M. François Bonhomme. C’est sûr !

M. Sébastien Lecornu, ministre. Nous n’avons jamais manqué de le faire, en lien avec la commission des finances. Certaines dispositions ne peuvent en effet méconnaître le travail effectué par celle-ci dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances.

Monsieur le président, je remercie le Sénat de ce vote. J’y vois un encouragement à poursuivre la collaboration entre le Gouvernement et la Haute Assemblée sur les questions territoriales.

L’histoire montre que le peuple français et ses représentants sont amoureux de la liberté. Bien souvent, l’esprit de Tocqueville a soufflé dans cet hémicycle, lorsque nous avons tenté de trouver des chemins menant à davantage de liberté pour les élus locaux et les territoires. Mais nous savons aussi que, dans l’histoire politique de notre pays, le goût de l’égalité a parfois tout autant compté. On a bien vu, au cours de nos discussions, que le clivage ne se situait pas entre la gauche et la droite ni entre un ancien monde et un nouveau, mais entre ces deux valeurs de liberté et d’égalité.

Certains d’entre vous, de bonne foi, au nom de ce dernier principe, ont parfois souhaité créer des dispositifs obligatoires, non pour introduire une contrainte, mais pour s’assurer que l’égalité républicaine s’appliquerait bien, quand d’autres demandaient que l’on fasse confiance aux acteurs des territoires et s’opposaient à l’instauration de nouvelles obligations, au nom de la liberté.

La thèse exposée par Tocqueville dans De la démocratie en Amérique sera encore à l’honneur, monsieur le président Retailleau, lors de l’examen du texte à venir sur la décentralisation, la déconcentration et la différenciation. Ce beau nœud de doctrine, au sens noble du terme, dans notre esprit français, entre ces deux valeurs de liberté et d’égalité doit nous inciter collectivement à beaucoup d’humilité. La liberté, y compris locale, est un combat permanent. Je ne doute pas que nous parviendrons à mener ensemble ce combat pour les 500 000 élus locaux de notre pays. Je vous remercie encore de la qualité du travail accompli. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, Les Républicains, UC, Les Indépendants et RDSE. – MM. David Assouline et Jean-Michel Houllegatte applaudissent également.)

M. le président. Je vous remercie, monsieur le ministre, ainsi que nos deux rapporteurs et le président de la commission des lois.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à quinze heures quarante, est reprise à quinze heures quarante-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : projet de loi relatif à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique
 

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Dossier législatif : proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, tendant à l'engagement résolu de la France en faveur de toute initiative concertée au niveau européen ou international visant à mettre un terme à l'offensive militaire menée par la Turquie au nord-est de la Syrie
Discussion générale (suite)

Offensive militaire turque au nord-est de la Syrie

Adoption d’une proposition de résolution

M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen, à la demande du groupe Les Républicains, de la proposition de résolution tendant à l’engagement résolu de la France en faveur de toute initiative concertée au niveau européen ou international visant à mettre un terme à l’offensive militaire menée par la Turquie au nord-est de la Syrie, présentée, en application de l’article 34-1 de la Constitution, par MM. Bruno Retailleau, Patrick Kanner, Christian Cambon et Rémi Féraud (proposition n° 53).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Bruno Retailleau, auteur de la proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, tendant à l'engagement résolu de la France en faveur de toute initiative concertée au niveau européen ou international visant à mettre un terme à l'offensive militaire menée par la Turquie au nord-est de la Syrie
Explications de vote sur l'ensemble (début)

M. Bruno Retailleau, auteur de la proposition de résolution. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je voudrais associer à la présentation de cette proposition de résolution le président Christian Cambon, le président Patrick Kanner, M. Rémi Féraud et de nombreux autres collègues.

Nous ne savons pas ce qu’il va advenir de l’accord de cessez-le-feu conclu voilà quelques jours, mais s’il va à son terme, il signifiera l’éradication de la présence kurde au nord-est de la Syrie, au contact de la frontière turque. Sur ce point, les choses sont très claires.

De nombreux exemples tirés de l’histoire enseignent que les trahisons profitent rarement à leurs auteurs.

M. Bruno Retailleau. Daech est né du chaos suscité par l’intervention américaine en Irak. Permettez-moi de saluer, à cet instant, la mémoire de Jacques Chirac, qui a su préserver la France de cette aventure hasardeuse.

M. Christian Cambon. Très bien !

M. Bruno Retailleau. J’évoquerai aussi le retrait précipité des troupes américaines, décidé par M. Obama, qui a conforté l’enracinement de l’État islamique.

Rappelons-nous enfin, mes chers collègues, que c’est la Turquie qui a favorisé le financement de l’État islamique en laissant pénétrer sur son territoire des camions chargés de fûts de pétrole. C’est encore la Turquie qui a laissé passer, pendant des mois, des djihadistes en provenance d’Europe, venus renforcer l’État islamique.

Aujourd’hui, les Américains, et nous aussi, sommes tentés d’abandonner nos alliés kurdes dont nous avons eu besoin hier. C’est intolérable !

Avant que je ne mette les pieds sur le sol du Kurdistan irakien, le peuple kurde était pour moi un peuple de combattants, une nation sans État. Puis il y eut Erbil, Kobané, Raqqa.

Erbil, en août 2014, je l’ai vu de mes yeux, c’était une main tendue des Kurdes à toutes les minorités que Daech tentait d’éradiquer, notamment dans la plaine de Ninive.

Ce fut ensuite Kobané et la formidable résistance des Kurdes, notamment des femmes kurdes, nouvelles Antigone de la résistance, de la dissidence. (Mme Sylvie Goy-Chavent approuve.)

Enfin il y eut Raqqa. Si les forces démocratiques syriennes à majorité kurde n’avaient pas été sur le terrain, nous n’aurions pas repris Raqqa. Nous devons la vérité à l’histoire : pendant des mois, la pointe avancée du combat entre la civilisation et la barbarie islamiste a été incarnée non par la coalition internationale, mais bien par nos amis Kurdes !

M. Bruno Retailleau. Nous devons nous en souvenir. La France et ses alliés se sont tournés vers les Kurdes pour combattre Daech. Aujourd’hui, ce sont les Kurdes qui se tournent vers nous : qu’allons-nous leur dire ?

Mes chers collègues, les choses sont très simples : l’offensive turque est à la fois moralement injustifiable et politiquement irresponsable.

Elle est moralement injustifiable, parce qu’il s’agit, ni plus ni moins, d’un nettoyage ethnique, avec son cortège d’horreurs, de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité.

Mme Sylvie Goy-Chavent. C’est vrai !

M. Bruno Retailleau. Elle est politiquement irresponsable, parce qu’elle encourage la résurgence de Daech, que nous constatons déjà. Toutes les semaines surviennent de nouveaux attentats. Et que vont devenir les 10 000 djihadistes – dont 500 Français – qui étaient placés sous la surveillance de nos alliés kurdes ? Nous courons le risque de les voir se disperser.

Mes chers collègues, cette proposition de résolution vise à affirmer solennellement que nous n’oublions pas les Kurdes qui ont payé le prix du sang pour nous, Européens et Français.

M. Christian Cambon. Très bien !

M. Bruno Retailleau. Nous voulons aussi rappeler au Gouvernement un certain nombre d’orientations – libre à lui de les suivre ou non.

Tout d’abord, monsieur le secrétaire d’État, j’estime que la France se serait honorée en rappelant son ambassadeur à Ankara.

M. Bruno Retailleau. Certes, une telle mesure n’aurait eu qu’un caractère symbolique, mais, en politique comme en diplomatie, les symboles comptent ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi que sur des travées du groupe SOCR. – M. Jean-Noël Guérini applaudit également.)

Ensuite, nous sommes un certain nombre à penser que poursuivre le processus d’adhésion de la Turquie à l’Union européenne n’a tout simplement aucun sens. Il aurait dû être mis fin aux pourparlers. Je vous demande, monsieur le secrétaire d’État, de vous faire notre porte-parole auprès des instances de l’Union européenne. Qui peut penser aujourd’hui que l’avenir de la Turquie est en Europe ?

En ce qui concerne l’action à court terme, il faut que notre diplomatie travaille à obtenir l’arrêt de cette offensive et le retrait des troupes turques, pour que nos frères kurdes puissent se réinstaller. Nous devons aussi garantir un acheminement sans entrave de l’aide humanitaire à toutes les populations, sans aucune distinction.

Pour l’avenir, je fais trois propositions.

La première concerne la coalition : le moment est venu pour elle d’actualiser sa stratégie. Où voulons-nous aller ? Par quels moyens voulons-nous poursuivre l’éradication de Daech, qui n’est toujours pas réalisée ?

La deuxième proposition concerne la France. Depuis le précédent quinquennat, notre pays s’est totalement aligné sur la stratégie américaine. Nous devons retrouver notre chemin de crête gaullien, afin que la France puisse parler à tout le monde, redevenir une puissance d’équilibre, une puissance de dialogue au service de la paix.

Il nous faut bien évidemment parler avec la Russie et M. Poutine. Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire ici, nous avons commis une erreur grave en cessant tout contact avec la Syrie. Personne ici ne justifie les menées du régime syrien, évidemment, mais nous voyons bien que la marginalisation de la France dans cette région est le produit de nos erreurs diplomatiques. Nous avons abandonné notre diplomatie traditionnelle et nous nous sommes fourvoyés. Il est temps pour la France de retrouver une diplomatie conforme à ce qu’elle est.

Enfin, si elle ne veut pas quitter la scène de l’histoire, l’Union européenne doit comprendre qu’il lui faut rompre de manière très volontariste avec sa culture de l’impuissance, de l’alignement. Nous savons que les États-Unis regardent vers le Pacifique depuis la présidence de M. Obama et que le président Trump, qui pourrait être réélu dans quelque temps, n’est pas un partenaire fiable.

Au-delà, nos intérêts sont devenus divergents de ceux des États-Unis : nous devons en prendre acte. L’Amérique que nous avons aimée, qui a libéré la France en 1944 n’est plus le partenaire fiable sur lequel nous pouvons fonder notre avenir. Elle n’est plus la réassurance pour l’Europe ni même pour l’Occident. Nous devons en tirer les conclusions ; c’est ce que je vous invite à faire, monsieur le secrétaire d’État. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC, RDSE et SOCR)

M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent.

M. Pierre Laurent. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de résolution qui nous est soumise invite à l’engagement résolu de la France en faveur de toute initiative concertée au niveau européen et international de nature à faire cesser l’offensive menée par la Turquie au nord-est de la Syrie.

Nous ne pouvons bien évidemment que souscrire à cette pétition de principe et renouveler, à cette occasion, la condamnation la plus totale de l’agression criminelle de la Turquie, rendue possible par le « feu vert » américain de Donald Trump.

Mais, nous l’avons dit dès le premier jour, les pétitions de principe, les condamnations verbales ne suffiront pas à arrêter le pouvoir de Recep Tayyip Erdogan. À quelques heures maintenant de la fin d’un cessez-le-feu précaire qui peut signifier la reprise d’un massacre à grande échelle des Kurdes et des populations et des réfugiés du nord-est de la Syrie, notre inquiétude est à son comble. Erdogan vient, semble-t-il, de rejeter la proposition de prolongation du cessez-le-feu faite par le Président de la République Emmanuel Macron à Vladimir Poutine. La pression ne doit donc pas se relâcher, mais s’amplifier encore pour éviter le pire.

Plus que jamais, tout doit être fait pour sauver nos amis Kurdes et les populations installées ou réfugiées dans le nord-est de la Syrie. Si les mots ont un sens, « l’engagement résolu de la France » réclamé au travers de cette proposition de résolution doit se manifester par un changement d’attitude, par une mobilisation internationale beaucoup plus forte qui place les Kurdes sous protection. La France doit de nouveau exiger une réunion d’urgence du Conseil de sécurité à cette fin.

La France n’est pas à la hauteur du péril. Tout se passe en effet comme si, derrière les mots de condamnation, nous étions en train de lâchement abandonner les Kurdes et les forces démocratiques syriennes. Ces forces combattantes et les populations civiles sont à la merci du feu de l’armée et des bombardiers turcs.

Erdogan veut liquider physiquement l’expérience du Rojava démocratique – dont le compte twitter est actuellement bizarrement bloqué –, seule expérience politique de nature laïque dans la région, source d’espoir pour toute tentative de reconstruction de la paix. L’ensemble des protagonistes semblent, pour l’heure, prendre acte de cette disparition dont seul Erdogan tirera profit.

Où sont les sanctions économiques et politiques fortes contre le régime d’Ankara que nous réclamons depuis le premier jour ? Erdogan a aussi redoublé, ces derniers jours, la répression contre les Kurdes en territoire turc. Devant ces nouvelles alarmantes et concordantes, qu’a annoncé Emmanuel Macron au Conseil européen ? Une possible rencontre à Londres entre Boris Johnson, Angela Merkel, lui-même et Erdogan, mais pour quoi faire ? Pour colmater les brèches et reconstituer une coalition avec celui-là même qui massacre les Kurdes et les forces démocratiques syriennes ? Ces hypocrisies doivent cesser ! Nous restons enlisés dans l’OTAN, avec des alliés qui nous ont tourné le dos, et nous perdons un temps précieux pour parler à nouveau d’une voix indépendante dans le monde, pour mobiliser l’ONU et retrouver une crédibilité mise à mal par ce qui vient de se passer !

L’« engagement résolu de la France », ce devrait être aussi un soutien sans faille aux acteurs humanitaires et aux principes que quinze ONG ont rendus publics la semaine dernière, notamment pour garantir l’accès sans entrave des secours humanitaires à toutes les zones du conflit. Les bombardements turcs occasionnent de nouveaux dégâts insupportables. L’utilisation d’armes explosives dans les zones peuplées continue ; nous ne pouvons l’accepter. En avançant, les forces turques risquent de priver de toute aide humanitaire des centaines de milliers de personnes supplémentaires, mettant leur vie en péril, ou de les conduire à prendre de nouveau la route de l’exil. Mais vers où ? Vers quel nouvel enfer ? La France doit agir sans tarder aux côtés de ces ONG pour obtenir ce qu’elles demandent.

Enfin, j’aborderai une question que je sais plus difficile encore. Puisque les auteurs de la proposition de résolution s’inquiètent du sort des 10 000 djihadistes, dont 2 000 étrangers, prisonniers des camps jusque-là gardés par les forces kurdes et les forces démocratiques syriennes, je veux dire ici mon incompréhension, pour ne pas dire plus, devant la démarche entreprise par le ministre de l’Europe et des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, en Irak. Sous prétexte de les maintenir en sécurité, nous tentons, semble-t-il, de sous-traiter le gardiennage de ces djihadistes aux Irakiens. Les conditions de ce marchandage semblent peu reluisantes. Est-ce responsable, est-ce digne de la France ? Je pose la question.

Le coordonnateur des juges antiterroristes, David de Pas, vient, tout à fait exceptionnellement, de s’en inquiéter publiquement et plaide pour le rapatriement des djihadistes français. Selon lui, « la question du rapatriement est un enjeu de sécurité et de justice à long terme ». Il estime que nous étions judiciairement armés pour faire face. Qu’attendons-nous pour prendre nos responsabilités ?

Au cœur de ce drame, se noue aussi une tragédie humanitaire, celle du sort des enfants de ces djihadistes français, dont le nombre est estimé à 300, la plupart étant âgés de moins de 5 ans. Ces enfants sont eux-mêmes des victimes. Pourquoi s’obstiner à refuser leur rapatriement alors que celui est demandé par l’ONU, par la Commission nationale consultative des droits de l’homme et par les ONG travaillant sur cette question, au nom de toutes les conventions internationales protégeant les droits de l’enfant dont nous sommes signataires ? Qu’attendons-nous ? Leur mort lente ou leur retour dans les griffes de Daech ? Ce sont des questions difficiles, mais il faut avoir le courage de les poser !

Mes chers collègues, nous voterons cette proposition de résolution le cœur serré, car l’heure n’est pas aux mots ; elle est à l’action, à la mobilisation, aux paroles qui se traduisent en actes. La France ne peut pas assister passivement au massacre que le pouvoir d’Erdogan veut perpétrer. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – M. Jean-Pierre Sueur applaudit également.)

(M. Vincent Delahaye remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. Vincent Delahaye

vice-président

M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants. – M. Pierre Louault applaudit également.)

M. Joël Guerriau. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la Turquie a lancé, le 9 octobre dernier, l’opération « Source de paix » – c’est un paradoxe ! – dans le Kurdistan syrien. Ankara dit vouloir protéger sa frontière contre les terroristes.

Pourquoi un pays ami, membre de la coalition internationale contre Daech, également membre de l’OTAN, engage-t-il un conflit armé de manière unilatérale, sans le moindre accord officiel avec ses alliés ? Les motifs de l’opération ne sont peut-être pas encore totalement connus.

Ces dernières années, nous avons vu le comportement d’Ankara changer. Alors que le pays est membre de l’OTAN et candidat à l’adhésion à l’Union européenne, son dirigeant a tenu hier les propos suivants à l’occasion d’un discours : « Tout l’Occident s’est rangé aux côtés des terroristes et ils nous ont attaqués tous ensemble. Parmi eux les pays de l’OTAN, les pays de l’Union européenne. Tous. » Ce n’est pas parce qu’un djihadiste est français que tous les Français sont des terroristes : il en est de même pour les Kurdes !

Cette incursion dans une région kurde de Syrie risque de tourner au massacre. Une enquête de l’Office pour l’interdiction des armes chimiques a été ouverte vendredi dernier : du phosphore blanc aurait été utilisé contre les Kurdes.

Cette offensive est injustifiable parce qu’elle a lieu contre des alliés dans la lutte contre Daech. Les Occidentaux ont déployé des forces aériennes et des unités des forces spéciales, dont nous saluons l’engagement et le courage. Les Kurdes, soutenus par nos soldats, se sont courageusement battus contre Daech et ont largement contribué à sa défaite territoriale.

Bien sûr, les Kurdes se sont battus pour leur survie, comme l’a cyniquement rappelé le président Trump. Ils se sont battus aussi pour la survie de ceux qu’ils auraient pu abandonner, comme d’autres l’ont fait. Lorsque, en 2014, 50 000 Yézidis se sont trouvés piégés sur le mont Sinjar –plusieurs milliers d’entre eux furent massacrés ou convertis de force et réduits à l’esclavage par les djihadistes –, ce sont les forces kurdes qui ont permis leur évacuation. Les Kurdes se sont battus pour leur survie, certes, mais nous savons aussi ce que la sécurité de notre pays doit à leur engagement.

Cette offensive est injustifiable parce qu’elle vise ceux que la Turquie a déjà abandonnés sous les coups des djihadistes. Il faut se rappeler que, à la fin de l’année 2014, Daech assiégeait la ville kurde de Kobané, qui se trouve à la frontière entre la Syrie et la Turquie. Durant le premier mois, la Turquie, pourtant membre de la coalition internationale engagée dans la lutte contre Daech, n’avait pas réagi. Pis, elle avait fermé sa frontière et empêché les forces kurdes de recevoir des secours, des renforts et des armes. À cette époque déjà, la Turquie avait tenté d’obtenir, en échange de l’ouverture de sa frontière, la création d’une zone tampon large de vingt kilomètres le long de sa frontière syrienne. L’offensive actuelle vise le même objectif, la largeur de la zone tampon étant portée à trente kilomètres.

La situation du Kurdistan syrien est complexe ; de nombreux acteurs y sont présents. La solution ne pourra être que politique. Le principe de l’intangibilité des frontières n’est pas absurde, mais celui de l’autodétermination des peuples non plus. Le Kurdistan, c’est de 40 millions à 50 millions de personnes réparties entre quatre pays. Pour rappel, la Syrie compte 20 millions d’habitants et l’Irak 40 millions.

Contre le régime de Saddam Hussein en 2003, contre Daech au Levant et, n’en déplaise aux propagateurs de fake news, y compris durant la Seconde Guerre mondiale, les Kurdes ont maintes fois prouvé qu’ils étaient des alliés efficaces, fiables et loyaux.

Nous ne souhaitons pas voir la Turquie s’éloigner de ses alliés. De même, nous ne souhaitons pas voir les États-Unis s’éloigner des leurs. La volte-face américaine est très surprenante. C’est un déchirement pour les militaires de lâcher les troupes kurdes aux côtés desquelles elles ont combattu. Le retrait américain entraîne celui des Occidentaux, faute de moyens. Voilà encore la preuve qu’il est urgent, pour l’Europe, d’atteindre l’autonomie stratégique.

L’Union européenne prend conscience qu’elle doit affronter cette situation sans l’appui des États-Unis, puisque Donald Trump poursuit la stratégie, engagée sous Barack Obama, de désengagement américain du Moyen-Orient.

L’Union européenne est aujourd’hui confrontée aux conséquences de ses erreurs, au premier rang desquelles la sous-traitance. Faute de trouver une solution pour ses ressortissants djihadistes, elle a sous-traité leur traitement judiciaire, devenant ainsi l’otage de ceux qui les détiennent et qui peuvent faire du chantage à leur libération ou à leur expulsion. C’est une erreur que ni les Russes ni les Américains n’ont commise, puisqu’ils ont, eux, rapatrié leurs ressortissants djihadistes.

Pour ne pas avoir à gérer elle-même ses frontières, l’Union européenne a sous-traité le contrôle des réfugiés à la Turquie. Ankara fait logiquement du chantage pour obtenir ce qu’elle veut de l’Europe. L’Europe, par absence de courage et de volonté politique, se retrouve maintenant otage d’acteurs qui ont assumé pour elle une part de ses responsabilités.

Ce n’est pas la première fois que les Européens se condamnent à l’impuissance. Lors de la crise géorgienne, de celle de l’Ukraine, des attaques chimiques en Syrie, à propos de l’accord sur le nucléaire iranien, l’Europe n’a pas su montrer sa puissance. La cause en est toujours la même : la désunion. La crise actuelle ne fait pas exception, les Européens sont profondément divisés, la Hongrie ayant ainsi apporté son soutien à Erdogan. Ce n’est pas la première fois non plus que les Kurdes sont abandonnés à leur sort.

La revue stratégique avait mis en évidence l’instabilité et l’insécurité qui caractérisent notre XXIe siècle. Nous y sommes, et ce dans bien des domaines !

Le président Erdogan a annoncé aujourd’hui que l’offensive reprendra « avec une plus grande détermination » faute d’un retrait kurde. Ce chantage est totalement inadmissible. Si l’Europe n’assume pas ses responsabilités, elle finira par tourner le dos à l’histoire de l’humanité, qui s’écrira sans elle. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants. – MM. Yves Détraigne et Christian Cambon ainsi que Mme Marie-Thérèse Bruguière applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Alain Cazabonne. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Alain Cazabonne. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, malgré nos alertes et celles de nos alliés, des militaires turcs et leurs supplétifs syriens ont pénétré, mercredi 9 octobre dernier, dans le nord-est de la Syrie dans le cadre d’une offensive lancée par Ankara pour, officiellement, se protéger des « terroristes » kurdes.

Dimanche, soit trois jours avant l’offensive, le président Trump avait annoncé, sans nous en avertir au préalable, le retrait immédiat de ses troupes de Syrie, alors que les Américains sont les alliés, sur place, des forces démocratiques syriennes, composées majoritairement de Kurdes, mais également d’Arabes et de chrétiens, dans la lutte contre Daech. C’est bien leur départ qui a permis l’offensive turque, avec les conséquences humanitaires, politiques et stratégiques que l’on connaît.

Cet acte est une faute morale à l’égard de nos alliés des forces démocratiques syriennes, qui ont payé le prix fort de la lutte contre Daech sur le terrain. Sans eux, l’État islamique n’aurait pu être vaincu militairement comme il l’a été.

C’est également une faute politique et stratégique. Comme l’avait dit Churchill aux négociateurs des accords de Munich : « Vous aviez le choix entre le déshonneur et la guerre ; vous avez choisi le déshonneur et vous aurez la guerre. » (M. Christian Cambon approuve.) Les situations sont différentes, mais nous voyons encore aujourd’hui qu’il est difficile, pour les démocraties, de faire face aux dictateurs ou aux dirigeants sans contrepouvoir.

L’Union européenne a exigé l’arrêt de l’offensive et le Conseil de sécurité de l’ONU s’est réuni en urgence, le 10 octobre, mais sans résultat concret.

Cette intervention militaire est pour nous source des plus vives inquiétudes, pour deux grandes raisons rappelées par les précédents orateurs.

Notre principale crainte concerne les 10 000 combattants de Daech et leurs familles, actuellement toujours détenus dans des camps contrôlés par les Kurdes. Que se passerait-il si ces terroristes potentiels étaient libérés et se dispersaient, sachant que nombre de leurs pays d’origine refusent de les récupérer ?

Une autre inquiétude tient aux mouvements de populations et à l’exode que cette offensive pourrait entraîner. De plus, le président Erdogan laisse planer la menace d’ouvrir les portes de l’Europe aux millions de réfugiés qu’il avait accepté de maintenir sur son territoire, contre monnaie sonnante et trébuchante, au titre d’un accord passé avec l’Union européenne en 2016.

Ce nouvel épisode du conflit syrien est en outre lourd de conséquences pour l’équilibre global des puissances. En effet, l’attaque par la Turquie de forces alliées aux Américains et soutenues par une coalition occidentale n’a pas manqué de jeter le trouble dans l’Alliance atlantique, dont sont membres à la fois Washington, Ankara et nous autres européens. Elle met donc dangereusement en évidence les failles du camp occidental. Que valent aujourd’hui la garantie et la protection américaine, le parapluie nucléaire y compris ? Que valent les engagements pris, depuis qu’en 2013 le président Obama n’a pas mis ses menaces à exécution en dépit de l’utilisation d’armes chimiques ? Ce fut le premier signe, très fort, du désengagement américain. La décision de Donald Trump en constitue un autre.

Dans ce conflit, le seul acteur dont la position se trouve renforcée est le président Poutine, qui apparaît comme le grand bénéficiaire de cette déstabilisation massive. En effet, les forces kurdes, lâchées par leurs alliés américains et auxquelles le soutien de la coalition ne peut suffire, ont été contraintes de conclure un accord avec leurs ennemies d’hier, les forces du régime de Bachar el-Assad, soutenues par Moscou depuis cinq ans. L’armée de Damas a ainsi d’ores et déjà commencé à investir des villes tenues jusque-là par les combattants kurdes, regagnant plus de territoire en quelques jours qu’en plusieurs années de conflit.

Le retrait américain permet donc à la Russie de demeurer la seule puissance en mesure d’influer sur le cours des événements. Si les médias ont fait état des négociations entre les Américains et la Turquie en vue d’un cessez-le-feu, c’est bien en réalité le président Poutine qui est à la manœuvre. J’en veux pour preuve l’invitation, ou plutôt la convocation, à Sotchi qu’il a adressée au président Erdogan.

Devant une telle situation, personne ne peut être contre la proposition de résolution qui nous est présentée aujourd’hui. Elle va dans le bon sens, mais il ne s’agit que de mots. Force est de constater que l’engagement de l’Europe n’est toujours pas à la hauteur des enjeux. La capacité d’intervention d’un pays ne tient pas qu’aux mots. Les Américains avaient aligné 2 000 soldats en première ligne, mais ce n’est pas leur présence sur le terrain qui assurait la sécurité : c’est la crainte d’affronter une puissance militaire très forte, capable de frapper à distance. Lorsque nous sommes forts, les mots parlent pour nous ; lorsque nous sommes faibles, nos mots sont de faible poids !

Espérons que les développements tragiques de ce conflit achèveront de convaincre ceux qui, en Europe, doutent de l’urgence de mettre en place une défense et une diplomatie européennes. C’est au creux de la vague, lorsque les sécurités se dissolvent, qu’il importe de dire ce que l’on veut faire, et avec qui. La seule réponse au doute est une nouvelle affirmation de soi-même.

Que fera l’Europe ? Faut-il instituer une défense et une diplomatie européennes à quatre, à cinq ou à six ? Faut-il essayer d’obtenir l’accord des vingt-sept ou des vingt-huit ? Ce qui est sûr, c’est que la tâche est ardue. Qui déciderait de l’éventuelle utilisation de l’arme nucléaire ? Comment le commandement serait-il exercé ? Mais ce n’est pas parce qu’un travail est difficile qu’il ne faut pas l’entreprendre ! Monsieur le secrétaire d’État, un proverbe chinois dit qu’un voyage de mille lieues commence par un premier pas. Je souhaite que la France, reconnue à la fois sur le plan militaire et sur celui de la morale, soit à l’origine de ce premier pas ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)