compte rendu intégral

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

Mme Annie Guillemot,

M. Guy-Dominique Kennel.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures trente.)

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Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du mercredi 6 mai 2020 a été publié sur le site internet du Sénat.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté.

2

Communication relative à une commission mixte paritaire

M. le président. Monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions est parvenue à un accord.

Afin de permettre le dépôt et la diffusion du texte élaboré par la commission mixte paritaire et pour la parfaite information de l’ensemble de nos collègues, en direct et par voie numérique, je vous propose de suspendre la séance pour une heure.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à quinze heures trente-deux, est reprise à seize heures trente-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

3

Mises au point au sujet de votes

M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde.

Mme Françoise Laborde. Monsieur le président, lors du scrutin n° 103 de la séance du 5 mai 2020, notre collègue Henri Cabanel a été noté comme s’abstenant, alors qu’il voulait voter pour.

M. le président. La parole est à M. Hervé Marseille.

M. Hervé Marseille. Monsieur le président, je souhaite apporter plusieurs rectifications de vote.

La première concerne le scrutin n° 102 de la séance du 5 mai 2020 portant sur l’article 6 du projet de loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire. Lors de ce scrutin, Mme Annick Billon souhaitait voter pour.

La seconde concerne le scrutin n° 103 portant sur l’ensemble du projet de loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire. Lors de ce scrutin, Mme Annick Billon souhaitait voter pour et M. Vincent Delahaye souhaitait s’abstenir.

M. le président. Acte est donné de ces mises au point, mes chers collègues. Elles seront publiées au Journal officiel et figureront dans l’analyse politique des scrutins.

4

 
Dossier législatif : projet de loi prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions
Discussion générale (suite)

Prorogation de l’état d’urgence sanitaire

Adoption des conclusions d’une commission mixte paritaire

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions
Article 1er

M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions (texte de la commission n° 423, rapport n° 422).

Avant de donner la parole aux orateurs inscrits dans le débat, je rappelle que nous devons être attentifs aux règles sanitaires et respecter la sortie par le pourtour de l’hémicycle pour les sénateurs, par le devant pour le Gouvernement et la commission. J’invite chacun à effectuer les gestes utiles à la sécurité sanitaire de tous, de nous-mêmes, mais aussi de celles et ceux que nous pourrions être amenés à rencontrer. L’ensemble du Sénat, vous le savez, fera l’objet d’une désinfection.

Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.

M. Philippe Bas, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, comme vous le savez, la commission mixte paritaire (CMP) qui s’est réunie ce matin à l’Assemblée nationale est parvenue à un accord. Nous pensions, les uns et les autres, qu’il était indispensable, parce que nous entrons, après-demain, dans une étape nouvelle de la lutte contre ce fléau qu’est l’épidémie de Covid-19, à savoir le déconfinement progressif.

Le confinement était une mesure fortement restrictive pour l’exercice des libertés individuelles et publiques. Il a particulièrement porté, c’est une évidence de le dire, sur la liberté d’aller et de venir. Il a entraîné des conséquences redoutables pour l’économie et les équilibres sociaux, mais il a permis de réduire considérablement la pression sur le système hospitalier et de ralentir la propagation du virus, ce qui était son principal objectif. Toutefois, une telle période ne peut pas durer très longtemps, et nous pouvons naturellement espérer que les deux mois de confinement subis par les Français ont permis aux pouvoirs publics de se préparer pour organiser la protection des Français contre le Covid-19 par d’autres moyens qui n’étaient pas disponibles le 15 mars dernier quand le confinement a été décidé.

Quels sont ces autres moyens ? Il s’agit bien entendu de la diffusion des gestes barrières, lesquels sont, je crois, bien assimilés par les Français, de la diffusion des masques, qui manquaient le 15 mars dernier, de la diffusion des tests de dépistage, dont le Premier ministre a souligné que le nombre pourrait atteindre 700 000 chaque semaine, ce qui suppose une organisation gigantesque.

À côté de ces mesures de protection, il faut organiser le traçage des contaminations pour que les filières de contamination puissent être combattues. Pour cela, le Gouvernement a estimé avoir besoin d’un système d’information permettant, pour chaque personne dépistée et reconnue porteuse du virus, de mettre à l’abri toutes les personnes approchées de trop près pendant une durée trop longue. Ce système ne peut pas se faire de manière artisanale. Imaginez que chaque personne porteuse du virus a rencontré 25 personnes qu’elle a exposées à un risque, multipliez par le nombre de contaminations, évaluées à plusieurs milliers par jour, et vous avez absolument besoin d’un traitement de masse ; vous avez également besoin que ce traitement soit rapide. Si vous laissez dans la nature quelqu’un qui est porteur du virus sans le savoir, il va contaminer beaucoup de personnes. Si vous réussissez à le toucher dans les vingt-quatre ou quarante-huit heures, vous pourrez le mettre à l’abri et protéger toute autre personne qu’il pourrait être amené à rencontrer.

C’est la raison pour laquelle il fallait un système d’information. C’est aussi la raison pour laquelle les médecins ne suffisaient pas à la tâche et qu’il fallait que ce système d’information reposât sur la mobilisation des services de l’assurance maladie. Leurs plateformes permettront aux agents de téléphoner à nos concitoyens dont le nom aura été signalé comme un « cas contact », selon la terminologie épidémiologique, afin qu’ils puissent se protéger. Tout cela repose naturellement sur la confiance accordée à chacun de nos concitoyens pour épargner son entourage et les personnes qu’il peut approcher dans la vie de tous les jours.

Il était donc très important que nous puissions aboutir à un accord. Quelle que soit votre opinion sur les conditions dans lesquelles cette crise sanitaire a été traitée par les pouvoirs publics, mes chers collègues, une chose est certaine, nous n’en sortirons pas sans nous donner les moyens de le faire. Le Sénat, pour la loi du 23 mars dernier comme pour celle-ci, a toujours été au rendez-vous pour répondre aux exigences de l’heure et permettre que les pouvoirs publics apportent des réponses à cette crise.

Néanmoins, s’il était indispensable d’apporter des réponses à cette crise, nous n’avons pas voulu le faire sans garanties. Je vais vous citer trois séries de garanties qui me paraissent toutes extrêmement importantes.

La première porte sur les quarantaines. Nous avons voulu que la personne mise en quarantaine dispose du libre choix de son lieu d’exécution, sans doute son domicile, ce qui n’empêche pas l’administration préfectorale de proposer d’autres solutions. Nous avons voulu que tous nos compatriotes se voient appliquer les mêmes principes quand ils arrivent de l’étranger ou de l’une de nos collectivités d’outre-mer, avec cette possibilité de libre choix.

Nous avons aussi tenu compte du fait qu’il peut arriver outre-mer que les logements n’aient pas la salubrité nécessaire ou exposent des tiers à une promiscuité trop grande avec la personne faisant l’objet de la mesure de quarantaine. Si le logement n’offre pas toutes les garanties, le préfet pourra s’opposer à l’exercice de ce libre choix. C’est une soupape de sûreté qui me paraît nécessaire pour la santé publique, tout en préservant le principe du libre choix.

Voilà une illustration de notre souci de préserver la liberté de chacun de nos concitoyens dans un cadre contraint.

La deuxième série de garanties porte sur le système d’information mis en place, qui déroge au principe du secret médical et prévoit que des données de santé sensibles sont utilisées par le service public de l’assurance maladie et traitées par des non-médecins, comme je l’ai expliqué précédemment. Ce sont de graves décisions, que nous n’avons voulu prendre que moyennant six garanties, qui toutes ont été respectées par l’accord conclu en commission mixte paritaire.

Celui-ci a même permis un progrès par rapport au texte que nous avions discuté, puisqu’il est prévu que la durée de conservation des données, lesquelles se limitent strictement au point de savoir si vous avez un test négatif ou positif, ne pourra pas excéder trois mois.

Cela s’ajoute au fait qu’un droit d’opposition doit être organisé et que l’on ne saurait mentionner dans la base de données d’autres maladies dont vous pourriez être atteints. Certaines affections peuvent constituer des risques accrus de développer des formes graves de Covid-19. Leur connaissance est peut-être nécessaire pour soigner, mais elle ne l’est pas pour rechercher les personnes ayant été en contact avec une personne infectée. Il n’y a donc pas de raison de les maintenir dans le dispositif. Ainsi, nos six garanties ont été parfaitement respectées.

Enfin, il y a le principe de la responsabilité. Au fond, les choses sont simples. Tout s’est emballé, on a parlé d’amnistie, voire d’autoamnistie : c’est ridicule, hors de propos. Aucun juriste de France, fût-il garde des sceaux, ne peut parler d’amnistie autrement que dans un cas très précis, quand des coupables se verraient protégés face à une condamnation par une disposition figurant dans la loi. Je vous défie de trouver, dans le premier texte du Sénat, dans celui de l’Assemblée nationale et, bien sûr, dans celui de la commission mixte paritaire, quoi que ce soit qui puisse ressembler à cela !

Il s’agit simplement, dans le texte adopté en commission mixte paritaire, de préciser que le juge devra, au moment d’apprécier la responsabilité, tenir compte des compétences, des fonctions de la personne, des moyens dont elle disposait et des circonstances particulières de cette épidémie redoutable qui a entraîné l’adoption d’un texte modifiant la répartition des responsabilités. C’est simple !

Pendant la période de lutte contre l’épidémie de Covid-19, le maire a moins de pouvoirs qu’en temps ordinaire. Le maire de Sceaux, qui a pris un arrêté pour obliger au port du masque dans les rues de sa ville, a vu son arrêté annulé. Il lui a été répondu qu’il n’avait pas le droit d’utiliser ses pouvoirs de police générale, car le Parlement a donné au Gouvernement, au Premier ministre, aux ministres et aux préfets un pouvoir spécial pendant cette période. Or ce pouvoir spécial augmente les pouvoirs ordinaires du Gouvernement et diminue ceux du maire.

Plus vous avez de pouvoirs, plus vous avez de responsabilités ; moins vous avez de pouvoirs, moins vous avez de responsabilités. Il était nécessaire que cela fût dit de la manière la plus claire, et c’est ce que nous avons fait en mentionnant les maires et les employeurs, pour que l’on ne puisse pas s’y tromper. Comme il va y avoir des dizaines de milliers de décisions à prendre chaque jour pour permettre la mise en œuvre du déconfinement et que celui-ci fait l’objet de décrets, il était normal que chacun connaisse l’étendue exacte de ses responsabilités, y compris sur le plan pénal, et soit assuré que le juge ferait une appréciation de ses responsabilités tenant compte du droit spécial en vigueur depuis le 23 mars 2020 et qui va continuer à s’appliquer dès lors que nous acceptons la prorogation de l’état d’urgence.

Monsieur le président, je vous prie de m’excuser d’avoir dépassé mon temps de parole, mais j’avais à cœur de bien expliquer le résultat de nos travaux.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Adrien Taquet, secrétaire dÉtat auprès du ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, mesdames, messieurs les sénateurs, il n’y a pas d’un côté la démocratie et de l’autre l’esprit de responsabilité ; ils sont une seule et même chose, un seul et même mouvement. Les débats sur ce projet de loi l’ont prouvé une nouvelle fois. Dans ces moments cruciaux, le Sénat et l’Assemblée nationale, la représentation nationale, travaillent ensemble ; les divergences existent, mais des compromis sont trouvés, qui ne renient pas les exigences de chacune des deux chambres, de chacun de leurs membres.

Dans le texte adopté par la commission mixte paritaire, le travail du Sénat a été reconnu et votre assemblée a posé des jalons indispensables pour concilier l’efficacité de la lutte que nous menons contre ce virus avec le respect des grands principes auxquels nous sommes toutes et tous évidemment très attachés. Dans des délais contraints, dans des conditions souvent difficiles, sur ces travées ou depuis chez eux, les législateurs ont pu exercer leur droit d’amendement et, ce faisant, le texte a été précisé, consolidé, enrichi. La commission des lois, qui s’est réunie dès lundi, a pu enrichir ou corriger le projet de loi du Gouvernement et je remercie à ce titre le président Philippe Bas pour la qualité de son rapport.

L’objectif de promulgation de la loi le 11 mai se devait d’être tenu, ce dont nous pouvons toutes et tous nous féliciter. Il ressort des débats que nous avons eus que, par-delà les divergences de vues, les oppositions parfaitement légitimes, nous partageons le même combat pour la santé et la protection des Français.

Avec l’article 1er, l’état d’urgence sanitaire sera prolongé jusqu’au 10 juillet, date que vous avez préférée à celle du 23 juillet que nous avions initialement envisagée. À ce même article, vous avez inséré des dispositions particulières sur la responsabilité des élus, le président Bas vient d’en faire mention, et précisé un certain nombre d’éléments. Les débats, qui ont été riches, vifs parfois, se sont poursuivis jusqu’en commission mixte paritaire. La rédaction retenue prévoit ainsi d’insérer une disposition spécifique au sein du code de la santé publique pour définir les conditions dans lesquelles la mise en jeu de la responsabilité pénale sera appréciée pendant l’état d’urgence sanitaire. Cette clarification – je n’y reviens pas, le président Bas l’a fait de façon très précise – sera de nature à apporter les garanties nécessaires aux élus.

À l’article 6, autre article ayant fait l’objet de nombreux débats au sein des deux chambres et entre les deux chambres, le Gouvernement avait pris note de vos exigences, et je pense qu’elles ont été préservées. Sur votre initiative, la loi exclut désormais explicitement que l’article 6 puisse servir de base juridique au déploiement de l’application StopCovid ; un Comité de contrôle et de liaison Covid-19 permettra de suivre les opérations de lutte contre l’épidémie par suivi des contacts et le déploiement des systèmes d’information prévus à cet effet.

Grâce au travail de la commission des lois, mais aussi de la commission des affaires sociales, le texte permet le renforcement des garanties en matière de droit du travail assurées aux personnes visées par des mesures de quarantaine, et les mesures d’isolement et de quarantaine prévues à l’article 2 sont mieux encadrées qu’initialement.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le texte prorogeant l’état d’urgence sanitaire n’est pas un blanc-seing ; il n’en a jamais été question, évidemment. Le Gouvernement en est d’autant plus conscient que chacun de ses articles a été débattu, amendé, et que plusieurs dispositions nécessiteront de futurs débats parlementaires. Depuis la mi-mars, le pays est à l’arrêt, mais la démocratie parlementaire, elle, ne s’est jamais arrêtée. Avant de conclure, si vous me le permettez, monsieur le président, j’aimerais remercier à ce titre les services du Sénat et l’ensemble des personnels qui ont permis que nous débattions tout en respectant des mesures de sécurité particulières. (M. Alain Richard applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la commission mixte paritaire est donc parvenue à un accord. Le Parlement a joué son rôle : l’Assemblée et le Sénat ont permis d’améliorer la copie initialement présentée par l’exécutif.

Les modalités de mise en quarantaine des articles 2 et 3 ont été encadrées et les droits des personnes placées à l’isolement accrus. On a pu éviter, à l’article 5, la formation de brigades de citoyens susceptibles de verbaliser leurs compatriotes. Il aurait été peu admissible de conférer un tel pouvoir à des personnes non dépositaires de l’autorité publique. Enfin, bien que nous pensions toujours que le dispositif de fichage et de traçage des malades prévu à l’article 6 pose de sérieux problèmes, nous nous réjouissons de son encadrement et de l’anonymisation de ses données.

Pouvons-nous pour autant nous satisfaire du texte qui va être adopté ? La réponse est bien évidemment « non ».

Primo, les conditions n’étaient pas réunies pour que le Parlement puisse débattre sereinement d’un sujet aussi sensible que la mise entre parenthèses du droit commun. Sénateurs et députés ont travaillé dans une grande urgence, cette loi ne pouvant être promulguée avant le 11 mai, dès lors que le Président de la République avait annoncé qu’il saisirait le Conseil constitutionnel dans les prochains jours.

Secundo, il n’y a pas lieu de prolonger indéfiniment cet état d’urgence sanitaire. Il ne répond en rien aux besoins engendrés par la pandémie. Et si la situation requiert la mise en œuvre de moyens particuliers, elle n’impose pas cette atteinte disproportionnée à nos libertés individuelles et publiques, ainsi qu’à la protection de nos données personnelles.

Notre législation est suffisamment armée pour faire face à une telle crise. Plus que d’un régime de surveillance généralisée, c’est de moyens que nos politiques publiques ont besoin. Loin de ces réalités, l’exécutif préfère avoir pour ambition l’enfermement et le fichage des malades, alors que l’urgence est à relocaliser nos productions de matériels médicaux, à répondre aux attentes financières si régulièrement exprimées par nos hôpitaux et nos soignants, et surtout à redonner leur sens aux mots « service public ».

Depuis 2015, nos dirigeants montrent une prédilection inquiétante pour les états d’urgences. Ils en font ensuite entrer les dispositions dans le droit commun et habituent nos concitoyens à vivre dans une société du contrôle.

L’urgence sanitaire n’est pas derrière nous, et nous comprenons que, dans ces conditions, un esprit de concorde soit attendu. Mais nous devons, comme représentants de la Nation, relayer la colère et le ressentiment qui s’expriment dans nos territoires. Nous sommes donc dans notre rôle lorsque nous défendons les droits et les aspirations de nos concitoyens, car l’urgence est aussi sociale. Notre exécutif y est imperméable, au point de n’avoir même pas introduit dans le texte la distribution massive et gratuite de masques.

L’urgence est enfin démocratique. Le déconfinement à venir n’est nullement un retour à la normale. Et si, le 11 mai, nos concitoyens retrouvent un peu de leur vie d’avant, il est à craindre que nous nous enfoncions dans une forme un peu plus prégnante encore de sécuritarisme : coercitif, répressif, liberticide. Le Parlement doit au plus vite retrouver la plénitude de ses prérogatives et un fonctionnement normal. Comment accorder tant de pouvoir à un exécutif auquel, pour la gestion même de cette crise, deux Français sur trois refusent leur confiance ?

Parce que nous espérons des lendemains plus solidaires, plus fraternels, plus écologiques et plus sociaux, nous, membres du groupe CRCE, ne voterons donc pas l’adoption de ce texte.

M. Philippe Bas, rapporteur. C’est dommage !

M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau.

M. Joël Guerriau. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, en ce lendemain du 8 mai, je tiens à évoquer la philosophe Simone Weil, qui écrivait lors de la Seconde Guerre mondiale : « L’unique source de salut et de grandeur pour la France, c’est de reprendre contact avec son génie au fond de son malheur. » La situation que nous vivons depuis ces derniers mois a suscité du génie collectif. Les Français ont répondu « présent » dans la lutte contre cette épidémie.

Les chiffres de contamination et de décès en baisse témoignent de la prise de responsabilités, individuelle et collective, des Français face à cette crise. Une nouvelle fois, notre groupe tient à remercier le personnel soignant, ainsi que tous les acteurs actifs des secteurs public et privé dans la gestion de cette crise pour leur travail sans relâche et leur dévouement.

Le texte que le Gouvernement nous a soumis samedi dernier a été grandement enrichi par le Sénat, puis par l’Assemblée nationale, et ce dans un laps de temps très court. Je tiens à saluer Philippe Bas, ainsi que tous les membres de la commission des lois, qui ont contribué à une évolution constructive du projet initial.

Nous nous réjouissons que la commission mixte paritaire ait abouti à un texte équilibré, nous permettant de démontrer que notre pays est capable d’affronter dans l’unité, avec l’apport des deux chambres, une crise d’échelle planétaire.

Le travail parlementaire et le dialogue avec le Gouvernement et avec les élus locaux sont essentiels dans la gestion de cette épidémie. On peut ne pas être d’accord avec les orientations prises, mais nul, quelle que soit sa couleur politique, ne peut prétendre qu’il aurait su parfaitement gérer cette crise.

Je tiens à saluer la réactivité du Gouvernement et du Parlement pour apporter des réponses à nos concitoyens. La prorogation de l’état d’urgence sanitaire, si nécessaire soit-elle, fait l’objet d’un réaménagement raisonnable dans la perspective du déconfinement et du redémarrage de notre pays.

Je souhaite revenir sur deux points qui ont grandement marqué nos échanges – il me semble important de s’y attarder.

Concernant, premièrement, la responsabilité des maires et des employeurs durant cette crise, nous avons entendu les craintes des responsables du secteur privé et de nos élus locaux. Ils sont une clé maîtresse de la réussite du déconfinement ; il est important de leur apporter des moyens et des garanties juridiques. L’accord qui a été trouvé lors de la CMP est équilibré.

J’ajoute que mes échanges avec des maires font émerger un point clair : ils assument avec détermination leurs responsabilités, et des initiatives remarquables ont pu voir le jour. Ils sont la force d’une présence territoriale et d’un engagement public décentralisé. Chaque maire est différent, comme l’est chaque commune. Ce que demandent avant tout les maires, c’est que l’État leur donne des directives claires, partage l’information et soit en mesure de procéder à une coordination efficace.

Je souhaite évoquer, deuxièmement, la question du système d’information. Nous avons bien sûr pris toute la mesure de l’importance d’un système efficace pour sortir de cette crise. Cependant, des garanties fortes étaient indispensables. Je me réjouis particulièrement de l’obtention de certaines d’entre elles, qui avaient été identifiées comme essentielles par le groupe Les Indépendants : je veux parler de la durée limitée du système, mais aussi de la délimitation des données qui pourront être partagées et traitées, à savoir celles relevant uniquement de la virologie et de la sérologie ainsi que de leurs éléments probants.

En revanche, des réserves demeurent sur le sujet de l’absence de consentement concernant le partage et le traitement des données médicales. Pour ce qui est du point sensible qu’est l’utilisation d’outils numériques, je salue la sagesse du Sénat, qui a permis d’envisager une telle utilisation au regard de l’apport évident de ces outils dans l’éradication du virus. Le moment venu, nous pourrons débattre afin de trouver la meilleure mise en œuvre d’un système complémentaire que nous souhaitons le plus respectueux possible de nos libertés.

Je voudrais par ailleurs mettre en lumière quelques apports significatifs : une place exigeante et fondamentale a été donnée au juge des libertés et de la détention ; le cadre posé pour les mesures d’isolement et de mise en quarantaine a été bien étudié, comme cela a été rappelé par Philippe Bas, et amélioré par le Parlement.

Tout cela est nécessaire pour casser la chaîne de propagation du virus sur l’ensemble de notre territoire et dans l’ensemble de nos collectivités.

Je l’ai rappelé mercredi dernier : nous pouvons faire confiance aux Français ; ils sont responsables et conscients de la crise que nous vivons. Leur fournir un cadre et des principes généraux est notre devoir, comme l’est la préservation de nos libertés. Albert Camus disait de la liberté que « ce n’est pas l’espoir de l’avenir. C’est le présent et l’accord avec les êtres et le monde dans le présent ». Le présent, en ce moment, est compliqué à gérer pour les Français, et l’espoir de l’avenir difficile à imaginer. Mais de la réussite collective de ce confinement dépendent beaucoup de choses, et surtout notre futur. Dans cette perspective, le groupe Les Indépendants votera ce texte.

M. le président. La parole est à M. Hervé Marseille.

M. Hervé Marseille. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, mon groupe a pris acte avec satisfaction de l’aboutissement des travaux de la commission mixte paritaire d’aujourd’hui. C’est une bonne chose que le Parlement puisse montrer son unité dans ces moments compliqués ; que n’aurait-on pas dit, en effet, si nous avions dû malheureusement enregistrer une issue différente pour cette CMP ?

Je veux remercier notre rapporteur, Philippe Bas, qui a fait un travail considérable tout au long de ces derniers jours, à l’écoute de tous les groupes. Je veux remercier aussi le président de la commission des affaires sociales, Alain Milon, dont la contribution a été importante, et saluer les efforts du ministre Olivier Véran, avec qui nous avons pu avoir des échanges parfois passionnés, mais toujours respectueux et très utiles.

Le Sénat a marqué ce texte de son empreinte, soucieux de toujours défendre les droits du Parlement et les libertés publiques, les droits de nos concitoyens.

Je ne reviendrai pas sur l’ensemble des points déjà largement développés par notre rapporteur. S’agissant de l’article 1er, je me réjouis que l’Assemblée nationale ait suivi notre proposition d’une prorogation de l’état d’urgence jusqu’au 10 juillet, ce qui redonne au Parlement les moyens de son action, car il est difficile de vivre en état d’exception perpétuel, y compris dans des situations difficiles. L’usage de cet instrument juridique doit être strictement limité ; il faut dès que c’est possible faire retour au droit commun.

Nul blanc-seing n’est donné à l’exécutif – vous l’avez dit, monsieur le secrétaire d’État –, et le Sénat entend continuer d’exercer pleinement sa mission de contrôle de l’action du Gouvernement, comme il l’a d’ailleurs fait toutes ces dernières semaines.

La responsabilité des décideurs publics et privés a été l’objet d’échanges parfois vifs – là encore, vous l’avez dit, monsieur le secrétaire d’État. Cette question était malheureusement absente du projet de loi initial ; c’est grâce au travail du Sénat et de sa commission des lois, dont je salue les collaborateurs, mais aussi à celui de l’Assemblée nationale, que nous avons pu avancer.

Au-delà du droit, il fallait émettre un signal en direction de tous ces élus qui s’engagent, que nous fréquentons et côtoyons au quotidien, ainsi qu’en direction des décideurs privés, chefs d’entreprise, mais aussi responsables associatifs, de tous ceux, donc, qui sont appelés à prendre des responsabilités et des milliers de décisions chaque jour pour remettre notre pays en action. C’est donc une bonne chose que nous ayons pu, en la matière, trouver une réécriture, non pas en partant du texte des uns plutôt que de celui des autres, mais en rédigeant un texte nouveau, qui s’appuie essentiellement sur le code de la santé publique.

Je veux remercier également l’Assemblée nationale pour l’ensemble des garanties qu’elle a soit maintenues, suivant les votes du Sénat, soit instaurées. Les données personnelles pourront être traitées et partagées, dans le cadre du système d’information prévu à l’article 6, pour une durée de six mois après la fin de l’état d’urgence sanitaire, ce qui est un délai raisonnable.

Nous étions évidemment nombreux à nous inquiéter de l’accès à ces données personnelles et du devenir de ces données. Nous avions précisé que l’article 6 ne pourrait servir de base juridique à l’application StopCovid ; nos collègues députés n’ont pas remis en cause cette précision, ce que je salue.

Concernant l’habilitation du Gouvernement à prendre des ordonnances sur ce sujet, là encore, l’Assemblée nationale s’est rapprochée du Sénat.

Quant à l’avis conforme de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), qui a fait l’objet de très nombreux échanges en CMP, il recueille les suffrages de beaucoup de membres de mon groupe.

Un mot sur un sujet qui a occupé longtemps notre hémicycle en début de semaine, qui peut paraître marginal au regard de l’essentiel, mais qui émeut beaucoup d’élus du littoral : la réouverture des plages et des forêts. Si nous regrettons que l’Assemblée nationale ait supprimé, à la demande du Gouvernement, cet article 5 bis, nous donnons acte à ce dernier de ses déclarations sur le sujet, qui relève plutôt du domaine réglementaire, en espérant que ces espaces naturels puissent être largement rouverts dès lors que les conditions sanitaires le permettent, grâce à l’intervention des préfets.

Je conclurai en insistant sur la nécessité, monsieur le secrétaire d’État, de faire œuvre de clarté sur les conditions de retour de nos compatriotes actuellement bloqués dans d’autres pays – je pense aux nombreux Français qui travaillent dans des pays étrangers, toujours au service des intérêts de la France, ou aux étudiants qui, comme dernièrement en Roumanie, sont coincés. Mon collègue Olivier Cadic s’est exprimé à de multiples reprises sur ce sujet, car nombreux sont les Français de l’étranger qui ne comprennent plus très bien où on en est de la situation.

Je veux saluer l’excellent travail qui a permis, grâce aux députés et grâce à nos collègues de la commission des lois membres de la commission mixte paritaire, d’aboutir à ce résultat. Le groupe Union Centriste votera pour le texte adopté par la CMP.