d’ailleurs cette proposition de résolution du Sénat.

Du côté du Conseil, nous ne pouvons que constater des divisions profondes entre États membres. La France devra se montrer plus que jamais convaincante dans les prochains mois pour que ses partenaires la soutiennent, afin d’aller dans le sens du maintien d’une PAC commune et ambitieuse.

Les cartes restent donc sur la table. Tout est encore possible pour l’avenir de notre agriculture européenne, le meilleur comme le pire, et les risques pesant sur l’avenir de la PAC demeurent omniprésents.

La vigilance sera primordiale pour éviter tout détricotage de la politique agricole commune lors des négociations à venir entre le Parlement européen et le Conseil. J’en veux pour preuve les propositions de la Commission, qui s’inscrivent, comme le souligne la proposition de résolution, dans le sens d’une renationalisation de la PAC. Nous ne pouvons être d’accord avec une telle démarche, qui reviendrait à faire marche arrière sur l’une des politiques européennes les plus intégrées.

Comme le souligne également la proposition de résolution, il est inconcevable d’accepter une baisse de 5 % du budget de la PAC. Opérer une telle coupe budgétaire reviendrait à faire de la PAC une variable d’ajustement du budget européen, alors qu’elle est le ciment de l’architecture européenne. Nous ne devons pas oublier que l’Europe est avant tout une puissance agricole : son budget ne doit pas être sacrifié sur l’autel des nouvelles priorités européennes par manque d’ambition budgétaire des États membres. Au contraire, nous devons davantage soutenir nos agriculteurs, qui font face à de nombreux défis : des normes de plus en plus exigeantes et de nouvelles demandes des consommateurs.

L’alimentation de qualité est un enjeu majeur de nos territoires et sociétés. La concurrence est de plus en plus rude face aux autres puissances agricoles mondiales, les enjeux climatiques et environnementaux sont de plus en plus prégnants. Face à cette situation, il est primordial de préserver et protéger notre agriculture, mais aussi de la renforcer en la rendant plus compétitive, tout en préservant l’environnement. Il faut donc l’accompagner dans sa transition et son évolution, ce qui demande des moyens adéquats et des réponses adaptées. Nous l’avons déjà fait avec la loi Égalim ; il faut poursuivre ce travail et veiller à ce que les mesures adoptées soient bien mises en œuvre sur toute la chaîne alimentaire.

Il faut aussi que la future PAC accompagne la transition vers une meilleure répartition de la valeur entre le producteur, le transformateur et le distributeur. Il convient également d’adapter le droit de la concurrence aux spécificités agricoles et de lutter davantage contre les pratiques déloyales de firmes internationales et transnationales.

Il est également primordial de soutenir les petits agriculteurs, qui représentent le cœur de l’agriculture européenne, comme ceux qui se trouvent dans des zones à handicaps naturels. La Commission le propose déjà dans ses textes ; il faut aller plus loin, ainsi que sur les mesures valorisant les externalités positives de l’agriculture au regard des services qu’elle rend à la société et à l’environnement.

Par ailleurs, l’installation des jeunes agriculteurs doit constituer un pan primordial de cette politique. Je me félicite d’ailleurs de la récente initiative prise par la BEI et la Commission pour lancer un programme européen visant à financer à hauteur de 1 milliard d’euros des prêts à taux réduits destinés aux jeunes agriculteurs. Cela contribuera au renouvellement indispensable des générations dans le monde agricole.

Enfin, l’innovation doit être au cœur des priorités de l’agriculture de demain. Les moyens mis en place sont un signe positif de la volonté d’accompagner les agriculteurs dans cette transition. Il faudra que cela soit une opportunité pour eux et non pas un fardeau supplémentaire.

Finalement, la nouvelle réforme de la PAC doit être considérée comme une occasion de nous poser la question du modèle agricole européen que nous souhaitons pour l’avenir : l’agriculture doit rester une priorité européenne, au vu de ses enjeux économiques, territoriaux et environnementaux. Nous devons réfléchir ensemble, avec nos partenaires, pour trouver les meilleures voies et les moyens budgétaires adéquats qui permettront de remplir ces objectifs.

Dans le contexte du Brexit, une attention particulière devra aussi être portée à la préservation des relations commerciales futures entre le Royaume-Uni et l’Union européenne dans les domaines de l’agriculture et de la pêche, en veillant avant tout à préserver les intérêts des agriculteurs français et européens.

Le groupe Les Indépendants soutiendra bien évidemment cette proposition de résolution européenne. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)

M. le président. La parole est à M. Jean Bizet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)

M. Jean Bizet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà maintenant près d’un an, le Sénat votait sa deuxième proposition de résolution européenne sur la réforme de la politique agricole commune. Nous étions alors nombreux sur ces travées à juger que le débat s’engageait sur des bases extrêmement inquiétantes. Aujourd’hui, force est de le constater, ces inquiétudes ne sont pas levées, tant s’en faut. La première d’entre elles porte évidemment sur les ressources budgétaires allouées à l’agriculture européenne.

Le projet de cadre financier pluriannuel de 2021 à 2027 marque à ce titre une véritable rupture, en prévoyant des coupes d’un niveau inégalé, bien supérieur aux 13 milliards d’euros correspondant au Brexit. C’est ainsi qu’une baisse de 15 % est proposée, ce qui représente un manque à gagner de près de 7 milliards d’euros pour l’ensemble de la ferme France et engage la pérennité des filières les plus fragiles, ainsi que la survie économique de nombre d’exploitations à travers notre pays.

Le Gouvernement, sitôt ces annonces connues, s’est bien sûr empressé de contester ce déclin de l’ambition agricole de l’Europe. La vigueur de sa réaction ne saurait toutefois faire oublier à quel point elle fut tardive. En effet, focalisé sur le financement de nouvelles politiques européennes, le Gouvernement a relégué l’agriculture au second rang des priorités françaises durant les discussions budgétaires préparatoires.

En refusant de jouer son rôle de premier défenseur de la PAC auquel nos partenaires étaient habitués, il a de facto donné blanc-seing à la Commission pour proposer l’atrophie des crédits agricoles. Sachez que, lors des différentes rencontres que j’ai pu avoir avec mes partenaires dans les conférences spécialisées pour les affaires communautaires, c’est un message que j’ai malheureusement régulièrement entendu.

Cette erreur est lourde de conséquences, car chacun sait qu’une fois posées les bases d’une négociation il devient très difficile d’en inverser totalement les paradigmes.

Tous les grands pays producteurs de la planète mènent une politique stratégique de renforcement de leurs concours publics à l’agriculture, cela a été évoqué par un certain nombre de nos collègues. Je vous le rappelle, les États-Unis y consacrent pratiquement 498 dollars par Américain, alors que l’Europe n’y consacre que 198 dollars par habitant.

La question financière, pour centrale qu’elle soit, ne doit cependant pas nous conduire à ignorer l’autre sujet de préoccupation de cette réforme de la PAC, à savoir le nouveau modèle de mise en œuvre proposé par la Commission elle-même au travers de l’élaboration par les États membres de plans stratégiques nationaux.

Bien sûr, nous sommes tous en faveur d’une meilleure application du principe de subsidiarité, et nous savons tous que la PAC ne peut faire l’économie d’une simplification administrative supplémentaire. Toutefois, gardons à l’esprit qu’il doit s’agir avant tout de simplifier la vie des agriculteurs et non pas celle de la Commission, qui cherche surtout ici à se défaire d’une charge administrative en la transférant aux États membres.

Mme Sophie Primas. Absolument !

M. Jean Bizet. Le principal danger de cette proposition, qui couvre tant les actions du premier que du second pilier, est ailleurs : il réside en premier lieu dans la remise en cause de la gestion partagée de la politique agricole au niveau communautaire. Ne nous y trompons pas, ce qui en résultera précisément est bel et bien une renationalisation rampante de la PAC et la transformation de ce qui est aujourd’hui une politique commune cohérente en un simple supermarché de possibilités et d’outils. En effet, ce cadre global relâché, combiné aux nouvelles flexibilités accordées aux États membres, laisserait à chaque pays des marges de manœuvre extrêmement importantes, qu’il s’agisse des règles d’éligibilité des bénéficiaires, des contrôles et des sanctions, du choix des types d’aides et de leurs montants, ou encore du niveau même de transferts financiers entre les piliers.

Dans ce contexte, je ne peux que m’inquiéter du fait que cette nouvelle architecture à l’utilité plus que douteuse et au risque bien établi ne fasse pas l’objet d’une opposition plus résolue, notamment de la part des autorités françaises, qui me paraissent à ce sujet bien passives.

Monsieur le ministre, c’est avec une gravité certaine que nous devons aborder la suite de ces négociations, dont vous avez hérité. C’est la légitimité même de la PAC et son efficacité au travers d’une mise en œuvre cohérente sur l’ensemble du continent et le niveau de ses ressources budgétaires qui risquent d’être irrémédiablement remises en cause. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)

M. le président. La parole est à Mme Gisèle Jourda.

Mme Gisèle Jourda. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à l’instar des auteurs de cette proposition de résolution européenne, qui a d’ailleurs le soutien du groupe socialiste, nous sommes nombreux à souhaiter une politique agricole renouvelée dans son projet et ses instruments, une PAC ambitieuse, malgré la perspective du Brexit, qui complique les choses. Nous voulons une PAC impulsée par le Gouvernement, au service des agriculteurs et des biens communs européens. Cela exige notamment une contribution au développement des territoires fragiles dans l’Hexagone et outre-mer.

Je n’évoquerai pas aujourd’hui le rôle de l’Europe, mais la méthode du Gouvernement.

Au cours des derniers mois, les sénateurs, les maires, les conseillers départementaux et les députés européens ont cherché inlassablement à connaître le détail de la cartographie des zones soumises à contraintes naturelles et des zones soumises à contraintes spécifiques. En vain ! Puis cette carte est apparue au détour d’une réunion du Conseil national d’évaluation des normes, qui se tenait au Sénat. Est-ce normal ? Non, je ne le crois pas !

La carte en main, nous avons cherché à en connaître les données pédologiques ou biophysiques et les critères sélectifs ayant permis d’y faire entrer un grand nombre de communes, mais aussi d’en sortir brutalement de nombreuses autres, comme c’est le cas dans mon département de l’Aude et dans celui du Gers. Las, ni vous, ni moi, ni même la Commission européenne, ne sommes en mesure d’obtenir les critères ayant permis à ce gouvernement de faire des choix aux conséquences vitales pour nos agriculteurs et nos communes.

Quelles sont les données dont nous disposons aujourd’hui ? Pour les zones soumises à contraintes naturelles, c’est l’utilisation des données anciennes qui a prévalu. Pour l’exercice d’affinement économique qui aurait pu permettre de lisser la carte, vous avez choisi l’échelle des petites régions agricoles, échelle datant de 1946. Quelle logique ! Aujourd’hui, les PRA sont un ensemble économiquement hétérogène, notamment dans le Gers, et une cartographie basée sur de telles données est immanquablement discriminatoire. Je pourrais aussi vous parler du recours au recensement agricole et du calcul de la surface agricole utile, mais je ne dispose que de cinq minutes pour mon intervention.

Pour les zones soumises à contraintes spécifiques, pour lesquelles vous disposiez d’une marge de manœuvre plus large, le critère du maintien de l’activité touristique a été omis, ce qui est regrettable.

Comme une résolution européenne du Sénat dont je suis l’autrice vous y invitait, vous pouviez utiliser le critère de continuité territoriale pour intégrer dans le zonage à contraintes spécifiques des territoires plus étendus, et non uniquement des communes isolées, territoires qui se trouvaient jusqu’ici exclus de la cartographie des zones défavorisées simples. Ce choix était à votre discrétion, mais vous ne l’avez pas retenu. Pourquoi ?

Venons-en aux conséquences de telles décisions. Elles sont économiquement et socialement dramatiques, pour les agricultrices et les agriculteurs et pour les exploitations les plus fragiles, dont bon nombre seront amenées à disparaître, ce qui amplifiera encore la désertification rurale.

Monsieur le ministre, derrière un point sur la carte se dessinent de véritables drames humains. Quand cesserez-vous de les ignorer ? Que va-t-il advenir face à l’appauvrissement de ces territoires ? Je pense aux élus de la Piège, dans l’Aude, qui, à l’annonce de l’exclusion de leurs communes de la cartographie, ont placé, à l’entrée de leurs agglomérations, des écriteaux « Village à vendre ». L’incompréhension des éleveurs et des jeunes agriculteurs est d’autant plus forte qu’ils se sont investis pour obtenir leur statut, moderniser leurs exploitations et opérer leur conversion, pour nombre d’entre eux, à l’agriculture biologique.

Monsieur le ministre, où sont ces données ? Pourquoi refuser de les communiquer ? La justice administrative a été saisie. Le ministère a donné des informations a minima, quand il a bien voulu donner les bonnes ! C’est insuffisant ! S’agit-il d’éviter les recours devant le tribunal administratif ?

Vous l’avez dit, le Gouvernement a prévu d’accompagner les territoires et les agriculteurs qui sortiront du zonage à partir de 2019, sur une période de transition de deux ans, pour lisser les effets de la réforme. Et après, plus rien ?

La sortie de la cartographie des zones défavorisées implique pour les producteurs agricoles la caducité des agréments sanitaires nécessaires pour la vente des produits issus de circuits courts au-delà d’une distance de 80 kilomètres.

Par ailleurs, la sortie du zonage entraînera de lourdes conséquences financières pour les jeunes agriculteurs, qui perdront alors la bonification de leur aide à l’installation.

La question de l’ICHN, inhérente à la prise en compte des inégalités territoriales, dont l’hyper-ruralité souffre tout particulièrement, justifie une action résolue des pouvoirs publics français. Les difficultés que je viens de soulever vont à l’encontre de l’action cohérente dont nos territoires ont besoin, dans la PAC présente et celle à bâtir.

Monsieur le ministre, même si les habitants de l’Aude ne peuvent pas vous dire merci, ils comptent sur vous pour ce qui concerne le devenir de la PAC.

M. le président. La parole est à Mme Sophie Primas. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Sophie Primas. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons souhaité, avec M. le président de la commission des affaires européennes Jean Bizet, avoir ce débat très important en cette période d’élections européennes. Car comment parler d’Europe sans aborder le sujet de la politique agricole commune ? Comment parler d’Europe sans évoquer cette politique voulue par les pères fondateurs ? Elle a permis, en l’espace de soixante petites années, de garantir une alimentation de qualité et en quantité suffisante pour tous les citoyens européens. N’en déplaise aujourd’hui aux vendeurs de peurs, ceux qui ont le ventre plein et la mémoire courte !

Comment réfléchir à l’avenir de l’Europe sans penser à une politique agricole qui façonne notre modèle de développement, aussi bien sur les plans stratégique, économique et environnemental, qui dessine notre modèle alimentaire, y compris dans sa dimension sanitaire, qui impacte l’aménagement de nos territoires ruraux et constitue, en définitive, une partie de notre identité ?

Henri Cabanel disait qu’un agriculteur se suicide tous les deux jours. C’est un drame. L’émotion que cela devrait susciter est la même que celle que nous avons ressentie lorsque la charpente de Notre-Dame brûlait. C’est notre identité la plus profonde qui est touchée.

Sans la PAC, permettez-moi d’affirmer qu’il n’y aurait sans doute pas l’Union européenne que nous connaissons. Pour la famille gaulliste qui est la mienne, la PAC est l’un des acquis du couple franco-allemand voulu par Adenauer et de Gaulle. Ses difficultés actuelles sont le signe d’un affaiblissement de cet axe franco-allemand que le Président de la République s’était pourtant engagé à relancer.

Tout l’enjeu des négociations en cours sur l’avenir de la PAC, sur la question tant du budget que de son contenu, est de définir quelle agriculture européenne, mais, plus généralement, quelle Europe nous voulons pour demain. Car, oui, monsieur le ministre, nous voulons l’Europe !

Ces négociations ont débuté en 2018 et ont suscité de vives inquiétudes dans nos campagnes. Au-delà du budget, préoccupation majeure plusieurs fois évoquée, le risque le plus important et le plus inédit est celui de la renationalisation de la PAC, qui fait craindre une course au moins-disant social et environnemental au détriment de nos agriculteurs, et qui est l’inverse de l’esprit européen.

La situation est historiquement grave ; si nous en sommes là, monsieur le ministre, c’est que la négociation à laquelle a participé la France a été un échec. Le Président de la République a clairement sa part de responsabilité dans cet échec – comment le nier ? –, et il doit s’en expliquer.

Comment le nier, en effet, sachant les termes dans lesquelles ledit Président esquissait, à la Sorbonne, en septembre 2017, son projet agricole européen ? « La PAC », disait-il, « est devenue un tabou français » ; il poursuivait en affirmant son souhait d’« ouvrir de manière décomplexée et inédite une politique agricole commune […] permettant de laisser plus de flexibilité au niveau des pays ».

Deux ans plus tard, nous y sommes. Les annonces présidentielles ont été mises en œuvre. Et, comme l’a dit Jean Bizet il y a quelques instants, la direction prise sera difficile à modifier.

Certes, entre-temps, plusieurs prises de paroles officielles, dont la vôtre, monsieur le ministre, ont dénoncé tant le budget que la réforme proposés pour la PAC. Le discours que vous nous avez tenu est volontariste, et je vous crois sincère. Mais je ne savais pas que nous étions en cohabitation, tant votre discours est différent de celui du Président de la République…

Les négociations sont au point mort, nous dit-on. Et force est de constater que la France est étonnamment isolée au niveau européen. Le travail diplomatique de conviction et d’alliance doit être repris ; l’heure est venue d’obtenir des résultats. Ce n’est pas une question de majorité politique en Europe – vous le savez, monsieur le ministre. C’est une question de force et de présence de la France dans les instances de décision européennes.

De ce point de vue, j’attire l’attention des électeurs du 26 mai prochain : soyons vigilants s’agissant des groupes politiques européens auxquels les eurodéputés français vont adhérer ; car être dans l’opposition d’extrême ne sert à rien, sinon à affaiblir la position de la France. Ne pas dire où l’on siégera, et être ainsi nulle part, c’est très inquiétant.

Les auteurs de la proposition de résolution se refusent à la fatalité d’un échec des négociations de la PAC.

La procédure de décentralisation de cette politique doit être rejetée de manière unanime, au regard des risques qu’elle présente. Il faut défendre, à la place de cette procédure, un renforcement des mécanismes contracycliques et une meilleure mobilisation de la réserve européenne de crise, tant attendue par nos agriculteurs, afin de couvrir ces derniers contre les aléas économiques, climatiques ou géopolitiques.

Il serait également juste et nécessaire de garantir une concurrence loyale et équilibrée protégeant nos produits alimentaires des importations.

Je soutiens enfin une révision à la hausse des moyens budgétaires, à l’image de ce qui se pratique dans toutes les autres grandes puissances agricoles, afin que nous relevions ensemble les défis auxquels est confrontée l’agriculture. Il y va, monsieur le ministre, de notre indépendance géostratégique et de notre sécurité alimentaire.

Les négociations vont reprendre, après les élections européennes ; c’est un moment historique. Et je vous souhaite – je nous souhaite et je souhaite à la France – force, courage et réussite ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste. – Mme Colette Mélot applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Tissot.

M. Jean-Claude Tissot. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, le rapport de l’ONU sur la biodiversité rendu public hier, et ce matin dans les journaux, donne à nos travaux de cet après-midi un éclairage tout à fait particulier. Un million d’espèces animales et végétales sont menacées d’extinction, soit une espèce sur huit ! C’est le résultat direct de l’activité humaine. Tenant ce discours, je précise, à l’attention de Mme Primas, que je ne suis pas un marchand de peurs. Je me permets simplement de reprendre un constat.

Notre écosystème planétaire, condition non négociable de la survie de l’humanité, est à terme menacé si nous n’engageons pas un « changement profond » de nos modèles de production et de consommation. Nos modèles de production agricoles ne sont pas étrangers à ce dangereux déclin de la nature. Un seul exemple : les engrais qui se déversent sur les côtes ont produit plus de 400 « zones mortes » dans les océans, ce qui correspond à une surface grande comme le Royaume-Uni.

Dans un tel contexte, les grandes orientations de la future PAC apparaissent – pardonnez-moi l’expression – complètement à côté de la plaque. Nous ne pouvons pas nous satisfaire, pour cette grande politique intégrée de l’Union européenne, du simple replâtrage administratif qui nous est proposé. De ce point de vue, je ferai miens les mots de notre collègue eurodéputé Éric Andrieu : « La PAC a besoin d’une révolution et non d’un statu quo jusqu’en 2025. »

Cette révolution doit permettre de répondre aux grands enjeux qui sont face à nous : la protection de l’environnement, mais aussi le changement climatique, la santé humaine, la crise agricole actuelle. Les réponses à ces défis ne peuvent plus s’inscrire dans la continuité de celles apportées depuis 1992 ; autrement dit, elles ne sauraient continuer à favoriser une agriculture productiviste au service de l’agroindustrie.

Nous payons tous, collectivement, les externalités négatives de ce système agroindustriel en payant pour la dépollution de l’air ou de l’eau, sans parler de la facture pour notre santé. Si le coût de la PAC représente 0,5 % du PIB européen, le coût des dépenses de santé s’élève à 10 % du même PIB. Le lien entre alimentation et santé n’est plus à démontrer : pesticides, perturbateurs endocriniens, montée de l’obésité…

Cette révolution pourrait se matérialiser dans le nom même de la PAC, via l’ajout d’un second « A », pour « alimentation ». Elle devrait se concrétiser à travers des aides publiques permettant une montée en gamme des productions agricoles et une transformation des modèles agricoles, cela afin de redonner un revenu décent aux paysans et de produire une alimentation plus saine, assortie d’un meilleur bilan carbone, dans des conditions respectant davantage l’environnement et le bien-être animal.

Mais tout cela ne peut être fait sans une véritable ambition de la part de l’Union européenne. À cet égard, la baisse du budget de la PAC, qui va bien au-delà des effets mécaniques du Brexit, est plus qu’alarmante.

Au commissaire à l’agriculture, Phil Hogan, qui demandait comment nous justifierions un besoin accru de fonds pour la PAC, je répondrai simplement : si 2 % seulement des Européens sont des agriculteurs, 100 % des Européens ont besoin de l’agriculture pour vivre !

La proposition de résolution que nous examinons aujourd’hui, qui rappelle les préconisations de nos deux précédentes résolutions, balaye bien le champ de ces différents enjeux et des réponses qu’il faut y apporter. C’est pourquoi notre groupe lui apporte son plein soutien.

Monsieur le ministre, le Gouvernement entendra-t-il ce nouvel appel du Sénat à une autre ambition pour la politique agricole commune et renouera-t-il avec le volontarisme dont la France avait fait montre pour la soutenir dans les années précédentes ?

M. le président. La parole est à M. Pierre Louault.

M. Pierre Louault. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous arrivons au terme de ce débat. J’en retiendrai quelques points qui me semblent essentiels.

L’agriculture est dans une passe difficile. Or ni l’Europe ni la France n’ont su répondre récemment à ces difficultés. Il me semble nécessaire que le budget de la politique agricole commune soit à la hauteur des besoins, c’est-à-dire, au minimum, à la hauteur de ce qu’il est aujourd’hui.

Nous avons bien sûr besoin de vous, monsieur le ministre, pour défendre auprès de la Commission européenne ce budget de l’agriculture ; mais je pense aussi que le Président de la République doit lui-même s’engager fortement auprès de ses partenaires en faveur de cette politique agricole, qui est l’origine même de l’Europe. Si, demain, l’Europe ne sait pas garder une politique agricole commune, alors c’est sa fin qui sonnera. Or – ne nous leurrons pas – c’est précisément ce qu’espèrent un certain nombre de grandes puissances comme les États-Unis, la Russie ou la Chine, qui voient bien sûr d’un mauvais œil se construire cette Europe, qui avait su conduire une politique agricole commune.

Un point, à ce titre, me semble essentiel : ne pas céder à cette idée de renationaliser les aides de l’Europe. Soit nous avons une politique agricole commune et nous jouons tous selon les mêmes règles du jeu, soit nous perdons ces règles communes et, du même coup, nous perdrons cette politique européenne. On connaît la dynamique de la technocratie française et sa propension, beaucoup plus forte que celle qui prévaut dans les autres pays, à imposer des règles…

L’agriculture française, qui a perdu toute sa capacité d’exportation, ouvre ses portes à des produits qu’elle n’a pourtant pas nécessairement besoin d’importer, mais qui sont moins chers et aussi, faut-il ajouter, de moindre qualité. Si, demain, nous ne savons pas conserver ce qui doit l’être, ce sera la fin de l’agriculture française et sans doute, également, la fin d’une agriculture européenne.

Aujourd’hui, les références de qualité qui s’imposent à l’agriculture européenne sont différentes de celles qui ont cours dans les autres agricultures du monde. On voit très clairement, par exemple, le soja transgénique traité au glyphosate envahir toute l’Europe, alors même que ce produit s’apprête à y être interdit.

Il faut donc préserver l’Europe tout en promouvant une Europe qui protège, notamment les productions agricoles. J’étais il y a quelques jours au Canada ; malgré les traités de libre-échange, les Canadiens savent garder un prix du lait supérieur de 20 % au prix français ou aux prix européens. Nous attendons de l’Europe qu’elle protège elle aussi son agriculture et ses agriculteurs.

Je voudrais, pour finir, dire un mot sur la responsabilité française dans la surréglementation. Si nous ne sommes pas capables de régler ce problème de suradministration, qui affecte l’agriculture comme, de façon générale, toute l’économie, si nous ne savons pas fixer des règles simples et claires, dont les objectifs pourront être compris des agriculteurs, ces derniers se démobiliseront ; la France perdra sa place dans l’agriculture européenne.

Nous comptons sur vous, monsieur le ministre, et nous avons besoin du Président de la République pour soutenir l’agriculture française. (Applaudissements sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains. – M. André Gattolin applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Michel Raison.

M. Michel Raison. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me contenterai de quelques remarques et de quelques rappels, puisque tout a été dit, y compris par M. le ministre, qui nous a fait un beau discours, avec lequel nous sommes entièrement d’accord ; mais je pense qu’il avait précisément été bâti pour qu’il nous plaise – j’y reviendrai.

Premier rappel : l’agriculture est un secteur économique particulier. Son fonctionnement est différent de celui des autres secteurs économiques – je pense par exemple aux questions d’entretien du paysage. Surtout, il s’agit d’un secteur stratégique. Lorsque des pays sont en conflit, c’est toujours sur l’alimentation que pèsent les embargos. Or, depuis cinquante ans, nous sommes dans l’opulence alimentaire ; les détracteurs de l’agriculture ne se rendent pas compte de ce que voudrait dire une pénurie de produits alimentaires. Sur le plan de la sécurité même de l’Europe et en particulier de la France, cette valeur stratégique de l’agriculture doit donc être défendue.

Je ferai quelques remarques sur la politique agricole commune, à propos de points qui, pour le moment, ne sont l’objet d’aucune menace, mais sur lesquels je souhaite insister.

Comme nous le savons, l’installation en agriculture nécessite des investissements pour acquérir des stocks à rotation très lente ; il est donc difficile de démarrer dans le métier. Les aides aux jeunes agriculteurs ne sont pour le moment pas remises en cause, mais il est toujours bon de dire qu’elles doivent être absolument maintenues et renforcées, comme, d’ailleurs, la compensation des handicaps naturels.

S’agissant de ce dernier point, il est certes assez difficile de déterminer les zones éligibles – les discussions qui ont eu lieu tout à l’heure l’ont montré –, mais il s’agit là de l’un des piliers de la politique agricole commune, visant à ce que l’ensemble des territoires puissent survivre et être entretenus. Certaines zones, en effet, connaissent des difficultés liées au relief, au climat ou à la pauvreté des terres. La compensation de tels handicaps est donc primordiale.

Vous avez aussi parlé, monsieur le ministre, de la simplification – les chiffres que vous avez donnés ont été entendus. La tâche sera rude ; vous avez tout notre soutien – si vous avez besoin d’un coup de main pour que nous vous aidions à simplifier réellement, vous avez nos numéros de téléphone ! On parle toujours de simplification, et pas seulement en matière de politique agricole commune ; mais chaque fois qu’on en parle, que ce soit ici ou à l’Assemblée nationale, on remet deux couches de complexité. C’est là une maladie bien française, mais aussi un peu européenne.

La politique agricole commune a besoin d’être plus efficace – on sait que ce qui est simple est plus efficace que ce qui est complexe. Quand je dis « plus efficace », je pense aussi à la vocation même de la politique agricole commune, qui était certes d’assurer une alimentation de qualité et à un prix correct pour l’ensemble des Européennes et des Européens, mais aussi de garantir un revenu aux agriculteurs, avec des systèmes assurantiels susceptibles de pallier la fluctuation des prix et des rendements au gré des aléas climatiques. La politique agricole commune est avant tout faite pour cela ; elle n’est pas faite que pour les petits oiseaux. De ce point de vue, je n’y reviendrai pas, mais la loi Égalim ne sert à rien : les marchés et la fluctuation des prix sont ce qu’ils sont.

Monsieur le ministre, je conclurai en reprenant votre appel à l’unité – vous avez appelé à ce que nous défendions tous, collectivement, des positions communes. Or nous avons la même position que vous ; j’imagine donc que vous parliez surtout pour le Gouvernement, prônant une unité de discours au sein de celui-ci, et peut-être même jusqu’au niveau du Président de la République !

Par « unité de discours », j’entends non seulement un discours qui fasse l’unité entre nous, mais surtout un discours qui reste le même, qu’il soit tenu en France ou au niveau européen. Que le discours change d’un niveau à l’autre peut avoir de graves conséquences ; nous avons ainsi été quelque peu frustrés d’apprendre, il y a un an, lors d’une audition, de la bouche du commissaire allemand au budget de la Commission européenne, que le discours tenu dans notre pays était différent des positions défendues à Bruxelles.

Monsieur le ministre, dites aussi au Président de la République que, lorsqu’il parle d’agriculture à l’occasion d’un buzz médiatique comme celui que nous venons de vivre sur la biodiversité,…

M. le président. Vous avez dépassé votre temps de parole !

M. Michel Raison. … il n’oublie pas de souligner toutes les choses positives que nous devons à l’agriculture moderne depuis une cinquantaine d’années, au lieu de répéter qu’il faut absolument que nous nous remettions en cause, que nous ne sommes pas bons, que cela ne peut pas continuer ainsi. Merci, monsieur le ministre, de nous aider aussi sur ce sujet ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste. – Mme Gisèle Jourda applaudit également.)

M. le président. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

proposition de résolution européenne

Le Sénat,

Vu l’article 88-4 de la Constitution,

Vu le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, en particulier ses articles 38 à 44,

Vu les conclusions du Conseil européen des 22 et 23 mars 2018, sur le prochain Cadre financier pluriannuel (CFP) de l’Union européenne, d’une part, sur l’avenir de la Politique agricole commune (PAC), d’autre part,

Vu les propositions législatives de réforme pour la Politique agricole commune à l’horizon 2021/2027, publiées par la Commission européenne le 1er juin 2018,

Vu la première résolution européenne n° 130 (2016-2017) du Sénat, en date du 8 septembre 2017, sur l’avenir de la Politique agricole commune (PAC) à l’horizon 2020,

Vu la seconde résolution européenne n° 116 (2017-2018) du Sénat, en date du 6 juin 2018, en faveur de la préservation d’une politique agricole commune forte, conjuguée au maintien de ses moyens budgétaires,

Vu la résolution européenne n° 127 (2017-2018) du Sénat, en date du 22 juin 2018, demandant la renégociation par le Gouvernement des articles 31 et 32 du règlement (UE) n° 1305/2013 relatifs aux handicaps naturels,

Réaffirme et confirme, au préalable, l’intégralité des demandes formulées dans ses deux premières résolutions européennes précitées ;

Approuve la partie des propositions de la Commission européenne, tendant à renforcer les aides destinées aux jeunes agriculteurs ;

Juge légitime, d’une façon générale, un renforcement de l’ambition environnementale de la PAC fondé sur des éléments scientifiques établis et soutient que le principe d’innovation va de pair avec le principe de précaution ;

Se félicite de la proposition de la Commission européenne tendant à augmenter le soutien à la recherche et à l’innovation, en y affectant 10 milliards d’euros, issus du programme Horizon Europe, tout en souhaitant que cette enveloppe budgétaire serve à valoriser les externalités positives de l’agriculture, en particulier pour son potentiel en matière de stockage de carbone, ainsi qu’à rémunérer les agriculteurs pour les services qu’ils rendent, tant à l’égard de la société que de l’environnement, ce qui devrait leur valoir une rémunération mieux conçue et plus simple des biens publics qu’ils produisent ;

Rappelle, au-delà des avancées du « règlement Omnibus » 2017/2393 du 13 décembre 2017, la nécessité d’adapter, en règle générale, le droit de la concurrence aux spécificités agricoles et de renforcer effectivement le poids des producteurs dans la chaîne de valeur alimentaire ;

Salue en conséquence les progrès particulièrement encourageants enregistrés, en vue de l’adoption du projet de directive visant à lutter contre les pratiques commerciales déloyales, parallèlement aux négociations en cours sur la future PAC 2021-2027 ;

Insiste sur l’importance de recourir, en cas de crise géopolitique, climatique, ou de marché, d’une part, aux dispositions de l’article 224 du règlement n° 1308/2013 tendant à déroger aux règles de concurrence, d’autre part et en tant que de besoin, aux mécanismes de gestion et aux mesures d’intervention, avec, toutefois, des modalités de déclenchement plus simples et plus rapides qu’aujourd’hui ;

Se félicite de la proposition de la Commission tendant à créer une réserve pluriannuelle, dotée d’au moins 400 millions d’euros et destinée à remplacer l’actuel dispositif, demeuré totalement inopérant au cours des dernières années ;

Déplore, toutefois, que les propositions avancées depuis le 1er juin 2018 par la Commission européenne pour la prochaine réforme de la PAC ne correspondent que très marginalement aux préconisations des deux résolutions du Sénat en date du 8 septembre 2017 et du 6 juin 2018, voire en contredisent bon nombre de points essentiels ;

Estime qu’aucune réforme de la PAC ne serait satisfaisante sans une préservation a minima d’un budget stable en euros constants sur la période 2021-2027, par rapport aux années 2014-2020 ;

Rappelle, en conséquence, son opposition à la proposition de la Commission européenne tendant à réduire, selon l’estimation du Parlement européen, les budgets respectifs du « premier pilier » et du « second pilier » de la PAC de respectivement 11 % et 28 %, soit 15 % au total, en euros constants entre 2021 et 2027, en comparaison du précédent Cadre financier pluriannuel ;

Constate que ce recul va bien au-delà des seules conséquences financières du retrait de l’Union européenne du Royaume-Uni, qui explique à peine la moitié de la diminution proposée ;

Juge que les « coupes » budgétaires envisagées par la Commission européenne apparaissent, en premier lieu, à contre-courant des évolutions observées dans les autres grandes puissances, lesquelles accroissent leur soutien public à l’agriculture, et seraient, en second lieu, incompatibles avec l’objectif de renforcement des ambitions environnementales de la Politique agricole commune, faute de pouvoir fondamentalement faire mieux avec moins ;

Fait valoir que cet écart très important entre, d’une part, les axes de réforme proposés par la Commission européenne et, d’autre part, les préconisations du Sénat, ne se limite aucunement à la question du financement de la PAC ;

Déplore, d’une façon générale, que la proposition de réforme de la Commission européenne semble méconnaître le caractère stratégique de notre agriculture, dans la mesure où cette dernière garantit l’indépendance alimentaire du continent européen, tout comme elle veille à la sécurité sanitaire des consommateurs européens ;

Réaffirme son attachement à l’indispensable reconnaissance des handicaps naturels qui permet le maintien de l’agriculture sur l’ensemble des territoires européens ;

Rappelle que la Politique agricole commune trouve un fondement de légitimité supplémentaire dans les mécanismes d’aide alimentaire ;

Redoute, en particulier, que le nouveau mode de mise en œuvre de la Politique agricole commune, tel qu’envisagé par la Commission européenne, n’aboutisse à une déconstruction progressive de la Politique agricole commune, remplacée de facto, d’ici à 2027, par 27 politiques agricoles nationales de moins en moins compatibles entre elles ;

Considère, d’une façon générale, que l’objectif de simplification et la méthode utilisée, fondée sur le recours à la subsidiarité, poussée à un niveau inédit, ne doivent pas conduire à une renationalisation de la PAC ;

Juge que ce nouveau mode de mise en œuvre risque fortement de créer des distorsions de concurrence supplémentaires, qui viendraient s’ajouter à celles existant déjà à l’intérieur de l’Union européenne ;

Craint que ces distorsions de concurrence ne s’ajoutent à celles issues des denrées alimentaires importées ne respectant pas les normes européennes de production et appelle à la création d’une structure de contrôle sanitaire européenne ;

Appréhende, dans ce contexte, le fait que l’agriculture française ne pâtisse d’une exacerbation de la course au moins-disant (« dumping ») social et environnemental entre pays européens, compte tenu des divergences que la nouvelle PAC ne pourra pas réduire, et ne soit, en conséquence, prise en étau entre des exigences croissantes en termes de standards de production, pour s’adapter à la demande des consommateurs, et, parallèlement, une pression déflationniste sur les prix ;

Estime qu’il deviendrait alors particulièrement difficile ou improbable, pour l’agriculture européenne, de mener à bien la nécessaire transition environnementale et énergétique, du fait même d’une injuste pénalisation des producteurs les plus vertueux ;

Considère au surplus, en se fondant sur la complexité à bien des égards byzantine des règles actuelles du « second pilier » de la PAC, que ce nouveau mode de mise en œuvre de la PAC pourrait n’être qu’un transfert de bureaucratie, sans bénéfice réel, ni pour les agriculteurs européens, ni même in fine pour les consommateurs et les citoyens européens ;

Fait valoir que les informations publiées depuis la présentation des propositions de la Commission européenne, le 1er juin 2018, n’ont nullement apaisé les craintes et les réserves, exprimées par les Sénateurs, dans la résolution européenne n° 116 (2017-2018) du Sénat du 6 juin 2018, sur le nouveau mécanisme de mise en œuvre de la PAC, dont la contrepartie sera inévitablement un accroissement des contrôles sur les aides du « premier pilier », ainsi qu’un fort développement des systèmes de supervision et de surveillance ;

Souligne, d’une façon générale, que les systèmes de contrôle devraient prioritairement reposer sur les nouvelles technologies, notamment numériques, de façon à faciliter, autant que possible, le travail au quotidien des exploitants agricoles ;

Juge, en conséquence, que ce nouveau mode de mise en œuvre n’est en rien indispensable à la prochaine réforme de la Politique agricole commune, car son utilité même n’est pas établie ;

Rappelle, en conclusion, que la Politique agricole commune a rempli, depuis 1962, un rôle fondateur essentiel pour l’Union européenne et mérite toujours d’être considérée comme une priorité stratégique, ne serait-ce qu’au regard de l’impératif de sécurité alimentaire des citoyens européens, ainsi que des enjeux industriels du XXIe siècle ;

Invite le Gouvernement à faire valoir cette position dans les négociations au Conseil.

M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 2 rectifié ter, présenté par MM. Labbé et Cabanel, Mme M. Carrère, MM. Castelli, Collin et Corbisez, Mme Costes, M. Dantec, Mme N. Delattre, M. Gold, Mmes Jouve et Laborde et MM. Léonhardt, Requier, Roux et Vall, est ainsi libellé :

I. – Alinéa 12

Après le mot :

Europe

supprimer la fin de cet alinéa.

II. – Après l’alinéa 12

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

Rappelle l’importance de valoriser les externalités positives de l’agriculture, en particulier pour son potentiel en matière de stockage de carbone, et de préservation de la biodiversité, au regard des services rendus, tant à l’égard de la société que de l’environnement, ce qui devrait valoir aux agriculteurs une rémunération mieux conçue et plus simple des biens publics qu’ils produisent, notamment via des paiements pour services environnementaux ;

La parole est à M. Joël Labbé.

M. Joël Labbé. Cela a été dit à plusieurs reprises au cours de la discussion générale : la PAC est une politique stratégique, parce qu’elle est essentielle pour assurer la souveraineté alimentaire de l’Europe, mais aussi parce que l’agriculture a un impact majeur sur l’environnement, qui est aujourd’hui un sujet d’urgence absolu.

Le dernier rapport de l’IPBES nous l’a montré : la biodiversité, dont nous sommes dépendants pour notre existence même, est en grave danger. L’agriculture est bien un enjeu stratégique à cet égard : elle peut permettre la conservation, la préservation, voire le renforcement de la biodiversité, mais elle peut aussi, par l’usage des pesticides et des engrais de synthèse ou encore par la concentration excessive des élevages, être très nuisible à l’environnement.

Le texte devrait donc, selon moi, faire une place plus importante aux questions environnementales, notamment aux paiements pour services environnementaux. En effet, pour revendiquer des moyens forts pour la PAC, il faut légitimer son budget et donc s’assurer qu’il répond aux attentes des citoyens en faveur d’une agriculture paysanne respectueuse de l’environnement.

C’est pourquoi nous proposons d’inclure la notion de paiements pour services environnementaux dans la rédaction de cette proposition de résolution. Il s’agit de rémunérer les externalités positives fournies par les agriculteurs, et ce sans lier cette rémunération au fonds Horizon Europe, formule retenue par les auteurs de la proposition de résolution.

Cela a été dit par mon collègue Henri Cabanel, les paiements pour services environnementaux constituent un outil pertinent pour assurer la transition agricole et rémunérer les agriculteurs pour les services qu’ils rendent à la société. Parce qu’ils permettent de réorienter les fonds de la politique agricole commune vers des pratiques vertueuses, ces instruments doivent être au cœur de la future PAC. Je sais que le Gouvernement, comme de nombreux acteurs agricoles, s’intéresse aujourd’hui à cet outil.

Pour cette raison, il me semble qu’il faudrait aller au-delà du fonds Horizon Europe, destiné à financer des projets de recherche et d’innovation, et intégrer les PSE dans la PAC même, moyen le plus efficace pour garantir une rémunération mieux conçue et plus simple des services rendus par l’agriculture.

Tel est donc l’objet de cet amendement : promouvoir une meilleure rémunération des externalités positives de l’agriculture, via notamment des paiements pour services environnementaux.

M. le président. L’amendement n° 1 rectifié ter, présenté par MM. Labbé et Cabanel, Mme M. Carrère, MM. Castelli, Collin et Corbisez, Mme Costes, M. Dantec, Mme N. Delattre, M. Gold, Mmes Jouve et Laborde et MM. Léonhardt, Requier, Roux et Vall, est ainsi libellé :

I. – Alinéa 12

Après le mot :

Europe

supprimer la fin de cet alinéa.

II. – Après l’alinéa 12

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

Rappelle l’importance de valoriser les externalités positives de l’agriculture, en particulier pour son potentiel en matière de stockage de carbone, au regard des services rendus, tant à l’égard de la société que de l’environnement, ce qui devrait valoir aux agriculteurs une rémunération mieux conçue et plus simple des biens publics qu’ils produisent ;

La parole est à M. Joël Labbé.

M. Joël Labbé. Il s’agit d’un amendement de repli.

Plutôt que d’appeler à ce que la rémunération des externalités positives de l’agriculture se fasse dans le cadre du fonds Horizon Europe, nous proposons de reprendre la rédaction adoptée par notre assemblée le 6 juin 2018 dans sa résolution européenne en faveur de la préservation d’une politique agricole commune forte, conjuguée au maintien de ses moyens budgétaires.

Cet amendement a pour objet d’appeler à mieux rémunérer les services rendus par les agriculteurs à la société, mais sans lier cet appel au programme de développement et d’innovation qu’est le fonds Horizon Europe. Il est essentiel d’affirmer que la PAC doit avoir un rôle majeur dans la rémunération des services environnementaux plutôt que de rechercher les fonds dans d’autres budgets.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Franck Montaugé, rapporteur de la commission des affaires économiques. La mise en place d’un eco-scheme, en gascon dans le texte (Sourires.), n’est pas exclusive de la mise en œuvre de PSE en dehors du cadre budgétaire de la politique agricole commune. Compte tenu des baisses annoncées du budget de la politique agricole commune, il serait même plutôt préférable de financer les paiements pour services environnementaux en dehors du cadre budgétaire de la PAC.

Le programme Horizon Europe permettrait bel et bien d’y pourvoir. Je rappelle qu’il s’agit quand même d’une enveloppe, à l’échelle européenne, bien entendu, de 100 milliards d’euros sur la période 2021-2027, sur des thèmes parfaitement en phase avec l’objet d’éventuels PSE.

J’ajoute – je ne l’ai pas dit ce matin en commission, mais je l’ai dit dans mon intervention en discussion générale – que le programme LIFE, qui est l’instrument financier de la Commission européenne pour tout ce qui concerne les projets relatifs à l’environnement et au climat, pourrait aussi contribuer au financement de PSE.

La préoccupation majeure doit être de ne pas grever plus encore le budget de la PAC, qui va de toute façon diminuer, et donc de trouver des programmes de financement alternatifs. C’est pourquoi la commission a émis un avis défavorable sur ces amendements. Nous partageons néanmoins le fond de votre argumentation, eu égard à ces enjeux climatiques et environnementaux et, de façon plus générale, à la reconnaissance de ce que l’agriculture apporte à la société.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Didier Guillaume, ministre de lagriculture et de lalimentation. Je suis très favorable aux paiements pour services environnementaux. Nous en avons parlé pendant plusieurs heures, ici même, il y a quelques mois ; ce n’est donc pas le sujet.

Vos amendements sont, me semble-t-il, de simples amendements d’appel, que vous allez peut-être retirer ; c’est en tout cas ce que je souhaiterais que vous fassiez, pour m’éviter d’avoir à émettre un avis défavorable.

L’objet de ces amendements ne colle pas avec cette proposition de résolution européenne. Cela ne retire rien, néanmoins, à la force de votre engagement sur le fond : les paiements pour services environnementaux devront être mis en place, d’une façon ou d’une autre. Le Sénat en a d’ailleurs voté le principe à l’unanimité ou à la quasi-unanimité il y a de cela quelque temps. Mais, dans le moment où nous sommes, nous devons garder toutes nos forces pour, de manière unitaire, défendre le budget de la PAC, avant de nous égayer dans d’autres directions, de traiter d’autres sujets, aussi importants soient-ils.

Dans ce cadre, je dois souligner une divergence d’appréciation entre nous : je ne peux laisser dire que le Gouvernement serait divisé sur le PAC, qu’il y aurait une « cohabitation », comme l’a dit la présidente de la commission des affaires économiques, ou, comme l’a dit M. Raison, qu’existerait un double discours. Je ne manquerai d’ailleurs pas de me faire communiquer l’audition du commissaire allemand que vous avez cité ; si c’est bien ce qu’il a dit, je me permettrai d’intervenir pour remettre les pendules à l’heure.

La France n’a qu’un discours, depuis le début ! C’est bien la France, et aucun autre pays, qui porte le drapeau en disant qu’il est hors de question que le budget de la PAC baisse. Mais reconnaissons qu’il faut une majorité qualifiée pour voter ce budget, et que la France, aujourd’hui, est un peu trop isolée ; or certains pays historiques de l’Union européenne – je pense à un grand pays en particulier – semblent vouloir promouvoir, dans le budget européen, d’autres postes que celui de la politique agricole commune. Sur un tel sujet, évitons les divisions dommageables et battons-nous pour ce budget.

Monsieur Labbé, la transition agroécologique et les paiements pour services environnementaux sont indispensables, mais je vous demande de bien vouloir retirer vos amendements pour laisser toute sa force à cette proposition de résolution européenne que le Gouvernement soutient.

M. le président. Monsieur Labbé, les amendements nos 2 rectifié ter et 1 rectifié ter sont-ils maintenus ?

M. Joël Labbé. Sur le fond, avec l’ensemble de mon groupe, nous sommes très en phase avec cette proposition de résolution. Aussi, pour maintenir ce que j’espère être une unanimité, je retire ces amendements, étant entendu, monsieur le ministre, que vous vous engagez formellement à poursuivre le travail.

J’espère qu’un consensus, en la matière, se dégagera dans notre assemblée, car ces orientations ne sont pas négociables.

M. le président. Les amendements nos 2 rectifié ter et 1 rectifié ter sont retirés.

Vote sur l’ensemble

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de résolution au nom de la commission des affaires européennes, en application de l'article 73 quater du Règlement, sur la réforme de la politique agricole commune (PAC)
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

M. le président. Personne ne demande la parole ?…

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, la proposition de résolution européenne.

J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant de la commission.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 97 :

Nombre de votants 340
Nombre de suffrages exprimés 340
Pour l’adoption 340

Le Sénat a adopté.

Je constate que ce texte a été adopté à l’unanimité des présents. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)

En application de l’article 73 quinquies, alinéa 7, du règlement, la résolution que le Sénat vient d’adopter sera transmise au Gouvernement et à l’Assemblée nationale.

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures quarante-cinq, est reprise à dix-huit heures cinquante.)

M. le président. La séance est reprise.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de résolution au nom de la commission des affaires européennes, en application de l'article 73 quater du Règlement, sur la réforme de la politique agricole commune (PAC)
 

10

 
Dossier législatif : proposition de résolution tendant à modifier le Règlement du Sénat pour renforcer les capacités de contrôle de l'application et de l'évaluation des lois
Discussion générale (suite)

Contrôle de l’application et de l’évaluation des lois

Adoption d’une proposition de résolution dans le texte de la commission

M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen de la proposition de résolution tendant à modifier le règlement du Sénat pour renforcer les capacités de contrôle de l’application et de l’évaluation des lois, présentée par M. Franck Montaugé et plusieurs de ses collègues (proposition n° 387, texte de la commission n° 449, rapport n° 448).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Franck Montaugé, auteur de la proposition de résolution.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de résolution tendant à modifier le Règlement du Sénat pour renforcer les capacités de contrôle de l'application et de l'évaluation des lois
Article 1er

M. Franck Montaugé, auteur de la proposition de résolution. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, chers collègues, la proposition de résolution dont nous débattons ce soir marque une étape supplémentaire dans l’approfondissement par notre assemblée du processus de contrôle et d’évaluation des lois que nous votons.

Ce texte s’inscrit dans le prolongement des travaux que nous avions menés, en mars 2018, en présentant deux propositions de loi.

La première d’entre elles était relative à l’amélioration des études d’impact des textes législatifs. Elle avait été amendée en commission ; le texte qui en était résulté était en retrait par rapport aux ambitions initiales. Le débat s’était conclu par un vote, permettant de confier la réalisation des études d’impact à des cabinets indépendants choisis par décret en Conseil d’État. Transmis à l’Assemblée nationale, ce texte n’a pas, à ce jour, été repris par elle.

La seconde proposition de loi prévoyait la création d’un conseil parlementaire d’évaluation des politiques publiques et du bien-être, ainsi que la mise en œuvre d’une démarche scientifiquement structurée d’évaluation des politiques publiques, ouverte à la participation effective des citoyens par des moyens appropriés.

Jugée trop complexe, cette proposition de loi a été renvoyée voilà un an à la commission pour y être rediscutée. Elle ne l’a pas été, et nous avons souhaité, avec Jean-Pierre Sueur, Marc Daunis, Patrick Kanner et les membres du groupe socialiste et républicain, clore cette séquence de travail sur les fonctions du législateur par une proposition de modification du règlement de notre assemblée. Elle vise à nous permettre d’être plus efficaces dans le contrôle de l’application de la loi et l’évaluation de ses effets et, plus généralement, des politiques publiques, comme nous y enjoint l’article 24 de la Constitution de la Ve République.

En effet, si le Parlement contrôle et évalue les politiques publiques de différentes manières, grâce notamment à l’instauration d’un espace réservé dans l’ordre du jour, à la possibilité de procéder à des contrôles « sur pièces et sur place », à l’institution de commissions d’enquête sur des sujets donnés et aux questions posées aux membres du Gouvernement, le contrôle de l’application des lois votées et promulguées peut être amélioré.

Il est ainsi fréquent que les décrets et autres textes réglementaires nécessaires à l’application effective des lois soient publiés très tardivement ; parfois, ils ne le sont même pas du tout.

Qu’en est-il, par ailleurs, de l’application sur le terrain, dans les territoires, de lois dont l’esprit initial, tel que voulu par le législateur, s’est transformé et a parfois été perdu en chemin, dans la chaîne administrative des interprétations ?

Cet état de choses n’est pas acceptable, puisque la loi votée s’impose à toutes et à tous et qu’elle doit pouvoir s’appliquer dans des délais rapides dès lors qu’elle a été promulguée.

Notre proposition de résolution initiale visait à compléter l’article 19 de notre règlement afin de confier au rapporteur d’un projet ou d’une proposition de loi la responsabilité d’assurer le suivi de son application une fois le texte promulgué, en présentant chaque année devant la commission saisie au fond, sous forme écrite et orale, une communication dressant l’état de la mise en application de la loi promulguée, notamment de la publication de ses textes d’application. Nous proposions donc l’instauration d’un droit de suite au bénéfice du rapporteur d’un projet ou d’une proposition de loi.

Sur le rapport de M. Philippe Bonnecarrère, dont je veux ici souligner la qualité du travail et la cordialité et que je remercie de m’avoir permis de participer aux auditions, la commission des lois a jugé que la création de ce droit de suite serait bienvenue, qu’il renforcerait utilement le suivi de l’application des lois, mais qu’il devait être assoupli. Sur ce point, les dispositions retenues par la commission des lois ne dénaturent pas la proposition de résolution initiale.

Dès lors, si nous en décidons ainsi aujourd’hui, le rapporteur sera chargé de suivre l’application de la loi après sa promulgation et jusqu’au renouvellement du Sénat. Il pourra être confirmé dans ces fonctions à l’issue du renouvellement, s’il est toujours sénateur. Les commissions permanentes pourront si nécessaire désigner, dans les mêmes conditions, un autre rapporteur à cette fin. Dans le cas d’un texte examiné par une commission spéciale, les commissions permanentes pourront désigner, toujours dans les mêmes conditions, un rapporteur pour assurer le suivi de l’application des dispositions relevant de leur domaine de compétence.

Pour ce qui est de la mission d’évaluation des politiques publiques, notre position initiale n’a en revanche pas pu être conciliée avec celle de la commission.

Nous proposions de faire figurer de manière explicite la notion d’« évaluation de la loi » dans notre règlement, dans le prolongement de la référence au « suivi de l’application de la loi ».

La commission a jugé que le Parlement dispose d’une mission plus large d’évaluation des politiques publiques, qui relève déjà des commissions permanentes. C’est indéniable, mais qu’en fait-on en pratique ?

Que l’évaluation des politiques publiques se distingue du suivi de l’application des lois, cela est certain. Reconnaissons qu’en toute logique on peut difficilement faire de l’évaluation sans en passer d’abord par un bilan de l’application des lois.

La commission fonde aussi sa position sur le fait que l’évaluation est plus exigeante, qu’elle demande davantage de recul, qu’elle s’inscrit dans une démarche collective nécessitant la planification et la mobilisation de moyens spécifiques, et que si le rapporteur du projet ou de la proposition de loi peut y participer, il peut difficilement en être le seul acteur.

Je suis tout à fait d’accord avec ces remarques. C’était d’ailleurs bien le sens de la proposition de loi qui a été renvoyée il y a un an à la commission : elle visait à définir un cadre, un dispositif, un processus d’évaluation des politiques publiques, et non pas seulement – je tiens à le préciser – des lois.

Il est vrai que de nombreuses réflexions sont en cours en vue de renforcer les capacités d’évaluation du Parlement. Certains prétendent qu’une diminution de 20 % à 30 % du nombre de parlementaires permettra de mieux répondre aux exigences constitutionnelles actuelles !

Mme Sophie Primas. Mais bien sûr…

M. Franck Montaugé. Au regard de nos pratiques en matière d’évaluation des politiques publiques, je dois dire qu’une telle affirmation me laisse pour le moins songeur…

Différents groupes du Sénat, dont le mien et celui qui est conduit par le président Larcher, ont formulé, dans le cadre de la présentation du projet de révision constitutionnelle à la mi-2018, des propositions allant dans le sens d’une structuration de ce travail d’évaluation des politiques publiques. Je m’en réjouis. Parce que ce point est essentiel à mes yeux, je présenterai un amendement à l’article 1er visant à prendre en compte les remarques de la commission, pour que ne disparaisse pas purement et simplement de la proposition de modification de notre règlement l’évaluation des effets de la loi.

Sans préjuger de l’organisation et des moyens internes au Sénat qui permettront d’y pourvoir, et en tenant compte – c’est un point important – des préconisations du Conseil d’État, rappelées en 2017 par son vice-président Jean-Marc Sauvé devant le groupe de travail de l’Assemblée nationale sur les moyens d’évaluation et de contrôle du Parlement, je proposerai que soit inséré à l’article 19 du règlement du Sénat les dispositions suivantes : « Dans les deux ans suivant la promulgation de la loi, le rapporteur présente devant la commission une évaluation des premiers effets de la loi qui lui paraissent les plus significatifs. Dans les cinq ans après la promulgation de la loi, il doit être en mesure de présenter une évaluation complète de ses effets. Cette évaluation est effectuée au regard des motifs et de l’étude d’impact initiale de la loi. Elle prend en compte les effets de la loi sur les indicateurs de richesse légalement en vigueur et les objectifs de développement durable que la France met en œuvre dans le cadre de ses engagements internationaux pour le climat et le développement. Elle indique les effets de la loi sur la trajectoire des finances publiques. »

Si nous adoptons cet amendement, nous ferons un petit pas de plus vers l’évaluation des politiques publiques. Dans le cas contraire, la question restera entière.

J’ai bien conscience que le sujet est complexe et je constate qu’il suscite beaucoup de frilosité. Je crois cependant que le temps est venu, que nos concitoyens, nos territoires attendent que nous inventions un lien avec eux dans ce domaine, en vue d’une amélioration de notre fonction institutionnelle de représentation. C’est là tout le sens de mon engagement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Nathalie Goulet et M. le rapporteur applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Monsieur le président, mes chers collègues, Frank Montaugé a exprimé le sentiment du groupe socialiste et républicain, mais aussi son opinion personnelle, sur les questions de l’application de la loi et de l’évaluation.

Cette proposition de modification du règlement du Sénat visait initialement à élargir le champ de l’action parlementaire en matière tant de suivi de l’application de la loi que d’évaluation de celle-ci, en conférant au rapporteur d’un texte législatif une sorte de droit de suite. M. Jean-Pierre Sueur nous a exposé ce point de vue à diverses reprises. Attentif aux travaux de M. Stiglitz, qui préconise de tenir compte de la notion de bonheur pour le calcul du PIB, vous proposez quant à vous, monsieur Montaugé, avec une passion politique parfaitement légitime et respectable, d’enrichir le contenu du volet relatif à l’évaluation, qui doit dans votre esprit intégrer les dimensions participative et environnementale.

La commission des lois, sous l’égide de son président, M. Bas, s’est attachée à vous donner satisfaction autant qu’il était possible. L’application et l’évaluation de la loi sont deux sujets importants. Aux termes de l’article 21 de la Constitution, c’est une mission qui incombe au Premier ministre. Le Sénat, après différentes évolutions, est parvenu à la conclusion que les commissions étaient les instances les mieux placées pour assurer le suivi de l’application des lois, au travers notamment du bilan annuel de l’application des lois, dressé sous le contrôle de Mme Létard, vice-présidente de notre assemblée.

Concernant le suivi de l’application des lois, intégrer le rapporteur dans le circuit d’examen par les commissions et dans la réalisation du bilan annuel nous paraît envisageable. C’est le sens des amendements qui ont été adoptés par la commission, sachant que trois des quarante propositions faites par le Sénat dans la perspective de la révision constitutionnelle portent sur l’application des lois. La première tend à consacrer dans la Constitution l’obligation de prendre les mesures d’application des lois. Ce ne serait pas, en réalité, une véritable évolution constitutionnelle, puisque cela figure déjà dans nos principes. Le Sénat propose également un élargissement de la mission d’assistance de la Cour des comptes. La troisième proposition est d’ouvrir la possibilité, à l’instar de ce qui se pratique en matière constitutionnelle, à soixante députés ou à soixante sénateurs de saisir le Conseil d’État pour constater un retard ou une carence du Gouvernement dans l’application des lois. C’est là un élément tout à fait central : aujourd’hui, paradoxalement, nos concitoyens peuvent saisir le Conseil d’État, mais le Parlement n’en a pas la faculté !

Concernant l’évaluation des lois, il s’agit d’un mécanisme beaucoup plus complexe. Ce travail est effectué, dans une assez large mesure, de manière collective : il peut difficilement être confié au seul rapporteur et il s’accomplit aussi, au moins pour la commission des finances et la commission des affaires sociales, en lien avec la Cour des comptes. En outre, le projet de loi constitutionnelle, dans sa rédaction de mai 2018, prévoyait que la conférence des présidents de chaque assemblée arrête un programme de contrôle et d’évaluation. Là aussi, notre assemblée a déjà réfléchi à cette question et formulé trois propositions : élargir à toutes les commissions la possibilité de demander des enquêtes à la Cour des comptes ; améliorer l’articulation avec les procédures judiciaires ; étendre les pouvoirs d’investigation dont disposent la commission des finances et la commission des affaires sociales à l’ensemble des commissions permanentes – c’est la proposition n° 32, d’une particulière importance.

L’initiative de nos collègues du groupe socialiste et républicain est pertinente. La commission a essayé de la prendre en compte aussi largement que possible, ce qui a permis qu’elle l’adopte à l’unanimité. J’espère que cette unanimité pourra se confirmer ce soir, même si nous ne pouvons partager entièrement l’enthousiasme de M. Montaugé. Nous avons en tout cas bien compris que notre collègue prenait déjà date pour la révision constitutionnelle ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. Alain Richard.

M. Alain Richard. Monsieur le président, mes chers collègues, mon propos sera bref.

Notre groupe éprouvait quelques hésitations devant la configuration de la proposition de résolution initiale. En effet, prolonger très durablement la fonction de rapporteur n’est pas forcément une solution très expédiente dans toutes les situations. Je souligne à ce propos que le rapporteur et son rôle dans l’élaboration de la loi sont une spécificité française, de sorte que, dans bien des pays non francophones, on emploie ce terme même, ainsi qu’au Parlement européen.

Nous voyons bien que le rapporteur est une clef pertinente pour la préparation et la fabrication de la loi, en particulier dans notre assemblée, grâce à la qualité de nos collaborateurs. Toutefois, par définition, cette institution s’inscrit dans notre culture majoritaire : le rapporteur, dans la plupart des cas, appartient à la majorité politique de son assemblée. Or, de notre point de vue, le travail de vérification et le débat sur l’application de la loi après sa promulgation doivent être pluralistes. Ramener cette dimension au seul rôle du rapporteur, prolongé dans le temps, ne nous paraît donc pas forcément la solution optimale, a fortiori si l’on confie également au rapporteur un rôle d’évaluation de la loi, ce qui est par construction un sujet soumis à débat.

L’évolution du texte que M. le rapporteur a bien voulu nous proposer nous a convaincus. Nous allons donc soutenir cette proposition de résolution, comme nous l’avons fait en commission, sachant que le renforcement de nos capacités d’évaluation des lois, dans leur complexité, est un travail qui est encore devant nous ; Franck Montaugé a bien fait de le rappeler en introduction.

Après quelques décennies d’expérience parlementaire, je reste toujours frappé de l’appétit avec lequel les institutions parlementaires et les différents groupes souhaitent instaurer de nouvelles procédures ou recevoir de nouveaux pouvoirs, tout en manifestant une certaine nonchalance dans l’utilisation de ceux qu’ils ont déjà… (Sourires.)

En réalité, si l’on examine ce qui figure dans la Constitution et dans notre règlement, ainsi que les capacités d’intervention dont nous disposons à travers les missions d’information et d’autres procédures encore, on constatera que, si nous voulons évaluer la loi, nous avons déjà quelques outils pour ce faire !

On peut par ailleurs dresser un prébilan de la réforme des méthodes du Sénat, qui a donné lieu à quelques discussions entre nous : on voit bien que les semaines consacrées aux travaux de contrôle, centrés sur l’évaluation des lois, ne sont pas toujours celles où l’assistance est la plus fournie… (Marques dapprobation sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.) Il faut avant tout un changement de culture et de méthodes de travail, qui ne demande pas forcément l’adoption de nombreux textes.

En attendant, la présente proposition de résolution, telle qu’issue des travaux de la commission, nous paraît satisfaisante et susceptible de contribuer à cette évolution des méthodes. En conséquence, nous la soutenons vigoureusement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. le rapporteur applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.

M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur le président, mes chers collègues, quel parlementaire n’est pas révulsé par les délais, d’apparence incompressibles, entre le vote des lois et leur application ? Ce constat n’empêche d’ailleurs pas l’exécutif de se plaindre du temps perdu par les assemblées en débats et discussions d’amendements inutiles !

Faut-il, pour autant, en rendre responsables les sénateurs ou les députés, et leur donner une mission de « suivi » – de surveillance – de l’exécution des lois ? Je ne le pense pas. C’est une tâche qui incombe au Gouvernement et à son secrétariat général, que je croyais tout spécialement chargé de cette responsabilité. C’est lui qu’il convient de « responsabiliser », pour reprendre les termes du rapport, et non les parlementaires, dont la mission, n’en déplaise aux amateurs de procédures expéditives, est d’abord et toujours de faire la loi.

Je crains en effet que, sur fond de réduction des effectifs et des moyens d’action des parlementaires, leur donner officiellement la responsabilité de contrôler la mise en œuvre des lois qu’ils votent, loin de renforcer leurs pouvoirs, n’occulte encore un peu plus leur mission première : faire la loi.

Le contrôle de l’action du Gouvernement, dont ils ont effectivement la charge, n’est pas le service juridique après-vente de la loi, mais l’évaluation de la manière dont celle-ci est exécutée sur le terrain. Le contrôle annuel, par la commission des lois, de l’état d’avancement de la production par l’exécutif des textes d’application des lois relevant de sa compétence me semble suffisant et correctement exécuté. Cela suffit à l’édification des citoyens, sans créer de surcharge pour la commission.

J’ai une autre réticence, tenant au risque de spécialisation de quelques sénateurs de la majorité et de la minorité qui pensent comme elle. Par construction, un parlementaire est un généraliste ; la première vertu du Parlement, ce qui en fait autre chose qu’une assemblée d’experts, même juridiques, est qu’en théorie du moins la loi est le produit du débat collectif, et non d’échanges entre spécialistes. Le fait que les non-spécialistes, ceux qui ne trouvent pas évidentes les certitudes d’habitude, ont voix au chapitre est la première garantie de la vitalité du parlementarisme et de sa compréhension par nos concitoyens. C’est en tout cas ma conviction.

Le groupe CRCE ayant la faiblesse de tenir à cette vision du parlementarisme, nous nous abstiendrons sur ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur. (Mme Victoire Jasmin applaudit.)

M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, il est un souvenir qui restera longtemps en ma mémoire. En 2004, j’ai présenté un amendement au projet de loi de financement de la sécurité sociale. Cela faisait suite à une demande formulée bien des années auparavant, alors que j’étais député, par des femmes dont les mères s’étaient vu prescrire du Distilbène, alors même que ce médicament avait été interdit deux ou trois années plus tôt aux États-Unis et qu’il présentait à l’évidence des dangers. Contre l’avis du Gouvernement, le Sénat a adopté cet amendement, qui visait à permettre à ces femmes de bénéficier d’une grossesse aménagée. Ces dispositions ont ensuite également été adoptées par l’Assemblée nationale.

L’association constituée par ces femmes s’est félicitée du vote de cette mesure, attendue depuis longtemps, mais, entre la promulgation de la loi de financement de la sécurité sociale et la parution du second décret d’application – deux décrets étaient nécessaires, l’un pour le régime général, l’autre pour la fonction publique –, il s’est écoulé exactement cinq ans, six mois et quatorze jours. Les femmes qui s’étaient réjouies de l’adoption de cette disposition en sont venues à se demander si l’on attendait, pour prendre les décrets, qu’elles soient trop âgées pour pouvoir en bénéficier…

J’ai multiplié les démarches : questions de toute nature, interventions en séance auprès des ministres, visites dans les ministères, etc. Il a néanmoins fallu cinq ans, six mois et quatorze jours pour que les décrets d’application paraissent. C’est tout à fait inacceptable. Il est paradoxal que tout ministre ait la latitude de ne pas appliquer la loi : il suffit pour cela qu’il s’abstienne de publier les décrets d’application. Certes, on peut former des recours devant le Conseil d’État, mais la procédure est complexe, et ces retards, parfois considérables, dans la parution des décrets sont un véritable problème. Nous nous félicitons de voter des lois, mais quand il faut autant de temps pour qu’elles puissent être appliquées, cela relève d’une forme de tromperie et la République se trouve en quelque sorte bafouée.

Je remercie notre collègue Franck Montaugé d’avoir été à l’initiative du dépôt de cette proposition de résolution, à la rédaction de laquelle j’ai participé et dont les dispositions concernaient à la fois l’application et l’évaluation de la loi. M. le rapporteur Philippe Bonnecarrère a expliqué que, si la question de l’évaluation était essentielle, nous avions choisi, après débat entre nous, de limiter le champ de ce texte au contrôle de l’application des lois. Cela n’est pas rien, comme en témoigne l’exemple que je viens de donner, qui me semble édifiant. Nous reviendrons sur le sujet de l’évaluation à la faveur de la révision constitutionnelle.

On pourrait proposer d’autres modalités, mais c’est à mon sens une bonne idée que de procéder à la vérification de l’application des lois en commission. Le rapporteur sera chargé de veiller à la parution des textes d’application : si, au bout d’un délai d’un an après le vote de la loi, par exemple, il constate que tous les décrets n’ont pas été pris, il pourra saisir le président de la commission, qui ne manquera pas, le cas échéant, d’inviter le ministre compétent à venir s’expliquer devant la commission. Je pense que cela aura un effet.

Comme notre collègue Alain Richard, je pense que la semaine de contrôle n’est pas du tout efficace. En général, les débats ne débouchent pas sur un vote et n’ont guère de suites. C’est pourquoi je préférerais que notre temps de travail soit partagé, de sorte qu’il soit consacré pour deux tiers à l’examen de projets de loi et pour un tiers à la discussion de propositions de loi, le contrôle relevant des commissions d’enquête parlementaires, des missions d’information et de l’application par les commissions permanentes de dispositions comme celles que nous allons, je l’espère, adopter. Ce sera un pas, mes chers collègues, vers une meilleure application des lois, au service de tous nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Delattre.

Mme Nathalie Delattre. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, bien que son examen vienne s’inscrire un peu maladroitement dans l’ordre du jour, en anticipant les réformes du règlement proposées par le président du Sénat et les débats institutionnels à venir, ce texte de nos collègues du groupe socialiste et républicain constitue une proposition intéressante, destinée à renforcer le contrôle de l’application des lois.

Il s’agit sans conteste de l’un des moyens à privilégier pour adapter l’action parlementaire aux contraintes institutionnelles qui s’imposent à nous, plus de soixante ans après la création de la Ve République. Il nous incombe, en effet, de trouver de nouvelles formes de réponses aux attentes de nos concitoyens à notre égard.

Au-delà du regret d’une époque qui a vu naître le groupe du RDSE, nous sommes nombreux à considérer que le parlementarisme rationalisé n’a pas tenu toutes ses promesses. Certes, dans un premier temps, la clarification des bornes de l’action parlementaire a pu être jugée efficace. Avant cela, en effet, la pratique des décrets-lois avait fait couler beaucoup d’encre, tant dans les universités que place du Palais-Royal, jusqu’à l’avis du Conseil d’État du 6 février 1953, sur lequel s’est fondé le Constituant de 1958 pour rédiger l’article 34 de la Constitution. Cette évolution a permis de doter nos gouvernements d’une légitimité législative déterminante pour inscrire leur action dans la durée.

Cependant, associé à un raccourcissement des échéances électorales, notamment au passage du septennat au quinquennat, mouvement contre lequel nous nous sommes élevés par le passé et restons mobilisés, ce nouvel équilibre institutionnel n’a pas permis d’éviter la dégradation de la qualité législative. La grande sophistication des règles d’irrecevabilité rend de plus en plus difficile l’examen des textes déposés par des parlementaires, ceux-ci devant se conformer à des considérations simultanées de budget, de calendrier et de fond auxquelles échappent les gouvernements. Je pense en l’espèce au respect du domaine réglementaire, dont les contours varient d’un code à l’autre !

Fondé sur les mêmes conclusions, le rééquilibrage institutionnel opéré par la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 visait à renforcer la mission de contrôle du Parlement, en partant du principe que l’équilibre des pouvoirs nécessite que, quand l’initiative législative des chambres parlementaires est réduite au profit de l’initiative gouvernementale, celles-ci soient dotées de prérogatives de contrôle renforcées. Cela rejoint l’injonction du philosophe Alain : « Nous n’avons point à louer ni à honorer nos chefs, nous avons à leur obéir à l’heure de l’obéissance, et à les contrôler à l’heure du contrôle. » Encore faut-il, mes chers collègues, que des heures soient effectivement dévolues au contrôle dans l’agenda parlementaire…

La révision de 2008 visait à aménager ces temps de contrôle, en en reconnaissant tout d’abord la valeur constitutionnelle, par la consécration de cette mission à l’article 24 de notre texte fondateur, à côté de la mission législative, et en adaptant l’ordre du jour en conséquence. Cependant, de nombreuses propositions du comité de réflexion sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions piloté par Édouard Balladur sont restées lettre morte.

Si tout le monde s’accorde sur la nécessité de renforcer le contrôle d’application des lois, il n’est point aisé de définir la forme adéquate. C’est ainsi que la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois a été supprimée trois ans seulement après sa création en 2011. (Mme Nathalie Goulet sexclame.)

La proposition de modification du règlement du Sénat qui nous est soumise aujourd’hui se rapproche toutefois davantage de l’esprit du Constituant. En effet, le comité Balladur de 2007 avait proposé d’« instituer dans les commissions permanentes des “équipes” de contrôle de l’exécution des lois, composées d’un parlementaire de la majorité et d’un parlementaire de l’opposition ». La solution retenue par le groupe socialiste et républicain vise à fractionner cette mission en la confiant, pour chaque texte, au rapporteur de celui-ci, au-delà de son adoption. Cette proposition nous paraît pertinente et nous y sommes favorables.

Concernant l’évaluation de la loi, M. Bonnecarrère, dont je tiens à saluer le travail, minutieux et précis comme à l’habitude, propose d’ajourner l’examen de la question du renforcement de l’évaluation, afin de pouvoir parvenir à une solution plus étoffée : nous sommes d’accord.

Toutefois, il convient d’insister sur le fait que cette modification n’apportera pas de réponses aux difficultés les plus sérieuses. Je citerai, à titre d’exemples, la faiblesse des études d’impact, qui ne nous permettent pas de procéder à une bonne évaluation a priori, ou l’absence de voies d’action en justice en cas de constatation d’une mauvaise application de la loi.

Lucide quant à la portée réelle de ce texte, le groupe RDSE le votera néanmoins, aux fins d’en saluer l’esprit. (Mmes Nathalie Goulet et Victoire Jasmin applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. Dany Wattebled.

M. Dany Wattebled. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, depuis le début des années soixante-dix, le Sénat procède au contrôle de l’application des lois. Comme le soulignait le président Gérard Larcher dans sa conférence de presse du 24 janvier 2018, « le retard pris dans l’application des lois est un des principaux dysfonctionnements de notre République ». Actuellement, 30 % des décrets d’application sont pris plus de six mois après la promulgation de la loi, le délai étant même supérieur à un an dans 6 % des cas. C’est long, beaucoup trop long !

La proposition de résolution que nous examinons cet après-midi tend à modifier le règlement du Sénat pour renforcer nos capacités d’évaluation et de contrôle de l’application des lois. Elle vise, d’une part, à créer un droit de suite pour l’application de la loi au bénéfice du rapporteur du projet ou de la proposition de loi, et, d’autre part, à affirmer notre mission d’évaluation des lois.

Ce texte appelle plusieurs remarques.

La création d’un droit de suite au bénéfice du rapporteur renforcerait utilement le suivi de l’application des lois. Elle s’inscrirait dans une logique de responsabilisation du rapporteur, qui continuerait à suivre l’application de la loi après sa promulgation. Ce dispositif apparaît pertinent, d’autant que la commission l’a assoupli en en modifiant les conditions de mise en œuvre afin de le rendre plus opérationnel et d’éviter tout engorgement des commissions permanentes.

La commission des lois a ainsi supprimé l’obligation, pour le rapporteur, de rendre compte annuellement de l’application des lois devant sa commission. Elle a également veillé à assurer une complémentarité avec les autres travaux : l’exercice du droit de suite du rapporteur aurait vocation à alimenter le bilan annuel de l’application des lois, non à s’y substituer. En outre, les commissions permanentes pourraient désigner plusieurs rapporteurs pour suivre l’application d’une loi. Enfin, le droit de suite ne concernerait pas les rapporteurs des commissions spéciales.

Une autre modification importante est à souligner : la commission des lois a consacré le bilan annuel de l’application des lois en l’inscrivant au sein du règlement du Sénat.

Par ailleurs, je me félicite que la commission ait supprimé toute référence dans le texte à l’évaluation des lois et modifié en conséquence l’intitulé de la proposition de résolution. Le Parlement dispose en effet d’une mission plus large d’évaluation des politiques publiques, qui relève déjà des commissions permanentes.

En outre, l’évaluation des politiques publiques se distingue du suivi de l’application des lois. Plus exigeante, l’évaluation demande également davantage de recul.

Enfin, l’évaluation des politiques publiques s’inscrit dans une démarche collective, nécessitant la planification et la mobilisation de moyens spécifiques. Si le rapporteur du projet ou de la proposition de loi peut y participer, il peut difficilement en être le seul acteur.

Mes chers collègues, il apparaît particulièrement important de renforcer le suivi de l’application des lois sans engorger les commissions permanentes. De même, il est pertinent de circonscrire le champ de ce texte au seul suivi de l’application des lois. Le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera en faveur de l’adoption de ce texte ainsi modifié.

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet.

Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, tout a été dit. Le groupe Union Centriste votera évidemment le texte tel qu’il résulte des travaux de la commission.

Je voudrais tout de même formuler quelques remarques.

Dans notre pays, nous n’avons pas du tout la culture de l’évaluation. Pour peu que l’on demande la remise d’un rapport, notamment dans le cadre des procédures budgétaires, on nous explique que le Sénat n’est pas favorable aux demandes de rapport. Pourtant, nous avons besoin d’éléments pour appuyer les propositions que nous formulons. Cette culture de l’évaluation nous manque terriblement.

La méthode qui nous est proposée aujourd’hui, par le biais de la proposition de résolution du groupe socialiste et républicain, pour modifier le règlement est inhabituelle, une telle initiative émanant en principe du président du Sénat. Toujours est-il que ce texte a passé le cut de la commission des lois ; nous le voterons.

Pour autant, quels moyens le Sénat entend-il mobiliser pour le contrôle de l’application des lois ? Aujourd’hui, les parlementaires, qui ne cumulent plus de mandats, souhaitent travailler plus, mais les moyens financiers et humains ne suivent pas forcément. On ne peut pas constituer des groupes de travail sur tout et sur rien. Toutes les commissions n’ont pas la capacité de la commission des finances d’effectuer des contrôles sur pièces et sur place. Monsieur le président de la commission des lois, à l’occasion des réformes à venir, il faudra se préoccuper du budget qui sera alloué aux opérations de contrôle.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Oui.

Mme Nathalie Goulet. À défaut de personnel et de budget, ce texte opportun restera lettre morte.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Très juste.

Mme Nathalie Goulet. Je crois que nos questeurs auront à faire ! Il faudra attribuer un budget pour le suivi de l’application des lois à chaque groupe politique ou à chaque commission.

Par ailleurs, ce texte ne parle pas du suivi des commissions d’enquête. Certes, elles ne durent que six mois, mais il arrive que des événements surviennent et leur travail est particulièrement utile. Il est assez regrettable que leurs conclusions passent trop souvent par pertes et profits et ne soient pas exploitées, compte tenu de la qualité du travail accompli dans le cadre des missions d’information et des commissions d’enquête. Je retirerai les amendements portant sur ce sujet, de façon à ne pas rallonger les débats.

Je reste absolument convaincue que la culture de l’évaluation et du contrôle doit être renforcée, et je souhaite que nous soyons associés le plus largement possible aux futures réformes du règlement, car notre but à tous est que cette maison soit mieux connue et que ses travaux soient encore plus appréciés qu’ils ne le sont aujourd’hui. (Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain, ainsi quau banc de la commission.)

M. le président. La parole est à M. François Bonhomme.

M. François Bonhomme. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, aux termes de l’article 21 de la Constitution, « le Premier ministre dirige l’action du Gouvernement. Il est responsable de la Défense nationale. Il assure l’exécution des lois. »

Dans la circulaire du 29 février 2008 relative à l’application des lois, constatant que « l’objectif consistant à prendre toutes les mesures réglementaires nécessaires dans un délai de six mois suivant la publication de la loi [n’était] pas encore atteint », le Gouvernement rappelait l’obligation de résultat qu’il s’était fixé à ce titre.

Selon le credo même du Gouvernement, « chaque disposition législative qui demeure inappliquée est une marque d’irrespect envers la représentation nationale et de négligence vis-à-vis de nos concitoyens ». Il résulte de l’inexécution des lois par le Gouvernement, en raison même de l’obligation à caractère constitutionnel qui s’impose à lui, que la responsabilité pour faute de l’État peut être engagée en cas de retard ou de carence dans l’application des lois.

Qu’en est-il dans les faits ?

Nous ne connaissons que trop cette réalité : il n’est pas rare que les décrets et autres textes réglementaires nécessaires à l’application effective des lois soient publiés très tardivement. À titre d’exemple, lorsque le Parlement a autorisé les policiers municipaux à consulter directement le fichier des plaques d’immatriculation ou celui des permis de conduire, il a fallu plus de deux ans pour prendre le décret d’application. Hormis quelques expérimentations, la consultation de ces fichiers est toujours impossible, faute de moyens matériels. On en arrive à des situations absolument surréalistes, où l’expérimentation de la mise en œuvre d’un décret d’application de portée générale intervient plus de deux ans après le vote de la loi !

On observe par ailleurs un certain nombre de carences dans l’application des lois. Maryse Deguergue, professeur de droit public à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne, considère à ce titre que, dans certains cas, « ce n’est plus à proprement parler un retard qui est reproché au Gouvernement, mais une abstention qui équivaut, selon les termes mêmes des arrêts les plus récents, à un refus de satisfaire à l’obligation qui lui incombe ».

De telles situations sont problématiques, car la loi votée doit pouvoir s’appliquer dans des délais rapides et s’imposer à toutes et à tous dès lors qu’elle a été promulguée. Rappelons une évidence : ces lois, dont l’exécution peine à être mise en œuvre, résultent bien souvent d’attentes signifiées par les citoyens et les collectivités territoriales.

De fait, notre collègue Franck Montaugé et les autres cosignataires de cette proposition de résolution sont partis d’un constat avéré et partagé : en l’état, tout ministre peut s’affranchir de l’application de la loi. Disons-le franchement, comment le Gouvernement peut-il attendre autant des collectivités territoriales et prétendre au crédit de sa parole, s’il ne s’astreint pas à respecter l’obligation constitutionnelle d’assurer l’exécution des lois qui lui incombe ?

Le contrôle de l’application des lois apparaît donc comme une nécessité et les objectifs des auteurs de cette proposition de résolution sont louables, puisqu’il s’agit de mettre fin à des retards dans l’application des lois particulièrement inacceptables.

Au cours de l’histoire de notre République, le Sénat s’est présenté comme le pionnier du contrôle de l’application des lois. Cela fait ainsi plus de quarante ans que la chambre haute dresse un bilan annuel de l’application des lois, proposant une vision globale des efforts mis en œuvre par le Gouvernement. Au printemps, chaque président de commission réalise un bilan de l’application des lois relevant des compétences de sa commission. Le président de la délégation du bureau du Sénat chargée du travail parlementaire, de la législation en commission, des votes et du contrôle élabore ensuite le bilan annuel de l’application des lois, publié à la fin du mois de mai ou au début de juin.

Enfin, le groupe de travail du Sénat sur la révision constitutionnelle propose de renforcer le suivi de l’application des lois, notamment en autorisant les présidents des deux assemblées, soixante députés ou soixante sénateurs à saisir le Conseil d’État en cas de retard ou de carence du Gouvernement.

La proposition de résolution que nous examinons aujourd’hui prévoit la création d’un droit de suite au bénéfice du rapporteur d’un texte, confiant ainsi à ce dernier la responsabilité de suivre l’application de la loi après sa promulgation et jusqu’au renouvellement du Sénat. Il est également prévu que les commissions permanentes puissent désigner, dans les mêmes conditions, un autre rapporteur à cette fin. Le rapporteur resterait libre d’organiser ces travaux de suivi, notamment en fonction du nombre de décrets manquants. Ses observations auraient vocation à alimenter le bilan annuel de l’application des lois, dont l’existence serait reconnue par le règlement du Sénat.

Les travaux de la commission des lois ont par ailleurs permis d’expliciter la procédure applicable aux textes examinés par une commission spéciale. Les commissions permanentes seraient ainsi habilitées à désigner un rapporteur pour suivre l’application des dispositions relevant de leur domaine de compétence.

Je salue les travaux menés par la commission des lois, en particulier par notre collègue Philippe Bonnecarrère, qui ont permis d’assouplir les modalités propres à ce droit de suite et de rendre celui-ci plus opérationnel, notamment en instaurant la possibilité de désigner plusieurs rapporteurs ou de constituer des groupes de travail pluralistes.

En effet, s’il apparaît que la création d’un droit de suite au bénéfice du rapporteur est susceptible de renforcer utilement le suivi de l’application des lois, il est aussi de notre devoir de veiller à ce que cela ne conduise pas à engorger les commissions permanentes.

À cet égard, le dispositif de la proposition de résolution initiale était plus contraignant. Son article 1er prévoyait ainsi que le rapporteur d’un texte a l’obligation de rendre compte chaque année de ses travaux de suivi et d’évaluation devant sa commission. La commission des lois a fait le choix de circonscrire le champ de la proposition de résolution au suivi de l’application des lois, en supprimant toute référence à l’évaluation des lois. Pour toutes les raisons évoquées antérieurement, cette restriction me semble opportune. Je voterai donc en faveur de l’adoption de cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. Vincent Segouin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Vincent Segouin. Monsieur le président, mes chers collègues, le contrôle de l’application de la loi, outre le vote de celle-ci, est déjà l’une des missions du Sénat.

L’article 24 de la Constitution dispose, depuis 2008, que le Parlement « évalue les politiques publiques ». Or l’évaluation de la loi n’est pas exactement la même chose : le Parlement fait la loi, tandis que le Conseil constitutionnel en évalue la constitutionnalité. Dans une décision du 2 janvier 2002 relative à la saisine de la loi de modernisation sociale, le Conseil constitutionnel a d’ailleurs réaffirmé la nécessité, pour le législateur, de veiller à la clarté et à l’intelligibilité de la loi. Les implications des dispositions de l’article 24 sont donc substantiellement différentes de celles qui ressortent de la formulation de la proposition de résolution. Les amendements permettent de remédier à cette difficulté conceptuelle en recentrant la proposition de résolution sur le suivi de l’application des textes plutôt que sur leur évaluation – ce mot ne figure d’ailleurs plus dans le texte issu des travaux de la commission.

Au-delà de cette nuance de taille, il faut soulever le sujet du rapport au temps.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Oui !

M. Vincent Segouin. Dans la majorité des cas, l’efficacité d’un texte se mesure dans le temps. Il serait par conséquent assez curieux de vouloir en juger de manière anticipée. Se servir de l’expérience passée me paraît déjà une bonne chose : dégageons des tendances en termes d’efficacité à l’aune des lois précédemment adoptées. Encore faut-il qu’il ne se passe pas plusieurs années entre le vote du texte et la parution des décrets d’application ; je n’y reviens pas, mais c’est un problème majeur.

Par parenthèse, une autre difficulté tient au manque de coopération de l’Assemblée nationale. Pour rappel, lors de la session 2017-2018, huit des dix-neuf lois promulguées après avoir été examinées au fond par notre commission étaient d’initiative parlementaire. C’est un chiffre plutôt satisfaisant, mais une seule de ces huit lois, soit 12,5 % seulement du total, était issue d’une proposition de loi sénatoriale. Cela traduit une véritable difficulté à faire inscrire les propositions de loi d’origine sénatoriale à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. En d’autres termes, quand la majorité ne fait pas preuve d’esprit de dialogue, il est compliqué pour notre chambre d’être efficace et de faire valoir l’étendue de son travail.

C’est pour cette raison que je partage l’idée du vice-président Jean-Pierre Sueur de rendre obligatoire l’inscription dans l’année à l’ordre du jour des propositions de loi adoptées par l’autre assemblée.

En tout état de cause, le Sénat agit déjà, à travers les commissions permanentes, pour assurer un suivi de l’application des textes législatifs examinés en commission. Ce travail est indispensable dans la mesure où le Parlement est tributaire de l’exécutif, les textes d’application définissant dans la plupart des cas la mise en œuvre des lois.

À cet égard, il nous est nécessaire d’être particulièrement vigilants : envers nous-mêmes tout d’abord, en veillant à ce que les textes que nous votons et nos apports soient suffisamment précis et intelligibles ; envers l’exécutif ensuite, afin que les décrets d’application soient conformes à la volonté du législateur. Je crois qu’en la matière il serait utile de réfléchir à des dispositifs qui permettent au législateur de mieux contrôler l’application de la loi par l’exécutif.

Bien sûr, à titre individuel, les parlementaires peuvent solliciter le ministre concerné ou poser une question orale ; à titre collectif, ils peuvent mettre en place des mécanismes de contrôle de l’application et d’évaluation, par le biais de rapports ou de missions temporaires. Cela me paraît néanmoins insuffisant au regard de l’enjeu démocratique. Il est impératif qu’un texte de loi soit strictement conforme à ce qui a été décidé par la représentation nationale. Pourquoi ne pas envisager la possibilité d’une saisine parlementaire exceptionnelle dans le cas où un décret d’application n’est pas conforme au texte voté par le Parlement ?

À titre de comparaison, l’Assemblée nationale dispose de moyens plus importants pour contrôler l’application de la loi. Je pense notamment au comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques, dont la mission comporte trois volets : travaux d’évaluation, avis sur les études d’impact, recommandations émises par les missions d’information. Pourquoi ne pas s’en inspirer ?

Pour le reste, je me joins aux propositions du groupe de travail du Sénat sur la révision constitutionnelle, en particulier en ce qui concerne le renforcement des capacités d’évaluation des commissions permanentes. Pour cela, il nous faudra trouver un savant dosage afin de ne pas surcharger les commissions et les rapporteurs des textes. Il me semble clair que c’est aux rapporteurs qu’il revient d’assurer le suivi.

En conclusion, le groupe Les Républicains votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Jean-Pierre Sueur applaudit également.)

M. le président. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

proposition de résolution tendant à modifier le règlement du sénat pour renforcer les capacités de contrôle de l’application des lois

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de résolution tendant à modifier le Règlement du Sénat pour renforcer les capacités de contrôle de l'application et de l'évaluation des lois
Article 2

Article 1er

Après l’alinéa 1 de l’article 19 du Règlement du Sénat, sont insérés des alinéas 1 bis et 1 ter ainsi rédigés :

« 1 bis. – Sans préjudice des articles 21 et 22 ter, le rapporteur est chargé de suivre l’application de la loi après sa promulgation et jusqu’au renouvellement du Sénat ; il peut être confirmé dans ces fonctions à l’issue du renouvellement. Les commissions permanentes peuvent désigner, dans les mêmes conditions, un autre rapporteur à cette fin.

« 1 ter. – Lorsque le projet ou la proposition de loi a été examiné par une commission spéciale, les commissions permanentes peuvent désigner, dans les mêmes conditions, un rapporteur pour assurer le suivi de l’application des dispositions relevant de leur domaine de compétence. »

M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 7, présenté par M. Montaugé et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

I. Alinéa 2

Après le mot :

loi

insérer les mots :

et l’évaluation de ses effets

II. Alinéa 3

Après le mot :

application

insérer les mots :

et l’évaluation des effets

III. Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :

« 1 – L’évaluation formelle des effets des dispositions législatives participe de l’évaluation des politiques publiques. En application de l’article 22 et dans les deux ans suivant la promulgation de la loi, le rapporteur présente devant la commission une évaluation des premiers effets de la loi qui lui paraissent les plus significatifs. Dans les cinq ans après la promulgation de la loi, il doit être en mesure de présenter une évaluation complète de ses effets. Cette évaluation est effectuée au regard des motifs et de l’étude d’impact initiale de la loi. Elle prend en compte les effets de la loi sur les indicateurs de richesse légalement en vigueur et les objectifs de développement durable que la France met en œuvre dans le cadre de ses engagements internationaux pour le climat et le développement. Elle indique les effets de la loi sur la trajectoire des finances publiques. »

L’amendement n° 8, présenté par M. Montaugé et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

I. Alinéa 2

Après le mot :

loi

insérer les mots :

et l’évaluation de ses effets

II. Alinéa 3

Après le mot :

application

insérer les mots :

et l’évaluation des effets

III. Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :

« 1 – Le suivi de l’évaluation des effets des dispositions législatives participe de l’évaluation des politiques publiques. En application de l’article 22, le rapporteur présente devant la commission une évaluation des premiers effets de loi qui lui paraissent les plus significatifs, au plus tard deux ans après leur promulgation. Dans les cinq ans après la promulgation, il doit être en mesure de présenter une évaluation plus complète de ses effets. »

L’amendement n° 9, présenté par M. Montaugé et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

I. Alinéa 2

Après le mot :

loi

insérer les mots :

et l’évaluation de ses effets

II. Alinéa 3

Après le mot :

application

insérer les mots :

et l’évaluation des effets

III. Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :

« 1 – Le suivi de l’évaluation des effets des dispositions législatives participe de l’évaluation des politiques publiques. »

La parole est à M. Franck Montaugé.

M. Franck Montaugé. À l’évidence, le texte proposé par la commission fait consensus. Ces amendements d’appel visent à y réintroduire le volet relatif à l’évaluation, en prévoyant que l’on s’appuie sur des évaluations existantes et que l’on suit les préconisations du vice-président du Conseil d’État. Restons-en là pour l’instant, mais il faudra revenir sur la question de l’évaluation, qui reste entière. Pour l’heure, je retire ces amendements.

M. le président. Les amendements nos 7, 8 et 9 sont retirés.

Je mets aux voix l’article 1er.

(Larticle 1er est adopté.)

Article 1er
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Article additionnel après l'article 2 - Amendement n° 1 rectifié

Article 2

L’alinéa 1 de l’article 22 du Règlement du Sénat est complété par une phrase ainsi rédigée : « Elles contribuent à l’élaboration du bilan annuel de l’application des lois. » – (Adopté.)

Article 2
Dossier législatif : proposition de résolution tendant à modifier le Règlement du Sénat pour renforcer les capacités de contrôle de l'application et de l'évaluation des lois
Article additionnel après l'article 2 - Amendement n° 4 rectifié

Articles additionnels après l’article 2

M. le président. L’amendement n° 1 rectifié, présenté par Mme N. Goulet, MM. Détraigne et Canevet, Mme Joissains, M. Cazabonne, Mme Férat, MM. Moga, Mizzon, Vogel et Lafon, Mmes Lherbier et de la Provôté, M. Chasseing et Mme Morin-Desailly, est ainsi libellé :

Après l’article 2

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L’article 11 du Règlement du Sénat est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« …. - Lorsque la commission d’enquête ou la mission d’information résulte du droit de tirage d’un groupe politique, celui-ci dispose de la faculté d’opter pour une commission ou une mission de six mois ou deux missions ou commissions de trois mois. »

La parole est à Mme Nathalie Goulet.

Mme Nathalie Goulet. Cet amendement vise à permettre qu’un groupe utilisant son droit de tirage puisse solliciter la création soit de deux missions d’information ou commissions d’enquête de trois mois, soit d’une mission d’information ou commission d’enquête de six mois.

Le principal obstacle à la mise en œuvre d’une telle proposition tiendrait aux moyens humains et budgétaires requis par les travaux des commissions d’enquête et des missions d’information. Cependant, sur le fond, je considère qu’une telle mesure pourrait être utile, car elle permettrait le cas échéant d’approfondir nos travaux sur deux sujets au lieu d’un.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. Les amendements relatifs à l’évaluation que Mme Goulet a retirés visaient notamment à prolonger les commissions d’enquête et les missions d’information au-delà de six mois, en prévoyant des mécanismes de réactualisation ou de désignation de nouveaux rapporteurs dans le cas où les rapporteurs initiaux auraient cessé leurs fonctions. Cette proposition pose problème sur le plan constitutionnel, l’ordonnance de 1958 limitant la durée des commissions d’enquête parlementaires à six mois. Par conséquent, je vous invite, ma chère collègue, à représenter ces amendements lorsque nous débattrons de la révision constitutionnelle.

L’amendement que vous venez de présenter ne me paraît pas, en revanche, poser de problème de constitutionnalité. Il tend à permettre à un groupe politique qui utilise son droit de tirage de demander la création de deux missions d’information ou commissions d’enquête pour une durée de trois mois, au lieu d’une seule de six mois. Concrètement, notre assemblée comprenant sept groupes, le nombre de missions d’information et commissions d’enquête pouvant être créées chaque année passerait de sept à quatorze potentiellement.

Il faut se poser la question de l’efficacité : une mission d’information ou une commission d’enquête limitée à trois mois aura-t-elle plus de poids ? Ne risquons-nous pas au contraire, en réduisant leur durée, de dévaloriser les commissions d’enquête et les missions d’information ?

Se pose également, bien sûr, la question qui était au cœur de votre intervention dans la discussion générale, ma chère collègue, à savoir celle des moyens : à l’évidence, un doublement potentiel du nombre des missions d’information et des commissions d’enquête représenterait une charge de travail supplémentaire.

C’est la raison pour laquelle, tout en comprenant votre préoccupation, la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.

Mme Nathalie Goulet. Les amendements auxquels vous avez fait allusion ne visaient nullement à prolonger les missions d’information et les commissions d’enquête, monsieur le rapporteur. Quoi qu’il en soit, il est inutile de gloser sur des amendements retirés.

Je retire également l’amendement n° 1 rectifié, que je représenterai en une autre occasion.

Article additionnel après l'article 2 - Amendement n° 1 rectifié
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Explications de vote sur l'ensemble (début)

M. le président. L’amendement n° 1 rectifié est retiré.

L’amendement n° 4 rectifié, présenté par Mme N. Goulet, MM. Détraigne et Canevet, Mme Joissains, M. Cazabonne, Mme Férat, MM. Moga, Mizzon, Vogel et Lafon, Mmes Lherbier et de la Provôté, M. Chasseing et Mme Morin-Desailly, est ainsi libellé :

Après l’article 2

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L’article 22 du Règlement du Sénat est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« …. - La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées suit et contrôle la mise en œuvre des traités et conventions internationales et s’assure de leur ratification dans un délai raisonnable. »

La parole est à Mme Nathalie Goulet.

Mme Nathalie Goulet. Il s’agit de préciser, à l’article 22 de notre règlement, que la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, dont j’ai été vice-présidente, assure le suivi et le contrôle de la ratification et de la mise en œuvre des traités et conventions internationales. Je n’ai pas saisi M. Cambon de ce sujet, mais nous détenons le record mondial, voire galactique, des délais pour la ratification des textes internationaux ! Notre collègue Jean-Pierre Sueur a évoqué un texte de loi dont il a fallu attendre près de six ans les décrets d’application. Pour ma part, je citerai l’exemple d’une convention de sécurité intérieure avec la Turquie datant du mois de novembre 2011 et qui est toujours dans un tiroir, alors qu’elle présente tout de même, compte tenu des circonstances, quelque intérêt, notamment en matière de lutte contre le terrorisme… Reconnaissez qu’il est problématique de mettre huit ou neuf ans à ratifier un accord avec un pays étranger qui a été signé par le ministre des affaires étrangères ou même par le Premier ministre.

Lorsque nous avions été reçus, avec M. Sueur, par le directeur de la CIA,…

M. Jean-Pierre Sueur. Ce fut un grand moment ! (Sourires.)

Mme Nathalie Goulet. … celui-ci n’avait pas manqué de nous rappeler qu’un accord avec les États-Unis dormait dans nos tiroirs, dans l’attente de sa ratification.

Je tiens à cet amendement, car il ne s’agit pas là d’un problème mineur.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. Cet amendement ne pose aucun problème de constitutionnalité et la question soulevée par notre collègue est tout à fait pertinente.

Au cours de l’année dernière, nous avons ratifié vingt-sept accords internationaux. Il est vrai que les délais de ratification peuvent être importants. Dans la pratique actuelle, c’est la commission des affaires étrangères qui suit les modalités de ratification et constate les éventuels retards. Elle peut aussi procéder à une forme d’évaluation, certains traités faisant débat.

Cela étant, le champ de l’amendement excède celui de la proposition de résolution : il s’agit ici non plus du suivi de l’application de la loi, mais du contrôle de la mise en œuvre des traités internationaux, d’État à État. Aux termes de l’article 5 de la Constitution, le Président de la République est le garant du respect des traités. Il s’agit d’actes nécessitant certes une ratification, mais n’ayant pas un caractère législatif fondamental. Il nous est donc apparu plus raisonnable de ne pas changer la règle actuelle, qui en confie le suivi et le soin de procéder à une éventuelle évaluation à la commission des affaires étrangères. Aller au-delà nous paraîtrait un peu excessif, du moins dans le cadre d’une révision de notre règlement.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 4 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

Vote sur l’ensemble

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Explications de vote sur l'ensemble (fin)

M. le président. Personne ne demande la parole ?…

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’ensemble de la proposition de résolution tendant à modifier le règlement du Sénat pour renforcer les capacités de contrôle de l’application des lois.

J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste et républicain.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 98 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 325
Pour l’adoption 325

Le Sénat a adopté.

En application de l’article 61, premier alinéa, de la Constitution, cette résolution sera soumise, avant sa mise en application, au Conseil constitutionnel.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
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11

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au jeudi 9 mai 2019 :

À dix heures trente :

Débat sur le thème : « La caducité du Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance de l’Union européenne rendra-t-elle une autonomie budgétaire aux États membres ? »

De quatorze heures trente à dix-huit heures trente :

(Ordre du jour réservé au groupe Les Indépendants)

Proposition de loi tendant à renforcer les synergies entre les conseils municipaux et les conseils communautaires, présentée par M. Alain Marc et plusieurs de ses collègues (texte de la commission n° 471, 2018-2019).

Débat sur le mécénat territorial au service des projets de proximité.

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures.)

Direction des comptes rendus

ÉTIENNE BOULENGER